M. Alain Gournac. Et alors ?
M. Dominique Leclerc, rapporteur. … ce que nous savons tous, il faut que les personnes visées puissent aller jusqu’au bout de leur volonté personnelle, quelle que soit la raison qui les pousse à continuer à travailler.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur les amendements nos 186, 301, 187 et 188.
Par l’amendement n° 356 rectifié bis, notre collègue M. Adnot manifeste des inquiétudes que nombre d’entre nous partagent.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et oui ! Il n’y a pas, d’un côté, les bons et, de l’autre, les méchants !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Effectivement, monsieur About, il n’y a pas, d’un côté, les bons et, de l’autre, les méchants. Tout ce qui compte, c’est d’avoir la culture d’entreprise.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et nous l’avons !
M. Dominique Leclerc, rapporteur. L’objectif du présent texte étant de supprimer la mise à la retraite d’office, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 356 rectifié bis.
En ce qui concerne les préoccupations soulevées par Mme Procaccia au travers de l’amendement n° 245 rectifié ter, je dois dire que le problème est assez complexe.
Nous en avons beaucoup débattu au sein de la commission des affaires sociales. La réflexion de notre collègue me paraît bien sûr pertinente, mais elle n’est pas sans risque. On pourrait en effet imaginer quelques abus, s’agissant de la saisie de la médecine du travail, visant à poursuivre les mises en retraite d’office. Par conséquent, la commission des affaires sociales s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité. Je commencerai par les amendements nos 356 rectifié bis et 245 rectifié ter.
Je voudrais en effet demander à leurs auteurs respectifs, M. Adnot et Mme Procaccia, de bien vouloir les retirer. Sur ce dossier, il nous faut à mon avis faire simple. Or, faire simple en l’occurrence, cela ne veut pas dire mettre en place une nouvelle procédure pour la reconnaissance de l’inaptitude.
Le vrai sujet – mais j’y reviendrai en détail –, c’est tout simplement qu’il faut cesser d’obliger les salariés, sitôt atteint l’âge de soixante-cinq ans, à quitter l’entreprise alors qu’ils auraient préféré rester en activité. J’entends bien vos arguments, mais instaurer une nouvelle procédure revient à introduire de la complication.
Existe-t-il déjà aujourd’hui des formules ? Comme vous le savez, la réponse est « oui », sauf que, lorsqu’une entreprise met quelqu’un à la retraite d’office, elle doit lui verser les indemnités de fin de carrière, ou IFC, qui ne sont pas forcément neutres pour elle, bien que ces indemnités soient souvent provisionnées, parfois au titre de contrats d’assurance. Par conséquent, on ne va pas instaurer un nouveau système qui risquerait de tout bousculer dans les entreprises, de les déstabiliser, elles et leur bilan.
Par ailleurs, il existe maintenant d’autres formes de rupture dans l’entreprise, en particulier la rupture négociée, ce qui change la donne.
M. Guy Fischer. C’est le système conventionnel !
M. Xavier Bertrand, ministre. On ne va pas passer de la situation actuelle, avec la mise à la retraite d’office, à une situation qui se révélerait forcément conflictuelle, monsieur Adnot.
Madame Procaccia, j’ai bien entendu ce que vous avez dit, mais je voudrais vous faire une proposition, étant donné que le Parlement aura à se prononcer sur la question de la médecine du travail, après la négociation qui est en cours.
Nous savons pertinemment que, en matière de médecine du travail, il y a beaucoup à faire en ce qui concerne aussi bien la prévention que le suivi. De ce point de vue, je pense qu’il faudrait appliquer dans certaines branches d’activité votre idée d’un suivi particulier. Mais il ne s’agit là que d’une piste de réflexion qu’il ne me revient pas de développer aujourd’hui.
En ce qui concerne la question de l’âge du départ à la retraite, je vous parlerai franchement, car je sais que vous avez de la suite dans les idées, madame le sénateur ! La question devrait être portée auprès des partenaires sociaux dans les discussions qui vont s’ouvrir.
Ensuite, bien évidemment, quand le sujet reviendra devant la représentation nationale, je sais que vous aurez à cœur de savoir si une solution correcte a été trouvée. Je sais aussi que, si la solution ne vous satisfait pas, vous présenterez un nouvel amendement sur lequel l’argumentation que je viens de vous proposer ne sera sans doute pas suffisante.
