M. Thierry Repentin. Voilà un mot qu’ils ne connaissent pas !
M. Jean Desessard. … à ces questions, qu’il vous avertissait quand le délai de transposition d’une directive arrivait à son terme et vous rappelait d’associer à votre démarche les parlementaires, puisque nous sommes en démocratie.
Or ce n’est pas du tout le cas : vous agissez dans l’urgence ! C’est à croire qu’en regagnant votre bureau, après un colloque ou une réunion du Grenelle de l’environnement, vous ouvrez un tiroir et vous vous exclamez : « Ah, Jean-Louis, il y a là une directive que nous devons transposer ! » (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas toujours le même ton !
M. Jean Desessard. On attendrait tout de même un peu plus d’organisation de votre part !
Ce texte, tel qu’il a été amendé par la commission, conduira à transposer non pas une, mais cinq directives. J’aurais aimé que ceux qui exercent le pouvoir législatif puissent se prononcer avec le recul nécessaire à la bonne étude des projets de lois.
Certes, cette opération de transposition massive a l’avantage d’apurer les contentieux communautaires dans lesquels la France se trouve partie prenante, et il semble cohérent que notre pays, à la veille d’exercer la présidence de l’Union européenne, se mette en conformité avec les obligations résultant du droit communautaire dans un domaine qui apparaît comme une priorité gouvernementale.
Toutefois, monsieur le rapporteur, je constate que ce projet de loi se contente de transposer la directive a minima, sans aller au-delà des objectifs et exigences qu’elle définit.
Dans une logique de responsabilité, de responsabilisation et de développement durable, il est indispensable, notamment, que les atteintes à l’environnement donnant lieu à des dommages soient clairement définies, en intégrant la biodiversité et la santé publique, de même que leur réparation. Cette dernière se trouve quelque peu niée dans le texte, ce qui est contraire à l’esprit des directives, qui la prévoient explicitement. Protection doit rimer avec réparation !
C’est tout le dispositif de responsabilité qui mériterait d’être précisé. Une clarification dans ces domaines s’impose : comment établir un régime de responsabilité sans prévoir et articuler les modalités de contrôle et de dépollution adéquates ?
En ce sens, le projet de loi témoigne bien plus d’une volonté d’effectuer une simple transposition administrative de la directive que d’en assurer l’application littérale sur le fond. Madame la secrétaire d'État, où sont donc passés les beaux discours du Grenelle de l’environnement ?
Je vous rappelle que la directive nous soumet à une obligation de résultats et non de moyens. Nous devons donc saisir cette occasion pour inscrire dans notre droit interne un dispositif clair, lisible, exhaustif et irréprochable de mise en œuvre de la responsabilité environnementale. Ce serait un signe fort de notre volonté d’instaurer des outils juridiques renforcés, allant au-delà des standards imposés par la directive, qui permettront d’enrayer l’impunité en matière d’atteinte à l’environnement.
À mon sens, c’est ainsi que nous pourrons réellement lutter contre ce que l’on pourrait appeler la « délinquance environnementale ». Les amendements que j’ai déposés avec mes collègues Verts s’inscrivent dans cette logique.
Enfin, permettez-moi de saluer l’adoption par le Parlement européen, le 21 mai 2008, de la proposition de directive européenne sur le droit pénal environnemental, qui constitue une grande première, à de multiples titres.
La transposition que nous serons amenés à en faire complétera utilement le projet de loi que vous nous soumettez. J’ose espérer qu’en France l’État fera face, cette fois, à ses responsabilités, en associant de façon plus démocratique ses parlementaires.
Après la tenue du Grenelle de l’environnement, la société attend du ministre de l’écologie autre chose que de la précipitation et qu’un texte a minima complété à la va-vite par le rapporteur. L’écologie, c’est l’occasion d’anticiper, de prévoir.
Madame la secrétaire d'État, de l’élan, du souffle, de la créativité, de l’audace ! Soyez mobilisatrice, et ne vous contentez pas de transpositions a minima. Pour faire face aux défis écologiques, nous avons besoin d’une vision novatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai aux questions les plus techniques tout à l'heure, au cours de l’examen des articles, et me contenterai à ce stade de vous livrer quelques observations générales.
