M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Oui ! En conseil des ministres !
M. Jean-Pierre Sueur. Sauf que le conseil des ministres est présidé par le Président de la République et que c’est ce dernier qui signe le décret de nomination !
Ensuite, le Président de la République a expliqué que le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le CSA, s’exprimerait, puis que les parlementaires membres des commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat devraient donner leur accord à la majorité des trois cinquièmes.
Or, mes chers collègues, vous savez toutes et tous que c’est faux ! En vertu du dispositif qui a été adopté, la majorité des trois cinquièmes est requise pour s’opposer à la nomination souhaitée par le Président de la République, ce qui est totalement différent.
Devant mon poste de télévision, j’espérais que M. David Pujadas, journaliste sur une chaîne publique, ferait au moins une remarque !
Mme Odette Terrade. Que nenni !
M. Jean-Pierre Sueur. Il n’a rien dit !
Lorsque le Président de la République s’exprime et dit que la loi est comme cela, personne ne répond, même si c’est faux ! Et la parole présidentielle se propage ainsi…
Pour ma part, je pense que c’est une caricature de démocratie. Il y a beaucoup de pays démocratiques où l’on ne verrait pas de telles pratiques.
Il en est de même quand le Président de la République parle de la TVA : cela crée un problème, mais cela ne fait rien, car le lendemain, il parlera du secteur automobile, en espérant que l’on arrêtera d’évoquer la TVA. Sauf que justement, on continuera à en débattre… Qu’à cela ne tienne, le surlendemain, il se rendra en Irak.
J’ignore ce qu’il dira ou fera demain, mais peu importe : la méthode est celle du déséquilibre systématique, la polémique de la veille étant éteinte par la nouvelle polémique du jour, et c’est cela qui pose problème.
Monsieur le secrétaire d’État, au lieu de passer nos jours et nos nuits à nous interroger sur le temps de parole des parlementaires, nous serions, me semble-t-il, mieux inspirés de réfléchir un peu à la disproportion qui existe aujourd'hui entre la parole de l’exécutif et la parole du législatif. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
M. François-Noël Buffet. Tout cela n’a aucun rapport avec le sujet d’aujourd'hui ! C’est du verbiage !
M. Jean-Pierre Sueur. J’en viens à mon autre argument. (M. le secrétaire d’État s’exclame.) Vous savez, monsieur le secrétaire d’État, le Parlement, cela sert à argumenter. Rassurez-vous, ce sera mon second et donc mon dernier argument !
Monsieur le secrétaire d’État, depuis le début du débat, nous vous avons toujours posé la même question, et toujours en vain. Il serait bon, à ce stade, que vous nous apportiez une réponse, faute de quoi il y aurait là, à mon sens, un argument supplémentaire très fort en faveur de l’adoption de la question préalable.
En plus, cela raccourcirait les débats, conformément sans doute au souhait de tous ceux de nos collègues qui ne sont ici présents ce soir que pour que la majorité ait la majorité ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Nous voulons savoir comment vous pouvez justifier le fait de limiter la possibilité pour les parlementaires de présenter des amendements, de les défendre, d’expliquer leur vote et d’entendre l’avis de la commission et du Gouvernement, possibilité qui, de notre point de vue, est consubstantielle, pour reprendre les termes du président Gérard Larcher, à l’activité parlementaire.
Il ne faut pas installer de limitations de temps artificielles, dont chacun voit qu’elles sont en contradiction avec le droit de déposer des amendements, de les défendre, d’en débattre et de les voter.
Tout le monde ici, je crois, comprend qu’il y a une contradiction. D’un côté, chaque parlementaire a le droit de déposer des amendements, d’en discuter et d’expliquer son vote. De l’autre, les articles 13, 13 bis et 13 ter fixent un contingent et chaque parlementaire devra entrer dans ce contingent. Cela ne marche pas, vous le savez tous, d’ailleurs ! Et, comme tout le monde voit cette contradiction, il y a évidemment un malaise.
Si nous voulons un débat au fond, il faut réécrire cet article 13. Or M. le rapporteur a déclaré d’emblée qu’il n’était pas question d’y toucher. Pourquoi ? Parce qu’il ne faut pas qu’il y ait un deuxième débat, après celui de l’Assemblée nationale, sur les articles 13, 13 bis, 13 ter, qui doivent rester en l’état. C’est véritablement inacceptable.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En quoi est-ce inacceptable ? Nous sommes libres de faire ce que nous voulons !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une question de démocratie, monsieur le rapporteur ! Nous ne pouvons accepter que certains prétendent défendre le droit d’amendement tout en l’enfermant dans des contingents n’ayant aucune raison d’être.
