M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. Voilà qui invite à la modestie et relativise quelque peu la disproportion d’une communication présidentielle où le RSA tient lieu d’alpha et d’oméga de la politique sociale ! (Marques d’approbations sur les travées du groupe socialiste.)
Dans les faits, nous sommes bien loin du grand soir social, qui semble devenu le nouveau registre déclamatoire de la droite française.
Mme Gisèle Printz. Oui !
M. Bernard Cazeau. Je constate au demeurant que les travées de la majorité sont assez clairsemées cet après-midi.
Nous le savons, un RSA ambitieux, complet, aurait coûté plus cher, monsieur le haut-commissaire : de 4 à 5 milliards d’euros. Une telle enveloppe aurait permis d’amener l’intégralité des travailleurs pauvres au niveau du seuil de pauvreté. Mais vous avez dû revoir vos ambitions à la baisse – j’ai été attentif à l’évolution de vos propositions au fil des mois – : 5 milliards d'euros d’abord, 4 milliards d'euros ensuite, 3 milliards d'euros après, pour arriver à 1,5 milliard d'euros aujourd'hui.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Bernard Cazeau. On bute, tôt ou tard, sur la question de la volonté politique, donc du financement de cette mesure.
L’abbé Pierre aurait dit qu’il y a une différence entre gérer la pauvreté et la combattre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Bernard Cazeau. J’en viens au financement du RSA.
Le mode de financement retenu – une taxe sur les revenus du patrimoine et de certains placements – ne me paraît pas injuste. Nous sommes en revanche forcés d’admettre qu’elle tombe mal, à l’heure où les épargnants craignent pour le produit de leurs économies. J’ai d’ailleurs cru comprendre que beaucoup, dans la majorité, peinaient à se reconnaître dans cette nouvelle taxe.
Toutefois, la grande impasse sociale de votre texte – son manquement originel ! –, c’est l’exonération des quelques milliers de Français les mieux lotis.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est évident !
M. Bernard Cazeau. Nous déplorons très sincèrement, monsieur le haut-commissaire, que le Gouvernement ait fait le choix d’entacher la création du RSA du travers d’Harpagon, actant par son aveuglement fiscal une injustice « sonnante et trébuchante », pour le dire comme Molière. (M. Jean Desessard rit.)
M. Bernard Cazeau. Nous regrettons aussi le peu de cas fait des départements expérimentateurs dans l’accélération récente du calendrier.
Dans mon département, par exemple, où, je le reconnais, le RSA a amoindri les difficultés des salariés à temps partiel et permis la révélation d’un travail non déclaré, la question des indépendants reste entière.
Mais l’inquiétude des départements est ailleurs, mes collègues l’ont souligné. Elle réside dans la compensation financière des transferts envisagés dans le projet de loi.
Rappelons que le problème originel de la décentralisation du RMI reste posé : comment se fait-il qu’en France, depuis 2003, une partie du RMI – 2 milliards d’euros –ait été financée par la seule solidarité locale ?
Votre texte demeure silencieux sur la dette de l’État envers les conseils généraux. Pis, il entérine l’idée que, désormais, les départements sont partiellement financeurs du RMI. Pour la majorité des départements, si l’organisation de la République est décentralisée, la solidarité nationale n’a pas à l’être !
Le recours à la catégorie juridique de l’«’extension de compétence » pour qualifier le transfert au département des bénéficiaires de l’API n’ira d’ailleurs pas dans le sens de l’apaisement, cela a été souligné.
En effet, nous constatons que l’API est fortement dynamique, surtout dans la France d’aujourd'hui – 22 % de hausse depuis 2003 –, et constamment sous-évaluée en loi de finances. Je crains, en toute logique, un transfert du déficit de l’État sur les départements demain.
Enfin, au titre des compensations financières, l’article 2 du projet de loi nous invite à nous interroger sur les modalités d’organisation du suivi social renforcé dont doivent bénéficier les titulaires du RSA, qui disposeront désormais du droit à « un accompagnement social et professionnel [...] organisé par un référent unique ». C’est déjà le cas et cela ne fonctionne pas autrement, tout le monde le sait. Cette disposition coûtera assurément plus cher qu’aujourd’hui, pour une raison toute simple : le RSA s’adresse à un public beaucoup plus large que le RMI.
