Mme Nathalie Goulet. Eh oui !
M. Robert del Picchia. Du reste, il est évident que vous ne pourrez pas, aujourd'hui, dans le cadre de ce débat budgétaire, répondre à tous les intervenants sur tous les thèmes qui seront abordés. Un tel débat de politique étrangère n’en paraît que plus justifié.
M. Robert del Picchia. Merci, monsieur le ministre !
Je développerai surtout la question de la prise en charge des frais de scolarité. Comme vous le savez, elle fait couler beaucoup d’encre, certains estimant qu’elle risque de mettre en péril le budget de la nation ou, du moins, de contribuer dangereusement au déficit budgétaire. Nous allons voir que ce n’est pas le cas.
Je voudrais tout d’abord faire quelques rappels à l’attention de ceux de mes collègues qui ne connaîtraient pas tous les aspects du problème. Pourquoi cette prise en charge des trois classes de lycée ?
Il faut être clair et parler vrai : il est exact qu’il s’agit d’une décision politique, prise par le Président de la République. Elle répond à une demande formulée depuis de nombreuses années par de nombreuses familles de Français de l’étranger. Les parents d’élèves réclamaient que la scolarité fût gratuite dans les écoles françaises à l’étranger comme elle l’est dans les écoles publiques en France.
Chers collègues de gauche, Mme Ségolène Royal avait promis exactement la même chose que Nicolas Sarkozy. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Yves Dauge. Non, ce n’est pas vrai !
M. Robert del Picchia. Elle avait fait une promesse du même ordre. La méthode était différente, mais le but était bien celui-là.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Et vous allez sans doute dire que Jospin l’avait aussi promis avant, mais ce sera tout aussi faux !
M. Robert del Picchia. Les trois précédents Présidents de la République avaient pris des engagements en ce sens. Aucun n’a pu les tenir.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ah, ces mensonges, c’est quelque chose !
M. Robert del Picchia. Pourquoi choisir de ne prendre en charge que les frais de scolarité des élèves des trois classes de lycée ? Pour trois raisons.
Premièrement, il faut le reconnaître, nous n’avions pas les moyens de prendre en charge les frais de scolarité de toutes les classes.
Deuxièmement, les parents d’élèves qui ont payé pendant neuf années peuvent, en quelque sorte, profiter d’une prime de fidélité à l’école.
Troisièmement, il s’agissait d’enrayer l’hémorragie des élèves après la classe de troisième, qui correspond à la fin de l’obligation de scolarité. La pyramide des âges des élèves est très claire à cet égard.
Cette mesure a donc été prise et elle est appliquée.
Pour ceux qui s’y opposent, elle est injuste et discriminatoire, coûterait cher et rejetterait les enfants étrangers de nos écoles françaises.
Je crois qu’il faut raison garder et se fonder sur les chiffres réels, non sur des estimations. Selon les chiffres réels, fournis très récemment par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger et le ministère – ils ont été présentés hier au conseil d’administration de l’Agence –, nous avons dépensé 18 214 593 euros pour les deux campagnes ouvertes à ce jour.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce n’est qu’un début !
M. Robert del Picchia. Une fois la mesure étendue aux trois classes du lycée, nous atteindrons un montant d’environ 40 millions d’euros en année pleine ; peut-être 45 millions d’euros.
Si l’on trouve que l’école est trop chère à l’étranger, laissez-moi quand même rappeler que, selon les statistiques de l’éducation nationale, un lycéen coûte en France 10 320 euros par an, en moyenne, contre 3 600 euros pour un élève d’un de nos établissements à l’étranger. Mais laissons là le débat sur le coût par élève.
Des 12 560 lycéens qui peuvent prétendre au bénéfice de la mesure, il faut retrancher les 32 % – pourcentage qui figure dans le « bleu » budgétaire – d’élèves boursiers ou dont les parents perçoivent déjà une prise en charge de l’employeur. D’ailleurs, bon nombre de diplomates et de fonctionnaires, en raison du supplément familial, ne peuvent prétendre à cette prise en charge. La mesure ne concerne donc en fait que 8 540 élèves.
