M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ainsi, le développement considérable des aménagements de peine imposera la création de postes de conseillers d’insertion et de probation, postes qui, dans l’étude d’impact elle-même, sont évalués à 1000.
Pour important qu’il soit, cet effort s’avère loin d’être inaccessible, même à budget constant, lorsqu’on se remémore l’importance, ces dernières années, des créations de postes de surveillants imposées par l’ouverture de prisons nouvelles.
Je me permets, sur ce point, de proposer à votre réflexion, mes chers collègues, cette citation de l’Institut Montaigne : « Mieux vaut doubler l’effectif des 3 600 agents des SPIP – services pénitentiaires d'insertion et de probation – que d’embaucher 12 000 gardiens pour faire régner l’ordre sur 30 000 nouvelles places de prison ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr ! Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne vous cacherai pas, madame le garde des sceaux, que l’autre partie du projet de loi, celle qui est consacrée au service public pénitentiaire et aux conditions de détention, a suscité plus de déceptions, tant au cours des visites d’établissements que lors des auditions d’une centaine de personnalités.
Il faut le dire, ce texte était tant attendu par les uns et par les autres, parfois, d’ailleurs, pour des raisons contradictoires, que ces réticences peuvent assez facilement s’expliquer.
La commission des lois a donc cherché à rééquilibrer les deux volets du projet de loi en s’appuyant, notamment, sur le travail remarquable accompli en peu de temps par le comité d’orientation restreint, le COR, sous l’autorité du procureur général Jean-Olivier Viout.
Parmi les modifications majeures introduites par la commission des lois dans le projet de loi, puisque depuis le 1er mars, la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier est sur ce point entrée en vigueur…
M. Robert Badinter. Sauf sur l’urgence !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est vrai ! Cependant, sur ce point, les choses sont claires, mon cher collègue !
Parmi les modifications majeures introduites par la commission des lois, on peut notamment citer l’institution d’une obligation d’activité pour les personnes détenues avec, pour corollaire, la possibilité pour les plus démunis d’obtenir une aide en numéraire et la reconnaissance d’un droit d’expression sous la forme d’une consultation sur les activités qui leur sont proposées.
La commission des lois a, en outre, très strictement encadré les fouilles, en rappelant, en particulier, que le recours aux fouilles intégrales n’est possible que si les autres moyens d’investigation, moins attentatoires à la dignité de la personne, notamment par voie de contrôles électroniques, s’avèrent insuffisants.
Quant aux investigations corporelles internes – qu’en termes galants ces choses-là sont dites, mes chers collègues ! –, elles seront désormais proscrites, sauf impératif spécialement motivé, et elles ne pourront alors être réalisées que par un médecin requis à cet effet et qui, si l’amendement présenté par M. About, au nom de la commission des affaires sociales, est adopté, ne participera pas aux soins en milieu carcéral.
La commission des lois a également renforcé les garanties reconnues aux détenus menacés de sanctions disciplinaires en prévoyant la présence d’une personne extérieure à l’administration pénitentiaire au sein de la commission de discipline et en ramenant la durée maximale de placement en cellule disciplinaire en cas de violence contre les personnes à trente jours, contre quarante-cinq aujourd’hui.
Elle a étendu à tous les détenus le bilan d’évaluation prévu au début de l’incarcération et réservé dans le projet de loi aux seuls condamnés, afin de donner les meilleures chances au temps de la détention d’être un temps utile.
Elle a encore prévu une évaluation de chaque établissement pour peines au regard de ses résultats en matière de récidive, afin que soit mieux mesuré l’impact des conditions de détention sur les chances de réinsertion.
Mais nous aurons l’occasion, au fil de la discussion des articles, d’évoquer les cent sept amendements qui, sur l’initiative des membres de la commission des lois et de moi-même, ont modifié de nombreuses dispositions du projet de loi.
