M. Daniel Raoul. Qu’est-ce que cela ?
M. Jean-François Mayet. C’est aux élus de dire que le primaire envoie dans le secondaire des enfants dont 25 % sont illettrés, ou presque !
C’est aux élus de dire que le secondaire se conclut par des baccalauréats qui n’ont plus ni queue ni tête, dénaturés par le fait qu’on a voulu les rendre accessibles à plus de 80 % des candidats !
C’est aux élus de dénoncer le fait, incontestable, que 30 % des étudiants que nos universités accueillent n’ont rien à y faire, et qu’elles fabriquent donc automatiquement autant de chômeurs…
M. Jean-Michel Baylet. Tout cela n’est-il pas un peu excessif ?
M. Jean-François Mayet. ... qui n’en seraient pas s’ils avaient été convenablement orientés plus tôt.
M. Jean-Michel Baylet. Quel sens de la nuance !
M. Jean-François Mayet. Mes chers collègues, je ne suis pas sûr de m’exprimer ici comme un sénateur ; je le fais plutôt comme un citoyen moyen, au travers de son expérience, c’est-à-dire comme un citoyen qui, comme tout le monde à une époque, savait lire, écrire et compter en fin de CE2.
M. Daniel Raoul. Propos de bistrot !
M. Jean-François Mayet. Je le dois à mes deux instituteurs, qui étaient mari et femme, fiers d’être de gauche et libres penseurs ; en tout cas, vrais humanistes tous les deux, ils avaient un sens aigu de leur devoir d’enseignant et de leur responsabilité à l’égard de l’avenir professionnel de leurs élèves.
M. Martial Bourquin. Ici, il s’agit de l’avenir de l’industrie !
M. Jean-François Mayet. Je les ai aimés jusqu’à vouloir leur ressembler, et ils ont été pour moi le repère que je souhaite à tous les jeunes. Donnons à nos jeunes cette même chance que j’ai eue !
Permettez-moi de conclure par ce constat : la crise et les réformes ont en commun de s’imposer à nous. Je crois sincèrement que les réformes réussies peuvent et doivent nous aider à surmonter cette crise plus rapidement. Il faut donc continuer et, si possible, accélérer les réformes.
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question posée par notre ami Martial Bourquin a un triple mérite : d’abord, elle rappelle que la France doit avoir un dessein industriel ; ensuite, elle replace ce dessein dans la crise que nous connaissons aujourd'hui ; enfin, elle suscite un débat qui peut dépasser les clivages partisans et, à cet égard, je fais miennes les questions soulevées aussi bien par Martial Bourquin et Daniel Raoul que par Gérard Longuet.
En premier lieu, l’emploi industriel est en effet nécessaire en France, et il l’est particulièrement au moment où nous traversons cette crise, car les grands groupes industriels assurent à eux seuls 80 % des exportations. Or, 1 milliard d’euros de produits industriels exportés, ce sont 15 000 emplois créés en France.
En second lieu, si les emplois perdus dans les services peuvent être retrouvés, les emplois perdus dans l’industrie le sont à jamais.
Dans la crise, ce sont surtout les fermetures de sites importants par les grands groupes qui frappent nos concitoyens, mais elles ne sont pas les principales responsables de la forte et inexorable montée du taux de chômage, qui touche d’abord les emplois intérimaires, les emplois des petites entreprises voisines et, parfois, ceux des sous-traitants.
La région Bourgogne a connu la disparition de Hoover, de Kodak, de Dim, de Thomson et assiste aujourd'hui à celle d’un grand groupe agro-alimentaire néerlandais. Voilà qui marque les esprits !
Pourtant, si nous nous en donnons les moyens à tous les échelons territoriaux, et surtout à l’échelon européen, nous pouvons non pas seulement arrêter la « casse », mais créer des emplois industriels. Ainsi, malgré la crise, un grand groupe industriel sur lequel je reviendrai dans ma conclusion crée actuellement des emplois par centaines.
Cela passe d’abord et avant tout par le nécessaire effort d’innovation et de recherche et développement, aspect évoqué par tous et que j’aborderai pour ma part au travers d’un exemple.
