M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Qu’il y ait des différents sur les demandes de suspension de séance, le débat de procédure ou la demande de quorum, soit ! Mais le droit d’amendement est au fondement même de l’exercice parlementaire. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est très clair !
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Monsieur le rapporteur, c’est gentil de nous rappeler que le projet de loi organique sera transmis au Conseil constitutionnel, mais cela n’avait pas échappé à notre vigilance. Nous savons aussi que le compte rendu intégral de nos débats sera lu par les membres du Conseil constitutionnel.
Mme Odette Terrade. Oh oui !
M. Bernard Frimat. Au reste, tout ce que nous dirons pendant ces quelques jours contribuera à mettre en évidence ce qui, dans ce texte, nous paraît soulever des problèmes de constitutionnalité.
J’ai rappelé dans la discussion générale que nous avions déjà eu une discussion similaire lors de l’examen du premier projet de loi organique présenté en toute fin d’année 2008. Or bien des dispositions sur lesquelles la commission et le Gouvernement nous avaient alors répondu « Circulez, il n’y a rien à voir ! » ont été censurées.
Le Conseil constitutionnel a également émis d’importantes réserves, ce qui rendra sans doute le découpage électoral un peu plus acceptable. Vous le voyez, monsieur Gélard, nous avons tout intérêt à débattre.
Pour l’instant, nous avons encore le droit de nous exprimer, et nous allons en user. J’interviens donc en vertu de notre actuel règlement, qui dispose qu’un représentant de chaque groupe peut expliquer son vote sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Un autre de mes collègues s’exprimera sur la motion tendant à opposer la question préalable. Las, le règlement nous rendra muets sur la motion tendant au renvoi à la commission.
J’en viens aux problèmes d’ordre constitutionnel.
Je ne reprendrai pas la démonstration de Josiane Mathon-Poinat, qui a pourtant ouvert un certain nombre de pistes. Pour ma part, je veux souligner que nous sommes tous d’accord pour reconnaître que le droit d’amendement est individuel. Telles sont en tout cas les dispositions de l’article 44 de la Constitution, qui est supérieur à la loi organique, selon la hiérarchie des normes.
Dans une assemblée parlementaire, appartenir à un groupe n’est pas obligatoire. Le fait qu’un parlementaire siège parmi les non-inscrits ne diminue donc en rien son droit de déposer des amendements. Mais de quel temps de parole disposera-t-il ?
Ce n’est pas le souffreteux article 13 ter, …
M. Bernard Frimat. … selon lequel il pourra exprimer son point de vue à l’issue du vote du dernier article du texte, qui réglera la question. Non, vraiment, c’est une plaisanterie !
Un parlementaire a le droit de présenter ses amendements. Comment peut-on l’enfermer dans un délai imparti ? À moins que cela ne signifie bien plutôt que le nombre d’amendements sera de facto limité ? Car, mes chers collègues, la simple mathématique vous oblige à conclure avec moi que, si l’on accorde « très généreusement » un quart d’heure à un sénateur non-inscrit, certes on ne limite pas formellement le nombre d’amendements qu’il peut déposer, mais on limite d’autant le temps dont il disposera pour défendre chacun de ceux qu’il aura déposés. Où est alors le respect de ce volet fondamental de la Constitution ?
Ce sénateur non-inscrit pourra donc déposer autant d’amendements qu’il le souhaitera. C’est son droit, dites-vous. Certes, et quel droit… Concrètement, en effet, il pourra en défendre quelques-uns, puis s’ensuivra un silence sépulcral, ou au contraire une forte agitation - pour ma part, je penche plutôt pour la deuxième hypothèse - et les autres amendements, certes tous déposés, monsieur le rapporteur, seront bons à mettre dans le formol !
Nous ne sommes pas une assemblée de clones ou de robots, nous avons des neurones et nous n’avons pas renoncé à penser, à comprendre, à convaincre et à être convaincus.