Avec le texte qui vous est proposé, mes chers collègues, c’est le Parlement qui reprend la main sur l’organisation et le régime intérieur des établissements pénitentiaires, alors que le droit de la prison relève pour l’essentiel aujourd’hui de mesures réglementaires, voire de circulaires.
Chacun s’accorde enfin à reconnaître que, puisque l’article 34 de la Constitution réserve à la loi la fixation des règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l’exercice des libertés publiques, c’est au législateur qu’il appartient éventuellement de limiter les droits et garanties du détenu autres que sa liberté d’aller et venir. Ne nous y trompons pas : ce changement est considérable et l’on s’en rendra compte rapidement !
Je terminerai en insistant sur l’importance toute particulière que le Sénat se doit d’accorder à cette réforme. La Haute Assemblée s’est toujours totalement impliquée dans les combats pour les libertés individuelles et publiques et pour la dignité humaine : nous sommes donc au cœur de la spécificité de notre message.
Le président du Sénat, M. Gérard Larcher, a visité mardi dernier, à mes côtés, la prison de Lille-Loos avant d’animer une table ronde des personnels pénitentiaires, médicaux, éducatifs et des associations œuvrant en milieu carcéral. Je tiens à le remercier de ce geste symbolique, qui montre bien que, près de dix ans après le rapport Hyest-Cabanel « Prisons : une humiliation pour la République », le Sénat livre le même combat et entend bien cette fois le gagner.
Cette ambition impose aussi que les Français s’approprient les prisons de la République. Pour cela, il convient de repousser la tentation du secret et de l’opacité pour les exigences de la transparence.
Je suis convaincu que la presse doit pouvoir entrer dans les prisons pour y faire son métier d’information. Elle ne relatera que ce qu’elle verra. Dans le pire des cas, ses reportages seront un aiguillon pour remédier plus vite aux problèmes du quotidien ; dans le meilleur des cas, elle rapportera des confidences telles que celle que m’avait faite un jeune détenu dans un établissement pénitentiaire pour mineurs : « Quand je suis entré ici, je venais d’un quartier mineurs où la prison était un temps mort. En quelques mois, j’ai appris à lire et à écrire. »
Enfin, je cite M. Robert Badinter : « Rien n’est possible, lorsque l’on parle de transformation du monde pénitentiaire, si l’on ne fait pas fonctionner de concert la condition des détenus et celle des personnels qui œuvrent dans les prisons ». Cette exigence, nous l’avons bien à l’esprit, et je tiens à souligner le dévouement et le professionnalisme des personnels pénitentiaires dans le contexte difficile que nous traversons.
Notre collègue député M. Christophe Caresche écrivait en 2006, sans doute en référence à la citation de Camus que je rappelais tout à l’heure : « Si l’on juge une démocratie au sort réservé à ses prisonniers, alors nous sommes probablement plus près de la barbarie que de la civilisation ».
Même si je ne partage pas l’extrême sévérité de ce jugement, ce qui seul m’importe, c’est que, demain, ces propos n’intéressent plus que les historiens, tant ils seront étrangers à nos prisons du XXIe siècle.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mes chers collègues, ne laissons pas passer la chance de faire en sorte que notre République n’ait plus jamais à avoir honte de ses prisons ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur celles du groupe socialiste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, rapporteur pour avis. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous venons de l’apprendre, non sans surprise : il faut jusqu’à cent vingt jours pour détecter un cas de tuberculose à la maison d’arrêt de Villepinte. Or il suffirait d’une nouvelle convention avec l’hôpital de rattachement pour ramener ce délai à trente jours. Cet exemple s’ajoute à ceux qui nous font déplorer trop souvent la situation médiocre de la santé en prison et les difficultés liées à l’organisation des soins dans ce milieu par nature confiné.
À Villepinte comme à Moulins, c’est à une maladie venue d’un autre âge et à des peurs de contagion que l’on pensait presque disparues que nous nous trouvons aujourd’hui confrontés. La prison joue ici le rôle de révélateur de l’état de santé d’une partie de la population, au-delà même de celle qui se trouve incarcérée.