De nombreux intervenants ont insisté sur la complexité et la technicité du texte et sur les conditions de son examen, qui rendrait son appréhension plus difficile.
Il est vrai que notre souhait de transposer avant la présidence française de l’Union européenne l’ensemble des directives qui restent en souffrance a conduit à accélérer le processus. Néanmoins, monsieur Desessard, je tiens à rappeler que le présent projet de loi relatif à la responsabilité environnementale a été déposé sur le bureau du Sénat le 5 avril 2007 et qu’il a donné lieu à une très large concertation depuis lors. Le projet de décret d’application a été mis en ligne et de nombreux colloques et manifestations organisés. Bref, le caractère technique de cette directive est incontestable, mais nous avons laissé tout le temps nécessaire pour le débat.
M. Jean Desessard. Le Grenelle n’a donc servi à rien ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'État. On aurait pu souhaiter, comme l’ont fait plusieurs orateurs – et je comprends très bien leur point de vue – que le champ d’application de cette directive soit élargi. Il est vrai que, depuis quinze ans, des réflexions sont menées en ce sens, comme l’a souligné notamment M. Soulage.
Cela dit, ce projet de loi constitue un texte de compromis. Lorsqu’on identifie des notions nouvelles d’une telle importance et que l’on met en place des dispositifs aussi innovants, il est raisonnable d’avancer avec prudence. Notre projet de loi s’efforce en tout cas d’être équilibré, comme la commission des affaires économiques a bien voulu le reconnaître dans son rapport.
C’est d'ailleurs au nom de cet équilibre que nous n’avons pas jugé opportun, à l'occasion de cette opération de transposition, de dépasser le cadre prévu par la directive, s'agissant en particulier de la définition de l’exploitant, quand bien même cette question pouvait se poser, je le reconnais.
Plusieurs orateurs, notamment Mme Keller, ont évoqué la possibilité de mettre en cause la responsabilité des sociétés mères en cas de dommages environnementaux. Il est vrai qu’il s'agit de l’une des conclusions du Grenelle de l’environnement et qu’une réflexion est actuellement menée sur cette question.
L’article 43 du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, qui vous sera prochainement soumis, mesdames, messieurs les sénateurs, permettra d’engager un débat sur ce thème. Cela étant, je comprends que l’on puisse trouver paradoxal que les dispositions de cet article ne puissent d'ores et déjà être adoptées à l'occasion de l’examen de ce projet de loi.
Toutefois, un tel élargissement de responsabilité dépasse le cadre national. Comme le Président de la République l’a indiqué, le débat devra être porté à l'échelle communautaire et internationale. Je le répète, le présent projet de loi vise à transposer une directive, et il ne nous a pas paru judicieux d’étendre ainsi le champ de la discussion.
Enfin, s’agissant des dommages couverts par certaines conventions internationales – la question a été posée par Fabienne Keller –, s’écarter du parti pris qui sous-tend la directive européenne ne serait pas conforme aux engagements internationaux de la France ; j’y reviendrai au cours du débat, mais le Gouvernement a préféré ne pas aller au-delà.
D’autres options existent, que nous n’avons pas retenues. Je pense, par exemple, à la possibilité d’exonération de l’exploitant pour « risque de développement », qu’ont évoquée Évelyne Didier, Paul Raoult et Fabienne Keller, me semble-t-il. Cette disposition est strictement encadrée par des conditions cumulatives. Nous avons choisi d’inciter les exploitants à faire preuve de prudence, tout en ménageant l’innovation. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles, mais la position du Gouvernement semble équilibrée.
Telles sont les observations générales que je souhaitais formuler, mesdames, messieurs les sénateurs. Comme je l’ai indiqué tout à l’heure, je répondrai aux questions plus techniques lors de l’examen des articles.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Repentin et Raoult, Mme Herviaux, M. Pastor et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 122, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques le projet de loi relatif à la responsabilité environnementale (n° 288, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
M. Jean Desessard. Même avec la réforme des institutions ? (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin, auteur de la motion.
M. Thierry Repentin. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, plusieurs raisons nous poussent aujourd’hui à proposer le renvoi à la commission de ce projet de loi pour un examen plus approfondi.