Toujours selon les opposants à cette mesure, la gratuité de la scolarité au lycée provoquerait un appel d’air entraînant des inscriptions en masse. C’est tout simplement faux, car impossible. Un enfant résidant à l’étranger qui, avant l’âge d’entrée au lycée, n’a jamais fréquenté l’école française a nécessairement été jusque-là scolarisé dans une école étrangère. Dès lors, il ne pourra pas entrer directement en classe de seconde ou en classe de première.
Certains pourraient, me direz-vous, venir exprès de France. Mais la circulaire de l’Agence le précise : en raison de l’obligation de résidence des parents dans le pays du lycée concerné, il n’y aura pas de tourisme linguistique à Londres, à Madrid ou à Berlin. Bien entendu, si l’expatriation prévoit que les parents se déplacent dans un pays, ils pourront bénéficier de cette prise en charge. Cependant, nous l’avons vu, l’expatriation augmente peu, sauf en Asie, où elle répond à un but économique.
Quant à la question de l’éviction des enfants étrangers de nos établissements, elle ne se pose pas : il y a, dans nos écoles à l’étranger, plus d’enfants étrangers que d’enfants français.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il y en a de moins en moins !
M. Robert del Picchia. Selon les chiffres livrés hier par l’Agence, les trois classes de lycée comptent, 12 560 enfants français et 16 600 enfants étrangers.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Heureusement !
M. Robert del Picchia. J’en suis ravi, moi aussi ! C’est excellent pour le rayonnement de la France, pour notre politique. C’est aussi très bon pour le fonctionnement de l’Agence. En tout cas cela n’invalide en rien l’intérêt de la mesure en cause.
On nous parle, bien sûr, d’équité : le fait que des enfants de familles très riches profitent de la prise en charge suscite des réticences. Je peux comprendre ce point de vue et il faudra réfléchir à un éventuel plafonnement de la mesure. J’y reviendrai tout à l’heure en présentant l’amendement que j’ai déposé. Au passage, je remercie d’ailleurs le rapporteur spécial, M. Gouteyron, de m’avoir cité, reconnaissant ainsi que j’étais et demeure favorable à une telle mesure.
En revanche, je souhaite que soit, préalablement à toute décision, établi un bilan de son application à la classe de seconde, car nous ne pouvons évidemment pas encore en apprécier exactement les conséquences. Une fois ce bilan dressé, nous pourrons prendre les dispositions nécessaires, différentes modalités pouvant être envisagées : plafonnement, retour progressif vers des bourses, etc.
En attendant, les sommes correspondant, d’une part, à la prise en charge, d’autre part, aux bourses figurent de toute façon dans le programme 151. Comme elles sont gérées, me semble-t-il, par la direction des Français à l’étranger, l’éventuel surplus d’argent alloué à la prise en charge sera automatiquement affecté aux bourses. L’inverse n’est pas envisageable puisque les bourses nécessitent plus d’argent que la prise en charge.
Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que prétendent certains, les Français de l’étranger ne sont pas tous des exilés fiscaux.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ça, c’est sûr !
M. Robert del Picchia. Pour un Johnny Halliday qui s’établit en Suisse, il se trouve des centaines de milliers d’anonymes, ni plus riches ni plus pauvres que les autres Français, qui vont vivre hors de nos frontières ! La population française à l’étranger compte, elle aussi, une classe pauvre et, surtout, une classe moyenne.
Peut-être faudra-t-il aller plus loin que le double plafonnement et opter pour une autre mesure, ramenant vers les bourses de façon progressive, avec un pourcentage de remboursement,…
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Eh bien voilà ! Faisons-le !
M. Robert del Picchia. … mais attendons de disposer d’un bilan de l’application concrète de la prise en charge pour les élèves de seconde.
Pour l’instant, on fait des prévisions, on échafaude des propositions à partir de vagues estimations qui sont manifestement beaucoup trop hautes. Attendons donc d’avoir les chiffres exacts pour déterminer quoi faire.
