M. Bruno Gilles. Parlez-nous un peu d’Allauch dans les Bouches-du-Rhône !
Mme Isabelle Pasquet. Elles n’en sont guère loin, moins loin en tout cas que vingt-cinq communes urbaines du département qui se sont vu signifier un constat de carence au titre des dispositions de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
Mais, que les choses soient claires, c’est bien souvent la pression foncière et immobilière ainsi que le gaspillage des surfaces disponibles au profit d’opérations défiscalisées qui sont la cause des difficultés à se loger.
Tous ces éléments font que, dans ma région comme partout ailleurs en France, ce n’est pas de ce projet de loi que les habitants de notre pays ont besoin ! En fait, s’il était adopté, ce projet de loi approfondirait la crise du logement…
Mme Isabelle Pasquet. … sans résoudre, loin s’en faut, les problèmes imposés par la conjoncture à l’activité du secteur du bâtiment !
Le respect du droit au logement, que la loi a consacré, s’articule avec l’autonomie des collectivités locales dans leur capacité à agir pour sa mise en œuvre. Comment ne pas souligner, par exemple, que l’article 1er du projet de loi pose question ?
Il s’agit, en instaurant les conventions d’utilité sociale des organismes bailleurs sociaux, de mettre en place un dispositif lié aux décisions locales – ici les plans locaux pour l’habitat –, mais de nature profondément coercitive.
Pourquoi mettre en œuvre une procédure obligatoire qui engage les élus locaux, puisque les collectivités locales sont parfois délégataires des aides à la pierre, sans leur permettre de signer la convention prévue ? C’est manquer au respect des principes de libre administration des collectivités locales.
Qui plus est, les conventions d’utilité sociale auraient un caractère obligatoire et leur efficacité serait mesurée au travers d’un décret fixant les indicateurs d’atteinte des objectifs de la convention. (Marques d’impatiences sur les travées de l’UMP.)
Mme Colette Giudicelli. Ce n’est pas une motion, c’est un nouveau discours !
M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Ce n’est pas le projet de loi qui est irrecevable, c’est ce discours !
Mme Isabelle Pasquet. Ces objectifs, fixés de manière arbitraire au niveau national, ne tiendront par conséquent aucun compte des décisions locales.
Or l’actuelle législation, rendant facultative les conventions globales de patrimoine, précise pour autant ces indicateurs qui semblent bien venir en doublon de ce qui est déjà fixé dans le cadre de l’actuel article L.445-1 du code de la construction et de l’habitation. Cet article précise en effet :
« La convention globale comporte :
- le classement des immeubles ou ensembles immobiliers ; ce classement est établi en fonction du service rendu aux locataires, après concertation avec les locataires dans des conditions fixées dans le plan de concertation locative prévu à l’article 44 bis de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière ; (Nouvelles marques d’impatience sur les travées de l’UMP)…
M. Dominique Braye, rapporteur. Défendre une motion, c’est une nouvelle forme de bizutage ! (Sourires.)
Mme Isabelle Pasquet. … « - l’énoncé de la politique patrimoniale et d’investissement de l’organisme, comprenant notamment un plan de mise en vente à leurs locataires des logements à usage locatif détenus par l’organisme et les orientations retenues pour le réinvestissement des fonds provenant de la vente ;
« - les engagements pris par l’organisme sur la qualité du service rendu aux locataires ;
« - un cahier des charges de gestion sociale de l’organisme. »
Est-il, dans ce contexte, vraiment utile d’ajouter au contenu du code les dispositions coercitives et profondément discriminatoires qui figurent dans l’article 1er, par ailleurs mal rédigé, comme l’est le projet de loi lui-même ?
Atteinte à la libre administration des collectivités territoriales, mise en cause de la gestion des organismes bailleurs sociaux, dont certains – faut-il le rappeler ? – sont l’émanation même des collectivités locales, voilà quelques motifs de mettre en question le contenu de ce projet de loi ! D’autant que cela ne permettra aucunement de répondre à la grave crise du logement que des années de législation libérale n’ont pas permis d’éviter.
En raison de ces différents griefs, je ne peux donc, mes chers collègues, que vous inviter, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, à adopter, par la voie d’un scrutin public, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que je viens de défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel avis de la commission ?
