Mme Nicole Bricq. Nous n’avons encore rien dit !
M. Éric Woerth, ministre. … le plan de relance est équilibré et adapté à la situation de la France. Mais l’opposition croit-elle vraiment à ce qu’elle dit ? Finalement, c’est là la vraie question !
Si le déficit prévu est aussi élevé, c’est précisément parce que, dans le même temps, nous soutenons l’investissement et nous laissons jouer à plein notre système de transferts sociaux, sans compenser les baisses de recettes.
Nous ne voulons pas de plan de relance « à l’ancienne », consistant à créer des dépenses pesant durablement sur les générations futures. Il faut, plus que jamais, maîtriser la dépense courante.
C’est ce que nous avons fait en 2008 : la dépense, corrigée des effets du pic d’inflation observé en cours d’année, est, dans l’ensemble, parfaitement tenue. Il en ira de même en 2009. En effet, si le plan de relance doit être mis en œuvre de façon résolue et rapide – ce sera le cas, c’est le rôle de Patrick Devedjian –, je serai non moins résolu, à côté de mon collègue, à faire en sorte que les dépenses courantes des ministères, hors plan de relance, restent maîtrisées. (M. le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance approuve.)
Nous devons dépenser rapidement l’argent qui sert à la relance et maîtriser parfaitement les dépenses courantes liées à la mise en œuvre de nos politiques publiques. Le plan que nous vous présentons aujourd’hui est donc indispensable. Il est adapté aussi bien à la situation économique de notre pays qu’aux besoins de nos concitoyens.
Il est possible, naturellement, de faire des choix différents. Nous sommes d’ailleurs ici pour en discuter, ce qui se fera, comme d’habitude, dans un esprit d’ouverture et de responsabilité. C’est du moins de cette façon que j’aborde un débat qui sera, à n’en pas douter, riche, car fertile en propositions pour notre économie, et utile, car protecteur pour les Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Lagarde, ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Monsieur le président, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, madame le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entendu de la bouche de mes collègues Patrick Devedjian et Éric Woerth l’essentiel de ce qu’il convient de savoir du plan de relance. « Tout est dit, et l’on vient trop tard », pourrais-je donc regretter avec La Bruyère. (Sourires.)
Pour laisser au dialogue le temps nécessaire, je limiterai mon propos à deux remarques principales, visant, d’une part, à montrer comment ce plan de relance s’inscrit dans un dispositif anticrise complet, et, d’autre part, à essayer de mesurer les effets que l’on peut attendre de ce dispositif.
Se doter d’un dispositif « brise-crise », c’est d’abord faire un choix économique ciblé pour relancer l’économie. Jean-Paul Fitoussi, président de l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’ OFCE, a déclaré, dans un article du 7 janvier dernier, que le plan mis en œuvre en France « est globalement satisfaisant » relevant que les mesures « sont principalement axées sur l’investissement et l’aide à la trésorerie des entreprises qui en ont besoin. »
Ce plan de relance, qui vient d’être commenté, s’inscrit très clairement dans le cadre d’une séquence précise, qui a commencé par le plan de recapitalisation des établissements bancaires, adopté par la Haute Assemblée, qui s’est poursuivie avec un plan de financement des entreprises, destiné en particulier aux petites et moyennes entreprises, et qui se conclut donc avec le plan de relance qui vient de vous être brillamment présenté.
Je montrerai simplement dans quelle mesure l’inscription de ce plan de relance dans le dispositif anticrise global fait réellement sens.
Pour cela, je dois d’abord vous rappeler, en ce qui concerne le plan de financement et de recapitalisation des établissements bancaires, que, si vous ne l’aviez pas adopté, notre économie aurait connu sans aucun doute une véritable thrombose.
À cet égard – je reviens un instant sur ce dispositif qui est de nouveau d’actualité à l’occasion de l’émission de la deuxième tranche de recapitalisation –, nous avons demandé aux banques de prendre trois types d’engagement.
Mme Nicole Bricq. C’est ce que nous réclamions dès le mois d’octobre !