Je propose d’ailleurs, monsieur le ministre, un moratoire sur l’extension de cette mesure aux autres classes, et tout le monde, me semble-t-il, approuve cette idée. Mais je fais dès aujourd’hui le pari que les chiffres qui ont été avancés se révéleront totalement fantastiques et que nous reviendrons à ordres de grandeur raisonnables.
J’espère que cet amendement sera adopté. Il constitue peut-être la solution qui nous permettra de sortir d’une situation difficile – sinon d’une impasse –, que la crise financière nous incite à gérer de la manière la plus fine possible. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, je souhaite, si vous le permettez, concentrer mon intervention sur la présidence française de l’Union européenne, qui va se terminer dans quelques semaines.
Au moment même où nous débattons se tient à Poznan la Conférence internationale sur le changement climatique. L’Union européenne, vous le savez, y est particulièrement attendue.
Bien sûr, cette conférence de suivi du protocole de Kyoto est perçue comme intermédiaire. Le rendez-vous le plus crucial, celui qui devra engager le monde dans l’après-Kyoto, aura lieu l’an prochain, à Copenhague. Si c’est une administration américaine défaite qui, à Poznan, représente les États-Unis, nous savons que le président élu, Barack Obama, s’est engagé à ce que son pays adopte une autre politique et se fixe d’autres ambitions, en matière de lutte contre le changement climatique.
Barack Obama ne prenant ses fonctions que le 20 janvier prochain, la conférence de Poznan se déroulera, pour ainsi dire, en apesanteur : il s’agira effectivement, pour l’Union européenne et pour les autres parties prenantes, de négocier avec des représentants américains dont chacun sait bien qu’ils n’ont plus la main. Cet étrange jeu de dupes serait amusant s’il ne s’agissait – nous en conviendrons tous ici – d’affaires si graves.
C’est en tout cas, monsieur le ministre, une raison supplémentaire pour que l’Union européenne ne faille pas à son rôle pionnier dans la lutte contre le dérèglement climatique. C’est pourquoi la France, qui préside actuellement l’Union, doit elle aussi se montrer exemplaire.
De ce point de vue, je dois bien avouer que j’ai quelques inquiétudes. On connaît les aléas du paquet climat-énergie, dont personne ne sait, à l’heure actuelle, s’il pourra effectivement être adopté avant la fin de l’année ni, surtout, s’il est adopté, dans quel état il le sera.
Il y a quelques jours, un compromis sur la future réglementation européenne visant à obliger les constructeurs à réduire les émissions de CO2 des voitures neuves a été conclu entre les États membres de l’Union, le Parlement européen et la Commission européenne. Ce compromis, permettez-moi de le dire aussi franchement que simplement, est déplorable. L’objectif de réduction des émissions de CO2 par kilomètre passe d’une moyenne de 120 grammes à une moyenne de 130 grammes et, au surplus, le délai laissé aux constructeurs pour l’atteindre s’allonge : il n’expire plus en 2012 mais en 2015.
Je ne veux pas être pessimiste, mais quand même : hier, le Président de la République a annoncé une prime au retrait des voitures vieilles de dix ans au profit de voitures neuves à condition que ces dernières n’émettent pas plus de 160 grammes de CO2 par kilomètre. Voilà qui est encore plus laxiste. Ce n’est pas bon signe.
Ce compromis entache nettement la présidence française de l’Union, alors que la lutte contre le dérèglement climatique avait été érigée en priorité, ce qui était une bonne chose.
Vous me répondrez, monsieur le ministre, que le Président de la République n’a ménagé ni ses efforts ni son énergie et qu’il a fait preuve d’un volontarisme considérable. Je vous entends d’ici : « Voyez la Géorgie ! Voyez la crise financière ! La France présidente de l’Union européenne a hissé haut les couleurs de l’Europe ! »
Je vous le concède, monsieur le ministre : vous avez fait preuve de constance, de sérieux et d’efficacité, et M. le secrétaire d’État aux affaires européennes peut-être davantage encore. Si j’en crois la presse, il a plus d’une fois remplacé tel ou tel membre du Gouvernement qui peinait à se rendre à Bruxelles pour y négocier avec les services de la Commission, les parlementaires ou les représentants des États membres. (M. le ministre fait un signe d’approbation.) Plus d’une fois, il a su et pu dénouer malentendus, difficultés et blocages. Je crois que chacun est disposé à le reconnaître, dans cet hémicycle et ailleurs, à droite comme à gauche.
