Article 18
(Texte modifié par la commission)
I. - L'article L. 1110-3 du code de la santé publique est complété par sept alinéas ainsi rédigés :
« Un professionnel de santé ne peut refuser de soigner une personne pour l'un des motifs visés au premier alinéa de l'article 225-1 du code pénal ou au motif qu'elle est bénéficiaire de la protection complémentaire ou du droit à l'aide prévus aux articles L. 861-1 et L. 863-1 du code de la sécurité sociale, ou du droit à l'aide prévue à l'article L. 251-1 du code de l'action sociale et des familles.
« Toute personne qui s'estime victime d'un refus de soins illégitime peut saisir le directeur de l'organisme local d'assurance maladie ou le président du conseil territorialement compétent de l'ordre professionnel concerné des faits qui permettent d'en présumer l'existence. Cette saisine vaut dépôt de plainte. Elle est communiquée à l'autorité qui n'en a pas été destinataire. Le récipiendaire en accuse réception à l'auteur, en informe le professionnel de santé mis en cause et peut le convoquer dans un délai d'un mois à compter de la date d'enregistrement de la plainte.
« Hors cas de récidive, une conciliation est menée dans les trois mois de la réception de la plainte par une commission mixte composée à parité de représentants du conseil territorialement compétent de l'ordre professionnel concerné et de l'organisme local d'assurance maladie.
« En cas d'échec de la conciliation, le président du conseil territorialement compétent transmet la plainte à la juridiction ordinale compétente avec son avis motivé et en s'y associant le cas échéant.
« En cas de carence du conseil territorialement compétent, le directeur de l'organisme local d'assurance maladie peut prononcer à l'encontre du professionnel de santé une sanction dans les conditions prévues à l'article L. 162-1-14-1 du code de la sécurité sociale.
« Les modalités d'application du présent article sont fixées par voie réglementaire.
« Hors le cas d'urgence et celui où le professionnel de santé manquerait à ses devoirs d'humanité, le principe énoncé au premier alinéa ne fait pas obstacle à un refus de soins fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l'efficacité des soins. La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances, dans les conditions prévues par l'article L. 6315-1. »
II. - Le titre VI du livre Ier du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Suppression maintenue par la commission.......................................
2° Après l'article L. 162-1-14, il est inséré un article L. 162-1-14-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 162-1-14-1. - Peuvent faire l'objet d'une sanction, prononcée par le directeur de l'organisme local d'assurance maladie, les professionnels de santé qui :
« 1° Pratiquent une discrimination dans l'accès à la prévention ou aux soins, définie à l'article L. 1110-3 du code de la santé publique ;
« 2° Exposent les assurés à des dépassements d'honoraires excédant le tact et la mesure ;
« 3° Exposent les assurés à des dépassements d'honoraires non conformes à la convention dont relève le professionnel de santé, au I de l'article L. 162-5-13, au dernier alinéa de l'article L. 162-9 ou aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 165-6 ;
« 4° Ont omis l'information écrite préalable prévue par l'article L. 1111-3 du code de la santé publique.
« La sanction, prononcée après avis de la commission et selon la procédure prévus à l'article L. 162-1-14 du présent code, peut consister en :
« - une pénalité financière forfaitaire, dans la limite de deux fois le plafond mensuel de la sécurité sociale pour les cas mentionnés au 1° ;
« - une pénalité financière proportionnelle aux dépassements facturés pour les cas mentionnés aux 2°, 3° et 4°, dans la limite de deux fois le montant des dépassements en cause ;
« - en cas de récidive, un retrait temporaire du droit à dépassement ou une suspension de la participation des caisses au financement des cotisations sociales telle que prévue au 5° de l'article L. 162-14-1.
« Les sanctions prononcées en vertu du présent article peuvent faire l'objet d'un affichage au sein des locaux de l'organisme local d'assurance maladie et peuvent être rendues publiques, en cas de récidive, dans les publications, journaux ou supports désignés par le directeur de l'organisme local à moins que cette publication ne cause un préjudice disproportionné aux parties en cause. Les frais en sont supportés par les personnes sanctionnées.
« L'organisme local d'assurance maladie informe l'organisme d'assurance maladie complémentaire de la sanction prononcée en vertu du présent article, ainsi que des motifs de cette sanction.