En effet, si la prison concentre les difficultés de santé, c’est d’abord parce qu’elle concentre les difficultés sociales et aussi parce qu’elle suscite elle-même des troubles sanitaires. Je pense évidemment aux suicides, dont le nombre, qui avait plutôt tendance à diminuer ces dernières années, remonte depuis 2008, et singulièrement pendant les quinze premiers jours du mois de janvier dernier, ce qui constitue un signal fort du mal-être des détenus.
On sait aussi que les désordres psychologiques et mentaux sont fréquents en milieu carcéral, puisque, selon les études, ils toucheraient, pour les formes les plus graves, au moins 10 % des personnes emprisonnées et, pour l’ensemble des troubles mentaux, jusqu’à 60 % des détenus.
Cet état de fait paraît d’autant plus choquant qu’il est la preuve d’un double échec : échec de la santé publique en matière de soins psychiatriques et d’attention portée à des populations socialement fragiles ; échec des soins en prison, qui ne parviennent pas à prévenir, prendre en charge ou guérir les souffrances physiques et mentales auxquelles ils s’adressent.
Vous nous soumettez, madame le garde des sceaux, un projet de loi longtemps attendu, qui doit poser les nouveaux principes de notre organisation pénitentiaire. Il ne peut donc faire abstraction de la question de la santé en prison. Peu de dispositions, dans le texte d’origine, avaient trait à cette dernière.
La commission des affaires sociales se devait d’examiner vos propositions et de les compléter si besoin.
Permettez-moi de m’étonner quelque peu de ce que nous devions travailler dans l’urgence, alors que, la semaine prochaine, le docteur Louis Albrand doit vous remettre son rapport sur la prévention des suicides en milieu carcéral.
Durant la phase de préparation de notre travail, j’ai visité plusieurs établissements pénitentiaires afin d’y recueillir le point de vue des médecins, des directeurs ainsi que de quelques prisonniers – je n’ai pas fait l’énorme travail de notre rapporteur – avec lesquels j’ai pu m’entretenir.
J’ai parlé tout à l’heure d’un échec des soins en prison : que ce soit bien clair, cet échec ne tient pas aux personnels soignants dont j’ai constaté le dévouement, parfois jusqu’au bout de leur capacité à endurer. Malgré les incompréhensions et les conflits qui peuvent survenir, cet échec n’est pas non plus le fait des personnels pénitentiaires qui se trouvent démunis face à la maladie et se tournent vers les médecins. Le problème, c’est évidemment la prison elle-même.
Cela étant, les insuffisances de la situation actuelle ne doivent pas nous le faire oublier, d’énormes progrès ont été accomplis. Un tournant a été pris, il y a quinze ans, avec la loi du 18 janvier 1994. À partir de cette date, ce n’est plus l’administration pénitentiaire qui a eu la charge de la santé des détenus mais l’hôpital public.
Et ce fut là un changement radical des choses car la logique antérieure relevait trop souvent de la suspicion envers les condamnés. Elle justifiait presque l’octroi de soins a minima et s’accompagnait parfois d’une obligation à la rédemption non exempte d’effets pervers. Rappelons-nous les collectes de sang en prison pour favoriser la « réinsertion » des détenus et les drames de la contamination qu’elles ont causés.
Depuis 1994 donc, le détenu est considéré comme un patient à part entière, titulaire de droits et notamment le droit d’accéder à un niveau de soins égal à celui dont dispose le reste de la population.
Le problème est de faire en sorte que, désormais, la réalité corresponde aux principes.
Or, quelle est la situation actuelle ?
Depuis 1994, chacun des 194 établissements pénitentiaires est doté d’une unité de consultations et de soins ambulatoires, ou UCSA, chargée de dispenser les soins courants, le plus souvent les soins dentaires, et d’assurer la visite régulière d’un certain nombre de spécialistes, par exemple des gynécologues dans les prisons pour femmes.
