compte rendu intégral

Présidence de M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Dépôt d'un rapport en application d’une loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Tristan d’Albis, président de la commission dite « de la copie privée », le rapport d’activité pour 2006-2007 de cette commission, établi en application de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires culturelles et sera disponible au bureau de la distribution.

3

Articles additionnels après l’article 5 quater (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Article 6 (début)

Modernisation de l'économie

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après déclaration d’urgence, de modernisation de l’économie (nos 398 et 413).

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 6.

CHAPITRE II

Favoriser le développement des petites et moyennes entreprises

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de l'économie
Article 6 (interruption de la discussion)

Article 6

I. - L'article L. 441-6 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Après le huitième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Le délai convenu entre les parties pour régler les sommes dues ne peut dépasser quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours à compter de la date d'émission de la facture.

« Les professionnels d'un secteur, clients et fournisseurs, peuvent décider conjointement de réduire le délai maximum de paiement fixé à l'alinéa précédent. Ils peuvent également proposer de retenir la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation de services demandée comme point de départ de ce délai. Des accords sont conclus à cet effet par leurs organisations professionnelles. Un décret peut étendre le nouveau délai maximum de paiement à tous les opérateurs du secteur ou, le cas échéant, valider le nouveau mode de computation et l'étendre à ces mêmes opérateurs. » ;

2° Au début du neuvième alinéa, les mots : « Contrairement aux dispositions de l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « Nonobstant les dispositions précédentes » ;

3° Dans la deuxième phrase du dixième alinéa, les mots : « une fois et demie » sont remplacés par les mots : « trois fois » et le chiffre : « 7 » est remplacé par le nombre : « 10 » ;

4° Dans le dernier alinéa, les mots : « neuvième » et « dixième » sont remplacés respectivement par les mots : « onzième » et « douzième ».

II. - Le 7° du I de l'article L. 442-6 du même code est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Est abusif tout délai de règlement supérieur au délai maximal prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6, et notamment le fait pour le débiteur de demander au créancier, sans raison objective, de différer la date d'émission de la facture, allongeant ainsi le délai de règlement effectif. »

III. - Le 1° du I ne fait pas obstacle à ce que des accords interprofessionnels dans un secteur déterminé définissent un délai de paiement maximum supérieur à celui prévu au neuvième alinéa de l'article L. 441-6 du code de commerce, sous réserve :

1° Que le dépassement du délai légal soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques à ce secteur, notamment au regard des délais de paiement constatés dans le secteur en 2007 ou de la situation particulière de rotation des stocks ;

2° Que l'accord prévoie la réduction progressive du délai dérogatoire vers le délai légal et l'application d'intérêts de retard en cas de non-respect de l'objectif fixé dans l'accord ;

3° Et qu'il soit limité dans sa durée et ne puisse dépasser le 1er janvier 2012.

Ces accords sont reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis du Conseil de la concurrence.

IV. - Les I et II s'appliquent aux contrats conclus à compter du 1er janvier 2009.

V. - Dans le cas des commandes dites « ouvertes » où le donneur d'ordre ne prend aucun engagement ferme sur la quantité des produits ou sur l'échéancier des prestations ou des livraisons, les I et II s'appliquent aux appels de commande postérieurs au 1er janvier 2009.

VI. - Pour les livraisons de marchandises qui font l'objet d'une importation sur le territoire fiscal des départements et des collectivités d'outre-mer, le délai prévu au 1° du I est décompté à partir de la date de réception des marchandises.

M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme et des services, mes chers collègues, lors des débats sur la loi Chatel, et notamment sur son titre Ier, qui visait déjà à moderniser les relations avec la grande distribution, nous avions demandé que la question des délais de paiement soit traitée. La priorité ayant été alors donnée à d’autres dispositions plus favorables à la grande distribution, en particulier au détriment de l’interdiction de la revente à perte, le Gouvernement avait remis à plus tard ce débat pourtant déjà ancien.

En l’espèce, cependant, nous avons plus de chance qu’avec l’action de groupe puisque, une fois n’est pas coutume, le Gouvernement a honoré ses engagements : avec l’article 6 du présent projet de loi, la question des délais de paiement est au rendez-vous.

