Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je veux aussi souligner l’apport que représente la participation d’un membre extérieur à l’administration pénitentiaire à la commission de discipline. Cette ouverture symbolise l’entrée de la société civile dans le monde pénitentiaire.
Sur d’autres points, le Gouvernement vous proposera d’amender le texte.
Je pense singulièrement à la question de l’encellulement individuel, qui est un sujet difficile.
La commission des lois a souhaité affirmer le principe de l’encellulement individuel pour les prévenus et les condamnés.
Depuis le mois de mai 2007, le Gouvernement a tout mis en œuvre pour améliorer les conditions de détention. Nous avons créé de nouvelles places ; nous avons rénové les établissements vétustes ; nous avons créé des emplois pour améliorer le suivi des personnes détenues.
L’objectif est de garantir à tout détenu, qu’il soit prévenu ou condamné, un encellulement digne, sûr et répondant tant à ses souhaits qu’à son intérêt.
C’est l’approche retenue par nos voisins européens. Elle est conforme aux règles pénitentiaires européennes.
Dans ce système, il s’agit non pas de décider à la place du détenu ce qui est bien pour lui, mais de lui offrir un véritable choix, entre cellule individuelle et cellule collective, qui garantit dans tous les cas sa sécurité et sa dignité.
Cette solution n’était pas en tous points celle du projet de loi initial, mais j’ai tenu compte des avis que vous avez exprimés en commission.
M. Roland du Luart. Très bien !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. J’espère que nos débats permettront d’aboutir à un accord.
Le Gouvernement se rapproche de la position adoptée par la commission sur trois points essentiels.
Nous garantissons l’encellulement individuel pour tous les détenus qui en font la demande.
Il n’est plus fait de distinction entre les prévenus et les condamnés.
Il ne pourra plus être opposé à la volonté du détenu le motif tiré de l’encombrement ou de la distribution intérieure des locaux. Cette nouvelle disposition, d’une ambition sans précédent, doit être assortie d’un moratoire de cinq ans permettant l’achèvement du programme actuel de construction de nouveaux établissements.
En plus de ceux qui portent sur l’encellulement individuel, le Gouvernement souhaite défendre d’autres amendements.
Sur la question de la motivation spéciale du régime de détention plus sévère, j’ai compris que la position de la commission s’expliquait par la crainte de voir des droits ôtés aux détenus, et ce sans garantie. Il n’en est rien ; je l’affirme.
En adaptant le régime de détention à la personnalité du détenu, nous ne portons pas atteinte à ses droits. Le régime différencié, c’est essentiellement l’ouverture ou non des portes des cellules et l’accompagnement des détenus aux activités qui leur sont proposées.
La motivation exigée par la commission des lois sera source de difficultés pratiques et de contentieux. Elle risque en pratique de paralyser la mise en œuvre de cet objectif. Le Gouvernement n’y est donc pas favorable.
La commission des lois a proposé de limiter la durée des sanctions de placement au quartier disciplinaire à trente jours en cas d’agression physique sur les personnes. Je souhaite pouvoir aller jusqu’à quarante jours. Je rappelle que, l’an dernier, plus de cinq cents agents ont été agressés. Je ne peux l’admettre ; il faut des sanctions exemplaires.
Sur les droits d’expression et de manifestation des personnels, la commission des lois a adopté un amendement qui modifie l’ordonnance du 6 août 1958 relative au statut spécial des fonctionnaires des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire, en reconnaissant un droit d’expression et de manifestation dans les conditions prévues par le statut général des fonctionnaires de l’État.
Ce renvoi par la loi spéciale à la loi générale est source d’ambiguïté, alors même que la commission des lois n’entend pas modifier le statut spécial des agents.
Enfin, j’en viens à la saisine du juge des référés par un détenu placé à l’isolement. La commission a adopté un amendement qui tend à présumer l’urgence en cas d’isolement de la personne détenue. Il va de soi que tout détenu, comme tout citoyen, peut saisir le juge des référés. Mais l’isolement n’est pas à lui seul constitutif de la situation d’urgence. Le Gouvernement souhaite donc revenir au texte initial.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte qui fera entrer notre système pénitentiaire dans le XXIe siècle.
