compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. M. le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 85 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006, le rapport évaluant la mise en œuvre de la réforme de la taxe professionnelle.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des finances et sera disponible au bureau de la distribution.
3
Protection du secret des sources des journalistes
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la protection du secret des sources des journalistes (nos 341 et 420, 2007-2008).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le texte que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui est la réalisation de l’engagement pris par Nicolas Sarkozy pendant la campagne pour l’élection présidentielle d’assurer une véritable protection du secret des sources des journalistes.
Comme le remarque très justement M. François-Noël Buffet dans son rapport, notre droit n’a jamais consacré aucun principe garantissant le secret des sources. C’est pourtant une garantie démocratique fondamentale, le gage d’une information éclairée, pluraliste et indépendante.
Je n’ignore pas que cette question a déjà fait l’objet de nombre de réflexions et de nombreux débats. Je pense en particulier aux travaux de vos anciens collègues Paul Girod en 1989, Charles Jolibois en 1995 et, plus récemment, Louis de Broissia en 2007. Le Gouvernement s’en est largement inspiré.
L’actualité, plus ou moins récente, démontre qu’une intervention du législateur est aujourd’hui nécessaire en cette matière.
Le rapporteur, en sa qualité de membre du groupe sénatorial d’études Nouvelles technologies, médias et société, avait toutes les qualités requises pour examiner ce texte. Il l’a fait – je tiens à le souligner pour lui rendre hommage – avec la compétence du fin juriste qu’il est en sa qualité d’avocat et de parfait connaisseur du monde des médias et de ses enjeux.
Le rapporteur et la commission des lois ont été soucieux de respecter l’équilibre que traduit ce projet de loi. François-Noël Buffet a, en particulier, parfaitement démontré la complexité de la relation entre la justice et la presse, chacune en quête de vérité et gardienne de son propre secret : celui de l’enquête et l’instruction dans le premier cas et celui de ses sources dans le second.
Ces deux logiques, aussi légitimes l’une que l’autre, doivent pouvoir coexister dans un cadre juridique qu’il nous appartient aujourd’hui de définir.
Notre droit actuel est insuffisant et limité. La loi ne garantit en effet nullement le secret des sources. La justice peut notamment, sans aucune restriction, rechercher comment un journaliste a été informé, par qui et dans quelles conditions.
Un magistrat, un enquêteur ou un tribunal peuvent exiger d’un journaliste qu’il leur livre sa source. Le journaliste s’expose même à une amende de 3 750 euros s’il refuse de remettre un document qui permettrait de remonter à sa source.
La seule disposition protectrice, nous la devons à Michel Vauzelle quand il était garde des sceaux. Elle résulte d’une loi du 4 janvier 1993. Elle autorise le journaliste, entendu comme témoin par un juge d’instruction, à refuser de livrer une information. Cette loi a constitué une amélioration significative. Toutefois, compte tenu de sa portée limitée, elle ne suffit plus.
C’est pourquoi le projet de loi affirme un principe clair : il consacre la protection du secret des sources comme un principe général de notre droit, valable en tous domaines. Par ailleurs, il décline les garanties qui en découlent. Il assure ainsi un plus juste équilibre en encadrant l’intervention de l’autorité judiciaire.
Le droit au secret des sources figurera désormais dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. C’est l’article 1er du projet de loi.
Pour pleinement mesurer la portée de ce principe, il faut rappeler les trois questions essentielles qui sont au cœur du débat.
Première question : quelles informations doivent être couvertes par le secret des sources ?
Pour définir l’information protégée, le projet de loi reprenait purement et simplement la formulation employée par la Cour européenne des droits de l’homme depuis l’arrêt Goodwin de 1996. La Cour de Strasbourg considère en effet que le secret des sources des journalistes doit être protégé « afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général ».
Cette formulation a suscité des interrogations, voire des critiques.
La commission des lois du Sénat, sur proposition de son rapporteur, a donc modifié le texte. Dans son amendement n° 1, elle retient une rédaction plus neutre et moins sujette à interprétation. Seraient ainsi protégées toutes les informations recueillies par les journalistes dans « l’exercice de leur mission d’information du public ».
Cette formulation correspond parfaitement à l’esprit du projet de loi. Elle devrait lever toute réserve de la part des journalistes. Le Gouvernement sera donc favorable à cet amendement.