La longueur des délais de paiement constitue un problème crucial pour la survie même de notre réseau de petites entreprises, mais également une question complexe, tant les situations concrètes sont diverses.

Aujourd’hui, en France, les créances des PME sur leurs clients représentent 25 % de leurs bilans, contre seulement 8 % en Allemagne. C’est considérable : on estime en effet que les entreprises consentent à leurs clients quelque 600 milliards d’euros de crédit, soit quatre fois plus que le crédit bancaire !

La réduction des délais de paiement dégagerait donc des milliards d’euros de trésorerie, soit un fonds de roulement essentiel pour les investissements, car plus le solde commercial est élevé, moins les PME investissent. De fait, les PME françaises investissent beaucoup moins que les PME allemandes, par exemple. En outre, les retards de paiement se trouvent à l’origine de 21,6 % de leurs défaillances.

Parallèlement, les grosses entreprises clientes, en particulier les géants de la distribution, font indûment fructifier dans des placements financiers les sommes qu’ils devraient normalement verser à leurs fournisseurs. Au bout de la chaîne, les petits producteurs sont exsangues et n’ont d’autre solution que de mettre la clef sous la porte.

Et la situation se détériore d’année en année : dans son rapport annuel, l’Observatoire des délais de paiement constate que ces délais s’accroissent pour les très petites entreprises ainsi que les petites et les moyennes entreprises, qui ne peuvent plus négocier face aux distributeurs, du fait de relations commerciales de plus en plus déséquilibrées.

Le projet de loi traite la question des délais de paiement très loin de son article 21, afin – dixit le rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, M. Jean-Paul Charié – « de les exclure du champ de la négociabilité ».L’intention est louable. Toutefois, monsieur le secrétaire d'État, pensez-vous sérieusement que la règle posée à l’article 6 fasse le poids quand on sait que la libre négociabilité et la discrimination tarifaires renforceront encore le déséquilibre déjà patent entre les « petits » et les « gros » ?

La lecture de l’article 6 à la lumière de l’article 21 laisse songeur quant à la volonté réelle du Gouvernement, tout comme les exceptions qui sont posées à la règle dans le texte même de l’article, et sur lesquelles nous reviendrons.

De plus, en cas de non-respect des délais légaux, le professionnel devra saisir un tribunal, ce qui n’ira évidemment pas sans lui poser des problèmes en termes de perte de temps, mais aussi d’opportunité compte tenu des inévitables représailles auxquelles il sera confronté. Les fournisseurs devront choisir entre fermer parce qu’ils ne sont pas payés ou mettre la clef sous la porte parce qu’ils n’ont plus d’acheteurs !

Tout cela nous amène à constater que les rares bonnes idées de ce projet de loi sont perverties par la politique économique favorable aux grands groupes financiers et économiques qui est celle du Gouvernement.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste est évidemment favorable à la réduction des délais de paiement, sous réserve, bien sûr, de la progressivité de certaines dispositions.

Toutefois, je tenais à attirer l’attention sur deux effets pervers que pourraient avoir ces dispositions.

Le premier, auquel il faudra veiller très attentivement, concerne les enseignes de la grande distribution. En effet, le modèle économique qui les fait prospérer repose en bonne partie sur la durée particulièrement longue des délais dans lesquels ils règlent leurs fournisseurs, alors même qu’elles encaissent « en temps réel », ce décalage leur permettant de réaliser des placements financiers rémunérateurs.

Bien que je me réjouisse de la fin de cette asymétrie si préjudiciable aux TPE et PME de l’alimentaire, notamment, je redoute que les grandes enseignes, beaucoup moins respectueuses du pouvoir d’achat qu’elles ne le claironnent, ne répercutent cette perte financière sur leurs prix. C’est pourquoi je pense qu’il faudra être extrêmement vigilant sur ce point.

Le second effet pervers de ces dispositions concerne les filières des commerces spécialisés qui sont caractérisés par une faible rotation des stocks. Les relations commerciales dans le commerce de détail sont d’une tout autre nature que celles qui régissent les relations entre les grandes enseignes et les PME. Je pense notamment aux libraires, et je ne choisis pas cet exemple au hasard.