Cette loi est attendue depuis vingt ans. Nous avons l’occasion de refonder notre politique pénitentiaire, de la rendre plus humaine, davantage tournée vers l’avenir. C’est une opportunité immense. Sachons, ensemble, la saisir ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Organisation du travail parlementaire (suite)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, dans mon intervention liminaire portant sur l’organisation du travail parlementaire et sur le fait que ce texte a été déclaré d’urgence, question essentielle pour nous, je vous ai demandé, à l’instar de Mme Borvo Cohen-Seat, quelle était votre position personnelle. Vous ne nous avez par répondu.
Par conséquent, je demande une suspension de séance de dix minutes afin de réunir mon groupe. Nous souhaitons que l’examen de ce texte se déroule dans un climat constructif et serein.
M. le président. Le Sénat va accéder à votre demande, monsieur Bel.
La demande du Gouvernement date du 20 février dernier : elle relevait donc de la précédente Constitution.
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est facile !
M. le président. Vous m’avez saisi hier de cette question, monsieur Bel, et non lors de la précédente conférence des présidents. Vous ne l’avez pas fait avant. C'est la raison pour laquelle j’ai considéré que s’appliquait l’ancien règlement.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous opposez un argument de procédure, alors qu’il s’agit d’une question de fond !
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures cinquante-cinq.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, les membres de mon groupe, notamment, sont troublés par les événements de cet après-midi et par vos réponses.
Tout d’abord, vous avez considéré que pour un même texte s’appliquaient deux procédures. La première, ancienne, concerne la déclaration d’urgence du projet de loi et la seconde, nouvelle, vise l’examen du texte.
Par ailleurs, je souhaite que vous nous donniez quelques éléments complémentaires d’information. En effet, vos propos ne me semblent pas correspondre à ce que nous avons pour notre part compris.
Vous nous avez expliqué que, à la suite de la conférence des présidents du 18 février, nous aurions pu réagir. Or, le souhait du Gouvernement de recourir à la procédure d’urgence ne vous a été communiqué que le 20 février. Ce fait me paraît constituer une difficulté majeure pour tout être normalement constitué ! Par conséquent, votre réponse ne nous satisfait pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Excellent !
M. Jean-Pierre Bel. Par ailleurs, vous nous avez conviés à travailler ensemble et à réfléchir. Nous l’avons fait dans un total esprit de partenariat.
J’avais noté votre souci de voir la conférence des présidents jouer un rôle et réguler, en tant que de besoin, le déroulement des travaux du Sénat. Je constate que vous êtes revenu sur cette manière de concevoir le fonctionnement de notre assemblée, en particulier sur la place de la conférence des présidents. Nous sommes donc très surpris et abordons l’examen de ce projet de loi dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes, étant donné les enjeux contenus dans ce texte et les questions qu’il soulève. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, j’avais moi aussi demandé la parole tout à l’heure, mais peut-être ne m’aviez-vous pas vue…
Les membres de mon groupe ont été très surpris en apprenant jeudi, par voie de presse, que le Gouvernement avait déclaré l’urgence sur le projet de loi que nous examinons. Une conférence des présidents a eu lieu le 18 février. Or, curieusement, le Gouvernement a fait part de la déclaration d’urgence le 20 février, c'est-à-dire le jour de la suspension des travaux parlementaires.
Bien évidemment, nous sommes soucieux de nous tenir au courant des différents événements, y compris lorsque le Parlement ne siège pas. En l’occurrence, nous n’avons pas été informés. Nous avons appris la déclaration d’urgence par le biais de la presse et beaucoup plus tard !
Nous avons joué le jeu de la procédure nouvelle pour l’examen de ce projet de loi, ce qui nous a demandé de faire preuve d’une certaine gymnastique intellectuelle.
