Sommaire

Présidence de Mme Michèle André

1. Procès-verbal

2. Modification de l’ordre du jour

3. Communication relative à une commission mixte paritaire

4. Retrait de questions orales

5. Fonctionnement des Assemblées parlementaires. – Adoption d'une proposition de loi.

Discussion générale : MM. Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique ; René Garrec, rapporteur de la commission des lois ; Pierre-Yves Collombat, Mme Catherine Troendle, M. François Zocchetto.

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l'article unique

Amendement no 1 de la commission. – MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.

Article unique

Amendements nos 2 de la commission et 3 rectifié bis de M. Pierre-Yves Collombat. – MM. le rapporteur, Pierre-Yves Collombat, le secrétaire d'État, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Pierre Sueur, Thierry Repentin, François Zocchetto, Patrice Gélard, Charles Gautier, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Jean-Louis Carrère, François-Noël Buffet. – Retrait de l’amendement no 3 rectifié bis ; adoption de l'amendement no 2 rédigeant l'article.

Intitulé de la proposition de loi

Amendement no 4 de la commission. – MM. le rapporteur, le secrétaire d'État. – Adoption de l'amendement rédigeant l'intitulé.

Vote sur l'ensemble

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Adoption de la proposition de loi.

6. Adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale. – Adoption d'un projet de loi.

Discussion générale : Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice ; MM. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois ; Robert Badinter, Hugues Portelli, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Pierre Fauchon, Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme le garde des sceaux.

Clôture de la discussion générale.

Article additionnel avant l'article 1er ou avant l'article 2

Amendements nos 11 de M. Pierre Fauchon, 13 de M. Robert Badinter, 40 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 29 rectifié de Mme Alima Boumediene-Thiery. – MM. Pierre Fauchon, Robert Badinter, Robert Bret, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mmes le garde des sceaux, Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait de l’amendement no 11 ; rejet des amendements nos 13, 40 et 29 rectifié.

Article 1er

M. Robert Bret.

Adoption de l'article.

Article 2

Amendements nos 41 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, 34, 30, 36 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 12 de M. Pierre Fauchon et 14 de M. Robert Badinter. – Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, MM. Pierre Fauchon, Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait de l’amendement no 12 ; rejet des amendements nos 41, 34, 30 et 14 ; adoption de l’amendement no 36.

Adoption de l'article modifié.

Article additionnel avant l’article 3

Amendement n° 42 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait.

Article 3. – Adoption

Article additionnel après l’article 3 ou après l’article 7

Amendements nos 24 de M. Robert Badinter et 43 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Badinter, Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet des deux amendements.

Article 4. – Adoption

Article 5

Amendement n° 1 de la commission. – M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Article 6

Amendement n° 2 de la commission. – M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

Article 7

Amendements nos 28, 32 de Mme Alima Boumediene-Thiery, 44 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 15 de M. Robert Badinter. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Nicole Borvo Cohen-Seat, M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Mme le garde des sceaux. – Retrait de l’amendement no 15 ; rejet des amendements nos 28, 32 et 44.

Amendement n° 3 de la commission et sous-amendement no 60 de M. Hugues Portelli ; amendement n° 45 (identique à l’amendement no 3) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. le président de la commission, Robert Bret, Hugues Portelli, Mmes le garde des sceaux, Nicole Borvo Cohen-Seat. – Adoption du sous-amendement no 60 et des deux amendements identiques modifiés.

Amendements identiques nos 18 rectifié de M. Robert Badinter et 46 rectifié de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Robert Badinter, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption des deux amendements.

Amendement n° 17 de M. Robert Badinter. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait.

Amendements identiques nos 4 de la commission et 47 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. le rapporteur, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, le garde des sceaux. – Adoption des deux amendements.

Amendements identiques nos  19 de M. Robert Badinter et 48 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Badinter, Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait des deux amendements.

Amendements identiques nos 20 de M. Robert Badinter et 49 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendement n° 5 de la commission. – MM. Robert Badinter, Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait des amendements nos 20 et 49 ; adoption de l’amendement no 5.

Amendement n° 50 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Michel Dreyfus-Schmidt. – Rejet.

Amendement n° 51 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, le président. – Rejet.

Amendements identiques nos 6 de la commission, 21 de M. Robert Badinter et 52 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption des trois amendements.

Amendements identiques nos 22 de M. Robert Badinter et 53 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Robert Badinter, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Retrait de l’amendement no 22 ; rejet de l’amendement no 53.

Amendements identiques nos 23 de M. Robert Badinter et 54 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ; amendement n° 7 de la commission et sous-amendement no 37 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – MM. Robert Badinter, Robert Bret, le rapporteur, Mmes Alima Boumediene-Thiery, le garde des sceaux, M. Michel Dreyfus-Schmidt. – Rejet des amendements nos 23, 54 et du sous-amendement no 37 ; adoption de l’amendement no 7.

Amendements nos 25 rectifié de M. Robert Badinter et 55 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Retrait des deux amendements.

Amendements nos 38 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 56 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Robert Bret, le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert Badinter. – Retrait des deux amendements.

Amendements identiques nos 39 de Mme Alima Boumediene-Thiery et 57 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Nicole Borvo Cohen-Seat, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux, M. Robert Badinter. – Rejet des deux amendements.

Adoption de l'article modifié.

Articles additionnels après l'article 7

Amendements identiques nos 10 rectifié ter de M. Pierre Fauchon, 61 de la commission et sous-amendement no 62 de M. Robert Badinter ; amendements nos 26 de M. Robert Badinter, 58 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 59 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – MM. Pierre Fauchon, le rapporteur, Robert Badinter, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery, le garde des sceaux, MM. le président de la commission, Michel Dreyfus-Schmidt, Jean-Pierre Sueur, Pierre-Yves Collombat, Hugues Portelli. – Rejet, par scrutin public, du sous-amendement no 62 ; adoption des amendements nos 10 rectifié ter et 61 insérant un article additionnel, les autres amendements devenant sans objet.

Article 8

Amendement n° 35 de Mme Alima Boumediene-Thiery. – Mme Alima Boumediene-Thiery, M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Rejet.

Amendement n° 8 de la commission. – M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption.

Adoption de l'article modifié.

Article 9

Amendement n° 9 de la commission. – M. le rapporteur, Mme le garde des sceaux. – Adoption de l'amendement rédigeant l'article.

Vote sur l'ensemble

Mmes Brigitte Bout, Nicole Borvo Cohen-Seat, Catherine Morin-Desailly, M. Robert Badinter.

Adoption du projet de loi.

7. Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle

8. Dépôt de propositions de loi

9. Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

10. Dépôt de rapports

11. Dépôt d'un rapport d'information

12. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Michèle André

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures quinze.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Modification de l’ordre du jour

Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a retiré de l’ordre du jour prioritaire de la séance de demain, mercredi 11 juin, la déclaration du Gouvernement suivie d’un débat, sur le Conseil européen des 18 et 19 juin 2008 et sur la présidence française de l’Union européenne, pour la reporter au mardi 17 juin au matin, à la place des questions orales.

Acte est donné de cette communication et l’ordre du jour des mercredi 11 juin et mardi 17 juin est ainsi modifié.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le trafic de produits dopants est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

Retrait de questions orales

Mme la présidente. J’informe le Sénat qu’à la demande de leurs auteurs sont retirées du rôle les questions orales suivantes : no 264 de M. Georges Mouly et no 270 de Mme Nathalie Goulet.

Acte est donné de cette communication.

5

Fonctionnement des assemblées parlementaires

Adoption d'une proposition de loi

 
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
Article additionnel avant l'article unique

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, complétant l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (nos 260, 371).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Éric Besson, secrétaire d'État chargé de la prospective, de l'évaluation des politiques publiques et du développement de l'économie numérique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est à la demande de Roger Karoutchi, qui ne peut être parmi vous aujourd’hui, que je vous présente cette proposition de loi, initialement déposée par le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer.

Une telle initiative est rare pour le président d’une assemblée. Elle correspond à une nécessité : renforcer l’action des commissions d’enquête parlementaires en assurant une plus grande protection aux personnes amenées à témoigner devant ces commissions.

Pourquoi les témoins qui déposent devant ces commissions doivent-ils bénéficier d’une protection renforcée ?

L’initiative du président Accoyer est née d’un constat. Comme l’indique M. Garrec dans son rapport, on observe depuis quelque temps que les témoins de certaines commissions d’enquête subissent des pressions, se matérialisant par des poursuites en diffamation destinées à les déstabiliser et à peser sur leur témoignage.

Il est important, essentiel même, de protéger ces témoins contre de telles pressions. Pour autant, il ne peut être question de les faire bénéficier d’une immunité identique à celle des parlementaires. Il faut donc trouver un équilibre.

À quelques jours de l’examen par la Haute Assemblée du projet de loi constitutionnel de modernisation des institutions de la ve République, le Gouvernement considère qu’il n’est pas inutile de conforter, par cette mesure de portée, il est vrai, circonscrite, le rôle de ces commissions d’enquête, qui demeurent un instrument efficace du contrôle parlementaire.

Le poids et l’influence des commissions d’enquête n’ont d’ailleurs pas cessé de croître au cours des dernières années, grâce à l’élargissement de leurs moyens d’investigation et à la publicité de leur audition depuis 1991. Cette publicité a d’ailleurs été une évolution forte dans le fonctionnement des commissions d’enquête, dont les travaux étaient, jusque-là, marqués par le secret.

Cette transparence nouvelle n’a pas été sans conséquences sur le sort des témoins entendus dans le cadre de ces commissions. Ils sont tenus de venir témoigner et leur témoignage est, sauf exception décidée par la commission elle-même, public. Ces modalités de témoignage devant les commissions d’enquête parlementaires se rapprochent ainsi de plus en plus des pratiques judiciaires, où les témoins s’expriment, là aussi, par principe, de manière publique. On se souvient évidemment de la médiatisation des travaux de la commission consacrée aux suites de l’affaire dite « d’Outreau ».

Actuellement, en vertu de l’article 6 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux fonctionnements des assemblées parlementaires, toute personne convoquée par une commission d’enquête parlementaire est tenue de comparaître et de déposer sous serment. Son refus ou son faux témoignage peuvent faire l’objet de poursuites pénales.

En revanche, ces personnes ne bénéficient d’aucune protection légale pour les propos qu’elles tiennent devant la commission. En effet, les immunités politiques prévues par l’article 26 de la Constitution et par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, tout comme les immunités judiciaires, prévues par ce même article de la loi de 1881, ne s’appliquent pas dans cette hypothèse. Les témoins peuvent donc être poursuivis pour les propos qu’ils ont tenus lors de leur audition devant une commission, notamment pour diffamation, injure ou outrage.

La proposition du président de l’Assemblée nationale apporte une solution équilibrée à ce problème. Elle permet à la fois d’éviter que des pressions injustifiées soient subies par les témoins tout en veillant à ce que lesdits témoins ne bénéficient pas d’une immunité totale, qui pourrait, si nous n’y prenions garde, conduire à des abus inverses. Il ne faut pas, en effet, que les commissions d’enquête deviennent des lieux de règlements de compte et que des personnes soient mises en cause injustement par des témoins sans pouvoir faire respecter leurs droits.

Afin de parer à cet écueil, la proposition de loi institue une immunité partielle pour ces personnes, qui ne pourront plus être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage à raison des propos qu’elles auront tenus ou des écrits qu’elles auront produits devant une commission d’enquête.

Cette immunité sera encadrée.

D’une part, une personne qui présenterait devant la commission d’enquête un faux témoignage continuerait à encourir des poursuites devant les juridictions pénales.

D’autre part, il appartiendra au président de la commission d’enquête, qui est en charge de la police des travaux de la commission, de faire cesser tout débordement, voire d’organiser l’audition à huis clos si cela se révèle nécessaire.

Finalement, ce régime s’apparente à ce que la loi de 1881 prévoit pour les témoins appelés à s’exprimer devant la justice.

La commission des lois du Sénat a souhaité modifier le texte de la proposition de loi en mentionnant la règle explicitement dans la loi de 1881 plutôt que dans l’ordonnance de 1958 et en introduisant un simple renvoi à cette règle dans ladite ordonnance.

Ce choix a sa justification et sa logique, et le Gouvernement émettra un avis favorable sur les amendements de la commission.

La proposition prévoit aussi que ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, les comptes rendus fidèles des réunions publiques des commissions d’enquête faits de bonne foi. Votre commission a aligné cette rédaction sur celle du troisième alinéa de l’article 41 de la loi de 1881, relatif aux instances judiciaires. Le Gouvernement souscrira à cet amendement.

Au terme de cette intervention, je tiens à féliciter vivement M. René Garrec pour la grande qualité de son rapport et celle du travail qu’il a réalisé au nom de la commission des lois du Sénat, présidée par M. Jean-Jacques Hyest.

À un moment où nous entendons renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement, cette proposition de loi, qui protège mieux les témoins des commissions d’enquête, est évidemment opportune. C’est donc tout naturellement que je vous inviterai, au nom du Gouvernement, à l’adopter. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les actions en diffamation engagées contre des personnes entendues par la commission créée en 2006 pour enquêter sur l’influence des mouvements à caractère sectaire ont conduit l’Assemblée nationale à adopter, le 3 avril dernier, sur la proposition de son président, un texte instituant une immunité relative au profit des témoins des commissions d’enquête.

Avant d’aborder le contenu de cette proposition de loi, je voudrais d’abord rappeler que cet instrument majeur du contrôle parlementaire dispose aujourd’hui de pouvoirs d’investigation lui permettant de conduire sa mission, particulièrement des moyens de contrainte, d’essence judiciaire, pour le recueil des témoignages.

Les témoins sont soumis à des obligations impératives. La personne convoquée par une commission d’enquête doit, d’une part, déférer à cette demande et, d’autre part, déposer sous serment, sous peine d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 7 500 euros. S’ajoute à ces sanctions la faculté, pour le tribunal, de prononcer l’interdiction de tout ou partie de l’exercice des droits civiques.

Si la personne est convaincue de faux témoignage ou de subornation de témoins, elle s’expose, selon les cas, à des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

Le témoin se trouve donc très contraint, sous la réserve toutefois, dans certains cas, de l’opposition du secret professionnel, qui est prévu par la loi.

Ces dispositions ont été bouleversées par l’adoption, en 1991, du principe de la publicité des auditions. À partir de cette date, la règle du secret est devenue l’exception.

Les circonstances de l’audition déterminent aujourd’hui les conséquences judiciaires qui peuvent éventuellement en résulter pour le témoin, créant ainsi une situation inégalitaire.

La jurisprudence a, précisément, posé le statut des personnes convoquées par les commissions d’enquête en leur refusant expressément le bénéfice de l’immunité parlementaire, prévue par la Constitution pour garantir le libre exercice du mandat électif. Reprise par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, cette irresponsabilité traditionnelle protège de toutes poursuites « les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées » et le compte rendu des séances publiques des assemblées fait de bonne foi.

Cette protection ne bénéficie aux témoins que par ricochet, du fait de la règle du secret. Dans le cas particulier de la diffamation publique, le juge considère en effet que la publication des propos incriminés dans le rapport de la commission résulte d’une décision souveraine et ultérieure de l’assemblée concernée. En conséquence, la faute personnelle du témoin qui n’a pas maîtrisé ses propos est couverte par le huis clos dans lequel s’est déroulée son audition et l’action en diffamation publique est donc irrecevable.

Ainsi, la protection dont peuvent bénéficier les témoins des commissions d’enquête qui, rappelons-le, déposent sous serment, a été grandement entamée par l’établissement, en 1991, du principe de la publicité des auditions.

Il va de soi que, si l’information des parlementaires doit être la plus complète possible et qu’il importe donc, à cette fin, d’entourer les témoins de garanties propres à encourager une expression libre pour ne pas entraver les investigations des commissions d’enquête, cette protection ne saurait s’organiser au détriment des tiers.

L’Assemblée nationale a donc adopté un système qui s’attache à concilier les différents intérêts en cause : d’une part, les garanties dues aux personnes déposant sous la contrainte et, d’autre part, la préservation des droits des tiers qui s’estimeraient lésés par les propos tenus.

Le dispositif retenu par les députés s’inspire de l’immunité prévue par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit toute action en diffamation, injure ou outrage pour « les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». La même exemption s’étend aux comptes rendus fidèles – c’est le qualificatif que l’on trouve dans la jurisprudence, non dans la loi – faits de bonne foi des débats. En revanche, elle ne s’applique pas aux faits diffamatoires étrangers à la cause.

Le texte aujourd’hui soumis au Sénat crée donc, pour les personnes convoquées par les commissions d’enquête parlementaires, une immunité couvrant l’ensemble des éléments, oraux ou écrits, portés à la connaissance des commissions dans la mesure où ils correspondent à l’objet de l’enquête. La protection est étendue aux comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions, qui apparaît comme le corollaire de la publicité voulue par le législateur de 1991.

Le champ d’intervention de cette protection est strictement circonscrit à trois types d’infraction : la diffamation, l’outrage et l’injure.

La commission des lois comprend les préoccupations exprimées par l’Assemblée nationale concernant les conséquences de l’ouverture des auditions sur la responsabilité des témoins. Cette inquiétude avait d’ailleurs déjà traversé l’esprit du législateur de 1991.

Remarquons cependant que, après plus de quinze années d’application des nouvelles règles régissant ces auditions, les risques encourus par les personnes entendues doivent être relativisés si l’on considère le nombre de poursuites engagées contre elles au regard des centaines de témoins convoqués par les commissions d’enquête de chacune des assemblées.

La commission des lois souhaite également souligner que les personnes convoquées ne sont pas démunies de toute protection : les commissions peuvent toujours décider le huis clos. Il est donc loisible au témoin d’en demander le bénéfice. C’est ce qui s’est passé lors des auditions de la commission d’enquête sur la conduite de la politique de l’État en Corse, sujet sensible justifiant l’application du secret. C’était, à nos yeux, une condition de l’efficacité des travaux de la commission d’enquête en question

Plusieurs arguments, cependant, conduisent la commission des lois à proposer de retenir le principe d’une immunité spécifique aux commissions d’enquête.

Premièrement, le même régime doit s’appliquer quelles que soient les conditions du témoignage : la publicité ou le huis clos.

Deuxièmement, la garantie ainsi offerte aux témoins doit être de nature à sauvegarder la sincérité des témoignages, et, partant, à renforcer les pouvoirs d’investigation des commissions.

Troisièmement, les tiers ne sont pas non plus dépouillés de toute protection puisque, d’une part, l’immunité ne couvre pas les propos et écrits étrangers à l’objet de l’enquête et que, d’autre part, elle n’affaiblit pas les infractions de faux témoignage ou de subornation de témoins, qui continueraient à être pénalement sanctionnés.

La commission s’est attachée à limiter strictement le dispositif et présentera, à cette fin, deux amendements.

Avant de conclure, je tiens à souligner la responsabilité supplémentaire que cette nouvelle immunité va imposer aux présidents des futures commissions d’enquête pour assurer la modération et la sérénité des auditions, qualités indispensables pour que soient respectés les divers intérêts en présence. Ce ne sera pas simple et je souhaite d’avance bien du plaisir à ceux d’entre nous qui auront à remplir cette mission ! (Sourires.)

Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve des amendements qu’elle vous soumet, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter la proposition de loi transmise par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question que nous examinons ayant été largement et brillamment exposée par ceux qui m’ont précédé à cette tribune, je m’efforcerai d’aller à l’essentiel.

Deux évolutions de sens opposés expliquent le dépôt de cette proposition de loi : d’une part, le rôle de plus en plus important des commissions d’enquête parlementaires dans le débat démocratique et, d’autre part, la fragilisation de leurs acteurs essentiels, les témoins appelés à être entendus, voire les parlementaires eux-mêmes ; j’y reviendrai.

S’agissant du premier point, tout le monde s’accorde à dire que les commissions d’enquête sont l’un des instruments essentiels du contrôle parlementaire, même si la France est l’un des pays européens où la possibilité d’en créer reste le plus limitée.

Au Portugal, par exemple, 10 % des parlementaires peuvent demander l’ouverture d’une commission d’enquête. Son président appartient au groupe qui est à l’origine de la proposition. Autant dire que l’opposition y dispose d’un véritable droit.

La neutralisation du Parlement par l’ouverture ou l’existence d’une instruction judiciaire est inconnue des Belges et des Luxembourgeois.

D’une manière générale, dans les États membres de l’Union européenne, les commissions parlementaires ont des pouvoirs quasi judiciaires ; les affaires gênantes ne peuvent donc y être occultées par l’ouverture d’une instruction.

Dans certains cas, les conclusions des commissions sont discutées en séance publique.

On déplorera donc que la proposition de supprimer cet obstacle au contrôle parlementaire ne figure pas dans le projet de révision constitutionnelle issu des travaux du comité Balladur et pourtant censé renforcer les pouvoirs du Parlement. Cette question essentielle des commissions d’enquête est d’ailleurs pratiquement éliminée du débat.

En dépit de ces obstacles, les commissions d’enquête parlementaires, et pas seulement les plus emblématiques comme celle d’Outreau, abondamment évoquée, ont progressivement prouvé qu’elles étaient des instruments majeurs du contrôle parlementaire.

Norme ordinaire depuis 1991, la publicité des auditions, puis leur médiatisation, parfois en direct, en ont fait une pièce essentielle du débat démocratique tout court.

Or, dans le même temps et paradoxalement, les témoins, par ailleurs obligés de comparaître et de prêter serment, voient leur position fragilisée par la jurisprudence de la Cour de cassation, depuis son arrêt du 23 novembre 2004 refusant d’étendre aux témoins des commissions d’enquête parlementaires la protection accordée à ceux des tribunaux, mais aussi par l’apparition de véritables professionnels du harcèlement judiciaire, habiles à utiliser toutes les faiblesses de l’état de droit. Comme l’a rapporté Alain Gest lors du débat à l’Assemblée nationale, sept des témoins entendus par la commission d’enquête consacrée aux mineurs victimes des sectes, créée en 2006, ont fait l’objet de plaintes déposées contre eux par des organismes coutumiers de ce mode d’intimidation.

On mesure l’obstacle ainsi mis à la manifestation de la vérité. Même les parlementaires, en principe parfaitement protégés par la loi, se retrouvent devant la justice ; non, bien sûr, pour les propos qu’ils ont tenus en commission, mais parce qu’ils les ont repris devant des journalistes !

Cette proposition de loi est donc opportune et justifiée. Légitimité pour légitimité, celle du Parlement vaut bien celle des tribunaux et, en conséquence, les témoins entendus par ses commissions d’enquête ont droit à une protection au moins équivalente.

Certes, les droits des tiers éventuellement mis en cause doivent être garantis, mais rien ne permet de penser que le dispositif existant ne le permet pas : les auditions peuvent se dérouler à huis clos en cas de nécessité, cela a été dit tout à l’heure ; les poursuites pour faux témoignage et subornation de témoins sont possibles ; la protection est accordée uniquement pour les propos en rapport direct avec l’affaire ; enfin, une obligation de bonne foi est imposée aux comptes rendus, ce qui représente une contrainte sérieuse.

Le groupe socialiste votera donc ce texte. Toutefois, comme vous l’avez constaté, j’ai déposé un amendement qui, s’il était adopté, permettrait d’améliorer encore le travail parlementaire. L’ordonnance de 1958 prévoit, vous le savez, que « toute personne dont une commission d’enquête a jugé l’audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée [...] ». Elle est « tenue de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 et 226-14 du code pénal ». Voilà qui est clair et ne pose pas de problème, sauf quand l’entourage du Président de la République est concerné.

À ma connaissance, il est arrivé au moins trois fois que les dispositions de l’ordonnance de 1958, claires en principes, n’aient pas été appliquées, sans aucune conséquence pour leurs auteurs : une convocation a ainsi été adressée, sans succès, au porte-parole du Président Giscard d’Estaing en 1979, à Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président Mitterrand en 1992 dans l’affaire de l’hospitalisation en France du leader palestinien Georges Habache, et enfin, tout récemment, à Mme Sarkozy Cécilia dans l’affaire des infirmières bulgares libérées dans des conditions mal élucidées par la Libye.

On fait valoir – cela reste à vérifier – que, au moins dans les deux derniers cas, la commission d’enquête parlementaire aurait finalement renoncé à son projet, réglant ainsi élégamment la question. Même si tel est formellement le cas, qui pourrait y voir sérieusement le produit d’une soudaine illumination des parlementaires et non celui des pressions exercées sur eux, au nom, bien sûr, de la sacro-sainte séparation des pouvoirs, qui, étrangement, autorise l’audition des membres du Gouvernement, voire, depuis l’année dernière, celle du secrétaire général de la présidence, lesquels ont un statut juridique officiel, mais pas l’audition des « envoyés personnels du Président », qui n’en ont aucun.

Plus d’ailleurs que les faits eux-mêmes, symboliquement forts mais finalement peu nombreux, c’est la doctrine développée par l’exécutif autour de ces affaires qui pose problème et motive mon amendement.

En 2007, David Martinon, encore porte-parole de l’Élysée, expliquait qu’il serait « inconstitutionnel » et que constituerait une « entorse au principe de séparation des pouvoirs » le fait que Nicolas Sarkozy « puisse répondre à une commission d’enquête parlementaire […] », ce que, d’ailleurs, personne n’a demandé. « Par extension, ajoutait-il, Mme Sarkozy, puisqu’elle était son envoyée personnelle, tombe sous la même règle. »

Si, vous le savez, Shiva a de multiples bras, le Président de la République française a, lui, des « extensions », dont on aimerait connaître le statut juridique. (Sourires.)

M. Jean-Pierre Sueur. C’est un vocabulaire un peu abstrait !

M. Pierre-Yves Collombat. Dans un entretien accordé à l’Est républicain du 4 septembre 2007, Mme Sarkozy Cécilia précise qu’elle était en Libye « en tant que femme, en tant que mère, sans forcément [s’] attarder sur la complexité des relations internationales, mais avec la ferme intention de sauver des vies… » Elle ajoutait : « On ne m’empêchera jamais d’essayer d’aider ou de soulager la misère du monde, dans quelque pays que ce soit. » (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Si elle s’est refusée à témoigner devant la commission parlementaire, c’est, précisait-elle, parce qu’elle croyait « que ce n’ [était] pas [sa] place ».

Le secrétaire général de l’Élysée peut donc être auditionné par une commission d’enquête parlementaire, pas une femme et une mère si elle agit avec la ferme intention de sauver des vies. Essuyons une larme, et comprenne qui pourra !

M. Jean-Pierre Sueur. Je préfère la mère à l’« extension » !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est donc sur cette interrogation que je conclurai, non sans vous avoir remerciés de m’avoir écouté. On verra dans un instant si vous avez poussé la bonté jusqu’à m’entendre ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Troendle.

Mme Catherine Troendle. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui l’examen d’une proposition de loi d’une importance particulière au regard du bon fonctionnement des commissions d’enquête, mais également de la protection des personnes dont le témoignage est requis pour participer à la manifestation de la vérité.

Les commissions d’enquête sont aujourd’hui l’un des vecteurs privilégiés de la fonction de contrôle, comme l’a récemment démontré l’affaire d’Outreau. Elles ont produit ces dernières années des travaux significatifs sur de grands sujets de société. Leur rôle s’est renforcé grâce à l’élargissement de leur champ d’intervention et de leurs moyens d’investigation.

Une évolution juridique sensible a été par ailleurs enregistrée avec la loi du 20 juillet 1991, qui a fait de la publicité de leurs travaux la règle de principe et du huis clos, l’exception.

Les pouvoirs dévolus aux commissions d’enquête, amplifiés par l’ouverture de leurs auditions, ont considérablement modifié la situation des personnes entendues. Ces dernières se trouvent aujourd’hui fortement exposées et dans une situation juridique particulièrement fragile.

En effet, toute personne convoquée par une commission d’enquête parlementaire est tenue de comparaître et de déposer sous serment, son refus ou son faux témoignage pouvant entraîner des poursuites pénales. En revanche, elle ne bénéficie d’aucune protection légale pour les propos qu’elle tient devant la commission.

Par ailleurs, un arrêt de la Cour de cassation de 2004 a soumis sans ambiguïté toute personne appelée à témoigner devant une commission d’enquête au droit commun de la diffamation, écartant ainsi toute assimilation de son témoignage avec celui qui est effectué devant un tribunal.

Il en résulte que, à l’occasion d’affaires récentes, certains témoins ont été poursuivis en diffamation et d’autres ont fait l’objet de pressions dans l’unique but de les dissuader d’apporter leur témoignage.

Cette situation n’est tout simplement pas admissible et ne saurait perdurer : les personnes entendues sous serment doivent pouvoir s’exprimer sans crainte.

Cette situation est également préjudiciable au bon fonctionnement des commissions d’enquête, pour lesquelles les témoignages sont une source d’information essentielle. En effet, si la liberté de parole n’est plus assurée, la qualité du travail d’enquête, qui repose sur la sincérité et l’exhaustivité des témoignages, perd alors de sa portée et de sa valeur.

Le constat est simple : nous devons protéger les témoins entendus par les commissions d’enquête et les prémunir contre un recours abusif à des actions en justice au titre de la diffamation, de l’injure ou de l’outrage. C’est une exigence morale à leur égard ; c’est aussi une nécessité pour assurer l’efficacité des travaux des commissions d’enquête.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est particulièrement opportune. Et je tiens à saluer, au nom du groupe UMP du Sénat, l’initiative prise par le président de l’Assemblée nationale, M. Bernard Accoyer, qui nous offre aujourd’hui l’occasion d’améliorer le statut des témoins auditionnés devant les commissions d’enquête.

Cette proposition de loi accorde en effet une immunité partielle, similaire à celle qui est octroyée aux témoins judiciaires par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Ainsi, les personnes déposant devant une commission d’enquête ne pourront plus être poursuivies pour diffamation, injure ou outrage pour les propos qu’elles auront tenus ou les écrits qu’elles auront produits. La même immunité s’applique pour les comptes rendus faits de bonne foi, qu’il s’agisse des comptes rendus publiés en annexe des rapports, des diffusions télévisées ou de la reprise de certains propos dans différents médias.

Toutefois, l’immunité ne saurait en aucun cas être absolue, car tout ne peut pas être dit devant une commission d’enquête : les propos mensongers doivent demeurer susceptibles d’être sanctionnés par la loi. Il convient de préserver les droits des tiers qui s’estimeraient lésés par les propos tenus. C’est ce à quoi répond le texte de la proposition de loi, comme vient de l’indiquer M. le rapporteur.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera ce texte parfaitement équilibré, qui concilie efficacité et publicité des débats, et qui sécurise les témoins tout en posant des garde-fous pour préserver les droits des tiers. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner vise à combler ce qui, du fait de la pratique judiciaire, est devenu un vide juridique.

Issu de l’Assemblée nationale, ce texte répond, comme cela a déjà été souligné à plusieurs reprises à cette tribune, à une offensive judiciaire menée par les mouvements sectaires : ceux-ci ont en effet entamé un bras de fer judiciaire en déposant un grand nombre de plaintes en diffamation contre les personnes qui étaient venues témoigner.

Dans la mesure où ces personnes sont contraintes de prêter serment et où, en même temps, elles ne peuvent bien évidemment bénéficier ni de l’immunité parlementaire ni de celle qui protège les parties à un procès, elles se trouvaient placées dans une situation d’insécurité juridique très délicate pour elles-mêmes et préjudiciable à la bonne marche des commissions d’enquête.

Il faut donc saluer l’initiative parlementaire, relayée par notre rapporteur, M. René Garrec, qui permet de pallier cette absence de protection des témoins.

Comme vient de le rappeler Mme Troendle, il faut souligner que l’immunité dont bénéficient les témoins grâce ce nouveau texte n’est qu’une immunité relative. En effet, les témoins sont protégés pour des infractions bien définies : la diffamation, l’injure et l’outrage. L’immunité ne jouera pas si les propos tenus ne correspondent pas à l’objet de l’enquête. De même, les faux témoignages ou la subornation de témoins resteront pénalement répressibles. C’était une préoccupation de la commission, qui en a longuement discuté.

Ainsi, nous faisons le choix d’une protection juridique encadrée, ce qui constitue un aspect important de la proposition de loi.

Le texte est novateur et apporte une protection utile et nécessaire pour la liberté des témoignages. Je pense qu’il aurait été difficile d’aller plus loin et d’accepter une immunité absolue : nous aurions alors créé un déséquilibre entre les droits des témoins et les droits des tiers, ce qui n’aurait pas été satisfaisant.

Le double objectif du texte est ainsi respecté : à la fois protéger les témoins qui déposent sous serment et concilier les droits des tiers, ainsi que ceux des commissions à recueillir les éléments nécessaires à leur mission.

Il est évidemment très important, cela a déjà été indiqué, que les personnes entendues sous serment par les commissions parlementaires puissent s’exprimer sans crainte, a fortiori lorsqu’il s’agit de commissions d’enquête dont la mission touche à des sujets sensibles liés aux libertés individuelles. La question des sectes est un exemple parfait, sachant que leurs membres peuvent être sous une emprise morale et psychologique extrêmement forte.

Il faut évidemment permettre à ces personnes de témoigner librement, pour leur droit, mais aussi pour la bonne conduite des commissions d’enquête.

Cette liberté de témoignage permet en effet aux commissions d’enquête d’accomplir pleinement leur mission, car nous savons bien que leur objectif est de faire la lumière sur un sujet précis. En leur offrant les meilleures conditions de fonctionnement, on leur donne les moyens de remplir au mieux leur tâche. Or ce pouvoir d’enquête est très important à nos yeux : il fait partie des prérogatives parlementaires qu’il faut encourager et qui participent de la revalorisation du Parlement.

Vous l’aurez compris, l’ensemble du groupe Union centriste-UDF soutiendra donc cette proposition de loi.

Je voudrais ajouter que, à titre personnel, je partage le souci du président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, qui a souligné que, dans ce cadre, les présidents des commissions d’enquête devraient veiller à « assurer la modération et la sérénité des auditions, propres à respecter les divers intérêts en présence ». Avec ce texte, on voit bien le rôle déterminant du président de la commission d’enquête dans la conduite des débats. Il y va de l’équilibre et du respect des droits de chacun.

Enfin, je me permets de signaler à notre collègue M. Collombat que son amendement ne me paraît pas nécessaire.

M. François Zocchetto. Il part sans doute d’une bonne intention : faire en sorte que les personnes qui sont convoquées devant des commissions d’enquête se déplacent et témoignent. Cependant, le texte actuel permet d’atteindre ce but.

M. Jean-Louis Carrère. On en a eu la preuve !

M. François Zocchetto. C’est le président de la commission d’enquête qui dispose de tous les moyens, y compris par le recours à la force publique.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Exactement !

M. François Zocchetto. Il a donc, s’il le souhaite, les moyens de faire comparaître une personne.

En pratique, lorsqu’on observe ce qui s’est passé dans les cas que vous avez évoqués, mon cher collègue, il semble que ce soit la commission d’enquête elle-même qui ait pris la décision de ne pas utiliser la contrainte.

M. François Zocchetto. Le président de la commission d’enquête n’a donc pas eu à requérir le concours de la force publique ou l’intervention d’un huissier.

Convenez que c’est exactement la même procédure que celle qui existe devant les tribunaux, et que personne ne conteste à ce jour ! (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion de l’article unique.

Discussion générale
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
Article unique

Article additionnel avant l'article unique

Mme la présidente. L'amendement no 1, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Avant l'article unique, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Après le deuxième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage ni les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d'enquête créée, en leur sein, par l'Assemblée nationale ou le Sénat, par la personne tenue d'y déposer, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu fidèle des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Garrec, rapporteur. Cet amendement a en réalité deux objets.

Il répond, en premier lieu, à un souci de lisibilité de la loi puisqu’il introduit l'immunité proposée par l'Assemblée nationale dans l'article 41 de la loi de 1881 sur la presse, article qui regroupe déjà toutes les dispositions relatives, d'une part, à l'immunité parlementaire et, d'autre part, à l'immunité dont bénéficient notamment les témoins devant les tribunaux.

Il vise, en second lieu, à renforcer l’encadrement du champ de la protection nouvelle en la restreignant expressément aux seules réunions des commissions d'enquête et en exigeant du compte rendu des réunions publiques non seulement la bonne foi, comme l'ont prévu les députés, mais encore la fidélité, selon le terme juridique retenu par la Cour de cassation en la matière.

Je rappelle que les commissions d’enquête parlementaires sont apparues sous la Restauration, sous Charles X exactement, et que, jusqu’en 1914, elles ne reposaient sur aucune base juridique.

En 1914, les difficultés auxquelles se heurtait une commission parlementaire enquêtant sur un scandale financier ont conduit à l’adoption d’un texte – qui ne faisait nullement référence à la loi de 1881 – instaurant la protection des témoins : le but était que ceux-ci puissent en toute sérénité s’exprimer devant les commissions parlementaires, elles-mêmes tenues au secret ; en contrepartie, des sanctions étaient prévues. L’homme visé s’appelait M. Rochette, un escroc notoire qui est passé à la postérité pour avoir rendu nécessaire le vote d’une loi.