Deuxième question essentielle : comment définir le journaliste ? Là encore, le Gouvernement a retenu une définition issue de la recommandation du Conseil de l’Europe du 8 mars 2000 sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information.
Cette définition a en effet paru plus satisfaisante et plus protectrice que celle qui est retenue par notre code du travail. Un critère qui reposerait sur les ressources tirées d’une activité de presse aurait été aléatoire et ne répondait pas à l’objectif poursuivi.
La définition large retenue dans le projet de loi répond donc aux préoccupations exprimées par les professionnels de la presse.
Le secret des sources s’applique aux informations obtenues par tout professionnel qui recueille et diffuse de l’information au public, quel que soit le média pour lequel il travaille – presse écrite, orale ou par internet, agences de presse – et qui exerce régulièrement cette activité en étant rémunéré pour cela.
Sont donc concernés tous les journalistes, mais aussi les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers.
La troisième et dernière question, tranchée dans l’article de principe introduit dans la loi de 1881, découle de la question précédente : la protection du secret des sources couvre-t-elle exclusivement le journaliste ? Le Gouvernement a toujours clairement affirmé que ce texte protège le secret des sources, quelle que soit la personne qui le détient.
L’Assemblée nationale entendait donner une garantie supplémentaire sur ce point. Elle a donc précisé les conditions dans lesquelles il peut être porté atteinte au secret des sources « directement ou indirectement ». Cette précision visait à englober tous les collaborateurs du journaliste ainsi que ses proches, qui peuvent également détenir le secret de ses sources.
Là encore, l’amendement n° 1 adopté par la commission des lois apporte plus de précision. Il définit l’atteinte indirecte au secret des sources pour viser expressément « toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources ».
La réponse apportée à ces trois questions permet de mesurer pleinement l’avancée sans précédent que constitue ce texte. Il donne – et c’est la première fois – une véritable assise juridique au secret des sources. Il consacre un nouveau principe général dans notre droit.
Ce principe est par ailleurs complété par des garanties destinées à préserver le secret des sources contre toute atteinte injustifiée.
De manière générale, le projet de loi limite les atteintes pouvant être portées au secret des sources. Ces atteintes doivent intervenir à titre exceptionnel et si un impératif prépondérant d’intérêt public le justifie. Cette règle vaudra en tous domaines.
La commission des lois propose d’ajouter une autre condition : que ces atteintes soient limitées aux mesures strictement nécessaires et qu’elles restent proportionnées au but que l’on cherche légitimement à atteindre. Le Gouvernement sera également favorable à cette précision complémentaire.
Dans le cadre d’une affaire pénale, le texte ajoute des conditions particulières – et c’est normal – permettant à la justice de remonter à la source d’information du journaliste. Il faut que la nature et la particulière gravité du crime ou du délit le justifient et que cela soit absolument nécessaire à l’enquête. La commission des lois propose une rédaction plus précise de ces conditions.
En revanche, il convient de se garder de vouloir établir une liste exhaustive de faits graves. Il faut impérativement laisser aux juges le soin d’apprécier au cas par cas s’il est justifié de savoir comment un journaliste a été informé et d’identifier sa source. Sans cette faculté d’appréciation, on empêcherait la justice d’agir dans des affaires a priori de moyenne gravité, mais dont les enjeux peuvent être importants.
Une atteinte au secret des sources serait évidemment disproportionnée dans le cadre d’une enquête portant sur de simples vols, sur de petites fraudes ou des escroqueries, sur des cercles de jeux clandestins ou sur des infractions au code de la route. La gravité des faits n’est évidemment pas suffisante.
De même, a priori, aucun impératif prépondérant d’intérêt public ne justifie que soit levé le secret des sources dans le cadre d’une affaire de contrefaçon. Toutefois, l’appréciation serait différente si la contrefaçon portait sur des produits de santé ou sur de simples vêtements, mais qu’un reportage révélait que c’est un moyen de financement de mouvances radicales, d’un réseau de criminalité organisée, voire de terroristes.
La loi belge de 2005 est parfois citée en exemple. Elle ne permet de lever le secret des sources que pour prévenir la commission d’infractions constituant une menace grave pour l’intégrité physique.