J’en viens maintenant au second objet du texte, la réforme des politiques d’insertion.
Il est des réformes plus fondamentales que d’autres et je pense que nous assistons là à une régularisation plus qu’à une transformation.
La confirmation, à l’article 8, du rôle de chef de file des conseils généraux dans les politiques d’insertion me semble relever du bon sens ; c’est la décentralisation. Il en va de même de la nécessité pour les départements d’organiser des partenariats institutionnels dans le cadre de « pactes territoriaux d’insertion », complétant les programmes départementaux d’insertion.
De la même façon, la création du contrat unique d’insertion, à l’article 10, relève plus de l’ajustement que du bouleversement.
Le CUI – il faudra se faire à ce nouveau sigle - scindé en deux volets, l’un marchand, l’autre non marchand, reprendra en les renommant les actuels contrats d’insertion-revenu minimum d’activité et contrats d’avenir. Nous n’aurons donc plus que deux contrats émanant de différents prescripteurs : le contrat initiative emploi dans le secteur marchand, qui fonctionnera selon les mêmes règles que l’ancien RMA, et le contrat d’accompagnement dans l’emploi, dans le secteur non marchand, qui rependra certains aspects du contrat d’avenir.
Il s’agit là d’une simplification attendue des méandres du plan de cohésion sociale élaboré à la hâte en 2004.
Je demeure plus critique sur la « prime au résultat » que l’État accordera en fonction des résultats d’insertion des départements. Cette logique nie les disparités économiques entre les territoires. C’est évident ! Ce n’est pas la même chose de rechercher un emploi dans les Yvelines ou dans les Hauts-de-Seine que dans la Creuse ou même dans le Nord !
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. Guy Fischer. Oui !
M. Bernard Cazeau. Monsieur le haut-commissaire, et c’est la seule question qui vaille, quel sera le montant de l’enveloppe des contrats aidés dans les années à venir ?
M. Bernard Cazeau. Simplifier les contrats aidés est une très bonne initiative, mais garantir leur financement est autrement primordial.
C’est sur cette action, et non sur les déclarations d’intention, que nous jugerons l’action du Gouvernement en matière d’insertion professionnelle.
Alors qu’avec la généralisation du RSA s’annonce une importante réforme de nos politiques sociales, nous sommes interpellés par une contradiction majeure.
Comment ne pas être frappé par le décalage entre le volontarisme affiché du haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et la frilosité de la politique sociale du Gouvernement ?
M. Guy Fischer. C’est le moins qu’on puisse dire !
M. Bernard Cazeau. La question que nous devons nous poser est donc celle de la cohérence de l’action gouvernementale. À regret, on constatera que le RSA est un peu l’arbre qui cache la forêt.
M. Guy Fischer. Absolument !
M. Bernard Cazeau. Prenons le projet de budget pour 2009 ; deux missions sont largement tronquées : « Travail et emploi » et « Ville et logement ». La première est appelée à diminuer de 15 % sous trois ans et la seconde de 10 %. En clair, cela signifie moins d’aides à l’emploi et moins d’actions en faveur de la construction de logements. C’est autant d’argent en moins pour nos concitoyens fragiles !
Certains esprits chagrins - mais je n’en suis pas - pourraient se demander pourquoi on augmente les petits revenus avec des mécanismes du type RSA si, dans le même temps, on fait payer les soins plus cher, si l’on diminue la construction de logements sociaux, si l’on renchérit les tarifs publics de l’énergie, si l’on finance au rabais les transports publics. Et je pourrais multiplier les exemples, mais cela risquerait de ressembler à une litanie !
On le voit, c’est l’ensemble de la politique du Gouvernement qui est à interroger, car le RSA, à lui seul, ne parviendra pas à corriger une politique globalement contraire à la solidarité.
Nous ne nous tromperons pas. Nous placerons les responsabilités à leur juste niveau. Le Premier ministre a déclamé sur tous les tons dans sa déclaration de politique générale sa volonté de faire baisser d’un tiers la pauvreté en cinq ans. Il ne reste que trois ans et demi, et la pauvreté n’a pas baissé d’un soupçon.
Mme Jacqueline Chevé. Bien sûr !
