Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Charles Gautier. C’est grave !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En effet, surtout lorsque l’on est chargé de l’instruction ! D’ailleurs, ledit magistrat, qui était quand même le doyen des juges d’instruction, s’est fait réprimander par le président du tribunal dont il dépendait – je tairai la ville – et par le procureur général, lesquels ont estimé que ces propos étaient parfaitement inadmissibles, les magistrats ayant le devoir d’aller sur place, ne serait-ce que pour des raisons pédagogiques.
Il importe que les magistrats aient le réflexe de s’interroger sur la mise en détention d’un prévenu. Il me semble donc essentiel d’obliger les procureurs de la République et les juges d’instruction à se rendre une fois par an dans des établissements pénitentiaires.
Il me semble également très important d’obliger notamment les procureurs de la République à remettre des rapports à la Chancellerie.
Vous le savez, mes chers collègues, la commission d’enquête a mis en lumière le fait que les magistrats, hormis quelques procureurs généraux qui respectaient les normes légales en la matière, n’adressaient plus de rapports à la Chancellerie. Or, subitement, à la suite de la commission d’enquête, les rapports ont à nouveau été envoyés, et les procureurs généraux ont signalé à la Chancellerie un certain nombre de problèmes dans les établissements pénitentiaires. Leur regard de magistrat ou de haut magistrat sur les prisons me semble très utile.
En conséquence, l’amendement n° 187 est bienvenu, ne serait-ce qu’à titre de rappel.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 3.
CHAPITRE II
Dispositions relatives aux personnels pénitentiaires et à la réserve civile pénitentiaire
Section 1
Des conditions d'exercice des missions des personnels pénitentiaires
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.
M. Alain Anziani. Monsieur le président, étant nouvellement élu, je ne connais pas encore bien les usages de la Haute Assemblée.
Toutefois, dans mon intervention sur l’article 3, j’ai posé deux questions à Mme le garde des sceaux. Même si je n’attends pas forcément une réponse immédiate, j’estime que toute question mérite réponse. Je souhaiterais donc que Mme le garde des sceaux me réponde au cours du débat.
Article additionnel avant article 4
M. le président. L'amendement n° 76, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le recrutement, la formation et les conditions de travail du personnel pénitentiaire doivent lui permettre de fournir un haut niveau de prise en charge des détenus.
La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. La règle pénitentiaire européenne n° 8 dispose que « le recrutement, la formation et les conditions de travail du personnel pénitentiaire doivent lui permettre de fournir un haut niveau de prise en charge des détenus ».
En effet, la qualité du personnel pénitentiaire influe sensiblement sur la reconnaissance et le respect de la dignité de la personne détenue. Le choix attentif de ce personnel au moment du recrutement et lors des affectations successives doit donc tenir compte de l’intégrité, des qualités humaines, des capacités professionnelles et des aptitudes des personnes à exercer ces tâches.
La formation professionnelle du personnel doit par conséquent être développée. Le personnel doit être en particulier sensibilisé aux règles pénitentiaires européennes et aux normes juridiques énoncées dans la Convention européenne des droits de l’homme.
L’amendement vise donc à introduire dans notre droit la règle pénitentiaire européenne n° 8.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous retrouvons ici un débat sur les règles pénitentiaires européennes, que nous avons déjà eu à diverses reprises, hier. Comme nous l’avons dit alors, ces règles n’ont pas vocation à figurer systématiquement dans le texte de loi, mais elles guident notre action.
Sur le fond, il n’y a rien à redire concernant cet amendement. Nous tentons dans le projet de loi de concrétiser les dispositions de cette règle pénitentiaire européenne. Par exemple, le « haut niveau de prise en charge des détenus » se concrétisera dans le code de déontologie, dans la prestation de serment, dans le contenu de ce dernier et dans la formation continue dispensée. C’est une manière pragmatique de mettre en œuvre cette règle européenne.
En conséquence, la commission souhaite le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La disposition figurant dans l’amendement n° 76 n’est pas normative. C’est pourquoi le Gouvernement y est défavorable.
Ces mesures sont déjà mises en œuvre au quotidien, dans les établissements pénitentiaires, dans le cadre des règles pénitentiaires européennes, les RPE.
