M. Christian Poncelet. Oh oui !
M. Jacques Legendre. Selon une enquête TNS Sofres de janvier 2008, moins de la moitié des Français pense que « les choses se sont passées vraiment ou à peu près comme la presse écrite le montre ». Il y a évidemment à cette situation des causes multiples. Cela dépasse le problème de la vérification et de la connaissance des sources. Mais il est bon de le savoir…
Dès lors, face à une information dont la pluralité et l’indépendance sont régulièrement mises en doute, le renforcement de sa crédibilité est un premier pas essentiel pour sortir le secteur de la presse écrite de la crise qu’il connaît depuis trop longtemps. Le présent projet de loi, en confortant le statut des journalistes, y contribue donc pleinement.
En remédiant aux insuffisances de notre droit positif sur la protection du secret des sources des journalistes, le projet de loi satisfait également aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme qui, sur le fondement de l’article 10 de la convention l’instituant, a érigé le principe de la liberté du journaliste de ne pas révéler ses sources comme la « pierre angulaire de la liberté de la presse ».
Par ailleurs, je souhaite saluer la vigilance dont ont fait preuve les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat sur les limites qu’il convient de poser à la confidentialité des sources des journalistes, qui ne saurait être absolue.
À ce titre, je me félicite de la nouvelle rédaction du deuxième alinéa du texte proposé par l’article 1er pour l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881, introduite par l’Assemblée nationale préférant l’« impératif prépondérant d’intérêt public » à l’expression initiale encore trop incertaine d’« intérêt impérieux ».
Je souscris, en outre, aux précisions que souhaite apporter la commission des lois de notre Haute Assemblée, par voie d’amendement, au projet de loi : ces modifications visent essentiellement à lever les risques de malentendu sur la définition du principe de protection du secret des sources que faisait peser la rédaction initiale du projet de loi.
Ces amendements permettent, d’une part, de mieux définir le périmètre du principe consacré, en rappelant que la protection du secret des sources des journalistes intervient dans « l’exercice de leur mission d’information du public ». Ils visent, d’autre part, à étendre explicitement le bénéfice de la protection du secret des sources à l’ensemble de la chaîne de l’information. Il s’agit là d’une précision indispensable dès lors qu’au sein des rédactions l’information est appelée à circuler entre plusieurs personnes, notamment les directeurs de publication responsables à l’extérieur de ce qui est publié.
Par l’ensemble de ces modifications, le Parlement met en place un cadre légal suffisamment précis pour conférer au journaliste des garanties proches de celles qui sont accordées aux professions réglementées astreintes au secret professionnel. Dans ces circonstances, le journaliste se trouve renforcé dans le double rapport de confiance qu’il doit entretenir aussi bien avec ses sources qu’avec ses lecteurs.
Enfin, je partage l’analyse de la commission des lois du Sénat selon laquelle la consécration du principe général de protection du secret des sources, par l’article 1er du projet de loi, suffit à couvrir du sceau de la confidentialité les sources dématérialisées. En effet, les données téléphoniques des journalistes archivées par les opérateurs téléphoniques ne peuvent, en toute logique, être communiquées au juge d’instruction qu’à la condition que celui-ci avance l’existence d’un « motif prépondérant d’intérêt public » à l’appui d’une telle mesure.
En conclusion, je me réjouis que le législateur accède enfin à une revendication exprimée de longue date par les journalistes.
Ce projet de loi va, en effet, dans le sens d’une plus grande crédibilité de l’information et d’une indépendance accrue des journalistes dans leur mission d’investigation. Il ouvre la voie à une forme originale de « secret professionnel » longtemps souhaité par la profession de journaliste, qui a démontré, par là, qu’elle envisageait le secret des sources comme un devoir autant qu’un droit.
Le dispositif, équilibré, réserve aux seuls journalistes le choix de dévoiler ou de taire leurs sources. C’est précisément l’évolution que recommandait le groupe de travail sur l’avenir de la presse, installé par notre commission l’année dernière et qui avait permis d’associer à cette réflexion l’ensemble des partis politiques.
