M. le président. La séance est reprise.
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Réforme de l'hôpital
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients à la santé et aux territoires.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au préalable, permettez-moi de me féliciter de l’implication de votre assemblée sur le volet médico-social de ce projet de loi, dans un débat qui était pourtant déjà très riche en sujets dans le domaine de la santé.
Mes remerciements s’adressent en particulier à votre rapporteur, Alain Milon, qui a porté une attention permanente au secteur médico-social, au côté du président de la commission et de l’ensemble de ses membres. J’en veux pour preuve les améliorations apportées au texte, sur son initiative ; je pense notamment à l’introduction des objectifs de qualité dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens, les CPOM, et à la création de la notion d’établissements médicosociaux d’intérêt collectif, pour n’en citer que deux.
Les avancées obtenues à l’Assemblée nationale et lors de la discussion au sein de votre commission ont montré que le médico-social était pleinement pris en compte dans cette réforme.
Nous devrons veiller, je le précise à M. le rapporteur ainsi qu’à M. Vasselle, à ce que l’organigramme des agences régionales de santé, les ARS, traduise clairement l’importance et les spécificités du champ médico-social et à ce que le recrutement des directeurs et de leurs collaborateurs directs reflète l’ensemble des compétences de l’ARS. Cela me semble indispensable, car le mode de gouvernance des ARS, qui accorde une place importante aux collectivités locales et aux partenaires médico-sociaux, doit se retrouver aussi dans leur organisation elle-même.
Monsieur le rapporteur, avec Mme Desmarescaux, vous avez posé la question de la continuité du service dans les établissements médico-sociaux. Si je comprends vos préoccupations, j’aurai l’occasion, au cours du débat, de vous proposer une autre méthode pour traiter ce problème complexe.
Mme Hermange a souligné avec force que l’objectif numéro un de la création des ARS était bien de décloisonner les champs sanitaires et médico-sociaux et de réduire les fractures territoriales.
Dans le même esprit, Mme Dini a souligné, à juste titre, que la création des ARS était l’outil d’une meilleure articulation entre ville, hôpital et médico-social. Au-delà des polémiques sur tel ou tel aspect du texte, c’est effectivement un des enjeux majeurs de la réforme qui vous est proposée aujourd’hui.
Vous vous interrogez, monsieur Cazeau, sur le rôle des présidents de conseil général dans le dispositif des ARS. Vous me donnez ainsi l’occasion de réaffirmer que cette réforme ne remet aucunement en cause les prérogatives des collectivités locales, pas plus que celles de l’État. En revanche – et cela constitue une avancée –, le projet de loi crée une instance de concertation, la commission de coordination médico-sociale, qui permettra, dans le respect des compétences de l’État et des conseils généraux, d’articuler les outils de programmation et de planification, schémas départementaux, schéma régional et programmation financière.
Les ARS ne sont pas la « superpuissance » décrite par certains et, dans le domaine du médico-social, les acteurs du secteur – représentants des usagers, collectivités territoriales – seront présents à tous les échelons de la gouvernance, du conseil de surveillance aux commissions d’appel à projets, en passant par la conférence régionale de santé et de l’autonomie et ses commissions spécialisées. Il s’agit bien de simplifier les politiques publiques, de les rendre plus lisibles ; il ne s’agit en aucun cas de modifier la répartition des compétences actuelles, telle qu’elle ressort des lois de décentralisation.
Dans la même logique, j’entends bien votre question, monsieur Autain, monsieur Daudigny, sur la juxtaposition des compétences et le risque de chevauchement que cela impliquerait, selon vous. Mais je pense que ces risques sont très atténués : encore une fois, le choix du Gouvernement est clairement celui de la concertation et de la coordination entre les acteurs, non celui de la mainmise de l’un ou de l’autre des secteurs.