Alors, s’il faut le dire, je vous le dis : ces six derniers mois, la France a plutôt bien mérité de l’Europe. Elle a été meilleure élève qu’elle ne l’a bien souvent été dans son histoire, notre attitude passée nous valant, chez une bonne partie de nos voisins, la fâcheuse réputation de n’être européens que du bout des lèvres et de persister à ne voir l’Europe que comme une France en plus grand.
Cependant, si la France a été bonne élève ces six derniers mois, le sera-t-elle demain ? Ou reviendra-t-elle à ses mauvaises habitudes ? (M. le ministre sourit.)
En termes plus crus, le Président de la République, une fois qu’il aura quitté la présidence de l’Union, saura-t-il poursuivre dans cette voie ou renouera-t-il avec son affligeante manie de contester toute décision européenne comme une pitrerie de technocrates et de traiter nos partenaires comme des subalternes qui devraient, en constatant l’excellence française, le supplier de prendre une nouvelle présidence, celle du gouvernement économique européen ?
Mme Dominique Voynet. Voilà qui peut susciter quelques interrogations, monsieur le ministre. Notre comportement au cours des prochaines années sera-t-il conforme à celui des six derniers mois ?
Si la cohérence d’une action politique se mesure, évidemment, dans les choix budgétaires, elle se mesure aussi dans les valeurs qui sous-tendent ces choix. De ce point de vue également, j’aimerais que vous puissiez me rassurer.
En matière de politique étrangère, les choix de la France sont parfois courageux, et l’on veut croire que votre présence au Gouvernement, dont je ne veux pas discuter ici l’opportunité politique, a été assez liée à cette volonté affichée de rompre avec la vieille diplomatie pour lui préférer une action extérieure fondée, si je me souviens des engagements de campagne du Président de la République, sur la protection des droits humains.
Hélas, les choix du Gouvernement ont parfois été très peu éloignés de la vieille diplomatie : la rupture n’était guère visible. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler les conditions du séjour en France du dirigeant libyen Kadhafi, la mégalomanie invraisemblable du dictateur et la déplorable faiblesse avec laquelle il fut accueilli.
Je m’attarderai davantage sur la Chine, puisque le Président de la République rencontre demain le dalaï-lama.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Enfin !
Mme Dominique Voynet. Comme toutes celles et tous ceux qui sont solidaires du combat du peuple tibétain, je me réjouis de savoir que cette rencontre, après avoir été annulée en août dernier, aura enfin lieu. Je me pose cependant une question, et je vous la pose évidemment : faudra-t-il, une fois passée cette rencontre, que la France s’excuse à nouveau auprès du régime chinois ? Et s’excusera-t-elle ? Faudra-t-il que nous fassions comme nous avons fait après le passage bousculé de la flamme olympique à Paris ? La France enverra-t-elle à nouveau Jean-Pierre Raffarin offrir à Pékin une nouvelle biographie du général de Gaulle ? Bref, changerons-nous encore une fois d’avis, et nous montrerons-nous très faibles pour faire excuser un acte de bravoure isolé ?
J’attends votre réponse, monsieur le ministre, mais quelque chose me dit qu’elle n’évoquera probablement pas les raisons pour lesquelles nous savons nous montrer si cléments avec Pékin, avec Téhéran et, hélas, avec bien d’autres !
Oserez-vous évoquer les intérêts de nos champions nationaux, celui des technologies ferroviaires, mais aussi celui de l’industrie nucléaire, si à l’étroit à l’intérieur de nos frontières qu’il offre ses technologies à l’étranger ; des technologies si inquiétantes qu’on les livre qu’on les livre sous prétexte de désaliniser l’eau de mer, et à des dirigeants dont on ne sait pas bien, ou dont on redoute de trop bien savoir quelles sont les intentions.
Je terminerai, si vous le voulez bien, sur un constat presque optimiste.