Alors que les États-Unis ont laissé partir toute la fabrication de « ménager blanc » en Asie, nous avons pu garder, en les soutenant chacun à notre échelon, des groupes industriels de ce secteur, et je pense en particulier à SEB. Si ce groupe est aujourd'hui en mesure de maintenir des emplois en France, dans deux régions au moins, c’est parce qu’il a tout misé sur l’innovation et qu’il est ainsi capable de produire des appareils comme la friteuse Actifry, vendue – pour plus de 100 euros – à un million d’exemplaires en un an dans le monde entier !
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous êtes venu dans notre département, c’est grâce à l’innovation que nous produisons encore du « ménager blanc » dans notre pays. Et l’innovation, ce n’est pas ce qu’en a dit le précédent intervenant, avec qui je suis en désaccord. L’innovation est le fruit d’un processus qui, associant recherche académique et recherche privée, doit déboucher sur des brevets, avec pour fin l’accompagnement et la création d’entreprises, ce qui m’amène à un autre point de mon intervention.
Les collectivités locales, notamment les régions, devraient n’être en mesure d’accompagner ce processus qu’à la marge, parce que leurs ressources, qui ne dépassent pas quelques dizaines de millions, voire quelques centaines de milliers d’euros, ne sont pas à la hauteur des enjeux que doivent assumer les grands groupes. Et pourtant, elles l’accompagnent, par le biais des incubateurs, des technopoles, des C2EI, les centres européens d’entreprises et d’innovation, du réseau Retis et d’autres.
C’est précisément là qu’il faut porter l’effort, en particulier à travers les pôles de compétitivité.
Un groupe de travail sénatorial consacré à ces pôles étudie d’ailleurs actuellement la façon dont on pourrait les rendre plus réactifs, plus évolutifs et donc les mettre en état d’apporter davantage d’aide aux différentes structures. Aujourd'hui, les pôles de compétitivité sont en effet encore un peu figés, tant sur le plan la décision que sur celui des moyens et des crédits à apporter à la recherche.
Je souhaite, monsieur le secrétaire d'État, que la réforme des collectivités locales ait pour effet de donner à celles-ci les moyens d’accompagner mieux encore les groupes industriels dans leurs efforts non seulement de recherche et développement, mais aussi de recherche de parts à l’export, car l’exportation doit, comme je l’ai déjà dit, être encouragée.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, je veux vous interroger sur le secteur de l’énergie. En effet, s’il est un secteur qui, à côté de l’aéronautique, porte haut les couleurs de l’industrie, c’est bien celui de l’énergie !
Le groupe AREVA, en particulier, avec ses filiales, ses succursales, ses fournisseurs, crée de l’emploi sur l’ensemble de notre territoire. Cependant, il est aujourd'hui confronté à un fort endettement en même temps qu’à la perte d’un de ses partenaires, le groupe allemand Siemens.
Dans le cadre du débat budgétaire, j’avais déjà demandé à Mme Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, quelle était la vision du Gouvernement en matière énergétique. J’ai entendu le chef de l’État dire avant-hier que, « là où on dépense un euro pour le nucléaire », un euro sera consacré au développement durable, qui conduit effectivement aussi à la création de pôles industriels. Mais pourriez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d'État, quelle politique le Gouvernement entend mener en ce qui concerne ce pôle créateur d’emplois qu’est le pôle énergétique ?
À côté du secteur automobile, abondamment évoqué cet après-midi, le secteur énergétique, qui répond à une demande mondiale dont on estime qu’elle sera exponentielle au moins jusqu’en 2020, notamment parce que nous ne savons pas encore stocker le carbone comme d’autres énergies fossiles, me paraît en effet tout fait essentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.
M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’industrie est un principe existentiel dans la vie des collectivités humaines. Il y a les sociétés qui ont une industrie et il y a celles qui n’en ont pas. Il faut résolument s’inscrire dans la première catégorie.
Les orateurs qui m’ont précédé ont décrit l’enchaînement infernal qui peut survenir : diminution de l’activité du centre de production, partie émergée – et image de marque – de l’iceberg, mais aussi diminution des activités de sous-traitance, parfois localisées dans des territoires très éloignés du site de production principal ; c’est le problème des équipementiers automobiles, très nombreux dans la Marne, problème méconnu parce que les constructeurs sont en Île-de-France, dans le nord, dans l’est ou dans le centre.