Le rôle de chef de file du conseil général en matière gérontologique n’est en rien remis en cause ; c’est même tout le contraire puisque, dorénavant, aussi bien le schéma régional médicosocial, qui définit les besoins à cinq ans, que la programmation financière – le programme interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie, ou PRIAC – feront l’objet d’une concertation approfondie avec les collectivités territoriales au sein de la commission de coordination.
S’agissant des appels à projets, la suppression des comités régionaux de l’organisation sociale et médico-sociale, les CROSMS, n’implique nullement une réduction des prérogatives des associations, comme vous le craignez, monsieur Autain. Loin d’être restreintes, la capacité d’initiative et la place institutionnelle du secteur associatif s’en trouveront au contraire renforcées, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, les promoteurs des projets ne savent pas, au moment où ils les déposent, s’ils s’inscrivent ou non dans l’approche collective des besoins.
Par ailleurs, même lorsque les projets obtiennent l’avis favorable du CROSMS, rien ne garantit qu’ils seront retenus et financés par l’autorité publique compétente.
Ensuite, cette confusion actuelle des niveaux stratégiques et opérationnels, loin d’être l’expression de la capacité d’initiative, enferme et limite celle-ci dans une incertitude et une opacité dont on ne peut se satisfaire.
En outre, la procédure d’appel à projets aura ainsi lieu en aval de la détermination des besoins, à laquelle auront participé l’ensemble des acteurs.
Enfin, je note que, dans le domaine de la recherche, de l’enseignement et de la culture, les appels à projets sont une procédure courante et n’empêchent aucunement l’émergence de l’innovation.
Je partage la préoccupation de M. Vasselle quant à la nécessité de donner à l’ARS les moyens de son fonctionnement en termes de personnel. C’est pourquoi Roselyne Bachelot et moi-même avons confirmé l’existence d’une délégation dans chaque département.
Vous avez souligné, monsieur Jacques Blanc, de même que M. Vall, toute l’importance des hôpitaux locaux, aussi bien dans leur rôle sanitaire qu’en tant que pivots de la filière gérontologique locale, rôle qu’ils seront de plus en plus conduits à tenir. On voit bien ici tout l’intérêt des ARS, qui auront une vision globale de l’activité de ces structures si importantes pour l’accès aux soins des personnes âgées et handicapées sur tout le territoire.
Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, notre débat en discussion générale a été particulièrement intéressant et constructif. Cela laisse certainement augurer des débats de grande qualité sur le titre IV du projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Marie-Thérèse Hermange le rappelait au début au début de son excellente intervention : « L’être humain a besoin d’obstacles pour parvenir à son but. »
Certains se sont donc curieusement étonnés qu’une grande réforme de notre système de santé suscite des interrogations, voire des inquiétudes. D’autres voient remis en cause des habitudes ou des prés carrés. Des opposants politiques y trouvent l’occasion de mobiliser leurs troupes. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Cazeau. Nous ne sommes pas comme ça !
M. Jean-Louis Carrère. Si elle nous cherche, elle va nous trouver !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il convient, avec attention et sérénité, de faire la part des polémiques, des faux débats, mais aussi des vraies questions, qu’il faut traiter au fond, et des propositions intéressantes, qui sont autant de pistes de progrès.
Mais il faut aussi entendre ceux, beaucoup plus nombreux et, certes, moins bruyants (Nouvelles protestations sur les mêmes travées), qui veulent se saisir des outils proposés et remédier aux fractures et aux défaillances de notre système de santé.
S’agissant de la méthode, il serait paradoxal de reprocher au Gouvernement de vouloir tenir compte de vos travaux, tout spécialement de ceux de votre rapporteur, Alain Milon.
Non, monsieur Cazeau, le Gouvernement ne considère pas les sénateurs comme des élus godillots ! (M. Jacques Blanc applaudit.)
M. Jean-Louis Carrère. Les sénateurs UMP !
M. François Autain. Il faut le leur dire ; ils ne s’en étaient pas aperçus !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Ils sont des acteurs majeurs du débat démocratique et j’attends beaucoup de nos débats.