Que signifie opposer aux parlementaires l’ancienne procédure pour justifier la déclaration d’urgence par le Gouvernement pour des raisons obscures ? Chacun sait en effet que le projet de loi que nous examinons nécessite un débat approfondi. Il était attendu depuis dix-huit mois, et même depuis vingt ans. Je ne pense pas que les personnels de l’administration pénitentiaire, les détenus, les associations soient à quelques semaines près ! De surcroît, ils ont émis de nombreuses critiques sur ce texte. Un débat approfondi permettrait peut-être de mieux les satisfaire.
Monsieur le président, vous avez vous-même été saisi du problème. Vous vous rangez aux explications du Gouvernement. Pour ce qui me concerne, je demande la réunion de la conférence des présidents afin qu’elle donne son avis et nous fasse part de son point de vue sur cette façon de procéder. De telles conditions de travail ne nous conviennent pas et desservent la future loi.
M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, monsieur Bel, je souhaite tout d'abord apporter une clarification chronologique, car je reconnais que la superposition de deux règles se combinant en droit et en fait n’a rien d’évident.
Le 18 février dernier, la conférence des présidents du Sénat s’est réunie. Je me suis fait communiquer le procès-verbal de cette réunion, et il est tout à fait exact que seul le projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer était alors déclaré d’urgence.
Le 20 février, j’ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m’indiquant que l’urgence était déclarée sur le projet de loi pénitentiaire.
Le 2 mars, c'est-à-dire hier, vous m’avez saisi d’une demande de réunion de la conférence des présidents.
Le Gouvernement a donc déclaré l’urgence sur le projet de loi pénitentiaire le 20 février dernier, sous l’empire de l’ancien article 45 de la Constitution, c'est-à-dire à un moment où cette procédure relevait du pouvoir discrétionnaire du Gouvernement. C’est d'ailleurs l’interprétation qui a été donnée ce matin par la conférence des présidents de l’Assemblée nationale.
Sur le plan juridique, mes chers collègues, vous connaissez mon souci d’appliquer les nouvelles règles et les dispositions transitoires.
Sur le plan politique, en revanche, on peut estimer que la navette parlementaire serait utile. Je vous propose d’en discuter demain en conférence des présidents, car le Gouvernement, que nous interrogerons sur ce point, peut parfaitement renoncer à appliquer la procédure d’urgence, même après l’avoir déclarée. Il lui suffit pour cela de ne pas convoquer la commission mixte paritaire.
M. Jean-Pierre Sueur. Il est là, le Gouvernement !
M. le président. Nous avons entendu Mme le garde des sceaux. Je vous propose, mes chers collègues, d’interroger de nouveau le Gouvernement sur ce point demain lors de la réunion de la conférence des présidents. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Faites-le maintenant !
M. le président. Tels sont, mes chers collègues, les éléments de réponse qu’il me semblait de mon devoir de vous apporter.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je souhaite intervenir sur cette question qui, on le reconnaîtra, est tout de même extraordinaire.
Aux termes de la Constitution, la procédure d’urgence n’existe plus ; elle a été remplacée par une procédure accélérée. Or, à l’orée de nos débats, on nous affirme que cela importe peu et que nous délibérerons malgré tout sous la procédure d’urgence ! On reconnaîtra qu’il s'agit d’une situation juridique paradoxale !
En outre, je le rappelle, nous avons révisé sur ce point la Constitution – Dieu sait, monsieur le président, si vous avez été l’un des protagonistes de ce processus ! – car ce qui, dans le texte de 1958, était le principe, c'est-à-dire les deux lectures, était devenu, du fait d’une pratique gouvernementale déplorable, l’exception.
C’est pour remédier à cette situation que l’on a transformé l’urgence en procédure accélérée et que l’on vous a doté, monsieur le président, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, d’une prérogative qui n’existait pas auparavant.
Que s’est-il passé à l’Assemblée nationale ? Qui a affirmé qu’il fallait renoncer à l’urgence sur ce projet de loi, la procédure accélérée s’appliquant désormais, et que les deux présidents peuvent par conséquent rappeler le Gouvernement à ce qui constitue l’esprit même de la délibération parlementaire, c'est-à-dire les deux lectures ? C’est le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Warsmann ! Ce n’est donc pas l’opposition qui a voulu susciter des difficultés ! Et c’est à ce moment-là que le président de l’Assemblée nationale a pris la position qui est la sienne.