M. Bernard Cazeau. Nous ne pouvons cautionner cet échec, et ce sera le sens de notre abstention sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, beaucoup de choses ont été dites. Afin d’éviter la répétition, je serai donc bref.
Le RSA est un bon projet, qui répond d’abord aux promesses qui ont été faites pendant la campagne présidentielle. Honorer ses promesses est une très bonne chose et une exigence pour le monde politique.
Ce texte répond à une ambition, celle de lutter contre l’exclusion en amoindrissant l’assistanat. Il répond à un objectif économique, celui de réduire cette part trop importante de la population française qui vit près du seuil de pauvreté.
Beaucoup l’ont dit, ce projet de loi simplifie les dispositifs existants, incite à une reprise de l’activité et lutte contre la pauvreté dans le travail. Pour ma part, je veux saluer son aspect pragmatique, puisque de nombreux présidents de conseil général, parmi les trente-quatre départements expérimentateurs, l’ont indiqué : ce système fonctionne.
Malheureusement, j’émettrai une réserve, qui a également été exprimée par le président de la commission des finances : votre projet de loi, monsieur le haut-commissaire, maintient intégralement le dispositif de la prime pour l’emploi. Lorsque le Premier ministre Lionel Jospin l’a lancée en 2001, la prime pour l’emploi ne devait concerner que les travailleurs les plus pauvres. Il n’imaginait pas que ce dispositif toucherait aujourd’hui près de neuf millions de foyers.
Un rapport de la Cour des comptes, que vous connaissez, montre que la prime pour l’emploi est peu ciblée, mal identifiée par ses éventuels bénéficiaires, voire par ceux qui pourraient l’attribuer. En outre, son coût budgétaire a été multiplié par plus de deux en cinq ans, passant de 2,1 milliards d’euros à près de 4,5 milliards d’euros. En trois ans, le montant individuel est ainsi passé de 538 euros à 961 euros. Malgré cela, vous la maintenez intégralement !
Par comparaison, son équivalent britannique, la working family tax credit, concerne un foyer sur vingt au Royaume-Uni, contre un sur trois en France. La cible de la prime pour l’emploi a donc bien été dénaturée.
Ce bon projet est affaibli par son financement. De nombreux intervenants l’ont dit cet après-midi, le RSA sera malheureusement considéré par des millions de Français comme l’occasion d’un impôt de plus. Or, au cours des dernières élections, j’ai fait partie des élus qui ont pris un engagement, et cet engagement unit la majorité présidentielle, celui de diminuer les prélèvements obligatoires.
M. Jean Desessard. Comment ?
M. Philippe Dominati. Le coût de 1,5 milliard d’euros obère donc un effort qui porte sur 10 milliards d’euros.
M. Jean Desessard. Vous n’êtes donc pas d’accord avec ce projet ?
M. Philippe Dominati. Vous avez dit qu’à partir du 10 juin – je ne sais pas à quoi correspond cette date – de nombreux élus qui soutenaient votre projet ont émis des critiques sur son volet financier. Le Gouvernement les a-t-il entendus ?
Plusieurs de mes collègues ont également soulevé ce problème, à commencer par le rapporteur général du budget. Pendant l’été, il a clairement fait connaître son opinion, qui est partagée par un certain nombre de membres de cette assemblée, sur votre dispositif financier. Aujourd’hui, force est de constater que le financement reste intégralement celui qui est issu des arbitrages gouvernementaux.
En tant qu’élu parisien, je critique le maire de Paris …
M. Jean-Pierre Godefroy. Ce n’est pas bien !
M. Philippe Dominati. … parce qu’il augmente de 9 % les impôts de nos concitoyens en cette période difficile. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. Ceux de Paris sont peu élevés par rapport à ceux qui sont pratiqués en Seine-Saint-Denis !
M. Philippe Dominati. Dès lors, comment pourrais-je approuver la création d’une contribution additionnelle de 1,1 % sur les revenus du patrimoine et des placements, alors que la contribution est déjà de 11 % ? Une hausse de 10% ? C’est intolérable !
Un autre de vos arguments consiste à dire que 60 % des 10 % des foyers les plus aisés financeront votre dispositif. Quid des 40 % restants ? Il s’agit des 12,5 millions de signataires de contrats d’assurance vie, des 2,2 millions de Français qui complètent leur retraite par un revenu locatif, des 11 millions de détenteurs de valeurs mobilières, et tout le monde peut imaginer dans quelle situation ils se trouvent aujourd’hui.
