Mme Nicole Bricq. Ils n’ont rien entendu !
M. François Marc. Chaque fois, le Gouvernement nous répondait avec une certaine morgue qu’il fallait « respecter la grammaire du monde des affaires » et qu’il n’appartenait pas aux pouvoirs publics de se mêler de la finance. La grammaire du monde des affaires ! Merveilleuse expression qui ne voulait à peu près rien dire, si ce n’est que l’État s’était résigné au « laisser-faire »...
Il a fallu une crise financière d’une ampleur inédite pour que les choses évoluent ! Car, pour nos concitoyens, mes chers collègues, la question des rémunérations des dirigeants d’entreprise constitue aujourd’hui un véritable scandale : le jackpot réservé à quelques-uns et un pouvoir d’achat en berne pour tous les autres ! La revue Capital soulignait ces derniers jours que le salaire des cinquante patrons français les mieux payés a bondi de 20 % en 2007 : ils ont touché en moyenne 310 fois l’équivalent du SMIC ! C’est particulièrement visible dans le cas du patron le mieux payé, Jean-Philippe Thierry, mais aussi dans celui du deuxième du palmarès, Pierre Verluca, patron de Vallourec, dont la rémunération a bondi de 32 %, avec 12,4 millions d’euros, alors que les bénéfices de sa société augmentaient d’à peine 8 %. Que dire des stock-options qui, grâce à la flambée de la bourse, ont vitaminé les revenus des patrons en leur rapportant 70 % de plus qu’en 2006 !
Comment en est-on arrivé là ? Les raisons de fond sont bien connues : la dérive de la gouvernance des entreprises, la financiarisation de l’économie, la recherche de la rentabilité à court terme. Bref, nous connaissons aujourd’hui, comme le souligne Daniel Cohen, une révolution financière qui a arraché les managers au salariat et les a rendus actionnaires. D’où une attention soutenue de la gouvernance à la maximisation des profits boursiers.
Je rappelle que la France est le pays au monde où la part des stock-options dans la rémunération totale est la plus élevée, même par rapport aux États-Unis. Mais on notera que, si 80 % des entreprises du CAC 40 proposent des stock-options, cela ne concerne que 1 % à 2 % des salariés.
Selon le journal allemand Der Spiegel du 22 juin 2006, les chefs des grandes entreprises françaises sont les mieux payés d’Europe.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. François Marc. Par rapport à cet état de fait, qui est incontournable, on nous parle d’une proposition de code de bonne conduite. M. le ministre et M. le rapporteur de la commission des lois en ont eux-mêmes parlé. Ce code de bonne conduite me fait penser à celui que M. Rockefeller avait proposé il y a un certain nombre d’années, selon lequel un patron ne devait pas gagner plus de quarante fois le salaire d’un ouvrier. On sait ce qu’il est aujourd’hui advenu de ce code de bonne conduite, puisque, dans bon nombre d’entreprises, le rapport entre la rémunération des ouvriers et celle des dirigeants est supérieur à 500 !
Comme le Président de la République l’a lui-même souligné, l’injustice criante des rémunérations appelle une maîtrise et une régulation. Tel est l’objet de la proposition de loi que Nicole Bricq vous a présentée à l’instant.
Nous y proposons un certain nombre de mesures visant à limiter les cumuls excessifs des rémunérations, à introduire plus de contrôle et de transparence dans ces rémunérations, à instaurer une véritable responsabilité personnelle du dirigeant, à favoriser un meilleur encadrement des stock-options, à mettre en place une fiscalité adaptée des indemnités. Incontestablement, mes chers collègues, la transparence est à nos yeux et pour l’ensemble de nos concitoyens une exigence fondamentale.
En complétant le droit existant, il s’agit d’enrichir les informations qui doivent être délivrées à l’assemblée générale des actionnaires dans le cadre de l’obligation prévue à l’article L.225-102-1 du code du commerce. Eu égard à la pratique, il convient que toutes les rémunérations et avantages directs et indirects soient soumis à publicité ; c’est ce que nous demandons.