La plupart des UCSA disposent également d’un psychiatre à moins qu’il n’y ait dans l’établissement un service médico-psychologique régional, le SMPR, qui regroupe psychiatres, psychologues et infirmiers spécialisés.
L’installation de chaque UCSA et de chaque SMPR fait l’objet d’une convention entre l’établissement carcéral et un hôpital de rattachement qui met à disposition les personnels et les moyens matériels. En fait, la plupart du temps, les conventions sont signées avec deux établissements hospitaliers car peu d’hôpitaux disposent à la fois de services somatiques et de services psychiatriques.
Ce doublement des rattachements est cause de difficultés matérielles qui s’ajoutent à la difficulté qu’on rencontre, parfois, pour instaurer un dialogue entre les médecins psychiatres et les somaticiens. Ainsi, même lorsque l’UCSA et le SMPR sont connectés par exemple à internet, ce qui est rare, et qu’ils sont connectés entre eux, ce qui est encore plus rare, ils ne peuvent pas partager le même dossier médical car les systèmes informatiques des hôpitaux de rattachement sont le plus souvent incompatibles.
Au sein même de leur hôpital de rattachement, les unités de soins en prison sont confrontées à un certain nombre de difficultés. Leur financement dépend de la tarification à l’activité, ou T2A, pour les soins somatiques. Or la T2A ne peut couvrir correctement l’ensemble des besoins, si bien qu’elle est complétée par une dotation, l’enveloppe financière allouée aux MIGAC, les missions d’intérêt général et à l’aide à la contractualisation.
Dès lors, la tentation existe pour les hôpitaux soit de négliger les unités carcérales dans les négociations annuelles avec l’ARH, l’agence régionale d’hospitalisation, et donc de sous-estimer les besoins en personnels et équipements, soit d’utiliser les sommes destinées aux soins en prison pour assurer le fonctionnement général de l’hôpital.
Malgré les contrôles effectués par les ARH, il existe, de nombreux médecins me l’ont affirmé, des affectations fictives en prison, les personnels exerçant en réalité l’intégralité de leur service à l’hôpital.
Les personnels soignants qui assurent un service en prison le font par conviction. Certes il existe des primes, certes des personnels féminins peuvent y trouver des horaires permettant une meilleure conciliation de leur vie professionnelle et de leur vie familiale, mais cela n’est pas la motivation première.
On ne se confronte aux contraintes du monde carcéral – difficultés pratiques d’accès, négociations permanentes avec l’administration pénitentiaire, violence, essentiellement verbale mais souvent répétée, des prisonniers – que si l’on est pénétré du sentiment d’avoir une mission de service public à accomplir.
Il existe très peu de postes de médecin à plein temps en prison et peu de perspectives de progression de carrière, ce qui ne facilite pas les vocations.
Cela étant, il est, selon moi, justifié que les soignants continuent d’exercer partiellement à l’hôpital, car la médecine pratiquée en prison est répétitive et déqualifiante. Il en résulte, d’ailleurs, que ces médecins et ces infirmiers ne trouvent pas facilement à se « recaser » au sein d’un service qui les intéresse, malgré la priorité de reclassement dont ils bénéficient en principe.
J’ai vu des médecins et des infirmières venir s’occuper de leurs patients tous les jours, sans interruption ni vacances, jusqu’à l’extrême limite de leurs forces, parfois même jusqu’aux larmes. Leur épuisement physique et moral risque dès lors de se refléter tant sur la qualité des soins dispensés que sur leur propre santé.
C’est, me direz-vous, une situation qui se rencontre partout à l’hôpital, à peine aggravée par le caractère clos du milieu carcéral. J’y vois pourtant une différence essentielle.