Comme l’a dit Gérard Longuet, l’industrie, dans notre pays, c’est bien plus que 20 % du PIB. Voilà une vérité que nous ne devons pas perdre de vue !
Quant à Martial Bourquin, c’est avec raison qu’il a souligné que la réindustrialisation devait faire la part belle à l’intervention régionale, remarque qui m’a beaucoup frappé, et je le remercie d’ailleurs par avance de bien vouloir la réitérer auprès de ses amis présidents de conseil régional qui, pour certains d’entre eux – pas tous ! –, n’ont pas cru bon d’impliquer leur assemblée de façon formalisée dans des plans de relance…
En tout état de cause, il y a un véritable enjeu dans la localisation même des sites d’activité économique. Au-delà du slogan politique, c’est la question de la compétitivité de nos activités industrielles et de leur localisation sur notre territoire qui est posée, car il faut répondre en profondeur à une interpellation sociale tout à fait légitime.
Un élément souvent majeur de compétitivité du produit fabriqué tient à son caractère innovant. Or, si les grands groupes envisagent volontiers leur développement à travers la problématique de recherche et d’innovation, il n’en est pas toujours de même pour les PME et les PMI, au moins dans notre pays.
Christian Gaudin a rappelé que, même sur le Vieux Continent, dans des pays tels que l’Allemagne, la dimension de l’innovation était très présente dans la culture entrepreneuriale des PME et des PMI, où elle est clairement perçue comme un élément essentiel du développement.
L’innovation est, en effet, le soutien indispensable à l’économie de l’entreprise, grande ou petite. Elle permet d’apporter au produit livré au jeu concurrentiel du marché une valeur ajoutée qui le rendra compétitif, même à un prix de vente plus élevé, soutenant ainsi le pouvoir d’achat des salariés.
Il est vrai que la crise du secteur de l’automobile offre un bon exemple de la difficulté de piloter l’effort de recherche et développement. Vous êtes largement intervenu dans ce domaine, monsieur le secrétaire d'État, et je vous en remercie.
Les grands groupes n’échappent pas au risque de ne pas se montrer assez audacieux ou de ne pas emprunter la meilleure voie en matière de recherche et développement. C’est ainsi que les constructeurs automobiles de notre pays n’ont peut-être pas toujours suffisamment pris en compte l’exigence d’une voiture peu gourmande en énergie et aussi « propre » que possible.
À ce propos – question que Gérard Longuet n’a d’ailleurs pas manqué de vous poser –, qu’en est-il de la voiture électrique ?
L’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques avait préconisé, dans un rapport présenté voilà près de cinq ans déjà, de faire le choix du développement d’une voiture hybride rechargeable et d’y investir. Cette recommandation n’avait pas, d’emblée, emporté la conviction de nos constructeurs nationaux, qui ont manifesté davantage de désintérêt que d’intérêt pour cette perspective qui s’impose pourtant aujourd’hui.
Cela signifie que les grands constructeurs, les grands groupes peuvent, eux aussi, faire de mauvais choix dans le domaine de l’innovation.
Cependant, l’affaire est plus dramatique encore pour les PME-PMI : on sait quelles peuvent être les conséquences si elles n’ont pas les moyens d’introduire rapidement l’innovation dans leur production.
Vous vous rappelez sans doute mieux que tout un chacun ici, monsieur le secrétaire d'État, ce qui s’est passé dans le bassin nogentais, où la production traditionnelle de coutellerie et même de bistouris avait subi de graves revers face à la compétition économique internationale. La « relève » n’a pu venir que grâce à l’innovation, la recherche sur les traitements de surface ayant porté très haut la compatibilité entre matériel biologique et matériel minéral et permis la fabrication de prothèses ostéo-articulaires.
L’innovation a ainsi démontré qu’elle pouvait sauver des bassins entiers de PME-PMI, y compris parfois dans les zones les plus en difficulté sur le plan économique et les plus désertifiées.
