compte rendu intégral
Présidence de M. Christian Poncelet
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Pierre Lacour, qui fut sénateur de la Charente de 1980 à 1996.
3
Modification de l'ordre du jour
M. le président. J’informe le Sénat que la question orale n° 252 de Mme Christiane Kammermann est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
Par ailleurs, j’informe le Sénat que sont inscrites à la séance du mardi 3 juin 2008 les questions orales suivantes : n° 265 de Mme Catherine Dumas, n° 266 de M. Louis Souvet et n° 267 de M. Christian Cambon.
4
Souhaits de bienvenue à une délégation du Sénat du Mexique
M. le président. Mes chers collègues, il m’est agréable de saluer la présence dans nos tribunes d’une délégation de parlementaires membres du groupe d’amitié Mexique-France du Sénat des États-Unis du Mexique venus en France à l’invitation de nos collègues MM. Gérard Cornu et Gérard Miquel, respectivement président et président délégué du groupe France-Mexique de notre assemblée.
Leur présence dans notre pays pour étudier nos réformes institutionnelles témoigne de l’intérêt qu’ils portent à nos travaux et, tout comme nous, à l’établissement de relations toujours plus étroites entre nos deux assemblées et, à travers elles, entre nos deux pays et nos deux peuples.
Qu’ils soient assurés des sentiments fraternels du Sénat de la République française et des vœux chaleureux que nous formons pour le succès de leur mission ! Nous leur souhaitons une très cordiale bienvenue et espérons qu’ils garderont de leur séjour un excellent souvenir : il s’agit là, d’ores et déjà, d’une invitation à revenir. (Mme la secrétaire d’État, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
5
Responsabilité environnementale
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après déclaration d’urgence, relatif à la responsabilité environnementale (n° 288, 2006-2007, et n° 348).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État. (Mme Françoise Henneron et M. Robert del Picchia applaudissent.)
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est appelée à examiner aujourd’hui un projet de loi visant à transposer une directive communautaire dont l’importance et, surtout, la complexité n’ont échappé à personne, dès les premiers travaux de son élaboration.
La directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 porte sur « la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux ». Elle devait être transposée avant le 30 avril 2007.
À ce jour, cependant, tant elle est complexe, seule une douzaine d’États membres ont communiqué à la Commission européenne des mesures nationales d’exécution complètes, parmi lesquels l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et les trois pays baltes. Les autres, et non des moindres, le Royaume-Uni, notamment, en sont encore au stade des études et des consultations.
Comme vous le savez, la Commission européenne, dans son rôle de gardienne des traités, ne retient pas les difficultés générales ou particulières des États membres lorsqu’il s’agit de mettre en conformité leurs législations avec le droit communautaire, dans le respect des échéances qu’ils ont eux-mêmes fixées.
La France a donc fait l’objet, en juin 2007, d’une mise en demeure, puis, en février 2008, d’un avis motivé.
C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis particulièrement heureuse de voir inscrit à l’ordre du jour de votre assemblée ce projet de loi.
Il doit contribuer fortement à la transposition de la directive sur la responsabilité environnementale, sachant que le décret qui doit en préciser les conditions d’application est déjà en grande partie rédigé. Nous pourrons donc avancer rapidement.
Je me félicite tout autant de voir soumis au débat parlementaire un texte longtemps espéré par certains, redouté par d’autres, et qui, dès lors que sera garanti son équilibre actuel, relevé par la commission des affaires économiques et son rapporteur M. Jean Bizet, représentera un progrès significatif dans le domaine de la protection de l’environnement en France, comme dans toute l’Union européenne.
Sans entrer dans tous les détails de la complexité du texte, sur lesquels nous reviendrons au long de la discussion, je rappellerai que la démarche illustrée par cette directive s’appuie sur le principe pollueur-payeur, répondant ainsi à bon nombre des préoccupations qui se sont exprimées au cours du Grenelle de l’environnement.
Cette directive s’attache à la prévention et à la réparation des dommages écologiques purs, que sont la pollution des sols, les atteintes graves à la qualité des eaux de surface et souterraines, ainsi que les atteintes graves aux espèces et habitats naturels protégés.
