M. Robert Bret. À l’instar du statut de Rome, le projet de loi, à son article 7, classe les délits et les crimes de guerre en deux catégories distinctes : d’une part ceux qui sont propres aux conflits armés internationaux, d’autre part ceux qui sont propres aux conflits armés non internationaux.

Cependant, il n’indique pas quelles sont les situations susceptibles de répondre à cette dernière qualification. Il nous paraît donc utile d’intégrer, par l’introduction d’un nouvel article inséré avant l’article 461-30 du code pénal, une définition de ces conflits armés non internationaux, en conformité avec l’article 8 du statut de Rome.

Ajoutons que l’absence d’une telle définition pourrait donner lieu à des difficultés d’interprétation qui ne manqueraient pas d’être préjudiciables aux poursuites.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement vise à définir la notion de conflit armé non international. Il est cependant opportun de ménager dans le code pénal une certaine marge d’appréciation quant au caractère international ou non des conflits.

En effet, établir une délimitation très stricte des deux situations n’est pas toujours possible, dans la mesure où un conflit armé interne peut être internationalisé par l’intervention d’une force armée extérieure ou intérieure.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La France est tenue par la définition des conflits non internationaux donnée par le deuxième protocole additionnel aux conventions de Genève. En effet, selon l’article 55 de la Constitution, les engagements internationaux sont supérieurs à la loi française. Nous sommes donc tenus par cette définition.

Si le statut de Rome donne une définition des conflits armés internationaux, c’est pour délimiter la compétence de la Cour pénale internationale dans ce domaine. Toutefois, alors que nous sommes tenus par le contenu des conventions internationales, nous ne sommes pas obligés de reprendre dans notre droit interne ce qui est inscrit dans le statut de Rome.

Par conséquent, le Gouvernement est défavorable au présent amendement.

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l’amendement n° 51 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 51.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 6 est présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

L'amendement n° 21 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 52 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Dans le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 462-7 du code pénal, après les mots :

une telle infraction

insérer les mots :

ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 6.

M. Patrice Gélard, rapporteur. La rédaction proposée pour le nouvel article 462-7 du code pénal définit les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique, militaire ou civil, peut être engagée du fait de la commission d’un crime par un subordonné.

Cette rédaction s’inspire de l’article 28 de la convention de Rome, sous réserve d’une omission. En effet, contrairement à cette convention, le texte ne prévoit pas que la responsabilité du supérieur civil puisse être engagée s’il a « délibérément négligé de tenir compte d’informations » qui indiquaient clairement que ses subordonnés commettaient ou s’apprêtaient à commettre un crime de guerre.

Une telle omission paraît injustifiée. Le présent amendement a donc pour objet de rétablir cette hypothèse de mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique civil.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 21.

M. Robert Badinter. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 52.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les trois amendements identiques ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6, 21 et 52.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 22 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 53 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter le texte proposé par cet article pour l'article 462-8 du code pénal par un alinéa ainsi rédigé :

« Aux fins du présent article, l'ordre de commettre un génocide ou un crime contre l'humanité est manifestement illégal. »

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 22.

M. Robert Badinter. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 22 est retiré.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 53.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec les positions que nous avons adoptées précédemment. Je regrette de ne pas avoir été entendue à propos des crimes contre l’humanité, mais je persiste !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’avis de la commission est le même que sur l’amendement n° 42 : défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 53.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 23 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 54 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après les mots :

la personne,

rédiger ainsi la fin du texte proposé par cet article pour l'article 462-9 du code pénal :

qui a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou pour défendre des biens essentiels à sa survie, à celle d'autrui ou à l'accomplissement d'une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'infraction. Le fait qu'une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d'exonération de la responsabilité pénale au titre du présent article.

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 23.

M. Robert Badinter. L’article 462-9 du code pénal reprend la légitime défense comme cause d’exonération de la responsabilité, ce qui est prévu à l’alinéa 1-c de l’article 31 du statut de Rome, mais il omet certaines conditions très importantes. Ainsi, l’alinéa 1-c de l’article 31 subordonne l’exonération de responsabilité pénale à la condition que l’auteur ait agi « raisonnablement », condition que ne reprend pas le présent texte.

Une deuxième condition est omise par le projet de loi : selon le même article, l’acte doit avoir pour objet la défense « contre un recours imminent et illicite à la force ».

Enfin, l’alinéa 1-c de l’article 31 précise que « le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa ».

La définition donnée par l’article 31-1-c du statut de Rome est donc incomplètement transcrite dans l’article 462-9, ce qui peut risquer d’entraver la poursuite de certains crimes de guerre. Le présent amendement a donc pour objet de rapprocher la rédaction proposée des stipulations précises de la convention de Rome.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 54.