Nous avons tout de même le droit de penser que les positions que les uns et les autres adoptent ne leur sont pas dictées et que la force de conviction tient un rôle dans une assemblée.
Je pourrais citer de nombreux exemples de discussions dans lesquelles, bien que nous divergions au départ, nous sommes arrivés à convaincre ou à être convaincus à force de débattre. Eh bien, cela va être facile, quand nous n’aurons plus la possibilité de nous exprimer !
Voilà pourquoi l’article 13 du projet de loi organique est, pour nous, la négation de l’article 44 de la Constitution.
Ce n’est pas grave, car nous n’allons pas nous en servir, dites-vous. C’est un peu comme si quelqu’un vous braquait un fusil sur le ventre en vous disant : « N’ayez pas peur, il est chargé à blanc » !
Je n’insisterai pas davantage aujourd’hui, nous aurons ce débat mardi prochain. Mais est-ce respecter le droit d’amendement individuel que d’empêcher un parlementaire de défendre autant d’amendements qu’il le veut et donc d’en déposer autant qu’il le veut ? Pour nous, la réponse est non !
Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel tranchera et nous lirons sa décision avec grand intérêt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 45, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je consulte le Sénat par scrutin public.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 110 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 149 |
Contre | 188 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 25.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 183, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, auteur de la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme constitutionnelle adoptée d’une très courte tête …
M. Jean-Pierre Bel. Laquelle ?
Mme Éliane Assassi. … par le Congrès du Parlement au mois de juillet 2008 …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. À la majorité des trois cinquièmes, tout de même !
Mme Éliane Assassi. … exige pour son application l’adoption de nombreuses lois organiques.
L’ordre dans lequel sont présentés au Parlement les projets de loi organique en question est loin d’être anodin.
Ainsi, ce n’est pas un hasard si le premier d’entre eux a été celui portant application de l’article 25 de la Constitution, car il concernait le retour des ministres au Parlement en cas de remaniement ministériel…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est important !
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas non plus un hasard si le deuxième texte qui nous est présenté est celui qui met en cause, et de manière radicale, le droit d’expression des parlementaires, en particulier le droit d’amendement, par le biais de l’article 13.
Enfin, ce n’est toujours pas un hasard si, sur les trois dispositions qui nous sont présentées aujourd’hui, la première à entrer en vigueur est celle qui concerne la réduction du droit d’amendement en séance publique.
Vous l’aurez noté, mes chers collègues, les quelques modifications qui auraient été susceptibles de revaloriser un tant soit peu le rôle du Parlement – je pense, par exemple, au référendum d’initiative partagée – devront attendre encore un peu…
Il est également singulier que le Gouvernement ait déposé le présent texte, qui concerne l’organisation des travaux du Parlement, sans attendre les conclusions des groupes de travail mis en place à l’Assemblée nationale et au Sénat pour réfléchir précisément à la réécriture du règlement de chacune des deux assemblées.
Dans ces conditions, il est difficile de croire que vous voulez vraiment renforcer le rôle du Parlement. Quel manque de respect et de considération de la part de l’exécutif pour les parlementaires que nous sommes !
Les trois dispositions concernées par le présent texte sont censées restaurer les droits du Parlement et brider l’exécutif. Or c’est précisément l’inverse qui va se produire. Car, sous couvert de deux innovations, à savoir la nouvelle procédure des résolutions parlementaires et des études d’impact – elles restent toutefois de portée très mineure et ressemblent plus à des alibis pour mieux faire passer la troisième mesure –, vous vous attaquez frontalement au droit d’amendement des parlementaires pourtant « imprescriptible », selon l’expression du président du Sénat.
Je m’explique.
En premier lieu, concernant l’article 34-1 de la Constitution, si la possibilité offerte aux parlementaires de débattre de propositions de résolution peut apparaître de prime abord comme une avancée, à y regarder de plus près, on s’aperçoit vite qu’il s’agit d’un droit formel, singulièrement pour l’opposition. En effet, les conditions de mise en œuvre de cette nouveauté sont telles que l’on peut s’interroger sur la portée qu’auront réellement les résolutions adoptées.