C’est sur cette base que les commissions d’enquête parlementaires ont vécu jusqu’à la IVe République, disposant du pouvoir de convoquer des témoins dont la protection était par ailleurs assurée. Ensuite, les ordonnances de 1958 ont supprimé les obligations judiciaires, ce qui à conduit – système fabuleux ! – à ce que, sous la Ve République, une commission parlementaire pouvait convoquer les témoins, mais sans que leur protection soit prévue.

Cela a duré jusqu’à ce que deux sénateurs bien connus, menant une enquête sur l’ORTF, ont vu les dirigeants de cet organisme refuser de déférer aux convocations. Ils ont alors déposé une proposition de loi grâce à laquelle a été réintégrée dans la législation la possibilité pour une commission parlementaire de convoquer des témoins, ceux-ci s’exposant des sanctions s’ils ne déféraient pas à ladite convocation.

Aujourd’hui, l’amendement no 1 vise, tout en conservant le dispositif proposé par l’Assemblée nationale, à le limiter très clairement aux seules auditions des commissions d’enquête et à exiger des comptes rendus des réunions publiques, comme je l’ai déjà indiqué, non seulement la bonne foi, mais la fidélité, afin d’éviter toute dénaturation ou falsification des faits qui pourrait être l’œuvre d’un parlementaire, d’un témoin ou d’un journaliste.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Besson, secrétaire d'État. L’insertion de cette protection supplémentaire accordée aux personnes auditionnées dans le cadre des commissions d’enquête dans la loi relative à la liberté de la presse plutôt que son maintien dans l’ordonnance du 17 novembre 1958 ne nous semble pas poser de difficulté particulière.

En ce qui concerne les modifications apportées à la proposition de loi telle qu’amendée par l’Assemblée nationale, elles sont avant tout de précision.

Nous ne voyons donc pas d’objection à cet amendement présenté par M. le rapporteur. Par conséquent, nous émettons un avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement no 1.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, avant l'article unique.

Article additionnel avant l'article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
Intitulé de la proposition de loi

Article unique

I. – Après le troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, pour injure ou outrage, ni les propos tenus ou les écrits produits par la personne tenue de déposer devant une commission d'enquête, sauf s'ils sont étrangers à l'objet de l'enquête, ni le compte rendu des réunions publiques de cette commission fait de bonne foi. »

II. – Dans le dernier alinéa de l'article L. 613-20 du code monétaire et financier, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « cinquième ».

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement no 2, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

Le troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les dispositions du troisième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse lui sont applicables. ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Garrec, rapporteur. Il s’agit de prévoir dans le texte de l’article 6 de l'ordonnance de 1958, qui fixe le régime des commissions d’enquête, un renvoi aux dispositions de la loi de 1881 créant l’immunité accordée aux personnes entendues, de façon, comme je m’en suis déjà longuement expliqué, que toutes les immunités soient régies par un texte unique.

Mme la présidente. L'amendement no 3 rectifié bis, présenté par MM. Collombat, Repentin, Frimat et C. Gautier, est ainsi libellé :

Avant le I de cet article, insérer un paragraphe ainsi rédigé :

… – Dans la première phrase du troisième alinéa du II de l'article 6 de l'ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, après les mots : « Toute personne », sont insérés les mots : « à l'exception du seul Président de la République ».

La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Je ne serai pas très long, dans la mesure où je me suis déjà exprimé sur ce sujet au cours de la discussion générale.

Cet amendement a pour objet de modifier légèrement le texte de l’ordonnance de 1958 afin de régler le problème que posent les « extensions » du Président de la République, à savoir ses collaborateurs.

En effet, la multiplicité des interprétations des dispositions de l’ordonnance a des résultats tout à fait étonnants puisque sont, en fin de compte, soustraits à l’obligation de déférer à la convocation d’une commission d’enquête les collaborateurs sans statut, alors que ceux qui en ont un, tel le secrétaire général de l’Élysée, se sont résolus à se rendre devant une commission d’enquête…

Si l’on peut, à la rigueur, admettre que le Président de la République lui-même fasse exception à la règle, rien ne justifie qu’il en aille de même pour ses collaborateurs : séparation des pouvoirs ne signifie pas absence de contrôle réciproque des pouvoirs, ce qui définit assez bien la démocratie elle-même.

On m’objecte que le texte de l’ordonnance est parfaitement clair ; apparemment, son application l’est un peu moins, et je dois reconnaître que j’ai beaucoup apprécié, à l’instant, l’explication de notre collègue François Zocchetto ! Nous préférons en rire, car il y a tout de même un petit problème !

Sans doute la précision que nous proposons en gêne-t-elle certains, mais, précisément, ce serait l’occasion de clarifier les choses : hormis le Président de la République, tout le monde est tenu de déférer aux convocations d’une commission d’enquête parlementaire.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 3 rectifié bis ?

M. René Garrec, rapporteur. Monsieur Collombat, vous proposez de préciser, dans l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100, que seul le Président de la République fait exception à la règle qui veut que tout un chacun soit tenu de déférer à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire.

En vérité, ce rappel me paraît inutile puisque l’article 67 de la Constitution dispose, s’agissant du Président de la République : « Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. »

Autrement dit, la Constitution établit d’ores et déjà clairement ce que vous souhaitez introduire dans la présente proposition de loi

Par ailleurs, vous avez évoqué des cas où des collaborateurs de ministres ne s’étaient rendus devant une commission d’enquête qui les avait convoqués. Je répète que c’est au président de la commission de décider s’ils doivent se rendre à cette convocation et, s’il le décide, ils viendront.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. René Garrec, rapporteur. Il reste le cas particulier de l’envoyé personnel du Président de la République. Là encore, dans le cas cité, c’est la commission qui a décidé qu’il n’était pas utile de l’entendre : elle n’est donc pas allée jusqu’au bout de ses pouvoirs alors que, à mon sens, elle pouvait le faire.

Ce texte a l’avantage de recadrer le problème de la convocation des membres de cabinet ministériel, voire des ministres. Lors des travaux de la commission d’enquête sur la conduite de la politique de l’État en Corse, nous avions convoqué le ministre de l’intérieur ; il nous a envoyé ses collaborateurs. Nous lui avons fait savoir qu’il nous semblait essentiel qu’il vienne en personne, et il est venu. Les commissions ont déjà tous les pouvoirs nécessaires.

Dans ces conditions, monsieur Collombat, je vous demande de retirer votre amendement. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Besson, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à l’amendement n° 2, qui est en fait de coordination.

S’agissant de l’amendement n° 3 rectifié bis, je formulerai les observations suivantes.

La question soulevée par M. Collombat et ses collègues du groupe socialiste n’est pas nouvelle. Elle s’est déjà posée dans les années quatre-vingt lorsqu’une commission d’enquête sénatoriale avait convoqué M. Gilles Ménage, directeur de cabinet du Président François Mitterrand, pour témoigner sur l’affaire Habache. À l’époque, M. Ménage avait refusé de déférer à cette convocation et n’avait pas pour autant été poursuivi.

Plus récemment, la question s’est posée pour les collaborateurs proches du Président de la République à propos de la libération des infirmières bulgares détenues en Libye. Le secrétaire général de l’Élysée, M. Guéant, et le conseiller diplomatique du Président de la République, M. Levitte, sont venus témoigner devant la commission d’enquête présidée par M. Moscovici.

En ce domaine, la position du Gouvernement est claire. Une lecture rigoureuse du principe de la séparation des pouvoirs nous paraît s’opposer à ce qu’une commission d’enquête impose « obligatoirement » – j’insiste sur cet adverbe – à un collaborateur de l’Élysée de déférer à une convocation parlementaire.

Alors que le Président de la République n’est pas responsable politiquement devant les assemblées, il n’apparaît pas possible que ses collaborateurs le soient d’une manière ou d’une autre, directe ou indirecte. Or l’obligation de témoigner devant une commission parlementaire pourrait conduire à un tel résultat.

La décision prise par le Président de la République de permettre à ses proches collaborateurs de venir devant la commission d’enquête sur la libération des infirmières bulgares est finalement très respectueuse de nos institutions et en même temps très ouverte, conformément aux principes de démocratie irréprochable.

Monsieur le sénateur, vous l’aurez compris, le Gouvernement n’est pas favorable à votre amendement pour les raisons que je viens de développer. Je préférerais que, comme l’a suggéré M. le rapporteur, vous le retiriez. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Cette discussion est intéressante. Si j’ai évoqué des affaires passées, c’est pour faire remarquer qu’il s’agit d’un problème général et qui ne date pas d’aujourd'hui. L’affaire Habache, par exemple, remonte à 1992.

Monsieur le rapporteur, s’il est précisé dans la Constitution que seul le Président ne vient pas, cela veut dire que les autres doivent venir.

M. René Garrec, rapporteur. À mon avis, ils viennent !

M. Pierre-Yves Collombat. Mais comme très souvent dans les textes juridiques, on dit une chose pour en signifier une autre, ce qui complique quelque peu notre travail

Vous nous affirmez qu’il appartient au président de la commission de faire le nécessaire. Je constate que le Parlement ne va pas au bout de ses pouvoirs et cela me navre.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est son problème !

M. Pierre-Yves Collombat. En effet, la Constitution ne nous laisse pas beaucoup de marges, mais le peu qu’elle nous octroie, nous ne les utilisons pas !

Par conséquent, au lieu de débattre de la façon de renforcer les pouvoirs du Parlement, commençons d’abord par faire jouer ceux qui existent. Or une façon de le faire consisterait à voter mon amendement.

Quant à M. le secrétaire d’État, qui invoque la séparation des pouvoirs, les principes de démocratie irréprochable, etc., il nous explique que, s’agissant des commissions d’enquête, c’est le fait du prince ! En principe, en République, il n’y a pas de prince, mais on constate de plus en plus qu’il y a un prince dans cette République. C’est peut-être cela qui pose un problème et qui vous empêche, monsieur le secrétaire d'État, de soutenir cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Autant les explications de M. le rapporteur, selon lesquelles, dans les cas cités par M. Collombat, la commission s’était autocensurée, peuvent être logiques – le fait majoritaire veut que le Parlement se censure lui-même assez facilement ! –, autant les arguments de M. le secrétaire d’État ne le sont pas, car ils signifient en fin de compte que le Parlement ne peut, au nom de la séparation des pouvoirs, auditionner un quelconque membre de l’exécutif. Si l’on devait vous suivre dans ce raisonnement, monsieur le secrétaire d'État, le rôle des commissions d’enquête se trouverait complètement dénaturé.

Telles sont les raisons pour lesquelles je vais voter l’amendement de M. Collombat, tout en pensant qu’il n’est en rien susceptible de changer quoi que ce soit à la réalité qui est, hélas ! la nôtre aujourd’hui.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En droit, il ne change effectivement rien du tout !

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je voudrais soutenir l’amendement n° 3 rectifié bis en rappelant qu’il fut un temps où, en même temps que les ministres, leurs collaborateurs étaient poursuivis devant la Cour de justice de la République. Jusqu’à ce qu’une modification – erronée, à mon sens – de la Constitution distingue le cas des uns et des autres.

C’est ainsi que, dans l’affaire du sang contaminé, qui a duré très longtemps, les ministres ont été poursuivis devant la Cour de justice alors que leurs collaborateurs relevaient du tribunal correctionnel.

La comparaison conduit, me semble-t-il, à adopter l’amendement de M. Collombat, car il est normal que tous les citoyens puissent être entendus par une commission d’enquête à l’exception – nous en sommes tous d’accord – du Président de la République.

Cette comparaison me semble entraîner pour les gens de bonne foi, et nous ne doutons pas que M. le secrétaire d’État en fasse partie, l’adoption de cet article 3 rectifié bis.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Je n’avais pas l’intention d’intervenir dans ce débat, mais j’ai été vraiment étonné par les propos de M. le secrétaire d’État.

M. Jean-Pierre Sueur. Je voudrais d’abord lui faire observer que le Président de la République, dont, si j’ai bien compris, il assure ici la défense, est très désireux de venir lui-même devant le Parlement. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Pourtant, on l’entend assez souvent et on a l’occasion de pouvoir prendre connaissance de sa pensée, de réfléchir, de méditer sur tout ce qu’il nous dit le matin, le midi et le soir. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Mais il veut en plus venir devant le Sénat et l’Assemblée nationale, de manière que l’on puisse être vraiment pénétré de ses propos. (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

On verra bien ce que le constituant décidera à cet égard, puisque nous sommes saisis de la question.

Dans un tel contexte, il est tout de même piquant de vous entendre, monsieur le secrétaire d’État, dire que cela poserait d’insurmontables problèmes si une personne liée d’une manière ou d’une autre au Président de la République était contrainte de venir parler devant une commission d’enquête parlementaire. Je ne comprends pas la logique de cette argumentation, et je la comprends d’autant moins au vu du fort désir du Président de la République de se rendre lui-même devant le Parlement.

Ensuite, force est de constater que l’on arrive dans une sorte de zone grise. M. Collombat a parlé d’« extensions ».

M. Pierre-Yves Collombat. C’est une formule que j’ai empruntée à M. Martinon !

M. Jean-Pierre Sueur. Alors, mon cher collègue, je vous décharge de la responsabilité de son emploi ! (Nouveaux sourires sur les mêmes travées.)

Pour ma part, je préfère en effet parler de « zone grise », constituée de personnes qui seraient d’une manière ou d’une autre liées au chef de l’État et ne pourraient pas être entendues par une commission parlementaire : cela ne tient pas au regard du droit. Il y a, d’une part, le Président de la République et, d’autre part, des citoyens et des citoyennes qui exercent des fonctions, qui accomplissent des missions, comme Mme Cécilia Sarkozy en Libye, par exemple, qui assument des missions publiques à un titre ou à un autre et qui doivent pouvoir venir devant une commission d’enquête parlementaire.

Madame la présidente, je me suis donc permis d’intervenir parce que je n’ai pas compris la cohérence de l’argumentation de M. le secrétaire d’État. S’il ne peut pas en présenter une autre, je pense qu’il y aura ici un large accord pour soutenir l’amendement de notre ami Pierre-Yves Collombat !

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Bien que n’étant pas membre de la commission des lois, je me rallie bien volontiers à l’amendement et à l’argumentation de M. Collombat.

J’avoue que la nature de nos discussions nous éclaire sur le mode de fonctionnement de la Ve République telle qu’elle existe aujourd’hui.

Il me semblait qu’il pourrait y avoir un assez large consensus pour reconnaître le bien-fondé de l’amendement dont Pierre-Yves Collombat est le premier signataire.

M. René Garrec, rapporteur. Il n’ajoute rien !

M. Thierry Repentin. Quel est son objet ? Il vise à renforcer les pouvoirs du Parlement. Actuellement, dans certains cénacles, il se dit que l’on va renforcer les pouvoirs du Parlement. Or une commission d’enquête parlementaire, comme son nom l’indique, est une émanation même de la représentation nationale.

Par ailleurs, cet amendement renforce le statut du Président de la République, le sacralisant en quelque sorte en précisant que seul le chef de l’État peut ne pas répondre à l’injonction d’une commission parlementaire.

Votre majorité, qui en appelle aujourd’hui au renforcement des pouvoirs du Parlement et qui cherche à renforcer également ceux du Président de la République – et cet amendement va dans le sens de ces deux ambitions –, se trouve devant une contradiction, surtout après les explications peu crédibles qu’a opposées M. le secrétaire d'État.

Je sais bien que la référence, dans cet hémicycle, à des faits lointains ou proches n’est pas pure coïncidence, mais si d’aventure nous estimons, les uns et les autres, que quelqu’un peut se soustraire à la convocation d’une commission d’enquête parlementaire au seul motif qu’il a des liens avec le Président de la République, alors, il faut une définition juridique de ces liens. Sont-ils fonctionnels, hiérarchiques, familiaux, voire affectifs ? On ne peut pas, dans une telle circonstance, se prévaloir de liens avec le Président de la République sans qu’ils soient juridiquement définis, y compris, peut-être, à travers un amendement que M. le secrétaire d’État pourrait nous proposer.

J’ai vraiment le sentiment, à travers les références historiques qui ont été faites par mes collègues – l’affaire Habache, les avions renifleurs, la libération des infirmières bulgares – que l’on touche là aux confins de ce que la République peut accepter.

Monsieur le secrétaire d’État, il me semble que l’amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat apporte non seulement une sécurité juridique et un renforcement des pouvoirs du Parlement, mais aussi un peu de morale, qui fait souvent défaut dans ce type d’affaires.

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.

M. François Zocchetto. Il y a vraiment une dérive dans ce débat, car on voudrait faire croire qu’il est possible de ne pas venir témoigner devant une commission d’enquête. Mais ce n’est pas du tout comme cela que les choses se passent, et d’ailleurs les textes sont extrêmement clairs à ce sujet.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. François Zocchetto. Premièrement, hormis le cas du président de la République, la commission d’enquête peut décider d’entendre qui elle veut.

Deuxièmement, elle a les moyens de faire venir la personne concernée.

Par conséquent, il ne faudrait pas faire croire, aujourd’hui, que des personnes ne peuvent pas être convoquées et qu’elles ont donc la possibilité de ne pas venir.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas ce qu’a dit le secrétaire d’État !

M. Pierre-Yves Collombat. Le secrétaire d’État a dit le contraire !

M. Charles Gautier. Il a dit : « par courtoisie seulement » !

M. François Zocchetto. Après, il s’agit d’une décision politique. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Moi, je vous donne une position de parlementaire. Comme Mme Borvo Cohen-Seat l’a précisé tout à l’heure, le texte existe. Que l’on décide de l’appliquer ou non, c’est une autre question, qui nous regarde, nous, en tant que parlementaires.

Cela dit, la décision de convoquer une personne est prise par la commission d’enquête. Cette décision étant prise, il reste à prendre éventuellement la décision de contraindre la personne à venir, et c’est encore à la commission d’enquête de le faire. Par conséquent, le texte me semble parfait. Laissons au Parlement le pouvoir de diriger les commissions d’enquête.

Encore une fois, c’est ainsi que cela fonctionne devant les tribunaux. Pourquoi aurions-nous des règles différentes ?

Mme la présidente. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.

M. Patrice Gélard. Je vais tout à fait dans le sens de M. François Zocchetto. C’est la raison pour laquelle je voulais intervenir.

En réalité, nous n’avons pas besoin de cet amendement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !

M. Patrice Gélard. Le président de la commission d’enquête peut, à tout moment, convoquer qui il souhaite...

M. René Garrec, rapporteur. Sauf le président de la République.

M. Patrice Gélard. …et, si la personne ne veut pas venir, il a la possibilité de requérir la force publique. Par conséquent, je ne vois pas l’intérêt de cette disposition.

M. Jean-Pierre Sueur. Cela va mieux en le disant !

M. Patrice Gélard. Non, cela ne sert à rien d’ajouter des choses dans nos lois ; elles sont déjà suffisamment bavardes !

M. Jean-Louis Carrère. Et après, on nous critique !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole.

Mme la présidente. Vous vous êtes déjà exprimé, monsieur Dreyfus-Schmidt.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Madame la présidente, je souhaite simplement que M. le secrétaire d’État nous dise s’il est d’accord ou non avec les propos de M. Gélard. En effet, s’il est d’accord, nous retirerons notre amendement. Mais j’observe que, jusqu’à présent, il a dit le contraire.

M. Alain Gournac. Allez, passons à la mise aux voix !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Éric Besson, secrétaire d'État. Je crois avoir déjà très clairement exprimé la position du Gouvernement, et rien de ce que je viens d’entendre ne m’a fait changer d’avis.

M. Pierre-Yves Collombat. Quelle clarté ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.

M. Charles Gautier. On peut se tromper quand on parle, mais alors on reconnaît son erreur, c’est tout !

Bis repetita placent ! J’ai bien entendu que les membres de l’Élysée qui ont été auditionnés l’ont été à la suite d’une autorisation et sont venus par courtoisie. Cela signifie donc que les personnes qui auraient pu être sollicitées et qui ne se sont pas rendues devant la commission d’enquête ne sont pas venues par discourtoisie, mais pas du tout parce que les textes le permettent !

Soit on nous confirme que, selon les textes, seul le président de la République échappe effectivement à cette possibilité de témoigner devant une commission d’enquête, comme devant toute autre juridiction, et notre amendement, qui n’est alors qu’un rappel, est superfétatoire.

Soit on nous dit que le président, courtois ou non, décidera qui peut venir et que telle ou telle personne qui lui est liée peut y échapper, mais alors, tous les Français étant ses enfants (Sourires), n’importe qui pourra en appeler au président pour lui demander de lever l’obligation qui lui est faite. Un jour, quelqu’un se dressera pour poser la question !

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. René Garrec, rapporteur. J’ai du mal à comprendre ce débat. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Charles Gautier. Parce que vous ne voulez pas entendre !

M. René Garrec, rapporteur. Il est pourtant très simple.

Votre amendement ajoute-t-il quelque chose au droit ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Rien !

M. René Garrec, rapporteur. Non, il n’ajoute rien, car vous avez pratiquement repris l’article 67 de la Constitution, dans lequel il est précisé de façon parfaitement explicite que le président de la République « ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner... ». (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Sueur. Le secrétaire d’État a semé la confusion !

M. René Garrec, rapporteur. Je reste sur ma position car, après tout, c’était mon amendement. J’ai du mal à suivre les débats, ce qui ne préfigure pas très bien mes capacités intellectuelles, je vous en donne acte immédiatement. (Exclamations sur les mêmes travées.)

Je citerai Nietzsche : « Celui qui se méprise se prise tout de même de se mépriser. » C’est à peu près ce que je faisais ; je ne suis donc pas si mauvais que cela, si vous voulez mon avis, et nous sommes d’accord sur ce point-là au moins.

En fait, nous partons d’un système factuel. Vous nous dites qu’il existe des précédents, puisque des fonctionnaires de la présidence de la République, donc des collaborateurs du président de la République, ont été convoqués et ne se sont pas rendus devant la commission d’enquête. Ils ne sont pas venus, car le pouvoir de demander que ces hauts personnages de la République soient entendus par une commission d’enquête dépend du président de ladite commission. En cas de refus des personnes, ce dernier peut requérir la force publique.

À M. Chevènement, qui avait annoncé qu’il ne viendrait pas, nous avons répondu que, s’il ne se présentait pas spontanément, nous enverrions les gardes républicains le chercher. Il ne connaissait pas cette possibilité, mais finalement il est venu.

Pour en revenir au vrai débat de fond, la commission a tous les pouvoirs.

M. Jean-Louis Carrère. Pourquoi la dernière fois la même chose n’a-t-elle pas été faite alors ?

M. René Garrec, rapporteur. Moi, je ne sais pas ; je n’étais pas là et, de plus, cela ne dépendait pas de moi !

Je comprends très bien que vous utilisiez un tel argument, tout à fait intéressant d’ailleurs, et c’est un beau débat parlementaire. On n’est pas obligé d’être sûr de soi pour avancer un argument.

M. Jean-Louis Carrère. C’est vraiment la droite sénatoriale dans toute sa splendeur !

M. René Garrec, rapporteur. Mon cher collègue, relisez le droit !

M. Jean-Louis Carrère. Le droit, j’ai compris ce que c’était pour vous !

M. René Garrec, rapporteur. C’est l’article 67 de la Constitution : pas de président de la République. C’est clair, vous l’avez d’ailleurs dit vous-mêmes.

M. Jean-Louis Carrère. Le droit, il s’est appliqué à M. Chevènement, mais pas à Cécilia Sarkozy !

M. René Garrec, rapporteur. Ensuite, il y a des problèmes factuels. S’il existe des précédents différents, c’est parce que la décision dépendait de la commission et du recours ou non à la force publique. Si une demande de réquisition de la force publique avait été formulée par le président de la commission, cela se serait très bien passé.

Tel est le droit qui est le nôtre et voilà notre marge de manœuvre au sein des commissions d’enquête parlementaires. Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi nous avons un tel débat. Certes, il est intéressant, voire assez plaisant, mais si nous nous en tenons à la base, le choix est là !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Décidément, nous ne pouvons pas faire confiance au secrétaire d’État !

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. D’abord, quand on fait des propositions, je déteste que l’on cite des cas personnels, ce qu’a fait M. Pierre-Yves Collombat et, franchement, c’était limite !

M. Pierre-Yves Collombat. C’est le fonctionnement de la République, ce n’était pas personnel !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Permettez ! Que je sache, vous n’avez pas la parole.

M. Pierre-Yves Collombat. Mais vous me prenez à parti en me disant que je n’ai pas été correct !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n’ai pas dit cela !

Dans le cas que vous avez évoqué, la commission a décidé qu’il n’était pas indispensable d’entendre la personne. Par conséquent, la question n’a pas été posée. Certains avaient fait la demande, mais la commission d’enquête n’a pas suivi, et il convient de le rappeler. En droit, le problème ne se pose donc pas.

Il existe des exemples sous plusieurs présidences. Certains collaborateurs du président ont été invités à témoigner devant des commissions d’enquête. Ils ne l’ont pas fait si le président ne l’a pas voulu – c’est l’interprétation qui peut effectivement être donnée par la présidence –, car il n’y avait aucune raison de les entendre, ou ils sont venus de leur plein gré.

Je suis désolé de vous le dire, mais juridiquement, en dehors du président de la République, si la commission d’enquête insistait pour entendre une personne, cette dernière en refusant s’exposerait à des poursuites pour refus de témoigner. Voilà quel est le droit et tout ce que l’on raconte autour de cela n’a aucune importance ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mon interprétation est que, dans certains cas, le témoignage de personnes n’est pas souhaité pour toutes sortes de raisons, le secret-défense par exemple. Mais, si la commission d’enquête persiste et veut vraiment entendre la personne, elle ira jusqu’au bout. En cas de problème, il appartiendra au juge de déterminer si ne pas déférer à la convocation d’une commission d’enquête peut avoir des justifications.

Raison de plus pour affirmer que cet amendement n’a aucun intérêt. Le président de la République est protégé, nous le savons déjà. Quant aux autres personnes susceptibles d’être entendues par une commission d’enquête, je suis désolé d’insister mais, quelle que soit votre interprétation, selon le droit, le président de ladite commission pourra exiger qu’elles soient entendues, y compris s’il s’agit d’un collaborateur du plus haut personnage de l’État.

M. Charles Gautier. Nous sommes d’accord avec cela !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n’a donc aucune conséquence à mon avis.

M. Thierry Repentin. Il vous faut convaincre le secrétaire d’État !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Le secrétaire d’État a son interprétation ; en tant que président de la commission des lois, je vous donne la mienne. C’est le droit tel qu’il est et je pense qu’il est suffisant.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président de la commission, vous êtes habilité à nous donner votre interprétation du droit, mais pas à dire le droit.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est ce que j’ai fait, monsieur Carrère ! Vous n’avez rien compris à ce que j’ai dit ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président de la commission, cela vous ennuierait-il d’être courtois ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, mais ne parlez pas comme cela !

M. Jean-Louis Carrère. Alors, si cela ne vous ennuie pas d’être courtois, soyez-le, s’il vous plaît !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je fais ce que je veux !

M. Jean-Louis Carrère. Écoutez, moi aussi, je vais faire ce que je veux, et je peux utiliser la discourtoisie à votre endroit !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est même fréquent et j’entends souvent ce qui se dit derrière moi !

M. Jean-Louis Carrère. Mais oui, c’est cela !

Pour apaiser les choses, permettez-moi simplement d’ajouter une remarque.

Monsieur le rapporteur, à l’évidence, il me semble que vous n’auriez pas dû personnaliser votre exemple.

M. René Garrec, rapporteur. Je l’ai utilisé, parce que c’est le seul que je connaisse !

M. Jean-Louis Carrère. Je ne tiens pas à vous ennuyer, mais cette personnalisation a été très maladroite !

M. René Garrec, rapporteur. Non !

M. Jean-Louis Carrère. Elle est en effet très tendancieuse ! (M. le rapporteur s’exclame.) Écoutez-moi deux secondes et je vais essayer de vous le démonter aimablement et courtoisement, n’imitant pas le président de la commission des lois.

Qu’une commission, à majorité de droite, aille jusqu’au bout de ses potentialités et exige que M. Chevènement comparaisse, je le comprends. Mais pourquoi la même commission n’a-t-elle pas fait la même chose…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est son problème !

M. Jean-Louis Carrère. …s’agissant de Mme  Cécilia Sarkozy ? Comme par hasard, ce qu’elle a exigé pour M. Chevènement, elle ne l’a pas exigé pour Mme  Cécilia Sarkozy !

Considérez-vous, messieurs, qu’il y avait un problème particulier à entendre un envoyé du président de la République ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Demandez aux députés !

M. Jean-Louis Carrère. Pour le reste, moi je suis d’accord avec M. Gélard.

Mais c’est cette interprétation qui pose un problème en droit et c’est cette forme de discourtoisie et l’utilisation d’arguments quelque peu tendancieux qui nous posent problème à nous, car, monsieur le président de la commission, leçon pour leçon, c’est récurrent dans cette assemblée de la part de votre majorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Protestations sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour explication de vote.

M. François-Noël Buffet. Je ne vous cache pas que je trouve déplorable le climat de cette séance et l’attitude qui vient d’être manifestée à l’égard du président de la commission des lois. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. C’est le contraire !

M. François-Noël Buffet. Je le dis très librement.

Quand nous savons le particulier soin que met le président de la commission à donner des explications précises…

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Lèche-bottes !

M. François-Noël Buffet. …sur les choses.

M. Jean-Louis Carrère. Qui conteste cela ?

M. François-Noël Buffet. Oser dire en séance que le président de la commission ne doit pas dire le droit !

Mon cher collègue, le président de la commission des lois vous a répondu, sans interprétation aucune,…

M. Jean-Louis Carrère. C’est votre explication que j’ai contestée !

M. François-Noël Buffet. … ce que le droit permet, ni plus ni moins.

À titre personnel, les propos que vous venez de tenir me choquent profondément,...

M. Alain Gournac. Moi aussi !

M. Roland du Luart. Il faudrait revenir au débat.

M. François-Noël Buffet. …et je tenais à le dire au Sénat.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. René Garrec, rapporteur. Avec la courtoisie que mérite mon collègue, permettez-moi de dire que si nous avions demandé au ministre de l’intérieur de venir, c’est parce qu’il nous paraissait indispensable qu’il nous apporte des éclaircissements. Il nous a répondu qu’il ne savait pas que la commission d’enquête avait le pouvoir de requérir la force publique et donc il est venu. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.)

M. Pierre-Yves Collombat. Je demande la parole.

Mme la présidente. Monsieur Collombat, vous avez déjà expliqué votre vote.

M. Pierre-Yves Collombat. C’est pour retirer l’amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. Vous avez la parole, mon cher collègue.

M. Pierre-Yves Collombat. Personne n’est discourtois ; nous sommes simplement un peu passionnés.

J’ai été notamment convaincu par l’explication du président de la commission. Mais cela signifie aussi qu’il n’y a pas d’extension s’agissant du président de la République et donc que celui-ci ne peut pas décider qui viendra ou non devant la commission d’enquête. Voilà qui est tout de même extrêmement intéressant, car cela figurera dans les débats !

On ne pourra plus nous asséner, car c’est en tout cas le point de vue du Sénat, que vient qui veut, si le prince a décidé. Viendront ceux qui seront convoqués, à l’exception du président de la République. Grâce à mon amendement, cette précision a été apportée. Aussi, étant pleinement satisfait, je le retire.

Mme la présidente. L’amendement n° 3 rectifié bis est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l'article unique est ainsi rédigé.

Article unique
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Intitulé de la proposition de loi

Mme la présidente. L'amendement n° 4, présenté par M. Garrec, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit l'intitulé de la proposition de loi :

Proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires

La parole est à M. le rapporteur.

M. René Garrec, rapporteur. Il s’agit d’un amendement purement formel visant à rendre plus clair l’intitulé de la proposition de loi.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Éric Besson, secrétaire d'État. Le Gouvernement est favorable à cet amendement, car la formulation proposée est en effet plus claire.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 4.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Intitulé de la proposition de loi
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote. (Plusieurs sénateurs de l’UMP quittent l’hémicycle.)

M. Jean-Louis Carrère. Vous pouvez partir ! On vote tout !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Merci d’être venus ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous voterons en faveur de cette proposition de loi, car elle permet d’améliorer le statut des témoins auditionnés par les commissions d’enquête parlementaires.

Il était effectivement paradoxal que des personnes sous serment, c'est-à-dire censées dire la vérité, soient « requises » pour témoigner alors qu’elles n’étaient pas protégées.

Au demeurant, je ne reviendrai pas sur la confusion que vos propos, monsieur le secrétaire d’État, ont introduite dans ce débat. Selon moi, votre interprétation n’est pas la bonne et elle déborde le cadre du droit.

Il faut bien le dire, le besoin de légiférer a été motivé par le harcèlement judiciaire subi par les personnes ayant participé aux auditions de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire et sur les conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs. Mon collègue et ami Jean-Pierre Brard, qui mène activement le nécessaire combat contre les sectes, est d’ailleurs revenu longuement et précisément sur les circonstances ayant abouti à l’examen par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à créer de nouvelles protections pour les témoins. Je sais donc à quel point les choses peuvent être graves quand on évoque les mouvements sectaires.

La création d’une immunité relative est la conséquence de la loi du 20 juillet 1991 qui a autorisé les auditions publiques dans le cadre des commissions d’enquête et permis leur généralisation. En effet, avec le huis clos ou, à tout le moins, l’absence de publicité des commissions d’enquête, le problème se posait de façon tout à fait différente.

Une plus grande publicité des travaux du Parlement, en particulier des commissions d’enquête, a bien sûr des côtés tout à fait positifs, puisque cela permet de créer les conditions d’une certaine transparence. Je crois néanmoins qu’il ne faut pas en abuser. En tout état de cause, les personnes qui sont requises pour témoigner doivent pouvoir bénéficier de cette immunité.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.

(La proposition de loi est adoptée.)

Mme la présidente. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (M. Pierre Hérisson applaudit.)

M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo, monsieur Garrec !

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au statut des témoins devant les commissions d'enquête parlementaires
 

6

 
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Discussion générale (suite)

Adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale

Adoption d'un projet de loi

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article additionnel avant l'article 1er ou avant l'article 2

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale (no 308, 2006-2007 ; n° 326).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a soixante-trois ans, le fracas des armes se taisait sur notre continent et l’Europe retrouvait la paix. La communauté internationale découvrait l’horreur des camps et la barbarie nazie. Le monde avait un immense besoin de justice et d’humanité.

L’accord de Londres du 8 août 1945 a décidé la constitution du tribunal de Nuremberg. Celui-ci était chargé de juger les auteurs des crimes les plus graves commis durant ce conflit : vingt-quatre des principaux dignitaires du régime nazi ont comparu devant cette juridiction. La France a pleinement participé à cette justice internationale, puisque deux magistrats français ont siégé lors de ce procès.

Le procès de Nuremberg a été un premier pas. Il a montré que ces crimes sont l’affaire de tous, et non pas d’une seule nation. Il a montré que c’est l’humanité tout entière qui avait été atteinte par les atrocités commises.

Les événements dramatiques de l’histoire contemporaine ont malheureusement confirmé la nécessité de juger les crimes qui sont les pires.

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a été institué le 25 mai 1993 : cent soixante et une personnes ont été mises en accusation devant cette juridiction.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été créé par l’Organisation des Nations unies en 1994.

Cependant, jusqu’à une époque récente, les juridictions internationales n’étaient que provisoires. Leur compétence était restreinte à des événements précis, circonscrits dans le temps et situés géographiquement.

Certains États, dont la France, ont souhaité aller plus loin et mettre en place une juridiction pénale internationale permanente, à vocation universelle. Cette volonté a abouti à la création de la Cour pénale internationale. Fondée par le traité de Rome du 17 juillet 1998, cette Cour fonctionne depuis le 1er juillet 2002.

La France a joué un rôle déterminant dans la création de cette juridiction, qui s’inspire très largement de notre conception de la justice. Aujourd’hui, 139 États ont signé le traité de Rome et 106 l’ont ratifié. Notre pays est l’un des premiers à l’avoir ratifié, le 9 juin 2000.

Le projet de loi présenté aujourd’hui témoigne de la pleine participation de la France à la justice pénale internationale. Il adapte notre droit aux infractions qui relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale.

Pour permettre la ratification de la convention de Rome créant la Cour pénale internationale, je rappelle que nous avons déjà été amenés à adapter largement notre droit. La Constitution a été modifiée le 28 juin 1999 pour en permettre la ratification, à la suite de l’avis rendu par le Conseil constitutionnel le 22 janvier 1999.