Pour nous, la situation est claire : nous porterons le débat au fond sur ces différents articles. Et, tant que vous n’aurez pas apporté de réponse à notre question, nous le dirons ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour explication de vote.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vais peut-être vous surprendre un peu.
Bien entendu, je ne voterai pas la motion tendant à opposer la question préalable.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cela ne nous surprend pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous le savions déjà !
M. Pierre Fauchon. Je souhaite en effet que nous puissions discuter des différents articles. Or, si cette motion était adoptée, nous n’aurions pas ce bonheur. Un tel débat m’intéresse et je ne souhaite pas en être privé. C’est pourquoi je ne voterai pas cette motion.
Pour autant, je ne dis pas que ce texte ne pose pas de problème ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe CRC-SPG.) En l’occurrence, je pense qu’il soulève effectivement des difficultés. Notre ami Jean-Pierre Sueur vient d’en souligner une avec son talent habituel ; ce qu’il dit est toujours très intéressant.
Je ne vous le cache pas, monsieur le secrétaire d’État, je suis embarrassé. J’aimerais vous interroger sur la disposition selon laquelle les règlements des assemblées peuvent instituer une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance.
Dans un premier temps, je pensais que, une fois le délai global arrivé à expiration, les amendements déposés par les membres du Parlement pourraient être mis aux voix sans discussion. En d’autres termes, je pensais qu’ils pourraient être présentés, à défaut d’être discutés. Mais, à la lecture du rapport déposé par notre excellent collègue Jean-Jacques Hyest, je me suis aperçu que ces amendements ne seraient même pas présentés.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est le silence !
M. Pierre Fauchon. C'est comme s’ils n’existaient pas !
Dès lors, je ne pense pas que le problème principal soit celui du temps et je ne comprends pas pourquoi, chers amis, vous vous fixez sur cette question et y revenez en permanence.
Certes, il peut être raisonnable de réduire la durée des débats. Dans nos réunions de groupe, lorsqu’un orateur s’exprime trop longuement le président de groupe l’incite à abréger. Il vaut mieux éviter de passer des jours et des nuits sur le même texte.
Non, le temps n’est pas le problème principal. Le problème principal tient au fait que des amendements vont « passer à la trappe » parce qu’un délai fixé a priori sera arrivé à expiration. Tant mieux pour les amendements qui auront déjà été présentés, tant pis pour les autres !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous risquez d’en être victime vous-même, monsieur Fauchon !
M. Pierre Fauchon. À mon sens, il y a là un véritable problème.
Certes, il existe le vote bloqué. Dans ce cas, on procède à un vote d’ensemble. Mais attention ! Conformément à une décision du Conseil constitutionnel, lorsque le Gouvernement décide de recourir à cette procédure, l’ensemble des amendements sont tout de même présentés, examinés et discutés, même s’il n’y a qu’un seul vote sur l’ensemble.
Par conséquent, je pense que nous sommes confrontés à une véritable difficulté et je souhaite que nous y réfléchissions. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 25, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je consulte le Sénat par scrutin public.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 111 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 137 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Bonnefoy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°46, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 183, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteur de la motion.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en application de l’article 44 du règlement du Sénat, j’ai l’honneur de défendre, au nom du groupe socialiste, une motion tendant au renvoi à la commission de ce projet de loi organique.
Mes chers collègues, malgré les explications apportées par M. le secrétaire d'État, je vais m’efforcer de vous convaincre que ce texte, mal ficelé, est dangereux et va dans le sens d’un Parlement et d’une opposition muselés.
Nous souhaitons tous un rééquilibrage de nos institutions et le renforcement des pouvoirs du Parlement pour que ce dernier redevienne influent, en remplissant le mieux possible ses missions naturelles que sont le contrôle du Gouvernement, l’amélioration de la loi et l’organisation du débat public.
La Constitution, révisée en juillet dernier, n’est pas une loi comme les autres. Elle n’appartient ni à la droite ni à la gauche. Elle appartient à chacun d’entre nous. Elle est notre loi fondamentale et régit, au-delà des partis et des alternances, le fonctionnement de notre République.
En conséquence, toute révision devrait se faire en réelle concertation avec l’opposition pour obtenir un texte consensuel. Tel n’a pas été le cas, chacun s’en souvient.