Cependant, cette fois, l’objectif n’est pas l’établissement d’un dispositif classique d’indemnisation. Il s’agit plutôt, lorsque la prévention n’a pas abouti, de rechercher le retour des milieux affectés à leur état antérieur aux dommages, dans la mesure du possible. Nous aurons l’occasion d’étudier très précisément ce mécanisme complexe car tout n’est pas réparable.
La transposition de cette directive appelle l’adoption de dispositions législatives et réglementaires qui modifieront principalement le code de l’environnement.
Un régime de police administrative nouveau doit être élaboré. Il fera cependant la part des systèmes de prévention et de réparation qui existent déjà, notamment dans le domaine des installations classées pour la protection de l’environnement ou dans celui des activités soumises à la loi sur l’eau.
Les projets de loi et de décret élaborés par le ministère chargé de l’environnement ont été soumis à partir de l’été 2006 à une large concertation interministérielle, puis, les instances consultatives compétentes, les organisations professionnelles et les associations intéressées ont été consultées spécifiquement, avant que ne soit organisée à l’automne une consultation nationale. II en est résulté l’essentiel des dispositions qu’ont ensuite étudiées le Conseil d’État et, après le dépôt du projet de loi sur le bureau du Sénat en avril 2007, M. le rapporteur.
C’est à vous, aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il appartient de débattre de ce texte.
Tout au long des débats, qui s’annoncent comme devant être complexes, mais aussi très précis – nous nous y attacherons –, le Gouvernement aura à cœur de démontrer que cette construction législative, réglementaire, économique, sociale et culturelle contribuera à combler une lacune importante du point de vue de la protection juridique de l’environnement. Sa mise en œuvre doit créer une amélioration des comportements et apporter de réels bénéfices à terme pour la sauvegarde de la diversité biologique, pour la qualité des eaux et l’état sanitaire des sols.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement, je remercie très vivement le rapporteur, M. Jean Bizet, et la commission des affaires économiques, qui, au terme d’un travail de consultation et d’investigation considérable, ont éclairé ce texte.
Dans la même perspective, à savoir améliorer la conformité de notre législation environnementale avec les règles communautaires et réduire les risques contentieux pour retard ou défaut de transposition, qui plus est à l’aube de la présidence française de l’Union européenne, la commission et son rapporteur, ainsi que plusieurs d’entre vous, ont proposé plusieurs amendements qui pourraient avantageusement remplacer notre article 5.
Constituant un titre à part entière, rassemblant plusieurs dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement, ces amendements contribueront sensiblement à combler des retards ou des lacunes ou à rectifier des erreurs ou des insuffisances dans la transposition de directives de grande portée.
Je ne doute pas que les débats qui s’ouvrent maintenant permettront d’enrichir le texte et d’éviter que la France, au seuil de sa présidence de l’Union européenne, n’accuse un retard de transposition encore plus long. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF. – M. Jean-Pierre Michel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’UC-UDF.)
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, près de trois ans après l’adoption de la directive européenne du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale, le Sénat avait été saisi, le 5 avril 2007, du projet de loi assurant sa transposition en droit français, sur lequel la commission des affaires économiques m’avait désigné rapporteur, dès le 22 mai 2007. La date limite de transposition était fixée au 30 avril 2007.
Il a pourtant fallu attendre un an pour que ce projet de loi soit enfin inscrit à l’ordre du jour, alors même que la Commission européenne a adressé une mise en demeure à la France le 1er juin 2007, suivie d’un avis motivé le 31 janvier dernier. Onze États sur vingt-sept ont à ce jour communiqué leurs textes de transposition.
La commission des affaires économiques ne peut évidemment que regretter le retard ainsi pris, tout en se réjouissant de l’occasion enfin donnée au législateur d’adopter ce texte avant le début de la présidence française de l’Union européenne, le 1er juillet prochain.