Je prendrai un exemple pour démontrer la rigueur excessive d’un texte aussi restrictif. Un meurtre odieux émeut la France, une enquête est ouverte, mais on ne dispose d’aucun indice pour identifier l’auteur. Un journaliste dispose d’une lettre anonyme qui pourrait permettre de remonter au meurtrier. Ces éléments peuvent être déterminants pour l’enquête.
Que doit-on faire dans ce cas ? Faut-il s’interdire de demander au journaliste comment lui est parvenue la lettre ? Doit-on s’interdire de lui demander de remettre le courrier ? S’il refuse, faut-il tout de même saisir ce document ou, au contraire, s’en abstenir afin de protéger la source du journaliste, au risque de laisser libre quelqu’un qui pourrait commettre un nouveau meurtre ?
La Belgique est allée très au-delà de ce qu’impose la Cour européenne des droits de l’homme après sa condamnation en 2003. Elle répond clairement que le secret des sources dans ce cas est absolu : parce que le crime est commis, il n’est plus nécessaire de lever le secret.
Je pose la question à la Haute Assemblée : dans cette hypothèse, accepterait-on en France de se priver d’identifier un meurtrier au nom de la protection du secret des sources ? Doit-on renoncer à éviter peut-être d’autres victimes ?
Nous consacrons enfin le secret des sources, mais ce n’est pas notre tradition de sacrifier à un principe, aussi important soit-il, tout autre intérêt légitime. Une société démocratique a besoin d’une justice efficace, qui garantit la sécurité de tous et qui protège.
Un équilibre est nécessaire entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle « un impératif prépondérant d’intérêt public », de la même façon que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit des limites à la liberté d’information.
Le projet de loi encadre l’intervention de l’autorité judiciaire. Seules les affaires les plus graves justifient une atteinte au secret des sources.
La justice, pour remplir sa mission, doit pouvoir obtenir certaines informations ou pouvoir y accéder.
Dans les affaires les plus graves, le projet de loi permet sous certaines conditions à la justice pénale de lever le secret des sources.
Tous les actes d’enquête et d’instruction seront soumis aux conditions restrictives qui permettent, à titre exceptionnel, d’identifier la source d’un journaliste. Si ces conditions ne sont pas satisfaites, les enquêteurs et les magistrats devront chercher à résoudre l’affaire sans passer en aucune façon par le journaliste. À défaut, leurs actes seront disproportionnés et annulés.
Le principe général posé dans la loi sur la liberté de la presse est décliné dans le code de procédure pénale. Le secret des sources est ainsi préservé lors des divers actes d’enquête et d’instruction qui peuvent être réalisés.
Le projet de loi encadre les perquisitions, les retranscriptions d’écoutes téléphoniques et toutes les réquisitions, y compris celles qui sont adressées aux opérateurs téléphoniques ou aux fournisseurs d’accès à internet.
Actuellement, le code de procédure pénale prévoit que les perquisitions dans les entreprises de presse ou de communication audiovisuelle sont effectuées par un magistrat. Le projet de loi va plus loin et étend cette garantie aux agences de presse, aux véhicules professionnels et au domicile des journalistes. Le texte tient ainsi compte des spécificités du travail journalistique.
Le magistrat effectuant la perquisition devra respecter les mêmes règles protectrices – voire plus protectrices – que celles qui s’appliquent aux perquisitions au cabinet ou au domicile d’un avocat. Il devra également s’assurer que ni la perquisition ni ce qu’il saisit ne portent une atteinte disproportionnée au secret des sources.
Le journaliste – ce n’est pas le cas pour les avocats – pourra s’opposer, durant la perquisition, à la saisie d’un document qui permettrait d’identifier l’une de ses sources. Il appartiendra alors au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la nécessité de saisir ce document et de le verser au dossier pénal.
De même, le projet de loi exclut, en principe, toute atteinte au secret des sources résultant d’écoutes téléphoniques ou de réquisitions, par exemple pour obtenir le relevé des communications du journaliste. Seules des infractions particulièrement graves permettront, à titre exceptionnel, une atteinte au secret des sources.
Il convient enfin de préciser que le projet de loi va bien au-delà des exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, il empêche de contraindre un journaliste à livrer sa source. Cela vaut même dans les hypothèses les plus graves. Dans ces cas, la loi permettra aux enquêteurs de passer outre le refus du journaliste de coopérer en utilisant leurs moyens d’investigations. Le journaliste ne pourra être ni poursuivi ni sanctionné pour avoir refusé son aide, contrairement au droit en vigueur. Le projet de loi consacre ainsi un droit au silence absolu du journaliste, comme cela avait été demandé durant la campagne pour l’élection présidentielle et comme Nicolas Sarkozy en avait pris l’engagement.