Le Gouvernement ne sera entendu qu’à sa propre demande et, s’il estime que ladite résolution met en cause sa responsabilité ou contient une injonction à son égard, il pourra s’y opposer. Le poids du pouvoir exécutif est, convenez-en, quelque peu excessif.
En pratique donc, le Parlement ne débattra que des propositions de résolution acceptées par le Gouvernement, c’est-à-dire les plus inoffensives, celles qui ne contrarieront pas les projets gouvernementaux. Ces résolutions ne seront alors que de simples vœux.
On le voit, avec cette disposition, il n’y a aucune revalorisation du rôle du Parlement.
Quant à l’opposition, elle est a priori complètement écartée de ce dispositif. En l’occurrence, la démocratie n’a rien à gagner.
En second lieu, s’agissant de l’article 39 de la Constitution, là aussi, nous avons quelques craintes, et c’est peu dire.
Nous ne sommes pas opposés à ce que les projets de loi soient précédés d’un exposé des motifs, voire accompagnés d’une étude impact, mais nous avons des doutes sur les intentions réelles du Gouvernement en la matière.
Comment parler de valorisation du travail parlementaire alors que les projets de loi de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les révisions constitutionnelles, les lois de programmation, ne sont pas soumis à cette obligation d’étude d’impact ? Nous estimons en outre que le contenu de ces études doit être précisé et élargi. En tout état de cause, il s’agit là d’une avancée très marginale.
J’en viens à présent à l’élément majeur de ce projet de loi organique – ce pour quoi tout a été fait –, à savoir la possibilité d’instaurer un temps global de discussion des textes, qui met automatiquement en cause le droit d’amendement.
Le prétexte avancé à l’envi par la droite pour justifier une telle disposition est l’obstruction parlementaire.
Pour commencer, je dirai qu’élaborer une loi est un processus long. J’ai la faiblesse de penser que le temps du débat en séance publique est important ; c’est même, me semble-t-il, un gage de qualité pour le travail législatif.
Bien sûr, ce temps du débat parlementaire n’est pas celui du Président de la République, qui confond action et agitation. Il veut aller vite, très vite. Chaque jour est l’occasion d’une annonce, d’une conférence de presse. Il passe d’un sujet à l’autre, si bien que l’opinion publique ne peut même pas se rendre compte si ces annonces sont suivies d’effet, si elles sont efficaces et pertinentes.
À chaque fait divers sa loi : rappelez-vous les animaux dangereux, les mini-motos, les récidivistes, les maladies psychiatriques, et j’en passe.
En réalité, le Parlement croule sous les projets de loi, en session ordinaire comme en session extraordinaire. Nous sommes en pleine inflation législative et vous venez nous parler d’obstruction !
Savez-vous, par exemple, que, en matière de sécurité, nous avons adopté seize lois entre 2002 et 2008 et que pas moins de cinq nouveaux projets de loi sont annoncés ? Savez-vous qu’au cours de l’année parlementaire 2007-2008 cinquante-cinq textes de loi ont été adoptés définitivement, contre quarante-six en 2006-2007 ?
Force est de constater que, compte tenu du rythme auquel nous légiférons, la plupart du temps en procédure d’urgence, nous sommes loin, très loin de l’obstruction.
Citez-moi ne serait-ce qu’un seul texte qui n’aurait pas été définitivement adopté par le Parlement en raison de l’obstruction ? Vous ne le pouvez pas !
M. Jean-Pierre Bel. Bonne question !
Mme Éliane Assassi. Les seuls textes qui n’aboutissent pas sont les textes d’origine parlementaire dont le Gouvernement et sa majorité ne veulent pas.
Le véritable problème auquel nous sommes confrontés en tant que législateurs est le suivant : nous légiférons trop, toujours dans la précipitation, sans aucune étude d’impact, souvent à la suite de faits divers, sous le coup de l’émotion et dans l’urgence.