Les unités de soins en prison ne sont pas faites pour prodiguer des soins lourds. Elles dispensent, comme le nom des UCSA l’indique, des soins ambulatoires. Seuls les SMPR disposent de quelques lits. Or, la difficulté des soins en prison tient essentiellement à la faiblesse de la prise en charge par les hôpitaux.
J’ai rencontré un homme qui m’a dit être depuis huit ans dans une cellule d’un SMPR. Huit années ! Cette situation n’est pas admissible ! En effet, cela signifie que la lourdeur de la pathologie de cet homme n’était en réalité pas compatible avec une incarcération ordinaire. Selon moi, il n’aurait jamais dû se retrouver en prison ; il aurait dû être soigné dans un établissement spécialisé.
J’ai vu aussi une personne de plus de 84 ans dans une position fœtale depuis des mois et des mois, cloîtrée dans une de ces prisons. On se demande ce que l’on attendait pour la faire sortir de cet établissement ? La réponse m’a été apportée : on ne sait pas où la mettre, ailleurs !
Les moyens qu’exige l’état de ces personnes sont trop précieux en prison pour être mobilisés aussi longtemps au bénéfice d’une seule personne et de façon totalement inappropriée.
Même pour une simple consultation, on ne parvient que très difficilement à faire sortir un malade de prison. Les chambres sécurisées, permettant son accueil à l’hôpital, n’ont été que rarement et tardivement installées. J’en comprends les difficultés techniques, mais je n’exclus pas que la présence de prisonniers dans les services ne soit pas non plus très bien vue des personnels et qu’il n’y ait guère d’empressement à les accueillir. On s’occupe donc des prisonniers avec le souci de les faire retourner en prison le plus rapidement possible.
En milieu psychiatrique, cela se traduit par l’usage parfois abusif des cellules d’isolement, qui fait que – et c’est là un intolérable paradoxe – les malades préfèrent eux-mêmes revenir au plus vite en prison où, disent-ils, les conditions de soins sont moins dures.
Puisque l’on considère qu’on ne peut soigner durablement les prisonniers à l’hôpital, des unités intermédiaires sont actuellement en cours de mise en place : les unités hospitalières sécurisées interrégionales, les UHSI, pour les soins somatiques, et les unités d’hospitalisation spécialement aménagées, les UHSA, pour les soins psychiatriques. Coûteuses, ces structures n’ont pas encore fait leurs preuves en termes de soins. Il faudra en dresser le bilan.
Dès aujourd’hui pourtant, nous devons nous assurer que les unités en prison sont en mesure de fonctionner convenablement. Et cela passe nécessairement par une clarification des rôles : il faut réaffirmer que les médecins et les personnels soignants en prison sont là pour soigner des malades et non pour effectuer des missions de sécurité, comme les fouilles des cavités corporelles.
Il faut également garantir que le prisonnier malade bénéficie des mêmes droits que n’importe quel patient. Ces droits ont été consacrés en 1994 mais ils font l’objet d’entorses fréquentes, et tout particulièrement en ce qui concerne le respect du secret médical, en prison ou lors des consultations à l’hôpital.
Il faut aussi que les moyens matériels modernes dont sont dotés les hôpitaux soient mis à disposition de ces unités qui travaillent dans des conditions et pour une population particulièrement difficiles. Les prisonniers, on l’a vu, concentrent les difficultés sociales et sanitaires.
Je suis pour ma part favorable à l’institution d’un dossier médical électronique commun aux soins psychiatriques et somatiques. Celui-ci pourrait s’inscrire dans le cadre plus général du développement de la télémédecine qui permettrait de réduire les coûts de certaines consultations, faciliterait l’interprétation des analyses et l’accès à certains spécialistes, en évitant parfois le transfert des détenus dont on sait le coût et la difficulté d’organisation.