Cette profession s’est largement mobilisée quand, lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, un amendement est venu remettre en question l’équilibre économique du secteur. Aujourd’hui, elle reste inquiète.

L’exception culturelle française, à laquelle nous sommes tous attachés, n’a pas bonne presse en Europe. Pourtant, qu’il s’agisse de la loi Lang sur le prix unique du livre ou du financement du cinéma, ces dispositifs permettent à la France de connaître une activité et un dynamisme culturels soutenus.

La loi Lang a permis de maintenir en France un important réseau de librairies indépendantes ; il ne faut pas que la disposition relative aux délais de paiement soit contraire à ses objectifs.

Les librairies sont des entreprises de petite taille ; leurs capacités financières sont sans commune mesure avec celles de leurs principaux fournisseurs. Par ailleurs, leur stock est, pour une part importante, composé d’« offices », c’est-à-dire des nouveautés ou des livres relevant d’opérations commerciales décidées par le fournisseur et bénéficiant d’un délai de paiement de quatre-vingt-dix jours. Pour une autre part, ce stock est composé de titres qu’un libraire se doit d’avoir dans son magasin parce qu’il s’agit d’œuvres de la grande et belle littérature, mais qui ne « tournent » pas rapidement.

Dès lors, dans les librairies, la rotation et la marge moyennes sont faibles, la rentabilité est l’une des moins élevées de l’ensemble du commerce de détail et les besoins en fonds de roulement sont importants.

Le risque serait donc de voir les librairies contraintes de se transformer en magasins privilégiant les grosses ventes et ne proposant les titres « rares » que sur commande. C’est pourquoi il faudra sans doute réfléchir à des dispositions spécifiques en leur faveur.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il m’a semblé indispensable d’attirer l’attention de la représentation nationale sur ce secteur si important pour l’animation culturelle et commerciale des centres-villes, et qui est en outre un acteur essentiel de la diversité éditoriale française.

M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l'article.

M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, les délais de paiement excessivement longs constituent assurément l’une des singularités de l’économie française.

C’est sans doute, d'une part, le résultat d’un capitalisme sans capitaux, où l’on s’efforce de faire fonctionner les entreprises sans fonds propres, d'autre part, l’héritage d’un passé désormais lointain, mais qui continue de peser sur les comportements des entreprises, à savoir un blocage des prix qui a duré quarante ans. Il est clair que, pendant cette période, les négociations ne pouvant se faire sur les prix, elles portaient sur d’autres conditions commerciales, dont les délais de paiement ; les uns et les autres ont accepté qu’ils soient extrêmement longs afin de suppléer à la liberté de fixation des prix commerciaux.

Mes chers collègues, mon intervention a pour objet d’attirer votre attention sur la gravité de la décision que nous aurons à prendre ; mais je suis certain que vous en êtes déjà convaincus.

Notre objectif à long terme, mais aussi à plus brève échéance, est naturellement de réduire les délais de paiement. D'ailleurs, une directive européenne non contraignante nous y invite. Il serait singulier, au moment où la France prend la présidence de l’Union européenne, que le législateur se place hors du cadre européen préconisant des délais de trente jours !

Toutefois, les sommes en cause sont d’une telle ampleur – M. Odette Terrade a évoqué avec raison un montant de 600 milliards d'euros pour les crédits interentreprises – qu’elles ne peuvent être déplacées avec légèreté.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez attiré l’attention de nos collègues députés, dont certains souhaitaient passer à des délais de paiement de trente jours, sur l’impossibilité d’une telle mesure. Nous devons, en effet, trouver le juste chemin entre deux préoccupations.

D'une part, le législateur doit émettre un signal fort en faveur de l’assainissement du capitalisme et des relations interentreprises, afin que l’habitude soit prise de payer plus vite. Dans cette perspective, votre proposition, monsieur le secrétaire d'État, de faire passer les délais de paiement à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours calendaires est tout à fait acceptable.

