PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Cher président Belot, c’est un vrai bonheur pour moi que de pouvoir remercier aujourd’hui la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales de son œuvre collective, d’autant que, après trente années de mandat local, j’ai moi-même eu la chance de participer aux travaux du comité Balladur.
Je vous exprime doublement ma gratitude car, au travers de ce rapport d’étape, vous et vos collègues avez su montrer une bonne compréhension des collectivités locales et exposer une prometteuse stratégie de réforme. Encore faudra-t-il aller jusqu’au bout de votre démarche, mais il vous reste du temps puisque la mission doit achever ses travaux au mois de mai.
On dit souvent que les collectivités territoriales, de nos jours, dépensent beaucoup ; certes, elles consomment plus de 11 % du produit intérieur brut. Mais, monsieur le secrétaire d’État, elles produisent aussi de l’offre territoriale, sans laquelle il n’y aurait ni logement ni activité commerciale ou industrielle.
Bien plus, elles produisent de la fluidité territoriale et favorisent ainsi l’élargissement des bassins de vie, sans lesquels les salariés n’auraient aucune perspective de promotion de carrière.
Plus important encore, elles produisent de la cohésion sociale : ce sont elles, qui, au quotidien, sont au contact de nos concitoyens ; ce sont elles qui, aux yeux de ces derniers, incarnent les pouvoirs publics. C’est sans doute la raison pour laquelle, plus que l’État, elles sont, c’est vrai, amenées à apporter immédiatement des réponses et, par là même, contraintes d’augmenter leurs dépenses. Elles le font dans un contexte d’équilibre budgétaire. Cela a été rappelé à juste titre, tant, sur ce point, il y a une parfaite convergence de vues entre la mission sénatoriale et le comité Balladur.
Cher président Belot, je vous sais gré également d’avoir privilégié la recherche du consensus. Sur le terrain difficile des collectivités locales, nous n’arriverons à faire bouger aucune ligne si, les uns et les autres, nous n’avons pas, d’abord, la culture de la compréhension.
À mon collègue et ami Philippe Adnot je dirai que, si les quatre minutes qui me sont imparties ne me permettent pas de répondre à l’ensemble de ses objections, nous aurons le temps, tout au long de ces semaines, de dissiper certains malentendus.
C’est bien le souci d’assurer une compréhension réciproque et de rechercher, si possible, le consensus qui a animé non seulement les membres de la mission, mais aussi ceux du comité. Telle fut la tonalité des interventions, et c’est la raison pour laquelle M. Balladur a souhaité que le comité procède à des votes séparés sur les différents points.
Pour autant, il ne s’agissait pas de parvenir à un consensus à n’importe quel prix. Non au « robinet d’eau tiède », oui au consensus qui permet de progresser !
À l’évidence, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons le devoir de réformer. Tout ce qui est à faire est difficile. Il serait aisé de ne rien entreprendre, mais ce serait trahir tout ce qu’apporte à notre pays la mobilisation des collectivités locales.
Bien plus que de questions d’argent et de structures, il s’agit surtout de l’adhésion de citoyens actifs à un projet collectif.
La France n’est pas la seule addition de ses collectivités locales. On peut être girondin et reconnaître que la République est aussi un projet collectif. Sans la mobilisation de nos compatriotes en faveur de la qualité de la vie et du patrimoine, naturel et historique, rien ne peut se faire. Mais, dans cette société où l’égoïsme l’emporte, les collectivités locales sont le plus souvent à l’origine de la difficile reconstruction du tissu de la solidarité.
Ce projet collectif passe donc d’abord et avant tout par les collectivités locales, car elles ont cette simplicité d’accès que n’ont plus, hélas, nos administrations d’État.
Je ferai deux remarques pour comparer et rapprocher les travaux du comité Balladur et ceux de la mission temporaire.
Il y a des points sur lesquels l’accord est total et qui nécessitent une simple consolidation. Je vais les évoquer rapidement.
Pour ce qui est de l’intercommunalité, le comité Balladur en demande la généralisation. La mission formule quant à elle le vœu – et nous vous le demandons également, monsieur le secrétaire d’État – qu’elle devienne un impératif absolu.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Longuet. C’est toute la différence entre les deux rapports.