Pour autant, il est légitime aussi que, sur nombre de points cruciaux, j’apporte les éclairages nécessaires et expose les arguments qui ont fondé ma démarche. À cet égard, j’ai du mal à comprendre qu’on considère que le fait de redéposer un argument gouvernemental soit une marque d’irrespect envers le Parlement. Chacun est dans son rôle et dispose de ses prérogatives.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Dans les différentes interventions, je distinguerai trois types d’interpellation.
D’abord, l’interpellation polémique.
M. Jean-Louis Carrère. Vous êtes une experte en la matière !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Je m’y attendais et l’opposition, sur ce point, ne m’a pas déçue : procès d’intention, accusations infondées, allégations hasardeuses, rien n’a manqué ! Et, surtout, à l’exception notable d’Yves Daudigny, dont je salue la mesure, aucune proposition n’a été formulée. Ah, pardon ! J’oubliais ! une proposition, quand même : celle de prolonger le débat. En l’absence de tout contre-projet, je me demande bien à quoi cela pourrait servir ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Cela viendra !
M. Guy Fischer. Pure provocation !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Après tout, l’adage selon lequel « quand on est dans l’opposition, on s’oppose » a trouvé là une nouvelle illustration à travers les propos de François Autain ou de Jacky Le Menn, que l’on a connus plus inspirés.
Devant ces procès absurdes, je veux redire devant vous mon attachement à l’hôpital public, à ses personnels, à notre administration sanitaire de l’État ou de l’assurance maladie, à nos professionnels de santé libéraux, aux associations, à tous ceux et celles qui m’ont tant aidée à préparer ce projet de loi.
L’hôpital public ne sera jamais une entreprise.
M. René-Pierre Signé. Mais si !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. C’est un service public pour tous les Français. Je veux le conforter en lui donnant des moyens financiers nouveaux:…
M. François Autain. Ah oui ?
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … 3,1 % d’augmentation cette année, alors que la France est en récession et que l’inflation est proche de zéro ; un plan d’investissement de 10 milliards d’euros d’ici à 2012, plan qui profitera aussi à l’emploi local.
M. Guy Fischer. C’est un trompe-l’œil !
M. François Autain. C’est inférieur aux dépenses.
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas la vôtre !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … était une politique de rentabilité, monsieur Vall, croyez-vous que nous aurions consenti un tel effort ?
La seule rentabilité que j’attends de l’hôpital public est qu’il contribue à améliorer la santé de nos concitoyens,…
M. Jean-Louis Carrère. Des riches !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … de tous nos concitoyens, et les bénéfices en seront immenses.
Si j’avais une vision marchande de l’hôpital, monsieur Mirassou, croyez-vous que l’emploi y serait non seulement maintenu, mais augmenté ? Depuis neuf ans, les effectifs y ont progressé de 11,4% et ils vont encore s’accroître.
M. Guy Fischer. 20 000 suppressions d’emplois programmées !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Bien sûr, l’hôpital est un corps vivant. Des réductions d’effectifs peuvent avoir lieu dans un établissement, mais vous ne parlez jamais des hôpitaux qui embauchent.
L’emploi n’est pas une variable d’ajustement.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. On peut concilier équilibre et nouveaux emplois. Considérons deux CHU qui sont revenus à l’équilibre : l’année dernière, il y a eu 56 créations de postes à Angers et 67 à Poitiers.
Si je voulais privatiser l’hôpital public, monsieur Desessard, croyez-vous que j’aiderais les établissements en difficulté à se redresser comme je viens de le faire pour les Hospices civils de Lyon, à la demande de Gérard Collomb, avec 20 millions d’euros investis l’année dernière et 25 millions cette année ?