Mes chers collègues, soyons sérieux : voilà près d’une décennie que nous attendons ce texte, qui pose des problèmes complexes. Je ne crois pas que quiconque y perdra si nous délibérons un mois de plus. En tout cas, la qualité du travail législatif n’en pâtira sûrement pas !
Au passage, je le rappelle, j’ai été garde des sceaux pendant près de cinq ans et je n’ai utilisé qu’une seule fois la procédure d’urgence, tout simplement parce que j’avais constaté que les deux lectures enrichissaient toujours un texte, dès l’instant où celui-ci présentait des difficultés.
Ce projet de loi est complexe, nous le savons. Nous avons déposé de nombreux amendements, s’ajoutant à ceux qui sont issus des deux commissions concernées. Leur examen demandera du temps, des explications.
Dans le cadre d’un débat normal, ce texte que l’on nous présente aujourd'hui comme fondamental serait nécessairement amélioré, d’autant qu’il n’existe aucune raison sérieuse – je dis bien « aucune » – de conserver l’ancienne procédure et de la faire entrer de force dans une époque qui l’ignore !
Je suis absolument convaincu que cette procédure soulèvera une difficulté constitutionnelle. Il est sans précédent que l’on fasse délibérer le Parlement sous un régime qui n’existe plus !
Chacun se souviendra des déclarations de M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement sur la restauration des droits des assemblées ! Vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que cette substitution d’une procédure à une autre, ou cette pérennité d’une pratique que nous déplorions, à la place d’une règle innovante renforçant les droits du Parlement, est pour le moins déplorable et augure mal de la mise en application de la révision constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Nous ajouterons cette question à l’ordre du jour de la conférence des présidents de demain.
Mes chers collègues, nous reprenons la discussion du projet de loi. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Charles Gautier. Quel mépris ! (Un grand nombre de députés du groupe socialiste quittent l’hémicycle.)
Discussion générale (suite)
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est avec une émotion toute particulière que je m’adresse à vous aujourd’hui en qualité de rapporteur de ce projet de loi pénitentiaire, alors que le Parlement s’apprête à débattre, pour la première fois sous la Ve République, d’un grand texte fondateur dans ce domaine.
Notre dessein est aussi simple qu’ambitieux : faire en sorte que la prison de demain se pose, sur bien des aspects, en rupture avec celle d’hier et d’aujourd’hui, et cela pour le plus grand bénéfice de tous : les détenus, dont la punition de privation de liberté ne se transformera plus en abaissement et en atteinte à la dignité ; la société, et en premier lieu les victimes, qui ont tout à gagner à ce que la prison cesse à tout jamais d’être l’école de la récidive pour devenir celle de la réinsertion ; la démocratie et la République, qui mettront fin ainsi à l’humiliation que dénonçaient, en 2000, Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel dans leur rapport.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Tout à fait !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Albert Camus affirmait qu’« une société se juge à l’état de ses prisons » et cette phrase m’a souvent hanté lorsque je visitais, avec des collègues de la commission des lois, d’innombrables maisons d’arrêt, centres de détention ou maisons centrales et pouvais échanger avec tous ceux qui y vivent ou, parfois, y survivent.
Dans mon rapport, au nom de la commission des lois, j’ai tenté, modestement mais avec détermination, d’inscrire notre réflexion dans la continuité du travail considérable réalisé ces dernières années par nombre de nos collègues.
Comment ne pas évoquer ici les combats de Robert Badinter et ceux des deux commissions d’enquête parlementaire du Sénat et de l’Assemblée nationale, dont les présidents respectifs, MM. Jean-Jacques Hyest et Louis Mermaz, qui sont à nos côtés dans cet hémicycle, prendront toute leur part dans nos débats.
Je souhaite vivement que nous puissions aboutir à un très vaste consensus. La prison n’est ni de droite, ni de gauche, ni du centre. (M. Robert Badinter opine.) Elle est aujourd’hui un lieu de souffrance, celle des détenus en écho à celle des victimes. C’est ensemble que nous pourrons en faire aussi un lieu d’espérance.