M. Robert Bret. La rédaction présentée pour le nouvel article 462-9 du code pénal vise à exonérer de sa responsabilité pénale l’auteur d’un crime ou d’un délit de guerre en cas de légitime défense. Cet article se rapporte à l’alinéa 1-c de l’article 31 du statut de Rome.

Toutefois, l’article du projet de loi ne transpose pas mot à mot les dispositions de l’alinéa 1-c de l’article 31, omettant des conditions essentielles à la réalisation de l’excuse de légitime défense.

Ainsi, tandis que l’article précité du statut de Rome subordonne l’exonération de la responsabilité pénale à la condition que l’auteur ait « agi raisonnablement », le projet de loi ne requiert pas cette condition. Celui-ci se réfère en effet au principe de proportionnalité en faisant le parallèle entre les moyens de défense employés et la gravité de l’infraction, mais il néglige de prendre en considération l’ampleur du danger encouru par la ou les personnes ou les biens protégés.

En outre, la condition que l’acte de défense réponde à « un recours imminent et illicite à la force » ne figure pas non plus dans la rédaction proposée pour l’article 462-9 du code pénal.

Enfin, tandis que l’article 31-1-c du statut de Rome précise que « le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa », le projet de loi reste silencieux sur ce point.

Nous sommes donc en définitive forcés de constater que la rédaction qui nous est soumise pour l’article 462-9 du code pénal n’est pas la transposition exacte de l’article 31-1-c de la convention de Rome ; elle est incomplète, et par conséquent susceptible d’élargir de manière excessive le champ des motifs d’exonération de la responsabilité pénale, entravant ainsi la poursuite de certains crimes de guerre.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après les mots :

la personne qui

rédiger ainsi la fin du texte proposé par cet article pour l’article 462-9 du code pénal :

a agi raisonnablement pour sauvegarder des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité du danger couru.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le nouvel article 462-9 du code pénal a pour objet d’exonérer de sa responsabilité pénale l’auteur d’un crime ou d’un délit de guerre lorsque trois conditions sont réunies.

La première tient à la nature de l’acte : il doit s’agir d’un acte de défense.

La deuxième tient à l’objectif visé par l’auteur ; l’acte de défense peut être justifié par trois mobiles distincts : la sauvegarde des biens essentiels à sa survie, la sauvegarde des biens essentiels à la survie d’autrui, la sauvegarde des biens essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire.

La troisième tient au principe de proportionnalité : il ne doit pas y avoir « disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’infraction ».

Si ces dispositions sont directement reprises de la convention de Rome, celle-ci mentionne aussi deux autres conditions pour exonérer l’auteur d’un crime ou d’un délit de guerre de sa responsabilité en cas de légitime défense, qui, en revanche, n’ont pas été transposées : le fait que l’auteur a agi « raisonnablement » ; le fait que l’acte de défense répond à un « recours imminent et illicite à la force ».

Par ailleurs, la convention de Rome établit le lien de proportionnalité non pas entre les moyens de défense employés et la gravité de l’infraction, mais entre les moyens de défense et l’« ampleur du danger » couru.

Aussi cet amendement vise-t-il à rapprocher la rédaction proposée des stipulations du statut, d’une part en encadrant davantage les conditions dans lesquelles l’auteur d’un crime de guerre peut s’exonérer de sa responsabilité en cas de légitime défense, d’autre part en posant l’exigence que les moyens de défense soient proportionnels à la gravité du risque couru.

M. le président. Le sous-amendement n° 37, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après le mot :

force,

Rédiger ainsi la fin du quatrième alinéa de l’amendement no 7 :

d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. La définition de l’état de nécessité proposée à l’amendement n° 7 de M. le rapporteur est en partie conforme à la rédaction du c du 1 de l’article 31 du statut de la Cour pénale internationale.

Toutefois, il introduit, dans un article régissant l’exonération de responsabilité, une dérogation au régime de cette dernière, à savoir « la disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité du danger encouru ».

Je trouve assez nuisible à la clarté du texte de glisser dans un article prévoyant un régime dérogatoire, celui de l’exonération de responsabilité, une sorte de dérogation à la dérogation. Cela reviendrait d’ailleurs à rétablir le principe de responsabilité.

Il me semble donc que, d’un point de vue rédactionnel, il convient de poser le principe de la proportionnalité comme élément constitutif de l’état de nécessité en récrivant la fin de la dernière phrase de l’article conformément au statut de la Cour pénale internationale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 23 et 54, ainsi que sur le sous-amendement n° 37 ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les amendements identiques nos 23 et 54 me paraissent très largement satisfaits par l’amendement n° 7 de la commission.