Il faudra aussi traiter le problème de la consolidation des délégations. En effet, si la clause générale de compétence bénéficie naturellement aux communes, il faut consolider ce qui est transféré aux intercommunalités et ne « déconsolider » que dans des conditions exceptionnelles, afin d’éviter qu’une majorité ne défasse ce qu’avait engagé la majorité précédente.
Sur les métropoles, malgré tout le respect que j’ai pour le groupe de travail auquel j’ai participé et la profonde affection que je porte à Édouard Balladur, je trouve meilleure la solution proposée par la mission temporaire : monsieur Belot, vos métropoles sont moins nombreuses, mais plus importantes, et vos propositions plus prudentes, car moins contraignantes.
En réalité, les préconisations 8 et 9 devront mieux préciser, d’ici le mois de mai, les délégations qui fonderont la métropole. Il faudra mieux faire comprendre que, dans le cadre d’une métropole, certaines responsabilités sont perdues au bénéfice de l’ensemble, pour qu’il réussisse et tienne son rang.
Il me paraît cependant plus réaliste de commencer avec moins de candidats et de renoncer à affronter la réalité communale, même s’il est vrai que les délégations doivent être consolidées durablement.
Cinq points du rapport d’étape – les préconisations 10, 11, 12, 13 et 14 – portent sur les fusions. Je partage totalement le sentiment de la mission : dès lors que l’on n’impose rien, tout est possible !
M. Roland du Luart. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Les élus locaux, qui sont confrontés à la réalité quotidienne, à tous les échelons, communal, départemental mais aussi régional, seront d’autant plus allants à l’égard de projets de modification et de fusion qu’ils auront la liberté de faire plutôt que l’obligation de subir.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Roland du Luart. Cela se construit !
M. Gérard Longuet. Exactement ! Mais cela se construit non pas seulement en fonction de considérations financières – j’ai d’ailleurs appris, en travaillant au sein du comité Balladur, que l’intercommunalité avait coûté fort cher ! –, mais à partir de projets communs et d’ambitions communes, ces mêmes ambitions dont je disais tout à l’heure qu’elles mobilisent nos compatriotes autour d’un projet.
Ainsi, l’excellence de la formation professionnelle peut faire l’objet d’un projet susceptible de mobiliser nos compatriotes, alors même qu’elle n’est prévue dans aucun texte de loi.
Sur l’outre-mer, je laisserai à ma collègue Mme Michaux-Chevry le soin d’exprimer ses convictions, car elle a plus d’autorité sur ce sujet que je n’en aurai jamais.
Sur le Grand Paris, je dis à mes collègues socialistes : soyez à la hauteur de vos grands prédécesseurs !
Je vais vous faire part d’une anecdote. Il se trouve que je porte le même nom que Jean Longuet, le chef de file du courant qui a fait en sorte, lors du Congrès de Tours, que la vieille SFIO reste dans la famille socialiste, démocrate et non communiste. Maire de Châtenay-Malabry, Jean Longuet a créé, avec Henri Sellier, les cités-jardins et lancé l’idée d’un Grand Paris, en l’occurrence, à l’époque, le département de la Seine élargi pour former un seul ensemble.
Chers collègues socialistes, puisque vous gérez de nombreux départements et la Ville de Paris, soyez courageux et ne vous contentez pas d’un syndicat d’études ! Et, si le rapport de la mission temporaire évoque la nécessité de réfléchir plus avant – il n’est jamais inutile de réfléchir -, il y a tout de même un moment où il faut décider ! C’est justement le moment, car la région parisienne perd du terrain dans la bataille des capitales européennes et des capitales mondiales. Il serait bon que les responsables politiques soient à la hauteur de leurs grands anciens !
Pour en revenir à Jean Longuet, il ne s’agit que d’une homonymie (Sourires.) Je n’ai hélas ! aucun lien de parenté avec lui, mais j’ai du respect pour l’homme politique.
Il ne me reste qu’une minute et treize secondes de temps de parole.