On ne peut pas dire non plus, au travers de la première lecture de ce projet de loi organique à l’Assemblée nationale, que cette concertation ait eu lieu. Il suffit de voir avec quel mépris et quelle arrogance ont été traités nos collègues députés socialistes.
Au début de l’été dernier, dans tous les médias, le Gouvernement présentait le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République comme la réforme qui allait rééquilibrer nos institutions, en renforçant les pouvoirs du Parlement, notamment ceux de l’opposition.
Or, au travers du texte que nous examinons aujourd’hui, les Français vont pouvoir se rendre compte de la supercherie et ouvrir les yeux sur les intentions initiales du Gouvernement et de sa majorité.
Ils constateront que nous étions fondés, dès l’origine, à dénoncer votre réforme constitutionnelle et son objectif annoncé, mais trompeur, de donner plus de pouvoirs au Parlement.
En effet, quelles ont été, en définitive, les avancées en faveur du Parlement, hormis quelques mesures favorables pour l’essentiel au parti majoritaire et dont la portée reste mineure au regard de ce que devrait être une grande avancée démocratique en matière de droits du Parlement ?
Nous continuons donc d’affirmer – et ce projet de loi organique confirme notre avis – que, loin de revaloriser les droits du Parlement, cette réforme a encore accentué les déséquilibres institutionnels au profit du Président de la République, en lui offrant, dans notre loi fondamentale, la possibilité nouvelle de dicter ses projets directement au Parlement et en plaçant ce dernier de facto dans une situation de soumission institutionnelle.
Dans le prolongement des dispositions constitutionnelles adoptées en juillet dernier, et pour vous prouver les dangereuses dérives que le présent projet de loi organique tend à valider, j’aborderai succinctement les grandes mesures contenues dans les trois principaux chapitres.
Le chapitre Ier, qui regroupe les dispositions de caractère organique, précise les modalités d’application du nouvel article 34-1 de la Constitution aux termes duquel « les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique ».
Que va apporter aux parlementaires ce prétendu nouveau pouvoir ?
La possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolution honore la fonction tribunitienne qu’ont toujours exercée les assemblées représentatives dans les régimes démocratiques.
Néanmoins, les conditions de recevabilité de l’exercice de cette fonction figurant à l’article 1er sont telles que les chances de mise en débat des propositions de résolution présentées par les groupes d’opposition sont quasi inexistantes.
Ainsi, le Premier ministre dispose d’un droit de veto sur le sort des résolutions. De plus, il peut exercer cette prérogative de façon arbitraire, car aucune obligation de motivation de la décision du Gouvernement ne s’impose.
Autre exemple, si la proposition de résolution déposée par un parlementaire doit être transmise sans délai par les présidents de l’Assemblée nationale ou du Sénat au Premier ministre, ce dernier n’est tenu à aucun délai strict pour y répondre.
L’article 2 prévoyait initialement que le président de l’assemblée concernée renvoyait les propositions de résolution à l’une des commissions permanentes et qu’il les transmettait sans délai au Premier ministre.
L’Assemblée nationale a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement visant à supprimer cette disposition. Une telle suppression, en contradiction totale avec la volonté de revaloriser le travail des commissions, est inadmissible ! Comme chacun de nous peut en attester, les débats en commission sont destinés non pas à reproduire les discussions de la séance publique, mais à améliorer le texte de la proposition de résolution et à chercher des points d’accords avec tous les groupes.
Quant à l’article 3 de ce texte, nous nous interrogeons sur la portée réelle des résolutions qui seront adoptées, sachant que le Gouvernement ne sera entendu, en l’espèce, qu’à sa propre demande et, surtout, qu’il pourra s’opposer à tout moment à l’examen d’une proposition de résolution qui, à son avis, serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou contiendrait une injonction à son égard.
Autant dire que, concrètement, nous n’aurons à connaître et à débattre que des seules propositions de résolutions agréées par le Gouvernement, ou de celles que ce dernier juge assez inoffensives pour ne pas contrarier ses propres plans ou troubler l’opinion publique.
Est-ce là œuvrer dans le sens du renforcement des pouvoirs du Parlement et, singulièrement, des pouvoirs de l’opposition ? Il est permis d’en douter. Disons même qu’il faudrait être bien naïf pour le croire !