C’est pourquoi j’espère que notre Haute Assemblée parviendra à un large accord sur un texte propre à conforter le statut des journalistes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je vous remercie.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, dans toute société démocratique, les journalistes jouent un rôle capital dans l’information des citoyens.
La possibilité pour eux de garder le secret quant à l’origine de leurs informations est nécessaire afin de ne pas tarir leurs sources et de garantir la liberté d’information des citoyens.
La protection du secret des sources apparaît dès lors comme le corollaire direct du droit à l’information.
Or, notre droit actuel reste insuffisant. Il n’assure qu’une protection partielle du secret des sources, ne reconnaissant pas aux journalistes le droit au secret professionnel.
Certes, la loi du 4 janvier 1993 a constitué une avancée sur ce point, en leur reconnaissant le droit de taire leurs sources lorsqu’ils sont entendus comme témoins. Mais il s’agit d’un droit de non-divulgation, qui laisse au journaliste la liberté de révéler ou de ne pas révéler.
De plus, ce droit au silence est aujourd’hui limité à la phase d’instruction : il ne s’applique pas à la phase de jugement.
La loi de 1993 a, en outre, introduit dans le code de procédure pénale un article 56-2 relatif aux perquisitions dans les entreprises de presse.
Cet article prévoit que de telles perquisitions ne peuvent être réalisées que par un magistrat chargé de veiller à ce que les investigations « ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste ».
Ces garanties apparaissent insuffisantes.
Enfin, notre législation en la matière n’est pas conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’interprétation très extensive qu’en a faite la Cour de Strasbourg au fil des ans, notamment par l’arrêt Goodwin contre Royaume-Uni de mars 1996.
Par sa jurisprudence, la Cour a établi que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et qu’elle doit être garantie, car, si ce principe n’était pas respecté, la presse pourrait être « moins à même de jouer son rôle indispensable de “chien de garde” de la démocratie ».
La Cour ajoute que les journalistes doivent pouvoir ne pas révéler leurs sources à l’autorité judiciaire, sauf si l’atteinte au secret est justifiée par « un impératif prépondérant d’intérêt public ».
Il était donc urgent et nécessaire de remédier aux insuffisances de notre droit au regard de la jurisprudence européenne en conférant une véritable assise juridique au secret des sources.
Tel est l’objet du projet de loi qui nous est soumis.
Je tiens, au nom de l’ensemble de mes collègues du groupe UMP, à saluer l’engagement du Président de la République, qui avait promis, durant la campagne pour l’élection présidentielle, de réformer le droit en vigueur pour renforcer la liberté d’information (M. Michel Charasse s’exclame) et, ainsi, consolider la démocratie.
C’est donc avec satisfaction que nous examinons aujourd’hui ce projet de loi attendu qui montre l’importance accordée par le Gouvernement à la liberté d’information et à l’indépendance des journalistes.
Ce texte comporte des avancées considérables. Il ne s’agit ni d’une petite réforme ni d’une simple adaptation de nos règles de droit.
Au contraire, il s’agit d’un texte majeur qui pose un nouveau principe au service de la liberté d’informer et de notre démocratie. Pour la première fois en effet, le principe de protection du secret des sources est véritablement garanti.
Le principe général posé dans la loi de 1881 s’appliquera dans tous les domaines, notamment devant les juridictions répressives, et cela même en l’absence de dispositions particulières.
Tous les actes d’enquête et d’instruction seront soumis aux conditions restrictives, qui permettent, à titre exceptionnel seulement, d’identifier la source d’un journaliste.
Les journalistes se voient par ailleurs reconnaître un droit au silence absolu, un droit de taire leurs sources en toutes circonstances.
Entendus comme témoins, ils pourront invoquer le secret des sources à tous les stades de la procédure pénale.
Le projet de loi les protège également davantage en cas de perquisition.
Il encadre, en outre, de façon plus rigoureuse l’intervention de l’autorité judiciaire, car, comme vous le souligniez à juste titre, madame le garde des sceaux, « le secret des sources doit pouvoir être levé dans certaines conditions très encadrées. Il ne peut être absolu. ».