Après quinze ans de discussions, un Livre vert puis un Livre blanc, l’Union européenne a adopté une directive relative à la responsabilité environnementale qui, pour la première fois, pose le principe de réparation du dommage écologique causé aux biens que l’on ne peut s’approprier, indépendamment de toute atteinte à des biens ou des personnes. La directive consacre ainsi ces biens comme des biens communs, indépendamment de leur statut juridique. Cela correspond tout à fait à l’esprit qui a présidé à la rédaction de la Charte de l’environnement, notamment de ses articles 3 et 4.
L’intitulé de cette directive n’est d’ailleurs pas très bien choisi, car elle n’institue pas vraiment un nouveau régime de responsabilité, elle instaure plutôt un nouveau régime de police administrative. Il reviendra en effet à l’autorité administrative, qui, en France, sera le préfet, de contraindre l’exploitant responsable d’un dommage à l’environnement à prendre des mesures de prévention et de réparation. Il est donc question, dans ce texte, non pas d’indemnisation, mais uniquement de réparation par des mesures très concrètes.
Le projet de loi qui vous est soumis, mes chers collègues, répond également, d’une certaine manière, à une exigence nationale, puisque, dans l’article 4 de la Charte de l’environnement, constitutionnalisée en 2005, est posée l’obligation de réparer les dommages causés à l’environnement.
Nous ne pouvons pas, par ailleurs, ignorer le récent jugement sur l’Erika, qui a clairement consacré pour la première fois la possibilité d’une indemnisation du préjudice résultant d’une atteinte à l’environnement, en dehors du préjudice moral et du préjudice matériel. La nouveauté de ce jugement réside aussi dans le montant de l’indemnisation accordée aux parties civiles.
Le juge a toutefois, dans ce cas, procédé à une application des principes classiques du droit de la réparation, distincte du régime de police administrative prévu par le présent projet de loi, aux termes duquel l’exploitant doit réparer par des mesures concrètes les dommages subis par l’environnement. Cette réparation « sur le terrain » s’effectuera bien sûr indépendamment des éventuelles poursuites pénales et civiles qui pourront être exercées en cas de survenance d’un tel dommage. Le projet de loi vient s’ajouter aux régimes de responsabilité existants, et non s’y substituer. Tout au long du débat, nous le rappellerons, de façon à clarifier les choses et à éviter qu’il n’y ait certains malentendus, comme le laissent supposer plusieurs amendements déposés par l’opposition et que nous avons examinés ce matin en commission.
Le texte qui vous est aujourd’hui proposé a fait l’objet d’une consultation publique à l’automne 2006, ainsi, d’ailleurs, que le projet de décret, ce qui n’est pas si fréquent. Il vise à transposer la directive à partir de deux principes : une grande fidélité au texte européen et le maintien des dispositions nationales plus contraignantes. La France disposait en effet, avec sa législation sur les installations classées, d’une avance certaine pour l’application de plusieurs dispositions de la directive.
Sans revenir sur le détail du projet de loi, qui a été présenté par Mme la secrétaire d’État, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur certaines questions que nous pourrions nous poser à l’occasion de cette transposition, mais qui doivent impérativement faire au préalable l’objet d’une réflexion à l’échelon européen.
Tout d’abord, la directive ne prévoit pas de sanctions pénales : celles-ci sont discutées actuellement au niveau européen dans le cadre d’un projet de directive sur les sanctions pénales en matière d’environnement.
Ensuite, la question d’une éventuelle responsabilité des sociétés mères devra impérativement être traitée à l’échelon communautaire, comme le prévoit l’avant-projet de loi relatif au Grenelle de l’environnement – nous avons eu l’occasion de nous en expliquer en commission –, et ce pour deux raisons : d’une part, il ne faut pas déresponsabiliser l’exploitant au plus proche de l’activité et, d’autre part, la France doit éviter d’entrer en distorsion de concurrence avec les vingt-six autres États membres.
Enfin, la directive n’institue pas d’obligation d’assurance pour les exploitants. Devant la difficulté à prévoir ce que sera l’application du nouveau régime, la Commission et les États membres ont en effet préféré instituer une clause de revoyure en 2010 : la Commission fera alors des propositions aux États membres sur ce point.