Cette obligation de transparence doit donc également viser les éléments de rémunération versés par une société se trouvant à l’étranger, par exemple dans un paradis fiscal, dès lors qu’elle a un lien juridique direct ou indirect avec la société pour laquelle le dirigeant comme l’administrateur exercent leur mandat.
Je souhaite plus particulièrement souligner le bien-fondé de cette proposition de loi en m’attachant aux trois premiers articles, ceux qui visent à la suppression du cumul d’un contrat de travail et d’un mandat social.
L’objet de ces trois premiers articles est simple : il s’agit de mettre fin aux ambiguïtés de la relation entre l’entreprise et son dirigeant, qui expliquent en grande partie les dérives récentes qui ont fait scandale.
La plupart des dirigeants jouissent, en effet, d’un contrat de travail qui est « officiellement suspendu » durant le mandat social mais qui est remis en vigueur au moment de leur départ, afin de légitimer qu’ils puissent toucher des indemnités de départ, les parachutes dorés notamment.
D’un point de vue juridique et organisationnel, on ne peut accepter que soit salarié, c’est-à-dire caractérisé par un lien de subordination, celui-là même qui dirige l’entreprise.
Donc, le dirigeant ne peut avoir le statut de mandataire social et bénéficier en même temps des garanties liées à un contrat de travail.
L’objet de notre proposition est donc d’interdire ce cumul du statut de salarié pour un dirigeant en fonction. De ce point de vue, la jurisprudence constante de la Cour de cassation a affirmé avec netteté qu’un administrateur en fonction ne peut pas conclure un contrat de travail avec la société.
La chambre sociale, dans un arrêt du 21 novembre 2006, a affirmé que le contrat de travail signé par un administrateur en fonction serait frappé de nullité absolue et que l’administrateur devrait restituer le salaire et les accessoires de salaire qu’il a perçus.
Voilà, mes chers collègues, quelques éléments d’évidence qui nous conduisent à penser que, dans la formulation juridique, il convient aujourd’hui de progresser et de mettre en place les garde-fous nécessaires.
En conclusion, il me paraît utile de rappeler quelques éléments, compte tenu de ce que nous a dit le ministre.
Le Président de la République a lui-même déclaré, dans son discours de Toulon – et ses propos valent la peine d’être cités : « Je n’hésite pas à dire que les modes de rémunérations des dirigeants et des opérateurs doivent désormais être encadrés. Il y a eu trop d’abus, trop de scandales. »
Dans le même temps, certains nous disent qu’il faut revaloriser le rôle de l’opposition parlementaire. La meilleure manière de le faire serait peut-être d’examiner les propositions de lois qui sont déposées ! Ce serait faire preuve d’un minimum de respect pour l’opposition.
Mme Nicole Bricq. Ce serait bienvenu !
M. François Marc. Nous avons également entendu dire, ces dernières semaines, qu’il fallait, face à la crise profonde que nous traversons, une forme d’union sacrée, une mobilisation collective pour essayer de résoudre les problèmes qui se posent à nous aujourd’hui.
Devant de tels propos, qui relèvent sans doute de discours de circonstances, si l’on en juge par la façon dont nos propositions sont reçues aujourd’hui, il y a lieu d’être très inquiet pour l’avenir. En effet, depuis quelques années, chaque fois que nous avons émis des propositions, nous nous sommes vu opposer une fin de non-recevoir. Nous avons encore entendu, aujourd’hui, les mêmes observations : « c’est prématuré, ce n’est pas opportun, il vaut mieux attendre, on verra plus tard ».
Voilà, mes chers collègues, dans quel état d’esprit nous sommes aujourd’hui en présentant cette proposition de loi. Nous avons le sentiment qu’il y a urgence à agir, à légiférer. Nos concitoyens attendent du législateur une action déterminée. Or, aux propositions que nous formulons ici de façon responsable, on n’oppose que des propos stériles, qui renvoient, à l’on ne sait quel délai, l’examen de propositions de ce type.