Pardonnez-moi une remarque personnelle, mes chers collègues, pour vous dire que si ce projet de loi ne devait pas modifier fondamentalement la situation de nos prisons, s’il n’était qu’un texte parmi d’autres, si la montagne devait accoucher d’une souris, ce serait là la pire déception de ma vie de parlementaire !
Toutefois, j’ai déjà le sentiment d’avoir été partial et injuste à l’égard de l’administration pénitentiaire, dont l’évolution, pourtant, se révèle considérable.
Que l’on songe quelques instants aux prisons des années 1970 – ce n’est pas si lointain ! –, ces univers clos, où les journaux étaient interdits et où nul échange n’était possible entre surveillants et détenus. Ceux qui ont visité les cellules disciplinaires utilisées jusqu’à cette époque à la centrale de Clairvaux ont eu l’impression que le temps s’était arrêté depuis le Moyen Âge et les cages de fer que l’on prête à Louis XI !
Il est vrai que, au cours des dernières décennies, le parc pénitentiaire a été largement renouvelé à la suite des différents programmes de construction engagés depuis la fin des années 1980. Je veux citer ici le nom d’Albin Chalandon, qui était un élu du département que j’ai l’honneur de représenter, le Nord, lorsqu’il fut nommé garde des sceaux, en 1986.
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation ont été mis en place. La prison s’est ouverte sur l’extérieur, au-delà des aumôniers et des instituteurs, avec les visiteurs de prisons, les associations, les délégués du Médiateur et les parlementaires.
Depuis la loi du 18 janvier 1994, la prise en charge de la santé des détenus est assurée par le service public hospitalier dans les conditions du droit commun. La formation des personnels, dispensée notamment à l’École nationale de l’administration pénitentiaire, se révèle de grande qualité et intègre la culture des droits de l’homme. L’influence des normes internationales, la référence aux règles pénitentiaires européennes, les jurisprudences du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme vont dans le sens de l’amélioration continue des conditions de détention.
Tout cela n’est pas discutable, et il faudrait être aveugle ou de mauvaise foi pour affirmer que rien n’a changé et que l’univers carcéral est demeuré immobile.
J’ai moi-même rencontré d’innombrables personnels de direction, de surveillance ou d’insertion et de probation dont l’implication et l’humanisme forcent l’admiration, comme ce surveillant du quartier maison centrale du centre pénitentiaire de Château-Thierry, ou peut être devrais-je dire de la « maison de fous » de Château-Thierry, qui confiait que, lorsqu’un détenu hurlait la nuit, il allait s’asseoir dans sa cellule, des heures durant s’il le fallait, pour lui parler, et qu’il ne le quittait qu’après l’avoir rassuré.
Oui, il serait tout aussi absurde de nier ces inestimables progrès que de ne pas reconnaître avec humilité l’étendue du chemin qui reste à parcourir !
Une cellule de douze mètres carrés partagée par trois détenus, avec un matelas par terre, un cabinet d’aisance non ventilé, dépourvu de cloisons, telle est encore la réalité dans un certain nombre de maisons d’arrêt en attente de rénovation !
Les aumôniers nationaux, qui ont tous été entendus par votre rapporteur, lui ont transmis un message de leurs aumôniers, qui affirment consacrer parfois moins de temps à satisfaire aux exigences de la vie spirituelle, morale et religieuse qu’à accompagner les détenus, notamment les jeunes, jusqu’à la douche, à les attendre et à les reconduire en cellule pour qu’ils ne risquent ni coups ni viols.
Voilà près de cent cinquante ans, mes chers collègues, que Tocqueville écrivait : « La société a le droit de punir mais non de corrompre ceux qu’elle châtie ».
Trop souvent, la prison, dans les cours de promenade et parfois jusque dans les cellules, reste un lieu où perdurent violences au quotidien et loi du plus fort. Quel paradoxe que de plonger des personnes ayant gravement méconnu les règles dans un univers où les droits et la sécurité ne sont pas garantis !