Par ailleurs, monsieur Anziani, s’agissant de la formation professionnelle, l’État compensera sa part pour les détenus en formation professionnelle. Pour le reste, ce sera aux régions de solliciter directement les fonds complémentaires, notamment les fonds européens.
M. Alain Anziani. Les crédits du FSE sont gérés par l’État !
M. le président. Vous voilà éclairé, monsieur Anziani ?
M. Alain Anziani. Pas complètement....
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot, pour explication de vote.
M. Claude Jeannerot. Notre amendement offre l’opportunité de réaffirmer fortement des principes en matière de recrutement, de formation et de conditions de travail...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ça ne sert à rien !
M. Claude Jeannerot. Même si cela semble évident, cette réaffirmation dans le socle de la loi est à nos yeux essentielle. C’est pourquoi nous maintenons notre amendement. (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 76.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 4
L'administration pénitentiaire comprend des personnels de direction, des personnels de surveillance, des personnels d'insertion et de probation et des personnels administratifs et techniques.
Un code de déontologie du service public pénitentiaire, établi par décret en Conseil d'État, fixe les règles que doivent respecter ces agents ainsi que les agents habilités en application du second alinéa de l'article 2.
Ce même décret fixe les conditions dans lesquelles les agents de l'administration pénitentiaire prêtent serment ainsi que le contenu de ce serment.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard, Muller et Anziani, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
Dans l'accomplissement de leurs missions, les agents de l'administration pénitentiaire ainsi que les agents habilités en application du second alinéa de l'article 2 sont intègres, impartiaux, disponibles et respectent les droits fondamentaux des personnes sous leur responsabilité.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement procède du même esprit que l’amendement n° 7 rectifié qui va suivre.
Il vise à inscrire dans la loi pénitentiaire plusieurs principes que devront respecter les agents de l’administration pénitentiaire dans l’exercice de leurs missions : intégrité, impartialité, disponibilité, respect des droits des détenus. Ce sont là des principes importants qu’il convient d’inscrire dans la loi, et pas seulement dans le code de déontologie, à l’article 4 de ce texte.
Je ne vois pas pourquoi nous inscrivons plusieurs principes concernant les missions d’un service public pénitentiaire alors même que nous omettons de préciser les corollaires immédiats.
Nous devons faire figurer non seulement les missions du service public et des agents, mais également les conditions dans lesquelles ces mêmes agents vont exécuter ces missions.
J’aurais d’ailleurs souhaité qu’un projet de décret puisse nous être présenté au sujet tant du contenu du code de déontologie pénitentiaire que de la manière dont seront déclinées les règles que devront respecter les agents.
Il me paraît en effet regrettable de renvoyer à un décret le soin de dicter les règles applicables à l’administration pénitentiaire : le but de la loi pénitentiaire est justement, à mon avis, de légaliser ces règles et ces principes !
À défaut, l’administration dictera à une autre administration le comportement à adopter, sans contrôle parlementaire ! Je préfère un contrôle parlementaire !
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard, Muller et Anziani, est ainsi libellé :
Après le premier alinéa de cet article, insérer un alinéa ainsi rédigé :
Les agents de l'administration pénitentiaire ainsi que les agents habilités en application du second alinéa de l'article 2 sont tenus à l'impartialité, sans aucune distinction tenant à l'origine, à l'orientation sexuelle, aux mœurs, à la situation familiale ou sociale, à l'état de santé, au handicap, aux opinions politiques, aux activités syndicales, à l'appartenance, réelle ou supposée, à une ethnie, une nation ou une religion.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement s’inscrit dans la même logique que le précédent.
Il vise à inscrire dans la loi pénitentiaire une exigence fondamentale, celle du respect par les agents de l’administration pénitentiaire du principe d’égalité de traitement des détenus.
Même si les règles déontologiques auxquelles seront soumis les agents seront décrites dans le code de déontologie prévu par l’article 4 du présent projet de loi, il convient tout de même d’inscrire dans la loi les principes les plus importants.
Ainsi la commission des lois a-t-elle accepté de faire figurer dans son texte le respect de l’intégrité physique et l’encadrement du recours à la force.