Mais, encore une fois, pour aujourd’hui, les dispositions envisagées ne feraient à mon avis que complexifier inutilement les choses, l’enjeu principal n’étant pas là. Voilà pourquoi je vous demande, madame Procaccia, monsieur Adnot, de retirer vos amendements.
Je me tournerai à présent vers la gauche : je sais que cela ne sert à rien de lui demander de retirer ses amendements ! Mais son réveil est tout de même bien tardif ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Le 28 avril dernier, je vous ai écrit, monsieur Bel, madame Borvo Cohen-Seat. J’avais joint à mon courrier le document que voici. (L’orateur brandit une brochure.) Il s’agit d’un texte que j’ai transmis à l’ensemble des partenaires sociaux de notre pays, et dans lequel figure, entre autres – je le précise puisqu’il en a été question tout à l’heure –, l’objectif d’une pension à hauteur de 85 % du SMIC net pour une carrière complète au SMIC.
Les différents intervenants de l’opposition ont beaucoup évoqué le niveau minimal des pensions, alors que les réponses à leurs suppositions se trouvaient dans le présent document, ainsi que dans les textes votés la nuit dernière. Mais il est vrai que certains ici ne les ont pas votés !
Vous voulez des garanties pour les minima de retraites ? Elles sont dans ce document ! Un certain nombre de mesures concernant l’emploi des seniors y figurent également. Sur ce dernier point, il est bien précisé que les mises à la retraite d’office seront définitivement supprimées.
Encore une fois, j’ai écrit à M. Bel et à Mme Borvo Cohen-Seat, mais n’ai jamais reçu la moindre remarque à ce sujet ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Bel. Nous sommes ici pour çà ! Que faites-vous du dialogue ? À quoi sert le Parlement, si ce n’est à discuter ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le dialogue a eu lieu. Il a lieu à n’importe quel moment, c’est vous qui choisissez !
Je vous le demande quand même : pourquoi n’avez-vous fait aucune remarque en la matière, alors qu’il est écrit à la page 4 du document en question que « les mises à la retraite d’office ou les limites d’âge qui existent encore […] dans le secteur privé seront supprimées » ? Cela figure noir sur blanc dans le texte que je vous ai fait parvenir ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. Ce n’est pas cela qui nous gêne !
M. Xavier Bertrand, ministre. C’est votre choix de ne pas y avoir répondu. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Et pourquoi ne vous êtes-vous pas exprimés lors du débat du mois de juin dernier sur l’emploi des seniors, alors qu’à cette occasion les mêmes choses ont été redites, et de la même façon, aux partenaires sociaux ?
C’est que la vérité est simple, et il y a d’ailleurs, dans cet hémicycle, d’excellents connaisseurs du dossier des retraites qui seraient en mesure de la dire à ma place : l’âge de la retraite reste fixé à soixante ans dans notre pays !
Par ailleurs, aucune des conditions financières n’est changée. En voulez-vous la preuve ? L’article qui se trouve ici modifié est un article du code du travail, et pas un article du code de la sécurité sociale.
M. Gérard Dériot. Tout à fait !
M. Xavier Bertrand, ministre. Or, le droit à la retraite est régi non par le code du travail, mais par le code de la sécurité sociale. (M. Jean-Paul Virapoullé applaudit.) La voilà, la vérité ! Et certains des bons connaisseurs qui sont ici auraient eu de nombreuses occasions de la dire.
Maintenant, allons plus loin, car, si on peut toujours chercher à caricaturer le débat, la question des retraites est un beau sujet qui ne mérite pas la caricature. D’ailleurs, j’aimerais que l’on m’explique pourquoi, dans certains pays, gauche et droite savent se retrouver sur les sujets tels que la protection sociale et les retraites, alors que, dans d’autres, cela n’arrive jamais !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
M. Xavier Bertrand, ministre. Très souvent, ici, ce sont des postures qui nous sont données à voir, alors même que, dans d’autres enceintes, certains responsables de gauche n’hésitent pas à avouer qu’il n’y a pas trente-six solutions possibles pour les retraites. En effet, soit on augmente la durée de cotisation, soit on augmente le montant des cotisations, soit on diminue le niveau des pensions. Mais personne n’est prêt à accepter la dernière de ces possibilités ! La vérité, c’est aussi cela.