D'autre part, il nous faut tenir compte des réalités : un certain nombre de comportements sont parfaitement justifiables, et je me garderai bien de porter sur eux des jugements ou de prononcer des condamnations. Du fait de la mondialisation de l’économie et de la singularité de certains métiers, nombre d’acteurs et de distributeurs se retrouvent dans une situation difficile. La rotation des stocks n’est pas la même d’une profession à une autre, et le législateur a, par exemple, pris des positions très précises pour les produits périssables.

En tant qu’ancien ministre de l’industrie et en qualité d’élu d’une région industrielle – je ne suis pas le seul ici ! –, je souhaite vivement que, dans les relations interindustrielles, nous parvenions à un accord équilibré tel qu’il nous permettrait de rapprocher les comportements français de ceux qui ont cours dans les autres pays européens.

Ce qui est proposé, c’est de réduire les délais, c’est de tenir compte des réalités, c’est de privilégier les PME. On ne peut contester aucun de ces objectifs. Encore faut-il savoir exactement de quoi il s’agit.

Nous souhaitons tous favoriser les PME, et M. le président de la commission spéciale a justement proposé un amendement visant à élargir la classification des entreprises. Comme vous, monsieur le secrétaire d’État, Gérard Larcher souhaite voir émerger en France des « grandes moyennes entreprises », telles celles qui font la force du système allemand, et qui nous manquent cruellement, qui emploient plus de 250 salariés et réalisent un chiffre d’affaires dépassant largement les 300 millions d’euros.

Certaines de nos grandes entreprises donneuses d’ordre se trouvent dans une situation de concurrence absolue : je pense à Renault et à PSA, qui sont des leaders européens et sont présents sur le marché mondial. Un déplacement de trésorerie leur poserait assurément des difficultés ; cela n’interdit pas d’envisager un raccourcissement des délais de paiement, mais cela implique de leur ménager du temps.

M. Gérard Longuet. Doit-on pour autant condamner les équipementiers de première ligne, qu’ils soient français ou non ? Car nous porterons le même regard attentif s’ils sont européens ou américains dès lors qu’ils travaillent en France. Quand l’équipementier américain Delphi est implanté à Sarreguemines, quand Bosch est à Rodez, ils sont tout aussi français que Valéo ou Faurecia.

C’est la raison pour laquelle nous devons fixer un objectif tout en sachant qu’il ne peut pas être atteint dans les trois mois. Mais si nous ouvrons une période trop longue, nous risquons de laisser entendre que l’objectif ne sera en réalité jamais atteint et qu’un autre rendez-vous parlementaire permettra de reporter l’échéance.

Si nous privilégions à juste titre les PME, il ne faut pas pour autant décourager ceux des dirigeants, souvent français, des groupes étrangers qui jouent avec conviction la carte de la localisation en France, et qui réussissent : je viens de citer une société américaine et une société allemande. En Lorraine, par exemple, à Batilly, Trémery et Ennery, la reconversion sidérurgique et minière s’est fortement appuyée sur l’industrie automobile, grâce à PSA et Renault, mais aussi grâce à des investisseurs allemands et américains qui ont joué la carte de la France.

Nous avons à leur donner un signal clair pour montrer que cette évolution ne se fera au détriment d’aucune catégorie d’entreprises. C’est un travail difficile, mais il revient à un Parlement éclairé de l’accomplir. Nous avons la chance de bénéficier des travaux de l’Assemblée nationale ; il y aura une commission mixte paritaire. Je souhaite que nous ne prenions aucune décision qui soit susceptible d’entraîner l’extinction d’une catégorie d’entreprises, sacrifiée au bénéfice d’une autre catégorie.

M. le président. La parole est à M. Louis Souvet, sur l'article.

M. Louis Souvet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet article 6 est important puisque pas moins de quatre orateurs, dont au moins trois de qualité – je m’exclus d’office de cette liste !  (Sourires.) –,…

M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. À tort !

M. Louis Souvet. … se sont inscrits pour s’exprimer à son sujet, et qu’il a suscité le dépôt de pas moins de vingt-six amendements !