M. Dominique Braye, rapporteur. La commission des affaires économiques a naturellement émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
M. Jean Bizet. Quelle surprise !
M. Dominique Braye, rapporteur. J’estime, en l’occurrence, que c’est plutôt cette motion qui est irrecevable !
En effet, les analyses auxquelles nous avons procédé depuis la mi-août, date à laquelle j’ai commencé mes auditions, ne nous ont pas conduits à considérer que certaines dispositions du projet de loi seraient contraires à la Constitution. Tel est bien l’objet d’une motion d’irrecevabilité et il aurait été souhaitable que nos collègues communistes l’apprennent aux nouveaux – et nouvelles – membres de leur groupe, afin que ceux-ci ne s’engagent pas sur des routes manifestement tortueuses et difficiles à suivre ! Il n’a pas été très gentil de leur part de laisser leur nouvelle collègue se débrouiller seule… (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Au surplus, les nombreux amendements présentés par la commission des affaires économiques et qui seront soumis à votre approbation, mes chers collègues, tendent à conforter un grand nombre des dispositions du projet de loi. J’en profite pour réaffirmer publiquement, madame le ministre, que, contrairement à ce qu’a affirmé hier un grand journal du soir que chacun connaît, …
Mme Nathalie Goulet. Et qui n’a pas toujours raison !
M. Dominique Braye, rapporteur. … à aucun moment, le Sénat n’a envisagé de « dépecer » votre texte.
M. Dominique Braye, rapporteur. Au contraire, il s’est attaché à l’améliorer et à l’enrichir. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.) Je déclare donc solennellement que la majorité de la commission soutient la plus grande part des dispositions de ce projet de loi, qui tend à stimuler les différents segments de l’offre de logements.
Cela dit, il est normal qu’une assemblée parlementaire joue pleinement son rôle de législateur. Je sais, madame le ministre, pour avoir suivi votre activité du temps où vous siégiez à l’Assemblée nationale, que vous ne vous êtes jamais privée de le faire ! Au demeurant, notre démarche s’inscrit pleinement dans la perspective du fonctionnement qui sera le nôtre à partir du printemps prochain, avec l’entrée en vigueur de la révision constitutionnelle, puisque nous serons amenés à débattre, pour les projets de loi, sur le texte résultant des travaux de la commission.
De toute façon, il est normal que nous puissions avoir, ponctuellement et sur certains aspects précis plus ou moins emblématiques, des différences d’appréciation, qui sont les signes de bonne santé d’une famille qui se porte bien !
Mme Christiane Hummel. Bravo !
M. Dominique Braye, rapporteur. Le rôle d’une assemblée parlementaire consiste bien à débattre et à trouver un point d’équilibre.
Pour en revenir à la motion, je répète que la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christine Boutin, ministre. Monsieur le président, j’ai été très sensible aux arguments avancés par M. le rapporteur, au-delà de sa précision relative à la position de la commission des affaires économiques sur le projet de loi que j’ai l’honneur de présenter à la Haute Assemblée. Je souscris totalement à ses propos concernant cette motion de procédure, sur laquelle j’émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est évidemment sans surprise que nous entendons, à la suite de la présentation de notre motion, que, selon vous, aucune des dispositions du projet de loi ne souffrirait a priori d’inconstitutionnalité.
En clair, nous aurions eu le mauvais goût de ne déposer cette motion que pour avoir la possibilité de parler un peu plus longtemps,…
M. Charles Revet. Exactement ! C’est ce que tout le monde a compris et c’est scandaleux !
Mme Annie David. … au-delà du temps réduit dont nous disposions dans la discussion générale. Une telle appréciation ne nous étonne pas, mais elle ne nous semble pas recevable, pour le coup.
Comme ma collègue Isabelle Pasquet vient de le souligner, le projet de loi dont nous débattons tourne le dos à la notion de droit au logement – que le groupe communiste, au fil des textes débattus depuis vingt-six ans, a fait entrer dans le champ des droits constitutionnels ou, pour le moins, à portée constitutionnelle – pour y substituer une notion de droit du logement où l’occupation prime sur l’occupant.
Ce projet de loi remet également en question l’égalité dans les rapports entre bailleurs et locataires. Là encore, dans le passé, nous avons longuement débattu de dispositifs équilibrant les relations entre les parties naturellement concernées par la passation d’un contrat de location.