Mme Christine Lagarde, ministre. Il s'agit d’abord d’engagements de nature économique, les banques devant faciliter le financement et le développement de l’économie, ensuite, d’engagements de nature éthique, qui consistaient en particulier à adopter le code mis en œuvre au sein des entreprises du CAC 40, et qui avait été préparé par le MEDEF et par l’AFEP, l’Association française des entreprises privées. Enfin, l’aide était évidemment liée à un certain nombre de mesures de gouvernance interne, sur lesquelles je reviendrai dans un instant.
En ce qui concerne le financement de l’économie, le dernier chiffre qui a été publié par l’Observatoire du crédit indique qu’entre octobre et novembre 2008 les encours de crédits à l’économie ont augmenté de 0,34 %.
Mme Nicole Bricq. C’est parfait, tout va bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Si vous demandez aux entreprises, dans vos départements, sur vos territoires, à quelle période elles ont été le plus affectées par l’insuffisance de financement et de disponibilité des crédits, il y a fort à parier qu’elles vous répondront que le mois de novembre a été le plus difficile.
Or, on constate, au vu des encours de crédits recensés par l’Observatoire du crédit, que le financement par les banques a augmenté à cette période de 0,34 %. C’est donc, très clairement, que les banques ont eu à cœur, même dans les périodes difficiles, de tenir leurs engagements. Sachez que nous continuerons à être extrêmement vigilants sur ce point.
Nous avons mis en œuvre – vous le savez, cela a été annoncé hier – une deuxième tranche de recapitalisation des six grands groupes bancaires français.
J’ajoute que, pour la mise à disposition de cette deuxième tranche, nous avons demandé aux banques de prendre un certain nombre d’engagements supplémentaires. Nous leur avons proposé d’opter soit pour un mécanisme de titres super subordonnés, soit pour des actions de préférence non assorties de droit de vote.
Nous avons en outre demandé aux banques d’agir sur deux aspects. D’une part, elles devront s’engager dans une politique de modération des dividendes, consistant à financer leur activité en renforçant leurs fonds propres, c'est-à-dire en affectant une partie de leurs résultats, lorsqu’elles en dégagent, à la reconstitution de leurs fonds propres. D’autre part, elles devront renoncer à la part variable de la rémunération de leurs dirigeants, c'est-à-dire plus exactement demander à ces derniers de renoncer à leurs bonus.
C’est ce qu’ils ont tous fait au titre de l’année 2008. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) De la même façon, ils ne recevront donc ni bonus ni part variable au titre de l’exercice 2009. Leurs conseils d’administration se sont pour l’essentiel déjà prononcés à cet effet, et les assemblées générales reprendront, d’ici le 31 mai 2009, l’ensemble des engagements de nature éthique contenus dans le code de bonne conduite adopté par le MEDEF.
Certains d’entre vous me demanderont peut-être pourquoi l’État n’entre pas au capital des banques, comme cela se fait au Royaume-Uni.
Mme Nicole Bricq. C’est une bonne idée !
Mme Christine Lagarde, ministre. Après tout, quand on siège au conseil d’administration, cela permet d’avoir son mot à dire sur la stratégie.
La réponse est simple : c’est tout simplement parce que les banques françaises ne sont pas les banques britanniques. Nos banques, si l’on évalue leur situation financière en rapportant les fonds propres dont ils disposent à leurs encours, vont bien mieux que les banques anglaises.
Si les Britanniques, qui ne sont pas véritablement des chantres de la nationalisation, sont entrés dans de telles proportions au capital de leurs banques, c’est parce que celles-ci sont dans une situation bien plus défavorable que nos établissements financiers.
Vous pourriez aussi me demander pour quelle raison nous n’avons pas purement et simplement interdit le paiement des dividendes. Tout simplement, nous considérons que, dans notre pays, l’État n’a pas vocation à participer durablement au capital des établissements bancaires. Pour attirer de nouveaux actionnaires et pour faire en sorte que ceux-ci se substituent à l’État, il faut que ces établissements distribuent des dividendes, puisque c’est l’une des raisons pour lesquelles un investisseur choisit ou non d’investir dans telle ou telle société, que celle-ci appartienne ou non, d’ailleurs, au secteur bancaire.