M. le président. On peut vous en accorder un peu plus, cher collègue ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Vous êtes généreux, monsieur le président, mais je vais tenter, par respect pour mes collègues, de tenir le temps qui m’a été imparti.
Je vais donc m’attacher à traiter certains sujets qui méritent d’être approfondis et qui n’ont pas été tranchés par la mission : elle a tourné autour sans choisir de solution !
Ces sujets sont au nombre de trois.
Le premier est la clause générale de compétence, qui est fortement symbolique, et même trop symbolique, si j’en juge aux écrits de mon ami Adrien Zeller.
Nous devons revenir à des réalités simples. Le suffrage universel ne confère pas obligatoirement la compétence générale à la collectivité qui en bénéficie. Comme d’autres l’ont dit avant moi, il existe certaines réalités : les moyens financiers, les compétences et le besoin d’ordre.
Je prie les membres de la mission de bien vouloir accepter cette idée simple : compétence générale à la commune, car c’est le noyau de base, et spécialisation aux autres collectivités.
La mission a tourné autour de l’idée de spécialisation, sans aller jusqu’au bout de son raisonnement.
M. Dominique Braye. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Chers collègues, un peu de courage ! Acceptez de vous fâcher avec quelques amis (Sourires) et faisons en sorte d’éviter cette surenchère et cette compétition !
Lorsque j’étais président de région, j’ai pu prendre la mesure du gaspillage sur le terrain, notamment dans les domaines de l’action économique ou, comme Philippe Adnot l’a évoqué, de l’action universitaire. Ce gaspillage est dû à la dispersion des moyens, à la concurrence inutile et au double emploi.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Longuet. Le deuxième sujet que je souhaite évoquer concerne l’autonomie financière des collectivités locales.
Nous avons voté dans l’enthousiasme une disposition dont la pertinence mériterait d’être réexaminée. Il s’agit du principe de l’autonomie financière des collectivités locales, dont le contenu a été rappelé par le Conseil constitutionnel : des impôts dont le taux et l’assiette sont déterminés par les collectivités locales.
À une époque où l’on vit dans une commune, où l’on travaille dans une deuxième et où l’on dépense dans une troisième, quel sens peut bien avoir l’autonomie financière ?
MM. Dominique Braye et Charles Revet. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Il faut mutualiser !
Un grand pays fédéral comme l’Allemagne a su mutualiser en recourant à des recettes stables au niveau national. Je ne veux pas dire par là qu’il faut copier les Allemands, mais nous ne devons pas rester bloqués sur l’idée de l’autonomie financière. Nos compatriotes nous imposent en effet, dans la vie quotidienne, des dépenses incompatibles avec ce principe de segmentation des marchés.
M. Dominique Braye. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. L’exemple de la taxe professionnelle est à cet égard éclairant. Je pourrais rappeler ce qu’a fait Dominique Strauss-Kahn, puis Jean-Pierre Raffarin, mais ce serait trop long ....
En gros, mes chers collègues, l’État, avec la taxe professionnelle, fait payer, au travers de la TVA, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, par des contribuables qui ne reçoivent pas de taxe professionnelle la taxe professionnelle perçue par des communes qui en ont déjà ! Cela crée des situations surprenantes.
M. Pierre-Yves Collombat, vice-président de la mission temporaire. Qui a obligé l’État à le faire ?
M. Gérard Longuet. Ayons l’esprit plus ouvert et mutualisons !
J’en viens au troisième sujet, qui fera l’objet de ma conclusion. Pour avoir siégé pendant seize ans au sein d’un conseil général, je peux dire que celui-ci est trop près de son clocher, mais, pour siéger au sein d’un conseil régional depuis dix-huit ans, j’ajoute que celui-là est trop éloigné des réalités.
Vous avez avancé, cher Jean-Patrick Courtois, l’idée d’un conseiller territorial. D’une certaine façon, ce poste existe dans des entreprises. Il arrive en effet que des patrons de business units mettent leur talent au service d’une entreprise et concourent au bon fonctionnement de la holding.