Une loi du 26 février 2002 a ensuite permis que la France puisse pleinement coopérer avec la Cour pénale internationale pour l’exercice des poursuites, l’exécution de ses décisions et l’indemnisation des victimes. Je rends ici hommage au président Badinter, qui était à l’origine de cette proposition de loi.

Enfin, la loi du 31 décembre 2003 a autorisé la ratification d’un accord sur les privilèges et immunités. Il s’agissait d’assurer l’indépendance des personnels de la Cour ainsi que des personnes qui concourent à son activité.

La France, là encore, fait partie des premiers États à avoir ratifié cet accord.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui traduit un engagement sans réserve de la France, celui de respecter et de faire respecter les principes du droit international humanitaire et du droit pénal international, comme M. le rapporteur Patrice Gélard l’a excellemment souligné dans son rapport.

Ce projet de loi traduit la confiance de la France dans la Cour pénale internationale et son universalité.

La question de la compétence universelle de la Cour est essentielle. Elle a été largement débattue par votre commission des lois, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest.

La France n’a pas introduit de clause de compétence universelle dans sa législation. Mais j’indique dès à présent que le Gouvernement est disposé, sous certaines conditions, à faire évoluer le texte sur ce point.

La première condition, c’est de réserver en priorité à la Cour pénale internationale l’exercice des poursuites. C’est avant tout la Cour qui a une compétence universelle. C’est sa légitimité propre.

Le statut de Rome fixe le principe de la complémentarité : la Cour est compétente à chaque fois que l’État partie ne veut pas ou ne peut pas poursuivre l’auteur d’un crime international. En quelque sorte, la Cour se substitue à l’État défaillant. Un autre État ne peut pas revendiquer une légitimité comparable.

C’est pourquoi seule une compétence subsidiaire est acceptable. J’observe que c’est d’ailleurs le sens de l’amendement n° 26 qui a été déposé par M. Badinter et le groupe socialiste.

La deuxième condition tient à l’existence d’un rattachement suffisant avec la France. Il ne suffit pas, en effet, que la personne en cause se trouve en France.

Le principe de compétence élargie signifie très clairement que les auteurs de crimes contre l’humanité et les criminels de guerre ne peuvent espérer trouver un asile en France.

C’est la raison pour laquelle une condition de résidence habituelle en France me paraît nécessaire. Cette condition existe déjà dans notre droit, notamment pour lutter contre le tourisme sexuel.

Enfin, on ne peut prétendre juger en France que des personnes qui ont commis des faits punissables dans leur pays ou devant une juridiction internationale dont leur pays a accepté la compétence.

C’est un principe cardinal du droit pénal : on ne peut être jugé que pour des faits pénalement sanctionnés là où on les commet.

L’amendement proposé par la commission satisfait à toutes ces préoccupations. Aussi, le Gouvernement émettra un avis favorable.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement vous invite ainsi à reconnaître l’autorité morale et juridique de la Cour pénale internationale et à lui faire confiance.

Il vous invite également à respecter pleinement le principe de complémentarité. C’est pour cette raison que le projet de loi adapte notre droit pénal aux infractions relevant de la Cour pénale internationale.

Monsieur le rapporteur, vous connaissez très bien ce sujet, puisque vous avez déjà été le rapporteur, pour le Sénat, de la proposition de loi de M. Badinter relative à la coopération avec la Cour pénale internationale.

Comme vous l’avez rappelé dans vos rapports, la loi du 26 février 2002 ne réalisait pas une adaptation complète de notre droit aux dispositions de la Cour pénale internationale. Vous écriviez très justement en 2002 que les crimes prévus dans le statut de Rome « correspondent largement, mais pas totalement, à des qualifications prévues par le droit français ».

Le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui vise à assurer une meilleure concordance de notre droit avec les crimes prévus par la convention de Rome.

La première partie du texte élargit la définition des crimes contre l’humanité à des actes qui n’étaient pas prévus dans le droit français.

Il s’agit essentiellement des exactions de nature sexuelle et de la ségrégation raciale, qui n’étaient pas visées dans la catégorie des crimes contre l’humanité.

Le projet de loi modifie la définition même du crime contre l’humanité.

Il supprime une condition liée au mobile des crimes. Jusqu’à présent, il n’y avait crime contre l’humanité que si l’acte était inspiré par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux. Cette exigence, trop restrictive, est donc supprimée.

En revanche, la notion de « plan concerté » a été maintenue pour définir le crime contre l’humanité. Bien que cette notion, je le sais, ait fait l’objet de débats, le Gouvernement tient à ce qu’elle soit maintenue, car elle constitue le signe distinctif des crimes contre l’humanité.

Ces crimes, en effet, doivent être nettement distingués des autres crimes, et notamment des crimes de guerre, qui sont des violations des lois et coutumes de la guerre.

Même lorsque ce sont des populations civiles qui en sont victimes, les crimes de guerre ne peuvent s’assimiler aux crimes contre l’humanité. Ces derniers s’inscrivent dans une logique d’anéantissement, de négation pure et simple du droit à la vie ou de l’humanité d’une population donnée.

En 1991, Michel Sapin, alors ministre délégué à la justice, l’avait très bien exprimé : les crimes contre l’humanité doivent rester suffisamment circonscrits pour conserver leur dimension exceptionnelle.

La notion de « plan concerté » n’est pas expressément prévue par le statut de Rome. Néanmoins, ce dernier définit le crime contre l’humanité comme « une attaque généralisée ou systématique » et précise que cette attaque doit être réalisée « en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ».

C’est ce que traduit la notion de plan concerté, qui reprend exactement l’article 6 des principes de Nuremberg.

C’est surtout une précision essentielle pour ne pas affaiblir l’incrimination ultime de crime contre l’humanité.

La seconde partie de ce projet de loi vise à introduire une définition spécifique des crimes et délits de guerre.

La législation française n’assure aucune impunité aux criminels de guerre. En effet, la plupart des comportements définis dans le statut de Rome – assassinat, actes de torture, prises d’otages, actes sexuels contraints ou destructions – tombent déjà sous le coup de la loi pénale française.

La convention de Rome n’oblige pas les États parties à traduire en droit interne les infractions relevant de la compétence de la Cour. Néanmoins, le Gouvernement a souhaité le faire, car, dans ce domaine, la France doit être exemplaire.

Le projet de loi comporte donc les adaptations nécessaires pour couvrir le plus largement possible les comportements réprimés par la justice pénale internationale.

Premièrement, de nouvelles infractions sont créées. Elles figureront désormais dans un livre spécifique du code pénal consacré aux crimes et délits de guerre. Elles sont, de façon plus synthétique, la reprise fidèle de la très longue énumération du statut de Rome.

Des actes nouveaux pourront être punis spécifiquement par notre droit pénal.

Je pense, par exemple, à l’enrôlement de mineurs dans un conflit armé, à la prise à partie des populations civiles, notamment comme otages ou boucliers humains, ainsi qu’à tous les actes de guerre déloyaux ou disproportionnés.

Autre nouveauté, des règles de responsabilité particulières sont posées.

Une responsabilité pénale pour complicité passive est prévue pour que des supérieurs hiérarchiques, civils ou militaires, ne puissent s’exonérer de leur responsabilité dans les actes commis.

Inversement, les subordonnés ne pourront pas, en principe, s’affranchir de leur responsabilité au seul motif qu’ils ont exécuté des ordres. La gravité de ces actes justifie que les exécutants soient pleinement responsabilisés.

De plus, le niveau particulièrement élevé des peines prévues pour punir les crimes de guerre démontre la gravité que nous leur reconnaissons.

Ainsi, contraindre une personne à la prostitution fait encourir dix ans d’emprisonnement. Dans le cadre d’un conflit armé, la prostitution forcée, destinée à livrer une personne aux soldats, par exemple, sera désormais punie de la réclusion criminelle à perpétuité.

Enfin la prescription des crimes et des délits de guerre est allongée.

Le délai de prescription sera de trente ans pour les crimes, contre dix ans en droit commun. Pour les délits, la prescription passera à vingt ans, au lieu de trois ans. Les mêmes délais de prescription sont prévus pour les peines.

Certains se sont interrogés sur la possibilité de ne plus soumettre les crimes de guerre aux règles de la prescription. Tel n’est pas le choix du Gouvernement.

Le président Badinter l’avait souligné lors des débats sur la loi de 1996 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, et il l’a rappelé devant votre commission : l’imprescriptibilité doit demeurer tout à fait exceptionnelle : elle doit être limitée aux crimes contre l’humanité et ne saurait être étendue.

Plus récemment, le rapport d’information de MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung sur le régime des prescriptions civiles et pénales avait abouti à la même conclusion.

Une nouvelle fois, le Gouvernement souhaite que la dimension absolue et singulière des crimes contre l’humanité soit préservée.

Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes appelés à vous prononcer sur un texte important.

C’est un texte novateur. Sur certains points, il va même au-delà des exigences de la Cour pénale internationale.

Votre commission des lois a amendé le projet de loi. Elle a souhaité qu’il se rapproche plus encore de l’esprit du statut de Rome. Je veux saluer la qualité et la précision du travail qu’elle a accompli. Ces amendements sont légitimes et seront accueillis favorablement par le Gouvernement.

Ce texte, je le dis avec force, marque la volonté de la France de participer activement au développement de la justice pénale internationale. (Applaudissements sur les travées de lUMP et de lUC-UDF.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui a pour objet de rendre applicable dans notre droit pénal la convention de Rome instituant la Cour pénale internationale.

Deux remarques préliminaires s’imposent.

Tout d’abord, ce projet de loi n’est pas une transposition mot à mot, que justifierait, par exemple, la mise en œuvre d’une directive communautaire en droit interne. Nous avons affaire à un traité, rédigé dans une langue que j’appellerais « franglais ». Un certain nombre de dispositions sont impossibles à transposer dans notre droit interne ; par exemple, la convention de Rome ne tient pas compte de la distinction entre la loi et le règlement prévue par la Constitution française. Il a bien fallu adapter le projet de loi.

Ensuite, l’adaptation se fera au plus près du texte de la convention. Nos amendements visent à accentuer ce rapprochement.

La commission a souhaité rapprocher encore davantage la définition de certains crimes de guerre introduits dans le code pénal des termes de la convention de Rome.

Elle a ainsi adopté quatre amendements à l’article 7 du projet de loi : le premier incrimine le pillage même si celui-ci n’est pas commis en bande ; le deuxième interdit l’enrôlement forcé de toutes les personnes protégées, et pas seulement de celles qui appartiennent à la partie adverse ; le troisième autorise la mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique civil dans le cas où ce dernier aurait délibérément négligé de tenir compte d’informations indiquant clairement que le subordonné allait commettre un crime de guerre ; le quatrième encadre les conditions dans lesquelles l’auteur d’un crime de guerre pourrait être exonéré de responsabilité pénale en cas de légitime défense.

La commission a souhaité également aller au-delà des exigences de la convention de Rome, en portant de quinze à dix-huit ans l’âge à partir duquel il peut être procédé à la conscription ou à l’enrôlement dans les forces armées, disposition faisant d’ailleurs l’objet d’un sous-amendement de M. Portelli, que nous examinerons tout à l’heure lors de la discussion des articles.

Enfin, la commission a aligné le régime des interdictions applicables aux auteurs de crime contre l’humanité sur celui, plus sévère, prévu par le projet de loi pour les crimes de guerre.

Par ailleurs, la commission a estimé que, si la convention de Rome prévoyait l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre, il était souhaitable de réserver, en droit français, ce principe aux seuls crimes contre l’humanité, l’allongement des délais de prescription pour les crimes de guerre, prévu par le projet de loi, constituant déjà une avancée significative.

Elle a également longuement débattu de la reconnaissance d’une compétence universelle aux juridictions françaises, afin de leur donner la possibilité de poursuivre et juger les auteurs d’un crime visé par la convention de Rome, même si les faits se sont déroulés en dehors du territoire de la République et si l’auteur et la victime sont étrangers.

Permettez-moi de développer ce point : il s’agit en réalité d’une compétence non pas universelle, mais extraterritoriale.

Chacun le sait, le droit pénal français reconnaît la compétence universelle des juridictions françaises lorsque l’infraction a été commise sur le territoire de la République, ou lorsque l’auteur ou la victime ont la nationalité française.

La compétence extraterritoriale repose sur l’idée selon laquelle l’auteur d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité peut être arrêté et poursuivi lorsqu’il se trouve sur le territoire national.

À cet égard, je ferai quelques observations.

Premièrement, plusieurs États européens ont certes adopté le principe de la compétence extraterritoriale, mais ils l’ont assortie de conditions telles qu’elle devient quasiment inapplicable. Le seul pays qui avait reconnu à ses tribunaux une compétence universelle – la Belgique – a dû faire machine arrière devant les conséquences innombrables de cette disposition.

Deuxièmement, l’extraterritorialité ne peut jouer que pour le ressortissant d’un État partie à la convention lorsque cet État refuse ou n’a pas mis en jeu la responsabilité du criminel, ce qui exclut beaucoup de monde ! En effet, en dehors des quelque cent trente États ayant signé la convention, les autres échappent totalement à l’application de cette extraterritorialité. Ainsi, un criminel de guerre ressortissant d’un pays non signataire ne pourra pas être poursuivi.

Troisièmement, se pose le problème de savoir comment mettre en place la poursuite de l’auteur d’un crime contre l’humanité ou d’un crime de guerre – ce point fait l’objet d’un amendement de la commission –, mais aussi de déterminer les cas où il est possible d’arrêter un tel criminel.

Certes, allez-vous me dire, la compétence extraterritoriale des juridictions françaises a déjà été progressivement mise en place par le droit pénal français pour une dizaine de catégories d’infractions, parmi lesquelles les actes de torture, ainsi que, notamment, les actes de piratage aérien, de piratage maritime, le blanchiment d’argent.

Cependant, la différence essentielle réside dans le fait qu’il n’existe pas de juridiction internationale dans ces cas-là, contrairement aux crimes contre l’humanité et crimes de guerre où intervient une juridiction internationale.

L’amendement que j’avais proposé à cet égard a fait l’objet d’un sous-amendement de M. Badinter auquel la commission a donné un avis favorable – malgré mon désaccord.

M. Patrice Gélard, rapporteur. En effet, ce sous-amendement vise à remplacer la notion de « résidence habituelle » du criminel par la référence à la disposition actuelle de l’article 689-1 du code de procédure pénale qui exige que la personne « se trouve » sur le territoire français. Comment définir cette dernière notion ? Le fait d’être en transit à Roissy, entre deux déplacements aériens, peut-il être considéré comme un séjour ? Vraisemblablement non !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous rapportez au nom de la commission ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous contredisez la commission !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je rapporte au nom de la commission et je viens de rendre compte de débats qui ont eu lieu en son sein.

Telles sont les observations que je tenais à formuler sur ce problème très difficile, complexe, dont nous débattrons tout à l’heure.

D’autres questions ont été soulevées, notamment à propos du « plan concerté ». À cet égard, madame la ministre, nous vous interrogerons : qu’entendez réellement par cette notion ? Comment envisagez-vous d’appliquer ce dispositif ?

Certains ont proposé de rendre imprescriptibles les crimes de guerre. Sur ce point, je considère, tout comme le président Badinter, qu’il faut opérer une distinction entre les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, afin d’éviter une certaine banalisation qui pourrait résulter de la généralisation de l’imprescriptibilité.

Hormis le point de désaccord, que j’ai brièvement expliqué, entre votre rapporteur et la commission, je vous demanderai, mes chers collègues, d’adopter les autres conclusions de la commission des lois, qui ont été approuvées par l’ensemble des commissaires, et de voter les amendements que je défendrai tout à l’heure. (Applaudissements sur les travées de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il n’y a pas de plus grande cause, pour des femmes et des hommes qui croient en la justice, que celle qui vient aujourd’hui devant nous.

Lutter contre l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité, dont les victimes se comptent par milliers, par dizaines de milliers, par centaines de milliers, voire parfois plus encore, est l’impératif catégorique moral de tous ceux qui croient dans les valeurs fondamentales de la démocratie et des droits de l’homme.

Je n’ai pas besoin de rappeler devant la Haute Assemblée que le chemin a été long et difficile, pour ceux qui croient dans cette cause, avant d’arriver jusqu’à ce jour.

Je n’ai pas non plus besoin de rappeler qu’il aura fallu attendre les crimes commis par les nazis, en se souvenant qu’aucune civilisation, serait-ce la plus brillante, la plus rayonnante au sein de la culture européenne, n’a prévenu la commission de ces crimes. Terrible enseignement !

Je n’ai pas davantage besoin de rappeler que, après Nuremberg – qui doit sa force à l’exemplarité de sa procédure, sinon, elle n’aurait été que le jugement de vaincus par les vainqueurs –, après Tokyo – qui a été plus incertain, parce que l’un des principaux responsables, pour ne pas dire le premier responsable, du conflit et des crimes atroces commis à cette occasion, notamment par les Japonais, a échappé à toute poursuite, pour des raisons politiques internationales que chacun connaît –, c’est un long silence qui s’est abattu sur le monde entier.

Les juristes, pour leur part, continuaient à œuvrer pour l’instauration d’une juridiction pénale internationale, qui mettrait un terme à ce scandale moral que constitue l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité et de grands crimes de guerre.

La guerre froide interdisait au Conseil de sécurité toute prise de position en ce domaine.

Le résultat est là : le XXe siècle, qui s’est ouvert avec le génocide arménien, s’est achevé avec le génocide rwandais et il a connu entre-temps, ce qui demeurera comme la flétrissure première de l’Europe pendant ce siècle, le génocide des Juifs et des Tziganes. Celui-ci n’a pas empêché que d’autres génocides soient commis ultérieurement ; je pense en particulier au génocide cambodgien, pour lequel certains de ses responsables sont actuellement jugés, après bien des difficultés.

L’exigence qui s’impose à nous, d’un point de vue tant moral que juridique, dans le traitement de cette question décisive, c’est de prendre toutes dispositions visant à interdire l’impunité de ces criminels. Aucune considération d’intérêt économique ou d’alliance internationale ne doit prévaloir sur cette exigence-là.

Il aura fallu qu’éclate au cœur de l’Europe, quelques décennies seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, un conflit marqué par des génocides et des crimes de guerre, le conflit de l’ex-Yougoslavie, pour qu’on se résolve enfin à créer la Cour pénale internationale. J’ai consacré à cette cause à la fois de l’énergie et du temps J’ai été au centre de ces événements en tant que président de la commission d’arbitrage de la conférence de Genève sur l’ex-Yougoslavie. Les diplomates, enclins avant tout à la prudence, privilégiaient le règlement pacifique du conflit avant tout traitement judiciaire. Comme si la paix pouvait être acquise sans que justice soit rendue !

Il aura fallu que la télévision montre chaque soir les crimes commis dans l’ex-Yougoslavie et la révolte de l’opinion publique pour que le Conseil de sécurité des Nations unies, sur le fondement du chapitre 7 de sa charte, décide enfin de créer un tribunal pénal international pour juger les auteurs de ces crimes. Puis un autre tribunal pénal international a été mis en place pour juger les auteurs du génocide rwandais, crime contre l’humanité.

On n’a pas assez porté témoignage des efforts des magistrats qui ont œuvré, dans des conditions très difficiles, pour l’arrestation des auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis dans l’ex-Yougoslavie et au Rwanda. Dans ce dernier cas, la difficulté de leur tâche tenait davantage aux spécificités malheureuses du continent africain.

Je tiens donc à rappeler les résultats obtenus.

À ce jour, 111 jugements ont été prononcés pour l’ex-Yougoslavie. Sans doute en y aurait-il eu 112 si M. Milosevic n’était pas mort en cours de procès. À cet égard, permettez-moi d’évoquer un souvenir personnel : lors de la conférence de La Haye, en 1991, alors que je lui expliquais qu’il serait un jour jugé, il m’avait fait part de sa totale incrédulité. Deux criminels de première importance, cependant, n’ont toujours pas été appréhendés : Ratko Mladic et Radovan Karadzic. Certaines grandes puissances auraient-elles intérêt à ce qu’ils ne le soient pas ? L’histoire le dira.

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda, quant à lui, a jugé 34 personnes et a prononcé 29 condamnations ; 24 procès sont encore en cours et 6 détenus sont en attente de jugement. Des mandats d’arrêt ont été lancés, certains exécutés, d’autres pas.

Mais, quel que soit le mérite de ces juridictions, un tribunal ad hoc, parce que sa compétence est limitée dans le temps et à un domaine particulier, ne peut satisfaire à cette exigence essentielle de justice et ne peut prévenir la réédition de ces crimes atroces. Chaque fois qu’est arrêté et jugé l’auteur d’un crime contre l’humanité, qui, en raison de ses fonctions, de son rang ou de ses amitiés internationales croyait échapper à la justice internationale, non seulement la justice avance, mais elle incite les criminels potentiels à s’interroger sur les possibilités qu’ils auront d’échapper ultérieurement au châtiment qu’ils méritent. On ne peut dissocier la prévention de la répression.

Dans quelque temps, nous célébrerons le dixième anniversaire de la convention de Rome instituant la Cour pénale internationale. Une autre fois, je pourrai vous narrer toutes les difficultés que nous avons rencontrées. Toujours est-il qu’elle a pu voir le jour non pas en vertu d’une décision des Nations unies, mais grâce à l’appui des organisations non gouvernementales, pour lesquelles elle était et demeure une cause essentielle.

La Cour pénale internationale constitue un immense progrès, compte tenu de son caractère permanent et de la compétence universelle dont elle jouit dès lors qu’elle est saisie par le Conseil de sécurité – c’est le cas pour le Darfour. À ce jour, 139 États sont parties à cet espace conventionnel, parmi lesquels tous les États de l’Union européenne ; malheureusement, ni la Russie, ni la Chine, ni l’Inde, ni les États-Unis, quatre très grandes puissances, n’en sont membres.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ni les États arabes !

M. Robert Badinter. Les États-Unis, parfois qualifiés d’« hyperpuissance », n’ont jamais voulu signer ni ratifier le traité de Rome et demeurent un adversaire de la Cour pénale internationale, par crainte que celle-ci ne poursuive certains de leurs ressortissants. Or cette crainte est absurde, puisque, selon les principes mêmes de la Cour, il revient aux États parties de juger, le cas échéant, leurs ressortissants auteurs de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Par conséquent, les États-Unis n’ont pas à redouter d’éventuels préjugés antiaméricains.

Faire progresser la cause de la justice internationale nécessitera encore beaucoup de travail !

La convention de Rome a posé deux principes et a rappelé une exigence.

Je tiens ici à rendre un hommage particulier à M. le rapporteur et à saluer le travail minutieux et difficile accompli en commission, en dehors de toute considération partisane, comme il se doit, tant cette cause transcende les clivages politiques. Les questions juridiques sont délicates, et Bruno Cotte, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, juge permanent à la Cour pénale internationale, nous a rappelé qu’il fallait toujours en revenir au statut de cette dernière. Ainsi, dans son préambule, celui-ci énonce que « les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ne sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale ». Le préambule poursuit ainsi : les États parties au présent statut « sont déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes ». Enfin, il rappelle « qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».

Une fois ces principes posés, l’article premier du statut dispose que la Cour pénale internationale « est complémentaire des juridictions pénales internationales ». Cette notion de complémentarité est particulièrement importante, comme le démontrera la suite de nos débats. Certains pensent qu’a été créé un ensemble hiérarchisé, au sommet duquel trônerait non pas la communauté internationale, mais la Cour pénale internationale, sorte de juridiction suprême ayant compétence pour juger les responsables des plus grands crimes, les États parties n’ayant à connaître que des crimes d’une ampleur plus mineure.

En réalité, la convention de Rome a mis en place un système de justice pénale internationale destiné à prévenir, au sein de son espace conventionnel, l’impunité des auteurs de crimes contre l’humanité. Les États et la Cour pénale internationale sont complémentaires. Chaque État, et la France en particulier, compte tenu de l’importance qu’elle a toujours accordée à cette cause, doit s’acquitter de son devoir et refuser l’impunité. Sinon, à quoi bon proclamer cette exigence tout en laissant impunis les responsables de ces crimes ?

Or il faut bien admettre que nous n’avons pas été exemplaires. Je ne vous vise pas, madame la ministre, car vous occupez vos fonctions depuis trop peu de temps. Cela fait dix ans que la France a ratifié la convention de Rome. Jacques Chirac et Lionel Jospin, alors respectivement Président de la République et Premier ministre, avaient tenu à procéder rapidement à la révision constitutionnelle permettant cette ratification. Puis le temps a passé et, in extremis, en accord avec tous les groupes politiques du Sénat, j’ai déposé une proposition de loi relative à la coopération avec la Cour pénale internationale, dont M. Gélard a été le rapporteur. La loi à laquelle elle a donné lieu a rendu possible la coopération judiciaire grâce à une adaptation de notre procédure pénale.

Toujours est-il que, ce qui n’est pas à son honneur, la France, comme la Colombie, avait émis une réserve sur les crimes de guerre, qui permettait, pendant une durée de sept ans, de refuser la compétence de la Cour pour juger les auteurs de tels crimes. Cette réserve, que j’avais regrettée et qui avait été dénoncée par tous les groupes parlementaires lors de l’examen de la proposition de loi, arrive maintenant à échéance. Aussi, nous devons adapter notre droit à cette extension, que nous avions écartée, de la compétence de la Cour pénale internationale pour connaître des crimes de guerre. C’est l’objet du texte qui nous est soumis.

À cet égard, j’évoquerai trois questions.

La première est celle de l’harmonisation, qu’a évoquée M. Gélard. Nous sommes contraints d’harmoniser notre droit pénal et quelques dispositions de procédure pénale avec les incriminations qui figurent dans la convention de Rome. Il ne s’agit pas nécessairement d’une uniformisation. Néanmoins, il faut bien reconnaître qu’il s’agit là d’une tâche difficile dans la mesure où les incriminations visées dans cette convention, non seulement ont été, à l’origine, rédigées en langue anglaise, mais encore relèvent de concepts qui sont souvent étrangers à notre droit. Toujours est-il que c’est une tâche qui nous incombe.

La deuxième question est celle de la prescription. Si la convention de Rome prévoit le caractère imprescriptible des crimes de guerre, pour ma part, je persiste à penser, comme bien d’autres, que les crimes contre l’humanité sont par essence et par nature différents des autres crimes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Robert Badinter. À celui qui conçoit le génocide, à ceux qui le mettent en œuvre, à ceux qui considèrent que des centaines de milliers d’être humains doivent être mis à mort parce que, comme le disait si bien André Frossard au cours du procès de Klaus Barbie, ils ont commis le seul crime d’être nés, à ceux-là, l’imprescriptibilité doit montrer que la conscience universelle ne saurait jamais oublier et que, par conséquent, la justice doit passer.

Quelle qu’en soit la gravité, je ne suis pas un partisan de l’imprescriptibilité d’un crime, hors le crime contre l’humanité et, avant tout, le génocide, précisément parce que, qu’elle qu’en soit la forme, il a une nature extrême.

Il reste la question très complexe de la compétence ; je l’évoquerai ultérieurement, ne voulant pas entreprendre maintenant un débat sur les propos de M. Gélard. C’est indiscutablement une question d’une haute technicité, mais, pour la résoudre, je persisterai toujours à dire que nous ne devons prendre le chemin d’aucune sorte de complaisance diplomatique par anticipation à l’égard de criminels de guerre ou d’auteurs de crimes contre l’humanité qui viendraient à se trouver sur le sol français et qui relèveraient de la compétence de la convention.

Dans ce domaine, il faut chercher non pas l’habileté, mais la justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – M. Jean-René Lecerf applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Madame le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il était temps d’adapter notre droit pénal aux exigences de la Cour pénale internationale puisque nous avons révisé la Constitution pour cela voilà déjà neuf ans, et le projet de loi qui nous est soumis répond à cet impératif. Au nom du groupe UMP, je tiens par ailleurs à rendre hommage à l’excellent travail de notre rapporteur.

Le grand apport de ce texte est l’incrimination des crimes de guerre, en application du principe de complémentarité entre la Cour pénale internationale et les États signataires de la convention : ce principe donne la priorité aux juridictions nationales pour juger des infractions visées par le statut de Rome, leur défaillance ou leur incapacité entraînant la compétence de la CPI.

Pour que les États appliquent cette règle et poursuivent les auteurs de crimes visés par la convention, il faut tout d’abord que l’incrimination existe en droit pénal interne. C’est une exigence internationale, mais également une exigence constitutionnelle : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité, dispose, en son article 8, que « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le projet de loi s’y emploie, puisqu’il fait du crime de guerre une infraction réprimée dans notre ordre juridique interne, alors que jusqu’à présent ce crime était une notion reconnue par l’ordre juridique international.

C’est en effet au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’incrimination des crimes de guerre prend sa dimension internationale, avec l’adoption du statut du tribunal de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres signé par les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS. L’article 6b de cet accord dispose que les crimes de guerre sont « les violations des lois et coutumes de la guerre » qui « comprennent, sans y être limitées, […] les mauvais traitements ou la déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires ».

À la suite de deux résolutions de 1946, les dispositions de cet accord sont devenues des normes coutumières internationales. Les conventions de Genève de 1949 ont élargi la notion de crime de guerre, le premier protocole de ces conventions réunissant les infractions graves et les crimes de guerre.

D’autres textes ont enrichi la définition, comme le protocole du 26 mars 1999 relatif à la convention de La Haye de 1954, ou le code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité.

Enfin, le statut de la Cour pénale internationale a considérablement élargi la notion de crime de guerre. Le paragraphe 2 de l’article 8 de ce statut dresse la liste d’une cinquantaine d’infractions qualifiées de « crimes de guerre », en étendant parallèlement la définition de ces crimes au viol, à la prostitution forcée ou à l’enrôlement d’enfants âgés de moins de quinze ans dans les armées.

Dans notre droit interne, le crime de guerre ne pouvait être invoqué que si, en la matière, les juges ou le législateur avaient revendiqué l’applicabilité directe de ces textes et une compétence universelle de ses juridictions.

En effet, le droit international et, plus particulièrement, les conventions de Genève puis celle de La Haye précitées reconnaissent aux États leur légitimité pour réprimer les crimes de guerre quel que soit l’endroit où ils ont été commis et indépendamment de la nationalité de leur auteur ou de leurs victimes.

Or notre droit interne n’a pas dévolu à ces textes internationaux une portée directe. Sur le plan légal, s’il existe une partie du code relative aux crimes contre l’humanité, les crimes de guerre n’y apparaissent pas et ne sont donc punis qu’en tant que crimes ordinaires, bénéficiant parfois des circonstances aggravantes prévues en matière criminelle par le code.

Au niveau prétorien, la jurisprudence a également refusé de reconnaître la légalité des crimes de guerre en se fondant sur les quatre conventions de Genève. Dans l’affaire Javor, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que les juridictions françaises étaient incompétentes pour juger des victimes des auteurs de crimes de guerre sur le fondement des conventions de Genève faute d’incrimination en droit pénal interne, et ce bien que la France soit partie à ces conventions.

Notre droit se qualifie de moniste quant à l’intégration directe des normes internationales à notre ordre juridique interne. En réalité, notre système n’est ni dualiste ni moniste mais hybride, car en l’absence d’incrimination en droit interne, sur le fondement du principe de légalité, il se refuse à s’appuyer sur certaines règles internationales qu’il a pourtant acceptées et rejette en matière de crime de guerre toute compétence universelle de ses tribunaux.

C’est cette position qu’a adoptée la commission des lois, et le groupe UMP l’approuve. Si la compétence universelle de nos juridictions est déjà reconnue pour les actes de torture, le terrorisme ou les infractions commises lors du conflit en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, il ne nous semble pas nécessaire de l’étendre aux crimes de guerre. Si nos tribunaux devaient juger tous les criminels de guerre indépendamment des règles internes d’attribution de compétence, on pourrait se demander quelle est l’utilité de la Cour pénale internationale. Car si la compétence universelle ne s’applique pas face à des crimes de guerre commis par des individus ou contre des individus n’ayant pas de liens avec la France, la Cour pénale internationale devient compétente en cas de défaillance de l’État partie, au nom du principe de complémentarité.

S’agissant enfin de la prescription des crimes de guerre, la convention des Nations unies du 26 novembre 1968 a reconnu l’imprescriptibilité des peines comme de l’action publique pour les crimes contre l’humanité et pour les crimes de guerre.

Sur le plan européen, la convention du Conseil de l’Europe du 25 janvier 1974 sur l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre confirme cette volonté en invitant les États parties à rendre la prescription inapplicable pour les crimes de guerre s’ils constituent des infractions en droit interne.

La France a reconnu en 1964 l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité, mais elle s’est toujours refusée à reconnaître cette spécificité pour les crimes de guerre, en ne signant pas la convention de 1968, puis celle du Conseil de l’Europe de 1974.

Le projet de loi qui nous est soumis prévoit l’allongement des délais de prescription pour les crimes de guerre – de dix à trente ans pour l’action publique et de vingt à trente ans pour la prescription de la peine en matière criminelle –, mais il traduit le refus d’appliquer le régime des crimes contre l’humanité à celui des crimes de guerre. Le groupe UMP approuve ce choix, car les crimes contre l’humanité, qui sont l’expression la plus atroce de la volonté de destruction de l’homme, doivent demeurer à part et ne pas s’élargir à la définition d’autres crimes.

Madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce projet de loi est un texte essentiel et attendu au regard de nos engagements internationaux pour que les droits de l’homme soient défendus à l’échelle mondiale. Le groupe UMP ne pouvait que l’approuver et le voter sans réserve. (Applaudissements sur les travées de lUMP. – M. Pierre Fauchon applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je tiens au préalable à remercier le président Badinter pour son combat, qui trouvera peut-être aujourd'hui sa récompense.

C’est évidemment avec une grande satisfaction que nous accueillons l’examen du deuxième dispositif d’adaptation à notre droit interne du statut de la Cour pénale internationale. Notre pays a en effet trop longtemps tergiversé et, aujourd’hui encore, je regrette de constater une certaine « frilosité » de la part des rédacteurs du projet de loi au regard des dispositions du statut de Rome. J’y reviendrai lorsque nous débattrons des amendements.

L’opportunité nous est pourtant donnée de porter haut la volonté de la France d’agir comme un membre actif d’une communauté internationale débarrassée des barbaries qu’elle a hélas ! subies et auxquelles elle pourrait de nouveau être confrontée ; une opportunité de porter haut les valeurs qui ont fondé la Charte des Nations unies à laquelle les rédacteurs du statut de Rome font largement référence.

Rappelons-nous que celle-ci s’est imposée comme une réponse de la conscience universelle à l’indicible des crimes commis au milieu du XXe siècle.

Hélas ! les génocides au Cambodge, en Yougoslavie ou au Rwanda sont là pour rappeler que l’horreur peut encore survenir. Dans le même temps, la création du tribunal de Nuremberg, du tribunal de Tokyo, du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, du tribunal pénal international pour le Rwanda, ou encore les poursuites diligentées à l’encontre du général Pinochet, sont incontestablement révélatrices d’une aspiration profonde de transparence et de justice de la part de la conscience universelle, et peut-être des opinions publiques.

Dans ces conditions, les droits de l’homme apparaissent davantage, malgré toutes leurs vicissitudes, comme une référence éthique universelle nécessaire, qui ne manquera pas d’être rappelée à la fin de cette année 2008, à l’occasion du soixantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

Il est de ce point de vue positif que le droit et la légalité tentent, certes difficilement, de se frayer un chemin, en dépit - ou probablement en raison – des tragédies toujours menaçantes, voire à l’œuvre. Les rédacteurs du statut de Rome n’ont-ils pas souligné dès le début du préambule que les États parties sont « conscients que tous les peuples sont unis par des liens étroits et que leurs cultures forment un patrimoine commun, et soucieux du fait que cette mosaïque délicate puisse être brisée à tout moment » ?

Avec la Cour pénale internationale, il s’agit bien sûr d’en finir à l’échelle du monde avec l’impunité dont ont trop souvent bénéficié les auteurs de génocides, de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Mais il s’agit aussi de plus que cela : la création de la Cour pénale internationale par la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies, le 17 juillet 1998, fruit d’un progrès venu de loin dans la conscience collective, comme la teneur des dispositions de son statut me paraissent potentiellement porteuses d’une évolution majeure de l’ordre international.

Bien entendu, le rôle de la CPI, ses compétences, ses droits n’ont pas manqué de susciter un débat serré, notamment au regard des nécessités – des priorités ? – politiques liées à la négociation des solutions aux conflits. Ce nouvel instrument judiciaire devait être acceptable par une majorité d’États pour être crédible et efficace dans les relations internationales d’aujourd’hui.

Pourtant, malgré la complexité de l’enjeu, la communauté internationale a su parvenir à se doter de cet outil juridique qui lui permet de sanctionner les crimes les plus graves commis à son encontre et qui vient par exemple de permettre l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, poursuivi pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » en République centrafricaine entre 2002 et 2003.