Cette rapide intervention sur le financement de notre économie n’est pas simplement un aparté : le sujet est d’actualité. Pour que le plan de relance, qui vous a été présenté par Patrick Devedjian et par Éric Woerth, produise les effets escomptés, il faut que les mécanismes de crédit fonctionnent, il faut que l’argent circule, il faut que les entreprises, les collectivités locales et les ménages puissent emprunter.
Ce plan de relance prend place dans le cadre d’une séquence, celle des circuits de financement. L’autre séquence, bien évidemment, c’est celle du financement des petites et moyennes entreprises et, au delà, des entreprises de taille intermédiaire, catégorie créée par la loi du 4 août 2008 de modernisation de l’économie.
Ainsi, nous allons mettre 22 milliards d’euros à disposition des PME et des ETI, par l’intermédiaire, en particulier, d’OSEO, soit sous la forme de cofinancements, soit sous la forme de garanties, soit en renforçant la trésorerie des entreprises.
Dans le cadre du plan de relance, 5 milliards d’euros supplémentaires seront mis à la disposition d’OSEO, qui se décomposent comme suit : 1 milliard d’euros pour les restructurations financières ; 2 milliards d’euros pour garantir les financements de court terme ; enfin, 2 milliards d’euros pour les cofinancements. En outre, afin d’inciter les banques à participer au financement des entreprises, le Gouvernement a déposé un amendement ayant pour objet d’autoriser OSEO à garantir à hauteur de 90 % les concours bancaires accordés aux PME ou aux ETI, ainsi que le Président de la République s’y est engagé dans son récent discours prononcé à Vesoul.
Voilà donc le deuxième élément de cette séquence.
Avant d’en venir aux instruments auxquels nous avons choisi de recourir, je vous voudrais mentionner les deux autres éléments de ce plan, à savoir, d’une part, le Fonds stratégique d’investissement, qui fait partie du dispositif anticrise et dont la fonction est de prendre des participations chaque fois que cela sera nécessaire, et, d’autre part, l’exonération de taxe professionnelle sur les nouveaux investissements.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, à chaque étage de ce dispositif, on retrouve une même logique, celle de l’investissement.
Peut-être me rétorquerez-vous que nous aurions probablement pu recourir à d’autres méthodes et utiliser d’autres outils.
Mme Nicole Bricq. Nous n’avons pas encore parlé !
Mme Christine Lagarde, ministre. Je précise que la plupart des économistes sérieux s’accordent à dire que, si nous disposions de la boîte à outils parfaite correspondant à la situation actuelle, il serait finalement assez simple de résoudre les difficultés auxquelles sont confrontées les économies de par le monde.
Par exemple, nous aurions pu réduire notre taux de TVA, comme l’ont fait nos voisins britanniques, qui ont abaissé le leur de deux points. Cette mesure aurait dû entraîner une augmentation mécanique de la consommation. Or tel n’a pas été le cas : la consommation britannique, nullement stimulée par cette réduction, a, au contraire, enregistré un déclin manifeste.
En outre, la réduction du taux de TVA s’applique uniformément à la fois aux productions nationales – dans le cas de la Grande-Bretagne, certains objecteront que ce n’est pas si grave puisque ce pays produit sur son sol peu de biens manufacturés – et aux produits importés.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Évidemment !
Mme Nicole Bricq. Mais de quoi parlons-nous ?
Mme Christine Lagarde, ministre. Or le plan de relance a pour objectif non pas d’accroître les importations, mais, au contraire, de doper la compétitivité de nos entreprises afin de stimuler nos exportations.