Il n’apparaît donc pas opportun d’instaurer en France, à l’occasion de l’examen de ce texte, une obligation pour les exploitants de contracter des garanties financières. Il est préférable de laisser l’offre assurantielle se développer d’ici à 2010, y compris au niveau européen, et d’envisager à cette date, en concertation avec nos partenaires européens, le meilleur système à mettre en œuvre. Nous sommes dans un environnement législatif à dimension européenne, et il n’est pas question de placer la France dans une situation de distorsion.
Tel est l’essentiel du mécanisme prévu par le projet de loi. Au terme du long parcours de la directive comme du projet de loi, la commission n’a pas voulu bouleverser les équilibres du texte, qui offre un compromis satisfaisant entre protection des milieux naturels et exigences économiques. C’est la raison pour laquelle elle n’a pas proposé d’amendement sur un point qui a fait l’objet de nombreux débats à l’échelon tant européen que national : l’exonération pour respect du permis.
La quarantaine d’amendements que la commission vous propose visent en priorité à réduire le plus possible les incertitudes juridiques du texte pour sécuriser les exploitants, qui seront chargés, au premier chef, de l’application des dispositions. Il s’agit essentiellement : de simplifier et de préciser la définition de l’exploitant ; de clarifier la définition des habitats et des espèces concernés par le projet de loi ; de clarifier également la définition des activités les plus dangereuses, qui seront soumises à la responsabilité sans faute – ce qui n’est pas rien à l’adresse des exploitants –, en renvoyant à l’annexe III de la directive qui en fixe la liste ; de préciser, conformément à la directive, que le lien de causalité entre l’activité d’un exploitant et le dommage devra être établi par le préfet – nous examinerons plus tard ses modalités – ; enfin, de préciser le régime du partage de responsabilité entre le fabricant et l’utilisateur d’un produit.
Sous ces réserves, le présent projet de loi constitue une véritable avancée pour la réparation des dommages à l’environnement, et nous ne pouvons que nous en féliciter.
J’en viens aux autres amendements que la commission vous propose d’adopter. À l’occasion de la discussion de ce projet de loi et à la veille de la présidence française de l’Union européenne, il nous a semblé opportun, avec Jean-Paul Emorine, que la France soit, dans le domaine de l’environnement, irréprochable en matière de respect de ses obligations communautaires.
Nous avons souhaité, sur ces sujets environnementaux qui devraient recueillir l’accord du plus grand nombre, associer l’ensemble des groupes politiques à cette démarche de transposition. C’est pourquoi une réunion de coordination avec le ministère de l’écologie a eu lieu le 14 mai dernier, en présence de nos collègues Odette Herviaux, Jean-Marc Pastor, Daniel Reiner et Thierry Repentin, que je voudrais remercier de leur participation.
C’est dans ce contexte que la commission des affaires économiques a souhaité que le Sénat procède, par voie d’amendements parlementaires, à la bonne et complète transposition de directives actuellement en retard de transposition et pour lesquelles la France fait l’objet de procédures de mise en demeure ou d’avis motivé de la Commission européenne.
Je vous précise que les dispositions transposées sont, pour la plupart, des mesures d’ordre technique. Elles concernent la directive « Pollution marine » du 7 septembre 2005, des directives relatives à la qualité de l’air ambiant, le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté, sur lequel un large débat devrait avoir lieu, la directive de 2002 sur la performance énergétique des bâtiments et la directive de 1998 sur la mise sur le marché des produits biocides.
Sous réserve des modifications qu’elle propose, la commission vous suggère d’adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi, qui a été déposé sur le bureau du Sénat en avril 2007 par le Gouvernement Villepin puis ajourné pour cause d’élections, fixe une série de dommages écologiques qu’il convient de prévenir ou de réparer. Il s’agit des atteintes graves aux sols, aux eaux, aux espèces ou habitats naturels protégés.
Ce texte précise en particulier qu’il revient à l’exploitant de l’activité professionnelle causant ou risquant de causer des dommages à l’environnement de prendre à ses frais les mesures de prévention ou de réparation nécessaires. Sur ce « chapeau », si je puis dire, tout le monde est susceptible de s’accorder.