Elle a su se donner des moyens nouveaux en faveur du respect des droits humains les plus fondamentaux. Elle a su donner, et c’est l’essentiel, une vraie place aux victimes. Sur ce point, il était positif qu’ait disparu du projet de loi le monopole des poursuites donné au ministère public. Aujourd’hui, hélas ! deux amendements dont nous aurons à débattre visent, semble-t-il, à le rétablir.

Naturellement, la route est encore longue pour que s’établisse durablement un ordre international fondé sur une justice véritable, qui ne soit pas la justice des plus forts. Il y a tellement d’intérêts et de stratégies de puissances à bousculer ! Le refus d’un nombre encore trop important de pays, dont de grandes puissances, d’adhérer à la convention de Rome illustre les difficultés. La France elle-même ne s’est-elle pas protégée avec la réserve de l’article 124 ?

Mais faire progresser l’expression du droit et de la justice constitue, en soi, une avancée de civilisation. C’est aider à faire percevoir que les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, les génocides et, plus largement, les catastrophes humanitaires ne sauraient en aucun cas être considérés comme des fatalités, comme des conséquences inévitables liées aux guerres, aux conflits, aux dictatures, voire à la faim, à la misère.

Civiliser l’international pour faire reculer la violence politique est une ambition qui dépasse évidemment l’enjeu judiciaire. Cette ambition-là peut sembler relever de l’utopie, tellement le monde d’aujourd’hui est traversé de fractures profondes, de dominations, de crises et de frustrations sociales, mais elle doit être la nôtre. Les luttes menées pour la paix, contre le colonialisme et l’apartheid, contre la discrimination raciale et sexuelle, contre l’esclavage et pour l’abolition de la peine de mort nous montrent la voie à suivre.

Nous voyons bien que l’attente suscitée par la CPI est d’autant plus grande que le contexte de l’après-11-Septembre a consacré un recul du respect des normes internationales des droits de l’homme. Nombre d’États ont profité de l’aubaine symbolisée par Guantanamo ou Abou Ghraïb et consacrée par la doctrine de la guerre préventive pour renforcer leur autoritarisme au prétexte de lutter contre le terrorisme. Mon collègue Robert Bret, soutenant le premier projet de loi d’adaptation, ne rappelait-il pas que, dès décembre 2001, le Sénat américain adoptait une loi refusant aux États-Unis le droit de coopérer avec la future CPI ?

Dans ces conditions, le texte qui nous est proposé est-il à la hauteur des enjeux ?

Nous ne sommes pas, vous le savez, de celles et de ceux qui n’ont comme solution à proposer que l’aggravation constante de la répression et des peines. Nous sommes par ailleurs convaincus que la prévention des conflits ou des massacres ainsi que la fin de l’aide aux dictatures doivent être des priorités des acteurs des relations internationales. Ce n’est pas, hélas ! le chemin pris par ceux qui avancent l’idée d’un prétendu « choc des civilisations » susceptible de promettre les pires choses ou par ceux qui s’exonèrent du soutien aux droits de l’homme dans le monde en donnant la priorité aux intérêts économiques.

Nous ne sommes pas, disais-je, pour la sanction à tout prix, mais les crimes relevant de la compétence de la CPI sont d’une nature particulière, exceptionnelle, dans leur horreur même. Et par leur horreur même, ils touchent l’ensemble de la communauté humaine !

Notre pays a été particulièrement actif en faveur de la création de la CPI, puis il a beaucoup hésité. Tous les avant-projets élaborés depuis 2002 ont été critiqués par la CNCDH, par la quarantaine d’organisations réunies au sein de la coalition française pour la CPI, par la Croix-Rouge internationale. Le texte qui nous est soumis n’est pas non plus exempt de critiques, même si la commission des lois s’est attachée à l’améliorer quelque peu.

Aujourd’hui, la France accuse un véritable retard par rapport aux autres États parties, notamment européens, alors pourtant qu’elle s’apprête à présider l’Union européenne. L’occasion nous est aujourd’hui offerte de lui permettre de donner un signal fort dans la lutte contre l’impunité et, comme je l’ai dit, dans le combat qu’elle doit absolument mener en faveur de la justice, de la paix, de cet universalisme des valeurs que porte la CPI.

Je suis convaincue que la consolidation d’un système de justice pénale internationale fait partie de ces motifs d’espoir – parfois ténus – en la construction de la paix par le droit et la justice. Car la CPI est l’une de ces configurations qui surgissent à partir du réel chaos que notre pauvre monde nous donne à voir et qui rendent possibles des situations moins injustes. C’est pourquoi notre groupe défendra un certain nombre d’amendements en faveur d’une plus grande conformité avec le statut de Rome et avec les valeurs qu’il porte. Ainsi, nous défendrons l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la compétence territoriale élargie.

Pour terminer, permettez-moi de citer Mme Delmas-Marty : « Dans la mesure où il est l’expression des intérêts de l’humanité entière, le droit peut sauver le monde de sa potentielle barbarie ». Hélas ! nous en sommes bien loin. Je vous invite, mes chers collègues, à l’entendre et à agir en ce sens, c’est-à-dire en allant le plus loin possible dans la conformité au statut de Rome. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste – M. Louis Pinton applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui traite d’un sujet qui s’intègre dans une réflexion générale sur la construction d’un nouvel ordre mondial. En effet, le processus d’évolution des sociétés contemporaines, ce que nous dénommons « mondialisation », dépasse de plus en plus les cadres nationaux, voire continentaux.

Dans cette perspective, nous devons nous poser la question de ce que nous souhaitons. Quelle organisation mondiale voulons-nous construire, sur quels principes et sur quelles valeurs, sur quel fondement et sur quelle légitimité ? Faute de quoi nous nous abandonnerions à une mondialisation anarchique, grosse de bien des dangers.

Bien entendu, cette question ne se pose pas dans tous les domaines, mais je pense par exemple à l’environnement, au commerce, au transport, à la pêche, aux migrations et à tant d’autres sujets pour lesquels nous nous apercevons que les cadres nationaux ou continentaux ne sont pas à la hauteur des enjeux.

Il m’apparaît que le droit pénal international fait également partie de ces domaines qui s’inscrivent dans une réflexion générale sur les caractères, disons-le, d’une civilisation mondiale à construire.

La question de la justice pénale internationale est très importante, car elle nous conduit à réfléchir sur la pertinence de certaines des règles juridiques traditionnelles auxquelles nous sommes mentalement habitués. En la matière, le droit communautaire apporte quelques enseignements utiles, mais le contexte de la Cour pénale internationale n’est pas le même : il se situe davantage sur le terrain de ce que l’on nomme communément la coopération « conventionnelle », ce qui implique une approche différente.

Cette justice d’une dimension nouvelle nous oblige donc à confronter les nouveaux principes d’une justice internationale avec ceux qui régissent notre droit pénal traditionnel et, je n’hésite pas à le dire, qui le font craquer ici ou là. Car qui dit structure mondiale nouvelle dit rupture avec certains des principes actuels de notre droit ; c’est adhérer à des constructions juridiques qui échappent aux conceptions nationales pour s’adapter à la mondialisation.

L’adhésion à des schémas nouveaux se fait petit à petit en signant des conventions et en procédant à des adaptations qui obligent à inscrire dans notre ordonnancement juridique des termes qui sont parfois nouveaux. C’est tout l’intérêt d’aborder un tel sujet, qui nous impose une réflexion profonde et novatrice.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui appelle ce type d’exercice. Il tente de faire coïncider les notions de la convention avec nos notions juridiques.

C’est le deuxième texte de nature législative. Cette fois-ci, il s’agit essentiellement de permettre d’intégrer les incriminations prévues par la convention ne figurant pas dans le code pénal, en particulier celles qui concernent les crimes de guerre. Par ailleurs, il est proposé d’incriminer l’incitation directe publique à commettre un génocide et de retenir la qualification de complicité d’un crime contre l’humanité.

Au-delà de ces mesures, quelques questions se sont vite imposées. En effet, l’adaptation de notre droit à la convention de Rome impose de confronter quelques-uns de nos principes fondateurs avec ceux d’une justice internationale. Il en est ainsi de la compétence dite un peu abusivement « universelle », des prescriptions, questions qui ont été évoquées tout à l’heure par Robert Badinter, ou encore de l’harmonisation des définitions nationale et internationale des crimes.

Je m’attarderai sur deux points particuliers, qui feront l’objet d’amendements présentés par mon collègue François Zocchetto et moi-même : il s’agit de la « compétence universelle » des tribunaux nationaux et de la définition dans le code pénal des crimes contre l’humanité et des génocides.

En ce qui concerne la compétence dite universelle, qui est le principal point de difficulté, je rappelle qu’il s’agit de permettre à des juges nationaux de réprimer des infractions commises par des particuliers en dehors du territoire de la République alors que ni le criminel ni la victime ne sont des ressortissants français. C’est évidemment tout à fait novateur.

Cette question soulève d’importantes difficultés, notamment celles concernant le respect de la souveraineté des États. L’affaire qui a opposé la Belgique et la République démocratique du Congo en est l’exemple caractéristique.

J’ai souhaité soutenir cette position et intervenir dans le débat pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, dans notre code de procédure pénale, sont déjà prévus quelques cas de compétence extraterritoriale des tribunaux français : il s’agit, notamment, des crimes de terrorisme et des crimes de torture.

La question est donc simple : pourquoi ne pas prévoir cette possibilité pour les crimes visés par la convention de Rome, qui sont, qui plus est, les plus graves et les plus inhumains, à savoir les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité ?

Comme l’a rappelé M. Bruno Cotte lors de son audition par la commission, le préambule du statut dispose : « Il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».

Certes, M. le rapporteur l’a souligné – notre excellent rapporteur, aurais-je dû dire (sourires) –, l’application de la compétence universelle des tribunaux français en matière de terrorisme et de torture soulève quelques incertitudes, dont celle portant sur le champ d’application géographique, celle tenant aux difficultés pratiques de sa mise en œuvre et celle tenant au lien de rattachement entre la personne soupçonnée et nos juridictions. Dans ces domaines, il faut incontestablement innover et dépasser, en quelque sorte, nos habitudes mentales.

Sur cette dernière difficulté, j’avoue humblement avoir hésité entre le critère de résidence, qui me paraissait plus prudent et plus raisonnable, et celui de simple présence, qui est plus radical. Ce matin, la commission des lois, se rendant à l’argumentation ô combien ! convaincante et éloquente de M. Badinter, a tranché à une large majorité en faveur de la simple présence, qui correspond d’ailleurs à ce que prévoit déjà notre procédure pénale pour le terrorisme et la torture.

J’ai donc rectifié mon amendement en ce sens. Cependant, je reste ouvert à la discussion, d’autant que j’ai cru comprendre que M. le rapporteur n’était pas encore totalement convaincu en dépit du vote de la commission. D’ailleurs, c’est son droit le plus strict de continuer ses méditations, qui sont, comme chacun le sait, très profondes, très informées et très averties. Le débat m’éclairera sans doute. Il n’est pas impossible que je revienne à la rédaction que M. Zocchetto et moi-même avions conçue à l’origine.

Quoi qu’il en soit, dans les deux rédactions, l’essentiel de mon propos est satisfait.

Premièrement, par ce texte, nous voulons affirmer notre volonté de refuser que la France devienne un espace d’impunité et qu’elle accepte d’apparaître – c’est ce qui me choque le plus – comme une terre de refuge sécurisée pour des criminels particulièrement odieux. La notion de résidence satisfait à ce souci.

Deuxièmement, je crois à l’effet dissuasif de cette mesure. Il faut bien le dire, madame le garde des sceaux, les sanctions pénales que nous ne cessons d’aggraver ont peu d’effet dissuasif dans la plupart des cas. Mais, en l’occurrence, on peut penser que tel ne sera pas le cas, car les autorités de par le monde seront informées des dispositions que nous prenons et elles ne pourront pas ignorer le risque que cette compétence leur fera courir, même si nous adoptions la rédaction plus modérée à laquelle je faisais allusion.

Rappelons que la France a été l’un des acteurs les plus actifs lors de l’institution de la Cour pénale internationale. Elle a donc le devoir d’être exemplaire. En effet, la France demeure l’un des rares pays à ne pas avoir intégré dans sa législation le principe d’une compétence universelle. Il serait regrettable que cette carence persiste.

Certes, nos voisins européens ont intégré ce principe de manière partielle ou très encadrée – le doyen Patrice Gélard a exploré ce sujet avec la sagacité qui le caractérise et a constaté que ce n’était pas si évident –, mais ils l’ont reconnu, ce qui est le principal, parce qu’il témoigne d’une réelle volonté de combattre les crimes internationaux.

Enfin, le principe de la complémentarité, inscrit dans le statut de Rome, veut que la France déclare ses tribunaux compétents pour juger les auteurs de crimes qui se trouveraient en France, comme elle le fait déjà pour les auteurs de certains crimes de torture, de terrorisme, de corruption.

Pour l’ensemble de ces raisons, je crois nécessaire que nous inscrivions dans le code de procédure pénale la compétence universelle pour les crimes les plus graves, ceux qui affectent la communauté internationale tout entière.

J’en viens à une autre question liée à la Cour pénale internationale, sur laquelle je serai plus bref, à savoir la définition du génocide et des crimes contre l’humanité, plus particulièrement l’exigence de l’exécution d’un plan concerté pour les reconnaître.

Dans le code pénal et dans le projet de loi qui nous est soumis, l’un des éléments constitutifs du génocide et du crime contre l’humanité est la réunion de faits réalisés en exécution d’un plan concerté. Or cette condition me semble inutile et extrêmement difficile à satisfaire.

Dès lors que les faits sont constitués, il doit être possible de les qualifier de génocide ou de crime contre l’humanité, car ces définitions correspondent à la réalité des faits tels qu’ils sont établis. Il s’agit de crimes suffisamment graves pour ne pas ajouter des conditions trop contraignantes et des preuves généralement impossibles à établir.

Quand on décide de perpétrer un génocide, on n’établit pas un procès-verbal que l’on déposera ensuite chez le notaire. Il ne faut donc pas espérer trouver un plan concerté. Si des concertations ont sans doute lieu, elles se déroulent verbalement et ne laissent pas de trace. Même si nous savons que, lors de l’horrible génocide des juifs, il y a eu une célèbre réunion qui a effectivement été un plan concerté, il s’agit d’une exception historique qui ne peut pas servir de base à l’édification de règles systématiques et générales. C’est pourquoi je proposerai deux amendements visant à supprimer cette condition.

Il est évident que ce texte constitue un progrès considérable, car il permet d’incriminer la quasi-totalité des infractions visées par la convention de Rome et donc de poursuivre les crimes internationaux les plus graves. Toutefois, j’espère que vous saurez répondre à nos attentes, qui ne feront qu’améliorer notre participation dans la mise en place d’une justice pénale internationale. Ainsi, un message fort serait envoyé non seulement à l’ensemble des signataires de la convention, mais aussi aux criminels, qui ne verraient plus la France comme un asile doré.

Vous avez dit, madame la garde des sceaux, qu’il s’agirait de satisfaire sans réserve aux engagements de la France. Nous placerions ainsi notre pays au premier plan dans la lutte contre les crimes internationaux, ce qui lui donnerait le droit de revendiquer le beau titre de patrie des droits de l’homme. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter d’un projet de loi extrêmement complexe, mais passionnant, puisqu’il vise à mettre en conformité notre droit pénal avec le statut de la Cour pénale internationale.

Loin de n’intéresser que les juristes, ce texte constitue une occasion fondamentale de réaffirmer notre engagement à lutter de manière efficace et constructive contre l’impunité des crimes reconnus comme les plus graves par le droit international.

L’exercice est ardu : on n’adapte pas le droit pénal international comme on transpose une directive ; chaque mot compte, chaque définition doit être pesée et appréciée en fonction non seulement du statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais également des contraintes de notre propre système juridique. Notre tradition pénale, nos critères de qualification et d’imputabilité, voire notre vocabulaire pénaliste, diffèrent de ceux du droit international.

C’est ce qui rend cet exercice d’adaptation aussi passionnant que complexe. Comment garantir la fidélité de notre droit pénal au statut de Rome de la Cour pénale internationale sans pour autant se laisser emporter par des règles internationales parfois impossibles à convertir en raison de leur caractère éminemment politique ?

Dans un autre sens, comment garantir l’effectivité des règles internationales en droit interne sans les vider de leur contenu, sans les dénaturer, sans les détourner de leur sens initial à force d’adaptation ?

La relation de la France à la Cour pénale internationale est ambiguë. Notre pays s’est largement investi dans sa mise en place. Pourtant, l’article 121 du traité lui a permis, durant sept ans, de se soustraire aux dispositions dudit traité relatives aux crimes de guerre.

Aujourd’hui, cette réserve est caduque ; il faut donc que la France prenne ses responsabilités. Nos militaires ont été protégés contre toute poursuite durant toutes ces années, notamment en raison de leurs engagements à Srebrenica et au Rwanda.

Nous devons maintenant assumer la mission qui est la nôtre : permettre à nos tribunaux de poursuivre les auteurs des crimes les plus graves.

En raison de son objet, ce texte est en soi un bon texte : il améliore de manière substantielle, par exemple, la lutte contre les crimes contre l’humanité. Au régime embryonnaire de l’ancien article 212-1 du code pénal se substituera enfin une liste complète d’incriminations, conforme au statut de la Cour pénale internationale.

Je n’en dirai pas autant en ce qui concerne les crimes de guerre.

Après sept années de non-droit en la matière en raison de la réserve de la France au titre de l’article 121, ce projet de loi se situe en deçà des engagements internationaux de la France. En effet, il édulcore littéralement les crimes de guerre. Nous aurons tout le loisir de revenir sur ces carences, mais permettez-moi dès à présent de formuler quelques commentaires sur trois points qui me paraissent essentiels.

Je constate, d’abord, que la liste des infractions figurant dans l’article 7 du présent projet de loi n’englobe pas toutes les incriminations définies dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. Je prendrai pour exemple le viol, qui est absent de cette liste, alors même qu’un nouvel article, l’article 461-4, est spécifiquement consacré aux crimes de guerre de nature sexuelle.

Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’un oubli. N’est-ce pas tout simplement une survivance contestable de l’article 121 de la convention de Rome, qui empêchera de faire condamner pour crime de guerre des soldats français qui procèderont à de tels actes ?

Ce projet de loi entretient ni plus ni moins une prime à l’impunité, alors même que son objet est justement d’y mettre fin.

Refuser d’inscrire le crime de viol dans la liste des infractions est une abdication de la France devant ses obligations internationales ! Non seulement cette carence est contraire au statut de Rome de la Cour pénale internationale, mais elle est également contraire aux conventions de Genève et à ses protocoles.

Concernant la compétence universelle, nous déplorons la timidité de la France, laquelle se distinguerait de la plupart de ses partenaires européens et mondiaux. En effet, si le statut de Rome n’oblige pas les États à reconnaître cette compétence à leurs propres tribunaux, la France devrait-elle attendre d’y être obligée pour s’engager avec la même détermination que les autres pays dans la lutte contre l’impunité s’agissant des crimes les plus graves ?

Notre pays donne ainsi l’impression d’entrer à reculons, peut-être contre son gré, dans un système de justice pénale internationale dont, pourtant, il a été l’un des architectes il y a dix ans.

Quant à l’obligation pour un pays de remettre l’auteur d’un de ces crimes à la Cour pénale internationale, elle n’existe pas puisque le statut de Rome donne la priorité aux tribunaux nationaux. La Cour pénale internationale ne peut être saisie que par défaut si les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent se saisir eux-mêmes, sauf si le Conseil de sécurité des Nations unies en décide autrement.

Enfin, je salue le travail de la commission, qui a permis d’avancer sur ce point.

Je rappelle qu’en refusant de juger les criminels internationaux qui se trouvent sur son territoire, en prétendant laisser cette responsabilité à la seule Cour pénale internationale, la France donnerait une image regrettable ; elle deviendrait peut-être une terre d’impunité au lieu d’être cette terre de justice que nous défendons.

Pour conclure, madame la ministre, j’insisterai sur un dernier point, qui me semble capital : l’imprescriptibilité des crimes de guerre est elle aussi absente du projet de loi.

Notre mission de parlementaire ne doit pas se traduire par un acquiescement aveugle face à la technicité de ce texte. Il nous revient de pointer du doigt les carences de ce projet de loi et, le cas échéant, d’obtenir des explications crédibles sur les points que nous estimons fondamentaux.

Pourquoi ne pas reconnaître l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des peines qui y sont attachées ? Je sais que les crimes de guerre sont différents des crimes contre l’humanité, mais les deux me semblent nécessiter une justice, car, comme l’a dit M. Badinter, sans justice il n’existe pas de paix durable.

Loin de traduire simplement une mise en conformité de notre droit avec le statut de Rome de la Cour pénale internationale, ce texte est également, j’en suis consciente, un outil de transcription d’une certaine conception politique de la lutte contre les crimes de guerre ; j’y reviendrai lors de la défense de mes amendements. La France doit affronter ses vieux démons et inscrire sa politique pénale dans la démarche volontariste et universaliste qui est prévue dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Notre pays doit donner l’exemple : fidèle à sa tradition de défense des droits humains, patrie des droits de l’homme, la France doit aller de l’avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Avant de répondre précisément à tous les orateurs qui se sont exprimés, je tiens à souligner que nous partageons tous ici un même objectif : permettre à la justice pénale internationale de s’affirmer. Le Gouvernement poursuivra ses efforts en ce sens. Il continue à lui en donner les moyens encore aujourd'hui.

Je tiens également à réaffirmer que la France a voulu une justice internationale, car aucun État n’est au-dessus d’un autre.

Nous ne pouvons prétendre juger l’ensemble des crimes de la planète. Nous ne pouvons pas suppléer toutes les justices nationales défaillantes. Si nous créons une justice internationale, c’est pour qu’elle assure ce rôle ; c’est sa vocation. Elle en a la légitimité et les moyens juridiques, contrairement à certains États.

Monsieur le rapporteur, je veux vous remercier de la qualité de votre analyse, qui a contribué à enrichir substantiellement ce projet de loi.

Monsieur Badinter, vous avez souligné, à juste titre, que la Cour pénale internationale était complémentaire des juridictions nationales et que les questions soulevées transcendaient les clivages politiques.

Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui vise à réaliser l’harmonisation de la législation nationale et il s’inscrit dans cette philosophie.

Je partage également votre analyse sur le fait de réserver aux crimes contre l’humanité le régime de l’imprescriptibilité.

Enfin, je tiens à vous indiquer que le Gouvernement a pris la décision de procéder au retrait de la déclaration faite au titre de l’article 124 du statut de Rome : la France reconnaît désormais la compétence de la Cour pénale internationale pour juger les crimes de guerre à compter du 15 juin prochain.

Monsieur Portelli, vous avez rappelé les enjeux de ce projet de loi, et je souscris tout à fait à votre analyse sur la compétence universelle. Il est évident qu’une telle compétence revient à concurrencer la Cour pénale internationale dont c’est la vocation.

Madame Borvo Cohen-Seat, rien n’obligeait les États à introduire dans leur droit les crimes relevant de la Cour pénale internationale. Nous avons souhaité le faire. Sur bien des points, la France va au-delà de la convention de Rome dans la répression des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre.

Monsieur Fauchon, je rends hommage à votre investissement personnel dans l’examen de ce projet de loi ; vous connaissez très bien ce sujet. Comme vous, le Gouvernement est soucieux d’éviter que la France ne soit une terre d’asile pour les auteurs des crimes les plus graves ; la discussion des articles le confirmera.

Madame Boumediene-Thiery, je vous remercie d’avoir salué ce projet de loi comme un bon texte, même si vous considérez qu’il est insuffisant. La réserve que vous avez formulée s’agissant des crimes de guerre devrait être levée par la disposition que j’ai annoncée précédemment en réponse à M. Badinter.

Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.

CHAPITRE IER

DISPOSITIONS MODIFIANT LE CODE PÉNAL

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 1er

Article additionnel avant l'article 1er ou avant l'article 2

Mme la présidente. Je suis saisie de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 11, présenté par M. Fauchon, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Dans la première phrase du premier alinéa de l'article 211-1 du code pénal, les mots : «, en exécution d'un plan concerté » sont supprimés.

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Je m’en suis expliqué tout à l’heure : il est très difficile d’apporter la preuve d’un plan concerté. On peut renoncer à cette exigence, car c’est trop demander aux plaignants que d’apporter une telle preuve.

Généralement, aucun plan concerté n’est déposé aux archives, ce qui serait trop commode ; il s’agit plus de consignes verbales.

Dès lors que la preuve des faits est rapportée et que ces faits caractérisent le génocide ou les autres crimes contre l’humanité, cela suffit ; il en résulte implicitement une concertation.

C’est pourquoi je propose de supprimer cette exigence d’un plan concerté.

Mme la présidente. L'amendement n° 13, présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le premier alinéa de l'article 211-1 du code pénal, les mots : « en exécution d'un plan concerté tendant à » sont remplacés par les mots : « en vue de ».

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement rejoint celui de M. Fauchon. Nous n’avons aucune raison de nous mettre des entraves dans la poursuite et le châtiment des criminels contre l’humanité. Il est inutile, au regard du statut de Rome, de rajouter l’exigence de la preuve d’un plan concerté de génocide ou de crime contre l’humanité.

Si cette exigence est inscrite dans le code pénal, c’est en raison des conditions particulières des affaires Barbie, Touvier et autres. En effet, s’agissant des nazis, il y avait eu un plan concerté et, dans le style étonnamment bureaucratique propre à ce régime, on avait conservé toutes les preuves ; je pense à la conférence de Wannsee, qui a réuni tous les dignitaires nazis, avec les procès-verbaux d’Heydrich et d’Eichmann.

Cependant, s’agissant de la preuve d’un génocide, vous n’allez tout de même pas considérer qu’il faut, comme condition substantielle, démontrer l’existence d’un plan concerté visant à exterminer des populations civiles, à massacrer la population de tel village. Cela n’a pas de sens !

Si nous posons cette exigence comme l’un des éléments de l’incrimination, nous serons tenus par ce texte, ce qui sera autant de facilités données à l’auteur de ces crimes.

Il ne peut donc être question de maintenir une mesure qui était liée aux circonstances exceptionnelles du conflit de 1939-1945 : la présente modification de notre droit tend à assurer, de la façon la plus large possible, la poursuite des criminels contre l’humanité. Par conséquent, point n’est besoin d’apporter la preuve d’un plan concerté.

Mme la présidente. L'amendement n° 40, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Avant l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le premier alinéa de l'article 211-1 du code pénal, les mots : « en exécution d'un plan concerté tendant à » sont remplacés par les mots : « en vue de ».

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Même amendement, même argument, sachant que l’article 211-1 du code pénal exige l’existence d’un plan concerté pour qualifier le crime de génocide.

Or, cela a été rappelé, cette condition est absente de l’article 6 du statut de Rome, lequel reprend la définition exacte incluse dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, que la France a ratifiée le 14 octobre 1950.

Ainsi, maintenir l’article 211-1 en l’état aurait pour effet de restreindre le champ d’application du crime de génocide et pourrait soulever d’importantes difficultés de preuve.

La même question se posera d’ailleurs à l’article 2, à propos des crimes contre l’humanité. Nous y répondrons par un amendement visant à réécrire ledit article.

Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le premier alinéa de l'article 211-1 du code pénal, les mots : « en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle, d' » sont remplacés par les mots : « dans le dessein formé de détruire, en tout ou partie, ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à rendre cohérente la définition du génocide issue de l’article 6 du statut de Rome de la Cour pénale internationale avec celle qui figure dans le code pénal à l’article 211-1, que nous proposons de réécrire.

Il est évident qu’il ne s’agit pas de dénaturer la définition du code pénal, à certains égards plus protectrice, puisqu’elle étend le crime de génocide à l’égard d’un groupe fondé sur « tout autre critère arbitraire ».

En revanche, le code pénal - c’est d’ailleurs un problème qui se pose également pour la définition du champ des crimes contre l’humanité, sur laquelle je reviendrai - pose le principe d’un plan concerté. Celui-ci renvoie à l’organisation préméditée et en groupe du crime de génocide. Pourtant, le crime de génocide peut être le fait d’une personne agissant en qualité de commanditaire.

Cette notion me paraît floue, restrictive et ne définit pas avec suffisamment de précision l’élément intentionnel.

Le présent amendement prévoit donc de lui substituer la notion de « dessein », visée à l’article 132-72 du code pénal et définissant la préméditation. Ainsi, la définition du génocide dans le code pénal serait conforme avec celle qui découle de l’article 6 du statut de la CPI.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je vais apporter une réponse globale à ces quatre amendements.

La notion de « plan concerté » figure dans le code pénal aux articles 211–1, qui traite du génocide, et 212–1, qui concerne les autres crimes contre l’humanité. C’est l’une des conditions qui permet de caractériser le crime contre l’humanité ; elle était déjà prévue dans la charte du tribunal de Nuremberg.

Cette notion de plan concerté répond à une préoccupation juridique. Cela ne veut pas dire que le plan concerté doit être écrit, bien évidemment. Elle permet de décider si certaines atteintes aux personnes, telles que l’assassinat, la torture, les violences, l’enlèvement, etc., relèvent du crime contre l’humanité ou non.

Avec l’introduction du crime de guerre dans le code pénal, qui recouvre pour partie les infractions visées par l’article 212–1, la référence au plan concerté apparaît d’autant plus utile : elle permettra d’éviter de qualifier les infractions qui relèvent de crimes de guerre comme crimes contre l’humanité, donc de banaliser la notion.

Il est vrai, cependant, que la notion de plan concerté soulève une interrogation : comment prouver l’existence d’un plan concerté ? Il ne faut peut-être pas exagérer cette difficulté, car le plan concerté peut se déduire de l’ampleur du crime commis sans qu’il soit nécessaire de prouver l’existence de documents attestant la réalité de ce plan.

Je souhaite donc connaître la position du Gouvernement sur les conditions dans lesquelles peut être apportée la preuve du plan concerté. S’il confirme l’interprétation que je viens de vous proposer, je demanderai alors le retrait des quatre amendements.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cette notion de plan concerté existe déjà dans le code pénal. Elle permet de traduire l’extrême gravité des faits et nous devons maintenir cette extrême gravité en ayant un champ circonscrit – ce qui ne veut pas dire restreint -, afin de prendre en compte l’atrocité de ce type de crimes. En effet, plus on étendra le champ, plus on enlèvera de critères aux conditions, plus on dénaturera la gravité de ces crimes.

D’ailleurs, cette notion est reprise directement, comme l’a indiqué M. le rapporteur, dans la charte du tribunal de Nuremberg. C’est ce qui permet la distinction entre le crime contre l’humanité et le crime de masse.

Le crime de masse ne procède pas d’une idéologie construite, d’une pratique organisée ou d’une logique planifiée. Ainsi, c’est ce qui caractérise - on en connaît des exemples en ce moment - les attaques généralisées et systématiques contre des étrangers qui ne relèvent pas d’une politique d’élimination ciblant certaines populations. C’est vraiment ce qui le différencie du crime contre l’humanité où existe une volonté idéologique ou politique d’éliminer une catégorie de la population.

La notion de plan concerté traduit d’ailleurs ce que prévoit le statut de Rome de la CPI qui vise les actes commis en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation.

Surtout, la notion de plan concerté n’est pas un obstacle juridique puisque le génocide, par exemple, peut se déduire des faits. Il n’est pas nécessaire que l’idéologie ou sa mise en œuvre soit formalisée dans des lois, des décrets ou toute autre forme de moyens juridiques.

Les moyens de preuve d’un crime contre l’humanité ne sont donc pas restrictifs : la façon dont le crime a été commis suffit à établir l’existence d’un plan concerté.

Laissons la traduction de l’extrême gravité au crime contre l’humanité, avec ce critère de plan concerté, dont, je le répète, les moyens de preuve ne sont pas restreints.

Nous souhaitons donc le retrait des quatre amendements ; sinon, nous émettrons un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Fauchon, l’amendement n° 11 est-il maintenu ?

M. Pierre Fauchon. Je retiens des propos de Mme le garde des sceaux que la preuve des faits suffit à en déduire la preuve d’un plan concerté ; cela figurera au procès-verbal. Il n’y a donc pas de preuve complémentaire et spéciale à apporter d’un plan concerté.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est donc pas la peine de le prévoir !

M. Pierre Fauchon. Dans ces conditions, je retire mon amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 11 est retiré.

Monsieur Badinter, l’amendement n° 13 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Il est hors de question de retirer cet amendement.

Encore une fois, l’objectif commun, c’est de lutter le plus efficacement possible contre l’impunité des criminels contre l’humanité.

À l’article 7 du statut de Rome - car c’est cela, d’abord, dont il est question ici -, on peut lire : « Aux fins du présent statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ». C’est aussi clair que possible ! Dans cette définition, ne figure pas l’exigence d’un plan concerté.

Sans revenir sur les années de discussions qui ont précédé l’élaboration du nouveau code pénal, je souligne quand même, pour avoir présidé à la Chancellerie la commission de révision du code pénal, que, si a été ajoutée, en cours de travaux parlementaires, la notion de plan concerté, c’est parce que cela permettait de distinguer entre les crimes contre l’humanité commis par les nazis et de rattacher, en ce qui concerne les Français, la notion de complicité.

Dans le code pénal, sont évoquées « la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d’actes inhumains - tout ce qui est visé évidemment dans le statut de Rome –  inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux - cela va de soi – et organisées en exécution d’un plan concerté… »

On n’a pas besoin de prévoir d’autres exigences que celles qui figurent dans le statut pour poursuivre ces criminels. En ajoutant cette condition de preuve, vous facilitez la tâche aux criminels : ils diront qu’ils étaient inspirés par une idéologie, ou tout autre motif, et qu’ils voulaient tuer telle ethnie, sans que, pour cela, il y ait eu un plan concerté et sans, surtout, que l’on soit capable d’en apporter la preuve.

Pourquoi en fait-on une condition ? J’avoue ne pas pouvoir vous suivre dans cette démarche. D’ailleurs, le doyen Patrice Gélard a, au cours des auditions, entendu à cet égard bien des opinions et il sait comme moi que nous entravons notre propre lutte.

Donc, je maintiens cet amendement.

Mme la présidente. Madame Borvo Cohen-Seat, l’amendement n° 40 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la ministre, vous dites vous-même qu’un plan concerté écrit, visible, en quelque sorte, n’est pas nécessaire, puisque celui-ci peut se déduire des faits eux-mêmes. Alors, pourquoi en faire une condition ? Cela donnera simplement la possibilité à la défense des criminels de guerre de dire qu’il n’y a pas de plan concerté parce qu’il n’y a pas de document prouvant son existence. Je trouve que c’est incompréhensible.

Je maintiens cet amendement, car je crois qu’il faut supprimer l’exigence d’un plan concerté.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l’amendement.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 40.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 1er ou avant l'article 2
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 2

Article 1er

Après l'article 211-1 du code pénal, il est inséré un article 211-2 ainsi rédigé :

« Article 211-2. - La provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un génocide est punie de la réclusion criminelle à perpétuité, si cette provocation a été suivie d'effet.

« Si la provocation n'a pas été suivie d'effet, les faits sont punis de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende. ».

Mme la présidente. La parole est à M. Robert Bret, sur l'article.

M. Robert Bret. Monsieur la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, cet article 1er, qui incrimine la « provocation publique et directe, par tous moyens, à commettre un génocide », prévoit une distinction selon que la provocation a été suivie ou non d’effet. Elle est considérée, dans ce dernier cas, non comme un crime, mais comme un délit.

Ce n’est pas la seule disposition du texte qui envisage la correctionnalisation de certains actes. Le projet de loi prévoit, dans son article 7, des « délits de guerre » aux côtés des crimes de guerre.

Le statut de Rome, quant à lui, ne prévoit aucune distinction et qualifie tous les actes de « crimes ».

Nous sommes, nous l’avons dit, très attentifs au respect par notre pays des dispositions du statut fondateur de la CPI. Nous avons entendu, comme vous, les organisations non gouvernementales, les ONG, les organisations de la société civile qui défendent l’idée que tout acte relevant de la CPI ne peut être qualifié que de crime, ainsi que cela est prévu dans le statut.

De surcroît, le droit international tend à soumettre les crimes internationaux à un régime juridique homogène. Ainsi, nous nous sommes interrogés sur la légitimité et sur l’opportunité de qualifier certains actes de « délits ». Nous nous sommes demandé si cela permettra de poursuivre ces actes et de les sanctionner à la hauteur nécessaire, en prenant acte, bien entendu, de l’aggravation des peines prévues dans le projet de loi.

En même temps, et vous le savez bien, mes chers collègues, nous avons trop souvent eu l’occasion de le souligner dans cet hémicycle, nous ne sommes pas des partisans de la répression à tout-va.

Autrement dit, pour nous, la réponse ne va pas de soi. Cela étant, nous avons préféré maintenir une cohérence avec l’échelle des peines prévue dans notre droit pénal.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.