Toujours sur cet article 3, plusieurs points mériteraient d’être approfondis en commission : pourquoi existe-t-il une inégalité de traitement entre le Gouvernement et le Parlement, l’avis du Premier ministre n’étant enfermé dans aucun délai, contrairement à l’assemblée saisie ? Pourquoi le Premier ministre n’est-il pas obligé de motiver sa décision ? Pourquoi aucun recours n’est-il possible ?
Abordons maintenant le chapitre II de ce projet de loi organique, qui rassemble les mesures visant les nouvelles dispositions des troisième et quatrième alinéas de l’article 39 de la Constitution, c’est-à-dire les nouvelles règles régissant la présentation des projets de loi.
Accompagner le dépôt du projet de loi d’études d’impact dans le but de maîtriser l’inflation législative et d’améliorer le processus législatif est une intention tout à fait louable.
Toutefois, nous restons sceptiques quant à la réalisation des objectifs. Nombre de questions fondamentales restant en suspens mériteraient d’être étudiées plus attentivement en commission : ainsi, qui procèdera à ces évaluations ? Quelle sera leur indépendance ? Toutes les évaluations seront-elles possibles ?
L’inventaire des catégories de projets de loi pour lesquels le dépôt de documents d’évaluation n’est pas obligatoire a été amélioré par l’Assemblée nationale, mais nous ne voyons aucune raison d’exclure les projets de loi constitutionnelle.
Enfin, venons-en au chapitre III, le plus controversé de ce projet de loi, chapitre qui concerne les dispositions organiques relatives à l’application du premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, à savoir les modalités d’exercice du droit d’amendement.
Que dire de ce chapitre hormis le fait qu’il apporte la preuve incontestable de la volonté du Gouvernement de museler l’opposition ?
Le droit d’amendement, droit intrinsèque à la fonction parlementaire en France, est aujourd’hui la forme principale du droit d’initiative.
L’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, car il permet à l’opposition de présenter ses contre-propositions, sans que cela retarde le programme de travail de la majorité. C’est un droit individuel, qui reste, dans le principe, libre et illimité. Chaque sénateur peut l’exercer en son nom propre, en sa qualité de représentant de la nation. Il représente pour l’opposition le moyen d’informer et d’alerter l’opinion.
Ce droit est néanmoins encadré par des dispositions constitutionnelles et réglementaires inspirées du « parlementarisme rationalisé ». Les plus importantes d’entre elles portent sur la recevabilité financière et sur la recevabilité législative.
Le chapitre III du projet de loi organique regroupe les dispositions prises en vertu de l’article 44 de la Constitution. Ainsi, l’article 11 dispose : « Les amendements des membres du Parlement cessent d’être recevables après le début de l’examen du texte en séance ».
On retrouve dans les règlements des assemblées des dispositions fixant un délai limite et les conditions d’irrecevabilité ou les dérogations possibles des amendements.
Une dérogation à cette règle est prévue : les règlements des assemblées peuvent fixer une date antérieure à compter de laquelle les amendements ne sont plus recevables.
Le Gouvernement peut, quant à lui, déposer des amendements à tout moment, demander un nouveau vote sur un article si un amendement est adopté contre sa volonté.
Dans le même esprit, le Gouvernement peut s’opposer à la discussion des amendements qui n’ont pas été soumis à la commission saisie au fond.
Cette arme de procédure n’est généralement pas utilisée, mais, au total, elle témoigne du déséquilibre entre, d’une part, les droits consentis aux sénateurs, notamment à ceux de l’opposition, et, d’autre part, les droits dévolus au pouvoir exécutif.
Le problème, c’est que, au lieu de proposer de rééquilibrer les droits consentis aux parlementaires au travers de ce projet de loi organique, vous accentuez le déséquilibre avec les dispositions de l’article 11 et, de manière encore plus inadmissible, avec celles de l’article 13.
En effet, dorénavant, un amendement pourra être mis aux voix sans discussion, au nom du respect des délais préalablement fixés pour l’examen d’un texte.
Si la procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance publique est votée, les amendements déposés par les membres du Parlement pourront être mis aux voix sans discussion.
Avec le présent texte, la procédure du crédit temps va tarir le débat et transformera les assemblées en chambre d’enregistrement, puisque le débat sera verrouillé à l’avance. Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre son amendement et, lorsqu’un amendement appelé ne sera pas défendu, il n’aura aucune chance d’être adopté.
La liberté de discussion parlementaire est incompatible avec le concept de forfait temps.
Le temps du Président de la République, celui des annonces quotidiennes, ne peut être celui du Parlement, qui examine, contrôle, évalue, auditionne, amende.