Compte tenu du caractère très technique des dispositions de ce texte – vous l’avez souligné, madame la secrétaire d'État – et de l’enjeu que représente aujourd'hui la transposition dans notre droit du principe pollueur-payeur, il y a lieu de renvoyer ce projet de loi à un examen minimal par la commission des affaires économiques. L’urgence décrétée n’est pas digne d’un débat de cette nature. Contrairement à ce qui a été affirmé en commission, le Sénat n’a pas pris le temps d’adapter aux réalités d’aujourd’hui le texte qui avait été préparé par Mme Nelly Olin.
Il est vrai que le délai de transposition de la directive était fixé au 30 avril 2007. Avez-vous manqué de temps pour inscrire ce sujet à l’ordre du jour ou bien n’était-il tout simplement pas prioritaire jusqu’à aujourd’hui ? Et, dans ce cas, n’auriez-vous pas pu, au ministère, faire en sorte que ce projet de loi nous soit proposé remanié et adapté aux ambitions d’aujourd’hui ? (M. Jean Desessard applaudit.)
Il y aurait lieu de travailler plus longuement sur toutes les dispositions que contient ce texte, comme il y aurait lieu de regarder à deux fois les propositions de transposition que vous nous soumettez, monsieur le rapporteur.
Ce projet de loi, déposé devant le Sénat en 2006, donc voilà deux ans, vise à transposer la directive sur la responsabilité environnementale, dite « pollueur-payeur », en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. Toutefois, alors que vous auriez pu proposer à la représentation nationale un texte retravaillé pour être plus conforme aux nouvelles convictions environnementales de votre majorité, madame la secrétaire d'État, vous nous servez sur un plateau le même texte qu’il y a deux ans.
M. Jean Desessard. Bravo!
M. Thierry Repentin. Demander le renvoi à la commission d’un texte connu depuis deux ans peut sembler curieux, mais bien des choses se sont passées durant ce laps de temps.
D’abord, aucune alternance n’est venue troubler les travaux des administrations centrales. Vous auriez donc pu vous ranger à l’idée que l’adjonction d’un titre VI au code de l’environnement, sans aucune autre modification significative, ne suffisait pas à nous faire croire que le principe pollueur-payeur deviendra demain une réalité.
Ensuite, a été organisé le Grenelle de l’environnement, à l’occasion duquel le principe pollueur-payeur et la responsabilité environnementale ont été largement évoqués.
Vous voulez aujourd’hui nous faire transposer en urgence un texte identique, qui nie littéralement les conclusions du Grenelle de l'environnement et qui ne répondra qu’à une seule exigence : permettre à la France d’être exemplaire aux yeux des Européens à la veille d’exercer la présidence de l’Union européenne ; vous l’avez concédé dans votre intervention liminaire, madame la secrétaire d'État.
Pensez-vous que la France puisse devenir exemplaire après seulement deux jours de débat sur un texte qui consiste à minimiser autant que possible l’impact de la mise en œuvre concrète du principe pollueur-payeur dans notre pays ?
En France, nous tergiversons depuis des années autour de ce principe sans jamais le rendre concret. À chaque fois, d’ailleurs, c’est la droite qui nous propose des succédanés. Déjà la loi du 2 février 1995, dite « loi Barnier », avait modifié le code de l’environnement pour y introduire cette notion. Ainsi, l’article L. 110-1 du code de l’environnement dispose : « I. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, la qualité de l’air, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.
« II. - Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion [...] s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, [du] principe pollueur-payeur, selon lequel les frais résultant des mesures de prévention, de réduction de la pollution et de lutte contre celle-ci doivent être supportés par le pollueur... »
Nous sommes précisément dans ce cadre aujourd’hui : la discussion d’une loi qui définit la portée du principe pollueur-payeur. C’est au travers de ce texte que vous souhaitez rendre concret l’article 4 de la Charte de l’environnement inscrite dans la Constitution depuis 2005 : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi. » Mais de quel environnement s’agit-il ? Des seuls espèces et habitats naturels protégés ? Certainement pas !
Toutefois, le présent projet de loi limite la portée du principe pollueur-payeur à cette vision très restrictive de l’environnement.