(L'article 1er est adopté.)

Article 1er
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article additionnel avant l’article 3

Article 2

Le premier alinéa de l'article 212-1 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :

« Constitue également un crime contre l'humanité et est puni de la réclusion criminelle à perpétuité l'un des actes ci-après commis en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique :

« 1° L'atteinte volontaire à la vie ;

« 2° L'extermination ;

« 3° La réduction en esclavage ;

« 4° La déportation ou le transfert forcé de population ;

« 5° L'emprisonnement ou toute autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ; 

« 6° La torture ;

« 7° Le viol, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;

« 8° La persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international ;

«  9° L'arrestation, la détention ou l'enlèvement de personnes, suivis de leur disparition et accompagnés du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort qui leur est réservé ou de l'endroit où elles se trouvent ;

« 10° Les actes de ségrégation commis dans le cadre d'un régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination d'un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l'intention de maintenir ce régime ;

« 11° Les autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique. »

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 41, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

Constitue également un crime contre l'humanité et est puni de la réclusion criminelle à perpétuité l'un quelconque des actes ci-après lorsqu'il est commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :

1° Meurtre ;

2° Extermination ;

3° Réduction en esclavage ;

4° Déportation ou transfert forcé de population ;

5° Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ;

6° Torture ;

7° Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;

8° Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d'ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d'autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour ;

9° Disparitions forcées de personnes ;

10° Crime d'apartheid ;

11° Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 2 vise à modifier l’article 212-2 du code pénal relatif aux crimes contre l’humanité. L’intention du Gouvernement est ici d’englober certains comportements visés par l’article 7 du statut de la CPI et qui, dans la rédaction actuelle de l’article 212-2, ne sont pas expressément qualifiés de crimes contre l’humanité.

Mais cet article n’effectue qu’un rapprochement timide, à mon sens, et pour le moins insuffisant vers le statut. En effet, l’article 2 reprend la notion de « plan concerté », qui existe certes dans le code pénal, mais non dans le statut. C’est la raison pour laquelle nous avons défendu des amendements pour le supprimer, amendements que vous avez rejetés.

Cela est regrettable puisque cette notion de plan concerté risque de réduire le champ d’application du crime de génocide et du crime contre l’humanité.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pas du tout !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourtant, l’article 2 du projet de loi, inspiré de l’article 7 du statut, reprend cette notion, alors qu’elle n’est pas constitutive d’un crime contre l’humanité au regard du statut. Le projet de loi réduit donc la portée de ce dernier.

Par ailleurs, l’article 2 omet de mentionner certains crimes, pourtant présents dans la liste des infractions constitutives d’un crime contre l’humanité énumérées à l’article 7 du statut. Il n’est fait mention ni du meurtre, ni de l’esclavage sexuel, ni de la disparition forcée, ni du crime d’apartheid. Dans ce dernier cas, seuls les actes de ségrégation sont visés, alors que le statut prévoit que le crime d’apartheid s’entend de tout acte prévu par l’article 7 - meurtre, extermination, réduction en esclavage, etc. - « commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime ».

Le statut prévoit donc un champ de l’incrimination d’apartheid plus large que les actes de ségrégation mentionnés dans le projet de loi.

Nous avons choisi de réécrire l’article 2 en reprenant les termes du statut, afin qu’il n’y ait pas de disparité entre le statut et notre législation nationale et que cet article couvre l’ensemble des crimes contre l’humanité.

Mme la présidente. L’amendement n° 34, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après le mot :

commis

Rédiger ainsi la fin du deuxième alinéa de cet article :

dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre un groupe de population civile et en connaissance de cette attaque

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Malgré le vote de notre assemblée sur les amendements précédents, nous voulons revenir sur la suppression de la notion de « plan concerté ».

Je rappelle, une fois de plus, que cette notion n’existe pas dans le statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’adoption de notre amendement permettrait de rétablir une cohérence entre notre code pénal et la définition des actes donnée par le statut de Rome.

Je regrette d’être obligée de demander une nouvelle fois cette suppression.

Mme la présidente. L’amendement n° 12, présenté par M. Fauchon, est ainsi libellé :

Au deuxième alinéa de cet article, supprimer les mots :

en exécution d’un plan concerté

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Je retire cet amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L’amendement n° 12 est retiré.

L’amendement n° 30, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Dans le neuvième alinéa (7°) de cet article, après le mot :

viol

insérer les mots :

, l’esclavage sexuel

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement porte sur la notion d’esclavage sexuel.

Il est pour le moins étonnant que, dans le cadre de l’établissement d’une liste des crimes considérés comme des crimes de guerre, le projet de loi n’ait pas repris, en substance, les incriminations prévues par le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Certes, la liste des actes qualifiés de crimes contre l’humanité par le nouvel article 212-1 du code pénal est plus importante que celle de l’ancien article 212-1. Cependant, cette liste n’est pas tout à fait conforme à celle qui est définie à l’article 7, paragraphe 1, notamment au g, du statut de Rome, qui contient expressément la référence à l’esclavage sexuel.

La référence, au 11° du nouvel article 2, aux « autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique » est en effet insuffisante. Il me semble que toute forme d’esclavage, y compris l’esclavage sexuel, devrait être explicite dans le texte de la loi. Soit il s’agit d’un oubli intentionnel, soit il s’agit d’une omission qu’il convient de corriger par l’adoption de cet amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 36, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Compléter le onzième alinéa (9°) de cet article par les mots :

dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement aborde la question des disparitions forcées.

La définition qui est donnée par le 9° de l’article 212-1 de la disparition forcée ne reprend que partiellement la définition de la disparition forcée donnée par le droit international et européen. Il y manque en effet la notion de soustraction à l’empire de la loi, qui est un élément de la qualification juridique de la disparition forcée.

Ainsi, la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées signée par la France le 6 mai 2007 prévoit, en son article 2, que la disparition forcée s’entend de « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. »

Cet amendement tend donc à intégrer ce dernier élément dans la définition du crime de disparition forcée.

Certains, dans cet hémicycle, peuvent considérer que cet ajout aurait pour effet de restreindre le champ des disparitions forcées en excluant les disparitions forcées du fait d’organisations ou de groupement qui ne sont pas liés à l’État. Je pense que le jeu des différentes dispositions de ce projet de loi, telles que celles qui visent l’enlèvement et la séquestration de personnes, suffisent à incriminer une disparition forcée dans d’autres situations que celles où un État est commanditaire ; elle n’en sera pas moins un crime contre l’humanité.

Mme la présidente. L’amendement n° 14, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le douzième alinéa (10°) de cet article :

« 10° crime d’apartheid ;

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement vise à faciliter la poursuite du crime d’apartheid, qui n’est pas défini en tant que tel dans le code pénal, il faut le reconnaître.

J’ai quand même pris le soin de vérifier que la notion d’apartheid, à défaut de figurer dans les vocabulaires juridiques, se trouve néanmoins dans tous les dictionnaires actuels, à commencer par le Robert.

On sait ce qu’est l’apartheid. En droit français, cette notion est traduite par le terme « ségrégation », mais elle est en fait plus étendue. Puisqu’elle est définie en droit international et que le traité, on le sait, a une valeur supérieure à la loi interne, je crois qu’il convient, dans le cadre de notre débat d’aujourd’hui, de consacrer le terme d’apartheid.

En effet, nous allons rencontrer des situations où certains des criminels que la justice française devra juger auront commis le crime d’apartheid, justement dans des États – je pense en particulier à certains États africains – qui pratiquent encore l’apartheid sous l’une de ses formes multiples.

Il est donc important de se prémunir contre toute ambiguïté : consacrons le crime d’apartheid ; il figure dans les conventions internationales, en particulier dans celle-ci, et il n’y a donc aucune raison d’être restrictif à cet égard.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Concernant l’amendement n° 41 de Mme Borvo Cohen-Seat, la reprise intégrale de l’article 7 du statut de Rome définissant les crimes contre l’humanité ne me paraît pas indispensable. J’ai d’ailleurs indiqué, dans mon rapport introductif, que nous ne procédions pas à une transposition mot pour mot, car il ne s’agit pas d’une directive européenne ; c’est une adaptation au droit français.

M. Bret a souligné que le statut de Rome n’évoquait que les crimes, mais c’est uniquement parce que le vocabulaire anglophone ne fait pas la distinction entre crimes et délits. Nous sommes donc bien obligés d’adapter ce texte au droit français. Ou alors, nous supprimons les délits de notre droit ! Mais alors, quelle révolution !

L’amendement n° 34 a un objet similaire à celui de l’amendement n° 11 avec, au surplus, une reprise de l’article 7 du statut de Rome qui n’apparaît pas opportune. Par conséquent, l’avis de la commission est défavorable.

Concernant l’amendement n° 30, le projet de loi transpose déjà très largement la rédaction de l’article 7 du statut de Rome. Il ne me paraît pas nécessaire de faire mention de l’esclavage sexuel, déjà couvert par l’incrimination concernant la réduction en esclavage, qui englobe naturellement l’esclavage sexuel. La commission émet donc un avis défavorable.

Quant au crime d’apartheid, visé par l’amendement n° 14, ses caractéristiques se confondent largement avec celle des « actes de ségrégation commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe social » ; il est donc déjà visé par le 10° de l’article 2 du projet de loi. Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur cet amendement. Nous ne sommes pas là pour introduire des redondances dans un texte qui prévoit déjà tout !

L’apartheid figure bien sûr dans tous les dictionnaires, monsieur Badinter, mais ce n’est pas une notion juridique française. Par conséquent, nous nous trouvons, là encore, face à un problème de traduction et d’adaptation de dispositions qui relèvent non pas de notre droit, mais d’une tradition anglo-saxonne.

L’amendement n° 36 reçoit un avis favorable de la commission. Cet amendement, bien qu’il limite le champ de l’incrimination concernant les disparitions forcées, relève d’une bonne initiative.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je répondrai en même temps sur les amendements nos 41 et 34. En effet, ils ont à peu près le même objet : comme le disait M. le rapporteur, ils visent à recopier l’article 7 du statut de Rome relatif aux crimes contre l’humanité, mais en omettant la notion de plan concerté. L’avis du Gouvernement est donc évidemment défavorable.

L’amendement n° 30 de Mme Boumediene-Thiery tend à introduire la référence explicite à la notion d’esclavage sexuel. Il est vrai que cette notion figure en tant que telle dans le statut de Rome, mais elle est doublement couverte dans le projet de loi, à savoir par les actes de réduction en esclavage, qui constituent des crimes contre l’humanité, et par toutes les exactions à caractère sexuel. C’est pourquoi cet amendement me paraît inutile. Je demande donc son retrait ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

L’amendement n° 14 porte sur la notion d’apartheid. Il est vrai que ce mot afrikaner renvoie à un pays : on ne peut donc pas l’introduire tel quel dans notre droit. Nous avons préféré l’expression « ségrégation raciale », qui traduit la notion d’apartheid, plutôt que de recourir à un mot étranger, qui renvoie uniquement à une catégorie de population dans un pays donné. Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.

Enfin, l’amendement n° 36 tend à ajouter les mots : « dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée ». Vous avez indiqué, madame Boumediene-Thiery, que cette notion était prévue dans le statut de Rome. Le Gouvernement a considéré qu’il s’agissait d’une notion subjective ; c’est pourquoi il n’avait pas souhaité l’introduire dans le projet de loi. Si toutefois vous souhaitez cet ajout, je n’y suis pas défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 41.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 34.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 30.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 36.

(L’amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 14.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.

(L’article 2 est adopté.)

Article 2
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 3

Article additionnel avant l’article 3

Mme la présidente. L’amendement n° 42, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 213-4 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Aux fins du présent article, l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Le projet de loi ne mentionne pas le caractère manifestement illégal de l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité, pas plus que le code pénal.

Or l’article 33 du statut de Rome exonère de sa responsabilité pénale individuelle l’auteur d’un crime s’il a agi sur ordre. Néanmoins, cette exonération ne joue pas si l’ordre était manifestement illégal. L’oubli de cette dernière phrase est d’autant plus regrettable que la France est à l’origine de son insertion dans le deuxième paragraphe de l’article 33 du statut de Rome.

L’article 213-4 du code pénal reprend pourtant, de façon plus ou moins approximative, les principes énoncés à l’article 33 du statut de Rome. L’article 462-8 nouveau du code pénal, prévu à l’article 7 du projet de loi, relatif aux crimes de guerre, fait d’ailleurs de même. Mais ni l’un ni l’autre de ces articles ne précise que l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal.

Notre objectif est de rapprocher notre législation le plus possible du statut de Rome, vous l’aurez compris. Tel est le sens de cet amendement et de tous ceux que nous avons déposés. Mais, en l’espèce, cet ajout serait d’autant plus opportun qu’il correspond à la jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci a en effet considéré, lors du procès de Maurice Papon en 1997, que « l’illégalité d’un ordre portant sur la commission de crimes contre l’humanité est toujours manifeste ».

C’est pourquoi nous vous proposons, par le présent amendement, d’ajouter que « l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal ».

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. À l’évidence, l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est manifestement illégal. Il serait singulier d’insérer de telles dispositions dans le code pénal.

Par ailleurs, les mesures à caractère général de l’article 122-4 du code pénal prévoient que « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal ».

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement énonce une évidence puisque l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité est forcément illégal.

Pour ce qui est maintenant de l’exonération, il ne s’agit pas, par principe, d’exonérer celui qui exécute un tel ordre. Car la réalité est beaucoup plus complexe. Imaginons le cas d’un individu arrêté par un gendarme et qui, ensuite, disparaît. Si l’arrestation est manifestement légale, la disparition ne l’est pas.

Monsieur Bret, la rédaction que vous proposez exclut systématiquement la possibilité d’exonérer une personne qui aurait exécuté un ordre manifestement légal. Il est préférable, comme le code pénal le prévoit déjà, de laisser au juge la possibilité d’apprécier si l’acte est légal ou illégal. En effet, L’article 122-4 du code pénal exonère celui qui exécute un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Bret, l’amendement est-il maintenu ?

M. Robert Bret. Non, je le retire, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 42 est retiré.

Article additionnel avant l’article 3
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article additionnel après l’article 3 ou après l’article 7

Article 3

Après l'article 213-4 du même code, il est inséré un article 213-4-1 ainsi rédigé :

«Article 213-4-1. - Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 121-7, est considéré comme complice d'un crime visé par le présent sous-titre commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, le chef militaire ou la personne qui en faisait fonction, qui savait ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ce crime et qui n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites.

« Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 121-7, est également considéré comme complice d'un crime visé par le présent sous-titre commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, le supérieur hiérarchique, n'exerçant pas la fonction de chef militaire, qui savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ce crime ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement et qui n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites, alors que ce crime était lié à des activités relevant de sa responsabilité ou de son contrôle effectifs. » – (Adopté.)

Article 3
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 4

Article additionnel après l’article 3 ou après l’article 7

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 24, présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 213-4 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé : « Art. ... . - La qualité officielle de chef d'État, de Gouvernement, de membre d'un Gouvernement ou d'un Parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent titre, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. L’article 27 du statut de Rome de la CPI, intitulé Défaut de pertinence de la qualité officielle, comporte une précision importante : « Le présent statut s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent statut, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

Face au crime le plus atroce, il y a une égalité de tous devant la loi. Il s’agit, pour tous ceux que j’ai mentionnés, de répondre de leurs crimes sans pouvoir se prévaloir d’une impunité. Le fait d’inscrire cette disposition dans le code pénal n’enlèvera rien à la portée de textes comme la convention de Vienne, qui assure la protection diplomatique des chefs d’État et des ministres lors de leurs séjours à l’étranger.

Cet amendement a pour objet de souligner qu’il ne saurait y avoir d’impunité ou d’immunité attachée à la fonction, quelle qu’elle soit.

Mme la présidente. L'amendement n° 43, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 213-4 du code pénal, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - La qualité officielle de chef de l'État ou de gouvernement, de membre du gouvernement ou du parlement, de représentant élu ou d'agent de l'État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent titre, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Le projet de loi ne comporte aucune disposition relative au défaut de pertinence de la qualité officielle en matière de mise en œuvre de la responsabilité pénale.

Pourtant, dans le chapitre relatif aux principes généraux du droit, l’article 27 du statut de Rome indique clairement que le statut « s’applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle ». Ce même article précise en outre que « la qualité officielle de chef d’État ou de gouvernement, de membre d’un gouvernement ou d’un parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale […], pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

Aussi notre amendement a-t-il pour objet d’insérer le principe énoncé à l’article 27 du statut de Rome dans le projet de loi d’adaptation de notre législation interne, afin d’éviter toute divergence avec le statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Ne pas reconnaître que la qualité officielle d’une personne ne saurait constituer un motif d’irresponsabilité pénale serait contraire à l’État de droit et à l’égalité des citoyens devant la loi, y compris la loi pénale.

La délicate question de l’immunité attachée aux gouvernants ne devrait d’ailleurs pas soulever de difficultés particulières en France au regard de la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation a jugé, en mars 2001, dans l’affaire Khadafi, qu’il pouvait y avoir des exceptions au principe international coutumier selon lequel les chefs d’État et les gouvernants en exercice ne peuvent faire l’objet de poursuites devant les juridictions pénales d’un État étranger. Elle n’a pas précisé quelles étaient ces exceptions, mais, selon la doctrine, il semble admis que celles-ci concernent les hypothèses de crimes contre la paix, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes de génocide, conformément aux sources qui excluent l’immunité du chef d’État étranger pour ces quatre catégories de crimes.

Vous comprendrez donc, mes chers collègues, pourquoi nous ne pouvons que vous inviter à adopter cet amendement : il permettrait de prévoir explicitement dans la loi que la qualité officielle de la personne poursuivie ne peut aucunement constituer un motif d’irresponsabilité pénale ou un motif de réduction de la peine.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les dispositions de ces deux amendements ne me paraissent pas avoir une réelle portée juridique et n’ont donc pas leur place dans le code pénal.

En effet, soit il s’agit de rappeler que les personnalités mentionnées dans l’amendement sont responsables pénalement de leurs actes, et c’est une évidence qu’aucune disposition du code pénal n’a jamais écartée ; soit il s’agit d’indiquer que ces personnalités pourraient être jugées dans les conditions du droit commun, et c’est alors une impossibilité qui placerait le code pénal, si cette disposition devait y figurer, en contradiction avec nos dispositions constitutionnelles et avec les stipulations des conventions de Vienne qui, les unes comme les autres, garantissent à ces personnes un privilège de juridiction.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souhaiterais compléter les propos de M. le rapporteur en précisant que la CPI peut passer outre l’immunité et juger des personnes qui ne relèvent pas des juridictions ordinaires ; c’est tout l’intérêt de cette Cour pénale internationale. Par exemple, les dirigeants et diplomates peuvent être jugés par la CPI, même si on ne pourrait pas le faire en France.

Permettre que les immunités des chefs d’État, des ministres et des parlementaires ne fassent pas obstacle à des poursuites devant la CPI est l’une des principales raisons pour lesquelles nous avions révisé la Constitution, et ce afin de pouvoir ratifier le traité de Rome qui a créé la CPI.

En ce qui concerne les dirigeants étrangers, cela relève non pas de la loi, mais de conventions.

Le Gouvernement demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, il émettra un avis défavorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 24.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 43.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article additionnel après l’article 3 ou après l’article 7
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 5

Article 4

Les articles 222-3, 222-8, 222-10, 222-12 et 222-13 du même code sont ainsi modifiés :

1° Au 4°, après les mots : « un officier public ou ministériel, », sont insérés les mots : « un membre ou un agent de la Cour pénale internationale, » ;

2° Au 5°, les mots : « soit en raison de sa dénonciation, de sa plainte ou de sa déposition ; » sont remplacés par les mots : « soit en raison de sa dénonciation ou de sa plainte, soit à cause de sa déposition devant une juridiction nationale ou devant la Cour pénale internationale ; ».  – (Adopté.)

Article 4
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 6

Article 5

Après l'article 434-4 du même code, il est inséré un article 434-4-1 ainsi rédigé :

« Article 434-4-1. - Les dispositions de l'article 434-4 sont applicables aux actes qu'elles mentionnent lorsque ceux-ci portent atteinte à l'administration de la justice par la Cour pénale internationale. »

Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 434-4-1 du code pénal, remplacer les mots :

actes qu'elles mentionnent lorsque ceux-ci portent atteinte

par le mot :

atteintes

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de simplification rédactionnelle.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 1.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 5, modifié.

(L'article 5 est adopté.)

Article 5
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 7

Article 6

Après l'article 434-23 du même code, il est inséré un article 434-23-1 ainsi rédigé :

« Article 434-23-1. - Les dispositions des articles 434-8, 434-9, 434-13 à 434-15 sont applicables aux actes qu'elles mentionnent lorsque ceux-ci portent atteinte à l'administration de la justice par la Cour pénale internationale. »

Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 434-23-1 du code pénal, remplacer les mots :

actes qu'elles mentionnent lorsque ceux-ci portent atteinte

par le mot :

atteintes

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est également un amendement de simplification rédactionnelle.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 2.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 6, modifié.

(L'article 6 est adopté.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante,

est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Roland du Luart.)

PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen du projet de loi portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale.

Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 7.

Article 6
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Articles additionnels après l'article 7

Article 7

Après le livre IV du même code, il est inséré un livre IV bis intitulé : « Des crimes et des délits de guerre » ainsi rédigé :

« CHAPITRE IER

« DES DIFFÉRENTS CRIMES ET DÉLITS DE GUERRE

« Section 1

« De la définition des crimes et délits de guerre

« Article 461-1. - Constituent des crimes ou des délits de guerre, les infractions définies par le présent livre commises, lors d'un conflit armé international ou non international et en relation avec ce conflit, en violation des lois et coutumes de la guerre ou des conventions internationales applicables aux conflits armés, à l'encontre des personnes ou des biens visés aux articles 461-2 à 461-31.

« Section 2

« Des crimes et délits de guerre communs aux conflits armés internationaux et non internationaux

« Sous-section 1

« Des atteintes à la personne humaine perpétrées lors d'un conflit armé international ou non international

« Paragraphe 1

« Des atteintes à la vie et à l'intégrité physique ou psychique

« Article 461-2. - Sont passibles des aggravations de peines prévues à l'article 462-1 les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité physique ou psychique de la personne ainsi que l'enlèvement et la séquestration, définis par le livre II du présent code et commis à l'encontre d'une personne protégée par le droit international des conflits armés en vertu des lois et coutumes de guerre et du droit international humanitaire.

« Article 461-3. - Le fait de soumettre des personnes d'une partie adverse à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques, qui ne sont ni justifiées par des raisons thérapeutiques ni pratiquées dans l'intérêt de ces personnes et qui entraînent leur mort ou portent gravement atteinte à leur santé ou à leur intégrité physique ou psychique, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-4. - Le fait de forcer une personne protégée par le droit international des conflits armés à se prostituer, de la contraindre à une grossesse non désirée, de la stériliser contre sa volonté ou d'exercer à son encontre toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Art 461-5. - Le fait de se livrer à des traitements humiliants et dégradants sur des personnes de la partie adverse et qui portent gravement atteinte à leur intégrité physique ou psychique est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

« Paragraphe 2

« Des atteintes à la liberté individuelle

« Article 461-6. - Sont passibles des aggravations de peines prévues à l'article 462-1 les atteintes à la liberté individuelle définies à l'article 432-4 et commises, à l'encontre d'une personne protégée par le droit international des conflits armés, en dehors des cas admis par les conventions internationales.

« Paragraphe 3

« Des atteintes aux droits des mineurs dans les conflits armés

« Article 461-7. - Le fait de procéder à la conscription ou à l'enrôlement de mineurs de quinze ans dans les forces armées ou dans des groupes armés, ou de les faire participer activement à des hostilités, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« Sous-section 2

« Des crimes et délits de guerre liés à la conduite des hostilités

« Paragraphe 1

« Des moyens et des méthodes de combat prohibés

« Article 461-8. - Le fait d'ordonner qu'il n'y ait pas de survivants ou d'en menacer l'adversaire est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-9. - Le fait de lancer des attaques délibérées contre la population civile en tant que telle ou contre des personnes civiles qui ne prennent pas part directement aux hostilités est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-10. - Le fait de causer des blessures, ayant porté gravement atteinte à son intégrité physique, à un combattant de la partie adverse qui, ayant déposé les armes ou n'ayant plus de moyens de se défendre, s'est rendu, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« La peine est portée à trente ans de réclusion criminelle si les blessures ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou la mort de la victime sans intention de la donner.

« Le fait de lui donner volontairement la mort dans les circonstances définies au premier alinéa est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-11. - Le fait de causer, par traîtrise, à un individu appartenant à la nation ou à l'armée adverse des blessures ayant porté gravement atteinte à son intégrité physique est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« La peine est portée à trente ans de réclusion criminelle si les blessures ont entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ou la mort de la victime sans intention de la donner.

« Le fait de lui donner volontairement la mort dans les circonstances définies au premier alinéa est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-12. - Est puni de vingt ans de réclusion criminelle le fait :

« 1° De lancer des attaques délibérées contre le personnel, les bâtiments, le matériel, les unités et les moyens de transport sanitaires portant, conformément au droit international, les signes distinctifs prévus par les conventions de Genève du 12 août 1949 ou leurs protocoles additionnels ;

« 2° De lancer des attaques délibérées contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d'une mission d'aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations unies, pour autant qu'ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés garantit aux civils et aux biens de caractère civil.

« Lorsque les infractions décrites au 1° et au 2° ont causé aux personnels susmentionnés des blessures ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, la peine est portée à trente ans de réclusion criminelle.

« Lorsque ces mêmes infractions ont eu pour conséquence la mort des personnels considérés, la peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-13. - Le fait de lancer des attaques délibérées contre des bâtiments consacrés à la religion, à l'enseignement, à l'art, à la science ou à l'action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas alors utilisés à des fins militaires, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« Article 461-14. - Le fait de lancer des attaques délibérées contre des biens de caractère civil qui ne sont pas des objectifs militaires est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

« Paragraphe 2

« Des atteintes aux biens dans les conflits armés

« Article 461-15. - Le fait de se livrer en bande, avec des armes ou à force ouverte, au pillage d'une ville ou d'une localité, même prise d'assaut, est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

« Article 461-16. - À moins qu'elles ne soient justifiées par des nécessités militaires, constituent également des crimes ou des délits de guerre et sont passibles des aggravations de peines prévues à l'article 462-1, les infractions suivantes commises à l'encontre d'une personne protégée par le droit international des conflits armés :

« 1° Les vols, les extorsions ainsi que les destructions, dégradations et détériorations de biens, définis par le livre III du présent code ;

« 2° Le recel du produit de l'une des infractions prévues au 1°.

« Article 461-17. - La tentative des délits prévus au 1° de l'article 461-16 est passible des mêmes causes d'aggravation des peines.

« Sous-section 3

« Des groupements formés ou des ententes établies en vue de préparer des crimes ou des délits de guerre

« Article 461-18. - Le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de l'un des crimes ou des délits de guerre définis au présent chapitre, est puni de dix ans d'emprisonnement et de 225 000 € d'amende.

« Section 3

« Des crimes et délits de guerre propres aux conflits armés internationaux

« Sous-section 1

« Des atteintes à la liberté et aux droits des personnes dans les conflits armés internationaux

« Article 461-19. - Le fait d'employer une personne protégée par le droit international des conflits armés pour éviter que certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d'opérations militaires, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« Article 461-20. - Est puni de vingt ans de réclusion criminelle le fait, pour le compte d'une puissance belligérante :

« 1° De contraindre une personne de la partie adverse protégée par le droit international des conflits armés à servir dans ses forces armées ;

« 2° De contraindre les nationaux de la partie adverse à prendre part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays, même s'ils étaient au service de la puissance belligérante avant le commencement de la guerre.

« Article 461-21. - Le fait de faire obstacle au droit d'une personne protégée par le droit international des conflits armés d'être jugée régulièrement et impartialement, selon les prescriptions des conventions internationales applicables, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« Lorsque l'infraction a conduit à l'exécution de la personne qui a fait l'objet de la condamnation prononcée, la peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-22. - Le fait de déclarer les droits et actions des nationaux de la partie adverse irrecevables en justice, forclos ou suspendus, en raison de la nationalité des requérants, est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

« Sous-section 2

« Des moyens et méthodes de combat prohibés dans un conflit armé international

« Article 461-23. - Est puni de la réclusion criminelle à perpétuité le fait :

« 1° D'utiliser du poison ou des armes empoisonnées ;

« 2° D'utiliser des gaz asphyxiants, toxiques ou assimilés et tous liquides, matières ou procédés analogues ;

« 3° D'utiliser des balles qui se déforment facilement dans le corps humain ;

« 4° D'employer des armes, des projectiles, des matériels ou des méthodes de combat ayant fait l'objet d'une interdiction générale et ayant été inscrits dans une annexe au statut de la Cour pénale internationale acceptée par la France.

« Article 461-24. - Le fait d'attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments, qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-25. - Le fait d'affamer des personnes civiles, comme méthode de guerre, en les privant délibérément de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l'envoi des secours prévus par les conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-26. - Le fait de participer soit au transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante, d'une partie de sa population civile dans le territoire qu'elle occupe, soit à la déportation ou au transfert à l'intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d'une partie de la population civile de ce territoire, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-27. - Le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu'elle causera incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile ou des blessures parmi cette population, qui seraient manifestement disproportionnées par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu de l'ensemble de l'attaque, est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-28. - Est puni de vingt ans de réclusion criminelle le fait de lancer une attaque délibérée en sachant qu'elle causera incidemment :

« 1° Des dommages aux biens de caractère civil qui seraient manifestement disproportionnés par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu de l'ensemble de l'attaque ;

« 2° Des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel, qui seraient manifestement disproportionnés par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu de l'ensemble de l'attaque.

« Article 461-29. - Le fait d'employer indûment le pavillon parlementaire, le drapeau ou les insignes militaires et l'uniforme de l'ennemi ou de l'Organisation des Nations unies, ainsi que les signes distinctifs prévus par les conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels, et, ce faisant, de causer à un combattant de la partie adverse des blessures ayant porté gravement atteinte à son intégrité physique, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« Lorsque l'infraction définie au premier alinéa a eu pour effet de causer audit combattant des blessures ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, la peine est portée à trente ans de réclusion criminelle.

« Lorsque l'infraction a eu pour conséquence la mort de la victime, la peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité.

« Section 4

« Des crimes et délits de guerre propres aux conflits armés non internationaux

« Article 461-30. - À moins que la sécurité des personnes civiles ou des impératifs militaires ne l'exigent, le fait d'ordonner le déplacement de la population civile pour des raisons ayant trait au conflit est puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

« Article 461-31. - Le fait de prononcer des condamnations et d'exécuter des peines sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires prévues par les conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs protocoles additionnels, est puni de vingt ans de réclusion criminelle.

« Lorsque l'infraction définie au premier alinéa a conduit à l'exécution de la personne qui a été condamnée, la peine est portée à la réclusion criminelle à perpétuité.

« CHAPITRE II

« DISPOSITIONS PARTICULIÈRES

« Article 462-1. - Le maximum de la peine privative de liberté encourue pour les infractions mentionnées aux articles 461-2, 461-6, 461-16 et 461-17 est relevé ainsi qu'il suit lorsque ces infractions constituent des crimes ou des délits de guerre :

« 1° Il est porté à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l'infraction est punie de trente ans de réclusion criminelle ;

« 2° Il est porté à trente ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de vingt ans de réclusion criminelle ;

« 3° Il est porté à vingt ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de quinze ans de réclusion criminelle ;

« 4° Il est porté à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l'infraction est punie de dix ans d'emprisonnement ;

« 5° Il est porté à dix ans d'emprisonnement lorsque l'infraction est punie de sept ans d'emprisonnement ;

« 6° Il est porté à sept ans d'emprisonnement lorsque l'infraction est punie de cinq ans d'emprisonnement ;

« 7° Il est porté au double lorsque l'infraction est punie de trois ans au plus.

« Article 462-2. - Les deux premiers alinéas de l'article 132-23 relatif à la période de sûreté sont applicables aux crimes, ainsi qu'aux délits punis de dix ans d'emprisonnement, prévus par le présent livre.

« Article 462-3. - Les personnes physiques coupables de l'une des infractions prévues par le présent livre encourent également les peines suivantes :

« 1° L'interdiction des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26. Toutefois, le maximum de la durée de l'interdiction est porté à quinze ans en cas de crime et à dix ans en cas de délit ;

« 2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. Toutefois, le maximum de la durée de l'interdiction temporaire est porté à dix ans ;

« 3° L'interdiction de séjour, suivant les modalités prévues par l'article 131-31. Toutefois, le maximum de la durée de l'interdiction est porté à quinze ans en cas de crime et à dix ans en cas de délit.

« Article 462-4. - L'interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-30, soit à titre définitif, soit pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable de l'une des infractions définies au présent livre.

« Article 462-5. - Les peines encourues par les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des crimes ou des délits de guerre définis au présent livre sont, outre l'amende, suivant les modalités prévues par l'article 131-38, les peines mentionnées à l'article 131-39.

« L'interdiction mentionnée au 2° de l'article 131-39 porte sur l'activité dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise.

« Article 462-6. - Les personnes physiques ou les personnes morales reconnues coupables d'un crime ou d'un délit de guerre visé par le présent livre encourent également la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie de leurs biens.

« Article 462-7. - Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 121-7, est considéré comme complice d'un crime ou d'un délit de guerre visé par le présent livre commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, le chef militaire ou la personne qui en faisait fonction, qui savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre ce crime ou ce délit et qui n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites.

« Sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 121-7, est également considéré comme complice d'un crime ou d'un délit de guerre visé par le présent livre et commis par des subordonnés placés sous son autorité et son contrôle effectifs, le supérieur hiérarchique, n'exerçant pas la fonction de chef militaire, qui savait que ces subordonnés commettaient ou allaient commettre une telle infraction et qui n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir, pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites, alors que le crime ou le délit était lié à des activités relevant de sa responsabilité ou de son contrôle effectifs.

« Article 462-8. - L'auteur ou le complice d'un crime ou d'un délit de guerre visé par le présent livre ne peut être exonéré de sa responsabilité pénale du seul fait qu'il a accompli un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ou un acte commandé par l'autorité légitime. Toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le montant.

« En outre, l'auteur ou le complice n'est pas pénalement responsable dans le cas où il ne savait pas que l'ordre de l'autorité légitime était illégal et où cet ordre n'était pas manifestement illégal.

« Article 462-9. - N'est pas pénalement responsable d'un crime ou d'un délit de guerre visé par le présent livre, la personne qui, pour sauvegarder des biens essentiels à sa survie ou à celle d'autrui ou essentiels à l'accomplissement d'une mission militaire, accomplit un acte de défense, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'infraction.

« Article 462-10. - L'action publique à l'égard des crimes de guerre définis au présent livre se prescrit par trente ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces crimes se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.

« L'action publique à l'égard des délits de guerre définis au présent livre se prescrit par vingt ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l'un de ces délits se prescrit par vingt ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.

« Article 462-11. - N'est pas constitutif d'une infraction visée par le présent livre le fait, pour accomplir un acte nécessaire à l'exercice par la France de son droit de légitime défense, d'user de l'arme nucléaire ou de toute autre arme dont l'utilisation n'est pas prohibée par une convention internationale à laquelle la France est partie. »

M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 28, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-4 du code pénal, remplacer les mots :

Le fait de forcer une personne protégée par le droit international des conflits armés à se prostituer

par les mots :

Le fait de violer une personne protégée par le droit international des conflits armés, de la forcer à se prostituer, de la soumettre à des actes d'esclavage sexuel

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Comme nous l’avons déjà souligné, le projet de loi ne reprend pas de manière exacte les incriminations qui sont prévues par le statut de la Cour pénale internationale.

C’est notamment le cas du viol et de l’esclavage sexuel, qui ne sont pas mentionnés dans le texte proposé pour l’article 461-4 du code pénal. Pourtant, l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale, au b) de son deuxième paragraphe, vise explicitement ces actes comme constituant des crimes de guerre. Dès lors, pourquoi sont-ils omis dans le présent projet de loi ?

Admettons qu’ils soient englobés implicitement dans l’expression « toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ». Toutefois, à gravité comparable, ne faut-il pas penser que le viol et l’esclavage sexuel doivent figurer au premier plan des crimes de guerre commis contre les populations civiles ?

Dans le cadre d’un conflit armé, le viol n’est pas seulement une atteinte à l’intégrité physique des femmes. Il est devenu une arme de guerre, réduisant les femmes à un rôle de « butin ».

Par conséquent, cet amendement tend à faire explicitement figurer le viol et l’esclavage sexuel parmi les crimes visés à l’article 461-4 du code pénal.