Il y a quelques jours, un ancien Premier ministre, M. Balladur, a proposé une solution au Gouvernement, qui a d’ailleurs été reprise par l’un des intervenants cet après-midi. En effet, lorsque l’on est prêt à dépenser près de 1 milliard d’euros pour résoudre le problème de la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public, on se demande comment des arbitrages plus judicieux n’ont pas pu être rendus pour financer cette réforme.
M. Jean-Pierre Sueur. Dites-le à M. Sarkozy !
M. Philippe Dominati. Entre l’argent pour l’audiovisuel public et le recyclage de la prime pour l’emploi, comme l’a souligné le président de la commission des finances, nous aurions pu largement trouver les moyens de financer votre projet.
Ne pas indexer la prime pour l’emploi dans le projet de budget pour 2009, ne pas relever les seuils, cela représenterait environ 350 millions d’euros d’économies. Revenir au taux appliqué avant la loi de finances de 2007 représenterait environ 500 millions d’euros d’économies. Établir un seuil à 1,3 % du SMIC au lieu de 1,4 % représenterait également 500 millions d’euros d’économies. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Enfin, en ajoutant à ces sommes les 200 millions d’euros que le Gouvernement s’est engagé à trouver pour plafonner les niches fiscales, vous n’auriez pas eu besoin d’affaiblir ce texte par un mode de financement aussi contesté.
M. Jean-Pierre Godefroy. Si on s’attaque aux stock-options, c’est 3 milliards !
M. Philippe Dominati. Votre projet est bon. Je regrette malheureusement son mode de financement. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Pour la clarté de nos débats, comme il est désormais d’usage, la commission demande l’examen séparé de l’amendement n° 169 tendant à la suppression de l’article 2 présenté par Mme David afin d’éviter la mise en discussion commune automatique de la centaine d’amendements portant sur cet article.
M. Jean Desessard. Merci, monsieur le président de la commission. On l’a fait une fois, et c’était pénible !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi si je ne peux répondre à toutes les remarques qui ont été faites.
Je tiens tout d’abord à remercier les intervenants, sur toutes les travées, de leur démarche très constructive. Tous ont souligné les points forts et les faiblesses de ce texte, mais en cherchant à chaque fois à faire progresser cette cause. J’ai vraiment été très attentif à vos remarques.
MM. Arthuis, Daudigny, Fouché, Kergueris se sont appuyés sur leur expérience de président de conseil général – sans oublier le rapporteur pour avis, M. Doligé.
M. Jean-Pierre Sueur. Et Bernard Cazeau !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Également, mais vous êtes si nombreux. (Sourires.)
Certains comme expérimentateurs d’autres comme observateurs, tous se sont donc appuyés sur leur expérience de terrain pour essayer de faire en sorte que l’outil que nous sommes en train de construire rende plus efficaces les politiques qui sont conduites.
Je vais essayer de reprendre les cinq ou six grands problèmes qui ont été soulevés, en espérant que mes réponses vous convaincront de soutenir ce dispositif.
Vous m’avez interrogé sur le timing. Vous avez été plusieurs à souligner la qualité des expérimentations, tout en vous demandant si l’on ne pourrait pas attendre un peu avant de généraliser la mise en œuvre du dispositif. Autrement dit, pourquoi tout de suite, pourquoi maintenant, pourquoi pas plus tard ? À cet égard, vous voudriez savoir si les données du comité national d’évaluation présidé par François Bourguignon sont suffisantes pour permettre une extrapolation.
Je veux être très précis. Le comité national d’évaluation constate un taux de retour à l’emploi meilleur dans les zones d’expérimentation que dans les zones témoins. Il y a 95 % de chance que cet effet soit attribuable au RSA et 5 % de chance que ce soit le fait du hasard. Il y a donc 95% de chance que les effets constatés jusqu’à présent soient suffisants pour conférer au RSA une efficacité plus importante.