Compte tenu de la situation actuelle, il est bon de rappeler que la montée en puissance de la crise va se faire crescendo et qu’un jour, probablement, l’opinion publique demandera aux législateurs et aux gouvernants de rendre des comptes, de faire état des décisions qui ont été prises.
Nous avons le sentiment que le travail de propositions qui a été conduit depuis cinq ans par l’opposition et celui qui est à nouveau synthétisé dans cette proposition de loi va dans le bon sens et que la fin de non-recevoir qui nous est opposée traduit, au-delà d’un certain embarras, une attitude d’irresponsabilité pour l’avenir, et cela nous le regrettons fortement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis que Mme Nicole Bricq et nos collègues socialistes de la commission des finances aient présenté cette proposition de loi, que, bien volontiers, les sénatrices et les sénateurs Verts ont cosignée.
Toutefois, je me pose une question : après les déclarations enflammées du Président de la République, qui voulait moraliser le capitalisme, pourquoi cette initiative ne vient-elle pas de l’UMP. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Je suis vraiment surpris que la commission des lois ait jugé que ce texte ne méritait pas d’être débattu et demande aujourd’hui son renvoi à la commission. En effet, s’il s’agit, comme vous l’avez dit, de quelques petits points juridiques à clarifier, ce n’est pas un problème ; nous l’avons fait bien souvent avec les textes du Gouvernement, à travers parfois plusieurs centaines d’amendements !
Mme Nicole Bricq. Et en urgence !
M. Jean Desessard. Si la question portait sur l’urgence, je vous répondrai que, de la même façon, des projets de loi en urgence, nous en avons examiné ! Nous sommes rodés. C’est un effort que vous pouviez faire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
On a longtemps justifié l’accroissement des rémunérations des dirigeants de nos grandes entreprises par le fait qu’ils étaient moins bien payés que leurs homologues européens. Certains d’entre vous nous ont dit : « Vous ne voulez pas quand même que nos dirigeants soient moins bien payés et qu’ils partent aux États-Unis ! »
M. Jean-Louis Carrère. Non, ils ne partiront pas aux États-Unis !
M. Jean Desessard. On voit effectivement ce qu’il en est ! « Ils vont partir – disiez-vous – aux Pays-Bas, au Luxembourg… » Mais aujourd’hui, avec des rémunérations moyennes annuelles qui dépassent 4,5 millions d’euros, les dirigeants du CAC 40 sont parmi les mieux lotis d’Europe.
Comment peut-on concevoir, dans une société qui se dit soucieuse de l’égalité, que les dirigeants des sociétés du CAC 40 puissent gagner chaque année – sur ce point, les chiffres divergent – plus de 380 fois le salaire minimum ? Nous attendons des clarifications de la commission pour avoir le chiffre exact : 310, 350, 380. De toute façon, comme cela a été dit, c’est 20 % d’augmentation tous les ans, tout dépend à quel mois on a regardé le pourcentage !
Quel cynisme de protéger ces mêmes dirigeants par un contrat de travail, des stock-options, des parachutes dorés, alors qu’ils n’hésitent pas, pour augmenter les profits de leurs actionnaires, à mettre en place des plans de licenciements « économiques » alors même que leurs entreprises gagnent de l’argent !
Comment peut-on imaginer accorder des indemnités de départ, représentant plusieurs centaines de fois le SMIC annuel, à des dirigeants qui ont conduit leurs entreprises et notre économie dans une situation de crise profonde ?
Et parlons de responsabilité. Quel paradoxe que des dirigeants, qui perçoivent des rémunérations astronomiques et qui, par leur mauvaise gestion, mettent en péril les entreprises qu’ils dirigent, – vous l’avez reconnu, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre – s’en sortent avec des parachutes dorés et tous les privilèges qui vont avec, alors que les salariés, victimes de cette mauvaise gestion, sont menacés d’être licenciés avec, pour partir, deux mois de salaire ! Mais ce ne sont pas deux mois de salaire des dirigeants, ce sont deux mois de « leur » salaire, c’est-à-dire presque rien.