M. Yannick Bodin. Cela n’a rien à voir !
M. Gérard Longuet. Nous proposons, dans le même esprit, que les conseillers territoriaux soient des gestionnaires qui assureront au quotidien – le conseil général a fait ses preuves ! –, avec compétence et autorité, des prestations de proximité. Mais pourquoi diable les priver du droit de réfléchir de façon plus approfondie, sur un plus grand projet, dans le cadre régional ? C’est une affaire de nombre !
Nous avons encore trois mois pour régler ce problème, mais avec un seul élu pour la proximité, au niveau de la commune et de l’intercommunalité, et un seul élu pour le territoire, au niveau du département et de la région, croyez-moi, la République serait bien plus simple, et donc plus mobilisée au service de la réussite collective ! (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame, messieurs les représentants de la mission temporaire, mes chers collègues, quelques minutes ne me suffiront pas pour traiter tous les sujets contenus dans ce rapport d’étape.
Je consacrerai donc mon intervention à la seule clause générale de compétence, car elle est essentielle. Gérard Longuet, pour lequel j’ai le plus grand respect, a dit des choses fort intéressantes sur la question de la décentralisation, ...
M. Gérard Longuet. C’est un bon sujet !
M. Bruno Retailleau. ... qualifiée dans le rapport du comité Balladur de « mère des réformes ».
Il est vrai, comme l’a dit M. Peyronnet, que nous sommes les héritiers d’une tradition et que la France est un État unitaire. Cette obsession de l’unité a été partagée par les Capétiens, l’Empire et la République.
Mais, dans cet État extrêmement centralisé et jacobin, une invention française a permis de faire respirer le système : la clause générale de compétence, introduite en 1871 pour les départements et en 1884 pour les communes, et qui était la réponse française à la diversité des territoires.
En effet, cher Claude Belot, comment serait-il possible de gérer la Charente-Maritime ou la Vendée, départements littoraux, comme la Haute-Savoie, département montagneux, ou comme les Hauts-de-Seine, un département inclus – dois-je vous le rappelle, cher Philippe Dallier ? – dans le Grand Paris ? (Sourires sur les travées de l’UMP.) Ces situations diverses appellent des réponses et des traitements différents.
Il faut donc répondre à la diversité, mais aussi permettre l’innovation.
Si Pierre Mauroy avait, en 1985, prévu une liste limitative de compétences pour les départements, comment aurait-on pu faire face au désenclavement numérique ? En 1982, le numérique n’existait pas !
La clause générale de compétence est donc une réponse à la diversité des territoires, mais aussi une condition de l’innovation.
Contrairement à ce que pensent certains collègues – mais ce débat est transversal et parcourt toutes les formations ! –, remettre en cause la clause générale de compétence pour les régions et les départements, c’est remettre en cause la décentralisation, et ce pour trois raisons.
Tout d’abord, il existe deux types de décentralisation.
Il y a la décentralisation administrative : on dresse une liste limitative de compétences, l’État transfère et les collectivités territoriales exécutent les missions transférées par l’État. Cette décentralisation administrative est nécessaire et je suis, pour ma part, favorable aux blocs de compétences.
Il y a aussi une décentralisation plus aboutie, et plus politique, qui donne davantage de liberté et d’initiative aux collectivités. Sans cette liberté, les collectivités ne pourraient pas prendre en compte l’intérêt départemental et l’intérêt régional.
La commune se charge de l’intérêt local et l’État, de l’intérêt national. L’État a même la compétence de la compétence. Mais nier la clause générale de compétence, ce serait nier l’existence même d’un intérêt territorial intermédiaire.
Du reste, ce qui différencie l’établissement public de coopération intercommunale de la collectivité territoriale, c’est le principe de spécialité pour le premier et la clause générale de compétence pour l’autre.
On peut d’ailleurs lire à la page 131 de l’excellent rapport de la mission que transposer la clause de compétence générale des communes aux intercommunalités conduirait à élever ces dernières au rang de collectivités territoriales. A contrario, supprimer la clause générale de compétence reviendrait à priver les départements et les régions du statut de collectivités territoriales.
Le recul de la décentralisation est ensuite un problème constitutionnel.