Qu’avons-nous donc décidé de faire ? L’âge du départ à la retraite reste fixé à soixante ans, mais nous ne voulons plus que des salariés sortent automatiquement de l’entreprise à soixante-cinq ans ; en effet, certains se sentent bien dans cette dernière et sont parfaitement capables de rester en activité. Ceux-là, je ne veux pas qu’on leur dise simplement adieu !
J’ai cité trois exemples, c’est vrai. J’ai d’abord évoqué le cas du professeur Montagnier, parce que la révélation de la situation de ce dernier a provoqué un scandale à l’époque. On a dit alors qu’une telle chose ne devait pas se reproduire. Mais il ne suffit pas de dire : « plus jamais ça ! ». Encore faut-il, après, voter des dispositifs tels que celui que nous vous soumettons.
J’ai ensuite mentionné l’affaire Guy Roux. Là encore, tout le monde, droite et gauche confondues, avait dit qu’il n’était tout de même pas normal qu’on l’empêche d’entraîner une équipe. (Mme Gisèle Printz s’exclame.)
Enfin, j’ai cité la semaine dernière l’exemple de Jean-Yves, de Lille, précisément parce que, contrairement aux deux exemples précédents, il s’agissait d’un anonyme. Du moins l’était-il jusqu’à ce que son nom soit dévoilé ! Or, Jean-Yves est quelqu’un que l’on a tout simplement poussé vers la sortie quand il a atteint les soixante-cinq ans, alors qu’il souhaitait rester en activité.
Et des milliers de personnes se trouvent dans la même situation que Jean-Yves, même s’il n’y en a peut-être pas des millions ! Mais dès lors que l’on n’enlève rien aux millions de personnes qui veulent partir à soixante ans, pourquoi interdire aux milliers qui souhaitent rester en activité de le faire et les contraindre à quitter l’entreprise ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.) Alors que, dans notre société, l’on vit de plus en plus longtemps, pourquoi refuser de faire bouger les règles pour permettre aux salariés de travailler un peu plus longtemps, avec, bien sûr, des garanties ?
Allons plus loin, car je suis convaincu que, si l’on acceptait de laisser de côté préjugés et présupposés, nous pourrions nous retrouver sur une idée précise.
Certes, l’âge légal de la retraite est soixante ans, mais j’estime que ceux qui ont commencé à travailler à quatorze, quinze ou seize ans – vous avez eu raison de les évoquer tout à l’heure, monsieur Mercier, car ils symbolisent la valeur travail – doivent avoir le droit de ne pas aller jusqu’à cet âge.
Ce droit, cette majorité et ce gouvernement l’ont donné. Le coût est important puisqu’il se situe entre 2 milliards et 2,5 milliards d’euros par an, et c’est aussi la fierté de cette majorité et de ce gouvernement d’avoir maintenu le dispositif parce que la valeur travail doit être récompensée.
Par ailleurs, dans certains secteurs d’activité, on est « cassé » physiquement avant soixante ans. Il est vrai que des dispositifs existent, pour l’invalidité notamment, mais ils n’apportent pas, à mon avis, les réponses adaptées.
J’estime en effet que la solution passe par la reconnaissance de la pénibilité.
Cependant, si le sujet était simple, d’autres pays européens auraient trouvé la solution, et je suis sûr que tel ou tel groupe aurait déposé une proposition de loi ! Mais il ne s’agit pas seulement de savoir qui paye, qui prend en charge, qui compense. Il s’agit aussi de savoir comment envisager l’avenir et déterminer qui peut être considéré comme occupant un métier pénible.
On peut avoir le sentiment que travailler tous les jours sur un chantier est pénible, mais peut-on dire la même chose du métier de technico-commercial exercé dans le même secteur d’activité ? À partir de combien d’années peut-on considérer que la pénibilité entraîne une réduction de l’espérance de vie, sachant que, dans notre pays, le vrai scandale tient à l’écart de sept ans d’espérance de vie entre un cadre supérieur et un ouvrier ?
