M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Devant nos collègues députés, lors de la séance des questions d’actualité, Mme Lagarde a déclaré que le Gouvernement s’efforçait de donner à l’économie réelle les moyens de résister aux dégâts causés par l’économie financière. C’est un aveu ! C’est aussi la validation de ce que dit l’opposition depuis plus d’un an en même temps qu’un désaveu de tout ce qu’a fait le Gouvernement au fil de ses projets de loi. J’ai encore en mémoire les débats de cet été sur le projet de loi de modernisation de l’économie : on ne cessait de présenter la place de Londres comme la référence et de mettre en avant la concurrence que la place de Paris devait lui faire.
Cela étant, l’heure n’est pas à la querelle, comme nous avons essayé de le prouver avec l’intervention de notre collègue François Marc. Cependant, il existe une certaine confusion dans les annonces du Gouvernement et du Président de la République, et cette confusion n’est pas de nature à rassurer les Français ou à redonner confiance aux acteurs économiques.
Ne nous accusez pas d’être mauvais joueurs parce que nous n’avons pas répondu à l’appel à l’union nationale. Nous n’avons jamais nié les efforts du Président de la République pour que, à l’échelon européen, la concertation et l’action globale l’emportent. Mais force est de constater que c’est plutôt le chacun pour soi qui domine.
Monsieur le ministre, c’est sur la stratégie de la France que je veux vous interroger. Les moyens d’action, on les connaît : vous avez parlé des garanties sur les actifs et de la capitalisation. À cet égard, nous avons bien noté que le Premier ministre avait annoncé la création d’une structure juridique d l’État afin de soutenir les banques « au cas où », dans la foulée de ce qui a été fait pour Dexia.
En revanche, vous avez peu parlé des produits financiers. Nous savons bien qu’il existe une bonne finance, nécessaire au développement de l’économie réelle et au saut technologique que doit accomplir notre appareil productif pour être compétitif.
Vous nous avez longuement expliqué que tout cela ne bouleverserait pas la donne budgétaire. Nous avons du mal à vous croire ! Nous savons déjà que, pour 2008, la donne n’est pas celle que vous nous aviez annoncée. Pour 2009, il n’y a aucune raison qu’il n’en aille pas de même.
Ma question est donc simple : ne pensez-vous pas que le projet de budget que vous avez présenté ici même avec Mme Lagarde le 24 septembre est complètement décalé et qu’il faudra bien que vous le refassiez d’ici à son examen par l’Assemblée nationale et par le Sénat ? Vous ne pouvez que le refaire, car, vous le savez parfaitement, en l’état, il n’est pas opérationnel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Madame la sénatrice, le projet de budget ne sera ni obsolète ni décalé au moment où il sera discuté. M. Hollande a utilisé tout à l’heure les mêmes arguments que vous à une autre tribune.
Mme Nicole Bricq. Je ne sais pas quels termes il a employés !
M. Éric Woerth, ministre. Je sers donc de messager aux membres du parti socialiste ! (Sourires.)
Qu’est-ce qu’un budget ? Ce n’est ni plus ni moins qu’une prévision. La nôtre est fondée sur des indicateurs macroéconomiques tels que, par exemple, la croissance.
Nous nous battons tous et toujours sur la question de savoir si celle-ci est bien ou mal évaluée. Pour notre part, nous avons retenu 1 % de croissance pour bâtir le projet de budget, ce qui n’est pas énorme. D’autres pensent que cette croissance sera de 0 % l’année prochaine. C’est possible, mais là n’est pas l’important. Le plus important, c’est le lien entre les recettes fiscales et la croissance. Ce lien est de 0,8 % dans le projet de budget pour 2009. Pour cette année, il est de 1,5 %. L’année dernière, il était de 1,3 % et l’année précédente de presque 2 %. Nous avons donc revu de manière très prudente le lien entre la croissance et le taux d’élasticité de la recette.
Si, malheureusement, la crise s’étendait, si l’économie « réelle », comme on dit, ne redémarrait pas aussi vite que nous le souhaitons, cela pourrait être pire Mais cela pourrait aussi être mieux. Nous nous situons donc dans l’univers du possible, en restant prudents et en nous montrant vigilants.