Il doit, en effet, exister un juste équilibre entre la protection des sources et ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle « un impératif prépondérant d’intérêt public ».
Ainsi, il ne pourra être porté atteinte au secret des sources qu’à titre exceptionnel et lorsqu’un intérêt impérieux l’imposera.
Cette atteinte devra être strictement nécessaire et proportionnée. Ainsi, il sera possible à un juge d’exiger qu’un journaliste révèle l’identité de ses sources dans une affaire de terrorisme ou de crime organisé.
Ce projet de loi nous paraît donc parfaitement équilibré. Il est protecteur pour les journalistes tout en permettant, néanmoins, une intervention encadrée du juge.
Le rapporteur, M. François-Noël Buffet, proposera à notre assemblée des amendements qui tendent à renforcer davantage les garanties apportées par ce projet de loi et que nous soutiendrons.
Sans en modifier l’équilibre, ces amendements opèrent une clarification utile du texte afin d’écarter tout malentendu et tout risque d’interprétation restrictive de la protection du secret des sources.
Avant de conclure, je souhaiterais abonder dans le sens de M. le rapporteur : il nous semble nécessaire que puisse être menée une vraie réflexion sur l’organisation de la profession de journaliste, notamment en matière de déontologie.
En effet, dans la mesure où ce projet de loi vise à reconnaître de nouveaux droits et à faire bénéficier les journalistes de procédures dérogatoires au droit commun habituellement réservées à des professions réglementées, il n’est pas illégitime d’envisager des contreparties garantissant que les journalistes n’abuseront pas de ces nouveaux droits.
Pour l’ensemble de ces raisons et sous réserve de ces observations, le groupe UMP votera en faveur de ce projet de loi tel qu’enrichi par les pertinentes propositions de M. le rapporteur. (Vifs applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, attendue depuis fort longtemps – il s’agit, on l’a dit, de l’une des plus anciennes revendications des journalistes –, la protection des sources des journalistes sera, si le Parlement en décide ainsi, consacrée par le présent projet de loi.
Les relations entre la presse et la justice sont complexes. L’équilibre entre la liberté de la presse, le droit des victimes et le secret de l’instruction est souvent difficile à trouver.
Toutefois, sans méconnaître le principe de l’égalité de tous devant la loi, il est incontestable que notre législation est aujourd’hui silencieuse sur la protection du secret des sources des journalistes.
Cette situation est d’autant plus regrettable que certaines affaires, comme celle qui, récemment, a opposé le magazine Auto Plus et l’entreprise Renault, ont montré que les atteintes à la liberté de la presse pouvaient atteindre des proportions très regrettables.
L’affaire que je viens de citer est l’illustration parfaite des sérieuses lacunes qu’accuse notre droit et montre que celui-ci est peu protecteur du secret des sources.
Or cette protection est nécessaire, non seulement parce que c’est une garantie fondamentale de la liberté de la presse, mais aussi parce que la France a été à plusieurs reprises condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
La jurisprudence de la Cour de Strasbourg est particulièrement libérale et protectrice des journalistes et il est instructif de s’arrêter sur l’état d’esprit qui a présidé à son élaboration.
Ainsi, dans le célèbre arrêt Goodwin contre Royaume-Uni du 27 mars 1996, arrêt de référence en la matière, la Cour européenne affirme le droit des journalistes à protéger leurs sources.
Cependant, elle ne se limite pas à consacrer cette protection : elle saisit cette occasion pour également affirmer le rôle déterminant des journalistes dans nos sociétés démocratiques contemporaines.
Partant de diverses considérations, la Cour de Strasbourg décline également sa doctrine sur la protection des sources : « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. »
Au fil de sa jurisprudence, la Cour a reconnu que trois motifs pouvaient porter atteinte à ce principe : l’existence d’un impératif prépondérant d’intérêt public ; la nécessité de l’atteinte, c’est-à-dire l’importance de la recherche pour réprimer ou prévenir l’infraction ; la proportionnalité de l’atteinte, et notamment l’existence d’autres mesures qui permettent d’arriver aux mêmes résultats.