Chaque année, à Nancy, à Rouen, à Lannemezan ou ailleurs, des prisonniers meurent victimes de leurs codétenus. Quant au taux de suicides dans les prisons françaises, il reste, malgré les efforts du personnel pénitentiaire, l’un des plus élevés d’Europe, et les premières semaines de 2009 ne nous ont en aucune manière rassurés sur ce point.
Comment s’étonner alors des condamnations internationales qui frappent notre pays, condamnations dont le retentissement dans la patrie des droits de l’homme ne peut être que plus cruel encore que partout ailleurs, qu’il s’agisse d’arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, des rapports du Comité européen pour la prévention de la torture ou de ceux des commissaires successifs aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ?
Or, si les efforts accomplis n’ont pas produit jusqu’à présent les résultats escomptés, c’est qu’ils ont été freinés, voire anéantis par deux causes : la part croissante de personnes atteintes de troubles mentaux au sein de la population pénale et le surpeuplement carcéral.
Sur la première cause, et je préfère le reconnaître dès maintenant, la loi pénitentiaire ne pourra pas réellement peser et il nous faudra donc prendre date pour une réforme future.
Il faut savoir qu’en France les auteurs d’infractions atteints de troubles psychiatriques sont pris en charge par la prison plutôt que par l’hôpital.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cette situation, paradoxale au regard du principe posé par le code pénal de l’irresponsabilité pénale des personnes qui, au moment des faits, « étaient atteintes d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli leur discernement ou le contrôle de leurs actes », s’explique par deux raisons essentielles.
D’une part, le législateur a permis, dans le nouveau code pénal de 1992, que, dans l’hypothèse où le trouble mental a seulement altéré – et non aboli – le discernement, l’auteur des faits soit punissable.
D’autre part, les évolutions de la psychiatrie contemporaine ont entraîné une réduction drastique du nombre de lits et de la durée des séjours hospitaliers.
Dans ces conditions, les jurys d’assises, estimant que la prison peut désormais seule répondre à la nécessité de protéger la société des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux, ne prononcent plus que très rarement d’acquittements motivés par l’irresponsabilité pénale.
En outre, l’altération du discernement, qui devrait à tout le moins constituer une circonstance atténuante, entraîne au contraire un allongement de la peine.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Comme le note M. Nicolas About dans son rapport pour avis au nom de la commission des affaires sociales, « le fait d’enfermer en prison des malades souffrant de troubles psychiatriques aboutit à nier le sens d’une peine qu’ils ne parviennent pas à comprendre ».
Une réforme s’impose, mais qui nécessitera un travail conjoint de la justice, de la santé et de l’intérieur.
Une modification des dispositions du code pénal, par exemple, n’aurait guère de sens si elle ne s’accompagnait pas d’une évolution de la psychiatrie et de la réouverture de lits psychiatriques en milieu fermé, comme cela se pratique dans bon nombre de pays voisins.
Le Sénat doit poursuivre la réflexion sur ce sujet et a confié à notre collègue M. Jean-Pierre Michel et à moi-même une mission d’information sur la responsabilité pénale des malades mentaux qui pourrait s’ouvrir au-delà de la commission des lois et préparer une nécessaire initiative législative.
J’en viens à la seconde cause de l’échec des efforts accomplis ces dernières années : l’inflation carcérale.
Nous sommes ici au cœur des préoccupations des rédacteurs du projet de loi : le volet consacré aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine suscite – du moins selon moi – une assez large adhésion.
Chacun sait que la population pénale n’a jamais été aussi nombreuse qu’au cours des dernières années, rendant impossible l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt, où la promiscuité subie génère troubles, violences et problèmes d’hygiène.
Pour la commission des lois, le renouvellement du parc immobilier et l’augmentation significative des capacités d’accueil des établissements pénitentiaires – l’actuel « programme 13 200 places » – associés au volontarisme des réformes proposées permettent de penser que l’application du principe de l’encellulement individuel, différé depuis 1875, n’est plus hors d’atteinte dans des délais raisonnables à la seule condition d’en faire une ardente obligation.