M. Robert Bret. Partiellement !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Quant au sous-amendement n° 37 de Mme Boumediene-Thiery, j’estime que la rédaction que propose la commission est nettement meilleure. Par conséquent, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’ensemble des amendements, ainsi que sur le sous-amendement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est tout à fait favorable à l’amendement n° 7.

J’étais dans un premier temps favorable aux amendements présentés par MM. Badinter et Bret, ainsi qu’au sous-amendement de Mme Boumediene-Thiery, mais la rédaction de l’amendement n° 7 me paraît nettement meilleure et de nature à satisfaire les amendements nos 23 et 54.

M. Robert Bret. Je ne suis pas doyen ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Badinter, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Il l’est, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Bret, l’amendement n° 54 est-il maintenu ?

M. Robert Bret. Oui, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 23 et 54.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peut-être ne savons-nous pas lire, mais il nous semble que notre amendement n° 23 apporte une précision supplémentaire par rapport à celui de la commission, à savoir que « le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent article ».

C’est là un point tout à fait essentiel, en tout cas important, et nous ne voyons pas pourquoi M. le rapporteur n’accepte pas cet ajout par rapport à son amendement n° 7, qui n’est donc pas complet.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 et 54.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous n’avons pas de réponse !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 37.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 25 rectifié, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après le texte proposé par cet article pour l’article 462-9 du code pénal, insérer un article ainsi rédigé :

« La qualité officielle de chef d’État, de Gouvernement, de membre d’un Gouvernement ou d’un Parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent titre, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. La question a déjà été évoquée et réglée, ce n’est pas la peine d’y revenir. Je retire cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 25 rectifié est retiré.

L’amendement n° 55, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après le texte proposé par cet article pour l’article 462-9 du code pénal, insérer un article ainsi rédigé :

« Art. … – La qualité officielle de chef de l’État ou de gouvernement, de membre du gouvernement ou du parlement, de représentant élu ou d’agent de l’État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent livre, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 55 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 38, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

I. – Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 462-10 du code pénal :

L’action publique à l’égard des crimes de guerre définis au présent livre, ainsi que les peines prononcées, sont imprescriptibles.

II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… Dans le premier alinéa de l’article 133-2 du code pénal, les mots : « de l’article 213-5 » sont remplacés par les mots : « des articles 213-5 et 462-10 ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à inscrire dans notre droit pénal le principe d’imprescriptibilité pour les crimes de guerre, principe dont l’application est jusqu’à présent réservée aux crimes contre l’humanité.

Dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a rappelé le point suivant : « Considérant qu’aux termes de l’article 29 du statut : “Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas” ; qu’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ; ».

C’est d’ailleurs sur cette base que les crimes contre l’humanité sont, conformément à l’article 213-5 du code pénal, imprescriptibles.

En vertu du statut de la Cour pénale internationale, tous les crimes prévus par ce dernier sont imprescriptibles, y compris les crimes de guerre. Or, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui fixe pour ces crimes un délai de prescription de trente ans. Même si celui-ci est supérieur au délai de prescription de droit commun pour les crimes, cela demeure contraire à l’esprit et à la lettre du statut de la Cour pénale internationale.

Certains pourront invoquer le paragraphe 34 de cette même décision, où le Conseil constitutionnel précise que « la France, en dehors de tout manque de volonté ou d’indisponibilité de l’État, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l’amnistie ou la prescription ; qu’il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ».

Je crois qu’il ne faut pas se méprendre sur ce paragraphe : il signifie simplement que la remise d’une personne dont les actes sont couverts, selon la loi, par la prescription porte atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté.

Ainsi, il est question non pas de modifier la Constitution, mais de changer la loi afin d’éviter un conflit de compétences.

L’amendement a donc pour objet de rendre les crimes de guerre imprescriptibles, conformément à l’article 29 du statut de la CPI. Il y va du respect de notre engagement à traduire de manière fidèle le droit issu de la mise en œuvre du statut de la Cour pénale internationale et du respect du principe « pacta sunt servanda », obligeant les États parties à respecter de bonne foi ce statut.

M. le président. L’amendement n° 56, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 462-10 du code pénal :

L’action publique à l’égard des crimes de guerre définis au présent livre ainsi que les peines prononcées sont imprescriptibles.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Par cet amendement, nous proposons de rendre imprescriptibles les crimes de guerre, de même que les peines prononcées.

Les rédacteurs du projet de loi n’ont pas voulu retenir cette imprescriptibilité, pourtant incluse dans l’article 29 du statut de Rome. La commission des lois n’a pas souhaité non plus la rétablir, mais a proposé de porter le délai de prescription à trente ans.