Mais il y a aussi une responsabilité collective de cette caste de dirigeants qui, par leur quête effrénée du profit à court terme, ont conduit l’économie mondiale dans la crise actuelle.
Selon le Bureau international du travail, cette crise mettra au chômage vingt millions de salariés dans le monde d’ici à deux ans et fera augmenter de plus de cent millions le nombre de personnes vivant avec moins de deux dollars par jour d’ici à la fin 2009.
Le postulat sur lequel repose votre politique, monsieur le ministre, c’est de dire que plus les dirigeants gagnent d’argent, plus il y aura de retombées sur l’économie et sur l’emploi.
Mais ce postulat ne résiste pas à l’épreuve de la réalité. Notre pays a déjà connu des périodes de plein-emploi, notamment durant les « Trente Glorieuses ». Le taux de chômage était à peine de 3 % en 1975. Pourtant, l’écart entre les rémunérations des dirigeants et les salaires des employés était bien moindre qu’aujourd'hui.
Prenons l’exemple des sociétés coopératives de production, les SCOP, où les écarts de salaire varient en moyenne de 1 à 10, non de 1 à 380. Ces sociétés sont aujourd’hui en plein développement, créent des emplois et défendent des valeurs sociales et humaines. D’ailleurs, ce ne sont pas que de petites entreprises, puisque la société Chèque déjeuner emploie plus de mille salariés. Dans cette entreprise, l’écart maximal entre la rémunération la plus forte et la rémunération la plus faible n’excède pas un rapport de 1 à 5. Cet exemple prouve que l’on peut diriger, et bien diriger, une entreprise avec une rémunération décente et raisonnable.
Peut-être me direz-vous – en tout cas, vous l’avez dit lors des discussions sur le bouclier fiscal – que ce n’est pas grave s’il y a des riches du moment qu’il y a de moins en moins de pauvres. Mais, justement, cette lecture est fausse. Qu’est-ce qui caractérise un riche ? C’est qu’il est riche par rapport aux pauvres. Donc, de façon littérale, plus il y a de très riches, plus il y a de très pauvres, nécessairement, puisque c’est l’écart qui fait la richesse. Le pouvoir se concentre, la richesse se concentre dans les coffres de quelques-uns, et cela crée des déséquilibres graves pour notre société.
Faute de temps, je ne prendrai qu’un exemple : la mixité sociale, dont vous avez parlé lors de l’examen du projet de loi sur le logement.
Comment faire respecter la mixité sociale ? Si des personnes, qui sont de plus en plus riches, peuvent acheter plusieurs appartements à Paris, cela aboutit à faire monter les loyers et les prix d’achat des appartements. Seuls les dirigeants et les professions les plus riches peuvent se les payer, tandis que les salariés les plus modestes, les professions moyennes sont obligés de quitter Paris et d’aller habiter en banlieue, parfois en très lointaine banlieue. Si l’on veut garantir la mixité sociale, on doit donc s’assurer que les écarts de salaire ne dépassent pas une certaine limite.
Cette proposition de loi vise à borner un système aberrant, immoral et incapable de se responsabiliser. C’est bien le rôle du politique que de mettre des limites, de poser des barrières à ces inégalités flagrantes.
Vous dites, monsieur le ministre, que vous agissez alors que, nous, nous parlons. Alors, permettez-moi d’abord de vous faire observer que nous avons, à diverses reprises, présenté de nombreux amendements, mais qu’ils n’ont pas été retenus. Si vous les aviez acceptés, vous n’auriez pu nier que nous agissions ! De même, lorsqu’il s’agit de propositions de loi, vous les rejetez.
Cela étant, c’est vrai, vous agissez : vous avez mis en place le bouclier fiscal pour favoriser les plus riches, vous avez privatisé, vous avez apporté des garanties aux banques, ...