M. le président. L'amendement n° 32, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-4 du code pénal, remplacer les mots :

Le fait de forcer une personne protégée par le droit international des conflits armés à se prostituer

par les mots :

Le fait de violer une personne protégée par le droit international des conflits armés, de la forcer à se prostituer,

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Il s’agit d’un amendement de repli.

À défaut de faire figurer l’esclavage sexuel parmi les crimes visés à l’article 7 du présent projet de loi, je vous propose de reconnaître au moins que le viol constitue un crime de guerre dans notre droit interne.

Codifié dans la convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, le viol a été clairement qualifié de « crime contre l’humanité » par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à propos des camps instaurés par les forces serbes durant la guerre de Bosnie en 2001.

Cette attention particulière portée aux crimes sexuels, dont le viol est l’expression la plus grave, est présente dans le statut de la Cour pénale internationale. Par conséquent, je ne comprendrais pas que l’on refuse une telle adjonction dans notre code pénal.

M. le président. L'amendement n° 44, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-4 du code pénal, après les mots :

non désirée,

insérer les mots :

à de l'esclavage sexuel,

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je partage tout à fait le point de vue de ma collègue Alima Boumediene-Thiery.

Selon un rapport des Nations unies, un million de femmes ou de petites filles chaque année seraient impliquées par la force dans le commerce ou l’esclavage sexuels. Bien entendu, de tels actes ne s’inscrivent pas forcément dans le cadre des incriminations prévues par le statut de la Cour pénale internationale, mais il est, me semble-t-il, nécessaire de rappeler l’importance de ce phénomène.

D’ailleurs, en 2007, la France a ratifié la convention sur la lutte contre la traite des êtres humains.

Cela étant, de notre point de vue, il aurait été plus judicieux de reprendre mot pour mot les termes de l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale, afin d’éviter un certain nombre d’omissions.

M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-4 du code pénal, après les mots :

de la stériliser contre sa volonté

insérer les mots :

, de la contraindre à l'esclavage sexuel

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Je retire cet amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 15 est retiré.

Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 28, 32 et 44 ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La précision que l’amendement n° 28 tend à apporter n’est pas nécessaire.

Je le rappelle, les crimes de viol et d’esclavage sont déjà visés par la rédaction proposée pour l’article 461-2 du code pénal, qui prévoit d’aggraver les peines pour toutes les atteintes à la personne. En outre, le crime de viol relève également des formes de violence sexuelle mentionnées dans la rédaction présentée pour l’article 461-4 du même code.

Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 28.

Quant aux amendements nos 32 et 44, qui ont sensiblement le même objet, ils appellent les mêmes observations. Il est inutile d’insérer dans le code pénal ce qu’il est déjà prévu d’y faire figurer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les trois amendements ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Comme cela a été souligné avant la suspension de séance, l’esclavage sexuel est déjà visé dans notre droit pénal. De telles précisions sont donc inutiles.

C'est la raison pour laquelle le Gouvernement sollicite le retrait des amendements nos 28, 32 et 44. À défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 28.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 32.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 44.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 3 est présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

L'amendement n° 45 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-7 du code pénal, remplacer les mots :

quinze ans

par les mots :

dix-huit ans

La parole est à M. le président de la commission des lois, pour présenter l’amendement n° 3.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Conformément aux stipulations de la convention de Rome, un nouvel article du code pénal tend à incriminer le fait d’impliquer des mineurs de quinze ans dans les conflits armés, soit par la conscription ou l’enrôlement dans les forces armées ou dans les groupes armés, soit en les faisant participer activement à des hostilités.

Je propose d’aller au-delà des exigences du statut de Rome sur ce point, en étendant ces interdictions aux actes concernant les mineurs âgés de moins de dix-huit ans, conformément à l’âge de la majorité retenu dans notre droit et aux engagements souscrits par notre pays dans le cadre du protocole facultatif à la convention internationale des droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés du 25 mai 2000, auquel la France est partie depuis le 5 février 2003.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 45.

M. Robert Bret. Cet amendement est identique à celui de la commission.

Contrairement au dispositif que le sous-amendement déposé par notre collègue Hugues Portelli vise à instituer, nous proposons que soit incriminé l’auteur de toute implication d’un mineur âgé de moins de dix-huit ans dans des forces ou groupes armés et dans des hostilités.

Bien évidemment, cela est conforme à nos dispositions internes et au protocole facultatif à la convention internationale des droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés du 25 mai 2000, auquel la France est partie. Celui-ci oblige les États parties à prendre toutes dispositions pour empêcher l’enrôlement et l’utilisation de personnes âgées de moins de dix-huit ans, notamment les mesures normatives nécessaires pour interdire et sanctionner pénalement ces pratiques.

L’ONU estime à 300 000 le nombre des enfants soldats, souvent utilisés dans des conflits civils. Outre l’enlèvement, une des origines du phénomène des enfants soldats se trouve dans la pauvreté, qui est aggravée par la situation de guerre.

M. le président. Le sous-amendement n° 60, présenté par M. Portelli, est ainsi libellé :

A) Compléter l'amendement n° 3 par un paragraphe ainsi rédigé :

II. - Compléter cet article par une phrase ainsi rédigée :

Ces dispositions ne font pas obstacle à l'enrôlement volontaire des mineurs de plus de 15 ans. 

B) En conséquence, faire précéder le début de l'amendement de la mention :

I. - 

La parole est à M. Hugues Portelli.

M. Hugues Portelli. Ce sous-amendement vise à rappeler que l’interdiction d’impliquer des mineurs dans des conflits n’a rien à voir avec le fait que, en France, plusieurs centaines de jeunes mineurs sont scolarisés dans des écoles militaires. Les deux sujets sont totalement différents.

Par ce sous-amendement, il s’agit donc de préserver la possibilité, pour ces mineurs, de suivre une formation militaire ou de s’engager volontairement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur le sous-amendement n° 60 ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission a émis un avis favorable sur ce sous-amendement. L’engagement d’un mineur dans un conflit armé et la scolarisation dans une école militaire sont deux réalités bien distinctes, et il faut que cette dernière possibilité soit préservée.

Actuellement, 234 mineurs suivent une formation dans une école militaire ou sont engagés volontaires.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les amendements identiques nos 3 et 45, ainsi que sur le sous-amendement n° 60 ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La volonté du Gouvernement est d’interdire le recours aux enfants soldats.

Par conséquent, nous sommes favorables aux amendements identiques nos 3 et 45, sous réserve de l’adoption du sous-amendement de M. Portelli. En effet, nous souhaitons maintenir la possibilité, pour un mineur, de s’engager volontairement.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 60.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour ma part, je ne suis pas du tout favorable au sous-amendement n° 60, qui risque de brouiller la compréhension du dispositif des amendements identiques nos 3 et 45.

En effet, l’adoption du sous-amendement de notre collègue Hugues Portelli pourrait entraîner une confusion entre les jeunes qui suivent volontairement une formation militaire et les enfants soldats enrôlés de force, alors qu’il s’agit de deux situations totalement différentes.

C'est la raison pour laquelle je voterai contre ce sous-amendement.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 60.

(Le sous-amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 et 45, modifiés.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 18 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

L'amendement n° 46 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont est ainsi libellés :

Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 461-11 du code pénal, après les mots :

l'armée adverse,

insérer les mots :

ou à un adversaire combattant,

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 18.

M. Robert Badinter. L’article 461-11 concerne la répression des actes de traîtrise comme crimes de guerre.

Nous souhaitons que les mots : « ou à un adversaire combattant » soient insérés après les mots : « l’armée adverse ».

En effet, le fait d’être un « adversaire combattant » ne justifie pas que l’on utilise des procédés qui sont qualifiés de « crimes de guerre ».

Actuellement, nous le savons, la distinction entre ennemi combattant et non-ennemi combattant tend à entraîner nos amis Américains vers des dérives extrêmement dangereuses.

Pourtant, les choses sont simples : est crime de guerre le fait de recourir à des actes de traîtrise contre celui que l’on combat.

C'est la raison pour laquelle nous demandons une telle adjonction.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 46.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet amendement est identique à celui qui vient d’être défendu par M. Badinter.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 461-11 du code pénal retient seulement les dispositions de l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale qui sont applicables aux conflits armés internationaux. En revanche, il ne prend pas en compte les actes de traîtrise dans le cas de conflits armés non internationaux.

Aussi, à la lecture de la rédaction présentée pour l’article 461-11, si les actes de traîtrise à l’égard d’individus « appartenant à la nation ou à l’armée adverse » sont punis, ce n’est pas le cas s’agissant des mêmes faits commis contre des « adversaires combattants ». Pourtant, l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale prévoit explicitement la répression de tels actes.

M. le rapporteur explique le choix du Gouvernement en arguant que la catégorie des « adversaires combattants » peut être assimilée à des individus appartenant à l’armée adverse. Mais quid des adversaires combattants n’appartenant ni à la nation adverse ni à l’armée adverse ? N’ont-ils pas, eux aussi, droit à une protection contre les actes de traîtrise ?

Notre amendement prévoit donc un champ d’application plus large de l’incrimination des actes de traîtrise afin d’assurer la protection des adversaires combattants.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. La rédaction proposée pour l’article 461-11 du code pénal vise les actes de traîtrise commis contre un individu appartenant à la nation ou à l’armée adverse, mais pas la personne qui agit de manière isolée, en commettant par exemple des actes de résistance.

Je souhaiterais connaître l’avis du Gouvernement sur ces deux amendements intéressants.

M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est tout à fait d’accord, sur les plans du principe, de l’esprit et de l’objectif visé, avec les auteurs de ces amendements. Je souhaite toutefois une rectification de nature rédactionnelle.

L’expression « adversaire combattant » paraît en effet trop imprécise. Je lui préfère celle de « combattant de la partie adverse ».

M. Patrice Gélard, rapporteur. Oui, c’est mieux !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En effet, madame Borvo Cohen-Seat, il y a forcément une partie adverse, sinon il n’y a pas de conflit. En outre, cette expression est déjà employée dans le texte.

M. le président. Monsieur Badinter, acceptez-vous la suggestion de Mme le garde des sceaux ?

M. Robert Badinter. Oui, monsieur le président.

M. le président. Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, acceptez-vous également cette suggestion ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je suis donc saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 18 rectifié est présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

L'amendement n° 46 rectifié est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 461-11 du code pénal, après les mots :

l'armée adverse,

insérer les mots :

ou à un combattant de la partie adverse,

Quel est maintenant l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Favorable !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 rectifié et 46 rectifié.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-13 du code pénal, après les mots : 

pas alors utilisés à des fins militaires,

insérer les mots :

et le fait d'attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires,

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement tend à compléter la liste des bâtiments mentionnés dans la rédaction présentée pour l’article 461-13 du code pénal en prévoyant que sera également puni de vingt ans d’emprisonnement le fait d’attaquer et de bombarder, par quelque moyen que ce soit, les villes, villages, habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs militaires, comme le prévoit l’alinéa 2-b-v de l’article 8 du statut de Rome.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement est en partie satisfait par la rédaction présentée pour l’article 461-24 du code pénal, qui ne vise cependant que les conflits armés internationaux.

Le dispositif de l’amendement n° 17, parce qu’il s’insère dans la partie du code pénal concernant les conflits internationaux et non internationaux, a une portée plus large que la convention de Rome. C’est la raison pour laquelle je souhaite connaître l’avis du Gouvernement.

M. le président. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Cet amendement est satisfait, car la rédaction présentée pour l’article 461-24 du code pénal prévoit de punir de la réclusion criminelle à perpétuité « le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages, habitations ou bâtiments, qui ne sont pas défendus ou qui ne sont pas des objectifs militaires ». J’invite donc M. Badinter à retirer son amendement.

M. le président. Monsieur Badinter, l’amendement n° 17 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 17 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 4 est présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

L'amendement n° 47 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le texte proposé par cet article pour l'article 461-15 du code pénal, supprimer les mots :

en bande

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 4.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le statut de Rome prévoit, à l’alinéa 2-b-xvi de son article 8, d’incriminer le pillage d’une ville ou d’une localité.

La rédaction proposée pour l’article 461-15 du code pénal reprend cette stipulation, mais en précisant que le pillage doit être commis en bande, condition qui ne figure pas dans le texte international.

Même s’il est difficile de concevoir que le pillage d’une ville puisse être commis autrement qu’en bande, on ne peut cependant exclure le pillage d’une petite localité par un individu isolé.

La commission, considérant qu’il n’y a pas lieu de limiter le champ de l’incrimination, propose de revenir aux termes de la convention.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 47.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souscris à l’argumentaire de M. le rapporteur.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les deux amendements identiques ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Totalement favorable !

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 et 47.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 19 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

L'amendement n° 48 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 461-16 du code pénal, remplacer le mot :

protégée

par les mots :

ou d'un bien protégés

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 19.

M. Robert Badinter. Cet amendement a pour objet de viser non seulement la personne protégée, mais aussi le bien protégé. Nous considérons que les atteintes aux biens doivent être sanctionnées indépendamment du statut du propriétaire.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l’amendement n° 48.

M. Robert Bret. La rédaction proposée pour le nouvel article 461-16 du code pénal prévoit d’aggraver les peines selon les termes de l’article 462-1 pour les vols, les extorsions, les destructions, les dégradations ou recels du produit de l’une de ces infractions lorsqu’elles sont commises à l’encontre d’une personne protégée par le droit international des conflits armés.

Or, dans la mesure où l’article 461-16 figure, à l’article 7, dans le paragraphe 2, intitulé « Des atteintes aux biens dans les conflits armés », de la sous-section traitant « des crimes et des méthodes de combat prohibés », il convient de préciser que sont visées les infractions commises à l’encontre d’une personne ou d’un bien protégés par le droit international des conflits armés.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Ces deux amendements tendent à accorder une protection pénale à tous les biens en tant que tels, indépendamment du statut de leur propriétaire.

Une telle protection ne peut concerner, en droit international, que certains types de biens, les biens protégés tels que les hôpitaux ou les ambulances. Or cela est déjà prévu, dans le projet de loi, au travers des rédactions présentées pour les articles 461-12 et 461-13 du code pénal.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.

En fait, la notion de bien protégé et celle de personne protégée sont très différentes. En droit international, la première de ces notions ne correspond pas à ce que visent les amendements.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements identiques, car la notion de bien protégé recouvre en fait, comme le rappelait M. le rapporteur, les installations médicales ou les ambulances, par exemple. L’adoption de ces amendements ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé par leurs auteurs.

M. le président. Monsieur Badinter, l’amendement n° 19 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 19 est retiré.

Madame Borvo Cohen-Seat, l’amendement n° 48 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le retire également, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 48 est retiré.

Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 20 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe Socialiste et apparentés.

L'amendement n° 49 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Dans le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 461-20 du code pénal, remplacer les mots :

une personne de la partie adverse protégée par le droit international des conflits armés

par les mots :

un prisonnier de guerre ou une personne protégée par le droit international des conflits armés

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 20.

M. Robert Badinter. La rédaction proposée pour l’article 461-20 du code pénal reprend les stipulations figurant aux alinéas 2-a-v et 2-b-xv de l’article 8 du statut de Rome afin de punir notamment le fait de contraindre « une personne de la partie adverse – nous retrouvons cette terminologie – protégée par le droit international à servir dans les forces armées ».

La rédaction du projet de loi est toutefois plus restrictive que celle du statut de Rome, lequel vise, et c’est important, toute personne protégée, et pas uniquement les personnes de la partie adverse. Je pense notamment ici au personnel humanitaire, qui ne peut évidemment être considéré comme appartenant à la partie adverse.

Afin de protéger ces personnes, notre amendement tend à reprendre les termes du statut de Rome, pour viser « un prisonnier de guerre ou une personne protégée par le droit international des conflits armés ».

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 49.

M. Robert Bret. La rédaction présentée pour le nouvel article 461-20 du code pénal prévoit que le fait de contraindre, pour le compte d’une puissance belligérante, une personne de la partie adverse protégée par le droit international des conflits armés à servir dans les forces armées est punissable de vingt ans de réclusion criminelle.

Or, l’alinéa 2-a-v de l’article 8 du statut de la Cour pénale internationale qualifie de crime de guerre « le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou une personne protégée à servir dans les forces d’une puissance ennemie ».

La protection prévue dans le statut de Rome est donc plus large que celle qui figure dans le projet de loi. Le premier alinéa de l’article 461-20 n’énonce en effet aucune protection pour les tiers au conflit qui seraient contraints de servir dans les troupes d’une partie belligérante. Si ce projet de loi devait être adopté en l’état, les victimes d’enrôlement forcé ou les personnels humanitaires ne seraient pas protégés par la loi pénale.

L’amendement que nous proposons au Sénat d’adopter tend donc à aligner le présent texte sur le statut de Rome, afin de garantir une protection non seulement aux prisonniers de guerre, mais aussi aux personnes protégées par le droit international des conflits armés.

M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans le deuxième alinéa (1°) du texte proposé par cet article pour l'article 461-20 du code pénal, supprimer les mots :

de la partie adverse

La parole est à M. le rapporteur, pour le présenter et pour donner l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 20 et 49.

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement de la commission donne satisfaction aux auteurs des deux amendements identiques.

En effet, la rédaction proposée pour le nouvel article 461-20 du code pénal prévoit d'incriminer l'enrôlement forcé d'une personne protégée de la partie adverse. Or la convention de Rome élargit cette incrimination à toutes les personnes protégées, et pas seulement à celles qui appartiennent à la partie adverse.

Il convient de tenir compte de la situation des personnels humanitaires, qui sont des personnes protégées sans pour autant appartenir à la partie adverse. Ces personnes ne doivent pas pouvoir faire l'objet d'un enrôlement forcé.

Il est donc souhaitable de revenir sur ce point aux termes de la convention. Tel est l'objet de cet amendement qui, je le répète, donne satisfaction à M. Badinter et à M. Bret.

M. le président. Monsieur Badinter, l’amendement n° 20 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Non, je le retire.

M. le président. L’amendement n° 20 est retiré.

Monsieur Bret, l’amendement n° 49 est-il maintenu ?

M. Robert Bret. Non, je le retire également.

M. le président. L’amendement n° 49 est retiré.

Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 5 ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 5.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 50, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :

Après les mots :

interdiction générale

rédiger comme suit la fin du dernier alinéa (4°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 461-23 du code pénal :

ou en violation des règles régissant leur utilisation

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La rédaction présentée pour le nouvel article 461-23 du code pénal transpose les stipulations de la convention de Rome interdisant l’usage de certaines armes et méthodes de combat utilisées dans les conflits. L’utilisation d’armes et de méthodes prohibées autoriserait à condamner ses auteurs à la réclusion criminelle à perpétuité.

L’article 7 désigne ces armes, les définit et précise qu’elles doivent faire l’objet d’une interdiction générale.

Je considère qu’en rester à la seule notion d’interdiction générale permet implicitement d’exclure du champ de l’incrimination l’usage d’armes, certes réglementées, mais qui seraient employées en violation des règles régissant leur utilisation.

Ce pourrait être le cas du recours abusif à certaines armes dont l’usage, selon le manuel du droit des conflits armés en vigueur dans l’armée française, est strictement limité à l’attaque d’objectifs militaires.

La formulation trop générale proposée pour cet article risque d’empêcher de sanctionner une attaque qui aurait été menée contre un objectif militaire, certes, mais situé à proximité voire à l’intérieur d’immeubles habités par des civils.

Nos armées ne sont malheureusement pas à l’abri de telles erreurs d’appréciation. On le sait, le cas s’est présenté lors de l’intervention des forces armées israéliennes au Liban.

Par ailleurs, cet article fait référence à « une annexe au statut de la Cour pénale internationale » dans laquelle ces armes et ces méthodes de combat devraient être mentionnées. Cette annexe restant pour l’instant virtuelle, il me paraît prématuré de s’y reporter ! Je propose donc également, par cet amendement, de supprimer la référence qui y est faite.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le présent amendement va au-delà des stipulations de la convention de Rome, que la rédaction présentée pour l’article 461-23 du code pénal reproduit fidèlement en incriminant le recours aux armes « ayant fait l’objet d’une interdiction générale ». C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Pour compléter ce que vient de dire M. le rapporteur, je précise que l’usage d’armes interdites constituera un crime quand les États parties se seront entendus pour fixer la liste de ces armes, dans cette fameuse annexe.

Or l’amendement présenté tend à supprimer toute référence à l’annexe, donc à la liste des armes réglementées, ce qui pose problème.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui ! Cela affaiblit le texte.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. En effet ! Par conséquent, nous demandons le retrait de l’amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Quand cette annexe sera-t-elle rédigée ?

M. Robert Bret. C’est toute la question, mon cher collègue !

M. le président. L’amendement n° 50 est-il maintenu, madame Borvo Cohen-Seat ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur l'amendement n° 50.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est fait référence, dans le présent texte, à « une annexe au statut de la Cour pénale internationale acceptée par la France ». J’aimerais savoir si cette annexe existe d’ores et déjà, ou si elle ne verra le jour que plus tard et, dans ce cas, à quelle date ?

M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il s’agit d’une négociation entre les États concernés. Nous ne pouvons par conséquent indiquer de délai.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est en cours !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 50.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 51, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant le texte proposé par cet article pour l'article 461-30 du code pénal, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

« Art. ... - Les conflits armés non internationaux sont des conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d'un État les autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux. »

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. À l’instar du statut de Rome, le projet de loi, à son article 7, classe les délits et les crimes de guerre en deux catégories distinctes : d’une part ceux qui sont propres aux conflits armés internationaux, d’autre part ceux qui sont propres aux conflits armés non internationaux.

Cependant, il n’indique pas quelles sont les situations susceptibles de répondre à cette dernière qualification. Il nous paraît donc utile d’intégrer, par l’introduction d’un nouvel article inséré avant l’article 461-30 du code pénal, une définition de ces conflits armés non internationaux, en conformité avec l’article 8 du statut de Rome.

Ajoutons que l’absence d’une telle définition pourrait donner lieu à des difficultés d’interprétation qui ne manqueraient pas d’être préjudiciables aux poursuites.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Cet amendement vise à définir la notion de conflit armé non international. Il est cependant opportun de ménager dans le code pénal une certaine marge d’appréciation quant au caractère international ou non des conflits.

En effet, établir une délimitation très stricte des deux situations n’est pas toujours possible, dans la mesure où un conflit armé interne peut être internationalisé par l’intervention d’une force armée extérieure ou intérieure.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La France est tenue par la définition des conflits non internationaux donnée par le deuxième protocole additionnel aux conventions de Genève. En effet, selon l’article 55 de la Constitution, les engagements internationaux sont supérieurs à la loi française. Nous sommes donc tenus par cette définition.

Si le statut de Rome donne une définition des conflits armés internationaux, c’est pour délimiter la compétence de la Cour pénale internationale dans ce domaine. Toutefois, alors que nous sommes tenus par le contenu des conventions internationales, nous ne sommes pas obligés de reprendre dans notre droit interne ce qui est inscrit dans le statut de Rome.

Par conséquent, le Gouvernement est défavorable au présent amendement.

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l’amendement n° 51 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 51.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.

L'amendement n° 6 est présenté par M. Gélard, au nom de la commission.

L'amendement n° 21 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 52 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces trois amendements sont ainsi libellés :

Dans le second alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 462-7 du code pénal, après les mots :

une telle infraction

insérer les mots :

ou a délibérément négligé de tenir compte d'informations qui l'indiquaient clairement

La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 6.

M. Patrice Gélard, rapporteur. La rédaction proposée pour le nouvel article 462-7 du code pénal définit les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique, militaire ou civil, peut être engagée du fait de la commission d’un crime par un subordonné.

Cette rédaction s’inspire de l’article 28 de la convention de Rome, sous réserve d’une omission. En effet, contrairement à cette convention, le texte ne prévoit pas que la responsabilité du supérieur civil puisse être engagée s’il a « délibérément négligé de tenir compte d’informations » qui indiquaient clairement que ses subordonnés commettaient ou s’apprêtaient à commettre un crime de guerre.

Une telle omission paraît injustifiée. Le présent amendement a donc pour objet de rétablir cette hypothèse de mise en cause de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique civil.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 21.

M. Robert Badinter. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 52.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur les trois amendements identiques ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 6, 21 et 52.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 22 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 53 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Compléter le texte proposé par cet article pour l'article 462-8 du code pénal par un alinéa ainsi rédigé :

« Aux fins du présent article, l'ordre de commettre un génocide ou un crime contre l'humanité est manifestement illégal. »

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 22.

M. Robert Badinter. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 22 est retiré.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 53.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il s’agit d’un amendement de cohérence avec les positions que nous avons adoptées précédemment. Je regrette de ne pas avoir été entendue à propos des crimes contre l’humanité, mais je persiste !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’avis de la commission est le même que sur l’amendement n° 42 : défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 53.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

Les deux premiers sont identiques.

L'amendement n° 23 est présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés.

L'amendement n° 54 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après les mots :

la personne,

rédiger ainsi la fin du texte proposé par cet article pour l'article 462-9 du code pénal :

qui a agi raisonnablement pour se défendre, pour défendre autrui ou pour défendre des biens essentiels à sa survie, à celle d'autrui ou à l'accomplissement d'une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'infraction. Le fait qu'une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d'exonération de la responsabilité pénale au titre du présent article.

La parole est à M. Robert Badinter, pour présenter l’amendement n° 23.

M. Robert Badinter. L’article 462-9 du code pénal reprend la légitime défense comme cause d’exonération de la responsabilité, ce qui est prévu à l’alinéa 1-c de l’article 31 du statut de Rome, mais il omet certaines conditions très importantes. Ainsi, l’alinéa 1-c de l’article 31 subordonne l’exonération de responsabilité pénale à la condition que l’auteur ait agi « raisonnablement », condition que ne reprend pas le présent texte.

Une deuxième condition est omise par le projet de loi : selon le même article, l’acte doit avoir pour objet la défense « contre un recours imminent et illicite à la force ».

Enfin, l’alinéa 1-c de l’article 31 précise que « le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa ».

La définition donnée par l’article 31-1-c du statut de Rome est donc incomplètement transcrite dans l’article 462-9, ce qui peut risquer d’entraver la poursuite de certains crimes de guerre. Le présent amendement a donc pour objet de rapprocher la rédaction proposée des stipulations précises de la convention de Rome.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour présenter l'amendement n° 54.

M. Robert Bret. La rédaction présentée pour le nouvel article 462-9 du code pénal vise à exonérer de sa responsabilité pénale l’auteur d’un crime ou d’un délit de guerre en cas de légitime défense. Cet article se rapporte à l’alinéa 1-c de l’article 31 du statut de Rome.

Toutefois, l’article du projet de loi ne transpose pas mot à mot les dispositions de l’alinéa 1-c de l’article 31, omettant des conditions essentielles à la réalisation de l’excuse de légitime défense.

Ainsi, tandis que l’article précité du statut de Rome subordonne l’exonération de la responsabilité pénale à la condition que l’auteur ait « agi raisonnablement », le projet de loi ne requiert pas cette condition. Celui-ci se réfère en effet au principe de proportionnalité en faisant le parallèle entre les moyens de défense employés et la gravité de l’infraction, mais il néglige de prendre en considération l’ampleur du danger encouru par la ou les personnes ou les biens protégés.

En outre, la condition que l’acte de défense réponde à « un recours imminent et illicite à la force » ne figure pas non plus dans la rédaction proposée pour l’article 462-9 du code pénal.

Enfin, tandis que l’article 31-1-c du statut de Rome précise que « le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent alinéa », le projet de loi reste silencieux sur ce point.

Nous sommes donc en définitive forcés de constater que la rédaction qui nous est soumise pour l’article 462-9 du code pénal n’est pas la transposition exacte de l’article 31-1-c de la convention de Rome ; elle est incomplète, et par conséquent susceptible d’élargir de manière excessive le champ des motifs d’exonération de la responsabilité pénale, entravant ainsi la poursuite de certains crimes de guerre.

C’est la raison pour laquelle je vous invite, mes chers collègues, à adopter cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 7, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Après les mots :

la personne qui

rédiger ainsi la fin du texte proposé par cet article pour l’article 462-9 du code pénal :

a agi raisonnablement pour sauvegarder des biens essentiels à sa survie ou à celle d’autrui ou essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire, contre un recours imminent et illicite à la force, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité du danger couru.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le nouvel article 462-9 du code pénal a pour objet d’exonérer de sa responsabilité pénale l’auteur d’un crime ou d’un délit de guerre lorsque trois conditions sont réunies.

La première tient à la nature de l’acte : il doit s’agir d’un acte de défense.

La deuxième tient à l’objectif visé par l’auteur ; l’acte de défense peut être justifié par trois mobiles distincts : la sauvegarde des biens essentiels à sa survie, la sauvegarde des biens essentiels à la survie d’autrui, la sauvegarde des biens essentiels à l’accomplissement d’une mission militaire.

La troisième tient au principe de proportionnalité : il ne doit pas y avoir « disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’infraction ».

Si ces dispositions sont directement reprises de la convention de Rome, celle-ci mentionne aussi deux autres conditions pour exonérer l’auteur d’un crime ou d’un délit de guerre de sa responsabilité en cas de légitime défense, qui, en revanche, n’ont pas été transposées : le fait que l’auteur a agi « raisonnablement » ; le fait que l’acte de défense répond à un « recours imminent et illicite à la force ».

Par ailleurs, la convention de Rome établit le lien de proportionnalité non pas entre les moyens de défense employés et la gravité de l’infraction, mais entre les moyens de défense et l’« ampleur du danger » couru.

Aussi cet amendement vise-t-il à rapprocher la rédaction proposée des stipulations du statut, d’une part en encadrant davantage les conditions dans lesquelles l’auteur d’un crime de guerre peut s’exonérer de sa responsabilité en cas de légitime défense, d’autre part en posant l’exigence que les moyens de défense soient proportionnels à la gravité du risque couru.

M. le président. Le sous-amendement n° 37, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après le mot :

force,

Rédiger ainsi la fin du quatrième alinéa de l’amendement no 7 :

d’une manière proportionnée à l’ampleur du danger qu’elle courait ou que couraient l’autre personne ou les biens protégés

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. La définition de l’état de nécessité proposée à l’amendement n° 7 de M. le rapporteur est en partie conforme à la rédaction du c du 1 de l’article 31 du statut de la Cour pénale internationale.

Toutefois, il introduit, dans un article régissant l’exonération de responsabilité, une dérogation au régime de cette dernière, à savoir « la disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité du danger encouru ».

Je trouve assez nuisible à la clarté du texte de glisser dans un article prévoyant un régime dérogatoire, celui de l’exonération de responsabilité, une sorte de dérogation à la dérogation. Cela reviendrait d’ailleurs à rétablir le principe de responsabilité.

Il me semble donc que, d’un point de vue rédactionnel, il convient de poser le principe de la proportionnalité comme élément constitutif de l’état de nécessité en récrivant la fin de la dernière phrase de l’article conformément au statut de la Cour pénale internationale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements identiques nos 23 et 54, ainsi que sur le sous-amendement n° 37 ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les amendements identiques nos 23 et 54 me paraissent très largement satisfaits par l’amendement n° 7 de la commission.

M. Robert Bret. Partiellement !

M. Patrice Gélard, rapporteur. Quant au sous-amendement n° 37 de Mme Boumediene-Thiery, j’estime que la rédaction que propose la commission est nettement meilleure. Par conséquent, j’émets un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’ensemble des amendements, ainsi que sur le sous-amendement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est tout à fait favorable à l’amendement n° 7.

J’étais dans un premier temps favorable aux amendements présentés par MM. Badinter et Bret, ainsi qu’au sous-amendement de Mme Boumediene-Thiery, mais la rédaction de l’amendement n° 7 me paraît nettement meilleure et de nature à satisfaire les amendements nos 23 et 54.

M. Robert Bret. Je ne suis pas doyen ! (Sourires.)

M. le président. Monsieur Badinter, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?

M. Robert Badinter. Il l’est, monsieur le président.

M. le président. Monsieur Bret, l’amendement n° 54 est-il maintenu ?

M. Robert Bret. Oui, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 23 et 54.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Peut-être ne savons-nous pas lire, mais il nous semble que notre amendement n° 23 apporte une précision supplémentaire par rapport à celui de la commission, à savoir que « le fait qu’une personne ait participé à une opération défensive menée par des forces armées ne constitue pas en soi un motif d’exonération de la responsabilité pénale au titre du présent article ».

C’est là un point tout à fait essentiel, en tout cas important, et nous ne voyons pas pourquoi M. le rapporteur n’accepte pas cet ajout par rapport à son amendement n° 7, qui n’est donc pas complet.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 et 54.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous n’avons pas de réponse !

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 37.

(Le sous-amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 7.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 25 rectifié, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après le texte proposé par cet article pour l’article 462-9 du code pénal, insérer un article ainsi rédigé :

« La qualité officielle de chef d’État, de Gouvernement, de membre d’un Gouvernement ou d’un Parlement, de représentant élu ou d’agent d’un État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent titre, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. La question a déjà été évoquée et réglée, ce n’est pas la peine d’y revenir. Je retire cet amendement.

M. le président. L’amendement n° 25 rectifié est retiré.

L’amendement n° 55, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après le texte proposé par cet article pour l’article 462-9 du code pénal, insérer un article ainsi rédigé :

« Art. … – La qualité officielle de chef de l’État ou de gouvernement, de membre du gouvernement ou du parlement, de représentant élu ou d’agent de l’État, n’exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent livre, pas plus qu’elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le retire, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 55 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 38, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

I. – Rédiger ainsi le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 462-10 du code pénal :

L’action publique à l’égard des crimes de guerre définis au présent livre, ainsi que les peines prononcées, sont imprescriptibles.

II. – Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

… Dans le premier alinéa de l’article 133-2 du code pénal, les mots : « de l’article 213-5 » sont remplacés par les mots : « des articles 213-5 et 462-10 ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à inscrire dans notre droit pénal le principe d’imprescriptibilité pour les crimes de guerre, principe dont l’application est jusqu’à présent réservée aux crimes contre l’humanité.

Dans sa décision du 22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a rappelé le point suivant : « Considérant qu’aux termes de l’article 29 du statut : “Les crimes relevant de la compétence de la Cour ne se prescrivent pas” ; qu’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ; ».

C’est d’ailleurs sur cette base que les crimes contre l’humanité sont, conformément à l’article 213-5 du code pénal, imprescriptibles.

En vertu du statut de la Cour pénale internationale, tous les crimes prévus par ce dernier sont imprescriptibles, y compris les crimes de guerre. Or, le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui fixe pour ces crimes un délai de prescription de trente ans. Même si celui-ci est supérieur au délai de prescription de droit commun pour les crimes, cela demeure contraire à l’esprit et à la lettre du statut de la Cour pénale internationale.

Certains pourront invoquer le paragraphe 34 de cette même décision, où le Conseil constitutionnel précise que « la France, en dehors de tout manque de volonté ou d’indisponibilité de l’État, pourrait être conduite à arrêter et à remettre à la Cour une personne à raison de faits couverts, selon la loi française, par l’amnistie ou la prescription ; qu’il serait, dans ces conditions, porté atteinte aux conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ».

Je crois qu’il ne faut pas se méprendre sur ce paragraphe : il signifie simplement que la remise d’une personne dont les actes sont couverts, selon la loi, par la prescription porte atteinte aux conditions essentielles de la souveraineté.

Ainsi, il est question non pas de modifier la Constitution, mais de changer la loi afin d’éviter un conflit de compétences.

L’amendement a donc pour objet de rendre les crimes de guerre imprescriptibles, conformément à l’article 29 du statut de la CPI. Il y va du respect de notre engagement à traduire de manière fidèle le droit issu de la mise en œuvre du statut de la Cour pénale internationale et du respect du principe « pacta sunt servanda », obligeant les États parties à respecter de bonne foi ce statut.

M. le président. L’amendement n° 56, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l’article 462-10 du code pénal :

L’action publique à l’égard des crimes de guerre définis au présent livre ainsi que les peines prononcées sont imprescriptibles.

La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Par cet amendement, nous proposons de rendre imprescriptibles les crimes de guerre, de même que les peines prononcées.

Les rédacteurs du projet de loi n’ont pas voulu retenir cette imprescriptibilité, pourtant incluse dans l’article 29 du statut de Rome. La commission des lois n’a pas souhaité non plus la rétablir, mais a proposé de porter le délai de prescription à trente ans.

Aujourd’hui, seuls les crimes contre l’humanité et les crimes de génocide ne font pas l’objet d’une prescription dans notre code pénal.

Sur le plan juridique, rien ne l’interdit concernant les crimes de guerre. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 22 janvier 1999 relative, précisément, au traité portant statut de la CPI, a considéré « qu’aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, n’interdit l’imprescriptibilité des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ». Le code de justice militaire prévoit déjà l’imprescriptibilité de certains crimes de désertion.