Pour contrer les objections de l’opposition et pour justifier vos dispositions, vous agitez l’épouvantail de l’obstruction ! Selon les responsables de la majorité, les amendements déposés par la gauche seraient responsables de « la pagaille » qui sévirait au Parlement et « risquerait de bloquer le rythme des réformes » !
Si le Président de la République regrette que les parlementaires socialistes « déposent des amendements à la brouette », il devrait, pour sa part, renoncer à faire déposer à la vitesse supersonique des projets de loi mal rédigés et incomplets !
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : depuis la prise de fonction du gouvernement de François Fillon, plus de 70 textes de loi ont été votés, hors projets relatifs à des conventions internationales.
La comparaison de ces chiffres avec ceux qui ont été enregistrés au cours des deux précédentes législatures donne une idée du rythme effréné des textes soumis au Parlement : 52 textes par an de 1997 à 2002 et une moyenne de 47 entre 2002 et 2007. Où est donc l’obstruction qui nous est reprochée ?
En revanche, on est en droit de s’interroger sur cette frénésie législative, sur son efficacité, quand on sait qu’à peine 25 % des lois votées sont mises en œuvre !
Je crois personnellement, mes chers collègues, que, pour faire une loi bonne, juste et équilibrée, il faut du temps.
De plus, contrairement aux affirmations de la majorité, les parlementaires n’abusent pas de leur droit d’amendement. Depuis 1981, seuls 30 textes sur 1 518 adoptés ont enregistré plus de 1 000 amendements.
Enfin, en proposant le vote conforme des articles 13, 13 bis et 13 ter au motif « que si la détermination de délais pour l’examen des textes en séance ne devrait pas trouver d’application au Sénat, il n’appartenait cependant pas à celui-ci de priver l’Assemblée nationale, si elle le souhaite, de la possibilité de recourir éventuellement à ces dispositions dans le cadre des garanties fixées par la loi organique », la commission des lois pose un postulat, préjuge de l’avenir sans apporter aucune garantie et clôt définitivement la discussion.
La commission des lois a pris le parti de fermer le débat au fond sur les dispositions essentielles du présent projet de loi organique, qui portent gravement atteinte au droit constitutionnel d’amendement.
En faisant ce choix, la commission des lois n’a pas permis d’éclairer suffisamment le débat sur les conséquences de la création du « temps global » sur l’exercice du droit d’amendement.
Vous le voyez, les désaccords entre l’opposition et la majorité sont profonds et justifient un débat.
La commission des lois n’a pas été au bout de sa réflexion concernant plusieurs dispositions que je viens de détailler, comme vient d’ailleurs de le souligner notre collègue Pierre Fauchon.
Aussi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter la présente demande de renvoi à la commission des lois. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’intervention de Mme Nicole Bonnefoy contenait un certain nombre d’éléments critiques sur le projet de loi, et, à la fin, des arguments en vue du renvoi à la commission.
Je rappelle que j’ai procédé à l’audition de tous les présidents de groupe et de commission, auditions ouvertes à tous les membres de la commission des lois.
La commission, dans son ensemble, a auditionné, ce qui est rare, cinq éminents constitutionnalistes.
M. Bernard Frimat. Quatre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le cinquième n’était-il pas éminent ?
M. Bernard Frimat. Il n’est pas venu ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Madame Borvo Cohen-Seat, quatre constitutionnalistes, c’est déjà pas mal ! D’habitude, on sollicite toujours les deux mêmes. Là, en plus, nous avons renouvelé le cheptel (Sourires.), …
M. Jean-Pierre Sueur. Quelle audace ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … ou plutôt l’offre !
Enfin, dans le cadre d’une audition élargie à tous les sénateurs, nous avons entendu le 4 février dernier le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, M. Roger Karoutchi, qui nous a consacré plus de deux heures …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … et qui a répondu à l’ensemble des questions, sur tous les sujets.
La commission est donc complètement éclairée sur la question du « crédit-temps », d’autant que ce dispositif a longtemps été pratiqué par les députés, non seulement sous la Ve République, mais aussi sous la IIIe République et sous la IVe République.
Ma chère collègue, un nouvel examen en commission ne me semble pas de nature à modifier l’appréciation que l’on peut faire de ce dispositif.
À mon grand regret, j’émets donc un avis défavorable sur cette motion tendant au renvoi à la commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 46, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 112 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 322 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 162 |
Pour l’adoption | 138 |
Contre | 184 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la séance du jeudi 12 février 2009, à neuf heures trente.