Un journaliste entendu comme témoin pourra invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale : lors de l’enquête initiale, qu’il s’agisse de l’enquête préliminaire ou de l’enquête de flagrance, lors de l’information judiciaire devant le juge d’instruction ou lors de l’audience devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises. Je rappelle que, aujourd'hui, le journaliste ne peut invoquer le secret des sources que lorsqu’il est entendu en qualité de témoin par le juge d’instruction.
Le journaliste n’encourra plus d’amende s’il se tait. Il en sera de même s’il refuse de fournir un document pour protéger ses sources. Les journalistes ne seront donc jamais contraints à livrer eux-mêmes leurs sources.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi tel qu’il résulte de son examen en première lecture par l’Assemblée nationale constitue une avancée sans équivalent. Il assure aux journalistes l’information nécessaire à l’exercice d’une libre information. Les journalistes sont mis en mesure de remplir pleinement le rôle de gardien de la démocratie que la Cour européenne des droits de l’homme leur confère.
C’est un projet de loi équilibré, qui concilie ce principe nouveau avec les nécessités d’action de l’autorité judiciaire.
Je connais votre attachement à la liberté de la presse. Je sais aussi que vous aurez à cœur de ne pas entraver plus que nécessaire l’action judiciaire. En soutenant ce projet de loi, je l’espère unanimement, vous contribuerez à un grand progrès démocratique, conforme à notre tradition républicaine. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, le Sénat est saisi du projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, qui a été adopté en première lecture le 15 mai dernier par l’Assemblée nationale.
Le quasi-silence du législateur sur un sujet aussi essentiel pour la liberté d’expression, et la liberté de la presse en particulier, ne laisse pas d’étonner. L’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 pose le principe de la liberté de communication et laisse à la loi la responsabilité d’en fixer les limites, afin de concilier l’exercice de cette liberté avec d’autres objectifs de valeur constitutionnelle, comme la sauvegarde de l’ordre public ou le respect de la vie privée.
La loi du 29 juillet 1881 encadre à cet égard la liberté de la presse. Elle définit en particulier les délits de diffamation, d’injure, d’outrage, d’incitation à commettre un crime, de propagation de fausses nouvelles, mais elle reste silencieuse sur le secret des sources, question évidemment cruciale au cœur de la relation existant entre la justice et la presse.
En effet, la justice et la presse revendiquent toutes les deux la recherche de la vérité. Et toutes les deux s’appuient sur le secret – le secret de l’instruction pour la première et le secret des sources pour la seconde – afin de découvrir la vérité.
Ces deux légitimités dans une société démocratique sont évidemment amenées à se heurter dès lors que la recherche de la vérité par l’une passe précisément par la connaissance, voire la divulgation, des informations couvertes par le secret de l’autre.
Ce texte, vous l’avez rappelé, madame le garde des sceaux, traduit un engagement de M. Nicolas Sarkozy pendant la campagne pour l’élection présidentielle. Il constitue également une réponse aux condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment pour violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Ce texte constitue aussi un pas en avant important pour les journalistes eux-mêmes, qui attendaient depuis longtemps cette évolution législative. L’article 1er affirme un grand principe, celui de la protection des sources. Il se veut d’abord un principe simple et limpide, afin de ne pas poser de problème particulier d’interprétation.
Tel qu’il résulte des travaux de l’Assemblée nationale, l’article 1er du projet de loi prévoit que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général ». Cette rédaction ayant fait débat lors de mes auditions, j’ai déposé un amendement tendant à la modifier. Je propose que le secret des sources des journalistes soit protégé non pas « afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général » mais « dans l’exercice de leur mission d’information du public ». Cette formulation semble faire l’unanimité, peut-être pas sur les travées de cet hémicycle, mais au moins chez les journalistes.
Il nous semble également nécessaire de préciser et de clarifier la rédaction de l’Assemblée nationale concernant la définition du journaliste.
Nous avons aussi travaillé, pour répondre à une préoccupation des professionnels, sur une meilleure protection des sources de l’ensemble de la chaîne de l’information. Il était effectivement important que les journalistes aient, en la matière, un signe fort, garant d’une réelle efficacité de la sécurité que l’on veut apporter.