Si je voulais aligner l’hôpital public sur le privé, croyez-vous, monsieur Cazeau, que je maintiendrais un écart de 30 % des tarifications en faveur du public, même en y incluant les honoraires versés à part pour les praticiens du privé ? Croyez-vous que je flécherais massivement vers le public les crédits du plan Hôpital 2012, les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation, les MIGAC, que j’attribuerais 90 % des missions d’enseignement, de recherche, de recours et d’innovation aux CHU, que je reporterais la convergence, que je modifierais la T2A pour favoriser les hôpitaux qui accueillent les patients qui sont dans la plus grande précarité et les cas les plus graves ?
Cette année, ces actions se traduiront par près de 50 millions d’euros supplémentaires pour l’AP-HP, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris.
M. René-Pierre Signé. C’est l’arbre qui cache la forêt !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Si vous trouvez un système ultralibéral qui donne plus à ceux qui accueillent les plus pauvres, faites-moi signe, je m’y rallie ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Si j’avais une démarche comptable, madame David, croyez-vous que je défendrais bec et ongles nos hôpitaux de proximité ?
M. Jean-Louis Carrère. On le fera sans vous !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oui, on peut concilier maillage sanitaire et aménagement du territoire,…
M. François Autain. Tu parles !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … à condition de faire de la gradation des soins un principe cardinal et les communautés hospitalières de territoires, les CHT, seront pour cela un outil précieux.
La proximité ne saurait être l’excuse pour des soins de mauvaise qualité. Je n’ai pas fermé un seul hôpital et je n’en fermerai pas. J’ai transformé des services et, chaque fois, nous avons investi et embauché.
La vérité est simple : si vous me faites ce procès absurde et insultant, c’est que vous n’avez pas de solution alternative à proposer. (Si, si ! sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous avons déposé des amendements !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Oui, nous serons peut-être amenés un jour à consacrer une plus part de notre richesse nationale à la santé. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes déjà sur le podium des trois pays qui dépensent le plus pour leur santé et le pays qui dépense le plus par habitant pour son hôpital.
M. Jean-Louis Carrère. C’est une pantomime !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il ne faut pas oublier que ces dépenses hospitalières sont financées par un système de solidarité qui en fait payer à l’assurance maladie près de 95 %, que les Français les gagent par des cotisations, des impôts, des taxes dont l’augmentation grèverait inévitablement leur pouvoir d’achat.
M. Jean-Louis Carrère. C’est chaplinesque !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il ne faut pas oublier que tout arbitrage en faveur des dépenses de santé dans le budget des ménages doit être fondé sur un vrai progrès et non sur le laxisme. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Il ne faut pas oublier non plus que, selon les spécialistes en santé publique, les formidables progrès en durée et en qualité de vie ne sont dus que pour 10 % à des dépenses de santé. Avant de puiser dans le porte-monnaie des Français, assurons-nous des marges de progression et de modernisation de notre hôpital ! Nous le devons aux Français, qui y sont tellement attachés.
M. René-Pierre Signé. Et ils voudraient aussi voir des progrès aux urgences !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Heureusement, à côté des interpellations polémiques, il y eut aussi les félicitations et les encouragements. J’en remercie tous les orateurs de la majorité. (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Merci à Gérard Dériot, qui a qualifié le projet d’ambitieux et de volontaire, à Marie-Thérèse Hermange, femme de cœur dont je reprendrai la proposition sur le mi-temps thérapeutique, à Dominique Leclerc pour son appui sur la médicalisation de la biologie, à André Lardeux pour sa haute vision sur les agences régionales de santé, à Jean-Claude Etienne pour son adhésion aux modifications spécifiques aux CHU.
Plusieurs intervenants ont apporté de très importantes contributions. Toutes ne sont pas de nature législative. Certaines trouveront place dans la mise en œuvre pratique, comme le concept du case manager, défendu par Alain Vasselle, ou les très riches propositions de Muguette Dini sur la démographie médicale. D’autres ont un caractère financier et seront discutées lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale. D’autres encore relèvent de la vie conventionnelle, comme la nomenclature des actes médicaux ou les honoraires.