Quand il s’agit de faire sortir de l’argent des poches en faveur des plus pauvres, il faut toujours apporter des tombereaux de preuves. On se montre beaucoup moins exigeant pour les plus riches…
M. Guy Fischer. On est d’accord !
M. Martin Hirsch, haut-commissaire. Mais là, avec 95% de chance, nous nous sommes dit que nous pouvions y aller !
Mais j’avais une deuxième raison, et je vais vous la dire en confidence : j’avais le sentiment, presque une obsession, que, si l’on ne présentait pas maintenant un tel projet de loi et si l’on n’inscrivait pas dans le projet le budget pour 2009 la somme de 1,5 milliard d’euros, l’occasion ne se représenterait peut-être pas. Car, mesdames, messieurs les sénateurs, on n’est jamais sûr que le train repasse...
C’est pour cette raison que nous allons à ce rythme.
La troisième raison tient au ralentissement économique. Vous avez exprimé sans langue de bois vos craintes et nous les partageons ; nous savons que les conséquences peuvent être difficiles pour les plus pauvres. Le soutien du pouvoir d’achat de ceux qui perçoivent de 500 à 1 000 euros de revenus par mois sera plus que jamais nécessaire.
Pour vous donner un ordre d’idées, le revenu de solidarité active va se traduire par une augmentation de pouvoir d’achat de 8 % pour un ménage sur quinze. L’effort est donc bien ciblé et répond à la problématique actuelle.
Tels sont les premiers éléments de réponse que je souhaitais vous apporter au sujet du calendrier retenu pour cette réforme.
Beaucoup d’entre vous ont abordé la question des personnes les plus éloignées de l’emploi. Je suis sensible à l’argument. Nous avons conçu le RSA de façon à inclure dans le dispositif les personnes qui ont les plus grandes difficultés.
Dans les départements qui ont expérimenté le RSA, il a été très frappant de constater que des personnes qui étaient restées très longtemps allocataires du RMI avaient pu retrouver un emploi. Ce résultat n’est pas le fruit d’un miracle, mais bien du dispositif, qui a eu un triple effet, et je tiens beaucoup à le souligner.
Le premier effet est financier. Les personnes qui sont depuis cinq, six, sept ans au RMI ont généralement fait l’expérience d’un retour à l’emploi qui ne s’est pas traduit par une augmentation de revenus. On se fait avoir, alors on retourne dans l’inactivité. Ici, c’est le contraire : on gagne, donc on reste dans l’activité. Le facteur financier a donc une incidence sur des gens très éloignés de l’emploi.
Le deuxième effet est de l’ordre de la déstigmatisation. En vingt ans, les bénéficiaires du RMI ont fini par être considérés par les entreprises comme étant probablement incapables de travailler. Le lancement d’un nouveau dispositif a donné un éclairage plus favorable, qui a joué y compris en faveur des gens qui étaient « enkystés » malgré eux dans le RMI.
Le troisième effet est dû à la mobilisation des conseils généraux. Pour les travailleurs sociaux, pour les différents acteurs de l’emploi, le fait de s’asseoir autour d’une table et de mettre en route des comités de pilotage pour réexaminer toute la population concernée par le dispositif au regard de l’emploi a eu un effet positif. Nous parlons souvent des personnes éloignées de l’emploi, mais c’est à tort, car ce sont souvent et l’emploi et les acteurs de l’emploi qui se sont éloignés d’elles.
Nos dispositifs d’aide étant saturés par l’afflux des allocataires, nous avons tous intérêt à ce que les personnes proches de l’emploi parviennent à trouver une activité. Nous pouvons ainsi recentrer le travail d’accompagnement social sur les personnes les plus en difficultés, qui trouvent donc un intérêt elles aussi à ce que le dispositif remonte vers le haut.
À la demande des associations, nous avons d'ailleurs inscrit dans les indicateurs phare de notre tableau de bord le critère de la grande pauvreté, soit un revenu inférieur à 40 % du revenu médian. Nous disposons donc d’éléments pour vérifier que nous nous occupons aussi des plus éloignés de l’emploi.
Le résultat est là : la proportion de ceux qui reprennent un travail dans le cadre de l’expérimentation du RSA est élevée, et plus élevée que dans les zones hors expérimentation. Mesdames, messieurs les sénateurs, il est en train de se passer quelque chose.