La question de la responsabilité est centrale, car elle conditionne totalement l’application des procédures et des réglementations. En effet, le système juridique ne promeut pas un cercle vertueux dans lequel chaque acteur de la chaîne peut voir sa responsabilité engagée. Les réglementations, même les plus sophistiquées, risquent de rester lettre morte.
Le nouveau régime de responsabilité met en œuvre les articles 3 et 4 de la Charte de l’environnement, qui a été adoptée le 28 février 2005 par le Parlement réuni en Congrès. Personnellement, je n’avais pas pris part au vote, car ce projet de loi constitutionnelle présentait à mes yeux une emphase inutile, un lyrisme souvent superfétatoire et, pour tout dire, une incantation normative qui n’était pas forcément de mise. Le principe général de précaution, tel qu’il était énoncé, comportait un risque de judiciarisation à outrance de la vie publique.
Mais aujourd’hui, nous en sommes assez loin, dans la mesure où, notamment dans le texte que nous avons voté sur les OGM, le principe de précaution est, si vous me permettez l’expression, « jeté par-dessus les moulins », et, je n’aurai pas la cruauté de le rappeler, par ceux-là mêmes qui avaient voté la Charte de l’environnement.
Certes, on est revenu à un peu plus de simplicité, car on a échappé à ce que je qualifiais d’incantation normative et de style superfétatoire : il était notamment précisé que « la Charte est appelée s’intégrer à la matrice de nos droits fondamentaux, à côté de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et du préambule de la Constitution de 1946 ». J’ai le sentiment que le projet de loi actuel, comme le texte de 2005, est un peu en retrait par rapport à ces blocs de granit qui fondent à la fois nos institutions et notre République.
Je regrette que l’urgence ait été déclarée sur le présent projet de loi. Je regrette également que la concertation n’ait été que de façade. Le Gouvernement veut se montrer vertueux – d’aucuns diront qu’il a encore du chemin à faire pour atteindre cet objectif !
Si nous partageons tous la volonté du Gouvernement d’adopter une attitude vertueuse, notamment au moment de prendre la présidence de l’Union européenne, nous constatons que, quoi qu’il en dise, celui-ci n’a pas consulté tous les acteurs du monde associatif.
De plus, si ce projet de loi concerne plusieurs dossiers traités dans le Grenelle de l’environnement, il est évident que le Gouvernement profite de l’occasion pour transposer une série de directives en souffrance et concernant, en particulier, la pollution des navires, la qualité de l’air ambiant, les quotas d’émission de gaz à effet de serre et les déchets électroniques. La méthode utilisée apparaît à l’évidence insatisfaisante. Pourtant, la démarche adoptée dans le cadre du Grenelle de l’environnement se voulait exemplaire en termes de concertation.
Le projet de loi pose le principe de réparation des dommages écologiques purs, c’est-à-dire indépendamment de toute atteinte à des biens ou des personnes. Il est donc question non pas d’indemnisation, mais uniquement de réparation en nature.
À cet égard, plusieurs questions se posent. Sera-t-il toujours possible de rétablir l’état antérieur aux dommages ? Que se passera-t-il en cas de défaillance de l’exploitant ? Certes, M. le rapporteur a semblé nous rassurer en disant que les sociétés mères devraient intervenir à un moment ou à un autre. Mais ces propos sont en décalage avec ce que M. le Président de la République affirmait l’an dernier : « il n’est pas acceptable que le principe de responsabilité limitée devienne un prétexte à une irresponsabilité illimitée ». Nous sommes là au cœur du problème, me semble-t-il, et, à l’évidence, nous n’éviterons pas ces écueils.
Ce projet de loi ne tient pas non plus compte des pollutions diffuses, qui ne sont découvertes que longtemps après les faits, des pollutions au quotidien de l’atmosphère ou encore des OGM. Les dérogations et exonérations pointent à l’horizon. Certaines sont justifiées, mais il n’est pas pensable qu’un acteur économique de la chaîne puisse s’exonérer a priori de toute responsabilité.
La question de l’assurance, qui est certes complexe, n’a pas été posée, bien qu’elle soit extrêmement importante, notamment en matière d’OGM ou de nanotechnologies. La politique constante des compagnies d’assurance est de refuser la couverture assurantielle dès lors que l’aléa reste inconnu.