Pour ce qui concerne l’inflation, nous prévoyons un taux de 2 % pour l’année prochaine. D’autres organismes de prévision se situent également sur cette ligne.
Par ailleurs, nous maîtrisons les dépenses. Elles sont arrêtées sur trois ans, par enveloppes et en euros. Au nom de quoi devrions-nous dévier par rapport à ce qui a été fixé à cet égard ? Elles feront certainement l’objet de beaucoup de discussions, mais elles sont notamment le fruit de la révision des politiques publiques, donc d’un certain nombre de réformes qu’il n’y a aucune raison d’arrêter.
Que peut-il arriver qui fasse que les choses se présentent différemment ? Par exemple, la dette pourrait coûter encore plus cher. Étant donné qu’elle a coûté beaucoup plus cher cette année, il y a peu de chance qu’elle coûte encore plus cher l’année prochaine. La raison en est simple : l’année dernière, nous avons connu une inflation très forte ; l’année prochaine, nous enregistrerons une inflation moins forte.
Notre pays pourrait également décider de dépenser plus. Mais une réponse aussi « extra-ordinaire » exigerait un débat tout aussi « extra-ordinaire ».
En l’état, le projet de budget correspond donc bien à la réalité. Il est construit pour s’inscrire dans une trajectoire qu’il ne faut pas remettre en cause et qui est très importante pour les finances publiques. Pour autant, nous ne nous interdisons en aucune façon de revoir nos décisions en fonction d’autres indicateurs. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. La crise financière que nous vivons est planétaire et toutes les institutions financières sont touchées. Néanmoins, il me semble que, dans notre pays, et peut-être aussi en Allemagne, certaines institutions financières souffrent plus que d’autres. Je pense notamment aux Caisses d’épargne et au Crédit agricole.
Monsieur le secrétaire d’État, pensez-vous que le régime juridique particulier de ces institutions ou le fait que leur culture et leur raison d’être soient de s’occuper du développement local plutôt que d’aller acheter des créances douteuses au fin fond de l’Amérique les aient conduites à souffrir plus que d’autres de la crise ? Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services. Avant de répondre à votre très intéressante question, monsieur le sénateur, permettez-moi de vous expliquer l’absence de Christine Lagarde : elle se trouve en ce moment à Bruxelles pour une réunion avec le Premier ministre belge afin de faire le point sur la situation et l’avenir de Dexia. Sans cette réunion, je pense qu’elle aurait été enchantée de vous répondre. (Sourires.)
M. Michel Mercier. Ma question concerne aussi Dexia, qui n’avait rien à faire non plus en Amérique !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. C’est bien pourquoi je vous indiquais la raison de l’absence de Mme la ministre de l’économie. (Nouveaux sourires.)
En ce qui concerne les banques françaises, moins d’un quart de leurs revenus provient des activités d’investissement et de marché. Les trois quarts proviennent des dépôts et de la rémunération des prêts aux ménages et aux entreprises.
Cela signifie que leur situation est certainement un peu plus solide que celle que des établissements de Grande-Bretagne, par exemple, où la tradition n’est pas la même que dans notre pays. Cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes protégés de tout – les exemples que vous avez cités sont tout à fait parlants –, mais c’est une première sécurité.
Le Président de la République, puis, tout à l’heure à la tribune de l’Assemblée nationale, le Premier ministre ont annoncé la création d’un véhicule juridique permettant de faire en sorte qu’aucune banque ne se retrouve en faillite. Au cas où une banque se retrouverait en situation de fragilité du fait d’investissements hasardeux, le Premier ministre a indiqué que les dirigeants seraient changés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est sauvé !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je voudrais vous faire remarquer qu’il s’agit d’investissements privés sur lesquels le Gouvernement ne peut émettre d’avis.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Guy Fischer. Ben voyons !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je le répète, si ces investissements mettaient ladite banque en situation de fragilité extrême, l’État interviendrait. Il n’y aura donc pas de faillite et les dirigeants seront changés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Incroyable !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. La crise financière, dont nous suivons heure par heure l’évolution, prend un tour particulièrement dramatique ; une dramatisation dont nous craignons, comme l’a montré la discussion, qu’elle ne soit de nouveau utilisée pour exiger des salariés, comme des populations, de nouveaux sacrifices.