Par cette intervention en faveur de l’article 6, et en particulier de l’amendement n° 112, que j’ai longuement étudié, je me fais le porte-parole non seulement des constructeurs automobiles français dans leur ensemble, mais également de nombreux acteurs d’autres branches de l’économie, tels les secteurs du bricolage, de l’ameublement, etc. La liste serait fastidieuse à énoncer et à écouter.

Je relaye donc les préoccupations des membres de la commission spéciale vis-à-vis du cas plus spécifique de la filière automobile. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. La commission fait état des conséquences d’une réduction non aménagée des délais de paiement : « Cette réduction provoquerait, sur seulement trois ans, une très forte sortie de "cash" évaluée entre 2 milliards et 3 milliards d’euros pour les deux groupes. »

M. Gérard Longuet. Pour être précis, 2,6 milliards d’euros !

M. Louis Souvet. Chacun sait dans cette assemblée que, si toutes les voitures vendues étaient payées cash, les constructeurs sortiraient des exercices financiers déficitaires.

Nul n’est besoin d’être grand clerc pour prédire en toute logique une dégradation de leur notation financière, puisqu’ils sont déjà en « BBB ». Ils pourraient passer en « valeur spéculative », avec un crédit plus cher et donc, tout aussi mécaniquement, une augmentation des coûts de refinancement.

Dans un contexte concurrentiel très marqué, les constructeurs français n’ont pas besoin d’un handicap supplémentaire, qui affecte les concessionnaires de ces mêmes marques automobiles via un raccourcissement des délais de paiement pour le règlement des véhicules.

Face à ces mutations économiques et à la nécessité d’évoluer, peut-on reprocher à ces constructeurs d’être restés les bras ballants ? Je n’en suis pas sûr du tout ! L’adoption d’un code des bonnes pratiques en juin 2006, d’une part, l’entrée en vigueur le 1er septembre 2007 de l’accord interprofessionnel sur les réductions des délais de paiement, d’autre part, attestent qu’ils ont agi.

Ce dernier accord emporte des conséquences pratiques non négligeables : la généralisation des lettres de change relevé, effets de commerce escomptables sous vingt jours ; la généralisation des délais de paiement à quatre-vingt-dix jours nets puis, en deux étapes, des réductions spécifiques jusqu’à soixante jours nets destinées aux PME réalisant moins de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Mes chers collègues, sachons faire preuve du même pragmatisme que nos homologues étrangers quand il s’agit de fixer les règles du jeu des échanges commerciaux et pensons aux centaines de milliers d’emplois directs ou induits que représente le secteur de l’automobile.

Gardons à l’esprit que la filière automobile est organisée autour d’un cycle long. C’est donc faire preuve de bon sens que de permettre un dépassement transitoire du délai légal – et je rejoins là les propos que vient de tenir Gérard Longuet –, sous la réserve logique que ce dépassement soit motivé par des raisons économiques objectives et spécifiques aux secteurs en cause, tels que les délais de paiement constatés en 2007 ou la situation de rotation des stocks, que le délai légal soit obligatoirement tenu vis-à-vis des entreprises les moins importantes – la barre des 300 millions d’euros de chiffre d’affaires a été évoquée –, et enfin qu’une date butoir soit établie pour la dérogation en cas de strict respect des délais vis-à-vis de ces mêmes PME. La date du 1er janvier 2015 a été évoquée, mais je serais personnellement favorable au 1er janvier 2012. Quoi qu’il en soit, je suivrai sur ce point la position de la commission spéciale.

Passer directement à un règlement à trente jours relèverait au mieux d’une méconnaissance des secteurs économiques en question et au pire d’un vœu pieu. Car c’est une chose d’édicter, tel Dioclétien, l’édit du Maximum, c’en est une autre de pouvoir le faire appliquer.

Je soutiendrai donc l’amendement présenté à l’article 6, un amendement raisonné tout autant que raisonnable, car calqué sur les impératifs industriels. Je n’ignore pas que des problèmes subsistent entre constructeurs et équipementiers dans toutes les filières, y compris la plasturgie. J’espère que, d’ici à 2012 – si nous voulons bien retenir cette date –, les parties auront trouvé un accord équilibré, tel celui que Gérard Longuet a appelé de ses vœux.

M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, sur l'article.