Dans un arrêt récent de novembre 2007, Tillack contre Belgique, elle va jusqu’à considérer que le « droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou refusé en fonction de la licéité ou de l’illicéité des sources, mais comme un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection ».
Il est à noter également que, quelques années après l’arrêt Goodwin, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation invitant les États à prendre les mesures nécessaires à la protection des sources des journalistes.
Force est de constater que la France, contrairement à d’autres pays européens comme la Belgique, est aujourd’hui très en retard.
Les seules mesures actuellement en vigueur permettant de protéger à minima les journalistes datent de la loi du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale, qui autorise le journaliste à ne pas divulguer ses sources lorsqu’il est entendu comme témoin devant un juge d’instruction, et de la loi du 9 mars 2004, dite « Perben II », laquelle protège le journaliste en cas de réquisition judiciaire.
Notre pays a donc une législation extrêmement parcellaire et se trouve de plus en plus en opposition avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a d’ailleurs condamné à plusieurs reprises, principalement en 1999 et en 2007.
Dans ces affaires, la Cour de Strasbourg a d’ailleurs eu à se prononcer sur un deuxième sujet majeur et typiquement français : la condamnation pour délit de recel de violation du secret de l’instruction ou du secret professionnel. En effet, les juges français ont eu de plus en plus tendance ces dernières années à condamner les journalistes sur le fondement de ces deux infractions et donc à autoriser dans le cadre de l’enquête des perquisitions. Dans l’affaire Fressoz et Roire notamment, il s’agissait du secret fiscal, après la publication de la déclaration de revenus de M. Calvet.
M. Michel Charasse. Pas la déclaration de revenus, l’avis d’imposition !
M. François Zocchetto. Cet état de la jurisprudence française place les journalistes dans une situation d’insécurité juridique (M. Michel Charasse s’exclame), d’autant plus ennuyeuse que les affaires ont eu tendance à se multiplier.
Il était donc nécessaire et même urgent qu’une loi intervienne et nous saluons le Gouvernement pour avoir pris l’initiative de ce projet de loi qui relaye une disposition annoncée par le Président de la République.
M. le rapporteur a excellemment exposé les dispositions du texte et je me bornerai donc à quelques remarques. Il me semble en effet que son approche très perspicace nous permet de revenir utilement sur certains aspects du texte, en particulier pour apporter des précisions sur des termes flous laissant une trop grande marge d’appréciation aux juges, qui risquent de ce fait de rendre des décisions s’éloignant des principes de la jurisprudence européenne.
Ainsi, je salue l’amendement de réécriture du rapporteur qui précise la notion d’« information du public » et sa finalité. La commission a en effet jugé utile que cette information du public ne porte pas seulement sur des questions d’intérêt général, ce qui est une bonne chose.
La commission propose également de définir la nécessité et la proportionnalité de l’atteinte en cas de procédure pénale, ce qui est également une bonne chose.
Toujours dans le même esprit, la commission apporte des précisions nécessaires sur la définition de l’atteinte indirecte.
Pour certains, le projet de loi aurait dû aller plus loin en supprimant le délit de recel de violation du secret de l’instruction ou du secret professionnel.
Pour ma part, je partage totalement la position de M. le rapporteur sur cette question qui se pose avec pertinence, car il arrive fréquemment que, pour contourner les difficultés liées à la protection des sources, les journalistes soient mis en examen sur le fondement de ces infractions.
Toutefois, comme l’écrit à juste titre M. le rapporteur, la suppression pure et simple de ces infractions « aurait pour effet de signer en pratique la fin du secret de l’instruction, puisqu’aucun frein ne pourrait plus y être opposé. Certes, d’ores et déjà, le secret de l’instruction est très affaibli. Mais l’existence du délit de recel a malgré tout pour effet d’obliger les journalistes à adopter une attitude responsable et à ne pas céder systématiquement à la facilité de publier des pièces protégées par le secret de l’instruction. »
M. Michel Charasse. On peut toujours rêver !
M. François Zocchetto. J’en conviens, la question reste entière, mais elle pourra faire l’objet d’une réflexion plus approfondie dans le cadre des États généraux de la presse.