Sans surprise, vous confirmez en effet vos choix politiques et budgétaires, quand bien même ces choix sont profondément récessifs et risquent fort de contribuer à l’aggravation des conséquences du désordre des marchés financiers.
Réduire la dépense publique, supprimer des emplois publics dans un contexte de restriction de l’accès au crédit et de développement du chômage, ce n’est rien d’autre que de jeter de l’huile sur le feu !
Vous nous dites que ces choix politiques sont guidés par nos engagements européens.
Il y a un peu moins d’un an, le Président de la République se félicitait, après l’adoption du traité de Lisbonne, véritable « copier-coller » du traité constitutionnel rejeté par référendum en France et aux Pays-Bas, d’avoir relancé le processus de construction européenne. Or, en juin dernier, les Irlandais ont rejeté le traité de Lisbonne. Aujourd'hui, la crise financière montre que la solidarité des pays européens est pour le moins relâchée. Nous sommes entrés dans l’ère du chacun pour soi, chaque État venant comme il le peut au secours de ses banques en péril, quitte à le faire sans demander leur avis aux autres.
Malgré les déclarations de Jean-Claude Juncker, il semble bien les critères de convergence sont appelés à attendre un peu et que le dérapage des déficits publics sera plus facilement toléré en 2009.
Les remèdes nécessaires à la crise financière passent, à notre sens, par une véritable approche critique des engagements européens, notamment pour l’ensemble des pays de la zone euro, et par l’ouverture d’une négociation, sous le contrôle des parlements nationaux, sur le devenir des traités européens.
Ma question sera simple : à la lumière des événements, n’est-il pas temps que la France, présidant pour le moment l’Union européenne, prenne l’initiative de procéder à l’ouverture d’une renégociation des traités européens, abandonnant par là même le processus de ratification du traité de Lisbonne ?
N’est-il pas temps qu’une autre conception de la construction européenne, appuyée sur des solidarités entre États, sur la constitution de services publics forts, sur une plus grande efficacité du crédit bancaire au service de l’emploi et de l’investissement, voie le jour et mette un terme aux politiques de déréglementation et de libéralisation à outrance ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, le Gouvernement ne partage absolument pas votre analyse.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas possible ?
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Vous semblez considérer que l’Europe ne sert à rien et qu’elle ne serait pas en situation de répondre à la crise financière qui se trouve face à nous. Ce n’est absolument pas notre point de vue.
Je souhaite mettre en lumière le fait que Christine Lagarde a obtenu que soient adoptées lors du Conseil Écofin une série de réponses immédiates à la crise.
Il a d’abord été acté que l’Europe soutiendra son secteur bancaire et ne laissera tomber aucun des établissements importants, de manière à préserver l’équilibre du système. Elle le fera sous forme de recapitalisations au niveau de chaque État, selon une méthode commune qui mettra un terme aux excès : responsabilité du management et des actionnaires des établissements ayant pris des risques excessifs, prise en compte des effets collatéraux, pour que les efforts des uns ne nuisent pas aux autres, et préservation de l’intérêt des contribuables.
Ces solutions tiennent compte à la fois de la grande variété des systèmes bancaires selon les États, mais aussi du besoin de principes communs pour redonner aux agents financiers des points de repère sûrs et de la visibilité aux marchés financiers.
L’Europe, dès hier, a su montrer sa capacité de réaction rapide. Je ne vois pas en quoi renégocier aujourd’hui le traité de Lisbonne serait un élément de sécurité dans un monde où les réactions intempestives peuvent troubler des agents économiques déjà suffisamment perturbés par la crise financière que nous connaissons.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Ma question s’adresse plus particulièrement à Hervé Novelli.
Le Gouvernement, avec beaucoup de détermination, a engagé des moyens importants pour faire en sorte que la crise des liquidités interbancaires ne se traduise pas par une crise du crédit à l’économie, et donc par une crise économique.
M. Éric Woerth, à l’instant, a cité des chiffres spectaculaires : 17 milliards d’euros pour les PME et 5 milliards d’euros pour OSEO.