« L'organisme local d'assurance maladie ne peut concurremment recourir au dispositif de pénalités prévu par le présent article et aux procédures conventionnelles visant à sanctionner le même comportement du professionnel de santé.
« Les modalités d'application du présent article, notamment les modalités d'affichage et le barème des sanctions applicables, sont fixées par voie réglementaire. »
III. - La dernière phrase du deuxième alinéa de l'article L. 1111-3 du code de la santé publique est supprimée.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.
M. Jean Desessard. En préambule, je voudrais remercier Mme la ministre. (Exclamations sur diverses travées.)
M. François Autain. Encore !
M. Jean Desessard. C’est ainsi !
J’avais souligné, à l’occasion d’un amendement, qu’il fallait prendre en compte les honoraires des médecins libéraux dans le calcul des coûts comparés des cliniques privées et des établissements publics afin de déterminer s’il existait une convergence.
Mme la ministre et M. le rapporteur avaient alors fait état d’un rapport, que j’ai réclamé à plusieurs reprises. Eh bien ! le rapport m’a été remis dans l’après-midi : le voici ! (M. Jean Desessard brandit le document.)
Je ne peux pas encore vous dire, mes chers collègues, si toutes les conclusions y figurent. Le sujet est assez complexe… Mais sachez que je vais passer mon week-end à étudier ce rapport, dont je pourrai vous livrer quelques fragments ou une synthèse la semaine prochaine.
Mme Isabelle Debré. Vous travaillez donc le dimanche !
M. Jean Desessard. Tout à fait !
Avec cet article 18, nous abordons la question sensible des refus de soins et de la lutte contre les discriminations.
La première enquête de testing réalisée en 2006, à la demande du fonds de financement de la couverture maladie universelle, la CMU, sur des médecins généralistes, des spécialistes et des dentistes de six communes du Val-de-Marne, a révélé au grand jour une pratique très répandue de refus de soins opposé aux bénéficiaires de la CMU.
Ainsi, 41 % des spécialistes, 39 % des dentistes et même près de 17 % des généralistes en secteur 2 refusaient de soigner des personnes bénéficiant de la CMU !
Une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, la DREES, a encore montré récemment que les bénéficiaires de la CMU complémentaire renonçaient plus souvent que les autres malades à consulter un spécialiste, faute de moyens et, surtout, faute de trouver un praticien qui veuille bien les recevoir dans un délai acceptable.
Cette semaine, les résultats d’une nouvelle enquête de testing de grande ampleur ont été révélés par le collectif inter-associatif sur la santé. Réalisée auprès de 466 médecins spécialistes dans 11 villes situées partout en France, cette enquête a montré que 21 % des spécialistes refusaient purement et simplement de recevoir les patients bénéficiaires de la CMU ; 5 % d’entre eux n’acceptaient de les recevoir que sous certaines conditions, par exemple dans le cadre d’une journée de consultation mensuelle réservée aux bénéficiaires de la CMU ou à l’occasion d’un renvoi du patient en consultation publique à l’hôpital.
Ces pratiques sont discriminatoires et inacceptables ! Nous devons les sanctionner avec la plus grande fermeté.
À cet effet, le rôle des associations de défense des droits des usagers et de lutte contre les discriminations doit être renforcé, notamment en mettant en place un recours en suppléance directe et en rétablissant la possibilité de réaliser des opérations de testing.
De même, le renversement de la charge de la preuve, obligeant le professionnel à prouver que son refus de soins n’a pas de motif discriminatoire, doit être rétabli.
Enfin, le respect du tact et de la mesure dans les dépassements d’honoraires ne permet pas d’offrir une réelle garantie d’équité. Aussi, nous présenterons des amendements tendant à ce que des plafonds de dépassement soient définis par décret en Conseil d’État, afin d’éviter des contentieux qui rendraient inopérantes cette disposition.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes plusieurs à réagir face aux pratiques observées à l’égard des bénéficiaires de la CMU et de l’aide médicale de l’État, l’AME.
Avec cet article 18, nous ne pouvons que constater que le Gouvernement – et la majorité, d’ailleurs – ont cédé aux amicales pressions des professionnels de santé, lesquels voulaient revenir sur les dispositions introduites par l’Assemblée nationale et tendant à instituer des mécanismes de protection des patients victimes de discrimination dans l’accès aux soins.