Mais on ne retrouve aucune trace de l’interdiction de la discrimination au sein des établissements pénitentiaires, et je le regrette. Il s’agit en effet d’une pratique extrêmement répandue dans les prisons : en dehors de toute sanction, certains détenus font l’objet de discrimination. Je sais d’ailleurs de quoi je parle, de même que Mme la ministre, puisque nous en avons déjà discuté : il s’agit de discriminations qui ne sont pas justifiées sur le terrain de la sécurité ou de la santé du détenu. Elles sont simplement l’expression de comportements isolés de la part d’agents abusant de leur position.
Ces comportements doivent être sanctionnés lorsqu’ils ont pour objet de mettre de côté un détenu sans raison.
Je me permettrai d’évoquer devant vous le cas d’un détenu homosexuel m’ayant alertée sur son expérience : il a été mis au ban de l’établissement en raison de son orientation sexuelle. Compte tenu de cette dernière, il s’est vu priver de balades, de douches, sans parler des insultes et des pressions constantes qu’il a subies.
La notion de lutte contre les discriminations doit paraître clairement dans ce projet de loi.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il n’est pas facile de répondre à Mme Alima Boumediene-Thiery : non seulement elle pose les questions, mais elle réfute à l’avance les réponses que l’on est susceptible de lui opposer ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Concernant l’amendement n° 6 rectifié, le texte élaboré par la commission dispose déjà que le service public pénitentiaire et l’administration pénitentiaire doivent garantir à tout détenu le respect de ses droits : il s’agit aussi bien de l’article 1er que de l’article 10.
Les précisions selon lesquelles les personnels de l’administration pénitentiaire et les concessionnaires des établissements pénitentiaires à gestion mixte doivent être intègres, impartiaux et disponibles relèvent non pas du domaine de la loi mais, beaucoup plus naturellement, du code de déontologie du service public pénitentiaire.
La commission invite donc au retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
Concernant l’amendement n° 7 rectifié, le texte élaboré par la commission dispose déjà que le service public pénitentiaire et l’administration pénitentiaire doivent garantir à tout détenu le respect de ses droits, comme je le disais à l’instant, ce qui implique l’absence totale de discrimination.
L’énumération proposée, d’une part, alourdit inutilement le texte du projet de loi, et d’autre part, prend le risque de toute énumération, c’est-à-dire celui de ne pas être exhaustive. Par exemple, si la question de la nationalité n’y figure pas, pourra-t-on alors opérer une discrimination en fonction de la nationalité ? Non, bien sûr !
Ce type de précision pose plus de questions qu’il ne résout de problèmes.
C’est la raison pour laquelle, comme sur l’amendement précédent, la commission invite au retrait ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Concernant l’amendement n° 6 rectifié, le code de déontologie prévu par un décret en Conseil d’État s’inspirera du code de déontologie de la police nationale qui reprend tous les principes que vous avez indiqués.
Par ailleurs, la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires prévoit déjà ces obligations.
Par conséquent, cette loi étant déjà applicable aux fonctionnaires, et le code de déontologie ayant pour modèle celui de la police nationale, le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 6 rectifié.
Je rejoins les arguments exposés par M. le rapporteur au sujet de l’amendement n° 7 rectifié.
En outre, il est toujours étonnant d’inscrire dans un code le respect de certains principes interdisant les infractions, en l’occurrence la discrimination ! On inscrirait ainsi dans le code de déontologie l’obligation de ne pas commettre beaucoup d’infractions...
Or, la discrimination, même si elle ne figurait pas dans le code de déontologie, constitue une infraction pénale ; nous pourrions poursuivre en conséquence.
Le Gouvernement émet donc également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Madame Alima Boumediene-Thiery, les amendements nos 6 rectifié et 7 rectifié sont-ils maintenus ?
Mme Alima Boumediene-Thiery. Oui, monsieur le président, je les maintiens.
Malheureusement, on connaît très bien la réalité. Vous me donnez l’exemple de la police, mais il y a eu aussi des bavures en matière de discrimination dans la police !
Je parle bien sûr de toutes les discriminations. Si la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, ou HALDE, a été créée, c’est bien parce que des discriminations sont actées !
Il importe donc d’inscrire de manière très claire la lutte contre toutes les discriminations dans cette fameuse loi, qui a d’ailleurs pour objectif de rappeler les principes fondamentaux.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l’amendement n° 6 rectifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je comprends très bien le souci de notre collègue, puisqu’il existe hélas ! des discriminations dans les lieux de détention : elles sont même fréquentes.