Pour toutes ces raisons, je ne suis pas convaincue que la réduction du taux de TVA soit une mesure réellement efficace. En outre, à supposer qu’elle constitue un encouragement à la consommation, elle profiterait indifféremment aux ménages à hauts revenus et aux ménages à bas revenus. Or stimuler sans distinction la consommation de ces deux catégories de population ne nous semble pas être de très bonne méthode. (Très bien ! sur certaines travées de l’UMP.)
Nous aurions pu aussi opter pour une baisse uniforme de tel ou tel impôt. Cependant, il faut savoir que les réductions d’impôt produisent des effets de deux natures.
D’une part, elles ont un caractère différé. Or nous souhaitons mettre en place des mesures qui produisent des effets le plus rapidement possible.
D’autre part, dans une période qui, reconnaissons-le, est marquée par la défiance de l’ensemble des consommateurs et des acteurs économiques à l’égard des circuits économiques – nous avons besoin de restaurer la confiance –, une baisse des impôts risque d’être captée par l’épargne sans profiter à la consommation. Or, en ce moment, nous avons besoin de favoriser non pas l’épargne, mais la consommation ou l’investissement.
L’effet multiplicateur de la baisse d’impôt est inférieur à l’effet multiplicateur de l’investissement. Une baisse d’un point du taux de TVA coûte 7 milliards d’euros et accroît le produit intérieur brut de 0,1 %. Le même montant consacré à des investissements publics ou à des investissements mixtes publics et privés accroît le PIB de 0,3 %.
Ainsi, selon qu’on choisit de réduire le taux de TVA ou de favoriser les investissements publics, l’effet multiplicateur varie de 1 à 3. Le choix qu’a fait le Gouvernement est clair, c’est celui de l’investissement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Choix tout à fait justifié !
Mme Christine Lagarde, ministre. J’en viens maintenant aux effets escomptés de ce plan.
S’agissant des grands agrégats, comme l’a rappelé Patrick Devedjian, le plan de relance se chiffre à 65 milliards d’euros, dont 50 milliards d’euros au titre de la relance de l’investissement et de l’amélioration de la compétitivité et 15 milliards d’euros au titre des stabilisateurs automatiques.
Les mesures de relance stricto sensu de ce plan devraient avoir pour effet d’accroître le PIB respectivement de 0,6 %, l’exonération de taxe professionnelle et les prêts à taux zéro de 0,2 % et les stabilisateurs automatiques, pareillement, de 0,2 %. Ainsi, l’ensemble du plan devrait engendrer un point de croissance.
Comme l’a souligné Éric Woerth, si l’on y ajoute les mécanismes d’amortissement qu’offre à d’autres égards notre système de prestations sociales, notre pays se trouve dans une situation nettement plus favorable qu’un certain nombre d’autres pays. C’est d’ailleurs ce dont a pris acte, malgré des prévisions pessimistes, la Commission européenne, puisque celle-ci prévoit, en 2009, une croissance de moins 1,8 % pour la France, contre une moyenne de moins 1,9 % pour la zone euro.
Nous ne souscrivons pas à ces prévisions. Pour autant, je ne vous indiquerai pas aujourd’hui quelles sont les nôtres puisque celles-ci dépendent d’un certain nombre d’éléments d’appréciation dont nous ne disposerons que dans le courant du mois de février, quand nous connaîtrons le chiffre de la croissance réelle pour le quatrième trimestre de l’année 2008.
Néanmoins, comme l’ensemble des autres pays de l’Union européenne, nous serons amenés de toute façon à réviser à la baisse notre prévision de croissance pour l’année 2009, qui devrait être un peu supérieure à celle de la zone euro et bien supérieure à celle de notre voisin allemand.
Certains feront des gorges chaudes et prétendront peut-être que, décidément, rien ne marche dans notre pays. Toujours est-il que, grâce aux 10 milliards d’euros de réductions d’impôt sur 2009, grâce à la revalorisation des prestations sociales pour un même montant avec le RSA, les prévisions pour notre pays sont moins mauvaises qu’elles ne le sont pour l’ensemble de nos voisins. Ainsi, l’Allemagne vient de réviser à moins 2,5 % son taux de croissance pour l’année 2009. Même si l’on s’en tient aux prévisions pessimistes de la Commission européenne, qui estime que la France devrait connaître une croissance de moins 1,8 %, notre situation est néanmoins plus favorable, dans un contexte économique dont chacun s’accorde à considérer qu’il est difficile et particulièrement incertain.