Récemment, en 2003, le Sénat et l’Assemblée nationale ont voté une loi constitutionnelle. Désormais, l’article 1er de la Constitution dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. [...] Son organisation est décentralisée ». Affirmer que l’organisation de la République est décentralisée, et ce dès l’article 1er, ce n’est pas rien, c’est du lourd, comme on dit aujourd'hui !
Dans les débats comme dans l’exposé des motifs, le lecteur est invité à se reporter à l’article 72, dans lequel il est question de la libre administration et du principe de la subsidiarité.
Vous me direz qu’il n’existe pas de jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le sujet ! Certes, mais il existe une jurisprudence du Conseil d’État, précisément deux arrêts datant respectivement de 1981 et de 1989. J’invite ceux qui sont en proie au doute à les lire, afin d’être éclairés d’un point de vue juridique.
Pour moi, cependant, le débat est moins juridique que d’abord politique, troisième et dernière raison.
Supprimer la clause générale de compétence, c’est faire reculer la décentralisation. Comment en effet interdire à des assemblées élues au suffrage universel de tenter de régler les problèmes qui se posent à elles ?
J’ai vécu la catastrophe de l’Erika, une énorme marée noire et un vrai drame pour tous ceux qui sont attachés au littoral. Heureusement qu’il y avait la clause générale de compétence ! Elle nous a permis d’apporter rapidement une réponse aux problèmes qui se sont posés.
Que veulent les citoyens, mes chers collègues, quand se pose un problème ? Une solution !
M. Dominique Braye. Absolument !
M. Bruno Retailleau. Cette capacité d’initiative, cette liberté, sont d’importance !
Je suis tout à fait d’accord avec Gérard Longuet sur le fait que rien ne se fera sans consensus.
J’ai été frappé d’entendre les trois grands inspirateurs de la décentralisation à la française que sont Pierre Mauroy, le père des lois de 1982-1983, Jean-Pierre Chevènement, le promoteur de l’intercommunalité, et Jean-Pierre Raffarin, l’auteur de l’acte II de la décentralisation, être unanimes pour considérer que la clause générale de compétence est constitutive des collectivités territoriales.
Mes chers collègues, il faut dépasser les enjeux économiques et les enjeux de clarification et se dire que cette réforme ne se réduit pas à un simple exercice de géométrie euclidienne. Elle mérite qu’on lui insuffle du sentiment. Nous avons tous appris nos mandats d’élus dans les communes, les départements et les régions. La leçon des Grecs, c’est que le civisme vient de la cité ; or, je ne suis pas sûr que la France déborde de civisme !
Que l’étude des périmètres de gestion et la définition des outils de bonne gestion entrent dans le champ de cette réforme, je l’admets volontiers, mais elle ne peut pas faire fi de la démocratie locale, laquelle s’apprend sur le terrain, par exemple, dans la commune, creuset du « vivre ensemble ». Donc, prenons garde de ne pas sacrifier aux périmètres de gestion, incontestables facteurs de rationalisation, les espaces d’enracinement, les espaces d’attachement, parfois viscéral !
Une bonne réforme doit aussi prendre en compte cette réalité-là, celle du « vivre ensemble ». Apprise au sein de nos petites communautés locales, la démocratie s’épanouit dans la communauté nationale, voire dans d’autres communautés plus larges. J’y insiste : loin d’être anodine ou technique, la clause générale de compétence est essentielle pour les collectivités territoriales à la française et pour notre décentralisation ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre discussion d’aujourd'hui, qui porte sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, prouve au moins une chose : le débat démocratique est bien vivant au sein de nos assemblées.
En effet, pas moins de trois missions et de comités se réunissent depuis des mois pour définir l’organisation administrative future de notre pays : la mission temporaire du Sénat, dont le rapport d’étape sert de base à notre discussion cet après-midi, le rapport Warsmann de l’Assemblée nationale, et le comité Balladur, auquel j’ai participé et qui vient de remettre son rapport au Président de la République. S’ajoutent aux travaux de ces structures ceux des partis politiques sur ces mêmes questions.