M. Daniel Raoul. L’article 6 prévoit une réduction des délais de paiement pour remédier à la singularité française dans ce domaine, celle de leur longueur.

Comme l’a récemment mis en évidence le dernier rapport de l’Observatoire des délais de paiement, la spécificité de la France dans ce domaine ne constitue pas un atout sur le plan économique, au contraire. M. Longuet a évoqué des raisons tenant à la structure du bilan de nos entreprises, mais il en est d’autres.

On peut notamment lire dans ce rapport que les délais de paiement en France « sont plus longs, en particulier si on les compare à ceux d’importants voisins et concurrents. Ceci en fait un problème endémique de l’économie française… Ils sont significativement supérieurs à ceux de l’Europe du nord. » En moyenne, ils atteignent chez nous soixante-sept jours, contre quarante-sept en Allemagne et cinquante-deux en Grande-Bretagne. Cette moyenne de soixante-sept jours cache en réalité de grandes disparités, les délais de paiement pouvant même atteindre cinq cents jours !

Cette question de la longueur des délais de paiement méritait donc que l’on s’en préoccupe dans une loi dite « de modernisation de l’économie ».

M. Saddier note encore dans son rapport : « La réduction des délais de paiement doit être significative pour obtenir de réels effets. »

Est-il tolérable que les grands fournisseurs soient payés à trente jours, alors que, dans le même temps, les grands clients payent à quatre-vingt-dix jours ?

Le problème de la longueur des délais de paiement se pose plus particulièrement dans le cadre des relations commerciales entre les donneurs d’ordre et la sous-traitance. On a déjà évoqué les relations entre les équipementiers et les constructeurs automobiles.

On sait combien cette relation peut, dans les faits, être le résultat d’un rapport de force inégal qui biaise la transaction, alors que Mme la ministre et vous-même, monsieur le secrétaire d’État, avez sans cesse parlé d’« équilibre ». Or la longueur des délais de paiement traduit précisément le déséquilibre du rapport des forces, qui biaise complètement les transactions.

Autrement dit, les délais de paiement sont abusifs et obligent l’entreprise, enfermée dans un rapport de dépendance à faire en fin de compte crédit à celui qui lui achète ses produits. Ce sont les fournisseurs qui assurent ainsi la trésorerie des grands groupes et de la grande distribution.

On comprend aisément que ce type de crédit interentreprises, gratuit, sans aucun intérêt, puisse aboutir à fragiliser la situation économique et financière du fournisseur.

M. Daniel Raoul. Le manque à gagner en termes d’investissements est en fait très important. Autant dire qu’il est pénalisant pour l’activité économique globale.

À qui, au juste, profite le crime ? À la grande distribution, aux grands groupes de l’automobile – n’en déplaise à mon collègue Louis Souvet qui est intervenu pour les défendre –, aux donneurs d’ordre de multiples secteurs qui placent sous leur coupe l’ensemble de leurs fournisseurs et sous-traitants.

Le montant total de ces crédits interentreprises est estimé à des centaines de milliards d’euros. C’est bien plus que ce qu’a évoqué notre collègue Gérard Longuet tout à l’heure : cela représente, selon le rapport de M. Saddier, « un mode de financement privé » qui est quatre fois égal à celui des institutions financières. Ce n’est pas une paille !

M. Roland Courteau. C’est incroyable !

M. Daniel Raoul. On comprend l’ampleur du problème. Il s’agit d’une espèce de « trappe à liquidités », d’une véritable stérilisation des liquidités, qui pourraient pourtant trouver à s’employer dans des investissements productifs.

Je comprends très bien les difficultés que cela pose au regard des fonds propres nécessaires à la survie des entreprises et je sais qu’elles n’y sont pas préparées.

On pouvait donc se féliciter de l’effort qui a été entrepris, dans le cadre de ce projet de loi, pour tenter de résoudre ce problème, qui constitue un handicap économique d’autant plus pénalisant que nos partenaires européens n’ont pas à le subir.

Dois-je ajouter que nos grands groupes, qui commercent librement avec nos voisins, respectent chez ces derniers les délais de paiement en vigueur ? Pourquoi ne le feraient-ils pas ici, en France ?