L’élection de Barack Obama à la présidence des États-Unis, que beaucoup à gauche et à droite ont saluée, a brisé bien des tabous : non seulement aux Etats-Unis, sur la question raciale, mais aussi au-delà, sur deux points majeurs.
J’ai déjà évoqué le premier de ces points ; la lutte contre le changement climatique ; je n’y reviens que pour souligner que l’engagement des États-Unis dans cette bataille de laquelle ils sont totalement absents depuis la conférence de Kyoto peut considérablement changer la donne.
Le second point est la nécessité de régulations nouvelles, négociées de manière multilatérale.
Il s’agit d’abord des régulations économiques. L’OCDE, qui n’est pas suspecte d’être une officine de l’ultragauche, a publié récemment un rapport très critique sur les politiques menées depuis trente ans par ses États membres, d’ailleurs sur ses propres conseils. Selon l’organisation, ces politiques de déréglementation ont considérablement accru les inégalités. Elle ne reconnaît pas vraiment s’être trompée, et avec elle les gouvernements qui ont suivi ses indications, mais cela y ressemble.
Il s’agit ensuite des régulations dans les relations internationales et dans la prévention des conflits. Barack Obama s’est engagé à renouer de manière apaisée le dialogue entre les États-Unis et ses partenaires, au premier rang desquels l’Union européenne.
Aussi, ma dernière question est-elle simple, monsieur le ministre : dans ce nouveau paysage, quelle sera la volonté de la France ? Quelles seront, encore une fois, la cohérence et la constance de son action ?
Le Président de la République, quittant la présidence de l’Union, reviendra-t-il à l’alignement atlantiste qui a été le sien ? L’a-t-il, d’ailleurs, jamais vraiment quitté ? Poursuivra-t-on dans la voie d’une intégration européenne plus poussée en matière de défense commune ou devra-t-on constater que le choix privilégié, qui ne fait pas vraiment l’objet d’un débat démocratique, sera celui de l’OTAN ? Continuerons-nous, tête baissée, à poursuivre en Afghanistan un effort de guerre sans issue dans les termes où il est porté aujourd’hui, où accepterons-nous de revoir, enfin, notre stratégie ?
Monsieur le ministre, au-delà des sujets strictement budgétaires, ce sont à ces questions, et à quelques autres qui ont été posées par mes collègues, que je souhaite vous entendre répondre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le ministre, permettez-moi tout d’abord de vous dire ma gratitude et de vous féliciter pour le rôle éminent que la France a joué dans l’élaboration de la convention sur l’interdiction des armes à sous-munitions, armes immondes dont 98 % des victimes sont des civils, des enfants pour un tiers.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Voilà à peine deux ans, nous étions encore très peu à y croire. Il a fallu la détermination et l’engagement du président Sarkozy, du Gouvernement, de vous-même et d’Hervé Morin pour parvenir à ce progrès remarquable en matière de droit international humanitaire.
Votre présence et votre intervention à Oslo avant-hier, lors de la cérémonie de signature de cette convention, à côté d’une centaine d’autres ministres des affaires étrangères, ont été un signal fort, important pour l’image de notre pays. Je tenais donc à vous en remercier.
Je lance un appel à mes collègues sénateurs pour que la ratification de cette convention par le Parlement français intervienne le plus rapidement possible.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Nous, Français de l’étranger, sommes très fiers de l’action de notre pays à l’étranger. La voix de la France y est de plus en plus écoutée, respectée. Nous nous en réjouissons et, là encore, monsieur le ministre, nous vous en remercions.
M. Robert del Picchia. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Mais nous, parlementaires, avons aussi la responsabilité de contrôler le budget de l’État. Il est de notre devoir et de notre honneur de veiller à ce que l’argent de la nation, l’argent du contribuable, soit dépensé à bon escient. C’est tout particulièrement le cas aujourd’hui dans le contexte de crise grave qui est hélas le nôtre.
En ce qui concerne la mission « Action extérieure de l’État », qui se décline en trois programmes, je tiens à saluer l’excellent travail et la vigilance de notre collègue Adrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances, qui a toujours su, dans un esprit particulièrement constructif, veiller au bon emploi de ces crédits et suggérer des gains de productivité importants.