Il en résulte un empilement de textes souvent bâclés, inapplicables, voire inappliqués faute de décrets d’application. En 2007-2008, un quart seulement des dispositions réglementaires d’application des lois a été pris. Le taux d’application des lois adoptées selon la procédure d’urgence n’est que de 10 %. Pourquoi ? Tout simplement parce que le Gouvernement ne publie pas les décrets.
Mme Éliane Assassi. Prouvez-le, monsieur Karoutchi !
Quelle peut être, dans ces conditions, la sécurité juridique ? Quelle lisibilité de la loi peut-on avoir ? Comment le citoyen lambda, qui est censé ne pas ignorer la loi, peut-il s’y retrouver ?
La dégradation du travail législatif va s’accentuer, demain, avec ce texte qui réduit le temps du débat, le temps d’examen des textes et le droit de les amender pour les améliorer.
La lutte contre l’obstruction n’est donc pas le vrai motif de cette réforme. Ce que vous voulez, c’est museler l’opposition parlementaire.
Ce qui vous gêne, lorsque l’opposition dépose beaucoup d’amendements sur un texte, c’est que les débats en séance publique se prolongent sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines.
Ce qui vous gêne, c’est que ce temps soit mis à profit pour faire connaître à l’opinion publique les aspects pernicieux de tel ou tel projet de loi et que celle-ci puisse alors se mobiliser contre des réformes qu’elle juge néfastes.
C’est ce qui s’est passé avec le CPE, le contrat première embauche. L’obstruction parlementaire n’a pas empêché la mise en place du CPE, puisque le texte a finalement été adopté. C’est bien l’opinion publique qui, alertée par les débats parlementaires, s’est saisie de la question et a fait reculer le Gouvernement.
Lorsqu’ils agissent ainsi, les parlementaires de l’opposition jouent pleinement leur rôle. Reconnaissez, chers collègues, que la mobilisation de l’opposition contre un texte peut parfois vous rendre service. C’est le cas, par exemple, lorsqu’au sein même de l’UMP se manifestent des divergences sur un texte gouvernemental. Je pense ici au projet de loi sur le travail le dimanche, qui a été reporté à l’Assemblée nationale grâce à la contestation de la minorité parlementaire.
De plus, lorsque vous étiez dans l’opposition, vous avez, vous aussi, usé du droit d’amendement, et c’est bien légitime : je pense notamment aux nationalisations, à l’école laïque, au PACS.
Pourquoi voulez-vous imposer un temps global, alors que la Constitution prévoit déjà des dispositions pour abréger nos débats : le recours aux ordonnances, les irrecevabilités des articles 40 et 41, le vote bloqué, la clôture de la discussion générale, l’article 49-3, sans oublier la spécificité du Sénat, mes chers collègues, à savoir la question préalable positive !
L’usage abusif de la procédure d’urgence – elle a concerné en 2007-2008 près de la moitié des projets de loi discutés par le Sénat – permet en outre à l’exécutif de gagner du temps en privant les assemblées d’une deuxième lecture.
Et, quand l’exécutif veut accélérer le processus législatif d’un texte qui n’est pas déclaré d’urgence, il demande au président de la commission saisie, lequel, en général, s’y plie, un vote conforme. N’est-ce pas précisément ce qui s’est passé l’an dernier pour la réforme constitutionnelle ?
J’ajoute que la discussion de la loi de finances pour 2008 a été la plus brève depuis plus de trente ans, sans doute à cause de la mise en place de la LOLF – la loi organique relative aux lois de finances –, dont les règles ont restreint les possibilités de déposer des amendements ; leur nombre a chuté de 25 % par rapport au précédent exercice.