Ce résultat peut aussi être porté au crédit de la mise en place d’un certain nombre de mesures et de structures. Je pense à l’Agence pour l’innovation industrielle, au plan Innovation, qui a fondé le statut de la jeune entreprise innovante, à la réforme du crédit impôt recherche. Je pense aussi à la création des pôles de compétitivité, à celle de l’Agence nationale de la recherche, chargée de soutenir le développement de la recherche fondamentale et appliquée. Je pense encore au rapprochement de l’Agence nationale de valorisation de la recherche et de la banque du développement des PME, avec la création d’OSEO. Je pense enfin aux huit commissaires à la réindustrialisation et aux contrats de transition professionnelle, dont Martial Bourquin a réaffirmé l’intérêt et souligné à quel point ils étaient porteurs d’espoir.
Ces diverses structures, qui agissent chacune à leur manière, doivent développer une stratégie d’approche et de démarchage de l’ensemble du tissu des PME-PMI, afin que ces entreprises, dont l’énergie est véritablement dévorée par leur activité quotidienne de production, s’inscrivent dans une dynamique d’innovation et changent leurs pratiques de développement. C’est en amont que ces organismes doivent intervenir, avant que les entreprises ne le leur demandent ou ne lancent un appel de détresse. C’est même au moment où tout va bien qu’ils doivent leur tendre la main, afin que les PME-PMI s’appliquent à acquérir une culture d’innovation et, ainsi, à renouveler leur production.
Dans cette optique, il faut susciter la volonté des responsables et même leur enthousiasme pour la démarche innovante, qui doit faire partie de la culture de l’entreprise. Henry Ford, ce grand capitaine de l’industrie automobile américaine, affirmait déjà : « L’enthousiasme est à la base de tout progrès. »
Depuis 1960, la Grande-Bretagne n’a plus nourri cet enthousiasme : nous savons ce qu’il est advenu de son industrie.
À vous, monsieur le secrétaire d'État, à nous, parlementaires, de faire souffler partout sur le territoire le vent de la recherche et de l’innovation, pierre angulaire du développement, donc de la compétitivité et de l’emploi sauvegardé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous me permettrez de rompre avec le caractère généraliste des précédentes interventions pour apporter un éclairage, certes local, mais à mon sens très emblématique, hélas ! de la crise de l’industrie. J’évoquerai en effet la situation de l’entreprise Molex, à Villemur-sur-Tarn, commune du département dont je suis l’élu.
Monsieur le secrétaire d'État, vous connaissez bien ce dossier, mais je crois utile d’y revenir une nouvelle fois, car l’actualité immédiate nous donne matière à réflexion. Cet exemple illustre de manière très aiguë la situation actuelle de la filière des équipementiers et des sous-traitants automobiles, que notre collègue Martial Bourquin a évoquée et dont nous ne saurions admettre qu’elle entraîne, en plus des conséquences économiques que nous savons, des situations humaines inacceptables.
L’entreprise Molex, spécialiste de la connectique automobile, a dégagé au cours de l’année 2008 un bénéfice de 1,2 million d'euros, ce qui, vous en conviendrez, est loin d’être négligeable. À ce jour, pourtant, la direction maintient fermement sa décision de fermer le site au mois d’octobre prochain, après qu’un sursis a été gagné de haute lutte. L’installation et la mise en fonctionnement d’une chaîne de production de remplacement aux États-Unis apportent d’ailleurs la preuve que la suppression du site de Villemur-sur-Tarn était programmée de longue date.
Monsieur le secrétaire d'État, la fermeture de ce site signifie le licenciement de 300 salariés, qui sont dotés de savoir-faire très spécialisés et dont la moyenne d’âge est de quarante-six ans. Il signifie également que 300 familles de Villemur-sur-Tarn et des environs vont voir leur destin basculer au son de ces seuls mots de la direction : « Nous anticipons des pertes éventuelles. »
Je ne suis pas le seul à me demander aujourd’hui si nous pouvons tolérer que le destin d’une population, fût-elle locale, soit gouverné par de telles « éventualités », et l’on admettra aisément que les élus concernés consacrent toute leur attention à cette population.
Il aura fallu beaucoup de détermination et de courage aux salariés de Molex pour obtenir gain de cause, grâce à une décision du tribunal de grande instance qui a permis au comité d’entreprise d’exposer, enfin, son point de vue sur la viabilité du site.