Au cours des débats sur le Grenelle de l’environnement, plusieurs groupes se sont préoccupés de la mise en œuvre de ce principe, à tel point que l’avant-dernier alinéa de l’article 43 du projet de loi relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, que le ministre de l’écologie et du développement durable nous a présenté le 29 avril dernier, précise : « De plus, la France portera au niveau communautaire le principe de la reconnaissance de la responsabilité des sociétés mères à l’égard de leurs filiales en cas d’atteinte grave à l’environnement. Elle défendra ces orientations au niveau international ».
Or le texte que nous sommes appelés à examiner aujourd’hui ne reprend pas exactement la définition de l’exploitant prévue par la directive ; il limite donc la responsabilité des sociétés mères et actionnaires sur les dommages causés par leurs entreprises filiales et dépendantes. C’est tout le contraire de ce que souhaite ou dit souhaiter le Président de la République !
M. Jean Desessard. Oui !
M. Thierry Repentin. Le projet de loi qui nous est soumis, tout en se référant au Grenelle de l’environnement, serait-il moins ambitieux que le prochain, et ce alors même qu’il entend rendre la France exemplaire ? Vous avouerez que la posture est étonnante !
M. Jean Desessard. Bravo !
M. Thierry Repentin. Étonnante, votre méthode l’est aussi ! Et s’il n’est pas d’usage de fonder une motion de renvoi à la commission sur les amendements déposés sur un texte, encore moins sur des amendements gouvernementaux qui ne sont pas encore connus, je me permets néanmoins de le faire ici, exceptionnellement.
En effet, au moment où le travail du Parlement est regardé de près, travail que l’on dit même, dans certains cénacles, vouloir revaloriser, et alors que le Sénat doit souvent se battre pour faire reconnaître son utilité dans le processus législatif, vous admettrez que nos conditions d’examen de ce texte sont véritablement inadmissibles.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez présenté, le 21 mai dernier, soit moins de huit jours avant le début de l’examen en séance publique, quatre amendements qui visent à transposer d’autres directives et qui, avez-vous indiqué, n’étaient pas polémiques. Vous avez dit avoir pris la précaution de convier les sénateurs à une réunion – un peu informelle, il faut le préciser – pour discuter des autres textes qui pourraient être transposés à l’occasion du débat qui nous réunit aujourd’hui, et ce par un courrier en date du 7 mai. Or c’était la veille d’un long week-end de cinq jours ; ce n’est donc que le 13 mai que le président de notre groupe a reçu ce courrier, qu’il nous a transmis aussitôt. Par conséquent, nous avons eu connaissance de cette invitation au mieux la veille du jour de la réunion.
Au cours de cette réunion informelle, où vous étiez bien seul, monsieur le rapporteur – vous étiez entouré de quatre sénateurs socialistes – nous avons appris que ce texte, qui comporte actuellement cinq articles, pourrait en comprendre une quinzaine.
Vous vous êtes interrogé sur l’opportunité de transposer un certain nombre de directives : premièrement, la directive concernant l’arsenic, le cadmium, le mercure, le nickel et les hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l’air ambiant et la directive relative à l’ozone dans l’air ambiant ; deuxièmement, la directive établissant un système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre ; troisièmement, la directive relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions ; quatrièmement, la directive concernant la mise sur le marché des produits biocides ; cinquièmement, la directive relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques ; sixièmement, enfin, certaines dispositions du règlement concernant les polluants organiques persistants.
Je m’appesantis sur la méthode que vous avez suivie, parce qu’elle n’est pas commune et qu’elle pose question au parlementaire que je suis. En effet, nos interlocuteurs représentant le MEDAD nous avaient indiqué, à l’occasion de cette rencontre informelle, qu’aucune mesure n’était polémique : il s’agissait simplement d’être au clair sur l’Europe avant la présidence française. Or, depuis, nous nous sommes aperçus que deux directives avaient déjà été transposées : la directive concernant la mise sur le marché des produits biocides a été totalement transposée en 2001 et la directive relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques, dite « D3E », l’a été récemment par une série de décrets.
Quant à ce que vous considérez être une transposition de la directive relative à la pollution causée par les navires et à l’introduction de sanctions en cas d’infractions, monsieur le rapporteur, l’amendement que vous nous présentez est en fait une anticipation des dispositions d’une directive à venir. Sur ce point, il n’y a donc pas d’urgence, mais j’y reviendrai.