Certains d’entre vous se demandent pourquoi nous n’avons pas choisi d’augmenter directement les minima sociaux. Nous avons débattu de cette question avec les associations et avec les syndicats. Il s’est agi de s’interroger sur les raisons pour lesquelles, dans le système actuel, on était resté si longtemps coincé. C’est que l’absence de perspective de sortie du RMI a produit des hésitations quant à l’augmentation des minima sociaux.
Comme le montre l’étude publiée par les universitaires indépendants du Centre d’études de l’emploi, certains couples, pour commencer à gagner de l’argent en reprenant un travail, devaient travailler plus de cinquante heures par semaine, certains adultes isolés plus de vingt heures par semaine. En deçà, ils ne gagnaient rien par rapport à la situation antérieure !
Dans cette logique, si, toutes choses étant égales par ailleurs, on augmente les minima sociaux, si donc on élève le niveau de départ, alors le retour à l’emploi n’est jamais favorable. Personne ne peut défendre un tel système.
Avec le RSA, qui améliore le taux de retour à l’emploi, nous avons calculé, grâce à des barèmes très précis, que, dès la première heure travaillée dans la plupart des cas, au pire au bout de trois ou quatre heures, une personne commence à gagner de l’argent, y compris en tenant compte des droits connexes.
Dès lors, nous avons « décoincé » le système, ce qui permet de nouveau que la dynamique des minima sociaux suive les salaires.
Nous avons énormément travaillé sur ce point. Je n’ai jamais prétendu que le sujet serait clos avec l’adoption du projet de loi. J’ai simplement voulu montré qu’en remettant les prestations dans l’ordre et en garantissant, à l’article 1er, tout à la fois le revenu minimum et son augmentation en fonction de la quantité de travail, nous ôtions un argument à ceux qui disent que l’on ne peut pas toucher aux minima sociaux.
Le raisonnement est complexe, et j’espère avoir été assez clair, mais, croyez-moi, c’est une dimension essentielle du dispositif et c’est ainsi que nous pourrons avancer.
Au sein de la commission qui a travaillé à l’élaboration du RSA, nous nous sommes posé la question en conscience : si nous disposons de 1, 2 ou 3 milliards d’euros, est-il préférable, pour les personnes concernées, de mettre en œuvre le RSA ou d’augmenter le montant du RMI ? L’ensemble des syndicats et des associations, depuis la CGT jusqu’à ATD Quart Monde et Emmaüs, ont opté pour le RSA. C’est donc au RSA qu’ira l’argent en priorité.
Je voudrais insister sur un point extrêmement important, qui n’est pas sans rapport avec la loyauté due aux conseils généraux.
Dans les départements qui expérimentent le RSA depuis un an, on observe un meilleur taux de retour à l’emploi, ce qui fait baisser les dépenses liées au RMI. De fait, quand un bénéficiaire passe à mi-temps, vous avez à débourser non plus 447 euros, mais 200 euros.
C’est en poursuivant cet effort que nous parviendrons à reconstituer nos marges de manœuvre financières. Cet argument a été fondamental pour convaincre les détracteurs de la réforme.
Vous avez souligné la difficulté qu’il y a à demander de l’argent pour les plus pauvres. Il est vrai que l’on nous réplique toujours, et ce quelle que soit l’appartenance politique de nos interlocuteurs, que les dépenses sociales sont déjà très élevées et qu’il ne faut pas en ajouter. Ce qui nous a fait emporter la décision, c’est que nous avons pu prouver que ces dépenses supplémentaires avaient un effet sur l’emploi, sur les revenus des personnes et, par conséquent, un effet d’économie sur les budgets sociaux.
Si nous poursuivons dans cette voie, les prochaines étapes pourront être franchies. Je vous le dis en toute sincérité.
Vous avez beaucoup insisté, les uns et les autres, sur la pérennité de la compensation financière opérée par l’État à l’égard des départements. J’ai bien compris le sens de votre interrogation : jusqu’ici, pas d’entourloupe, mais est-ce que cela va durer ?