Des polémiques, des encouragements, mais aussi beaucoup de propositions : nous avons bien avancé sur la gouvernance. Sur ce point, qui a fait l’objet des procès d’intention les plus insensés, je me suis livré à un travail approfondi avec les présidents de conférence et nous en sommes à régler des nuances.
Je remercie une nouvelle fois le rapporteur, M. Alain Milon, le président de la commission des affaires sociales, M. Nicolas About, de leur travail impeccable, ainsi que tous ceux d’entre vous qui se sont investis dans ce projet.
Nous avons bien travaillé sur les ARS et nous sommes parvenus avec la commission à un compromis intéressant.
J’ai été très touchée par les interventions des nombreux orateurs qui ont su faire preuve d’ouverture et de patience. Sur tous les sujets, hôpital, médecine de premier recours, administration sanitaire, santé publique, j’aurai l’occasion, au cours de la discussion des articles, de revenir sur les déclarations des uns et des autres. Je prie donc ceux que je n’ai pas cités de m’excuser : ce n’est que partie remise.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous allons maintenant entrer dans le vif du sujet. Pour citer une nouvelle fois Marie-Thérèse Hermange, c’est la stratégie de la confiance que je déploierai ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Fischer et Autain, Mmes David, Hoarau, Pasquet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n°901.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant réforme de l'hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires (texte de la commission n° 381, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.
M. Jean-Jacques Mirassou. Tu vas nous remercier, nous aussi ?... (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, dans des conditions que nous avons déjà dénoncées – et nous demandons toujours la levée de l’urgence, surtout après le dépôt des amendements issus du rapport Marescaux –, aurait pu être une chance pour les établissements publics de santé et, de manière plus générale, pour nos concitoyens.
Malheureusement, il n’en est rien. Sur bien des aspects, il est largement insuffisant. Sur d’autres, il sera inefficace, voire contre-productif. Bref, ce projet est inacceptable !
Mais surtout, et c’est l’objet de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, il est contraire, sur plusieurs points, aux principes fondamentaux qui gouvernent notre société et qui sont protégés par le bloc de constitutionnalité.
Nous aurons l’occasion de revenir, au cours de nos débats, sur notre opposition au fond, à savoir le démantèlement du service public hospitalier au profit exclusif des établissements de santé commerciaux (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC-SPG), la fermeture de 200 à 300 hôpitaux de proximité par la transformation en établissements de soins de suite ou de réadaptation (Mêmes mouvements), la suppression, à terme, de 20 000 emplois et de près de quatre milliards d’euros d’économies par an pour l’assurance maladie, comme vous l’aviez annoncé, madame la ministre, dans une conférence de presse en juillet 2008.
En outre, la nomination possible de non-fonctionnaires à des postes de directeur d’établissement public de santé contrevient au «principe général du droit d’égalité d’accès des citoyens aux emplois publics », découlant lui-même du principe constitutionnel d’égalité.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales et M. Michel Mercier. Au contraire !
M. Guy Fischer. Nous y reviendrons !
Le principe d’égal accès aux emplois publics s’applique dans la fonction publique hospitalière avec les mêmes implications et les mêmes limites que dans les autres fonctions publiques. C’est précisément pour garantir le respect du principe, ô combien républicain, d’égalité que le concours a été instauré comme mode de recrutement. En effet, dans le secret du concours et dans la collégialité du jury, il n’y a place ni pour l’arbitraire ni pour les discriminations.
Or, dans le projet de loi, en particulier dans son article 7, vous entendez ouvrir les postes de directeur d’établissement public de santé à des non-fonctionnaires.