Au-delà de ces interrogations, en tant qu’élu d’un département dont la richesse principale est son patrimoine naturel, je ne peux qu’être favorable à la notion de défense du milieu naturel et à un régime de responsabilité environnementale. Toutefois, j’attends avec beaucoup d’intérêt les amendements qui amélioreront ce texte.
Vous me permettrez également de regretter que la simplicité ne soit pas de mise pour ce texte, comme elle l’a été pour les textes antérieurs, qu’il s’agisse de la loi Montagne, de la loi Littoral, ou encore de la loi Lepage de 1996, laquelle disposait que « chacun a le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ». Ces textes posaient des principes simples, sur lesquels il était possible de fonder une forte défense de l’environnement.
Je ne suis pas certain que le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui soit aussi bien compris par l’ensemble de nos concitoyens. Cependant, je ne doute pas, madame la secrétaire d’État, que vous ferez œuvre pédagogique, avec l’assistance de M. le rapporteur, afin que nous soyons totalement éclairés sur ce texte qui nécessite encore, pour que l’opinion publique s’en empare pleinement, quelques efforts de pédagogie que, les uns et les autres, nous sommes prêts à assumer. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, selon une enquête Eurobaromètre publiée le 14 mars dernier, l’environnement est devenu une préoccupation majeure pour les citoyens européens : plus de 95 % d’entre eux pensent qu’il est important de le protéger, tandis que 80 % estiment que leur qualité de vie en dépend.
Par ailleurs, plus des deux tiers des Européens préféreraient que les décisions d’ordre environnemental soient prises au niveau de l’Union plutôt qu’à l’échelon national.
Une importante majorité – 82 % – juge qu’une législation européenne harmonisée est nécessaire dans le domaine de l’environnement et que l’Union européenne doit aider les pays tiers à améliorer leurs normes en la matière. L’Union a donc un rôle capital à jouer dans ce domaine, et ce d’autant plus que les atteintes à l’environnement ne s’arrêtent pas à nos frontières.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui vise à transposer la directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.
Cette directive est le fruit d’un compromis élaboré par les parties prenantes de l’Union européenne après quinze années de négociations. Première législation communautaire comptant parmi ses objectifs principaux l’application du principe pollueur-payeur, elle établit un cadre commun de responsabilité en vue de prévenir et de réparer les dommages causés aux animaux, aux plantes, aux habitats naturels et aux ressources en eau, ainsi que les dommages affectant les sols.
Le régime de responsabilité s’applique, d’une part, à certaines activités professionnelles explicitement énumérées et, d’autre part, aux autres activités professionnelles lorsque l’exploitant a commis une faute ou une négligence. En outre, il appartient aux autorités publiques de veiller à ce que les exploitants responsables prennent eux-mêmes, ou financent, les mesures nécessaires de prévention ou de réparation.
Le principe pollueur-payeur, qui sous-tend ce projet de loi, est un principe déjà ancien, puisqu’il a été énoncé pour la première fois le 26 mai 1972, dans une recommandation de l’OCDE. Le Conseil des Communautés européennes a adopté, à peu près à la même époque, ses premières recommandations sur la question. Inséré dans l’Acte unique européen, ce principe est devenu depuis une norme juridique opposable à tous et l’un des piliers de la politique communautaire de l’environnement.
En droit français, le principe pollueur-payeur est sous-jacent à l’ensemble des dispositions imposant des taxes ou redevances à certains pollueurs. Il n’est devenu une règle de droit positif qu’avec la loi du 2 février 1995. Le code de l’environnement le définit ainsi comme le principe « selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur ». Enfin, la Charte de l’environnement en a fait un principe de valeur constitutionnelle.
Ainsi, si cette directive n’est pas novatrice sur les principes, elle a le mérite de fixer un cadre commun au niveau européen pour tous les dommages causés aux milieux naturels par les activités professionnelles. Son champ d’application est considérable, car on estime à 300 000 environ les sites européens déjà pollués ou soupçonnés de l’être.