Ma question, monsieur le secrétaire d'État, est la suivante : de quels moyens allez-vous vous doter pour que ces sommes, dans les délais rapides qui ont été évoqués par votre collègue, aillent effectivement vers les PME, notamment vers celles du bâtiment, qui sont particulièrement exposées en raison des problèmes que rencontrent les maîtres d’ouvrage ? Il est en effet nécessaire que les besoins de trésorerie des PME soient assurés par les banques et que ces dernières ne se contentent pas de garder ces sommes pour assurer leurs liquidités.
Je ferai par ailleurs deux observations.
La première portera sur la régulation. Souhaitez-vous exploiter immédiatement le rapport tout à fait remarquable de René Ricol ? Ce rapport démontre très largement que la régulation internationale existe, mais que, malheureusement, à l’ère de la mondialisation, d’Internet et des prouesses informatiques, la créativité des agents économiques est très largement supérieure à la capacité de normalisation de tous les actuels organismes internationaux, transatlantiques ou européens. Par conséquent, ne vaudrait-il pas mieux choisir la surveillance des marchés et l’information directe plutôt que de prétendre encadrer ce qui paraît à peu près impossible à encadrer ?
Ma seconde remarque complétera cette observation. Mme Lagarde lancera bientôt le Conseil pour la diffusion de la culture économique, le CODICE, qui avait à l’origine pour vocation de s’intéresser surtout aux livres scolaires.
Je lui suggérerai d’orienter la diffusion de la culture économique autour de l’idée simple que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, qu’à long terme les bénéfices ne peuvent pas croître plus vite que l’ensemble de l’économie et que les entreprises devraient être dirigées par leurs actionnaires puisque, en définitive, ce sont eux qui perdent leur argent et non les managers, qui touchent des bonus et quittent les entreprises ! (MM. Philippe Dominati, Jean-Pierre Fourcade et Aymeri de Montesquiou. applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, en ce qui concerne les soutiens que le Gouvernement a mis en œuvre après l’arbitrage du Président de la République en matière de financement des petites et moyennes entreprises, vous avez cité les chiffres de 17 milliards d’euros et de 5 milliards d’euros.
Ce sont en effet 22 milliards d’euros qui seront rapidement mis à la disposition des PME pour que celles-ci puissent financer leurs investissements…
M. Gérard Longuet. Ou leur trésorerie !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. … ou tout simplement leurs besoins en fonds de roulement !
Cette mesure sera rapidement mise en place. Sur les 17 milliards d’euros qui proviennent des fonds d’épargne réglementée, 8 milliards d’euros seront mis dès demain à la disposition du réseau bancaire grâce à la baisse du taux de centralisation des livrets d’épargne réglementée, qui étaient auparavant gérés pour partie par la Caisse des dépôts et consignations. Par ailleurs, le 15 octobre, 9 milliards d’euros viendront compléter l’approvisionnement des banques.
Vous vous inquiétez de savoir si ce financement ira effectivement aux PME. C’est toute notre problématique.
Une convention entre l’État et les réseaux bancaires est actuellement en cours de rédaction et sera finalisée dans les heures qui viennent. Elle prévoira deux obligations.
La première est un suivi mensuel de l’encours des PME et de la production des prêts. Nous nous donnerons ainsi les moyens de suivre à la fois le stock de prêts et le flux de prêts aux PME.
Je précise que nous élargirons le soutien de 9 milliards d’euros aux entreprises de taille intermédiaire, catégorie que le Sénat a créée par voie d’amendement lors de l’examen de la loi de modernisation de l’économie et qui regroupe les entreprises comptant plus de 250 salariés et moins de 5 000 salariés.
La deuxième obligation est une affectation exclusive, à l’euro près, aux PME sous la forme de nouveaux prêts, et non simplement la reconduction de prêts existants.
Grâce au dispositif qui sera mis en place dans les jours à venir, vous aurez l’assurance que ces financements iront vraiment à ceux qui en ont le plus besoin aujourd'hui.