M. Jean Desessard. … et vous avez remis en cause les droits sociaux. Oui, vous agissez, mais au profit des plus riches !
Évidemment, vous savez bien que les gens souffrent, vous savez bien qu’ils trouvent insensé que les dirigeants gagnent autant. Alors, vous leur lancez des leurres : vous dites que ce n’est pas normal, que vous allez y réfléchir… Mais en réalité, ce qui fonde votre politique, c’est le laisser-faire, pour permettre au capitalisme de se développer.
Vous l’avez d’ailleurs reconnu, monsieur le rapporteur, lorsque vous nous avez indiqué que si nous ne rentrions pas dans la logique du capitalisme mondial, les sociétés iraient s’installer ailleurs.
M. François Zocchetto, rapporteur. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Jean Desessard. Renoncez donc aux leurres et assumez votre politique, mais sachez qu’elle sera contre-productive à terme !
On pourrait se dire que tout cela n’est finalement pas si grave et surtout que, ainsi, les choses sont claires : il y a, d’un côté, la gauche, qui veut limiter et moraliser, et, de l’autre, la droite, qui, en refusant de voter cette proposition de loi, montre qu’elle préfère laisser faire et renvoyer les solutions à plus tard.
Pourtant, comme Mme Bricq l’a justement fait observer, le Sénat et les parlementaires gagneraient à adopter cette proposition de loi, car le désarroi, la démoralisation, la souffrance sociale sont aujourd'hui tels qu’il ne s’agit plus d’un combat entre la droite et la gauche – ce serait plus clair –, mais d’un risque de remise en cause de toute la classe politique.
C’est pourquoi je crois en fait très important de voter tous ensemble cette proposition de loi. La crise sociale est devant nous et j’ai bien peur que, demain, personne ne puisse la contrôler ! Je vous conjure donc d’adopter ce texte. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Madame Assassi, vous avez évoqué le niveau de rémunération des dirigeants d’entreprise. Or la proposition de loi ne comprend aucune disposition sur l’encadrement des indemnités de départ et des retraites chapeaux : on y trouve seulement des mesures en matière de taxations qui peuvent facilement être compensées en augmentant le montant des rémunérations en question.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas vrai !
M. Xavier Bertrand, ministre. Or il me semble important de savoir encadrer.
Mme Des Esgaulx, vous avez raison de dire que le droit français est particulièrement dense et que la proposition de loi va moins loin que les recommandations du MEDEF et de l’Association française des entreprises privées. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Nicole Bricq. Il faut oser le dire !
M. Xavier Bertrand, ministre. C’est le cas pour l’encadrement des retraites chapeaux ou celui des indemnités de départ. Si la loi « fige » une règle, il ne sera pas possible d’aller au-delà.
M. Jean-Louis Carrère. Chacun son miroir !
M. Xavier Bertrand, ministre. Les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été préparée et rédigée – certains parleront de précipitation – peuvent aussi expliquer cela.
Monsieur Marc, vous avez vous-même cité les textes qui ont été adoptés récemment et qui montrent précisément qu’il n’est pas question de « laisser faire ».
Vous avez aussi souligné, et je vous en remercie, que le droit des affaires n’était pas seulement national et que les entreprises avaient besoin de recruter dans un contexte très concurrentiel.
Sur une disposition qui est propre à la France, le cumul du contrat de travail et du mandat, je l’ai déjà souligné, la proposition de loi ne traite que de l’interdiction d’un mandat avec un contrat de travail. Pourtant, à une très forte proportion, les dirigeants sont des salariés avant d’être des mandataires. La législation actuelle conduit justement à suspendre les contrats de travail des salariés devenus mandataires. C’est un point important, d’autant que votre proposition de loi ne vise que les présidents ou les directeurs généraux, alors que nous voudrions, nous, que l’ensemble des mandataires sociaux soient concernés.
Monsieur Desessard, en matière d’encadrement, cette proposition de loi va moins loin que la loi TEPA puisque celle-ci conditionne le versement de l’indemnité de départ à l’accomplissement de performances fixées par le conseil d’administration et votées par l’assemblée générale.