Il est indispensable de rappeler que le groupe PSA se fournissait principalement chez Molex en matière de connectique : ses commandes représentaient 80 % des recettes du site de Villemur-sur-Tarn. En d’autres termes, le maintien de ce site de production, sous une forme ou sous une autre, est étroitement lié au groupe automobile français, au moment où est évoquée une reprise de l’entreprise – je devrais dire : l’espoir d’une reprise.
Dans ce contexte, le pacte automobile mis en place par l’État devrait s’intéresser non pas seulement au sort des constructeurs, mais également à celui des fournisseurs et des sous-traitants. J’ai la conviction, au moment où j’interviens devant la Haute Assemblée, que l’engagement de l’État est indispensable et répond à une double exigence, économique et sociale.
Cette exigence est ressentie par toute la population de Villemur-sur-Tarn : aux côtés des salariés de Molex, elle se livre à une véritable course contre la montre, dans laquelle votre rôle est primordial, monsieur le secrétaire d'État, car nul ne saurait se substituer aux responsabilités de l’État pour mener à bien cette tâche.
D’ailleurs, la perspective de trouver en quatre mois un repreneur pour le site de Villemur-sur-Tarn paraît aujourd'hui beaucoup moins improbable qu’aux mois de février et de mars, car nous disposons maintenant, à partir des éléments figurant dans l’analyse du cabinet Syndex, de la preuve de la viabilité du site, ce qui contredit les affirmations réitérées de la direction de Molex.
On comprendra facilement que la crédibilité de cette direction soit fortement altérée par des faits très précis : d’abord, la décision de sacrifier ce site ; ensuite, les libertés prises – c’est un euphémisme – avec le droit français du travail ; enfin, l’installation, dans la plus grande opacité, d’une chaîne de production de remplacement aux États-Unis, d’où sortent d’ailleurs des produits d’une qualité très discutable.
J’ajoute que la direction de Molex demande actuellement aux travailleurs une productivité supérieure à celle qui était la leur voilà un an, ce qui justifie le recours à du personnel intérimaire. Or, dans le même temps, elle leur présente la fermeture du site comme inévitable !
Si les informations en ma possession sont exactes, le pire est à venir. Lors de la réunion qui vient d’avoir lieu à la préfecture de Toulouse, la direction de l’entreprise a menacé de rompre l’accord de crise si la productivité n’atteignait pas le niveau qu’elle exige, brandissant le spectre de licenciements à court terme. Il y a tout de même là un paradoxe qu’il convient de dénoncer !
Monsieur le secrétaire d'État, c’est de cette situation qu’aurait bien voulu vous entretenir personnellement la délégation des 110 salariés de Molex qui s’est rendue hier à Paris et qui a été reçue par un membre de votre cabinet.
Sans mettre en cause la qualité de l’accueil qui leur a été réservé, monsieur le secrétaire d'État, je pense que votre attitude s’apparente à un « acte manqué » qui n’est pas de nature à rassurer les salariés. Le fait de recevoir cette délégation personnellement aurait en effet attesté votre volonté d’aider l’entreprise Molex.
Pour autant, le Gouvernement et vous-même avez encore le temps de répondre à l’urgence, en vous engageant résolument dans la recherche concertée d’un repreneur, qui doit pouvoir compter sur un débouché commercial avec PSA. Est-il utile de rappeler que, dans le cadre du pacte automobile, PSA a bénéficié d’un prêt de l’État de près de 3 milliards d’euros ? Cela ne vous donne-t-il pas, monsieur le secrétaire d'État, les moyens d’obtenir que ce groupe concrétise par écrit ses intentions à l’égard du site de Molex à Villemur-sur-Tarn ?
C’est du reste ainsi que le Gouvernement pourra crédibiliser le pacte automobile. En effet, comme d’autres l’ont souligné avant moi, nous ne saurions accepter que la structure de notre industrie soit uniquement dépendante des caprices du marché et de décideurs peu scrupuleux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement. Monsieur Bourquin, je vous remercie d’avoir posé cette question orale avec débat sur la crise de l’industrie, car cette crise, au-delà de la représentation nationale, intéresse et préoccupe l’ensemble des Français.