Vous avez par ailleurs fait mention de l’excellent rapport Ricol. Ce rapport inspire de manière très large l’action du Gouvernement en matière de régulation. Vous avez bien fait de souligner que, contrairement à ce qui se dit trop souvent ici ou là, ce n’est pas l’absence de règles qui a entraîné la crise financière que nous connaissons, mais, pour une large part, une régulation inadaptée à la modernisation des outils actuels. Il est important, pour bien comprendre la crise qui sévit aujourd'hui partout dans le monde de se garder des caricatures
En ce qui concerne la culture économique, monsieur le sénateur, vous avez a tout à fait raison : le développement de la culture économique nous épargnerait certainement de commettre beaucoup des erreurs du passé. (MM. Gérard Longuet et Philippe Dominati applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs, loin de moi la tentation de souligner l’ironie de l’histoire qui conduit les plus fervents apôtres de la dérégulation, les plus féroces pourfendeurs de l’État, à appeler ce dernier au secours pour surmonter ce qu’ils présentent comme une crise et où je vois, moi, une remise en cause fondamentale d’un modèle hier encore considéré comme indépassable : le libéralisme économique.
D’autres l’ont dit avant moi et ils ont eu raison : il y a eu des signes avant-coureurs de la fragilité d’une économie financiarisée, opaque, où les profits de court terme l’emportent sur toute autre considération – la morale publique, le lien avec l’économie réelle, l’impact sur l’emploi, l’environnement ou la santé.
Ces signes ont été ignorés par le Gouvernement, convaincu il y a encore quelques jours que la crise financière ne traverserait pas davantage l’Atlantique que le nuage de Tchernobyl les frontières nationales…
Aucune mesure préventive de régulation n’a été mise en place.
Il s’agit désormais, dans l’urgence, d’éviter l’écroulement général du système bancaire, la raréfaction du crédit et l’effet domino sur des pans entiers de l’économie.
Au-delà, il faut admettre que la crise actuelle n’est pas un simple incident de parcours : elle aura des conséquences majeures.
Il serait incompréhensible de mobiliser toutes les énergies pour sauver les banques si les responsabilités de ceux qui nous ont conduits au bord du désastre, les yeux fermés, mais les parachutes en or déployés, n’étaient pas établies. Ce serait encore plus incompréhensible si le soin de mettre en place des règles rigoureuses devait être confié aux mêmes demain !
Il serait obscène, monsieur le ministre, de mobiliser l’essentiel des moyens dont vous disposez pour soutenir les banques si tout n’était pas fait, par ailleurs, pour soutenir les personnes les plus modestes, celles qui vivent déjà sous le seuil de pauvreté, celles qui, parce qu’elles travaillent dans un secteur exposé ou dans une petite entreprise fragilisée par le report des chantiers ou la rareté du crédit, risquent de perdre leur emploi.
Comment admettre, au moment même où l’on appelle l’État au secours, que soient supprimés massivement des postes de fonctionnaires ? Comment expliquer l’effondrement programmé du budget du logement social et l’absence de moyens budgétaires permettant de concrétiser les engagements du Grenelle de l’environnement et de réaliser les tramways, les métros, les bus, sans lesquels nous serons incapables de nous adapter à la nouvelle donne énergétique ?
Est-ce bien le moment de priver des villes pauvres des moyens qui permettent de limiter la casse ? Êtes-vous au courant, monsieur le ministre, qu’il faudrait ne plus tenir compte du pourcentage de logements sociaux dans le calcul de la dotation de solidarité urbaine ? Comme si les villes qui ont beaucoup de logements sociaux – je ne parle pas de 20 % de logements sociaux, un chiffre qui continue à donner de l’urticaire à certains d’entre vous, mais de 30 %, de 35 %, de 40 %, voire davantage – n’avaient pas, autant que les autres, plus que les autres, besoin du soutien de l’État pour répondre aux attentes de leurs populations !