Cette discrimination est fondée sur la nature de la couverture médicale du patient. Pour être très précis, elle est subie par les bénéficiaires de la CMU ou de l’AME, une enquête de Médecins du monde démontrant qu’elle concerne encore plus les seconds que les premiers. Je suppose, monsieur Desessard, que cette enquête est celle que vous avez citée…
En tout cas, le constat est accablant, en particulier s’agissant des médecins libéraux parisiens. Et l’on s’étonne de l’engorgement des services d’urgence dans les hôpitaux… Il faudrait peut-être se demander pourquoi les patients se tournent vers ces services !
Quant à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, elle a bien constaté que ces pratiques étaient « discriminatoires ». Le mot est dit ! Elle s’est donc adressée à M. Xavier Bertrand, à l’époque ministre de la santé, afin que les mesures nécessaires soient prises. Elle a par ailleurs recommandé au Conseil national de l’ordre des médecins « d’informer les professionnels de santé, notamment du secteur libéral, du caractère discriminatoire du refus d’accès à la prévention et aux soins à l’encontre des bénéficiaires de la CMU et des conséquences de telles pratiques ».
Depuis, rien ne s’est passé, si ce n’est cet article 18, avant qu’il ne soit amputé en commission des affaires sociales.
Avec la généralisation du testing et l’inversion de la charge de la preuve, mesures sur lesquelles vous êtes revenus, vous avez créé un espoir, aujourd’hui dissipé, et suscité la colère des associations représentant les patients et leurs proches. Ces associations, qui sont déjà en grande difficulté, sont principalement sollicitées pour ce problème d’accès aux soins.
Mes chers collègues, je suppose que, comme nous, vous avez reçu un courrier émanant de l’ordre des médecins, considérant que la question est « traitée actuellement de façon la plus partiale qui soit, au détriment de la profession médicale ». On croit rêver !
La loi a créé la CMU et l’AME, et les médecins considèrent qu’il n’est pas discriminatoire de refuser de recevoir des patients qui n’ont pas d’autre couverture médicale !
Pour régler cette question, la participation de tous les acteurs est nécessaires : représentants des associations d’usagers, ordres professionnels, financeurs de l’assurance maladie, ARS, HALDE et, naturellement, les représentants de la nation que nous sommes.
Nous regrettons que cet article 18 ait été totalement vidé de son contenu. Parce qu’il n’est pas envisageable que l’on puisse renoncer à faire appliquer la loi, nous nous abstiendrons sur cet article.
On peut toujours discuter de la manière d’appliquer la loi, mais, dans ce cas précis, il n’y a aucune raison de laisser perdurer une situation qui contrevient à la loi.
Dans une ville comme Paris – je connais particulièrement bien cet exemple – où les médecins ne manquent pas et où les deux tiers des spécialistes et la moitié des généralistes sont en secteur 2, tout un chacun s’ingénie à refuser de recevoir les bénéficiaires de la CMU ou de l’AME. (Jacky Le Menn applaudit.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, sur l'article.
M. François Autain. À l’occasion de l’examen de cet article 18, je voudrais revenir sur la suppression, par la commission des affaires sociales, des mesures introduites par l’Assemblée nationale, autorisant ce qu’il est convenu d’appeler des testings, autrement dit, des tests de discrimination.
Notre rapporteur justifie cette suppression en ces termes : «La commission a supprimé la possibilité de recours à la pratique dite de « testing », qui fait peser sur l’ensemble de la profession médicale un soupçon sans fondement au regard de l’engagement quotidien de l’immense majorité des praticiens dans l’exercice de leur profession ». Naturellement, nous ne partageons pas du tout cette analyse !
Nous avions donc décidé de déposer un amendement pour réintroduire cette disposition. Malheureusement, une difficulté technique, résultant des conditions de travail déplorables imposées par le refus de la majorité du Sénat et du Gouvernement de repousser le délai de dépôt des amendements, a rendu impossible le dépôt de cet amendement.
Nous considérons que la pratique du testing, si elle présente des inconvénients, n’est pas de nature à jeter l’opprobre sur une profession.