En définitive, la question est la suivante : voulons-nous, oui ou non, mieux encadrer des choses ? La réponse, pour notre part, est clairement positive. Or un examen parfaitement serein montre que, de ce point de vue, ce n’est pas votre proposition de loi qui va le plus loin. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.) C'est la raison pour laquelle le Gouvernement ne vous suit pas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Bel. Nous vivons vraiment, ici, cet après-midi, des moments assez extraordinaires !
D’un côté, le président du Sénat convoque une réunion pour installer un groupe de travail destiné à mettre en application la réforme institutionnelle, notamment en matière de reconnaissance des droits de l’opposition, laquelle doit être plus respectée.
D’un autre côté, il y a ce qui se passe en cet instant dans l’hémicycle.
À un moment où chacun s’accorde à considérer qu’il est urgent, pour le Parlement, de débattre et de légiférer sur les distorsions que crée dans notre société la coexistence de rémunérations considérables pour certains dirigeants d’entreprise et une situation très difficile pour des millions de Françaises et de Français, le groupe socialiste du Sénat présente, à l’occasion de la séance mensuelle réservée, cette proposition de loi tendant à encadrer lesdites rémunérations.
Or la majorité sénatoriale s’apprête à recourir au scrutin public pour faire voter la motion de renvoi à la commission, car, comme on peut le constater, elle est en minorité ce soir dans l’hémicycle. Nous pourrions demander, puisque nous sommes plus de trente, la vérification du quorum. Mais nous n’agirons pas comme vous, qui utilisez aujourd'hui des manœuvres procédurales pour enterrer une initiative parlementaire.
Monsieur le ministre, si vous êtes dans cette situation, c’est parce que vous refusez que nous puissions débattre des articles de cette proposition de loi du groupe socialiste.
Le souvenir me revient de ce fameux épisode qui vit le grand intellectuel Maurice Clavel quitter le plateau de l’émission de télévision À armes égales sur ces mots : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! ». Eh bien, ce soir, chers collègues de la majorité sénatoriale, vous vous apprêtez à censurer l’initiative parlementaire, à censurer notre capacité à faire des propositions pour éclairer l’opinion sur la situation actuelle et sur la rémunération anormale de certains dirigeants d’entreprise.
Puisque c’est ce que vous allez, par une manœuvre de procédure, faire cesser le débat, permettez-nous de prendre les devants en vous disant à notre tour : messieurs les censeurs, bonsoir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste et rattachés ainsi que ceux du groupe CRC se lèvent et quittent l’hémicycle.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi par M. Jean-Jacques Hyest, au nom de la commission des lois, d’une motion n°20 tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu’il y a lieu de renvoyer à la commission des Lois constitutionnelles, de Législation, du Suffrage universel, du Règlement et d’Administration générale la proposition de loi visant à réformer le statut des dirigeants de sociétés et à encadrer leurs rémunérations (n° 54, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto, rapporteur. Je regrette, bien entendu, que nos collègues des groupes socialiste et CRC aient choisi de quitter la séance, mais il est bien évident que le droit de l’opposition à demander l’inscription d’un texte à l’ordre du jour n’implique pas de légiférer dans la précipitation.
Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, le rapporteur de la commission, le président Jean-Jacques Hyest, que je remplace à nouveau, a eu moins d’une semaine pour examiner cette proposition de loi, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle est dense et imparfaite. En général, la plupart des propositions de loi sont des textes très simples, qui tiennent en un article et n’appellent pas de modifications. Or la proposition présentée par Mme Bricq méritait beaucoup de précisions et de modifications. Je le dis formellement, elle ne pouvait être adoptée sans une étude approfondie, ne serait-ce que sur un plan technique. Mais, vous l’avez bien compris, cela n’a pas été possible dans le délai qui nous a été imparti.