Sur le plan des poursuites, l’absence d’imprescriptibilité pourrait conduire à ce que la CPI, en vertu du principe de complémentarité, soit saisie des crimes allégués à l’issue du délai de prescription.

En tout état de cause, en étant partie au statut de Rome, la France a accepté l’imprescriptibilité des crimes de guerre. Si nous comprenons bien que toute extension de l’imprescriptibilité puisse provoquer un débat, l’existence dans notre droit de délais de prescription est, pour autant, un principe auquel nous-mêmes sommes très attachés.

C’est pourquoi nous ne sommes pas favorables à la banalisation de la suppression de ces délais, même si les crimes visés par le statut de la CPI sont des crimes exorbitants du droit commun, des crimes d’une gravité exceptionnelle.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 38 et 56 ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Dans notre droit, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Cette dérogation au principe selon lequel, en droit français, les infractions peuvent se prescrire dans un délai déterminé est justifiée par le caractère d’exceptionnelle gravité de ces crimes, qui constituent la négation même de l’être humain.

La commission des lois et le Sénat se sont toujours refusés à prendre le risque d’une forme de banalisation des crimes contre l’humanité, qui sont les crimes les plus atroces qui puissent exister, en élargissant l’imprescriptibilité à d’autres infractions, graves certes, mais qui n’atteignent pas le caractère de gravité du crime contre l’humanité.

Par ailleurs, en portant les délais de prescription de l’action publique, pour les crimes de guerre, de dix à trente ans, le projet de loi étend déjà très au-delà des règles habituelles la possibilité de poursuivre ces crimes.

Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 38 et 56.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je suis tout à fait d’accord avec les arguments de M. le rapporteur.

L’article 29 du statut de Rome dispose que les crimes jugés par la CPI sont imprescriptibles. Cela ne remet pas en cause le droit français : comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles, en raison de leur gravité et de leur atrocité. Il faut donc retenir un critère qui permette de les distinguer des autres.

Pour autant, rien n’empêche que la CPI poursuive les crimes de guerre, en considérant qu’ils sont imprescriptibles.

Le Gouvernement est donc défavorable à ces deux amendements, d’autant que, comme l’a rappelé M. le rapporteur, il est proposé d’allonger les délais de prescription, afin de les porter à trente ans pour les crimes de guerre et à vingt ans pour les délits de guerre. Le droit français couvre donc largement ces types de crimes et de délits, sachant, je le redis, que la CPI peut tout à fait poursuivre un crime de guerre qu’elle considère imprescriptible.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur l’amendement n° 38.

M. Robert Badinter. Je comprends le désir, légitime, des auteurs des deux amendements d’aligner le texte sur le statut de Rome, et nous-mêmes avons d’ailleurs déposé plusieurs amendements à cet effet.

Cependant, je tiens à le dire hautement et clairement dans cet hémicycle : je considérerai toute ma vie le crime contre l’humanité comme étant, de tous les crimes, le pire, et comme appartenant à une espèce particulière, qui est simplement la négation de l’humanité chez les victimes.

Rappelons-nous ce que signifie le génocide. Au cours du procès Barbie, qui a permis l’audition de tant de victimes, mais aussi de personnalités qui avaient eu l’occasion de mesurer ce qu’était la réalité du génocide, André Frossard, grand écrivain catholique, a dit que ce qui caractérise le crime contre l’humanité, c’est qu’il est, pour la victime, le crime d’être né ; on doit mourir parce que l’on est né appartenant à telle ethnie, ou de parents pratiquant telle religion.

À ce titre, le crime contre l’humanité est en effet la négation de la personne humaine. Qu’il soit imprescriptible, c’est-à-dire qu’il puisse être poursuivi aussi longtemps que vit l’auteur du crime, est légitime. Aucun autre crime ne peut se rapprocher de celui-là par ce qu’il implique, je le répète, de négation de la personne humaine.

C’est la raison pour laquelle, jusqu’à présent, le droit français n’a considéré comme imprescriptible que le crime contre l’humanité.

Je rejoins ce qu’a dit Mme la garde des sceaux : pour autant, si la Cour pénale internationale le désire, elle pourra poursuivre après trente ans les auteurs de crimes de guerre ; mais elle seule le pourra alors.

Sur ce point, notre position doit demeurer constante : il y a le crime contre l’humanité, et il y a les autres crimes. Cela étant, on a bien fait d’allonger la prescription et je fais mienne, à cet égard, la position prise par la commission des lois ce matin.

M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l'amendement n° 38 est-il maintenu ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 38 est retiré.

Monsieur Bret, l'amendement n° 56 est-il maintenu ?

M. Robert Bret. Il est également retiré, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 56 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements identiques.

L'amendement n° 39 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.

L'amendement n° 57 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 462-11 du code pénal.

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 39.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le nouvel article 462-11 du code pénal pose le principe que n’est pas constitutif d’un crime de guerre le fait, pour la France, de recourir à l’arme nucléaire ou à toute autre arme qui n’est pas interdite par une convention à laquelle la France est partie.

Cet article n’a d’autre objet que de rendre licite, dans notre droit interne, une question qui fait l’objet d’un débat encore brûlant à l’échelon du droit international, y compris dans la doctrine.

Permettez-moi de rappeler le contexte juridique international lié à cette question.

Saisie par l’Assemblée générale des Nations unies, la Cour internationale de justice a rendu le 8 juillet 1996 un avis sur cette question simple : la menace de l’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires est-il licite au regard du droit international ?

Après avoir précisé que la menace de l’emploi ou l’emploi d’armes nucléaires est généralement contraire aux règles du droit international général, c’est-à-dire aux articles 2 et 51 de la Charte des Nations unies, ainsi qu’au droit international des conflits armés et au droit conventionnel, c’est-à-dire aux traités de non-prolifération, la Cour internationale de justice, dans son avis, a pourtant répondu ainsi à la question qui lui était posée : « Au vu de l’état actuel du droit international, ainsi que des éléments de fait dont elle dispose, la Cour ne peut cependant conclure de façon définitive que la menace ou l’emploi d’armes nucléaires serait licite ou illicite dans une circonstance extrême de légitime défense dans laquelle la survie même d’un État serait en cause. »

De cette conclusion confuse, les puissances possédant l’arme nucléaire ont conclu à la licéité du recours à l’arme nucléaire dans cette circonstance de légitime défense.

En d’autres termes, ces États, dont la France, en ont conclu que s’il n’existe pas de règle explicite interdisant la menace du recours à l’arme nucléaire, ce dernier est permis en vertu du principe selon lequel tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.

La réaction du Quai d’Orsay ne s’est pas fait attendre, puisque, le 8 juillet 1996, un communiqué interprète ainsi l’avis rendu par la Cour : « La Cour reconnaît que l’emploi ou la menace de l’emploi de l’arme nucléaire peuvent être licites dans des circonstances exceptionnelles qui relèvent de la légitime défense au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies. »

La France a converti l’avis de la Cour internationale de justice, qui constituait une absence de réponse, en reconnaissance de la licéité de la menace de l’emploi ou de l’emploi de l’arme nucléaire en situation de légitime défense.

En résulte le nouvel article 462-11 du code pénal inséré dans le présent projet de loi, qui vise à codifier mot pour mot la position de la France, j’y insiste, et non l’état du droit international en la matière, car cette question, qui fait encore débat au regard du droit international, n’a pas été tranchée sur le plan juridique. Il est donc très malvenu de le faire dans le cadre de notre code pénal.

D’abord, cet article fait dire à l’avis de la Cour internationale de justice ce qu’il n’a pas dit.

Ensuite, cette question de la licéité relève non pas du droit pénal interne, mais du droit international, qui lui est supérieur.

Une codification ne doit avoir pour effet ni de priver le droit international de son effectivité ni de codifier une position politique de la France.

Soit on codifie des règles existantes et reconnues du droit international – c’est le cas pour une grande partie du projet de loi –, soit on codifie de manière aléatoire, en fonction de considérations politiques – c’est le cas pour l’article 462-11.

Il convient donc de laisser cette question à l’appréciation de la Cour internationale de justice et aux instances internationales, plutôt que de chercher à tout prix à obtenir une validation de cette règle en droit interne.

Pour l’heure, le consensus n’existe pas. D’ailleurs, dans cet avis de la Cour internationale de justice, seuls trois juges considèrent que la menace de l’emploi ou l’emploi de l’arme nucléaire est conforme au droit international, alors que cinq sont d’opinion contraire : c’est ce que nous apprend la lecture des opinions individuelles et dissidentes jointes à l’avis.

Il ne faut pas confondre, en effet, politique et droit, notamment droit international. Cette question est éminemment conflictuelle : sa résolution n’a pas sa place dans le code pénal. Laissons l’ordre juridique international régler ce problème et décider, le moment venu, si oui ou non l’emploi de l’arme nucléaire dans la circonstance de légitime défense est licite au regard du droit international.

L’amendement n° 39 vise donc à supprimer le nouvel article 462-11 du code pénal, qui procède à la codification d’une règle inexistante en droit international. En la circonstance, le silence ou les « errements » du droit international ne doivent pas avoir pour effet de donner à la France un blanc-seing en la matière.

Ne faisons pas dire aux conventions de Genève et à ses protocoles ce qu’ils ne disent pas. Il y va de la crédibilité de la France sur la scène internationale, notamment sur cette question de l’arme nucléaire ou sur celle de la légitime défense préventive.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 57.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La question soulevée est tout à fait d’actualité, compte tenu de l’évolution des conceptions de la défense préventive.

L’article 462-11 vise à exclure du champ des crimes ou des délits de guerre l’utilisation par notre pays, en cas de légitime défense, de sa force de frappe nucléaire ou de toute autre arme dont l’utilisation n’est pas prohibée par une convention internationale que nous avons signée.

À mes yeux, l’introduction de cette disposition permet d’invoquer la légitime défense pour constituer un principe absolu d’immunité pénale, et ce quelle que soit la nature de l’arme utilisée.

Nous sommes fortement opposés à cette disposition, pour deux raisons.

La première est une raison de forme.

En effet, comme l’avait à juste titre relevé la Commission nationale consultative des droits de l’homme, autorité incontestée en la matière, cette disposition risque d’introduire une confusion des genres entre les cas dans lesquels il serait admis de recourir aux armes nucléaires et les comportements interdits pendant un conflit. La distinction bien connue des juristes entre le jus ad bellum et le jus in bellum pourrait ainsi s’estomper.

La seconde raison concerne le fond.

Comment définir avec précision la légitime défense alors que notre doctrine d’emploi de l’arme nucléaire évolue depuis quelques années ? Celle-ci reposait, en effet, sur la notion de dissuasion dite « du fort au faible », qui sous-entendait que l’on n’ait pas à se servir de ce type d’arme.

Cependant, en janvier 2006, dans un discours prononcé à Brest, le Président de la République de l’époque, Jacques Chirac, avait modifié les hypothèses d’emploi des armes nucléaires en élargissant la définition des « intérêts vitaux » du pays et en autorisant l’utilisation de ces armes sur les « centres de pouvoir » d’États liés à des mouvements terroristes.

Ces orientations ont été confirmées, depuis, par l’actuel chef de l’État. Dans ces conditions, la notion de légitime défense change de signification.

Pour cet ensemble de raisons, je vous demande d’adopter cet amendement, ce qui empêcherait que la légitime défense ne soit considérée comme un principe absolu d’immunité pénale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les deux amendements identiques ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je ne veux pas faire de politique militaire, mais ces deux amendements visent tout simplement à remettre complètement en cause notre politique de défense et notre stratégie de dissuasion.

L’article 462-11 vise à exclure du champ des crimes ou des délits de guerre le fait, pour la France, d’user de l’arme nucléaire ou de toute autre arme dont l’utilisation n’est pas prohibée par une convention internationale à laquelle la France est partie, dès lors que cela est lié à l’exercice de la légitime défense.

Cette disposition est d’ailleurs conforme à la déclaration interprétative faite par la France lors du dépôt de son instrument de ratification afférent à la convention de Rome.

Elle paraît pleinement justifiée et n’interdit nullement que dès lors que le recours à la force serait admis, les comportements prohibés par la convention de Rome et incriminés par le projet de loi engagent la responsabilité pénale de leurs auteurs.

En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur les deux amendements identiques.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La prohibition de certaines armes n’inclut pas l’arme nucléaire. La France a d’ailleurs fait une réserve expresse lors de la ratification de la convention de Rome créant la Cour pénale internationale.

Le Gouvernement tient à préserver le droit à l’usage de l’arme nucléaire pour assurer la sécurité et la défense de la France. Il émet donc un avis défavorable sur les deux amendements.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. Je comprends la préoccupation des auteurs des amendements.

Je rappelle que le principe même de la dissuasion repose sur l’utilisation ultime du recours à l’arme nucléaire face à une agression qui peut être considérable, mais pas nécessairement nucléaire.

Il suffit d’envisager ce qui se passerait si une puissance détenant un grand nombre de missiles non nucléaires, mais suffisamment destructeurs, nous menaçait ou commençait à nous bombarder. Seule l’évocation du recours à l’arme nucléaire nous permettrait d’exercer la dissuasion.

Dans la mesure où il s’agit de la légitime défense internationale, on ne peut pas suivre, à mon sens, les auteurs des amendements sur ce point.

M. le président. Madame Boumediene-Thiery, l'amendement n° 39 est-il maintenu ?

Mme Alima Boumediene-Thiery. Oui, monsieur le président.

M. le président. Madame Borvo Cohen-Seat, l'amendement n° 57 est-il maintenu ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je le maintiens, monsieur le président.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 39 et 57.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.

(L'article 7 est adopté.)

Article 7
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 8

Articles additionnels après l'article 7

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par MM. Fauchon et Zocchetto, est ainsi libellé :

I. - Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article 689-11 ainsi rédigé :

« Art.689-11 - Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, toute personne qui se trouve sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée.

La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à  la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

« Chapitre...

« Disposition modifiant le code de procédure pénale

La parole est à M. Pierre Fauchon.

M. Pierre Fauchon. Nous en arrivons à cette fameuse question de la compétence universelle, comme on la désigne un peu improprement, qui est l’un des aspects relativement novateurs de ce texte.

J’ai pensé qu’il fallait progresser dans cette direction d’une compétence territoriale d’une forme nouvelle, qui, comme je l’ai indiqué lors de la discussion générale, va au-delà de nos habitudes et de nos principes généraux. Cela me paraît justifié par des circonstances sur lesquelles il est inutile de revenir.

Il s’agit donc d’affirmer que peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne – je réserve la question de la définition de la relation territoriale – « qui s’est rendue coupable à l’étranger de l’un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale, signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l’État où ils ont été commis ou si cet État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée ».

Cela étant, comment définir la relation territoriale ? C’est sur ce point que l’on peut hésiter.

Dans une première rédaction, j’avais visé toute personne résidant sur le territoire national, parce que cela me semblait plus précis que viser « toute personne qui se trouve sur le territoire de la République » et plus conforme à mes préoccupations. Je ne voulais pas que la France apparaisse comme un pays d’accueil ou un refuge pour de grands criminels, et une telle rédaction pouvait, me semble-t-il, avoir un effet de dissuasion.

Cependant, en commission des lois, ce matin, bien que les commissaires n’aient pas été au complet, le choix entre les verbes « se trouve » et « réside » a été significatif. C’est l’idée de se trouver sur le territoire de la République qui l’a emporté très largement, il faut bien le dire, et ce en dépit de l’avis et des explications du rapporteur. En conséquence, j’ai cru devoir rectifier mon amendement.

Depuis lors, cependant, ma réflexion s’est poursuivie au gré d’entretiens avec des juristes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je me disais aussi …

M. Pierre Fauchon. Chère collègue, on est autorisé à réfléchir, tout de même ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Peut-être pas vous (Protestations sur les mêmes travées.), …

M. Pierre-Yves Collombat. Nous aussi, nous réfléchissons !

M. Pierre Fauchon. … mais, moi, certainement ! Et ma réflexion est continuelle. Cela prouve que nous n’avons pas tout à fait la même culture démocratique ; ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je m’en aperçois ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

J’ai donc poursuivi ma réflexion. Éclairé par les explications qui m’ont été données, je suis maintenant très disposé à revenir à ce qui était, je vous le signale, ma rédaction initiale.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est lamentable !

M. Pierre Fauchon. Monsieur Sueur, je ne peux pas accepter ce qualificatif. Le retirez-vous ? Sinon, je vais réagir vivement, je vous préviens ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Ce qui est lamentable, monsieur Sueur, c’est votre façon d’envahir le débat avec des propos déplacés ! Malheureusement, ce n’est pas la première fois, et il est à craindre que ce ne soit pas la dernière.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah, vous êtes bien placé pour parler !

M. Pierre Fauchon. J’en reviens à mon propos.

Je suis donc tout à fait à mon aise, car c’est en fait ma rédaction initiale que je suis tenté de reprendre. Ce n’est donc pas une découverte de dernière minute, chers collègues. J’ai eu le droit d’hésiter après les délibérations de la commission ; c’est d’ailleurs notre droit à tous, comme c’est notre devoir de bien réfléchir avant de nous prononcer.

J’avais été amené à rectifier une première fois mon amendement, malgré ma réticence, dès l’origine, à utiliser le verbe « se trouver ». Je suis maintenant prêt à revenir à la rédaction proposée par le rapporteur, à savoir le verbe « résider », bien que l’adverbe « habituellement » me pose problème ; je trouve en effet que la résidence habituelle, cela fait beaucoup ! Mais je suis d’autant plus disposé à entrer dans les vues de M. le rapporteur que l’on m’a fourni des explications.

Je souhaite cependant entendre Mme le garde des sceaux et M. le rapporteur sur ce point précis, afin que les explications qui m’ont été données à titre personnel, et qui ne peuvent donc renseigner ceux qui suivent nos débats, figurent au procès-verbal.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le MRP n’est pas mort !

M. le président. Mon cher collègue, ces explications figureront bien au procès-verbal, en effet, mais j’invite les uns et les autres à ne pas polluer un débat qui, jusqu’à présent, a été de haute tenue.

M. Pierre Fauchon. Monsieur Dreyfus-Schmidt, l’injure ne vous grandit pas et elle ne me diminue pas !

M. le président. Jusqu’à présent, chacun a pu s’exprimer et le débat a été intéressant. Je voudrais que cesse cet échange d’invectives !

L'amendement n° 61, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

I. - Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article 689-11 ainsi rédigé :

« Art. 689-11. - Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée.

« La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

« Chapitre...

« Disposition modifiant le code de procédure pénale

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement n° 61 reprend la rédaction de la commission avant adoption du sous-amendement déposé par M. Robert Badinter.

Le statut de Rome créant la Cour pénale internationale n'exige pas que les États se reconnaissent une compétence universelle pour juger tous les auteurs de crimes contre l'humanité et tous les criminels de guerre, même sans aucun lien de rattachement avec leur pays.

Une telle compétence ne serait pas acceptable à bien des égards.

Toutefois, il convient également d'éviter que ces criminels ne résident en France sans pouvoir être inquiétés.

Une compétence extraterritoriale de la France pour juger des faits étrangers à sa compétence habituelle pourrait donc être instaurée en droit interne pour ce genre de faits, à condition qu’elle reste circonscrite dans des limites raisonnables qui rendent notre action légitime. C’est ce qu’ont fait tous les États qui ont adopté le principe de la compétence dite « universelle », mais qui n’a rien de vraiment universel.

Pour y parvenir sans concurrencer la CPI, qui a une compétence universelle de premier rang et dispose des moyens juridiques que n'ont pas les États pour l'exercer, le présent amendement introduit une compétence de la France subsidiaire par rapport à la compétence de la CPI et à celle des autres juridictions internationales ou nationales qui pourraient être mieux placées pour juger les criminels concernés.

La rédaction proposée prévoit un encadrement strict de la compétence des juridictions nationales.

Il faut ainsi que la personne ait une résidence habituelle sur le territoire ; je vous renvoie aux articles du code pénal sur le tourisme sexuel, les activités de mercenaire et le clonage commis à l'étranger.

Est également requise une double incrimination ou le fait que la personne soit justiciable de la CPI, et ce pour respecter la légalité des délits et des peines.

Nous prévoyons aussi le monopole du ministère public : c’est le principe général pour la poursuite des infractions extraterritoriales, même lorsque celles-ci sont commises par nos nationaux, dans le cas de corruption internationale, par exemple.

Enfin, nous réservons les poursuites au cas d’un déclinatoire de compétence exprès de la CPI et d'absence de demande de remise par une autre juridiction internationale ou d'extradition par un autre État.

Seule une compétence subsidiaire de la France peut alors se justifier.

M. le président. Le sous-amendement n° 62, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Dans le premier alinéa du texte proposé par le I de l'amendement n° 61 pour l'article 689-11 du code de procédure pénale, remplacer les mots :

réside habituellement

par les mots :

se trouve

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes ici au cœur du débat.

Tout ce qui a été évoqué concernant la mise en œuvre du statut et l’alignement plus précis des infractions était important, mais ce n’était pas essentiel. Quant à la prescription, la Cour pénale internationale pourra poursuivre au-delà de la période de trente ans que nous avons choisie pour sauvegarder la spécificité du crime contre l’humanité.

Avec cet amendement et ce sous-amendement, ce qui est en jeu est d’une tout autre importance. Je vais m’efforcer d’être aussi précis et clair que possible.

En droit interne, la règle de compétence est simple : la justice française est compétente quand l’auteur de l’infraction est français, quand la victime de l’infraction est française ou quand les faits, ou une partie des faits, se sont déroulés sur le territoire français.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà ! C’est le principe de territorialité.

M. Robert Badinter. C’est logique et on le conçoit.

Toutefois, pour certains crimes qualifiés d’« internationaux », dont la gravité est si évidente qu’elle alerte les consciences et mobilise la communauté internationale, la position du législateur français a toujours été constante. On voudrait la démentir aujourd’hui et la changer au profit des pires criminels qui soient.

Avant de rappeler cette position du droit français s’agissant de crimes qui font l’objet de conventions internationales, je précise qu’il s’agit d’actes de torture, de certaines formes de corruption, d’actes de pirateries aériennes ou maritimes – c’est très important – ainsi que de détournements d’actifs au détriment de la Communauté européenne.

Or, et il est bon de bien le garder à l’esprit, chaque fois qu’une convention internationale de cette nature a appelé la communauté internationale à se mobiliser contre ce type de crimes, la position du législateur français a été la suivante : si l’auteur présumé se trouve sur le territoire français, alors il y a compétence de la justice française.

Ce n’est que l’expression d’un devoir majeur pour une société comme la nôtre, qui rappelle toujours son attachement aux droits de l’homme et sa volonté de ne pas laisser les pires crimes impunis, je veux dire le devoir de juger.

Prenez le code de procédure pénale et vous y trouverez toute la liste des conventions qui se réfèrent à l’article de principe, l’article 689–1, lequel prévoit : « En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s’est rendue coupable hors du territoire de la République de l’une des infractions énumérées par ces articles. »

Voilà pourquoi la justice française doit agir si la personne se trouve sur le territoire français.

J’ai ici un texte soumis à l’heure actuelle par le Gouvernement à l’Assemblée nationale et relatif à une infraction majeure, la disparition forcée, que l’on retrouve d’ailleurs dans le statut.

Ce projet de loi autorisant la ratification de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées est signé, en date du 7 mai 2008, de M. François Fillon, Premier ministre, et de M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.

Que précise en son article 9, relatif aux clauses de compétence, cette convention internationale dont nous aurons bientôt à connaître pour autoriser sa ratification ?

« 2. Tout État partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître d’un crime de disparition forcée quand l’auteur présumé de l’infraction se trouve sur tout territoire sous sa juridiction,… ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !

M. Robert Badinter. Voilà ce qu’est le devoir de juger ! Le texte est aussi clair que possible. Sous une réserve que j’évoquerai tout à l’heure, nous nous sommes engagés internationalement à réprimer - donc à user de notre compétence à l’encontre de leurs auteurs -, les crimes tels que les disparitions forcées, les tortures et, a fortiori, les pires qui soient, les crimes contre l’humanité.

C’est une constante. Pourquoi y dérogerions-nous ? Parce qu’il y a la Cour pénale internationale, me répond-on

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !

M. Robert Badinter. Je ne fais rien d’autre que de reprendre les termes mêmes de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour prévoir que, si la Cour pénale internationale ou un autre État, l’État national, a été saisi de la situation, alors la France n’a bien entendu pas à exercer sa compétence, et cela pour une raison simple : l’existence en effet de la Cour pénale internationale. Mais l’obligation d’arrêter les auteurs, de les poursuivre et de les juger est, dans ce cas-là, inscrite dans la Convention.

Or conserver la condition de résidence habituelle signifie, je demande à chacun de le mesurer, que nous ne nous reconnaissons compétents pour arrêter, poursuivre et juger les criminels contre l’humanité, c'est-à-dire les pires qui soient, que s’ils ont eu l’imprudence de résider de façon quasi permanente sur le territoire français. Autrement dit, nous considérons que le simple fait, pour l’auteur de tortures, de se trouver sur le territoire français justifie la compétence de la juridiction française, sous réserve de la Cour pénale internationale, mais que son « patron », en quelque sorte, son supérieur hiérarchique, celui qui a déclenché la vague de tortures et d’assassinats, devrait, lui, pour être inquiété, s’être établi de façon habituelle sur le territoire français !

Disons-le brutalement, cela reviendrait à traiter mieux le criminel contre l’humanité que l’auteur des tortures !

Pouvons-nous accepter cela ? Bien évidemment non ! Voilà la raison pour laquelle, ce matin, la commission des lois, au sein de laquelle l’opposition n’était par définition pas majoritaire, a accepté ce sous-amendement n° 62. Pour le reste, je me rallie à l’amendement n° 61 de la commission des lois.

Au demeurant, si je souhaite remplacer les mots « réside habituellement » par les mots « se trouve », c’est que, ce faisant, je reprends l’expression qui figure, mes chers collègues, dans toutes les conventions internationales dont l’objet est de permettre la répression de crimes si graves qu’ils sont insupportables à la conscience internationale. Ces conventions, la France les a ratifiées. Vous ne pouvez tout de même pas faire une exception, je dirais même une faveur, pour les criminels contre l’humanité après toutes les positions que nous avons prises et que nous allons encore prendre en matière de disparition forcée !

Nous n’avons pas à avoir de complaisance à l’égard de ces criminels. Non, nous n’avons pas à traiter Himmler mieux que Barbie !

Voilà le motif du dépôt de ce sous-amendement et voilà la raison pour laquelle la commission des lois, dans sa majorité, a confirmé ce matin qu’il fallait s’aligner sur ce qui s’est toujours fait dans les conventions de cet ordre et non réserver un sort privilégié, car ce serait bien un sort privilégié, aux criminels contre l’humanité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. L'amendement n° 26, présenté par M. Badinter et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. 689-11. - Pour l'application du traité de Rome adopté le 18 juillet 1998 créant la Cour pénale internationale, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l'article 689-1, toute personne présumée auteur ou complice d'un crime ou d'un délit défini dans le Traité sous réserve de l'exercice par la Cour Pénale internationale de sa compétence. »

La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. Cet amendement résulte d’un travail très approfondi. Ne croyez pas, mes chers collègues, que nous en soyons arrivés là sans de longues réflexions ! Je salue à cet égard les efforts déployés par M. le rapporteur pour auditionner toutes les personnalités compétentes.

Quand M. Claude Jorda, qui a été le président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, et M. Bruno Cotte, président de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a été élu au poste de juge à la Cour pénale internationale, à La Haye, ont rappelé que la France avait souscrit des obligations morales – j’ai dit le devoir de juger ces criminels contre l’humanité, sous réserve de la compétence de la Cour pénale internationale –, les membres de la commission des lois ont alors pu apprécier la façon dont les choses se passeraient dans la réalité.

Si un bourreau, escortant tel ou tel chef d’État, se trouvait en France, que ferait le parquet, dans le cas, bien évidemment, où il aurait recueilli contre cette personne des éléments suffisants pour agir, des charges lui permettant de présumer qu’il s’agit d’un auteur possible ou d’un complice possible de crimes contre l’humanité ?

Le parquet en informerait, par téléphone ou courriel, le procureur indépendant de la Cour pénale internationale. Ce dernier demanderait, c’est l’évidence, que l’homme en question soit arrêté puis transféré. Au cas où il aurait été lancé, le mandat d’arrêt serait exécuté.

Nous ne courrons donc pas après cette compétence, mais nous ne pouvons pas nous dérober ! Voilà ce que nous ont rappelé MM. Jorda et Cotte, ce dernier citant le préambule du statut de Rome, lequel affirme que nous ne supporterons pas que ces hommes connaissent l’impunité.

J’ajoute qu’il s’agit d’un facteur majeur de prévention de ces actes. Ces criminels doivent savoir que, partout dans l’espace conventionnel, ils pourront être arrêtés et poursuivis.

Pour ma part, je pense que la France n’a pas à faire preuve de complaisance, sous aucune forme, à l’égard de ce type de bourreaux. Si l’un d’eux est arrêté à Paris, puis livré à la CPI ou à l’État dans lequel ont été commis ces crimes, ou bien jugé par nous – nous l’avons fait en matière de tortures –, dans tous les cas, cela dissuadera les autres de croire que la France est un refuge pour les bourreaux de l’humanité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Pour l'application du Statut de la Cour pénale internationale, signé à Rome le 17 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l'article 689-1 toute personne coupable de l'une des infractions suivantes :

« 1° Crimes contre l'humanité et crimes de génocides définis aux articles 211-1, 211-2 et 212-1 à 212-3 du code pénal ;

« 2° Crimes de guerre définis aux articles 461-1 à 461-31 du même code ;

« 3° Infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949 et au Protocole additionnel I du 8 juin 1977. »

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je n’ai que très peu à ajouter aux excellents arguments que vient de développer M. Badinter.

Je rappelle simplement que, à l’issue du débat qui s’est instauré ce matin en commission des lois, le vote majoritaire a été clair. En effet, la condition de la résidence habituelle enlève beaucoup de son contenu à la compétence universelle.

Mais j’observe que, pour résider habituellement, il faut avoir un titre de séjour.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Et un visa !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans ce cas de figure, cela signifierait que la France aurait donné un titre de séjour à l’un des criminels dont nous parlons aujourd’hui. Ce ne saurait être le cas, bien évidemment, mais je tenais à livrer cette réflexion au débat pour illustrer le fait que nous avons bien du mal, et c’est un véritable problème, à envisager concrètement les personnes dont il s’agit en réalité.

Je précise en outre que la France a déjà reconnu la compétence universelle, notamment dans l’article 689-1 du code de procédure pénale, ainsi que dans le cadre de sa coopération avec les TPI ad hoc, et en ratifiant les conventions de Genève de 1949. Celles-ci prévoient en effet que « chaque partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre, l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité ». Cet article prévoit aussi la possibilité d’extrader les personnes prévenues – c’est malvenu aujourd’hui, alors qu’une personne va être extradée pour des raisons assez différentes –, à condition que l’autre partie contractante intéressée « ait retenu contre lesdites personnes des charges suffisantes ».

La plupart des pays européens ont retenu dans leur législation, d’une manière ou d’une autre, la compétence universelle. Il serait regrettable que la France, qui devra très bientôt présider l’Union européenne, continue d’accuser un retard sur ce point.

Hors d’Europe, des pays ont modifié leur législation pour permettre à leurs juridictions criminelles de juger les auteurs de crimes internationaux commis hors de leur territoire. C’est pourquoi nous proposons, comme le font les organisations membres de la Coalition française pour la Cour pénale internationale, que les auteurs des crimes les plus graves au regard de l’humanité, ceux qui relèvent du statut de Rome, puissent être jugés où qu’ils se trouvent, là où ils se trouvent.

S’ils séjournent en France, même provisoirement, ou tentent de s’y réfugier, ils pourraient soit être interpellés en vue de leur extradition pour être orientés vers une juridiction mieux à même de les juger, soit être jugés en France. Cela permettrait d’éviter que les auteurs de faits aussi graves que ceux dont nous débattons ne soient libres d’aller et venir en toute impunité sur notre territoire, comme M. Badinter vient de l’évoquer.

Sans préjuger du sort des amendements nos 10 rectifié bis de M. Fauchon et 61 de la commission, je tiens à faire observer qu’ils sont restrictifs. Par conséquent, je vous invite, mes chers collègues, à leur préférer cet amendement ou celui qui a été présenté par M. Badinter.

M. le président. L'amendement n° 59, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article ainsi rédigé :

« Art. ... - Pour l'application de la convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale adoptée à Rome le 17 juillet 1998, peut être poursuivie et jugée dans les conditions fixées par l'article 689-1 toute personne coupable de l'une des infractions visées aux chapitres Ier et II du sous-titre Ier du Titre Ier du Livre II du code pénal et les infractions visées au chapitre Ier du livre IV bis de ce code. ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Je ne reviendrai pas sur la condition de résidence, qui est tout à fait restrictive. Nous sommes d’ailleurs nombreux à réclamer la mise en œuvre d’une compétence universelle, laquelle devrait constituer un axe fondamental de ce projet de loi.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais c’est la compétence universelle que nous proposons, voyons !

Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 689 du code de procédure pénale définit en ces termes le principe de compétence universelle des tribunaux français : « Les auteurs ou complices d’infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque […] la loi française est applicable, soit lorsqu’une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l’infraction ».

L’article 689-1 du code de procédure pénale précise que les juridictions françaises sont compétentes pour poursuivre toute personne, quelle que soit sa nationalité ou sa résidence, qui aurait commis l’une des infractions visée par les articles 689-2 à 689-10 du même code.

Par conséquent, la référence à ces différents articles permet de faire jouer le principe de la compétence universelle s’agissant des crimes les plus graves, notamment les actes de torture.

Ainsi, pour les crimes que la communauté internationale reconnaît par voie conventionnelle comme étant les plus graves, la compétence universelle devrait, me semble-t-il, être retenue systématiquement.

Or ce principe est absent s’agissant des incriminations visées par ce projet de loi, à savoir le crime contre l’humanité, le crime de génocide et le crime de guerre.

Si nous voulons adapter de manière fidèle notre droit pénal au statut de la Cour pénale internationale, il faut mettre un terme à une telle disparité, qui revient à reconnaître la compétence universelle pour des actes de torture, mais pas pour des génocides !

Autre exemple d’incohérence, le droit français reconnaît la compétence universelle pour les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda durant une période déterminée, en vertu des statuts respectifs du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal pour le Rwanda, mais il ne la reconnaît pas pour les mêmes crimes s’ils sont commis dans d’autres régions et à un autre moment.

Il est dangereux d’instituer dans notre droit pénal, pour un même crime de génocide, une compétence à géométrie variable selon le lieu où le crime est commis.

Je vous propose donc, par cet amendement, d’élargir la compétence universelle des tribunaux français aux infractions définies par le statut de la Cour pénale internationale. Son adoption permettra enfin de combler un vide juridique et d’assurer une lutte efficace contre l’impunité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n°10 rectifié bis, sur le sous-amendement n° 62, ainsi que sur les amendements nos 26, 58 et 59 ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. L’amendement n° 10 rectifié bis, s’il est rectifié, sera en tout point identique à celui que j’avais moi-même déposé au nom de la commission. Par conséquent, je ne pourrai émettre qu’un avis favorable.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Est-ce en votre nom personnel ou au nom de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Je donne l’avis de la commission, avant adoption du sous-amendement n° 62 déposé par M. Badinter.

La commission a émis un avis favorable sur ce sous-amendement, contre l’avis du rapporteur.

Pour ce qui concerne les amendements nos 26, 58 et 59, la commission demande à leurs auteurs de bien vouloir les retirer, car leur adoption n’apporterait rien de plus.

Je vous ferai cependant remarquer, mes chers collègues, que l’amendement que j’avais proposé visait à mettre en place la compétence universelle, certes sous des conditions particulières, mais comme c’est le cas en Allemagne, au Portugal ou en Belgique. Ces pays ont en effet retenu des conditions spéciales, contrairement à ce que prétendent certaines organisations. D’ailleurs, tous les pays qui ont reconnu la compétence universelle en ont encadré l’exercice de telle sorte que, jusqu’à aujourd’hui, disons les choses comme elles sont, cette compétence universelle n’a jamais trouvé à s’appliquer.

Si certaines conventions reconnaissent la compétence universelle, c’est parce qu’il n’existe pas de juridiction internationale ! Je signale, là encore, qu’aucune application de cette compétence n’a été observée, si ce n’est à l’occasion d’une procédure pour crimes contre l’humanité et tortures engagée par une juridiction française contre un ministre congolais. Le résultat, c’est que cette procédure a avorté, puisque nous ne pouvons incriminer que les seules personnes qui relèvent d’un État signataire de la convention internationale autorisant l’exercice d’une compétence universelle. Par conséquent, les ressortissants d’un État non signataire ne peuvent pas être poursuivis, même si ce sont les pires des bourreaux et des dictateurs.