On le voit, le vrai but de votre texte est non pas de lutter contre l’obstruction, mais de continuer à abréger davantage encore les débats publics, en bafouant le rôle des parlementaires, en réduisant leur droit d’amendement, en privilégiant le travail « discret » en commission au détriment de la séance publique, c’est-à-dire loin des citoyens et des journalistes, en dehors de toute transparence et de publicité des débats, bref en s’asseyant sur la démocratie…
Or la séance publique doit rester le lieu naturel du débat politique, de la confrontation des idées, de l’expression démocratique, et ce dans la plus grande transparence. C’est ce qu’attendent les citoyens de leurs parlementaires.
En réalité, cette réforme institutionnelle voulue par Nicolas Sarkozy a été faite avant tout pour permettre au Président de la République de s’exprimer devant les deux assemblées réunies en Congrès et pour museler les parlementaires.
Car M. Sarkozy veut décider de tout, et tout contrôler. Ne se prend-il pas régulièrement pour le Premier ministre ? Ne fait-il pas les annonces importantes à la place des ministres ou des secrétaires d’État ? Surtout, il ne supporte pas les contre-pouvoirs.
D’où la réforme de l’audiovisuel public, qui marque le renforcement de l’emprise du Président de la République sur la télévision publique, menaçant ainsi l’autonomie de cette dernière, sans oublier les menaces sur la liberté de la presse.
D’où l’annonce de la suppression du juge d’instruction, faite par Nicolas Sarkozy en personne, pour éviter des enquêtes gênantes, ainsi que les atteintes récurrentes à l’indépendance de l’autorité judiciaire.
D’où la réforme du travail législatif, qui va accentuer le poids déjà excessif de l’exécutif par rapport au législatif et porter atteinte à la séparation des pouvoirs. Deux exemples sont à cet égard très évocateurs : la présence du Gouvernement en commission et la possibilité accordée au Président de la République de s’exprimer devant les parlementaires réunis en Congrès.
Depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel, nous assistons à une évolution de nos institutions vers une hyper-présidentialisation de notre régime, déjà renforcée par le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral.
Pour compléter le tableau du projet de société que veut Nicolas Sarkozy, il convient d’ajouter la réforme des territoires, dont le but est de supprimer certains échelons démocratiques gênants pour le pouvoir en place. Les communes, les départements, les régions sont des lieux de contre-pouvoir qu’il faut contrôler, d’autant plus qu’ils se situent majoritairement à gauche.
En résumé, le projet de loi organique tend à mettre en place un super-président, appuyé par une majorité parlementaire dévouée, dans un pays où il n’y aurait plus de contre-pouvoirs ni de contestation sociale – atteinte au droit de grève, criminalisation de l’action syndicale et militante, etc.
Pour conclure, tout ce que nous craignions à l’époque de la révision constitutionnelle est en train de se produire, toutes les critiques que nous avions formulées se vérifient aujourd’hui : bref, le scénario catastrophe est en marche !
Avec cette motion tendant à opposer la question préalable qu’au nom de mon groupe je vous demande d’adopter, mes chers collègues, vous pouvez mettre un coup d’arrêt à cette évolution dangereuse de nos institutions et à ses conséquences : un bipartisme renforcé, une hyper-présidentialisation du régime, une démocratie bafouée.
Comment espérer rétablir le lien entre les institutions et les citoyens ? Qu’en sera-t-il demain de notre pacte républicain ? Une démocratie où la parole des parlementaires est contrainte, voire interdite, mérite-t-elle encore son nom ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Bravo !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’un des enjeux de la révision constitutionnelle, dont la loi organique est la conséquence, est la revalorisation de la séance publique.
Je vous rappelle le constat que faisaient, le 30 janvier 1990, MM. Henri de Raincourt, Guy Allouche et Gérard Larcher dans un rapport : les parlementaires « se sentent trop souvent exclus d’une mission législative devenue trop foisonnante, de débats hermétiques de techniciens et de spécialistes, alors que la séance devrait être le lieu du choix des orientations politiques fondamentales ».