Certains d’entre vous préfèrent la notion de « transfert de compétence » à celle d’« extension de compétence ». Selon nous, cette dernière est plus protectrice pour les départements, car elle peut comporter des clauses de revoyure. Le ministère des finances serait très favorable à un amendement prévoyant un « transfert de compétence » et faisant disparaître les clauses de revoyure, mais vous n’aurez aucune garantie sur les rendez-vous des années suivantes. J’attire votre attention sur ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
Lorsque j’ai conçu ce dispositif, j’avais une certitude : cela ne fonctionnerait que si tout le monde y participait, en confiance. Nous n’avons donc aucun intérêt à mettre en place un système qui posera des problèmes aux conseils généraux dans un an ou dans deux ans.
C’est pour cette raison que nous avons instauré un débat à chaque étape et que nous vous proposons une extension de compétence avec clauses de revoyure. Avec ce système, les gains du retour à l’emploi sont en outre immédiats, beaucoup plus favorables que dans l’actuel dispositif du RMI, où l’on peut constater une diminution du nombre des bénéficiaires sans qu’elle s’accompagne d’une baisse de la dépense.
Je vous le dis en toute transparence, je ne pense pas que les conseils généraux soient gagnants avec un transfert de compétence, alors que nous essayons de construire avec eux un véritable pacte de confiance.
Vous avez beaucoup insisté sur les mesures d’accompagnement.
Nous avons, d’une part, réservé une enveloppe de 150 millions d’euros pour des aides sur mesure – droit de garde, transport, notamment –, sans compter les 500 millions d’euros affectés au fonds départemental et le barème du RSA lui-même. Cette enveloppe supplémentaire sera mise en place dès l’année prochaine et pourra être dépensée avec les conseils généraux, le pôle emploi. Les « coups de pouce » évoqués par le président Arthuis, que les présidents de conseil général connaissent bien, pourront ainsi être prolongés.
D’autre part, le service public de l’emploi aura désormais vocation à accueillir tout le monde, y compris les allocataires du RSA, et ce gratuitement. C’est inscrit pour la première fois dans la loi. Les présidents de conseil général pourront toujours passer des conventions pour des prestations supplémentaires destinées à des publics plus difficiles, mais cette disposition change le curseur en faveur des conseils généraux et institue enfin la vocation universelle du service de l’emploi.
Beaucoup d’entre vous se sont demandé si les attributaires du RSA seraient privés de leurs allocations en étant radiés de l’ANPE. Ce point me tient à cœur.
Au moment de l’instauration du RMI, on a cru bien faire en excluant tout lien avec la recherche d’emploi, et cela s’est retourné contre les allocataires. C’est ainsi que, les deux tiers des RMIstes n’étant pas inscrits à l’ANPE, les entreprises en tirent la conclusion que, s’ils ne sont pas dignes d’être inscrits à l’ANPE, ils ne sont sans doute pas dignes non plus de travailler chez elles ! On voit alors pourquoi les RMIstes n’ont guère de chance de postuler utilement à un emploi.
Les acteurs de l’insertion plaident à l’unanimité pour le maintien du régime de droit commun. Sur le principe, tout le monde est évidemment d’accord. Simplement, en l’occurrence, ce n’est pas applicable à l’allocation elle-même. En effet, lorsqu’une personne perd le bénéfice de l’indemnisation chômage qui lui était versée, elle a toujours la garantie de percevoir un revenu minimal, ce qui ne sera pas le cas avec le RSA.
Dans ces conditions, nous avons décidé un découplage.
Aujourd'hui, le service public de l’emploi peut procéder à des radiations de demandeurs d’emploi lorsque la personne concernée ne s’est pas présentée à des convocations ou a refusé plusieurs offres raisonnables d’emploi. Au demeurant, et j’insiste sur ce point, offre raisonnable d’emploi ne signifie pas pour nous travail à temps partiel ou intérim. Il existe actuellement un certain nombre de garanties, sur lesquelles il me semble inutile de revenir.
Désormais, le service public de l’emploi pourra se tourner vers le conseil général pour lui demander non pas de jouer le rôle du gendarme, mais tout simplement de faire son travail de cocontractant, comme il le fait déjà à l’égard des allocataires du RMI qui ne donnent plus signe de vie.
Comme cela se pratique dans les commissions locales d’insertion, les CLI, l’institution départementale pourra, grâce à son équipe pluridisciplinaire, examiner les causes de telles absences et voir si celles-ci sont liées à un problème de santé ou s’il y a lieu de suspendre le versement de la prestation.