Le constat que vous dressez n’est pas nouveau. Le Président de la République réaffirme régulièrement qu’un pays sans industrie est un pays qui ne croit pas en l’avenir de son économie.
L’industrie a des effets qui dépassent largement son poids dans le PIB, de l’ordre de 16 % aujourd'hui. Elle représente en effet 80 % de nos exportations, 85 % de la recherche et développement du secteur privé dans notre pays. En ce début de xxie siècle, elle offre des perspectives de réponse à tous les grands défis qui se posent au monde : l’alimentation, la sécurité, l’environnement.
Alors que, pendant trop d’années, elle a été considérée comme un problème, notamment au regard de l’environnement et du développement durable, l’industrie sera demain une solution. Tout l’enjeu réside dans notre capacité à innover et à investir pour qu’il en soit ainsi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’orienterai mon propos autour de trois axes, ce qui me permettra de répondre à l’ensemble des questions que vous m’avez posées.
Premièrement, le Gouvernement n’a pas attendu la crise que nous traversons actuellement pour prendre des mesures fortes en faveur de l’industrie.
Dès 2007, lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a dressé un certain nombre de constats et, aussitôt après son élection, nous avons instauré des mécanismes nouveaux pour assurer la compétitivité de notre économie, et donc de notre industrie.
Lorsque nous décidons de mettre en œuvre le dispositif des heures supplémentaires – je sais qu’il s’agit d’un sujet qui prête à controverse –, donc d’allégements des charges des entreprises, c’est évidemment pour améliorer la compétitivité de notre industrie. Il s’agit d’alléger le coût du travail pour que l’offre industrielle de la France soit meilleure que celle de ses voisins.
Lorsque nous décidons de proposer, entre la démission et le licenciement, une troisième voie de séparation entre l’employeur et le salarié, c’est pour apporter une certaine flexibilité au marché du travail, dont la rigidité est un frein à l’attractivité de notre industrie.
Lorsque nous mettons en œuvre le triplement du crédit impôt recherche, c’est clairement pour stimuler l’innovation, afin de donner un avantage comparatif à l’offre industrielle française. De fait, notre pays dispose aujourd'hui du dispositif le plus attractif des pays de l’OCDE. Ce point est essentiel, car nous savons que l’innovation d’aujourd'hui permettra les investissements industriels de demain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous vous êtes inquiétés les uns et les autres de l’impact sur le budget de l’État de toutes ces mesures en faveur de l’innovation. Je rappellerai simplement que le crédit impôt recherche devrait représenter cette année environ 3 milliards d'euros. C’est considérable, mais l’effet retour l’est tout autant : si Thales a décidé de maintenir la production du cockpit du futur A 350 en France, c’est grâce au crédit impôt recherche ; si Google ou Microsoft ont pris la décision d’investir dans d’importants centres d’innovation dans notre pays, c’est aussi grâce à ce dispositif.
Vous avez également évoqué, mesdames, messieurs les sénateurs, les pôles de compétitivité. Après les avoir créés en 2005, nous les avons évalués l’année dernière, de manière tout à fait indépendante, et nous avons décidé de les pérenniser, avec une rallonge de 1,5 milliard d’euros sur trois ans, mais en demandant à ceux qui n’avaient pas forcément répondu à nos attentes initiales de réagir. Cet été, c'est-à-dire un an après l’évaluation, nous allons prendre des décisions qui seront d’ailleurs peut-être douloureuses pour certains pôles, mais nous devons concentrer nos moyens sur les pôles dont nous pensons qu’ils ont vraiment vocation à fédérer tous les acteurs d’une filière.
S’agissant des pôles à vocation mondiale, nous avons décidé d’aller plus loin et d’investir davantage. Sans doute faudra-t-il un jour aller vers de véritables technopôles, des clusters physiques, dont cinq ou six pôles de compétitivité offrent d’ores et déjà une esquisse. En tout cas, le Gouvernement a renforcé son investissement sur les pôles de compétitivité.
Voilà pour l’action que nous menons depuis deux ans, mais il ne fait pas de doute que la crise a changé la relation de l’État à l’industrie et modifié notre approche en la matière, ce qui m’amène au deuxième point que je souhaite aborder.