Je suis également très partisan du recours aux nouvelles technologies plutôt qu’aux fouilles corporelles, tant par palpation qu’avec intrusion. On l’a vu à Moulins, mais ce n’est pas un cas isolé : tout rentre en prison ! Les fouilles au corps ne servent donc pas à grand-chose, sauf à prendre parfois une autre signification, celle de l’humiliation délibérée des détenus.
Partout où cela est possible, il faut donc rapidement que des scanners, comme il en existe déjà dans les aéroports américains par exemple, puissent remplacer les fouilles au corps. Rien ne peut justifier, à mon sens, que l’on mélange médecine et sécurité.
Enfin, le problème de la santé en prison dépasse le cadre de la stricte organisation des soins pour rejoindre celui des conditions de détention. De ce point de vue, il n’existe aucune différence réelle entre les établissements anciens et les établissements plus récents : en moyenne, la population carcérale dépasse, dans les maisons d’arrêt, 130 % des capacités initiales, pour atteindre même, dans certaines, 180 %, voire 300 %.
Cette surpopulation conduit, dans certains cas, à faire cohabiter trois détenus ou plus dans une cellule de neuf mètres carrés avec une toilette ouverte au centre de la pièce. Les draps, y compris dans les SMPR, ne sont changés qu’une fois par mois – plus exactement, tous les quinze jours, on change alternativement le drap du dessus ou celui du dessous. Les détenus, trop nombreux, ne peuvent prendre une douche que trois fois par semaine.
Lutter contre la surpopulation carcérale est aussi une priorité sanitaire.
L’accès à la santé ne doit d’ailleurs pas s’arrêter à la porte de la prison. Pour de nombreux détenus, la visite, théoriquement facultative, chez le médecin et le psychiatre le jour de l’arrivée en prison – qui peut se limiter ce jour-là au mieux à un entretien avec le personnel infirmier, voire à rien du tout – est leur premier contact avec le monde de la santé.
Selon les cas, des traitements sont alors engagés, certains lourds et nécessitant un suivi à long terme : maladies chroniques, prothèses, soins dentaires, méthadone. Mais ils s’interrompent brutalement à la libération du prisonnier, surtout si elle est anticipée.
Si l’on prétend réinsérer, il faut soigner non seulement pendant l’incarcération mais aussi continuer après : il faut accompagner la personne et pas seulement le détenu.
Telles sont les considérations qui ont conduit la commission des affaires sociales à proposer plusieurs amendements au projet de loi pénitentiaire.
Ils ont essentiellement pour objet de compléter le projet de loi dans quatre directions : améliorer l’organisation des soins ; clarifier les missions des personnels soignants ; promouvoir l’emploi des techniques les plus modernes pour soigner et, si la nécessité s’en impose absolument, pour surveiller les détenus ; et surtout, renforcer les conditions d’hygiène en prison.
Bien sûr, dès la communication du rapport du docteur Albrand, nous nous réservons le droit de défendre de nouvelles propositions pour prévenir les suicides.
Enfin, notre dernier souci, et il n’est pas le moindre, a été de préparer, autant qu’il est possible, la réinsertion du détenu, grâce au maintien des liens familiaux, à l’accès à la formation et à la poursuite des traitements médicaux après la prison.
Vous l’aurez compris, nous soutiendrons ardemment nos amendements et nous comprendrions mal qu’on nous oppose, à l’occasion, un argument tiré de leur hypothétique valeur réglementaire.
En réalité, j’ai tendance à penser, comme beaucoup, que la plus grande partie du texte qui nous est proposé est essentiellement de niveau réglementaire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !
M. Nicolas About, rapporteur pour avis. Cet argument ne saurait valoir que pour les amendements de la commission des affaires sociales !
Sous réserve de l’adoption de ses propositions, notre commission s’est déclarée favorable à ce projet de loi pénitentiaire, certes très attendu, mais qui demeure perfectible dans sa forme, pourtant améliorée par la commission des lois et le travail remarquable de notre rapporteur Jean-René Lecerf. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)