Accepter de soumettre des professionnels de santé à de tels tests, dés lors que ces professionnels ne pratiquent pas de discriminations interdites, permettrait au contraire de mettre en lumière que l’immense majorité d’entre eux exerce leur art dans le respect de la loi et de la déontologie. Inversement, craindre que cette pratique fasse peser sur l’ensemble de la profession le soupçon, c’est envisager que les résultats pourraient être catastrophiques. Monsieur le rapporteur, nous ne vous connaissions pas une telle défiance à l’égard des médecins, bien au contraire !
En réalité, le soupçon dont vous faites part existe déjà. Il est alimenté par des sources officielles, la DREES ayant publié, en 2004, un document sur le refus de soins opposé aux bénéficiaires de la CMU.
Nous sommes d’autant plus étonnés de cette position, monsieur le rapporteur, que la HALDE pratique aujourd’hui ce type de tests à l’encontre des bailleurs privés ou des employeurs. En poursuivant votre raisonnement, j’en déduis que vous considérez que la HALDE fait peser la suspicion sur l’ensemble des propriétaires et des employeurs de notre pays. Si tel est le cas, je m’étonne que le Gouvernement n’ait pas officiellement protesté contre l’attitude de la HALDE.
Aussi, madame la ministre, vous comprendrez que je vous demande de préciser l’opinion du Gouvernement sur les pratiques de testing, dans le domaine médical et de manière plus générale, notamment s’agissant des opérations menées par la HALDE.
Mes chers collègues, je regrette d’autant plus la suppression des mesures introduites par l’Assemblée nationale que le CISS vient de communiquer les résultats de l’enquête qu’il a menée. Je ne reviendrai pas sur ces résultats, Jean Desessard les ayant rappelés. Je préciserai néanmoins que, sur les 466 spécialistes testés, 22 %, et non 21 %, d’entre eux refusaient clairement de recevoir les patients bénéficiaires de la CMU. Ce taux est important et semble croître d’année en année, proportionnellement à l’importance du revenu et de la richesse des habitants de la ville dans lequel le cabinet est implanté. Pour autant, ces pratiques concernent une minorité de médecins, minorité qui n’est tout de même pas marginale.
Bien sûr, les réactions ne se sont pas fait attendre. À peine réalisé, ce testing était déjà dénoncé par le président de la Confédération des syndicats médicaux français, qui déclarait : «la légalisation du testing est le signe d’un acharnement sans précédents contre les médecins ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est incroyable !
M. François Autain. Chacun appréciera ici la mesure de ces propos.
Mais qu’y a-t-il de choquant à vouloir s’assurer, par tous les moyens, testing compris, que les professionnels de santé, qui tirent une partie non négligeable de leurs ressources de l’argent public, qui remplissent des missions de service public, qui bénéficient de plus en plus souvent de rémunérations complémentaires au paiement à l’acte, qui ont prêté serment de soigner sans distinction de richesse, respectent bien un principe fondamental de notre droit, à savoir la non-discrimination fondée sur le revenu ?
Ainsi, par principe, pour ne pas soulever l’indignation et ne pas faire naître le soupçon, une profession devrait être protégée des tests de discrimination… Nous regrettons cette position qui joue contre l’intérêt des malades et de la santé publique.
Madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous assumez une lourde responsabilité en protégeant des pratiques contraires à l’esprit de notre République.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l'article.
M. Bernard Cazeau. Que reste-t-il de l’article 18 ? Que reste-t-il de cet article emblématique, censé limiter les refus de soins par les professionnels de santé ? Une peau de chagrin, élimée une première fois lors de son passage à l’Assemblée nationale, rongée et inutilisable depuis son examen par la commission des affaires sociales du Sénat.
Je souhaite, à ce stade du débat, que nous remontions aux origines de cet article 18.
Dès 2002, Médecins du monde publiait les résultats d’une enquête téléphonique anonyme réalisée auprès de 230 dentistes libéraux, choisis au hasard dans onze villes de France : 35,3 % de ces praticiens avaient refusé de soigner un bénéficiaire de la CMU.