Cette mesure, particulièrement dans sa rédaction actuelle, ne prévoit aucune disposition encadrant le recours à des «contractuels » pour diriger les hôpitaux. Il n’est fait nulle mention de la nécessité de posséder un diplôme donné. Les compétences requises justifiant ce mode de recrutement ne sont pas déterminées, car ce qui importe, c’est de « casser » le statut de fonctionnaires hospitaliers. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Par ailleurs, dans votre empressement, vous ne précisez pas ce qu’il adviendra de la procédure d’admission à l’école formant des directeurs hospitaliers. La liberté de recrutement étant laissée aux directeurs des agences régionales de santé, nous pourrions assister à une situation où le nombre d’élèves sortant de l’École nationale de santé publique, l’ENSP, serait plus important que le nombre de postes à pourvoir.
Pour éviter cette situation, il faudrait prévoir un nombre de postes réservés aux non-fonctionnaires, ce qui constituerait, là encore, une mesure discriminatoire à l’égard des élèves sortant de l’ENSP, qui pourraient se voir refuser, sans autre motif que la satisfaction d’une décision politique, l’attribution d’un poste qu’ils ont pourtant mérité du seul fait de la réussite à ce concours.
M. François Autain. C’est exact !
M. Guy Fischer. Ainsi, des directeurs seront nommés après obtention du concours et d’autres le seront de par la volonté du directeur de l’ARS. Nous connaîtrons donc un mode de recrutement différent, alors que rien, dans les faits, ne justifie un traitement inégalitaire.
M. François Autain. Absolument !
M. Guy Fischer. Nous pourrions assister à un mouvement des élèves directeurs, contestant massivement la nomination des directeurs non-fonctionnaires au motif que ces derniers les priveraient des conséquences légitimes de la réussite à leur concours, à savoir la nomination à un poste de directeur, les «reléguant » à des postes de directeurs adjoints.
Toutefois, vous vous en doutez, nous avons malheureusement d’autres griefs contre ce texte. Car votre projet de loi, madame la ministre, se caractérise d’abord et avant tout par votre refus de prendre les mesures nécessaires pour garantir l’application du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ».
M. René-Pierre Signé. Il y a longtemps qu’on l’a oublié !
M. Guy Fischer. L’article 13 du présent projet de loi autorise le directeur de l’agence régionale de santé à imposer aux hôpitaux des mouvements de fusion, sur la base d’un projet régional de santé dont le seul objectif, n’en doutons pas, est la réduction des dépenses publiques.
C’est d’ailleurs l’esprit de l’ensemble de ce projet de loi, qui vise à subordonner les besoins à l’offre de soins. Certes, la rédaction actuelle intègre, formellement du moins, les besoins en santé de la population.
M. Guy Fischer. Mais ces besoins passent par pertes et profits dès lors qu’il s’agit d’appliquer à l’hôpital la révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
M. Guy Fischer. J’en veux pour preuve l’insertion, par la commission, d’une disposition autorisant le directeur de l’ARS à exiger du directeur de l’hôpital qu’il procède à la suppression d’emplois publics dans le seul but de réduire les déficits des établissements publics de santé.
La suppression de ces postes ne sera jamais confrontée aux besoins réels des patients accueillis et soignés dans les hôpitaux. Elle ne correspond à aucune logique sanitaire, à aucune logique de solidarité. C’est une logique purement comptable.
Pourtant, la situation des personnels des hôpitaux est gravissime. Le manque est tel que, déjà, les praticiens sont obligés de programmer des interventions plusieurs mois à l’avance, obligeant les malades à s’inscrire sur des listes d’attente, pratique tant décriée outre-Manche.
Non seulement les mesures que vous prenez contreviennent aux principes constitutionnels, mais vous violez également ceux-ci en en refusant d’autres.