Par de nombreux aspects, le projet de loi présente un caractère nettement déséquilibré, facilitant notamment la réalisation des expulsions, réduisant les garanties offertes par le droit au maintien dans les lieux et le droit de suite, précarisant fortement la situation de nombreux locataires, et pas uniquement des plus fortunés.
Dans ce contexte, outre qu’elles remettent en question les choix de vie et l’histoire personnelle des locataires, ces dispositions placent de manière quasi systématique les locataires les plus âgés dans l’obligation de quitter leur logement social, pour peu qu’il soit devenu trop grand.
Laisser faire, c’est bon quand il s’agit de spéculer sur la monnaie, mais quand il s’agit de laisser faire pour que les gens décident, en leur âme et conscience, de leur propre chef, de déménager, il n’y a plus de droits !
Soyons clairs, madame la ministre : quelle personne seule, retraitée ou âgée de plus de soixante ans, si elle ne peut disposer d’un nouveau logement social plus petit et correspondant à ses moyens financiers, se verra accorder un prêt immobilier destiné à acheter un nouvel appartement ou une maison ?
Mme Annie David. Ce genre de mesure rompt avec tous les principes d’égalité !
S’agissant de la question des expulsions locatives, comment peut-on accepter que l’attribution d’un hébergement d’urgence puisse être assimilée à une proposition de relogement, notamment pour un locataire de bonne foi ? C’est pourtant à ce recul du droit que le projet de loi nous invite, singulièrement parce que les expulsions locatives aujourd’hui réalisées trouvent leur source au moins autant dans la conclusion d’opérations de congé-vente que dans des contentieux de recouvrement de quittances.
Ces quelques raisons complémentaires, outre celles déjà évoquées par ma collègue dans la présentation de la motion, justifieraient donc l’adoption, par la voie d’un scrutin public, de cette motion d’exception d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, pour explication de vote.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais, en quelques phrases, protester courtoisement mais fermement contre le sort réservé tout à l’heure à Mme Isabelle Pasquet. Certains d’entre nous se sont entraînés à parler en public pendant des décennies, dans les comices agricoles ou dans les amphis des grandes écoles, respectons celles et ceux qui n’acquerront cette expérience que dans les premiers mois d’exercice de leur mandat !
Il est d’usage, dans cet hémicycle, de se réjouir officiellement que le Sénat ressemble davantage à la population de notre pays, que sa composition soit plus jeune, plus métissée, plus féminisée... Si nous voulons aller dans ce sens, faisons en sorte que ce genre de bizutage n’ait plus cours !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 224, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 187 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Voynet et Herviaux, MM. Repentin et Raoul, Mmes San Vicente-Baudrin et Khiari, MM. Caffet, Courteau, Lagauche, Ries et Godefroy, Mmes M. André et Ghali, MM. Collombat, Jeannerot et Patient, Mme Alquier et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d’une motion n°519.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion (n° 497, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 , du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Dominique Voynet, auteur de la motion.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, trois grandes raisons nous poussent ce soir à proposer à notre assemblée de décider, selon les termes de notre règlement, « qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération ».
Premièrement, ce projet de loi apparaît comme singulièrement décalé, compte tenu du contexte de crise majeure dans lequel nous nous trouvons. Comme le projet de loi de finances pour 2009, il a été préparé avant l’été ; comme lui, il doit être revu à la lumière des faits.
Deuxièmement, ce projet de loi, présenté comme l’expression d’une grande mobilisation pour le logement, s’en tient à une liste d’intentions, sans consacrer jamais de véritable engagement.
Troisièmement, nous constatons une inadaptation totale des dispositifs que vous nous proposez, madame la ministre, aux causes réelles de la crise du logement et de la crise immobilière dans laquelle nous entrons actuellement.
Madame la ministre, vous avez justifié tout à l’heure l’inflation législative par le nombre de logements construits entre 2002 et 2007, comme s’il n’était pas nécessaire de laisser une loi porter ses fruits avant d’en rédiger une autre, comme s’il y avait un lien direct, mécanique, arithmétique, entre le nombre d’articles d’une loi et le nombre de logements qui poussent sur le terrain,…
Mme Dominique Voynet. … comme si les dispositifs existants ou les nouveaux dispositifs que vous nous proposez ne pouvaient s’appliquer sans que soit rédigé un nouveau texte de loi !