Si ce sujet n’a pas pris plus d’acuité, c’est d’ailleurs parce que le dispositif « carrières longues » a été mis en place après la réforme de 2003. Sont d’abord partis en retraite dans le cadre de ce dispositif des salariés agricoles et des salariés du bâtiment, ce qui n’était que justice, puis ont suivi des salariés travaillant depuis l’âge de quinze ans ou seize ans.
Il faut bien reconnaître cependant que, en l’absence du dispositif « carrières longues », le débat entre les partenaires sociaux n’aurait pas pu rester en situation d’échec. Cela prouve d’ailleurs que la question n’est pas simple : mêmes entre eux et avec la volonté d’avancer, les partenaires sociaux n’ont pas pu ou n’ont pas su aboutir.
Aussi, j’ai repris ce dossier : je rencontre chaque semaine tous les partenaires sociaux et, à l’issue des rencontres bilatérales, nous aurons une rencontre tripartite – je sais que ce n’est pas l’usage, mais j’assume mes responsabilités ! – pour trouver la façon tant de compenser la pénibilité que d’assurer le financement, car ce n’est pas uniquement avec de la bonne volonté ou de grands discours que nous atteindrons notre objectif.
D’un côté donc, l’âge légal de la retraite à soixante ans ne doit pas interdire à ceux qui veulent rester en activité un peu plus longtemps de le faire, mais, d’un autre côté, il faut permettre à ceux qui le méritent – et j’insiste sur ce verbe, car il s’agit de justice et de la reconnaissance de la valeur travail en même temps que d’espérance de vie – , c'est-à-dire à ceux qui ont eu des carrières longues ou des emplois pénibles, de ne pas forcément travailler jusqu’à soixante ans.
Voilà le système de retraite que nous devons construire, parce qu’il n’y a pas deux carrières non plus que deux profils humains – on parle beaucoup de chiffres, mais, derrière, il y a des hommes et des femmes – qui se ressemblent.
Il faut un système plus juste, plus équitable, mais un système dans lequel il doit aussi y avoir, reconnaissons-le, plus de liberté. C’est le sens de l’article 61. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 186 et 301.
M. Guy Fischer. Nous sommes, bien entendu, en totale opposition avec M. le ministre et le gouvernement auquel il appartient,…
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On l’avait compris !
M. Guy Fischer. …mais ce 18 novembre 2008 restera pour nous comme pour les salariés de notre pays une date particulièrement noire, celle du jour où Nicolas Sarkozy, l’UMP et le MEDEF ont repoussé insidieusement – puisque l’âge légal reste soixante ans – l’âge de la retraite à soixante-dix ans pour les années à venir. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !
M. Guy Fischer. Eh si ! Soixante-dix ans est un âge qui restera dans les mémoires comme âge de la retraite, comme soixante-cinq ans, comme soixante ans ! Cela, c’est une réalité !
Comme pour le travail du dimanche, le pseudo-argument du volontariat est avancé pour justifier ce scandale, et, que vous le vouliez ou non, nous assistons aujourd'hui à une régression sans précédent des acquis sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le ministre, puisque vous avez interpellé les présidents des groupes de l’opposition, ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat autant que moi-même, je tiens à vous dire que votre manière de présenter les choses est quelque peu cavalière, et le terme est modéré.
Naturellement, il nous arrive assez régulièrement de recevoir des courriers des ministres, et nous les examinons toujours avec beaucoup d’attention. Parfois même, nous croyons percevoir, au travers de vos écrits, des intentions ou des orientations sur lesquelles nous travaillons.
Mais, monsieur le ministre, vous êtes en ce moment devant la Haute Assemblée. Or je crois qu’il y a un temps parlementaire, et qu’il est juste que nous utilisions ce temps pour faire en sorte que les débats aient aussi lieu avec la représentation nationale.
Des débats sur des sujets aussi importants ne se mènent pas par courrier et accusé de réception, et vous auriez tort de faire offense à notre fonction de représentants en ne considérant pas les propositions que nous avons avancées au travers de nos amendements et dans nos interventions.
La nuit dernière, vous faisiez l’éloge de certains d’entre nous, en distinguant, comme vous le faites souvent, spécialistes et non-spécialistes. Pour ma part, je crois que, dans ce débat, la distinction se fait entre ceux qui considèrent que l’article 61 vise à accorder une nouvelle liberté aux salariés et ceux qui craignent que son objet ne soit de préparer les esprits à autre chose.