Ma question est simple, monsieur le ministre : le Gouvernement ne considère-t-il ce court débat au Parlement, sans vote, que comme un mauvais moment à passer ou envisage-t-il de prendre la mesure de la situation et de revoir en profondeur le projet de loi de finances concocté dans la béatitude de l’été ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Madame le sénateur, je ne sais pas trop comment répondre à ce qui est plus un plaidoyer politique qu’une question ! (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Le Gouvernement, dites-vous, n’aurait rien vu venir. Modérez vos propos ! Le Gouvernement a immédiatement agi, il a pris des mesures adaptées à la crise et a mobilisé l’Union européenne. J’ajoute qu’aucun gouvernement au monde n’avait prévu que cette crise allait aussi rapidement prendre une telle ampleur. Et aucun économiste non plus.
Mme Dominique Voynet. Et Joseph Stiglitz ?
M. Éric Woerth, ministre. Par conséquent, avant de donner des leçons, il faut tout de même regarder comment les choses se passent !
Nous ne sommes les apôtres d’aucune idéologie. Il n’y a pas d’un côté ceux qui veulent réguler et de l’autre ceux qui veulent déréguler. Nous sommes simplement pragmatiques. Il n’y a pas d’idéologie en arrière-fond. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ce qu’il faut, c’est faire en sorte que les choses fonctionnent. C’est vrai pour les services publics comme pour l’ensemble de la société française.
La crise nécessite d’adopter un discours assez modeste – un peu de modestie n’a fait jamais mal à personne ! (Sourires sur plusieurs travées de l’UMP) – en reconnaissant qu’il n’est pas facile d’y faire face. Or, devant ce constat, certains ne font rien ou se réfugient dans l’incantation. Nous sommes, nous, partisans de l’action et nous nous efforçons d’agir correctement, d’une façon « unioniste » : les intérêts nationaux doivent, selon nous, prévaloir sur les seuls intérêts claniques ou les options idéologiques. C’est de cette manière que nous essayons aujourd’hui de construire autre chose.
Vous avez employé des mots très forts. Il serait « obscène », selon vous, de défendre les banques, que vous opposez aux personnes modestes. Je trouve votre raisonnement incroyable.
D’abord, je vous ferai remarquer que les riches ne sont pas les seuls à posséder un compte en banque. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Protéger les banques, c’est aussi protéger les personnes aux revenus modestes. Laisser s’écrouler les institutions financières, ce serait porter atteinte à l’ensemble de la société, et les plus modestes en souffriraient au moins autant que les autres. Si l’on se réfère aux exemples donnés par l’histoire, on constate qu’elles en souffrent même beaucoup plus. C’est évidemment ce qu’il faut éviter.
Je vous ferai également remarquer que le Gouvernement ne travaille pas que sur la crise ; il continue à réformer la société française. Hier soir et aujourd’hui encore, l’Assemblée nationale a débattu du revenu de solidarité active et a adopté le projet de loi visant à l’instaurer, dont vous aurez bientôt à connaître. Or qu’est-ce que le revenu de solidarité active sinon une réforme profondément sociale ? Cela vaut aussi pour la réforme de l’intéressement et de la participation.
Mme Dominique Voynet. Et la réforme de la DSU ?
M. Serge Lagauche. Un peu de modestie !
M. Éric Woerth, ministre. Par conséquent, cessez de dire que la majorité à laquelle j’appartiens n’honorerait pas le pacte social de la France ? Nous sommes particulièrement attentifs à l’équilibre social de notre pays et je ne peux pas laisser dire des choses aussi incroyables. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Enfin, en ce qui concerne le projet de loi de finances pour 2009, je suis heureux que vous soyez intéressée par le débat qui va intervenir. Nous allons en effet y consacrer de nombreuses nuits, ici comme à l’Assemblée nationale. Ainsi que je me suis déjà efforcé de vous en convaincre, ce projet de budget est parfaitement adapté à la situation.
M. Guy Fischer. Bien sûr !
M. Éric Woerth, ministre. S’il faut prendre d’autres mesures, nous le ferons ; si des mesures extraordinaires sont nécessaires, nous les prendrons. J’espère d'ailleurs, madame le sénateur, que vous nous aiderez à réduire la dépense publique, parce qu’un bon budget, dans le contexte actuel, doit avoir pour ligne directrice la réduction et la maîtrise de la dépense publique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo !
M. le président. Le débat est clos.
La déclaration du Gouvernement sera imprimée sous le n° 9 et distribuée.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie ainsi que l’ensemble des participants à ce débat