Je note d’ailleurs, madame la ministre, que la commission des affaires économiques a entrepris de réécrire presque totalement votre texte, en adoptant pas moins de 120 amendements. J’ai bien entendu tout à l’heure M. Braye souligner très sévèrement les lacunes de ce projet de loi. M. Dallier et Mme Bout ne se sont guère montrés plus tendres.
Je voudrais d’abord, si vous le permettez, madame la ministre, revenir sur quelques-unes des occasions que vous avez manquées si vous vouliez vraiment faire de ce projet de loi le signe d’une véritable mobilisation pour le logement.
Vous disposiez, madame, d’une base solide ; les rapports remis au Premier ministre par le député des Yvelines, Etienne Pinte, membre de votre majorité, auraient pu avantageusement inspirer vos travaux. Il n’en a rien été, or ce travail relevait d’une véritable ambition.
J’ai évoqué tout à l’heure la proposition consistant à fixer, pour les nouvelles constructions, l’objectif de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, à 30 % de logements sociaux, dont un tiers de logements très sociaux en prêt locatif aidé d’intégration ou PLAI. Je rappelle que M. Pinte n’est pas député du parti communiste, du parti socialiste ou des Verts mais qu’il fait partie de l’UMP.
Votre gouvernement n’a eu de cesse, ces derniers jours, d’en appeler à l’union nationale. Si vous aviez repris à votre compte les ambitions de M. Pinte, nous aurions pu, sur ce sujet tout particulièrement, l’envisager.
Hélas, vous n’en avez rien fait, comme vous n’avez rien fait pour vous appuyer sur le travail des associations, dont je veux ici – cela n’a pas été fait suffisamment ce soir - saluer l’engagement et la connaissance précise des enjeux.
Vous avez choisi de ne pas les écouter et de naviguer seule. Cela donne des résultats étonnants comme cette énième tentative de revenir, une fois encore, sur l’article 55 de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.
Loin de satisfaire à quelque ambition que ce soit de « grande mobilisation pour le logement », l’article 17 de votre projet de loi rouvre, encore une fois, cette grande bataille idéologique à laquelle vous tenez tant. Mais ce qui est assez étonnant, c’est l’argumentation utilisée pour ce faire.
Vous nous proposez d’intégrer à l’objectif de 20 % les logements en accession à la propriété. Mais que nous dit le rapport de la commission des affaires économiques sur ce point ?
« Selon les données communiquées par le ministère du logement, 2 197 agréments PSLA auraient été délivrés en 2007 ». La commission, dans ce même rapport, précise que « 995 agréments avaient, pour leur part, été accordés en 2005 et 1 476 en 2006 […] S’agissant des Pass-Foncier - poursuit la commission – […] ce type de logements ne concernait que 3 000 opérations en 2008-2009. » Donc, en tout et pour tout, un grand maximum de 4 500 logements par an seraient concernés par les dispositions de l’article 17 de votre projet de loi.
Je ferai mienne la conclusion du rapporteur, qui se demande « s’il est bien opportun de relancer un débat de fond sur l’article 55 pour des ordres de grandeur aussi modestes ».
Est-ce là, madame la ministre, le pragmatisme dont vous vous réclamiez tout à l’heure ?
Le pragmatisme, ce serait évidemment de ne pas revenir sur les objectifs de la loi SRU, sinon pour aller plus loin.
Le pragmatisme, ce serait de ne pas détricoter tous les deux ans les dispositifs existants.
Le pragmatisme, ce serait non pas d’empiler les lois les unes sur les autres, mais de faire preuve, enfin, de constance et de cohérence dans la mobilisation et l’engagement de l’État, et de garantir aux acteurs de terrain le minimum de stabilité réglementaire sans lequel il est tout bonnement impossible de travailler correctement.
Et, s’il fallait vraiment une loi, comme vous nous l’avez dit tout à l’heure, le pragmatisme aurait consisté à consacrer la place des collectivités locales comme acteurs majeurs de la mobilisation pour le logement. Or celles-ci sont étrangement absentes de ce projet de loi.
Le pragmatisme, enfin, ce serait de voir, et de reconnaître, que la crise qui affecte l’économie mondiale a rendu obsolète votre projet de loi.