Notre stratégie consiste à engager nos efforts au service de deux objectifs : d’une part, le travail, d’autre part, la compétitivité des entreprises, afin de créer de la valeur et de lutter contre le chômage.
En conclusion, après avoir cité Jean-Paul Fitoussi, je citerai deux autres économistes.
Ainsi, Olivier Blanchard, économiste en chef au Fonds monétaire international, déclarait dans les colonnes du journal Le Monde daté du 24 décembre 2008 : « Les constructions de ponts ou les rénovations d’écoles risquent d’avoir plus d’effets sur la demande que des réductions d’impôts, que les ménages sont tentés de transformer en épargne de précaution […]. La prime à l’automobile décidée en France donne de fortes incitations et me paraît une bonne idée. »
Ces mesures s’inscrivent dans une démarche déterminée et inchangée qui consiste à valoriser le travail, à améliorer la compétitivité, à créer de la valeur et à soutenir, autant que nous le pouvons, l’emploi.
En outre, je citerai ce que John Maynard Keynes écrivait, en 1931, dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie : « Rien à l’évidence ne peut restaurer l’emploi sans d’abord restaurer le niveau des profits [...] et rien ne peut restaurer le niveau des profits sans restaurer d’abord le volume de l’investissement, c’est-à-dire, en d’autres mots, le volume des commandes de nouveaux biens en production. » C’est exactement le sens de la démarche que nous avons adoptée.
La démonstration que l’investissement public et privé est le seul moyen de faire repartir les rouages de la machine a donc été faite en son temps.
Keynes poursuit, et ce sera mon ultime citation : « La seule alternative théorique serait une vaste augmentation de la consommation des ménages aux dépens de leur épargne, extravagance collective qui, au moment où chacun est nerveux et hésitant, a peu de chance de se produire ».
C’est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, nous privilégions l’investissement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce début de l’année 2009 est celle d’un pays qui a vu passer l’onde de choc financière, qui y a dans l’ensemble bien réagi jusqu’ici et qui en est au stade de la transmission de la crise de la sphère financière à la sphère réelle de l’économie.
Oui, cette crise dont on parlait, que l’on croyait sentir, que l’on anticipait, nous nous y trouvons, ou, plus exactement, nous commençons à nous y trouver.
Ce phénomène, à l’évidence, est mondial, mais chaque État y apporte des réponses particulières.
Si la réalité de la crise est une évidence, si personne n’est vraiment capable de prédire son horizon, il est au moins une certitude,…
M. Jean-Luc Mélenchon. La cata !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mon cher collègue, quitte à m’interrompre, que ce soit au moins pour exprimer une pensée ! Peut-être la discussion générale vous en offrira-t-elle l’occasion tout à l’heure.
M. Jean-Luc Mélenchon. Si vous me permettez de vous interrompre, je veux bien exprimer une pensée !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous le faites de manière tellement brève que cela nuit plutôt à la lisibilité de nos échanges.
Nul n’est plus attaché que moi à la pluralité de l’expression, mais pour que celle-ci soit réelle, encore faut-il disposer du temps nécessaire pour développer sa pensée.
Mme Nicole Bricq. Nous allons le faire !
M. Jean-Luc Mélenchon. Alors, développez ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Dans ce contexte, sachant que chaque réponse nationale est originale, il est une certitude, disais-je : de la manière dont nous traiterons la crise dépend notre avenir « postcrise ».
Mme Nicole Bricq. C’est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C’est le modèle économique de demain, c’est notre compétitivité de demain qui dépendent de notre capacité à nous attaquer aujourd’hui à la crise, à ses racines, à ses symptômes.