En 2004, un test analogue réalisé par l’UFC-Que choisir auprès de 287 spécialistes révélait de fortes disparités territoriales, avec un taux de refus pouvant aller de 30 % à 40 % en Île-de-France, tandis que, dans d’autres régions ou départements, comme la Lozère, l’Hérault ou le Nord-Pas-de-Calais, ce taux était nul.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. Une enquête réalisée en 2003 par le ministère de la santé auprès de 3 000 ménages bénéficiaires de la CMU a confirmé ces données, qui figurent dans le rapport que M. Chadelat a remis au Premier ministre le 30 novembre 2006. Saisie à plusieurs reprises, la HALDE a qualifié ces pratiques de discriminatoires.
Tirant les conséquences de ces faits, et bien que plusieurs dispositions, notamment d’ordre déontologique, encadrent et répriment d’ores et déjà le refus de soins, l’article 18 prévoit explicitement l’interdiction de discriminer les patients, en consacrant dans la loi des obligations déontologiques déjà adoptées par la profession.
Cet article vise donc à interdire aux professionnels de santé de refuser des soins à un patient pour un motif discriminatoire et à permettre aux directeurs des organismes locaux d’assurance maladie de sanctionner les praticiens pour ces faits.
Une victime pourra saisir soit le directeur de la caisse locale d’assurance maladie, soit l’ordre professionnel concerné, et, si la discrimination est avérée, des sanctions pourront être prises, prenant la forme de pénalités financières.
Dans son texte initial, le Gouvernement avait prévu d’inverser la charge de la preuve au profit des patients dans les contentieux relatifs à ces refus, en disposant, comme dans le code du travail, que la victime soumet les faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination et qu’il appartient à la partie défenderesse de prouver que le refus en cause est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Cependant, le paragraphe I de l’article 18 a été sensiblement modifié à l’Assemblée nationale par l’adoption d’un amendement de la commission substituant une procédure de sanction des refus discriminatoires de soins à l’inversion de la charge de la preuve. Pour justifier une telle modification, le rapporteur a invoqué l’inadaptation de la procédure initialement prévue, qui s’apparente selon lui à un procès d’intention fait aux professionnels de la santé et risque d’engendrer un abondant contentieux, alors qu’il appartient aux ordres professionnels d’inciter leurs membres à respecter leurs obligations déontologiques.
M. Alain Vasselle. Il a raison !
M. Bernard Cazeau. En vue d’inciter les ordres professionnels à plus de sévérité, le dispositif adopté à l'Assemblée nationale prévoit que, après une conciliation conjointe réalisée par l’ordre concerné et les caisses d’assurance maladie, les directeurs des caisses prononcent le cas échéant des sanctions à l’encontre des professionnels mis en cause. Cette procédure permettrait prétendument d’éviter toute complaisance à l’égard des professionnels de santé et d’impliquer plus étroitement les ordres professionnels.
Précisons que cette nouvelle rédaction de l’Assemblée nationale conservait néanmoins la méthode dite du testing, c’est-à-dire la possibilité, pour une personne, de recourir à des tests aléatoires pour démontrer l’existence d’un refus discriminatoire.
Alors que nous espérions a minima que les caisses d’assurance maladie appliqueraient activement cette méthode du testing, c’en était encore trop pour la commission des affaires sociales, qui a supprimé la possibilité d’y recourir, au motif, cette fois, que cette pratique « fait peser sur l’ensemble de la profession médicale un soupçon sans fondement ». Comme le disait mon collègue François Autain, cette méthode ne fait pas peser de soupçon sans fondement sur les employeurs, les artisans, les commerçants ou d’autres professionnels, mais il n’en va pas de même pour les médecins ! Le testing ou l’aménagement de la charge de la preuve, aujourd’hui reconnus par le droit du travail, n’ont pas jeté l’opprobre sur l’ensemble des employeurs.
En résumé, on instaure une procédure compliquée et on limite les moyens d’agir des victimes. Autant dire que l’on ne risque pas de faire évoluer certaines pratiques discriminatoires, qui, réellement constatées, ternissent l’image de la profession. Je renvoie ceux qui en doutent encore à l’enquête du CISS, le collectif interassociatif sur la santé, publiée le 25 mai dernier et qui montre notamment que 50 % des spécialistes parisiens à honoraires libres refusent les patients couverts par la CMU.
J’aurai l’occasion, dans la suite du débat, de présenter un amendement n° 785 qui, s’il est adopté, rouvrira la possibilité de pratiquer le testing. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, sur l'article.