À ce stade de la discussion, beaucoup a déjà été dit et les chiffres ont déjà été largement commentés. Je me limiterai donc à vous livrer quelques interrogations personnelles.
Le budget du ministère s’élève à 4,6 milliards d’euros pour 2009, soit 1,66 % seulement du budget général. C’est bien sûr très décevant pour un parlementaire représentant les Français de l’étranger, soucieux du prestige de notre pays, car c’est largement insuffisant au regard de nos légitimes ambitions.
Vu la crise actuelle et le déficit des finances publiques, l’élaboration d’un budget aussi resserré est bien évidemment rationnelle, voire indispensable : nous nous devons de faire des économies. Toutefois, cette démarche a des limites.
Le ministère des affaires étrangères est sans aucun doute celui qui, depuis des années, a été le plus vertueux en matière de réduction des dépenses, et sans doute aussi celui qui en a le plus souffert.
Notre personnel diplomatique et consulaire, d’une qualité exceptionnelle, reconnue et enviée, a toujours fait la force de notre réseau. Une très large part du succès de la présidence française de l’Union européenne et de nos avancées aux quatre coins du monde lui est également due.
La baisse constante des effectifs, malgré l’accroissement des charges et la nécessité d’ouvrir de nouveaux postes dans les pays émergents, risque de démotiver ces personnels, d’engendrer une baisse de la qualité du travail et de nuire à l’image de nos postes diplomatiques et consulaires, donc à l’image de la France. Comment, par exemple, répondre à nos obligations morales en proposant un accueil digne et respectueux des demandeurs de visa lorsque les files d’attente s’allongent désespérément à l’extérieur de nos consulats ?
Pour contenir ce budget, ne devrions-nous pas envisager non pas une nouvelle contraction du nombre des personnels, car nous ne pouvons guère aller plus loin, mais une simplification des procédures, une amélioration des conditions de travail et des modes de fonctionnement ? Ne devrions-nous pas développer les procédures sur internet ou installer des systèmes de vidéoconférences dans nos ambassades et consulats ? Cela permettrait de supprimer un grand nombre de déplacements aussi coûteux en temps et en énergie qu’en empreinte carbone.
Ne devrions-nous pas aussi réfléchir à des modes d’emploi des seniors, ces jeunes retraités qui ont encore tant à donner. Beaucoup, sans doute, seraient heureux, avec un encadrement minimum, d’offrir leur expérience et leurs compétences à des pays en voie de développement quelques mois par an ?
Dois-je rappeler que le taux de vaccination dans plusieurs pays d’Afrique est passé de 90 % à moins de 20% en l’espace de dix ans et que le nombre d’assistants techniques est tombé de 30 000 à 700 ?
Et que dire de l’externalisation, qui se révèle parfois beaucoup plus coûteuse que nos placements traditionnels ? Je pense en particulier au remplacement de nos gendarmes dans un certain nombre de postes, et ce en dépit de la qualité de leur travail, de leur mobilisation permanente et, surtout, des garanties qu’ils apportent en termes de sécurité.
Je m’interroge toujours sur notre politique en matière de patrimoine immobilier. Plutôt que de vendre les bâtiments que nous ont laissés nos prédécesseurs, ne devrions-nous pas plutôt penser aux futures générations et investir dans les pays où les prix de l’immobilier sont encore au plus bas, notamment dans certains pays d’Asie, mais qui sont appelés à croître de manière considérable dans un futur proche ?