Nous sommes saisis de deux projets de loi : un collectif budgétaire et un texte qui comporte différentes mesures législatives de nature à permettre l’accélération de la dépense publique.
La commission des finances souscrit au second texte, le projet de loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, sur lequel elle est saisie pour avis.
Nous constatons, et nous ne sommes pas les seuls, que l’organisation des administrations et leur culture ont souvent constitué des blocages au cheminement et à la réalisation de projets. Cette vérité s’observe aussi en temps de crise. Nos procédures sont si raffinées, nos garanties si diverses, que lorsque nous considérons le nombre et le montant des projets d’investissements qui peuvent être lancés, la moisson n’est pas forcément à la hauteur des espérances.
Pour combattre la crise et remédier aux imperfections qu’elle nous révèle, il convenait de changer nos comportements. Ce texte en est le témoignage.
La commission des finances réaffirme ses positions en ce qui concerne, d'une part, les contrats de partenariat, utile solution pour assouplir certains dispositifs et accélérer les investissements, d'autre part, l’archéologie préventive, sujet sensible pour les élus locaux, qui est nécessaire à la réalisation de certains chantiers.
J’en viens à l’objet principal de notre discussion, à savoir ce collectif budgétaire de début d’année. Comme l’a souligné M. Éric Woerth, son simple positionnement dans le calendrier révèle la gravité des circonstances.
Ce texte est, à mon sens, bien calibré dans son ordre de grandeur et bien ciblé dans la nature des interventions.
Madame le ministre de l’économie, je souscris naturellement à vos observations en qui concerne l’investissement. M. le ministre du budget a, de son côté, fort opportunément souligné la grande différence qui existe entre notre système de protection sociale et celui qui prévaut dans les pays anglo-saxons. Ainsi la Grande-Bretagne a-t-elle été contrainte de faire dans la crise ce qu’elle n’avait pas fait précédemment, alors que notre priorité, aujourd'hui comme hier, est, à l’évidence, d’accroître le volume des investissements.
On retrouve ainsi l’analyse économique des grands auteurs, Lord Keynes en particulier, et la problématique du multiplicateur d’investissements. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Daniel Raoul. C’est incroyable !
Mme Nicole Bricq. Que ne faut-il pas entendre !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Pourquoi contestez-vous cette analyse, mes chers collègues ? En quoi la référence aux grands auteurs et, en période de crise, à Lord Keynes, vous paraît-elle surprenante ? (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.) Nous savons nous adapter aux circonstances.
M. Daniel Raoul. C’est un euphémisme !
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous ne citez pas souvent les bons auteurs !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Nous avons, comme d’autres, fait des études d’économie. Nous connaissons les grands auteurs, dont certains ont d’ailleurs été cités par Mme le ministre.
Le Gouvernement nous soumet donc un plan bien calibré et bien ciblé. La commission des finances considère que trois critères en conditionnent la réussite : dépenser vite, dépenser bien - financer bien -, savoir rendre compte.
Tout d’abord, il faut dépenser vite. Il est bien évident que l’impact de ce plan dépendra de notre capacité à déployer ce dispositif sur le terrain.
Comme l’a indiqué M. Patrick Devedjian, sur les quelque 26 milliards d’euros inscrits dans ce plan, une dizaine de milliards d’euros iront au financement des mesures de soutien immédiat à la trésorerie des entreprises.
Nombre de dispositions votées dans de précédents textes, notamment dans le projet de loi de finances rectificative de la fin de l’année 2008 - je pense à l’anticipation du crédit d’impôt recherche -, constituent un soutien de trésorerie immédiat aux entreprises à l’heure où nombre d’entre elles risquent de rencontrer des difficultés pour trouver sur le marché les financements et les liquidités dont elles ont besoin. C’est assurément un choix opportun et qui représente une grande proportion du plan.
Viennent ensuite les dépenses financées par l’État et par les collectivités territoriales.