Nous vivons aujourd’hui une crise financière dramatique dont les effets sur l’économie française commencent à peine à se faire sentir, une crise dont nous pressentons qu’elle aura des conséquences importantes sur nos concitoyens, sur leur emploi, sur leurs conditions de vie, sur leur pouvoir d’achat. C’est un devoir que de les protéger au maximum des effets de cette crise.
La politique du logement peut et doit y contribuer, garante du droit vital d’un accès au logement pour tous, logement qui représente au minimum un quart du budget de nos concitoyens.
Même si, à l’évidence, la crise du logement est bien antérieure à la crise financière, ce contexte de récession ne peut que l’aggraver. Je pense évidemment à l’assèchement des liquidités des banques et aux restrictions des prêts à l’accession. Tout cela ne risque pas d’encourager l’investissement des ménages dans des logements qui coûtent déjà 140 % plus cher qu’il y a seulement cinq ans !
Comme vous le reconnaissez vous-même, les banquiers ne prêtent plus aux ménages désireux d’accéder à la propriété. Alors, au vu d’un horizon qui s’annonce plus difficile encore, pourquoi persister à vouloir faire adopter un texte qui a été préparé en dehors de toute considération pour ces facteurs économiques récents ?
La crise que nous connaissons aujourd’hui est en outre bien plus profonde qu’un simple krach financier. Elle appelle des réponses de long terme autrement plus fortes qu’un simple rafistolage du système actuel. Ces réponses de long terme doivent commencer aujourd’hui, dans la capacité des gouvernements à engager des réorientations budgétaires réelles, pariant enfin sur le long terme, centrées sur la satisfaction prioritaire des besoins sociaux élémentaires.
J’ai évoqué tout à l’heure la politique des transports ; la politique du logement doit, elle aussi, bénéficier de moyens budgétaires exceptionnels quand notre pays sait mobiliser, en quarante-huit heures, 40 milliards d’euros pour recapitaliser le secteur bancaire.
Chaque fois que vous avez annoncé une nouvelle mesure censée participer à la lutte contre la crise du logement, ou contre les effets de la crise financière, ce n’était que pour ponctionner soit nos partenaires sociaux - les contributeurs du 1 % -, soit l’épargne populaire et solidaire - le livret A, dont la vocation est le financement du logement social -, soit les organismes d’HLM, dont une partie significative sera concernée par un prélèvement total de 50 millions à l00 millions d’euros. Ce ne sont pas, comme l’a exprimé l’Union sociale pour l’habitat, forcément des sommes « dormantes ».
Une seule remarque suffit pour évaluer ce projet de loi de « mobilisation pour le logement » : l’État est totalement absent de la mise en œuvre du texte ! Pas un seul euro ne sera mis sur la table.
Vous ne cessez de déclarer, comme vous l’avez fait très récemment lors des rencontres nationales de l’ANAH, que le budget de la mission « Ville et Logement » pour 2009 n’est pas en diminution : c’est faux ! La vérité est que l’État va se désengager des missions qui lui incombent en ponctionnant largement nos partenaires. Les 800 millions d’euros du 1 % que vous vous apprêtez à affecter autoritairement à l’ANAH et à l’ANRU représentent 250 millions d’euros de plus que ce que l’État entend investir en 2009 dans les aides à la pierre.
À qui espérez-vous faire croire que ce tour de passe-passe suffira ? Réduire, d’un côté, l’investissement de l’État et le « compenser », d’un autre côté, par un hold-up organisé des partenaires de cette politique prioritaire, c’est bien tenté.
Mais expliquez-nous alors comment les partenaires sociaux, les collectivités territoriales et les offices d’HLM pourront continuer d’assurer leurs missions ? Ils vont subir de plein fouet vos restrictions budgétaires tout en se voyant chargés de nouvelles missions, sans que vous ayez, à aucun moment, pensé à leur rembourser votre dette ?
M. Dominique Braye, rapporteur. Cela n’a rien à voir avec une question préalable !
Mme Dominique Voynet. Comment nos concitoyens sont-ils censés s’y retrouver ?
D’un côté, nous sommes touchés par une crise financière sans précédent qui ne peut qu’aggraver la crise du logement ; de l’autre, l’État se démobilise, l’État se décharge de ses responsabilités sur des partenaires qui se sont déjà vu déléguer nombre de missions d’intérêt général.