L’industrie a été la première victime de la crise. Il nous fallait donc y répondre vigoureusement par un certain nombre de mesures ciblées, dédiées, volontaristes, réactives. Il y avait effectivement urgence en la matière.
Dans le secteur de l’industrie, l’action du Gouvernement face à la crise s’est articulée en trois temps.
Le premier temps a été celui de la réponse à l’urgence et de la gestion de la problématique de l’assèchement du crédit. La source du mal, c’était la crise financière. Si les entreprises industrielles ont été les premières touchées, c’est parce qu’elles sont particulièrement demandeuses de crédit, qu’il s’agisse d’équilibrer ponctuellement leur trésorerie, de financer des investissements ou même de financer leurs propres clients. Dans ces conditions, le système financier s’étant arrêté de fonctionner normalement, le secteur industriel a été considérablement fragilisé.
C’est pourquoi le Gouvernement a pris une série de mesures qui, toutes ensemble, ont eu de réels effets. Je pense notamment au remboursement anticipé de la TVA, à la réduction des délais de paiement, qui a eu une forte incidence sur l’ensemble des fournisseurs et, notamment, des sous-traitants ; je pense à l’instauration de la médiation du crédit, qui a permis de débloquer plus de 7 000 dossiers d’entreprises qui rencontraient des difficultés avec le système bancaire et de maintenir, dans cette période de crise, 90 000 emplois ; je pense à l’action menée avec OSEO, la banque des PME, en matière de garantie, de lignes de crédit, mais aussi dans le domaine de l’innovation.
Cette crise nous a en outre fourni l’occasion de créer un fonds d’investissement, qui est une première dans notre pays. Nous en parlions depuis longtemps ; le Président de la République a pris la décision d’instituer un fonds souverain de capital-risque, le Fonds stratégique d’investissement, qui a vocation à prendre des participations dans des entreprises stratégiques, pour soutenir des filières et à les dégager des cycles purement financiers en leur permettant d’épouser les cycles économiques qui caractérisent généralement la production industrielle. En effet, on ne peut pas exiger, comme l’ont trop souvent fait d’anonymes et lointains fonds d’investissement, des retours sur investissement à deux chiffres, parfois supérieurs à 15 %, alors que, bien souvent, les modèles économiques de l’industrie ne dégagent pas plus de quelques points de marge dans le résultat.
Je mentionne également le dispositif de réassurance public mis en œuvre par le Premier ministre, qui a permis de pallier la défaillance à cet égard causée par la crise.
Le Gouvernement a donc eu pour objectif, dès que les premiers effets de la crise financière se sont fait sentir, de répondre à l’urgence.
Le deuxième niveau de réponse du Gouvernement face à la crise a consisté en un choix stratégique dont j’ai compris qu’il faisait débat et qu’il n’était pas forcément le vôtre, monsieur Bourquin, ni celui de vos collègues du groupe socialiste. C’est vrai, nous avons décidé de miser sur l’investissement et nous n’avons pas retenu votre solution, qui consisterait en un soutien diffus de la consommation.
Six mois plus tard, force est de constater que nous avons sans doute fait le bon choix.
Nous l’avons vu, aujourd’hui, le gros problème de notre économie est le manque d’activité de nos entreprises, notamment de nos entreprises industrielles. Si nous avons fait le choix de l’investissement, c’est parce que nous pensons que le plan de relance va progressivement permettre de remplir leurs carnets de commande, donc de créer de l’activité économique et de l’emploi, et ainsi d’offrir une vraie réponse à la crise. Or la consommation est, en France, le dernier moteur à continuer de bien fonctionner, et notre pays fait un peu, à cet égard, figure d’exception en Europe.
À mon sens, la réponse du Gouvernement a été plus adaptée puisqu’elle a visé les ménages les plus fragiles, c'est-à-dire ceux qui en avaient le plus besoin. Lorsque nous décidons, par exemple, d’exonérer la première tranche d’impôt sur le revenu du deuxième et du troisième tiers provisionnels, nous envoyons très clairement un message fort aux 2,5 millions de foyers concernés.