Je viens donc de vous rapporter, mes chers collègues, la position de la commission.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Pour ce qui concerne le sous-amendement déposé par M. Badinter, je ne peux que répéter ici ce qui a été dit ce matin : la commission a émis un avis favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je tiens à le rappeler, à la suite de M. le rapporteur, le statut de Rome n’exige pas que les États parties instaurent une compétence universelle.

M. Robert Badinter. Ce n’est pas la compétence universelle !

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est une règle de compétence extraterritoriale !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je vous en prie, monsieur Badinter, je n’ai pas terminé mon explication, qui rejoint d’ailleurs celle de M. le rapporteur.

Le Gouvernement n’a donc pas retenu dans ce projet de loi la compétence universelle. Néanmoins, on peut accepter d’aller au-delà. Une compétence élargie de la France est envisageable, mais celle-ci ne pourra pas être universelle. Elle doit être encadrée, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, c’est à la CPI qu’appartient d’abord cette compétence, puisque c’est la première juridiction pénale internationale créée qui a une vocation universelle. Il faut lui laisser son champ d’action propre et ne pas la concurrencer. Tout à l’heure, vous évoquiez vous-même, monsieur Badinter, une complémentarité.

En deuxième lieu, la CPI a les moyens d’exercer une compétence universelle que les États n’ont pas. Pour illustrer mon propos, je reprendrai l’exemple que nous avons évoqué tout à l’heure. Comment s’emparer d’un dirigeant, parlementaire, ministre ou chef d’État, alors même qu’il est protégé par son immunité ? Un tel obstacle disparaît si la Cour pénale internationale est saisie.

En troisième et dernier lieu, un État n’est légitime pour exercer la compétence en question que s’il existe un rattachement suffisant de l’auteur du crime avec cet État.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l’objectif est d’éviter que la France ne soit une terre d’asile pour les auteurs de crimes contre l’humanité ou de crimes de guerre. Si d’ailleurs un mandat d’arrêt a été lancé, si une personne est recherchée, rien n’empêche de l’interpeller, que celle-ci « réside » ou non en France.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Par son amendement, la commission des lois répond à cet objectif et aux exigences que je viens d’indiquer. Si la France se reconnaît compétente à l’égard des étrangers résidant en France, ce critère territorial est satisfait.

Je précise que l’exigence d’une résidence habituelle figure déjà aux articles 113-6 et 113-8 du code pénal français. Il s’agit d’observer un parallélisme d’écriture.

On ne peut pas juger, par exemple, un pédophile étranger pour des actes de tourisme sexuel s’il n’est pas résident habituel sur le territoire français. Il en est de même pour toutes les infractions sexuelles, l’aide à la prostitution, mais aussi les activités de mercenaire – vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur –, ou encore de clonage commises à l’étranger par un étranger.

L’amendement laisse, en outre, la priorité d’action à la CPI : la France agira subsidiairement, si aucune juridiction internationale ou nationale ne veut se saisir.

Le parquet a le monopole des poursuites. Là encore, cette disposition n’est pas spécifique : c’est la règle de droit commun pour poursuivre nos propres ressortissants. Je rappelle que la France a fait le même choix, encore très récemment, à l’automne 2007, pour transposer la Convention de Mérida dans la loi relative à la lutte contre la corruption.

Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement n °61.

S’agissant de l’amendement n° 10 rectifié bis, le Gouvernement émettra également un avis favorable si M. Fauchon accepte de le rectifier.

En revanche, le Gouvernement émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 62, ainsi que sur les amendements nos 26, 58 et 59.

M. le président. Monsieur Fauchon, acceptez-vous de rectifier l’amendement n° 10 rectifié bis ?

M. Pierre Fauchon. Comme je l’avais annoncé, je rectifie cet amendement en remplaçant les mots « se trouve » par les mots « réside habituellement ».

M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 10 rectifié ter, présenté par MM. Fauchon et Zocchetto, et ainsi libellé :

I. - Après l'article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après l'article 689-10 du code de procédure pénale, il est inséré un article 689-11 ainsi rédigé :

« Art. 689-11 - Peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises toute personne qui réside habituellement sur le territoire de la République et qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale en application de la convention portant statut de la Cour pénale internationale signée à Rome le 18 juillet 1998, si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont il a la nationalité est partie à la convention précitée.

La poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. À cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition. »

II. - En conséquence, faire précéder cet article d'une division additionnelle ainsi rédigée :

« Chapitre...

« Disposition modifiant le code de procédure pénale

Cet amendement est désormais identique à l’amendement n° 61.

Veuillez poursuivre, mon cher collègue.

M. Pierre Fauchon. Il n’est pas dans mon intention de rouvrir le débat, mais j’ai entendu tout à l'heure des propos qui m’ont surpris, car, entre nous soit dit, ils me paraissent contradictoires avec ceux qui ont été tenus lors de la première réunion de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Pierre Fauchon. Il faut rappeler d’où nous venons : la commission et son rapporteur, comme l’atteste le rapport, étaient très réservés quant à la compétence universelle. Les objections qu’elle suscitait étaient telles que, sans être catégoriquement contre, la commission ne s’orientait pas dans cette voie.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !

M. Pierre Fauchon. J’ai pensé qu’il fallait tout de même s’y engager et, ce faisant, dépasser notre cadre pénal habituel fondé sur les critères qui constituent la base de notre droit : l’infraction a été commise sur le territoire de la République, l’auteur, ou la victime, a la nationalité française.

Il s’agissait donc d’une avancée majeure, mais il fallait l’amorcer prudemment. Partisan de l’efficacité, je sais en effet que prudence et efficacité vont de pair.

Dans cet amendement, nous exigions la résidence, sans plus.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !

M. Pierre Fauchon. Telle est la démarche qui a inspiré cet amendement, et je regrette que François Zocchetto, cosignataire, ne soit pas à mes côtés ce soir pour le défendre.

Je me souviens avoir entendu dire, en commission des lois, par une personne dont je tairai le nom : « Nous n’allons tout de même pas, au nom de cette compétence, arrêter un individu qui sera en transit entre deux avions à Paris ! ». J’ai bien entendu ces propos, je ne les ai pas inventés !

Effectivement, nous nous hasarderions beaucoup en poussant l’exigence au-delà de cette condition de résidence. Peut-être le ferons-nous un jour, mais, dans l’immédiat, tenons-nous en aux règles de base de notre compétence pénale : avançons, mais avançons avec sûreté.

Or précisément, mes chers collègues, comment voulez-vous que le Sénat, première assemblée saisie, avance avec sûreté au cours de cette première lecture, si toutes ses options doivent être rejetées par l’Assemblée nationale ? Il me paraît donc préférable de voter ce qui constitue d’ores et déjà une avancée très significative, y compris par rapport à la position initiale de notre commission, que nous aurons ainsi fait évoluer.

C’est pourquoi je vous demande de voter cet amendement, rectifié, dans ses limites raisonnables, car aller au-delà serait, à tous égards, très aventureux.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le contraire !

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 62.

M. Robert Badinter. Je me suis moi-même rallié ce matin à l’amendement n° 61 dans la mesure où on y rappelle que, si la Cour pénale internationale est saisie, si une juridiction pénale étrangère ayant compétence est saisie, la France n’a pas à se saisir. Mais, dans le cas où l’auteur présumé d’un génocide se trouve présent sur notre territoire, la France ne peut pas fermer les yeux. C’est aussi simple que cela !

Deux mots nous séparent. Pour le rapporteur, il faut que ce bourreau contre l’humanité « réside habituellement » en France.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour être poursuivi et jugé par une juridiction française ! Vous ne dites pas tout !

M. Robert Badinter. C’est la condition qui figure dans le texte de cet amendement, alors même que toutes les conventions, pour des incriminations moindres, et l’article 689-1 du code de procédure pénale lui-même retiennent l’autre formule, à savoir que la personne « se trouve » sur le territoire français.

Cela signifie, concrètement, que, si l’auteur de tortures est présent sur le territoire français, il peut être arrêté, poursuivi, éventuellement jugé par une juridiction française, sauf si sa juridiction nationale le réclame. En revanche, s’il s’agit d’un criminel contre l’humanité, nous ne pourrons l’arrêter et le poursuivre qu’à la condition qu’il soit établi de manière habituelle en France. Sa simple présence sur notre territoire ne suffira pas. C’est une grande imprudence !

Quant à savoir si le criminel en transit à l’intérieur d’un aéroport « se trouve » ou non sur le territoire français, c’est à la Cour de cassation d’interpréter, mais, à cet instant, vous n’allez pas, je l’espère, traiter l’auteur de crimes contre l’humanité de passage en France plus favorablement que l’auteur de tortures !

Nous nous devons de rester fidèles à la politique pénale que nous avons définie tout au long des conventions que nous avons ratifiées concernant les crimes internationaux et de ne pas accorder un avantage aux criminels contre l’humanité.

Je rappelle l’engagement solennel que nous avons pris, qui est inscrit dans le préambule du statut de Rome : « Les États parties au présent statut, […] Déterminés à mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et à concourir à la prévention de nouveaux crimes, Rappelant qu’il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux… » Cela n’a rien à voir avec la compétence universelle : ce texte s’inscrit dans le cadre de la Convention.

Enfin, permettez-moi de relire le dernier point du préambule : « Soulignant que la Cour pénale internationale dont le présent Statut porte création est complémentaire des juridictions pénales nationales ». J’y insiste : elle est seulement complémentaire des juridictions pénales nationales.

Les choses sont donc claires : nous sommes devant un choix moral d’une importance extrême. Nous avons le devoir de juger ces criminels, tout en reconnaissant la compétence de la Cour pénale internationale, si celle-ci s’exerce.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut tout de même rappeler que, pour les autres crimes, il n’existe pas de juridiction internationale. La différence est donc considérable !

M. Robert Badinter. Nous sommes d’accord !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mon cher collègue, permettez-moi de vous faire remarquer que l’expression « se trouve » est floue et qu’elle ne fait l’objet d’aucune définition à ce jour.

M. Robert Badinter. C’est à la Cour de cassation d’interpréter !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce qui prouve que cette notion n’est pas claire, c’est le moins que l’on puisse dire !

M. Patrice Gélard, rapporteur. La Cour de cassation ne l’a jamais fait !

M. Robert Badinter. C’est faux !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois Et n’oubliez pas que la condition de la résidence habituelle est posée pour les cas où la personne serait poursuivie et jugée par les juridictions françaises. À l’évidence, il serait anormal que nous ne puissions pas retenir une personne présente sur le territoire national, dans un aéroport, par exemple, afin de vérifier si elle ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt international, si elle n’est pas réclamée par un État, ce qui est un autre problème.

En l’occurrence, donc, il s’agit bien des juridictions françaises. Mais ces dernières peuvent-elles poursuivre et juger une personne sur laquelle elles ne disposent d’aucun élément ? À cet égard, la Cour pénale internationale doit pouvoir pleinement jouer son rôle. Je souhaite vivement, pour ma part, que la juridiction internationale prenne toute son ampleur et juge ces grands criminels.

S’ils ne sont pas jugés, s’ils sont français, s’ils résident habituellement sur notre territoire, il faut bien sûr que nous les jugions.

Mais, je le répète, comment voulez-vous que les juridictions françaises puissent juger valablement ces criminels alors qu’elles ne possèdent aucune information les concernant ? Cela n’aboutira pas ! (M. Robert Badinter s’exclame.)

Mon cher collègue, j’ai la conviction que ce que nous sommes en train de dire ne correspond pas à la réalité.

Je veux bien que l’on multiplie les saisines et les occasions de juger ces criminels, mais, dans le cas de figure qui nous occupe, il n’y a pas de mandat d’arrêt international !

M. Robert Badinter. Il y en a un !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. S’il existe, nous renvoyons la personne vers le pays qui l’a émis, car, dans ce cas, il ne nous appartient pas de la juger, sauf si elle réside habituellement dans notre pays.

Alors que nous avons fait une avancée considérable par rapport à nos débats en commission où nous n’avions évoqué que l’extraterritorialité – plutôt que la compétence universelle, qui n’est pas l’expression appropriée –, il nous est aujourd'hui reproché de ne pas aller assez loin. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Permettez que j’exprime un point de vue personnel !

En tout état de cause, je trouve que vous avez tort de ne pas vouloir accepter ce qui constitue un progrès considérable. Votre solution n’aboutit à rien de plus et risque, au contraire, d’avoir des effets négatifs, je vous le dis franchement.

C’est pourquoi, ce matin, à titre personnel, j’ai voté contre ce sous-amendement, alors même que j’ai les mêmes objectifs que vous, monsieur Badinter !

M. Robert Badinter. Mais la commission l’a adopté, je vous le rappelle !

M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. La comparaison avec la délinquance sexuelle n’est pas appropriée. Il s’agit alors de Français qui se conduisent mal dans un autre pays et qui reviennent en France. Or, dans le cas qui nous intéresse, ce sont généralement des étrangers.

Madame le garde des sceaux, vous avez dit que rien n’empêchait de les interpeller, qu’ils soient résidents ou non. En vertu de quoi ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. D’un mandat d’arrêt !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Et s’il n’y en a pas ? Le mieux serait de rendre possible l’arrestation dans tous les cas.

Par ailleurs, j’observe que M. le rapporteur maintient son point de vue, en dépit des longs débats qui se sont déroulés ce matin, en commission.

Je m’adresse à nos collègues de la majorité ici présents pour leur rappeler que, ce matin, par douze voix contre cinq,…

M. Patrice Gélard, rapporteur. Dix !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. …la commission a voté notre sous-amendement. La majorité s’est donc exprimée très majoritairement en sa faveur ! (Sourires.) La modification que nous proposons avec ce sous-amendement est très importante, puisqu’il s’agit de substituer aux mots « toute personne qui réside habituellement sur le territoire » les mots « toute personne qui se trouve sur le territoire ». Pourquoi en effet imposer une condition de résidence habituelle pour pouvoir poursuivre quelqu’un ? À cet égard, on aurait aimé que M. le rapporteur tînt compte du vote qui a eu lieu en commission…

M. Patrice Gélard, rapporteur. J’en ai tenu compte !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. …et rapporte, au nom de celle-ci, la position de la commission.

M. Patrice Gélard, rapporteur. C’est ce que j’ai fait !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Or ce n’est pas ce qu’il fait ; il maintient son point de vue.

Revenons sur l’exemple, cité précédemment, d’un criminel qui transiterait par un aéroport français.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il sera jugé en France ! Le texte ne dit pas autre chose !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Certes, et, pour ma part, je n’y vois aucun inconvénient. Ce matin, la plupart de nos collègues de la majorité qui étaient présents en commission, mais qui, malheureusement, ne sont pas là ce soir,…

M. Robert Bret. En effet, ils ne sont pas nombreux !

M. Michel Dreyfus-Schmidt. … étaient tout à fait convaincus de la nécessité de préférer l’expression « qui se trouve sur le territoire ».

Chers collègues de la majorité, je ne désespère de vous en convaincre, la solution inverse, celle de la résidence habituelle, n’en est en réalité pas une !

M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole.

M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il est parfois nécessaire de se répéter pour emporter la conviction !

M. Robert Bret. C’est de la pédagogie ! (Sourires.)

M. le président. Moi qui suis neutre, je puis dire que le débat est, certes, de bonne qualité,…

M. le président. …mais qu’il n’est pas exempt, pour autant, de nombreuses répétitions.

La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, rassurez-vous, je serai bref ! (Sourires.)

M. le président de la commission, M. le rapporteur et tous ceux qui, comme moi, étaient présents ce matin en commission pourront témoigner de la manière dont les choses se sont déroulées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n’ai pas voté le sous-amendement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ne vous justifiez pas !

M. Jean-Pierre Sueur. Notre éminent collègue Robert Badinter a suscité l’adhésion de la majorité de la commission par son argumentation, il est vrai particulièrement puissante. Aussi, dès lors que les arguments n’ont pas changé, je ne comprends pas pourquoi, ce soir, ils ne recueillent plus la même approbation.

Pourquoi donc vous échinez-vous à nous expliquer que la seule présence sur le territoire français d’un auteur de crimes contre l’humanité ne peut suffire à son arrestation ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne nous appartient pas de le juger !

M. Jean-Pierre Sueur. Il faudrait donc, pour que nous puissions agir, qu’il possède en France une maison avec jardin et qu’il s’acquitte de ses factures d’eau, de gaz et d’électricité ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et qu’il ait un titre de séjour !

M. Robert Bret. Oui, n’oubliez pas le titre de séjour !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !

M. Jean-Pierre Sueur. Si l’on vous suit, un tel tortionnaire ne pourra être inquiété par la justice française qu’à la seule condition que ni son pays d’origine ni la Cour pénale internationale n’aient pris de dispositions à son encontre !

Monsieur Fauchon, j’ai parfaitement compris ce que vous avez dit, ce matin, en commission. En revanche, je n’ai compris ni les raisons de votre énervement, tout à l’heure, ni ce qui vous a conduit à changer d’avis. Je constate simplement que votre position a fluctué depuis ce matin et qu’elle n’est plus la même ce soir.

Je vois bien les arguties auxquelles il est fait recours, mais, quand les membres d’une commission, en l’occurrence la commission des lois, s’expriment avec une telle force après un débat aussi approfondi, nous devrions tous nous rallier à leur position.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non !

M. Jean-Pierre Sueur. Libre à vous, monsieur le président de la commission, de contester ce point de vue. Je respecte votre position. Néanmoins, comment expliquerez-vous à ceux qui liront le compte rendu de nos débats et qui commenteront nos échanges que, d’un côté, la République française prend grand soin d’adapter son droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, mais que, d’un autre côté, elle se refuse finalement à engager quelque action que ce soit contre l’auteur de crimes monstrueux qui se trouverait sur notre territoire si celui-ci n’y réside pas de manière habituelle, s’il n’y paie pas ses impôts, son loyer et ne cotise pas à la sécurité sociale ? Personne ne pourra le comprendre !

Je le répète, les arguments avancés ce matin par Robert Badinter ont emporté la conviction d’une majorité de la commission des lois. Alors, je sais bien que, grâce au scrutin public, il est possible de faire voter ceux qui n’ont pris part ni aux débats en commission ni à la séance publique, …

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce que vous dites là est insultant pour nos collègues présents ce soir dans l’hémicycle !

M. Jean-Pierre Sueur. …mais chacun verra bien qu’il s’agit d’un subterfuge. Il n’en demeure pas moins que je vous invite, mes chers collègues, à réfléchir à l’enjeu de ce débat essentiel.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Moi aussi, j’ai quelque difficulté à comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire.

D’un côté, on nous dit, avec raison, que la possibilité, pour la France, de juger les auteurs de crimes limitativement définis représente un progrès considérable ; d’un autre côté, on s’arrange pour que personne ne puisse être l’objet des dispositions que nous prenons. Car, sauf à considérer qu’il serait assez idiot pour venir s’établir en France et y résider habituellement, on n’imagine pas qu’un criminel puisse être concerné par ce dispositif.

Tout cela n’est pas très glorieux : on ne peut pas à la fois se prétendre généreux et amoureux de la justice, et, dans le même temps, verrouiller le dispositif de telle sorte qu’il soit inopérant.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous n’avons rien verrouillé du tout !

M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.

M. Hugues Portelli. Nous discutons actuellement d’une situation totalement virtuelle.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr ! Et cela leur plaît beaucoup !

M. Hugues Portelli. En réalité, si un criminel dangereux est présent sur le territoire français, il y a neuf chances sur dix qu’il soit visé par un mandat d’arrêt international. Dès lors, le problème ne se pose pas.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il en va différemment d’un criminel qui n’est pas considéré comme dangereux !

M. Hugues Portelli. Par ailleurs, si, par hasard, il n’était pas visé par un tel mandat, les autorités françaises auraient tout loisir, dans le cadre de la convention dont il est question ce soir, de solliciter l’avis de la Cour pénale internationale. Celle-ci demanderait alors à la France d’intervenir, et le problème serait réglé.

Telle est la voie normale à suivre, et j’imagine mal comment le mécanisme juridique qui nous est proposé à travers le sous-amendement pourrait trouver à s’appliquer sur le territoire français.

Je le répète, ce débat me paraît quelque peu surréaliste.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’invite notre collègue à envisager non pas le cas d’un criminel dangereux, mais celui d’un Augusto Pinochet. Cela éclairera d’un jour nouveau le problème qui est ici soulevé.

Chers collègues de la majorité, ce qui se passe ce soir est assez regrettable. La fougue avec laquelle vous refusez la possibilité d’arrêter un criminel sur le territoire français dès lors qu’il n’y réside pas habituellement tranche avec la position que vous avez adoptée ce matin, en commission des lois. D’ailleurs, la majorité de ses membres ont fort honnêtement reconnu qu’il s’agissait là d’un subterfuge.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Est-ce à dire que les autres sont malhonnêtes ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président de la commission des lois, je m’exprime comme bon me semble, et vous n’avez pas fait autrement tout à l’heure !

Je le répète, les membres de la commission des lois ont reconnu que cette condition de résidence habituelle était effectivement exorbitante, compte tenu des personnages dont il est question. Pensons à des cas précis !

Ce soir, les positions sont diamétralement opposées, notamment celle de M. Fauchon, qui, ce matin, avait approuvé le sous-amendement présenté par M. Badinter. Tout cela est très regrettable. Pour ces raisons, je ne voterai pas les amendements identiques nos 10 rectifié ter et 61.

M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 62.

Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe UC-UDF.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 95 :

Nombre de votants 327
Nombre de suffrages exprimés 324
Majorité absolue des suffrages exprimés 163
Pour l’adoption 124
Contre 200

Le Sénat n'a pas adopté.

Je mets aux voix les amendements identiques nos 10 rectifié ter et 61.

(Les amendements sont adoptés.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 7, et les amendements nos 26, 58 et 59 n'ont plus d'objet.

CHAPITRE II

DISPOSITIONS FINALES

Articles additionnels après l'article 7
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Article 9

Article 8

I. – À l'article L. 311-1 du code de justice militaire, les mots : « contraires aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales, » sont remplacés par les mots : « définis aux articles 461-1 à 461-31 du code pénal, ».

II. - L'article L. 322-4 du même code est abrogé.

M. le président. L'amendement n° 35, présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet, MM. Desessard et Muller, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi le I de cet article :

I. – À l'article L. 311-1 du code de justice militaire, après les mots : « contraires aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales, » sont insérés les mots : « telles que codifiées aux articles 461-1 à 461-31 du code pénal, ».

La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.

Mme Alima Boumediene-Thiery. Le paragraphe I de l’article 8 remplace, dans le code de justice militaire, la référence aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales par les articles 461-1 à 461-31 du code pénal. Cela signifie que ces articles, enfermés dans un nouveau livre, codifient dans leur totalité les conventions et les règles du droit de la guerre.

Or la codification du droit pénal international dans le droit interne n’abroge pas les engagements internationaux ; elle les complète ou les précise. La codification n’a pas pour effet d’empêcher le juge de se référer aux lois et coutumes internationales régissant les droits des conflits armés.

Ainsi, la référence à la présente codification doit être un supplément à la référence aux lois et coutumes de la guerre et aux conventions internationales, qui doit être maintenue dans le code de justice militaire. C’est le sens de mon amendement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les dispositions proposées par Mme Boumediene-Thiery ne me paraissent pas nécessaires.

Donc, l’avis est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 35.

(L'amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :

III. - L'article 213-1 du code pénal est ainsi modifié :

1° Le deuxième alinéa (1°) est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, le maximum de l'interdiction est porté à quinze ans ; »

2° Le troisième alinéa (2°) est ainsi rédigé :

« 2° L'interdiction, suivant les modalités prévues par l'article 131-27, d'exercer une fonction publique ou d'exercer l'activité professionnelle ou sociale dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. Toutefois, le maximum de l'interdiction temporaire est porté à dix ans ; »

3° Le quatrième alinéa (3°) est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, le maximum de l'interdiction est porté à quinze ans ; ».

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Le projet de loi prévoit un régime d'interdictions en cas de crimes de guerre plus sévère que le droit commun, en particulier au regard de la durée de ces interdictions.

Il est logique, par souci de coordination, d'appliquer ce régime plus sévère aux interdictions prévues par l'article 213-1 en matière de crimes contre l'humanité.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 8.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.

(L'article 8 est adopté.)

Article 8
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Explications de vote sur l'ensemble (début)

Article 9

Indépendamment de leur application de plein droit à Mayotte, les dispositions des articles 1er à 8 de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie ainsi que dans les Terres australes et antarctiques françaises.

M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Gélard, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

Les dispositions des articles 1er à 8 sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Les dispositions du projet de loi ne seront pas applicables de plein droit dans les collectivités soumises, pour la matière pénale, au principe de spécialité législative. L'application de ces dispositions en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna nécessite par conséquent une mention expresse, qui est prévue par le présent article.

En revanche, les nouveaux statuts applicables depuis le 1er janvier 2008 à Mayotte et dans les Terres australes et antarctiques françaises rendent inutile une telle mention pour ces collectivités.

Je vous propose donc, par cet amendement, de ne pas faire référence à ces deux collectivités.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Favorable !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 9.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, l'article 9 est ainsi rédigé.

Vote sur l'ensemble

Article 9
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
Explications de vote sur l'ensemble (fin)

M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Brigitte Bout, pour explication de vote.

Mme Brigitte Bout. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous apprêtons à voter un texte d’une grande importance, qui adapte notre droit pénal aux exigences du statut de la Cour pénale internationale. L’incorporation dans notre droit pénal des infractions prévues par le statut de Rome, et plus particulièrement des crimes de guerre, est une condition nécessaire à la mise en place d’un système pénal international efficace.

Il s’agit d’un progrès essentiel, et très attendu, dans la pleine participation de la France à la justice pénale internationale. Compte tenu du rôle éminent qu’elle a joué dans l’institution de la Cour pénale internationale, la France se devait d’être exemplaire.

Très attaché au bon fonctionnement de la Cour pénale internationale, le groupe UMP votera ce texte, en félicitant notre rapporteur pour son travail remarquable. (Applaudissements sur les travées de lUMP.- Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quoi qu’il advienne, je l’ai dit dans la discussion générale, nous voterons ce texte, le fait que nous parvenions enfin à adapter au statut de Rome notre droit constituant indéniablement un progrès.

Je déplore cependant la tournure qu’a prise le débat ce soir. La commission des lois, dans sa majorité, semblait pourtant être parvenue à dégager un quasi-consensus pour aller de l’avant, pour adopter un texte un peu plus audacieux. Nos collègues de la majorité se sont trouvés pris à contre-pied, ce que je trouve regrettable.

Mais cet épisode ne doit pas occulter le progrès que représente ce texte : nous le voterons ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.

Mme Catherine Morin-Desailly. Comme l’ensemble de mes collègues qui sont intervenus dans ce débat, je ne peux que me réjouir de voir ce projet de loi enfin examiné par le Parlement, car il faut bien dire que son inscription à l’ordre du jour est attendue depuis de nombreuses années. J’y suis particulièrement sensible, vous le comprendrez, en tant que membre du groupe d’études des droits de l’homme du Sénat.

En effet, l’institution de la Cour pénale internationale, qui en est encore à ses premiers pas, suscite de nombreux espoirs. Beaucoup « d’affaires », ces dernières années, sont venues rappeler l’existence de nombreux obstacles juridiques et diplomatiques à l’exercice d’une justice internationale.

L’inscription de ce deuxième volet de l’adaptation de notre législation interne à la convention de Rome à l’ordre du jour des assemblées traduit avant tout l’engagement international de la France, laquelle a eu un rôle moteur, il convient de le rappeler, dans la création de la Cour pénale internationale.

L’adoption de ce projet de loi, ainsi amendé et complété par le Sénat, facilitera la coopération avec la Cour pénale internationale dans le jugement « des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale ».

Il était en effet urgent d’adapter notre droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale, car la France a pris en la matière un retard préjudiciable par rapport à la plupart de ses voisins européens.

L’inscription dans le droit pénal français des infractions prévues par le statut de Rome est indispensable en raison du principe de complémentarité entre la CPI et les États parties, puisque c’est à eux qu’il appartient en premier lieu de juger selon leurs procédures internes les individus ayant commis des crimes relevant de la compétence de la Cour.

Dans ce cadre, le projet de loi vient renforcer la répression des crimes internationaux sur plusieurs aspects que je ne rappellerai pas à ce point du débat.

Je voudrais saluer le travail de notre assemblée, et en particulier celui du rapporteur, qui a permis d’apporter des précisions utiles et de rapprocher notre législation des termes de la convention de Rome.

Deux questions ont fait l’objet de débats très intéressants : l’imprescriptibilité des crimes de guerre et la reconnaissance de la compétence universelle des juridictions françaises.

Sur la question de l’imprescriptibilité, je suis sensible aux arguments qui ont été développés au cours de la discussion, notamment par notre rapporteur et par M. Badinter. En effet, je crois important de réserver, comme le fait le droit français actuel, l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité,…

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !

Mme Catherine Morin-Desailly. …afin de marquer la spécificité de ces crimes et de ne pas les « banaliser » par rapport aux crimes de guerre.

S’agissant de ces derniers, le projet de loi apporte déjà des avancées notables, en allongeant les délais de prescription de l’action publique de dix à trente ans. Je sais que certaines associations regrettent que les crimes de guerre ne bénéficient pas de la même imprescriptibilité que les crimes contre l’humanité, mais, comme l’a souligné M. Badinter, ceux-ci justifient à eux seuls une dérogation aux règles habituelles de la prescription.

S’agissant maintenant de la compétence universelle, je salue l’évolution du projet de loi sur cette question. Il faut dire que nous partions d’assez loin… Si nous comprenons tous les difficultés diplomatiques que peut engendrer la « compétence universelle », le risque de laisser subsister un espace d’impunité en Europe pour les auteurs de crimes internationaux est inacceptable. L’effet dissuasif de la compétence universelle est un argument convaincant, surtout quand on sait que la grande majorité des États européens l’ont admise.

Certes, tel que le dispositif a été voté, la mise en œuvre de cette mesure est très encadrée. À titre personnel, j’aurais souhaité qu’elle soit élargie, mais elle n’en reste pas moins inscrite dans notre code pénal, soulignons-le, ce qui constitue une avancée considérable. Il s’agit d’un premier pas important vers une application plus effective de ce principe. C’est pourquoi je me félicite que notre assemblée engage notre pays sur la voie de la compétence universelle.

La navette parlementaire permettra sans doute de réfléchir plus avant sur les nuances sémantiques et d’éclairer le choix entre les verbes « se trouver », « résider », assortis ou non de l’adverbe « habituellement » …

M. Patrice Gélard, rapporteur. J’émets les plus grandes réserves !

Mme Catherine Morin-Desailly. En tout état de cause, je voulais souligner cette avancée notable.

Dans l’ordre mondial actuel, et compte tenu des évolutions du contexte international, alors que les frontières n’ont plus le même sens qu’au siècle dernier, l’existence de cette justice pénale internationale est une absolue nécessité.

C’est pour cette raison, vous l’aurez compris, que le groupe de l’Union centriste-UDF votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de lUC-UDF et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.

M. Robert Badinter. J’ai entendu de la part de Mmes Borvo Cohen-Seat et Morin-Desailly des propos que je salue.

Le groupe socialiste votera ce texte, bien entendu ! Il s’agit pour nous de l’aboutissement d’une si longue marche et de tant d’efforts… Je sais, pour les avoir partagées, combien les luttes des organisations non gouvernementales, de toutes les organisations défendant les droits de l’homme, tendaient à ce que soit créé, au-delà d’une juridiction pénale internationale, un système juridictionnel qui permette enfin de mettre un terme à l’impunité révoltante des criminels contre l’humanité.

J’ai cru, ce matin, que nous étions allés jusqu’où nous pouvions espérer ; ce soir, la frilosité nous a fait revenir en arrière.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il s’agit d’une nuance !

M. Robert Badinter. Il est bon, et nécessaire, que la France mette aujourd'hui un terme à ses réserves concernant la poursuite des auteurs de crimes de guerre. Nous ne nous sommes pas beaucoup pressés à cet égard ; nous aurons attendu le dernier moment, ou presque. Il fallait que ce soit fait.

Je regrette seulement, je le dis aux quelques collègues présents dans l’hémicycle, que nous n’ayons pas, tout au long du processus de mise en œuvre du statut de Rome, joué le même rôle que lors de la création de la Cour pénale internationale.

De même qu’il ne fallait pas à l’époque formuler de réserves s’agissant de la poursuite des auteurs de crimes de guerre - seules la France et la Colombie l’ont fait -, de même, ce soir, il ne fallait pas déroger au principe que nous avons inscrit dans notre droit à l’occasion de la ratification de toutes les conventions relatives aux crimes internationaux, un principe qui n’a rien à voir avec la compétence universelle et qui nous fait obligation, lorsqu’un criminel contre l’humanité se trouve sur notre territoire, de l’appréhender, avant de penser à qui, de l’État ou, le cas échéant, de la Cour pénale internationale, le jugera.

Nous n’avons pas été jusqu’où nous devions aller, et je le regrette. Quoi qu’il en soit, le présent texte constitue un très grand progrès ; il va permettre, du moins dans les conditions que vous avez arrêtées, chers collègues, mais à l’intérieur d’un vaste espace conventionnel, de mettre fin à l’impunité des criminels contre l’humanité et des criminels de guerre. Aussi, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, nous voterons le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(Le projet de loi est adopté.)

M. le président. Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents.

Explications de vote sur l'ensemble (début)
Dossier législatif : projet de loi portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale
 

7

Dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de MM. Roland Courteau, Jean-Pierre Bel, Jacques Gillot, Marcel Rainaud, Roland Ries, Robert Tropeano, Jean-Marc Todeschini, Philippe Madrelle, Mmes Odette Herviaux, Patricia Schillinger, Jacqueline Alquier, Yolande Boyer, MM. René-Pierre Signé, Yves Dauge, Jean-Noël Guérini, Louis Le Pensec, Serge Larcher, Yannick Bodin et Jean-Marc Pastor une proposition de loi constitutionnelle tendant à la reconnaissance des langues régionales.

La proposition de loi constitutionnelle sera imprimée sous le n° 379, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

8

Dépôt de propositions de loi

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Nicolas About une proposition de loi tendant à interdire la vente d’alcool aux mineurs.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 377, distribuée et renvoyée à la commission des affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

M. le président du Sénat a reçu de M. Nicolas About une proposition de loi tendant à supprimer le retrait de points du permis de conduire en cas de petits excès de vitesse.

La proposition de loi sera imprimée sous le n° 378, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.

9

Texte soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l’article 88-4 de la Constitution :

- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (Euratom, CECA, CEE) n° 549/69 déterminant les catégories des fonctionnaires et agents des Communautés européennes auxquelles s’appliquent les dispositions des articles 12, 13, deuxième alinéa, et 14 du protocole sur les privilèges et immunités des Communautés.

Ce texte sera imprimé sous le n° E-3884 et distribué.

10

Dépôt de rapports

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Michel Houel un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques sur :

- la proposition de loi, présentée par M. Michel Houel, relative à l’organisation des transports scolaires en Île-de-France (n° 354, 2007-2008),

- et la proposition de loi, présentée par M. Jean-Claude Frécon, Mmes Nicole Bricq, Catherine Tasca et M. Yannick Bodin relative à l’organisation des transports scolaires en Île-de-France (n° 373, 2007-2008).

Le rapport sera imprimé sous le n° 380 et distribué.

M. le président du Sénat a reçu de M. Alain Dufaut, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la lutte contre le trafic de produits dopants.

Le rapport sera imprimé sous le n° 381 et distribué.

11

Dépôt d'un rapport d'information

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de MM. Philippe Adnot, Jean-Léonce Dupont, Christian Gaudin, Serge Lagauche, Gérard Longuet et Philippe Richert un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires culturelles et de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation par le groupe de travail sur la réforme de l’allocation des moyens par l’État aux universités.

Le rapport d’information sera imprimé sous le n° 382 et distribué.

12

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 11 juin 2008, à quinze heures :

- discussion de la question orale avec débat n° 20 de M. Nicolas About à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative sur la lutte contre les addictions.

M. Nicolas About demande à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative de bien vouloir lui indiquer les mesures actuellement mises en œuvre ou étudiées pour lutter contre les addictions. Il souhaite notamment faire le point sur les mesures de prévention et d’éducation à la santé destinées aux jeunes, sur le choix des formateurs et sur la validation scientifique de l’information diffusée. Il souhaite également connaître les résultats de la lutte contre l’alcoolisme et les mesures envisagées pour faire face aux nouvelles addictions sans substance, comme celle aux jeux de hasard ou aux jeux vidéo. Il s’interroge enfin sur l’absence d’étude épidémiologique de grande ampleur permettant de prendre la mesure exacte, et dans la durée, des addictions en France ainsi que sur les modalités de financement de ces études.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 11 juin 2008, à zéro heure trente.)

La Directrice

du service du compte rendu intégral,

MONIQUE MUYARD