Néanmoins, il faudra veiller à ce que le code de déontologie ne soit pas trop détaillé sur certains points et pas assez sur d’autres, de manière à le rendre suffisamment clair.
Par ailleurs, le contrôleur général des lieux de détention devra exercer un contrôle le plus poussé possible non seulement de l’application des principes qui figureront dans le code de déontologie mais aussi de la vie réelle dans les lieux de détention.
Je vais m’abstenir. Mais avec cet amendement, la précision risque d’être très poussée sur certains points alors que bien d’autres dispositions devraient figurer dans les devoirs et les droits des personnels d’administration pénitentiaire.
M. le président. L'amendement n° 77, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter le deuxième alinéa de cet article par une phrase ainsi rédigée :
Ces règles précisent l'obligation pour les personnels de veiller au respect de la dignité de la personne détenue et de son intégrité physique.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Le 6 mars 2000, au terme de ses travaux, la commission animée par M. Canivet a considéré « qu’admettre que la peine d’emprisonnement qui a pour finalité la réintégration, dans la société, d’une personne condamnée induit une autre logique juridique, celle d’un détenu qui, à l’exception de la liberté d’aller et de venir, conserve tous les droits puisés dans sa qualité de citoyen, qu’il n’a pas perdue du fait de sa condamnation, mais aussi celle d’un lieu, la prison qui, faisant partie du territoire de la République, doit être régi selon le droit commun, y compris dans les adaptations qu’exige la privation de liberté ».
Cette philosophie est également développée dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme : « l’article 3 de la Convention impose à l’État de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate ».
Pour la commission Canivet, les carences qui affectent le service public pénitentiaire dans le contenu des normes comme dans leur application ne sauraient être justifiées par « l’argument de sécurité, constamment avancé pour faire obstacle à l’évolution des prisons ».
Le Conseil constitutionnel, quant à lui, considère – c’est une décision de 1994 – que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’avilissement et de dégradation est un principe « indérogeable », en ce sens qu’il n’a pas à être concilié avec d’autres principes.
Afin que ces principes soient respectés, nous ne trouvons pas admissible que seul le décret traite de la déontologie des personnels de l’administration pénitentiaire. La loi doit intervenir au moins pour fixer les principes fondamentaux, et nous souhaitons que figure parmi ces principes le respect de la dignité de la personne détenue et de son intégrité physique.
Cette rédaction reprend la règle pénitentiaire européenne n° 72-1.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement a pour objet de prévoir que le code de déontologie du service public pénitentiaire devra préciser l’obligation, pour les personnels, de veiller au respect de la dignité de la personne détenue et de son intégrité physique.
Cet amendement est au moins en partie satisfait par le texte de la commission.
Sur l’initiative du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, l’article 4 bis fait bien obligation aux « personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire [de veiller] au respect de l’intégrité physique des personnes privées de liberté ».
L’article 19 bis dispose également que « l’administration pénitentiaire doit assurer à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique en tous lieux collectifs et individuels ».
Quant à l’article 1er, il précise, sur l’initiative de notre collègue Hugues Portelli, que l’administration pénitentiaire doit garantir « à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne », ce qui inclut le principe de dignité.
J’ajouterai un argument qui m’a souvent été répété par les personnels pénitentiaires, lors de mes visites : les personnels pénitentiaires ne sauraient être tenus pour responsables des conditions de détention, lesquelles résultent, pour partie, de l’état des établissements pénitentiaires et de la surpopulation carcérale. Comment peuvent-ils veiller à la dignité des détenus lorsque quatre personnes doivent cohabiter dans une cellule de neuf mètres carrés ?
C’est un argument qu’il ne faut pas oublier lorsque l’on fait porter sur les personnels pénitentiaires l’obligation de veiller au respect de la dignité des détenus.
Pour ces raisons, la commission des lois demande le retrait de l’amendement, faute de quoi elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La notion de respect de la dignité est totalement reprise à l’article 1er du projet de loi, qui prévoit que le service public pénitentiaire « garantit à tout détenu le respect des droits fondamentaux inhérents à la personne. », lesquels incluent la dignité, et à l’article 10, qui précise que « l’administration pénitentiaire garantit à tout détenu le respect de ses droits. ».