L’État consacrera quelque 5 milliards d’euros aux investissements physiques, aux infrastructures. Si un plus grand nombre de dossiers avaient été prêts – toutes les enquêtes faites, toutes les procédures purgées – ces crédits auraient probablement été plus élevés. Toutefois, au vu des informations auxquels nous avons pu accéder, l’effort de dépenses proposé, de préférence pour 2009 mais aussi pour 2010, correspond à ce qu’il était possible de faire compte tenu de l’état d’instruction et de préparation des dossiers.
Quid des collectivités territoriales, dont il sera sans aucun doute beaucoup question dans cet hémicycle ?
Le Gouvernement a défini des modalités d’intervention à la vérité claires et simples. Les mesures prises s’inscrivant dans le plan de relance, elles sont par définition temporaires. En 2009, une collectivité dont l’effort d’investissement sera suffisamment soutenu pourra inscrire à son budget d’investissement non pas une annuité, mais deux annuités de récupération de la TVA, soit l’équivalent d’environ 30 % de son budget d’investissement annuel.
Cette prime, significative, devra être consacrée à la réalisation d’ouvrages nouveaux. Il est bien compréhensible, mes chers collègues, que l’État demande aux collectivités qui se trouveront dans cette situation de bien vouloir jouer le jeu. L’effort d’investissement sera donc individualisé.
En outre, dans des conditions que nous espérons souples et simples – nous y reviendrons lors de la discussion des articles – les collectivités devront a posteriori rendre compte de l’utilisation de l’argent dépensé. Il faut en effet éviter tout effet d’aubaine permettant à une collectivité d’améliorer sa structure financière ou de rembourser des emprunts, ce qui serait sans effet sur la dépense locale, singulièrement sur l’activité du bâtiment et des travaux publics. Si tel devait être le cas, nous n’atteindrions pas l’objectif qui est le nôtre.
Je me permets cependant de souligner que les collectivités locales ne supportent pas les complexités et les blocages qui affectent l’État. Si elles en ont la possibilité, elles investiront davantage dans la voirie, la réhabilitation de bâtiments, la réalisation d’équipements publics. De telles actions sont finalement très simples à préparer.
Certains de nos collègues se sont à partir de là notamment interrogés sur la dotation globale d’équipement et sur la manière de la dépenser. Leurs interrogations me paraissent opportunes dans le cadre de notre débat. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles et de vous entendre, madame, messieurs les ministres.
Il faudra donc dépenser vite. L’efficacité du plan de relance en dépend. Comme l’a indiqué Mme le ministre, nombre d’économistes – plus proches de nous que Lord Keynes – se sont intéressés aux investissements. Quel sera l’ordre de grandeur de l’impact des mesures du plan de relance sur le produit intérieur brut ? Dans un tel domaine, il n’est pas de vérité arithmétique, ex ante, toutes les appréciations sont relatives et reflètent des modes de raisonnement. Nous pouvons néanmoins avoir la certitude que l’impact de ces mesures sera significatif. Les seules dispositions qui nous sont soumises aujourd’hui devraient se traduire par une augmentation de l’ordre d’un demi-point de produit intérieur brut.
Ce chiffre est la médiane d’une fourchette d’estimations plus large, car, encore une fois, les analyses peuvent refléter différents cheminements intellectuels, mais la vérité vraie, mes chers collègues, nous la constaterons dans plusieurs mois, probablement l’an prochain. Pour l’heure, nous ne pouvons que souhaiter que l’économie réagisse de manière positive.
Il faut donc dépenser vite, mais aussi, deuxième critère de réussite du plan de relance, dépenser bien et financer bien. Je vous livrerai des considérations qui relèvent davantage de la sphère financière.
Je tiens à souligner que la soutenabilité des finances publiques demeure une évidente et ardente nécessité et à insister sur la question des emprunts et des charges financières.
La situation de notre pays ne peut être appréciée que par comparaison avec celle de nos voisins. Nous sommes dans la zone euro et c’est grâce à l’euro que la crise économique que nous traversons n’a pas été, comme dans le passé, précédée ou accompagnée d’une crise monétaire. C’est une première dans l’histoire !