Pour finir, je crains que notre débat de cet après-midi ne débouche pas sur un consensus. J’ai cru comprendre que certains, au motif que les dispositions proposées étaient insuffisantes, ne voteraient pas le texte, même amendé. Je le regrette, car je pense sincèrement que toutes les mesures qui nous sont soumises aujourd’hui sont d’une importance majeure : elles visent à protéger les journalistes et donc à garantir la liberté et le pluralisme de la presse.
Chacun prendra ses responsabilités ! La liberté de la presse est un principe fondamental, garant d’une libre expression et garant des sociétés démocratiques. Nous devons donc tous, en tant que parlementaires, nous faire un devoir de la protéger.
C’est pourquoi, même si des questions demeurent, je crois qu’il est fondamental que nous adoptions ce projet de loi. Il est attendu depuis trop longtemps pour que nous tardions encore à consacrer dans la loi le principe du secret des sources des journalistes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi relatif à la protection du secret des sources des journalistes, cinq jours seulement après son inscription à l’ordre du jour par le Gouvernement.
En préambule, je ne peux donc que déplorer les conditions d’examen de ce texte, avant d’en aborder le fond. Le Gouvernement a décidément bien du mal à traduire dans la pratique le discours qu’il nous a inlassablement répété durant l’examen de la révision constitutionnelle sur la revalorisation du rôle du Parlement, censé être davantage associé à la fixation de l’ordre du jour, et sur le temps nécessaire pour légiférer en toute quiétude. Je le regrette, mais je n’en suis guère étonnée.
Le sujet du jour est le principe de la protection du secret des sources des journalistes, qui attendait une reconnaissance législative.
La loi de 1881 a constitué, sous la IIIe République, une avancée considérable pour la liberté d’expression et la liberté de la presse, mais elle ne reconnaît pas le principe de la protection des sources.
La Charte des devoirs professionnels des journalistes français adoptée en 1918 dispose : « Un journaliste, digne de ce nom, [...] garde le secret professionnel ; [...] ne confond pas son rôle avec celui du policier. »
Plus tard, le principe fut repris dans la Déclaration des droits et devoirs des journalistes de 1971 : « Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la rédaction et le commentaire des événements sont : [...]
« Garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ; ».
Dans le cas plus précis de la France, seule la loi Vauzelle du 4 janvier 1993 modifie l’article 109 du code de procédure pénale : « Tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l’exercice de son activité, est libre de ne pas en révéler l’origine. »
Mais, depuis cette date, la législation française n’a pas spécifiquement consacré le principe de la protection du secret des sources, bien que celui-ci soit reconnu au niveau international et européen. Cependant, la Cour européenne des droits de l’homme l’a proclamé comme étant un élément essentiel de la liberté d’expression dans plusieurs de ses arrêts, allant même jusqu’à le considérer, dans son arrêt Roemen et Schmit contre Luxembourg de février 2003, comme étant « l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse. »
Le secret des sources fait partie intégrante de la liberté d’information et de la liberté d’expression C’est sur ce fondement que la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le 7 juin 2007, estimant que la condamnation de deux journalistes qui avaient refusé de révéler leurs sources constituait une violation de la liberté d’expression.
Les journalistes français se trouvent donc confrontés à une problématique sinon insoluble, du moins insatisfaisante : soit ils révèlent leurs sources, soit ils doivent faire face à des condamnations judiciaires. Dans les deux cas, la liberté d’information est mise en danger : les sources, se sachant identifiables, finiront par se raréfier, voire par disparaître, et les journalistes, menacés de sanctions judiciaires, hésiteront avant de publier une information. Enfin, le public risque de connaître, progressivement, une presse uniforme, lisse et qui s’autocensure.
La situation est d’autant plus critique aujourd’hui que les grands groupes de presse n’appartiennent qu’à quelques personnes, telles que Lagardère, Bouygues, Bolloré ou Dassault, toutes proches, voire intimes, du pouvoir exécutif en place.
Reconnaître la protection du secret des sources constitue une exigence démocratique, afin de garantir une presse libre et indépendante, protégée des pressions.