Pour notre part, nous avons bien compris que vous vouliez reculer l’âge de la retraite et que tel est bien le but de cette proposition, laquelle n’émane d’ailleurs pas du Gouvernement mais a été introduite à la sauvette par amendement…
M. Guy Fischer. Par le MEDEF !
M. Jean-Pierre Bel. … sans que les négociations avec les partenaires sociaux, quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, aient été menées comme elles auraient dû l’être.
Nous sommes majeurs et nous sommes des parlementaires : ne nous donnez pas trop souvent des leçons comme vous venez de le faire !
Les présidents des groupes parlementaires ont le droit de choisir le terrain sur lequel ils entendent vous répondre, et il faudra vous y habituer, monsieur le ministre, car cela va continuer ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Les choses évoluent beaucoup en ce moment ! Ne parlons plus des 35 heures, que vous avez enterrées, monsieur le ministre, mais l’extension du travail le dimanche ne cesse d’être évoquée, et voilà qu’aujourd'hui vous décidez de résoudre de la plus mauvaise manière un vrai problème, celui de l’emploi des seniors !
À l’origine, l’article 61 devait – assez subtilement, il faut le reconnaître – ouvrir aux salariés la possibilité de ne pas être mis à la retraite d’office à soixante-cinq ans, mais un amendement de votre majorité a permis d’aller plus loin en repoussant à soixante-dix ans l’âge de la mise à la retraite d’office.
La vraie nature de votre proposition, que vous n’aviez pas envoyée sous cette forme, voilà quelques mois, à M. Bel et à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, est ainsi démasquée.
Avec cet amendement, la boîte de Pandore s’est ouverte : on a mis le doigt dans l’engrenage qui va conduire à l’augmentation de l’âge de la retraite !
Demain peut-être – ce sera la phase suivante –, nous aurons à discuter de l’allongement continu de la durée requise de cotisations…
M. Guy Fischer. Cela se fera par décret !
M. Bernard Cazeau. …dès lors que l’on peut travailler jusqu’à soixante-dix ans.
C’est d’ailleurs ce qu’ont bien compris nos concitoyens interrogés sur cette nouvelle « liberté » et ce « libre choix » : un sondage, paru dans un grand quotidien national, a en effet montré que plus des deux tiers des personnes sondées refusent une mesure qu’ils considèrent comme une régression sociale : 73 % des ouvriers et 79 % des employés y sont hostiles. Il ne s’agit peut-être pas des cadres supérieurs, mais ce sont les ouvriers et les employés qui constituent la grande majorité des travailleurs de ce pays.
Vous déclariez la semaine dernière que l’allongement de la retraite obligatoire à soixante-dix ans répondait à une absurdité juridique, celle de la « barrière » d’âge de la mise à la retraite d’office à soixante-cinq ans. Pour vous, c’est le principal frein à « l’envie » des Français de travailler plus longtemps.
En réalité, c’est votre argumentaire, monsieur le ministre, qui est absurde. Pour travailler jusqu’à soixante-dix ans, encore faut-il que les entreprises ne se débarrassent pas systématiquement de leurs salariés à partir de cinquante-cinq ans !
M. Jean Desessard. Voilà !
M. Bernard Cazeau. On vous l’a dit et redit, là est le vrai problème, et c’est peut-être sur ce point qu’il faudrait légiférer.
Aujourd'hui, la France est un des pays où le taux d’emploi des seniors – les travailleurs entre cinquante-cinq ans et soixante-quatre ans – est parmi les plus faibles : il n’est que de 37,8 %, alors que la moyenne européenne se situe presque à 45 %.
Vous laissez entendre, monsieur le ministre, que nos interventions n’ont pas d’autre but que de contrer le Gouvernement. Ce n’est pas le cas !
Cet article ne devrait pas être l’objet principal de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale, surtout avec un tel déficit des retraites. Vous édulcorez les vraies questions, comme celles qui ont trait à la pénibilité du travail et à un financement viable des pensions de retraite, et je me permets de vous dire, monsieur le ministre, que ce n’est pas à nous de vous donner aujourd'hui la solution. C’est vous qui êtes au Gouvernement ! Et Dieu sait combien de fois vous nous avez répété, depuis la loi Fillon, que c’était votre problème.