Cet intérêt porté à tous les niveaux pour repenser notre organisation administrative témoigne de la nécessité d’aller de l’avant sur cette question. Près de trente ans après l’adoption des lois de décentralisation de 1982-1983, qui avaient alors soulevé de grandes approbations mais aussi suscité de fortes oppositions, tout le monde s’est assez rapidement accordé au fil du temps sur l’idée qu’il fallait poursuivre et approfondir la décentralisation.
C’est donc dans un esprit d’ouverture qu’André Vallini et moi avons accepté de faire partie du comité Balladur ; notre unique perspective était de participer à la réforme des collectivités locales.
Bien sûr, à la lecture des rapports en présence, on voit bien que des différences sensibles se manifestent sur la façon d’avancer dans la démarche décentralisatrice, même si, et je m’en réjouis, des consensus peuvent être dégagés sur des points aussi importants que l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, la nécessité d’achever la carte de l’intercommunalité, la possibilité de regroupements volontaires entre régions et départements ou encore l’émergence de métropoles fortes, encore que les modalités évoquées par les uns et les autres pour y parvenir diffèrent, et quelquefois beaucoup.
Sans me livrer à une analyse comparée des positions en présence, je me contenterai d’en évoquer certaines au cours de mon intervention, qui portera essentiellement sur le travail effectué par le comité Balladur et, plus particulièrement, sur les points d’accord et de désaccord qui se sont dégagés au fil de débats d’ailleurs marqués – comme la plupart des débats sur ces sujets – par une volonté de consensus, en tous les cas, par un état d’esprit qui me plaît beaucoup.
Cet état d’esprit fut le mien lorsque j’administrai la ville de Lille, pendant près de trente ans. Je le conservai lorsqu’il me revint d’animer la communauté urbaine de Lille, qui a bien prospéré tout au long de ces quelque vingt années. Dés lors, je ne peux que me retrouver dans ces débats. Et demeure intacte ma volonté d’avancer avec les opposants du départ qui nous rejoignent peu à peu en chemin, en tous cas sur certains points, tout en exprimant franchement les désaccords qui subsistent.
J’ai approuvé, avec André Vallini, seize des vingt propositions qu’a formulées le Comité. Le président Balladur avait résumé nos débats en vingt questions et vingt propositions. Je n’ai pas voulu – et le président Balladur non plus – d’un vote global : émis par un comité de personnalités nommées par le Président de la République, il n’aurait guère eu de sens. Nous avons néanmoins pris position sur chacune de ces vingt questions.
J’ai donc approuvé celles des propositions qui vont dans le sens de la régionalisation et de la décentralisation, autrement dit, celles qui s’inscrivent dans la continuité de ce qui a été réalisé depuis une trentaine d’années.
En revanche, nous avons refusé celles qui s’en éloignaient trop, voire qui nous paraissaient en contradiction avec cet état d’esprit.
Il en est ainsi particulièrement de la proposition n°3 du rapport du comité Balladur, qui prévoit l’élection des conseillers régionaux et départementaux sur une liste unique au scrutin proportionnel au niveau de circonscriptions infra-départementales, ce qui a pour conséquence la suppression des cantons actuels pour les remplacer par des circonscriptions plus larges, à partir desquelles seraient élus les conseillers départementaux et régionaux, appelés « conseillers territoriaux ».
J’ignore d’où vient cette idée. Au cours de mes discussions avec les élus, je n’ai jamais entendu quiconque se préoccuper de promouvoir une telle bizarrerie ! Il n’en fut d’ailleurs pas question au cours des premiers mois des travaux du comité Balladur. Nous étions parvenus à mi-chemin de notre mission quand quelques suggestions ont circulé à l’Assemblée nationale ; finalement, l’idée est parvenue jusqu’à nous.
Bizarre, oui, vraiment bizarre, cette proposition ! Force m’est de constater que ce système hybride n’est envisagé dans aucun des rapports. La mission sénatoriale, dans son rapport d’étape, ne prévoit aucun changement de cette nature, si ce n’est que les conseillers généraux doivent être élus en une seule fois tous les six ans. Cette idée, je l’approuve, comme beaucoup d’entre nous. Le rapport Warsmann est tout aussi muet sur le sujet.