Monsieur le ministre, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de vous le demander, ne devrions-nous pas réfléchir à un meilleur contrôle de l’utilisation de l’aide internationale ? Des centaines de millions d’euros partent vers des organismes et fonds internationaux à vocation humanitaire et caritative, certes remarquables, et il est du devoir de la France de continuer à les soutenir – je pense en particulier à ceux qui interviennent en Afrique ou au Fonds alimentaire mondial –, car nous nous devons d’honorer nos engagements. Mais on entend ici ou là qu’un pourcentage important des aides versées s’évapore au profit d’intermédiaires, de consultants ou autres officines, qui se sont multipliées du fait de l’externalisation et de la suppression de nombreux postes d’assistants techniques.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous garantir que ces fonds sont bien utilisés ? Comment apporter plus de transparence au processus ? Comment nous assurer que ces fonds vont vraiment à ceux qui en ont le plus besoin ? Nous avons souvent l’impression que des sommes considérables sont attribuées à certains programmes sans véritable contrôle, alors que des initiatives extrêmement modestes – je pense, par exemple, en matière d’enseignement, aux tout petits programmes d’enseignement du français langue maternelle – voient leur budget constamment érodé et subissent un relatif harcèlement en matière de contrôle de leurs dépenses.
Au regard de ces énormes flux, l’aide sociale apportée à nos communautés françaises est dérisoire et elle n’a fait l’objet d’aucune revalorisation depuis plus de dix ans. Je puis pourtant vous garantir qu’aucun euro attribué à nos consulats ou à nos sociétés françaises de bienfaisance n’est gaspillé. Or les demandes ne cessent et ne cesseront de s’amplifier, du moins au cours des quelques années de crise qui nous attendent.
Comme je l’ai indiqué lors de la réunion de la commission des affaires étrangères, il est indispensable d’augmenter le fonds d’action sociale qui est destiné à aider nos compatriotes les plus démunis à l’étranger.
Monsieur le ministre, permettez-moi de vous féliciter d’avoir ouvert un centre de crise au Quai d’Orsay. La sécurité de nos compatriotes est une préoccupation croissante. Il était indispensable d’améliorer notre réactivité.
J’en profite pour vous demander où en est le projet de création d’un fonds de solidarité destiné à aider nos compatriotes qui doivent être rapatriés en France du fait d’événements géopolitiques.
En ce qui concerne les lycées à l’étranger, je salue l’initiative généreuse du Président de la République, qui a répondu au vœu d’équité que formulent nos concitoyens de l’étranger depuis des dizaines d’années, à savoir l’obtention de la gratuité de l’enseignement dans nos établissements français. Beaucoup avaient promis cette gratuité. Le président Nicolas Sarkozy a été le seul à tenir son engagement, et nous ne pouvons que lui en être très reconnaissants.
Force est cependant de constater l’émoi suscité par cette mesure dans un grand nombre de communautés expatriées. Cet émoi est dû non pas à l’octroi en lui-même de la gratuité de l’enseignement, mais à certains comportements. Je tiens à souligner que quelques-uns de nos compatriotes ont eu l’élégance d’en refuser le bénéfice parce qu’ils estimaient que le niveau de leurs revenus leur donnait le devoir de participer à l’effort d’éducation de leurs enfants. L’émoi est dû au fait que, paradoxalement, les charges qui pèsent sur les familles se sont considérablement alourdies : celles-ci ne comprennent pas que de grosses entreprises, qui payaient la scolarisation des enfants de leurs employés, profitent de cette aubaine sans contribuer pour autant aux caisses ou aux fonds sociaux des lycées.
Enfin, dois-je le rappeler, nos établissements scolaires n’accueillent qu’une petite partie des enfants de nos ressortissants. Et, en dehors de ces établissements, c’est souvent le grand désert !
Ainsi, en Grande-Bretagne, un des pays où la présence française est la plus forte – 300 000 personnes et plus de 100 000 inscrits dans les consulats –, il n’y a aucun lycée français en dehors de Londres. Comment les familles françaises qui n’ont pas la chance d’habiter le centre de la capitale britannique peuvent-elles accepter que tous les crédits soient concentrés sur moins de 3 % des enfants, alors que les petits établissements de soutien linguistique hors de Londres perçoivent des aides dérisoires, de l’ordre de quelques milliers d’euros ?
Nous devons également penser aux effets pervers potentiellement induits par cette mesure. Si nos lycées de l’étranger ont un tel niveau d’excellence, avec des taux de réussite atteignant presque toujours 100%, c’est aussi grâce au mixage des nationalités et des cultures. On pourrait craindre que, du fait de cette gratuité, il n’y ait plus de places pour tous.