En effet, la commission des affaires sociales est revenue, à la suite d’une réunion organisée à Matignon en votre présence, madame la ministre, sur l’une des rares dispositions contraignantes à l’égard des médecins libéraux. Ainsi, alors que l’on sait que la première difficulté d’accès aux soins réside dans ce qu’il est convenu d’appeler les « zones blanches » ou les déserts médicaux, vous avez renoncé à prendre les mesures conditionnant l’installation des médecins libéraux aux besoins constatés dans les territoires.
Ce phénomène risque d’ailleurs de s’aggraver avec la fermeture d’hôpitaux rendue obligatoire, à la suite de la décision autoritaire du directeur de l’ARS, et la fermeture d’un nombre important de centres de santé gérés par les mutuelles, en raison de l’application, au nom de l’Europe libérale que vous défendez, de la séparation des deux titres.
Vous avez également renoncé à la seule mesure permettant de garantir aux patients de ne pas être exposés à des dépassements d’honoraires, qui constituent, là encore, un frein considérable à l’accès aux soins. Et pourtant, il ne s’agissait que « de garantir, pour certaines disciplines ou spécialités, et dans une limite fixée par décret, une proportion minimale d’actes facturés sans dépassement ».
La seule idée d’entraver la volonté des médecins libéraux dans la fixation de leurs tarifs, fussent-ils déraisonnables, fussent-ils – et c’est le cas – une limite portée au droit « aux soins », est, pour votre gouvernement, impossible. C’est à croire que votre recul n’est pas sans lien avec l’échéance électorale du mois prochain.
Pourtant, tout le monde le sait : un nombre sans cesse croissant de patients ne parviennent plus à payer les dépassements imposés en dehors du tact et de la mesure, des dépassements d’honoraires qui « grimpent en flèche » pour les spécialistes les plus rares ou dans les endroits, comme les zones rurales et les quartiers populaires, où les médecins, y compris de premier recours, manquent le plus.
Madame la ministre, vous avez fait le choix, contraire à l’histoire de notre pays, au caractère social de notre République, de favoriser les intérêts d’une catégorie professionnelle au détriment de ceux de la collectivité. Notre Constitution vous impose pourtant, à vous comme au gouvernement auquel vous appartenez, de tout mettre en œuvre pour garantir à nos concitoyens la santé, c’est-à-dire l’accès aux professionnels de santé. Or il suffit de les entendre, de les écouter un peu, pour savoir que cet accès est, chaque jour, remis en cause. (M. René-Pierre Signé s’exclame.)
Vous avez également renoncé à garantir le droit de tous à bénéficier de ce que l’on appelle la mission de service public de la permanence de soins, la seule mission de service public à être entièrement confiée à des personnes physiques privées. Cette mission est mise à mal et vous avez à la faire appliquer, alors même qu’il s’agit d’assurer le droit fondamental de tous à bénéficier, à proximité de chez soi, d’une offre de soins adéquate.
Ce renoncement – le vôtre, madame la ministre – joue contre l’intérêt général. Pourtant, il y a peu, dès lors qu’il a été question d’imposer le service minimum dans les transports ou à l’école, le Gouvernement et vous-même avez trouvé la détermination pour mener à bien vos projets. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.) Cette détermination vous fait aujourd’hui cruellement défaut. Ainsi, alors que nous aurions pu légitimement nous attendre à des réponses concrètes, comme une limitation au principe de libre installation, vous vous contentez de proposer deux cents bourses nationales et d’instaurer un contrat de solidarité.
Naturellement, vous refusez, comme nous l’avons proposé en commission, et comme nous le ferons au cours de nos débats, que les manquements à la permanence de soins soient sanctionnés comme le sont l’ensemble des cas de non-respect des réquisitions préfectorales. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)
Pis, en lieu et place de sanctions, vous aménagez le refus des médecins libéraux en leur proposant un schéma régional. En somme, vous passez sur les manquements à la loi en leur proposant de la contourner une nouvelle fois, une « compréhension » dont le Gouvernement fait rarement preuve, en particulier dès lors qu’il s’agit de salariés, d’ouvriers ou d’étudiants. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)