Je dois dire que nous avons, au fil des semaines, reçu beaucoup de délégations. Et puis, l’une d’entre elles – je veux parler du groupe parlementaire de l’UMP et, principalement, de l’un de ses responsables – a appelé au big bang. Mon opposition à ce big bang est totale !
Mes chers collègues, dans ma vie d’élu, une vie partagée entre le Parlement et les collectivités territoriales, j’ai souvent entendu – comme vous, j’imagine – des propos agréables à l’endroit des élus locaux, ces 500 000 poilus, ces 500 000 hommes et femmes qui défendent et portent la République, quelquefois bénévolement, encore que, sur ce point, leur sort se soit heureusement amélioré au cours des dernières années. Mais jamais personne ne m’avait parlé de cette idée bizarre !
Or la voici tout à coup qui jaillit, porteuse d’un mélange des genres qui ne va bénéficier ni aux départements ni aux régions, dont la base électorale sera ramenée au niveau d’une circonscription infradépartementale, ce qui risque d’aboutir à une « cantonalisation » des régions, en contradiction avec la nécessité de faire émerger de grandes régions, capables d’égaler les régions européennes, au moins pour certaines d’entre elles.
Ces deux assemblées locales ayant un état d’esprit, une histoire, des façons de fonctionner et, surtout, des compétences et des objectifs très différents, André Vallini et moi estimons qu’il faut maintenir deux scrutins distincts pour l’élection de leurs conseillers respectifs.
À mon avis, il n’y a pas lieu de changer sur ce point l’existant ; j’y vois, outre l’un des fondements de notre action sur le plan municipal, départemental et régional, l’un des fondements de la République : d’une part, le conseil général, cet héritier de la grande Révolution, qui a su évoluer et s’impliquer avec un réalisme reconnu pour travailler au service des populations ; d’autre part, cette institution nouvelle que sont les régions. Le dynamisme de ces nouveaux élus régionaux leur donne naturellement vocation à prendre en charge l’avenir et à devenir les interlocuteurs de l’État, voire de l’Europe. Quels autres intermédiaires pourrait-on trouver ? La région paraît toute désignée pour ce rôle, d’ailleurs esquissé par des dispositions déjà prises entre les instances communautaires et cette collectivité.
Or ces deux assemblées aux objectifs si différents et pourtant si complémentaires se sont trouvées exposées à une véritable campagne de dénigrement. Nous étions accablés de tous les maux, surtout dans la presse ! Je n’avais rien entendu de tel au cours des nombreuses années durant lesquelles j’ai été un élu de la région, un élu du département, un élu de la communauté urbaine, un élu de la ville. N’allez pas me faire dire que nous sommes parfaits ! Qu’il y ait quelques réformes à faire, oui, certainement ! Mais faut-il pour autant réduire le travail des collectivités territoriales à une sorte de millefeuille où chacun toucherait à tout et où l’on finirait par dépenser beaucoup à force de redondance des tâches ?
J’arrête là le catalogue des reproches.
Si le big bang cachait quelques arrière-pensées, je comprends qu’on ait commencé par orchestrer une campagne. Mais celle-ci n’est franchement pas à la hauteur des enjeux de la République, pas à la hauteur non plus de l’action de tous ceux qui ont mené un combat tout à fait exemplaire, et dans des conditions difficiles, au sein de nos communes, de nos départements et de nos régions !
Ces 500 000 élus, la République devrait les honorer et ne pas tolérer de telles campagnes indirectes sur ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas ou sur l’argent qu’ils dépensent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc des commissions. – MM. Jacques Blanc et Bruno Sido applaudissent également.)
De mon expérience d’élu local, j’ai retenu que les régions et les départements savent trouver bien des accommodements. Et je me fais un devoir de le dire devant le Sénat, tout cela est excessif ! Les instigateurs d’une telle campagne, reprise par un certain nombre de journalistes, doivent avoir des intentions moins innocentes qu’un « gentil mélange » entre les conseillers régionaux et les conseillers généraux !
Je n’ose imaginer ce qui – ou qui - peut se cacher derrière une telle proposition, d’ailleurs encore loin d’être adoptée… Nous verrons !