C’est parce que nous ne nous détournerons pas, nous, du véritable objet du projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous voterons contre l’article 61. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel, pour explication de vote.
M. Claude Domeizel. J’ai eu connaissance, monsieur le ministre, du document que vous aviez écrit le 28 avril. J’ai lu, comme d’autres, que les mises à la retraite d’office ou les limites d’âge qui existent encore pour différents motifs dans le secteur privé seraient supprimées.
Cela nécessitait-il une réponse ? Comme M. Bel, j’estime que non.
Lorsque j’ai lu ce document, monsieur le ministre, je me suis dit : tiens, comme promis, il va y avoir une grande loi sur les retraites. J’attendais donc cette grande loi annoncée en 2003 par le candidat à la présidence de la République Nicolas Sarkozy, ainsi d’ailleurs que par vous-même. Jamais je n’aurais imaginé que vous alliez apporter par petites touches, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les modifications que vous annonciez !
Monsieur le ministre, je vous l’ai dit hier, je suis inquiet des hausses en rafale de l’âge d’un possible départ à la retraite : soixante-cinq ans pour les pilotes, soixante ans pour les stewards et les hôtesses, soixante-dix ans pour tous les autres. Les pilotes pourront-ils d’ailleurs continuer à travailler jusqu’à soixante-dix ans ? C’est une question qui doit être posée.
Ce relèvement de quarante à quarante et une annuités, demain à quarante-deux, voire à quarante-trois, n’est qu’une mise en condition afin que ce qui est aujourd'hui facultatif puisse devenir demain la règle !
M. Alain Vasselle. Arrêtez ce procès d’intention ! Ça suffit ! Vous répétez toujours la même chose !
M. Claude Domeizel. M. Etienne a affirmé tout à l’heure que les seuils ne seraient pas modifiés ….
M. Alain Vasselle. On est dans la mauvaise foi permanente ! Ça suffit !
M. Claude Domeizel. Vous permettez que je m’exprime ? Je comprends que mes propos vous gênent, monsieur Vasselle, mais je vais quand même continuer ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Changez de disque !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Domeizel.
M. Claude Domeizel. J’ai entendu dire tout à l’heure que la retraite à soixante ans ne serait pas remise en cause. Monsieur le ministre, je ne vous crois pas un seul instant !
Tout relève de la même logique. Je vous rappelle que le Conseil d’orientation des retraites, à la demande du MEDEF – il n’était peut-être pas tout seul –, a étudié les incidences financières qu’aurait un départ à la retraite à soixante ans, à soixante et un ans, à soixante-deux ans, à soixante-trois ans, à soixante-quatre ans et à soixante-cinq ans.
Pour nous, c’est inadmissible ! Cet article 61 n’est qu’une mise en condition qui vise à préparer des modifications profondes de l’âge de départ à la retraite. Mes collègues ont longuement expliqué quels étaient les dangers, notamment s’agissant de la retraite à soixante ans.
C'est la raison pour laquelle nous voterons sans aucun état d’âme les amendements tendant à supprimer l’article 61 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 186 et 301.
Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC, et l'autre, du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 39 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 148 |
Contre | 189 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Je mets aux voix l'amendement n° 187.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote sur l'amendement n° 188.
M. Jean Desessard. Je ne voudrais pas laisser s’installer l’idée qu’il y aurait, d’un côté, les partisans de la liberté et, de l’autre, les défenseurs des acquis, refusant toute évolution.
Je me servirai d’un exemple tout simple, déconnecté du problème qui nous occupe actuellement, pour montrer qu’un « plus » pour les uns se traduit, dans une organisation collective, par un « moins » pour les autres : la télévision en couleur.
J’ai connu la télévision en noir et blanc, comme beaucoup d’entre vous. Au début, seuls quelques-uns, les riches, avaient la télévision en couleur, ce qui ne nous gênait pas : c’était un fait connu que les riches avaient quelque chose en plus !
Cependant, est arrivé le moment où le présentateur a commencé à dire : regardez la zone jaune et la zone rouge sur la carte ! (Sourires.) Ceux qui avaient la télévision en noir et blanc ne voyaient pas la différence !