Aujourd’hui, seuls les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide ne font pas l’objet d’une prescription dans notre code pénal.

Sur le plan juridique, rien ne l’interdit concernant les crimes de guerre. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 22 janvier 1999 relative, précisément, au traité portant statut de la CPI, a considéré « qu’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ». Le code de justice militaire prévoit déjà l’imprescriptibilité de certains crimes de désertion.

Sur le plan des poursuites, l’absence d’imprescriptibilité pourrait conduire à ce que la CPI, en vertu du principe de complémentarité, soit saisie des crimes allégués à l’issue du délai de prescription.

En tout état de cause, en étant partie au statut de Rome, la France a accepté l’imprescriptibilité des crimes de guerre. Si nous comprenons bien que toute extension de l’imprescriptibilité puisse provoquer un débat, l’existence dans notre droit de délais de prescription est, pour autant, un principe auquel nous-mêmes sommes très attachés.

C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à la banalisation de la suppression de ces délais, même si les crimes visés par le statut de la CPI sont des crimes exorbitants du droit commun, des crimes d’une gravité exceptionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 38 et 56 ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Dans notre droit, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Cette dérogation au principe selon lequel, en droit français, les infractions peuvent se prescrire dans un délai déterminé est justifiée par le caractère d’exceptionnelle gravité de ces crimes, qui constituent la négation même de l’être humain.

La commission des lois et le Sénat se sont toujours refusés à prendre le risque d’une forme de banalisation des crimes contre l’humanité, qui sont les crimes les plus atroces qui puissent exister, en élargissant l’imprescriptibilité à d’autres infractions, graves certes, mais qui n’atteignent pas le caractère de gravité du crime contre l’humanité.

Par ailleurs, en portant les délais de prescription de l’action publique, pour les crimes de guerre, de dix à trente ans, le projet de loi étend déjà très au-delà des règles habituelles la possibilité de poursuivre ces crimes.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 38 et 56.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je suis tout à fait d’accord avec les arguments de M. le rapporteur.

L’article 29 du statut de Rome dispose que les crimes jugés par la CPI sont imprescriptibles. Cela ne remet pas en cause le droit français : comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, en raison de leur gravité et de leur atrocité. Il faut donc retenir un critère qui permette de les distinguer des autres.

Pour autant, rien n’empêche que la CPI poursuive les crimes de guerre, en considérant qu’ils sont imprescriptibles.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements, d’autant que, comme l’a rappelé M. le rapporteur, il est proposé d’allonger les délais de prescription, afin de les porter à trente ans pour les crimes de guerre et à vingt ans pour les délits de guerre. Le droit français couvre donc largement ces types de crimes et de délits, sachant, je le redis, que la CPI peut tout à fait poursuivre un crime de guerre qu’elle considère imprescriptible.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur l’amendement n° 38.

M. Robert Badinter. Je comprends le désir, légitime, des auteurs des deux amendements d’aligner le texte sur le statut de Rome, et nous-mêmes avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements à cet effet.

Cependant, je tiens à le dire hautement et clairement dans cet hémicycle : je considérerai toute ma vie le crime contre l’humanité comme étant, de tous les crimes, le pire, et comme appartenant à une espèce particulière, qui est simplement la négation de l’humanité chez les victimes.

Rappelons-nous ce que signifie le génocide. Au cours du procès Barbie, qui a permis l’audition de tant de victimes, mais aussi de personnalités qui avaient eu l’occasion de mesurer ce qu’était la réalité du génocide, André Frossard, grand écrivain catholique, a dit que ce qui caractérise le crime contre l’humanité, c’est qu’il est, pour la victime, le crime d’être né ; on doit mourir parce que l’on est né appartenant à telle ethnie, ou de parents pratiquant telle religion.

À ce titre, le crime contre l’humanité est en effet la négation de la personne humaine. Qu’il soit imprescriptible, c’est-à-dire qu’il puisse être poursuivi aussi longtemps que vit l’auteur du crime, est légitime. Aucun autre crime ne peut se rapprocher de celui-là par ce qu’il implique, je le répète, de négation de la personne humaine.

C’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, le droit français n’a considéré comme imprescriptible que le crime contre l’humanité.

Je rejoins ce qu’a dit Mme la garde des sceaux : pour autant, si la Cour pénale internationale le désire, elle pourra poursuivre après trente ans les auteurs de crimes de guerre ; mais elle seule le pourra alors.

Sur ce point, notre position doit demeurer constante : il y a le crime contre l’humanité, et il y a les autres crimes. Cela étant, on a bien fait d’allonger la prescription et je fais mienne, à cet égard, la position prise par la commission des lois ce matin.