Enfin, il est imposé aux personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire de veiller « au respect de l’intégrité physique des personnes privées de liberté » – c’est l’article 4 bis –, et à l’administration pénitentiaire d’assurer « à chaque personne détenue une protection effective de son intégrité physique » – c’est l’article 19 bis.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement, qui est d’ores et déjà satisfait.
M. le président. Monsieur Gautier, l’amendement n° 77 est-il maintenu ?
M. Charles Gautier. Nous ne faisons aucun procès d’intention.
Compte tenu des réponses apportées à la fois par M. le rapporteur et par Mme le garde des sceaux, je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 77 est retiré.
L'amendement n° 78, présenté par M. Anziani et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Les devoirs du personnel excèdent ceux de simples gardiens et doivent tenir compte de la nécessité de faciliter la réinsertion des détenus dans la société à la fin de leur peine, par le biais d'un programme de prise en charge et d'assistance.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. La règle pénitentiaire européenne n° 72.3 dispose que « les devoirs du personnel excèdent ceux de simples gardiens et doivent tenir compte de la nécessité de faciliter la réinsertion des détenus dans la société à la fin de leur peine, par le biais d’un programme positif de prise en charge et d’assistance. »
Cette règle souligne l’aspect éthique de l’administration pénitentiaire. En l’absence d’une éthique forte, un groupe se voit octroyer un pouvoir substantiel sur un autre groupe, ce qui peut aisément conduire à une situation abusive. Le respect de l’éthique ne doit pas seulement caractériser le comportement des membres du personnel pénitentiaire à l’égard des détenus. Les responsables des établissements pénitentiaires doivent faire preuve d’un grand discernement et d’une forte détermination pour assumer la gestion des prisons dans le respect des plus hautes normes éthiques.
Travailler dans les établissements pénitentiaires exige donc une combinaison de talent personnel et de compétences professionnelles. Le personnel pénitentiaire doit faire appel à ses qualités humaines lorsqu’il traite avec les détenus, afin d’agir avec impartialité, humanité et justice.
Par conséquent, il nous paraît important que cette règle soit transposée dans notre législation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement est satisfait par le texte de la commission, d’une part avec l’article 4 bis dont j’ai donné lecture et que nous devons pour une grande part à l’initiative du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, et, d’autre part, avec l’article 4 ter, qui prévoit que les personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation « mettent en œuvre les politiques d’insertion et de prévention de la récidive, assurent le suivi ou le contrôle des personnes placées sous main de justice et préparent la sortie des personnes détenues. ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En outre, la rédaction proposée pourrait s’avérer source d’insécurité juridique, puisqu’elle prévoit que « les devoirs du personnel excèdent ceux de simples gardiens ». Je m’interroge en effet sur le caractère normatif d’une telle disposition. Dans l’administration pénitentiaire, je connais les « personnels de surveillance », les « personnels d’insertion et de probation », mais je cherche vainement les « gardiens » !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait ! Ce terme remonte aux temps anciens.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Les dispositions du projet relatives aux missions du service public pénitentiaire et de ses personnels sont suffisamment précises sur ce point. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement préfère privilégier une définition concrète des missions du service public pénitentiaire plutôt que de reprendre ce type de dispositions.
Je rappelle également que l’administration pénitentiaire et ses surveillants n’aiment pas le terme « gardien ». Je rejoins totalement leur point de vue : mieux vaut les qualifier par leur statut et leur mission réelle, et non par des termes qui n’existent pas dans le statut actuel.
Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. Depuis hier après-midi, pour ceux qui ont suivi le débat dans son intégralité, l’immense majorité des réponses qui nous sont apportées reposent sur un seul argument : cela va tellement sans dire que mieux vaut ne pas le préciser. Je pense au contraire que si cela va sans dire, cela va encore mieux en le disant !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Charles Gautier. En conséquence, contrairement à l’amendement, précédent, je vous propose de maintenir celui-ci.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. Je voudrais d’abord rappeler à notre assemblée qu’un rapport extrêmement important vient d’être publié, celui du comité Veil. Sont rappelés dans ce rapport les droits et libertés garantis dans notre système juridique français dont le panel est tel qu’il n’y a plus rien à ajouter dans les déclarations et la jurisprudence existantes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)