L’ordonnance n° 2001-321 du 11 avril 2001 relative à la transposition de directives communautaires et à la mise en œuvre de certaines dispositions du droit communautaire dans le domaine de l’environnement a transposé en totalité la directive concernant la mise sur le marché des produits biocides. Il s’agissait de créer un cadre réglementaire en ce qui concerne la mise sur le marché des produits biocides – littéralement, qui tue la vie – tout en assurant une protection de l’homme, des animaux et de l’environnement. Ces dispositions composent aujourd’hui un chapitre du code de l’environnement.
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous nous posions la question de savoir ce qu’apporte l’amendement 45 de la commission au code de l’environnement. Le principal argument que vous avez avancé, monsieur le rapporteur, serait la simplification de la procédure. Et si, dans ce cas, la complexité était précisément gage de sécurité ?
Mme Odette Herviaux. Oui !
M. Thierry Repentin. Le principe de la reconnaissance mutuelle entre les États implique que l’autorisation de mise sur le marché est quasiment automatique, sauf si l’État prouve l’existence de risques. Cette faculté suppose néanmoins de disposer de la capacité de démontrer ces effets néfastes.
En France, une série d’agences et d’organismes scientifiques peuvent concourir à ces évaluations : l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire et du travail, l’AFSSET, l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, l’IFREMER, et bien d’autres. J’ai bien compris que le rapporteur proposait que l’AFSSET devienne la seule agence chargée de l’expertise de ces autorisations.
Or c’est précisément la diversité des compétences de ces organismes et l’importance des moyens de recherche qui leur sont attribués qui offrent la garantie de la qualité des procédures d’expertise. La question de la tutelle administrative de ces organismes n’est que secondaire. Elle devient même marginale quand se pose le problème des crédits et de l’organisation de la recherche.
Vous comprendrez donc que les membres du groupe socialiste s’étonnent des modalités assez opaques de transposition d’une directive déjà transposée, qui ferait de l’AFSSET un pivot du dispositif. N’est-il pas déjà question, en effet, d’une réforme à venir des agences sanitaires, dans laquelle l’AFSSET pourrait, à terme, être absorbée par l’AFSSA ?
Pour vous donner une idée des enjeux, sous un angle un peu cocasse, je reviendrai sur la discussion récente que j’ai eue avec un responsable public breton. Lors de la réunion informelle et conviviale du 14 mai dernier – j’y reviens ! – un représentant du ministère, interrogé sur le contenu de la directive concernant la mise sur le marché des produits biocides, nous a indiqué que ces adaptations étaient secondaires. Il a pris l’exemple de la peinture utilisée pour tuer les parasites qui envahissent la coque des navires. En tant qu’élu d’un territoire de montagne – et c’est peut-être également le cas de mon collègue Daniel Reiner, qui était présent – je lui ai fait confiance. Mais d’autres membres du groupe socialiste qui sont élus de territoires ayant une façade maritime – Odette Herviaux, Jean-Louis Carrère, tout comme Daniel Raoul, qui est un grand navigateur – savent que ces peintures peuvent être dangereuses.
Effectivement, après recherche, il se trouve qu’il ne s’agit pas de n’importe quel produit : c’est du tributyl-étain, le TBT, utilisé dans certaines peintures antisalissures et identifié depuis longtemps comme le principal responsable d’une pollution côtière presque invisible. Je vous renvoie à une étude réalisée sur ce sujet par l’IFREMER en janvier 2006 ; l’exemple pourra vous faire sourire : « le TBT est toxique pour les mollusques à des concentrations très faibles. […] Ainsi, […] des modifications de la sexualité des gastéropodes marins tel que le bigorneau sont observées […] L’influence de concentrations similaires sur la calcification des coquilles d’huîtres creuses a été observée ».
La même note précise que la toxicité de ce composant est connue depuis le début des années quatre-vingt et qu’il n’a été partiellement interdit en France qu’en 2004. La marine nationale a d’ailleurs encore le droit de l’utiliser !
Très concentré dans les sédiments marins, le TBT a défrayé la chronique locale du nord du Finistère en 2005, quand des travaux d’aménagement portuaire ont été autorisés. Les ostréiculteurs se sont alors inquiétés des risques que l’utilisation de ces peintures pouvait faire peser sur leur production. Ce fait peut paraître anecdotique, voire étranger, pour des élus ne représentant pas des territoires côtiers. Mais pour les professionnels concernés, c’est tout, sauf anecdotique !