Force est de constater que, près de vingt ans plus tard, la situation n’a pas changé…
M. Jean-Pierre Bel. C’est le problème !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …et s’est même aggravée. La commission des lois, sous la conduite de nos collègues Patrice Gélard et Jean-Claude Peyronnet, a pu observer à l’occasion de très nombreux déplacements dans les parlements des autres pays européens que le temps consacré à la procédure législative était souvent mieux maîtrisé chez nos voisins.
L’un des moyens choisis par la révision constitutionnelle du 23 juillet dernier pour redynamiser la séance publique est de permettre que la discussion en séance s’engage sur le texte élaboré par la commission saisie au fond. En effet, le débat pourra porter en séance publique sur les questions de fond, puisque, a priori, les questions techniques soulevées par le texte auront été traitées dans le texte proposé par la commission.
Bien sûr, il reste une question récurrente : faut-il encadrer le temps de la discussion en séance ? La loi organique n’ouvre à cet égard qu’une simple faculté. Le Sénat ne s’orientera pas dans cette voie, comme l’a encore confirmé le président Gérard Larcher à l’ouverture de notre discussion.
La commission des lois est convaincue que nous devons organiser nos travaux législatifs dans la recherche du plus grand accord entre les groupes et dans le respect de l’autonomie de chaque assemblée, contrairement à ce que pense notre collègue Jean-Pierre Michel, d’ailleurs.
Le projet de loi organique ne fait qu’ouvrir des options que, s’agissant de l’article 13, le Sénat ne compte pas utiliser.
La commission vous propose donc de poursuivre la discussion du projet de loi organique et émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Le Gouvernement est naturellement défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.
Je voudrais en finir une bonne fois pour toutes avec la rumeur, qui circule à l’Assemblée nationale comme au Sénat, concernant le taux d’application des lois.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas une rumeur !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je renvoie l’ensemble des parlementaires au site internet Légifrance. Ils pourront constater qu’au 31 décembre 2008, dans un délai de six mois après la promulgation des lois, 75 % des décrets d’application ont été publiés. Pour les textes déclarés d’urgence, ce taux est même de 95 % !
Je souhaiterais que cette vaine querelle de chiffres cesse. Consultez le site officiel Légifrance et vous constaterez que nous sommes très loin des pourcentages que vous avancez.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas ce qui est écrit dans le rapport du Sénat sur l’application des lois !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à mettre l’accent sur deux arguments forts qui ont été développés par Mme Éliane Assassi.
Le premier m’a véritablement frappé et je pense qu’il peut nous frapper tous.
Nous sommes ici pour débattre du temps de parole global des parlementaires. Or, si nous nous tournions vers le pouvoir exécutif, nous constaterions que le Gouvernement et, plus encore, le Président de la République font un usage de la parole…
Mme Odette Terrade. Immodéré !
M. Jean-Pierre Sueur. … sans précédent. Tous les jours, absolument tous les jours,…
M. Bernard Frimat. Et toutes les nuits ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. … de manière interminable, nous entendons la parole du Président de la République. (M. le secrétaire d’État s’exclame.)
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Vous êtes comme Jeanne d’Arc ! Vous entendez des voix !
M. Jean-Pierre Sueur. Je le dis avec objectivité, monsieur le secrétaire d’État, monsieur Gélard, nous ne cessons d’entendre la parole du Président de la République.
M. Pierre Hérisson. Je vous rappelle qu’il a été élu et qu’il est dans son rôle !
M. Pierre Fauchon. En plus, vous n’êtes pas obligé de l’écouter !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne contestons pas au Président de la République le droit de s’exprimer ; nous demandons simplement à bénéficier de la possibilité de lui répondre dans des proportions harmonieuses et appropriées, ce dont nous sommes très loin aujourd'hui.
Tous les jours, nous entendons cette parole proliférante.
Récemment, écoutant l’entretien télévisé accordé par le Président de la République à des journalistes, j’ai véritablement sursauté en entendant sa réponse sur l’audiovisuel.
D’abord, il a affirmé qu’il n’y aurait aucun problème, puisque le président de l’audiovisuel serait nommé non pas par le Président de la République, mais par le Gouvernement.