D’un côté, le Président de la République ne cesse de nous dire qu’il faut se serrer la ceinture ; de l’autre, nous avons appris très récemment, grâce à un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale, que les bénéfices du bouclier fiscal se sont concentrés sur les ménages les plus aisés.
De votre côté, vous ne cessez de dire qu’il faut encourager à la construction de logements abordables, alors que vous proposez, une fois de plus, de supprimer ou d’affaiblir l’article 55 de la loi SRU. Vous proposez de réformer la DSU en supprimant des moyens aux maires qui veulent assumer leur responsabilité de bâtisseurs, et ce même en ZUS.
Qu’apprendra-t-on demain, lors de la discussion du collectif budgétaire, préparé à la hâte ? Que le Gouvernement rachète des logements invendus aux promoteurs ? Madame la ministre, vous annoncez, là encore, une mobilisation du Gouvernement, mais ce sont en fait la SNI et les organismes d’HLM que vous contraindrez à recourir aux VEFA pour des programmes dont il est permis de penser qu’ils sont mal conçus et inadaptés aux besoins des personnes.
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
Mme Dominique Voynet. La preuve en est qu’ils ne trouvent pas facilement preneurs !
Madame la ministre, vous promettiez l’année dernière qu’il n’y aurait pas de « loi Boutin » sur le logement. Votre but, disiez-vous, était non pas d’accrocher votre nom à une réforme, mais de faire avancer les choses.
Mme Dominique Voynet. Vous aviez raison. Vous n’avez pas tenu parole, et je ne vous en blâme pas : ce qui est terrible, madame la ministre, ce n’est pas que vous ayez, finalement, décidé d’en passer par un texte de loi ; ce qui est terrible, c’est que votre projet n’a ni souffle ni véritables objectifs concrets, opérationnels, transposables sur le terrain.
Le Président de la République, nous dit-on, veut tenir ses promesses. Fort bien ! Je ne suis pas contre le fait de tenir ses promesses, mais on n’est pas obligé de s’entêter lorsqu’elles n’ont pas de sens.
S’agissant du logement, Nicolas Sarkozy avait expliqué, pendant la campagne présidentielle, qu’il était favorable à l’introduction en France des prêts immobiliers hypothécaires, aujourd’hui mieux connus sous le nom de « crédits subprime ». Il a visiblement renoncé à cette promesse, mes chers collègues, et c’est une bonne chose !
Il n’est donc pas interdit d’espérer que soit revu l’objectif, inadapté lui aussi, de conduire une politique du logement à partir de l’idée que tout le monde devrait être propriétaire. L’idée est peut-être séduisante sur le papier, mais dans la réalité - toutes les associations qui connaissent la question et y réfléchissent vous l’ont dit - c’est une illusion, et cela ne répond pas aux vrais enjeux de la crise du logement.
Si vous voulez de grandes ambitions, madame la ministre, je peux vous en proposer une, une de plus. Si vous voulez dès aujourd’hui changer le cours des choses, je vous propose d’engager, par exemple, le chantier de la rénovation énergétique de l’habitat.
Tout ou presque est à faire. Vos collègues Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet connaissent bien le sujet. Je ne doute pas qu’ils sauront vous expliquer et vous épauler. Vous y trouverez matière à déployer votre volonté de changement, que je crois grande, et votre souci de la justice et de la protection des personnes les plus modestes : celles-ci sont en effet aujourd’hui les premières victimes d’un habitat mal conçu, qui fait de nos maisons des passoires énergétiques et conduit les factures à s’alourdir de mois en mois.
Répondre à la crise du logement, préparer la mutation écologique de nos lieux d’habitation, de travail et de vie, voilà qui aurait peut-être pu justifier une loi de plus, une loi ambitieuse.
Mais, sur ces deux points, votre texte ne dit rien, désespérément rien. C’est peu dire qu’il a déçu celles et ceux qui, connaissant la valeur de votre travail parlementaire, attendaient beaucoup de votre action de ministre. Or votre texte se borne à consacrer le désengagement budgétaire de l’État et la régression des objectifs publics en matière de mixité sociale.
Voilà pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle à ne pas poursuivre l’examen de ce projet de loi qui, en l’état, ne se justifie pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)