Nous avons également, à travers les amendements que nous discuterons tout à l’heure, essayé de redéfinir de façon plus précise cette notion de chaîne de l’information, notamment en ce qui concerne les atteintes directes ou indirectes au secret des sources.
Tel est le principe affirmé par rapport au texte d’origine, qui est amélioré. Mais, comme pour tout principe, il faut s’interroger sur sa limite.
M. Jean-Pierre Sueur. Et voilà !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Autrement dit, et c’est une question essentielle, à quel moment ou dans quelles conditions peut-on porter atteinte à ce principe ?
Il y a deux façons d’aborder le sujet.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Soit on retient la logique suivie, par exemple, en Belgique, et l’on va très loin dans le dispositif, estimant que seule une menace sur l’intégrité physique des personnes autorise à porter atteinte au secret des sources.
M. Jean-Pierre Sueur. Oui !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Soit on se positionne par rapport à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en prévoyant, pour le juge, la possibilité d’apprécier les situations au cas par cas et en considérant qu’il doit exister un impératif prépondérant d’intérêt public pour qu’il puisse être porté atteinte à ce principe.
M. Jean-Pierre Sueur. Qu’est-ce qui est prépondérant ?
M. Michel Charasse. Le juge décidera !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission des lois propose de se caler sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Autre point abordé dans ce texte : en matière de procédure pénale, il est possible de porter atteinte au secret des sources, mais sous condition. Nous avons précisé les choses, ajoutant à l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public l’exigence que la mesure d’investigation soit indispensable à la manifestation de la vérité. La protection du secret des sources est donc renforcée.
Par ailleurs, le texte évolue également sur les conditions dans lesquelles les perquisitions sont effectuées. L’objectif a été de caler la procédure des perquisitions au sein d’organismes de presse sur celle qui est mise en place pour les avocats, avec l’intervention du bâtonnier.
S’il n’existe pas l’équivalent des bâtonniers pour les journalistes, il est, en revanche, possible d’assortir cette procédure de garanties, notamment par la présence de témoins et, surtout, par la saisine du juge des libertés et de la détention, qui sera le garant permanent des procédures menées. Est ainsi créé un moyen nouveau pour protéger les journalistes dans l’exercice de leur profession.
C’est porteur de ces principales évolutions que ce texte vient aujourd’hui en discussion devant nous. J’ai déposé, au nom de la commission des lois, seize amendements, dont quatre me paraissent fondamentaux.
D’abord, j’ai proposé de supprimer la disposition limitant aux seules questions dites d’intérêt général le bénéfice de la protection du secret des sources, d’étendre explicitement la protection de ce secret à l’ensemble de la chaîne de l’information, de compléter les conditions requises afin de pouvoir porter atteinte au secret des sources dans le cadre d’une procédure pénale et de préciser qu’une réquisition ou une écoute judiciaire est nulle si elle est prise en violation de ces conditions sans qu’il soit nécessaire que l’atteinte au secret soit disproportionnée. Autant de points majeurs en termes d’évolution sur ce sujet.
Reste en suspens l’une des demandes des journalistes, celle qui consistait à pouvoir revenir sur l’infraction de recel de violation du secret de l’instruction.
Nous le savons, lorsqu’un journaliste fait l’objet d’une procédure en diffamation, il peut, au titre de l’exceptio veritatis, donner tous les documents qu’il détient pour être en mesure de justifier que ce qu’il a écrit correspond à la vérité. Donc, il peut parfaitement produire un document qu’il a obtenu « sous le manteau ». (M. Michel Charasse s’exclame.) Dans cette hypothèse, le journaliste est bien sûr protégé et on ne peut pas lui reprocher de détenir ce document pour assurer sa propre défense.
En revanche, en dehors de la procédure de diffamation, il reste susceptible d’être poursuivi pour recel de violation du secret de l’instruction. Beaucoup de journalistes m’ont demandé de faire disparaître cette infraction du texte.
Je considère qu’accéder à cette demande constituerait une remise en cause très claire du principe du secret de l’instruction, lequel s’applique à un certain nombre de parties au procès.