Mme Catherine Procaccia. Je voudrais rappeler les débats qui ont eu lieu en commission et partager les informations que j’ai pu obtenir.
Effectivement, qu’un médecin refuse de soigner un malade, qu’il soit bénéficiaire de la CMU, de l’AME ou autre, n’est pas acceptable. L’ensemble des membres de la commission des affaires sociales partagent ce sentiment.
M’interrogeant sur les raisons de ces refus de soins, j’ai demandé à quelques médecins, généralistes et spécialistes, de mon département du Val-de-Marne s’ils refusaient de recevoir des bénéficiaires de la CMU ou de l’AME. Bien évidemment, ils m’ont répondu par la négative, et je ne vais pas aller vérifier la véracité de leurs affirmations !
Cependant, ils m’ont signalé une pratique qui peut être à l’origine de discriminations : il arrive que la caisse d’assurance maladie ne les paye pas lorsqu’ils soignent des bénéficiaires de la CMU si ces derniers ont négligé de faire renouveler leurs droits. Si de tels cas restent isolés, passe encore, mais s’ils se multiplient, cela peut rendre les médecins concernés réticents à prendre en charge de tels patients.
M. Bernard Cazeau. C’est minable !
M. Christian Cambon. C’est la réalité !
Mme Catherine Procaccia. À en croire le témoignage des quelques collègues sénateurs que j’ai interrogés à ce sujet, ce phénomène ne concernerait que la seule région parisienne. Il semble inconnu ailleurs. N’est-ce pas une attitude particulière des caisses d’assurance maladie d’Île-de-France qui pousse des médecins échaudés à adopter le comportement que j’évoquais ?
Cette explication, même si elle n’est certainement pas la seule, mérite d’être prise en considération. Madame la ministre, j’aimerais que vous puissiez intervenir auprès des caisses d’assurance maladie sur ce point. Pourquoi les consultations des bénéficiaires de la CMU ayant négligé de faire renouveler leurs droits, ce qui peut prendre trois mois, ne sont-elles pas payées aux médecins ?
Par ailleurs, certains médecins se plaignent de l’attitude des bénéficiaires de la CMU, qui n’admettent pas d’avoir à attendre un mois et demi pour un rendez-vous chez l’ophtalmologue, comme nous devons le faire, même en région parisienne. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mes chers collègues, il faut l’accepter : un bénéficiaire de la CMU ou de l’AME ne va pas forcément obtenir un rendez-vous dans les trois jours, parce que le médecin n’est pas toujours disponible aussi rapidement.
M. François Autain. C’est petit !
M. Bernard Cazeau. Minable !
Mme Catherine Procaccia. Outre le problème de paiement que j’évoquais à l’instant, cette attitude peut également expliquer les réticences de certains médecins.
Enfin, jusque récemment, les bénéficiaires de la CMU n’étaient pas concernés par le dispositif du médecin traitant, alors que, sur le plan sanitaire, ces personnes sont sans doute les moins bien suivies et les plus fragiles et ont plus que d’autres besoin d’être accompagnées et orientées. Notre collègue Alain Vasselle a fait adopter en loi de financement de la sécurité sociale un amendement pour changer cette situation, mais, sur quatre médecins que j’ai interrogés, aucun ne savait que les bénéficiaires de la CMU peuvent désormais avoir un médecin traitant. Le ministère de la santé et les caisses d’assurance maladie doivent faire des efforts pour informer les praticiens et les bénéficiaires de la CMU, dont le médecin traitant pourra peut-être faciliter le parcours de soins.
Pour ma part, je fais entièrement confiance à la commission et à son rapporteur. Certains affirment que la profession médicale compte 20 % de brebis galeuses, mais cela veut dire que 80 % des médecins font bien leur travail : pourquoi insister sur ceux qui ne jouent pas le jeu ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut supprimer le testing partout ailleurs, alors !
M. Christian Cambon. Vous croyez toujours connaître mieux le terrain que nous, comme si nous n’étions pas maires, nous aussi !
Mme Catherine Procaccia. Ceux qui pratiquent la discrimination sont connus et doivent être sanctionnés, mais essayons aussi de remédier aux causes du problème afin que d’autres médecins ne soient pas incités à adopter le même type d’attitude.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Inadmissible !