Madame le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, simplifier les procédures au risque de diminuer la capacité d’expertise de l’État, non !
Cet exemple amène à s’interroger, d’autant que le 6° de l’amendement n° 97, déposé par le Gouvernement, prévoit tout simplement d’habiliter ce dernier à procéder par ordonnance pour transposer des dispositions de la même directive. Convenez qu’il y a de quoi se poser des questions, surtout lorsqu’il s’agit de dispositions transposées sous une législature précédente, dont la majorité était différente. Sur ce point, il y avait peut-être matière à travailler, ce qui explique le dépôt de cette motion tendant au renvoi à la commission. Mais au-delà du renvoi éventuel, il n’y avait pas urgence sur ces sujets.
Il n’y avait d’ailleurs pas plus urgence à anticiper les dispositions d’une proposition de directive déposée au Sénat le 21 mars 2008, visant à modifier une directive déjà partiellement transposée relative à la pollution causée par les navires et à l'introduction de sanctions en cas d'infractions.
Par ailleurs, est-il utile de vous dire qu’il semble curieux de retrouver, là encore par la voie d’un amendement, une proposition tendant à modifier la transposition de la directive dite « D3E », transposition qui avait été réalisée complètement par votre majorité ?
Est-il également nécessaire de vous indiquer que, selon nous, la demande d’habilitation à procéder par ordonnance pour transposer le règlement REACH escamote totalement un débat fondamental pour notre pays, pour ses entreprises et leurs salariés, pour le voisinage de ces entreprises et les destinataires des produits mis sur le marché ?
En fin de compte, mes chers collègues, nous n’aurons procédé à aucune audition en commission pour bien appréhender l’impact des transpositions que nous nous apprêtons à examiner ! Sans doute une telle consultation aurait-elle pourtant été utile. Nous avons consacré une heure trente, ce matin, à l’examen du bien-fondé des amendements présentés en catastrophe, qu’ils soient issus du Gouvernement ou portés par des parlementaires de la majorité, à la demande, d’ailleurs, du Gouvernement.
Cette précipitation, coupable au regard des enjeux environnementaux concernés, nuit au respect du travail du Parlement, et, je le crains, des milieux terrestres et aquatiques visés par ces directives.
Elle se traduit d’ores et déjà – nous le savons depuis ce matin – par plusieurs avis négatifs de la commission saisie au fond sur des amendements du Gouvernement. C’est vous dire, compte tenu de l’audace que nous avons généralement à l’égard des amendements du Gouvernement, de quelle façon ont été appréciées les conditions d’organisation de ce débat. On peut d’ailleurs se demander si, en commission, nous sommes dorénavant saisis sur le fond ou seulement sur la forme !
Que le droit européen soit complexe, nous en convenons avec vous. Mais que, sous couvert d’urgence, vous entreteniez l’opacité, vous utilisiez la technique parlementaire – en inscrivant à l’ordre du jour la transposition d’une directive et en nous demandant de nous prononcer quasiment sur une dizaine de textes – et les subtilités d’un débat, que vous savez pourtant gagné d’avance, pour éviter que nous ayons le temps d’examiner au fond toutes les réformes que vous nous proposez, cela est décidément bien suspect.
L’enjeu du Grenelle de l’environnement ne justifierait-il pas, au contraire, un renvoi à la commission du projet de loi, pour que la représentation nationale se saisisse des enjeux et transforme les négociations du Grenelle de l’environnement en véritable projet de société ? Vous nous y avez d’ailleurs invités, madame le secrétaire d’État, ainsi que M. Jean-Louis Borloo, le 29 avril dernier au Sénat, devant les parlementaires membres du comité de suivi du Grenelle de l’environnement.
En vous demandant le renvoi à la commission, nous vous indiquons aussi que nous sommes prêts à construire conjointement avec vous ce projet de société, notamment à l’occasion de ces multiples transpositions ; vous nous avez même dit combien elles étaient « complexes et précises ».
C’est justement en vous rejoignant sur le choix de vos adjectifs que nous demandons une méthode de travail qui garantisse les conséquences de nos décisions à l’égard de la conservation et de la réparation des milieux soumis aux conséquences de l’activité humaine. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)