De deux choses l’une : ou bien on dit que l’on supprime le secret de l’instruction – et je pense sincèrement que cela doit faire l’objet d’un débat spécifique parce que c’est un sujet en soi, qu’il n’est pas concevable d’aborder lors de la discussion de ce texte et c’est la raison pour laquelle je n’ai pas donné aux journalistes une réponse favorable à leur demande – ; ou bien on considère que le secret de l’instruction est quelque chose d’essentiel et de majeur et il faut effectivement maintenir le texte.
Ce projet de loi constitue-t-il une finalité ? Je dirai sincèrement qu’il constitue une évolution majeure pour la profession de journaliste, comme pour les relations entre la presse et la justice.
Ce texte ouvre des perspectives nouvelles. Il a permis de soulever un certain nombre de questionnements qui méritent d’être résolus et qui, faute de l’être dès maintenant, pourront trouver réponse dans les années à venir.
En revanche, la question de fond reste l’équilibre entre la protection proposée et la limite de celle-ci. La comparaison avec des professions réglementées comme celle d’avocat n’est pas pertinente dans la mesure où cette dernière, comme d’autres professions, s’exerce dans le cadre d’une organisation professionnelle qui, en contrepartie des droits, exige des devoirs.
Dans ces conditions, il serait intéressant pour les journalistes de poursuivre la réflexion consistant à revoir leur organisation professionnelle…
M. Michel Charasse. On peut rêver !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. …selon une structure sans doute différente de celle des avocats. Cela ne fait pas l’unanimité chez eux. Il n’empêche que le débat est ouvert. C’est l’une des pistes qui permettra de rouvrir, à un moment ou à un autre, cette discussion sur la protection totale demandée. Elle me paraît en l’état encore un peu prématurée, alors même que ce texte constitue une incontestable avancée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je m’exprime sur le temps de parole de mon groupe. On comprendra toutefois que la commission des affaires culturelles se soit également sentie concernée par le débat qui a lieu cet après-midi.
Nous nous réjouissons que le droit des journalistes à la protection du secret de leurs sources fasse enfin l’objet d’une inscription claire et sans ambiguïtés dans le droit positif français. C’est là l’aboutissement d’une préconisation déjà formulée dans le rapport d’information sur la crise de la presse de notre ancien et excellent collègue Louis de Broissia, et approuvée par la commission des affaires culturelles de notre assemblée voilà plus d’un an.
À travers ce rapport, la commission avait en effet appelé de ses vœux une consolidation du statut des journalistes afin qu’il ne soit porté atteinte à la protection du secret de leurs sources qu’à titre exceptionnel et lorsque la nature de l’infraction, sa particulière gravité, le justifie. Elle soulignait également la nécessité d’étendre au domicile des journalistes les règles spécifiques applicables aux perquisitions effectuées dans une entreprise de presse, en les rapprochant autant que faire se peut des garanties accordées aux avocats.
C’est pourquoi je me réjouis que ces deux garanties soient reprises par le présent projet de loi. Il s’agit là d’un signe fort à l’endroit d’une profession en perte de repères et dont le secteur d’activité, la presse, doit, plus que jamais, dans un contexte économique délicat, mettre l’accent sur la qualité de l’information, sa pluralité, son indépendance et sa réactivité.
La protection de la confidentialité des sources est un devoir autant qu’un droit. Elle est au cœur des obligations éthiques du métier de journaliste. Mais sa garantie est également une condition nécessaire de la liberté de la presse : l’assurance pour une source que son identité ne sera pas divulguée est l’indispensable corollaire de la mission d’information des journalistes, c’est-à-dire de leur devoir de rendre publics des éléments auxquels le citoyen n’a pas, seul, les moyens d’avoir accès. Cette confidentialité est donc une exigence capitale dans leur mission d’investigation, dans leur recherche constante de la vérité.
Je souhaite insister, en particulier, si vous le permettez, sur le lien entre la protection des sources journalistiques et la crédibilité de l’information, parce que ce lien est, à mon sens, d’une importance capitale pour la confiance que le lecteur accorde à la presse écrite. De la multiplicité des sources des journalistes, premier critère d’une information plurielle et indépendante, dépend la confiance que le citoyen place dans la qualité de l’information. Cette confiance est une garantie de la fidélité du lecteur à son quotidien, qui conditionne, en dernier ressort, la bonne santé du secteur de la presse écrite.
Or, nous le savons, la confiance de nos concitoyens dans la qualité de l’information s’est considérablement érodée.