En novembre 2002, la délégation du Sénat pour l’Union européenne avait déposé une proposition de résolution relative au projet de directive, dont mon collègue Marcel Deneux était le rapporteur. La plupart des critiques qui avaient alors été émises sur le projet de directive peuvent aujourd'hui être formulées sur le projet de loi, car celui-ci reprend très exactement les dispositions communautaires.
Tout d’abord, le champ d’application de ce texte est très circonscrit. Après avoir affirmé la règle générale – réparation des dommages potentiels ou avérés causés à l’environnement ou à la santé –, le texte énumère toute une série d’exemptions, qui en limite largement la portée. Sont notamment exclus les dommages qui ne pouvaient être prévus sur la base des connaissances techniques et scientifiques au moment des émissions ou des activités à l’origine des atteintes environnementales et les dommages prévus et indemnisables par différentes conventions internationales spécifiques – pollution par les hydrocarbures, par les hydrocarbures de soute, par les substances nocives transportées par mer, par les marchandises dangereuses acheminées par route, rail et bateaux de navigation intérieure –, y compris les accidents d’origine nucléaire relevant des textes Euratom et autres conventions.
Ensuite, ce texte mélange les régimes de responsabilité, empêchant ainsi la compréhension claire du système qu’il vise à instaurer. Il juxtapose, en effet, deux types de responsabilité du pollueur : une responsabilité sans faute, pour un certain nombre d’activités professionnelles dûment répertoriées, avec le risque, d’ailleurs, d’établir une énumération incomplète, dépassée ou erronée ; une responsabilité pour faute, et seulement dans le cas d’atteintes à la biodiversité, pour toutes les autres activités professionnelles.
Enfin, les définitions retenues par le texte manquent de précision. Je me réjouis donc que M. le rapporteur ait proposé à la commission plusieurs amendements visant à clarifier un certain nombre de termes comme ceux d’exploitant, d’habitats et d’espèces, et d’état initial.
Au demeurant, des avancées importantes ont été obtenues. Le Gouvernement a ainsi fait le choix, que les sénateurs centristes approuvent, de ne pas insérer dans le projet de loi une exonération pour les exploitants bénéficiant d’un permis d’exploitation, exonération laissée par la directive à la discrétion des États membres. À nos yeux, il est normal que la responsabilité de l’exploitant soit engagée, même lorsque celui-ci détient un permis d’émission de substances polluantes.
Nous sommes également satisfaits que le projet de loi ne prévoie pas d’incitation à la conclusion de contrats d’assurance. Seuls deux États, l’Allemagne et l’Espagne, ont défini à ce jour un mécanisme de garanties financières et plusieurs États membres ont précisé que leurs projets de transposition respectifs ne comporteront aucun volet spécifique en la matière. Je partage donc entièrement la position de M. le rapporteur sur ce point. En effet, seule la mise en œuvre du projet de loi montrera comment est appréciée concrètement la gravité d’un dommage, quelles mesures de réparation doivent être mises en œuvre et quel en est leur coût. Il est donc préférable de laisser l’offre assurantielle se développer d’ici à 2010, y compris au niveau européen, et d’envisager à cette date, en concertation avec nos partenaires européens, le meilleur système à mettre en œuvre.
Par ailleurs, madame la secrétaire d'État, je souhaite que vous nous apportiez une précision sur la position française quant à la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales. La définition de l’exploitant retenue dans ce projet de loi indique clairement que cette notion ne saurait s’appliquer à l’actionnaire, aux établissements de crédit, aux autorités chargées du contrôle administratif ou à des autorités de tutelle.
En revanche, aux termes de l’article 43 du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, qui sera prochainement étudié, « la France portera au niveau communautaire le principe de la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales en cas d’atteinte grave à l’environnement. Elle défendra ces orientations au niveau international. » J’entends bien que, dans un souci de maintien de la compétitivité de notre économie, pour ne pas faire peser des contraintes trop fortes sur nos entreprises, il convient de « coller » le plus possible à la définition prévue dans la directive. Mais n’y a-t-il pas là une certaine incohérence entre l’effet d’annonce du Grenelle et la réalité législative ?