La motion tendant au renvoi à la commission que je vais maintenant vous présenter n’implique nullement – bien au contraire ! – que nous n’ayons pas envie de débattre des questions que soulève la proposition de loi. La gauche n’a pas voulu nous entendre, mais nous sommes pleinement d’accord sur le constat : la commission des lois considère qu’il doit être mis un terme à certaines pratiques qui ont cours, en matière de rémunération et de statut des dirigeants, dans les grandes sociétés cotées.
De plus, un certain nombre de parlementaires, qu’ils soient de l’UMP, de l’Union centriste ou d’ailleurs, ont eu l’occasion, avant les représentants des partis socialiste ou communiste, d’exprimer leurs préoccupations sur le sujet et de faire des propositions, par exemple lors de l’examen des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Pour autant, la commission estime que, telle qu’elle est envisagée par la présente proposition de loi, l’intervention législative dans ce domaine est prématurée. Cela ne veut pas dire que nous ne voulons pas en discuter ou légiférer, mais nous jugeons qu’il ne serait pas opportun d’en débattre ce soir, et cela pour trois raisons.
Tout d’abord, les grandes sociétés, qui sont les premières concernées par ces phénomènes et qui sont confrontées à la réprobation grandissante de l’opinion publique, ont déjà pris des engagements fermes. Ce code de conduite, que les différents orateurs ont évoqué, constitue une réponse appropriée aux errements constatés jusqu’alors. Les entreprises intéressées– au nombre de 688, M. le ministre l’a rappelé – se sont formellement engagées à le respecter. La commission estime que, avant de décider, le cas échéant, de légiférer, il convient d’évaluer la mise en œuvre de ces recommandations.
La commission envisage ainsi de se livrer, à la fin du premier trimestre de 2009, à une évaluation de la bonne application de ces principes de gouvernement d’entreprise en procédant à des auditions. J’espère que nos collègues de la gauche y participeront. Nous avons l’intention d’entendre le maximum de personnes concernées, en particulier les associations d’entreprises et les représentants de l’Autorité des marchés financiers. À cette occasion, nos collègues de l’opposition pourront faire des suggestions.
Ensuite, des réformes ponctuelles ayant un objet proche de celui de cette proposition de loi sont en cours d’examen dans le cadre d’autres véhicules législatifs. Notre commission estime qu’il convient d’attendre l’issue des navettes parlementaires sur ces différentes initiatives – le projet de loi de finances pour 2009, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 et le projet de loi en faveur des revenus du travail, que nous venons d’adopter en première lecture au Sénat –, avant de décider de légiférer sur des points complémentaires.
Enfin, sur le plan de la procédure parlementaire, cette proposition de loi a été déposée très tardivement, le 23 octobre dernier. La version définitive du texte n’a été disponible que le 27 octobre ; or il s’agit d’un document d’une vingtaine de pages ! En dépit de toute la bonne volonté du rapporteur et des membres de la commission des lois, celle-ci n’a pas disposé d’un délai suffisant pour examiner ce texte avec toute la sérénité nécessaire. À l’évidence, il convient de prendre pleinement en considération les conséquences pratiques des importantes modifications que propose Mme Bricq.
Telles sont les trois raisons pour lesquelles nous estimons que les dispositions de la proposition de loi ne peuvent être discutées ce soir en séance publique. Nous vous proposons donc, mes chers collègues, de voter le renvoi à la commission.
Ce renvoi n’a pas pour but d’enterrer le texte, comme cela a pu être dit tout à l’heure de façon totalement aberrante puisque nous avons bien conscience que nous sommes en face de problèmes à résoudre. Mais il permettra à la commission d’examiner les conditions de mise en œuvre, dans les prochains mois, par les sociétés concernées, des principes de gouvernement d’entreprise, et d’envisager, dans l’hypothèse où ces principes ne serait pas effectivement appliqués, l’édiction de normes législatives en la matière.
Voilà une façon sereine de procéder, et qui donnera, je n’en doute pas, des résultats bien meilleurs qu’un examen hâtif et incomplet du présent texte, ce soir. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)