C’était l’objectif attendu de la profession, soumise de plus en plus fréquemment à des procédures judiciaires destinées à remonter leurs sources : multiplication des mises en examen ou encore des perquisitions visant les rédactions et leurs membres.
Je citerai simplement les perquisitions au Canard Enchaîné, la mise en examen de Denis Robert dans l’affaire Clearstream, les perquisitions au Point et à L’Équipe dans l’affaire Cofidis, et la garde à vue récente du journaliste Guillaume Dasquié, pigiste au Monde, pour la divulgation de documents provenant de la Direction générale de la sécurité extérieure, la DGSE.
Le présent projet de loi est-il de nature à dissiper les craintes des journalistes et à assurer le droit à l’information ? Le texte initial ne contient pas les traductions de ces exigences. En effet, il se situe en retrait par rapport à la jurisprudence européenne et au droit européen. Le 8 mars 2000, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation sur le droit des journalistes de ne pas révéler leurs sources d’information, réaffirmant « que le droit à la liberté d’expression et d’information constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique ».
Le texte se situe également en retrait par rapport à d’autres législations d’États membres, telle la Belgique, dont la fameuse loi d’avril 2005 accorde une protection très étendue du secret des sources non seulement des journalistes, mais aussi de leurs collaborateurs.
Or si l’on regarde attentivement et dans le détail le projet de loi, force est d’admettre qu’il n’est pas à la hauteur des enjeux et qu’il n’est pas aussi protecteur que le Gouvernement voudrait nous le faire croire. Les deux premiers articles concentrent l’essentiel des critiques.
L’article 1er crée un nouvel article 2 pour la loi du 29 juillet 1881. Il était très contestable dans sa présentation initiale pour trois raisons principales.
Tout d’abord, il prévoyait que le secret des sources des journalistes était protégé « afin de permettre l’information du public sur des questions d’intérêt général. » Cette formulation, reprise de la recommandation de juillet 2000, laisse toutefois perplexe. Est-ce à dire que, dans les autres cas, le secret des sources ne serait pas protégé ? On peut légitimement le craindre.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Quels seraient ces cas et comment seraient-ils définis ? Ce texte risque donc d’introduire un clivage entre différentes formes de presse.
Ensuite, le principe énoncé était aussitôt tempéré par une exception. Trois conditions étaient ainsi définies pour encadrer les pouvoirs du juge : « Il ne peut être porté atteinte à ce secret que lorsqu’un intérêt impérieux l’impose […] si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit […] ainsi que les nécessités des investigations le justifient. »
Enfin, la définition donnée de la personne protégée ne prenait pas en compte l’ensemble des professionnels, à commencer par les collaborateurs, c’est-à-dire les personnes gravitant autour des journalistes, pas plus que n’était définie la notion de source.
Le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’a pas levé toutes les ambiguïtés de l’article 1er : il ne revient pas, notamment, sur la question de l’« intérêt général » devant caractériser l’information du public.
Dans les trois conditions définies pour encadrer les pouvoirs du juge, la notion d’« intérêt impérieux » a été remplacée par celle d’« impératif prépondérant d’intérêt public », qui est une reprise des termes de la Cour européenne des droits de l’homme, et l’atteinte au secret reste possible « si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit sur lesquels elle porte ainsi que les nécessités des investigations rendent cette atteinte strictement nécessaire. »
Si la notion d’« intérêt impérieux » a heureusement été abandonnée, parce qu’elle était trop floue, les imprécisions du texte initial n’ont pas été levées : comment apprécier « l’impératif prépondérant d’intérêt public » ou encore la « particulière gravité du crime » ? Ces notions sont subjectives ; elles risquent de dépendre de l’humeur de l’opinion publique à un moment donné.
La question des collaborateurs des journalistes a été réglée par le rapporteur de l’Assemblée nationale un peu trop rapidement, me semble-t-il, en prévoyant que l’atteinte portée au secret des sources peut être directe ou indirecte. Mais cette précision est incomplète ; elle ne permet pas une protection suffisante de la chaîne de diffusion de l’information. Par ailleurs, la définition de ce qu’est une source fait toujours défaut.
Je prendrai l’exemple de la loi belge de 2005 : la protection accordée par l’article 2 aux collaborateurs est explicite ; ils sont protégés au même titre que les journalistes, dont la définition est également plus satisfaisante que celle qui figure dans le présent projet de loi.
La loi belge définit également les informations et documents susceptibles d’identifier une source, ce que prévoyait la recommandation du Comité des ministres du 8 juillet 2000.
Le projet de loi reste muet sur la question des sources et des informations susceptibles de les identifier.
L’article 2, quant à lui, modifie le code de procédure pénale afin d’encadrer les perquisitions dans une entreprise de presse ou au domicile du journaliste. Mais le texte initial présentait quelques lacunes, comblées par les députés : les perquisitions dans les entreprises de communication au public en ligne ou encore dans les véhicules professionnels des journalistes, oubliées à l’origine, sont désormais elles aussi encadrées.
Les éléments saisis seront mis sous scellés et le juge des libertés et de la détention décidera s’ils doivent ou non être pris en compte dans la procédure, après débat avec le journaliste concerné, celui-ci pouvant en effet s’opposer à la saisie s’il l’estime irrégulière.
L’objectif visé est de calquer les garanties relatives aux perquisitions dans les locaux des journalistes sur celles dont bénéficient les avocats, mais à une différence près, et pas des moindres : en cas de perquisition dans un cabinet d’avocats, le bâtonnier est présent, ce qui constitue une garantie supplémentaire qui n’existe pas pour les journalistes.
Enfin, les articles 3 bis et 3 ter ont été insérés par l’Assemblée nationale, sur l’initiative du rapporteur : le premier porte sur les réquisitions et le second sur les écoutes téléphoniques.
Il faut saluer le fait que les députés aient abordé la question des réquisitions, mais notre optimisme s’arrête à la lecture de l’article 3 bis. En effet, celui-ci prévoit que toute réquisition judiciaire qui porterait illégalement atteinte au secret des sources serait nulle. Le problème des réquisitions, notamment en ce qui concerne celles qui sont destinées à obtenir la liste des appels émis ou reçus par un journaliste auprès de son opérateur téléphonique, est soulevé de façon récurrente par les journalistes.
Si les perquisitions bénéficient d’un encadrement malgré tout assez strict, les réquisitions constituent, quant à elles, un réel danger pour les sources des journalistes. En effet, la police peut tout à fait envoyer une réquisition aux opérateurs téléphoniques et ainsi obtenir la liste des appels reçus ou émis par le journaliste, sans même que celui-ci en soit informé. Or rien ne sert de poser le principe de la protection du secret des sources si la police ou le juge peuvent obtenir la liste des numéros émis ou reçus par un journaliste.
L’article 3 bis ne règle que partiellement la question, puisque la nullité est une sanction qui intervient a posteriori. Le policier ou le juge pourront toujours avoir connaissance des sources. De plus, cet article atténue la portée de la protection, puisque, pour que la nullité soit reconnue, il faut que l’atteinte ait été « disproportionnée, au regard de la gravité et de la nature de l’infraction ».
Quant à l’article 3 ter, mes remarques seront du même ordre : il tend à sanctionner de nullité la transcription des écoutes judiciaires lorsque celles-ci portent atteinte de façon disproportionnée au secret des sources.
En conclusion, j’aurais souhaité que ce projet de loi offre une réelle protection du secret des sources des journalistes. Mais l’imprécision des formulations retenues par l’article 1er, tant dans le principe de protection que dans les dérogations prévues, traduit une sorte de méfiance à l’égard de la profession journalistique.
J’ai l’impression que le Gouvernement a cherché davantage à se donner les moyens de pouvoir contourner le secret des sources qu’à le protéger véritablement.
Nous attendons le débat sur les amendements – les nôtres, bien sûr, mais aussi ceux de M. le rapporteur et de nos collègues – pour voir si le Gouvernement a le courage de consacrer réellement le principe de la protection du secret des sources des journalistes. Si tel n’était pas le cas, nous ne pourrions voter en faveur de ce texte. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)