M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 231, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.
Mme Catherine Procaccia. J’ai souhaité interroger M. le ministre du budget sur les modalités de facturation des numéros surtaxés des services publics.
En effet, de nombreuses administrations - caisses primaires d’assurance maladie, caisses d’allocations familiales, Assedic - ne sont joignables par les citoyens que par le biais de ces numéros.
Dans la mesure où les appels adressés à ces organismes sont toujours guidés par la nécessité, on peut s’interroger sur le fait que les temps d’attente, qui sont souvent longs, soient facturés à l’usager. Est-ce à lui de supporter ces contraintes de fonctionnement ? Est-il bien normal que certains citoyens payent plus cher pour entrer en contact avec leur hôpital, lorsque celui-ci a fait le choix d’un numéro surtaxé ?
Le Gouvernement a apporté un début de réponse à cette question, en janvier dernier, dans la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, qui a modifié l’article L. 121-84-3 du code de la consommation en prévoyant la gratuité du temps d’attente pour les usagers qui appellent les services clientèle, technique ou après-vente d’un opérateur de téléphonie. Il s’agissait de mettre fin aux abus constatés et dénoncés de certains opérateurs.
Nous sommes un certain nombre à avoir constaté que le temps d’attente était désormais gratuit vers les opérateurs. Certes, mais lorsqu’on les appelle, une personne vous indique immédiatement qu’elle recherche votre dossier ou qu’elle transmet votre appel. À partir de ce moment-là, l’appel est payant puisque vous avez été mis en communication avec quelqu’un « au bout du fil », et pourtant le temps d’attente n’est pas terminé pour autant ! Cela fera sans doute l’objet d’une autre question adressée à M. Chatel !
Lors du débat relatif au projet de loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs, un certain nombre d’entre nous – j’en faisais partie – avaient interrogé M. Chatel sur le temps d’attente payant vers les services publics.
Il nous avait alors répondu que les services publics avaient recours à des opérateurs de téléphonie parce que ceux-ci leur vendaient des plateformes clés en main. La permutation vers un système de décompte entre attente et communication était donc très compliquée et impossible à mettre en œuvre immédiatement. Je sais que M. le ministre du budget travaille sur ce dossier depuis le mois de septembre dernier, mais il n’empêche que les citoyens doivent toujours payer pour consulter la CAF ou pis les ASSEDIC, alors qu’ils sont dans une situation financière difficile.
Finalement, on ne paie pas pour appeler sa hotline lorsque l’on a un problème avec Internet ou le téléphone, mais on paie pour entrer en contact avec un service public !
À la suite des engagements pris par M. Chatel et des réflexions engagées par M. Woerth, j’aimerais savoir quelles mesures ont été prises pour encourager les services publics à entreprendre les modifications de leur système afin d’instaurer un temps d’attente gratuit et quels délais ont été fixés pour leur mise en œuvre ?
Au demeurant, j’espère que les services publics ne procéderont pas aux mêmes détournements que ceux que j’ai dénoncés tout à l’heure.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Valérie Létard, secrétaire d’État chargée de la solidarité. Madame le sénateur, vous avez appelé l’attention d’Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, sur la réduction du coût des appels surtaxés et sur la gratuité du temps d’attente.
La réduction de la facture téléphonique des usagers est un sujet prioritaire sur lequel s’est engagé le Gouvernement. Vous l’avez rappelé, dès janvier 2008, le Gouvernement a mis fin à la surtaxation des appels vers les services d’assistance des opérateurs téléphoniques et a rendu gratuit le temps d’attente vers ces services.
Reconnaissons-le, ce sont deux mesures concrètes en faveur du pouvoir d’achat des Français qui ont été votées dans le cadre de la loi pour le développement de la concurrence au service des consommateurs.
Néanmoins, cette gratuité du temps d’attente n’est possible que si l’on peut déterminer de manière précise le moment où un appel est « décroché ». Cela nécessite que l’ensemble de la chaîne de réponse soit traitée par le même opérateur. Or, pour l’administration, les réponses aux usagers sont traitées en interne, alors que l’acheminement des appels est géré par des opérateurs téléphoniques.
Dans les conditions actuelles, il n’est techniquement pas possible d’appliquer la gratuité du temps d’attente vers les administrations. Pourtant, pour ce qui concerne le coût des centres d’appels des administrations, le Gouvernement a décidé de ne pas en rester là. En effet, il a choisi de s’attaquer à la pratique des appels surtaxés dans les administrations. Aussi, dès le 6 septembre dernier, M. Woerth a donné instruction pour ramener à une tarification locale l’ensemble des services téléphoniques placés sous sa responsabilité.
Conformément à ces engagements, le coût des appels vers les centres impôts-services a été ramené à celui d’un appel local. Concrètement, c’est une division par quatre de la facture des usagers, pour plus de 3 millions d’appels reçus ! Cette décision est en train de se généraliser dans les autres centres d’appels des ministères, dont les coûts d’appels passeront au coût d’un appel local au fur et à mesure du renouvellement des contrats passés avec les opérateurs.
Vous le voyez, le Gouvernement est convaincu de la nécessité de continuer d’agir sur ce sujet et de renforcer l’action engagée par Éric Woerth. Il y va de l’accès des services publics par tous ainsi que du pouvoir d’achat des Français.
Quoi qu’il en soit, je me ferai l’écho de votre intervention précise et détaillée, madame le sénateur, afin que nous accroissions nos efforts dans le secteur tant privé que public.
Comme vous l’avez souligné, nous aurons l’occasion d’aller plus loin encore, lors de débats à venir, pour faire en sorte que les services publics soient vraiment accessibles à tous.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia.
Mme Catherine Procaccia. Je vous remercie, madame le secrétaire d’État, de m’avoir précisé qu’il appartenait aux ministères chargés des différentes administrations de prendre les décisions. C’est donc vers eux que je me tournerai.
Toutefois, je m’interroge plus particulièrement sur les hôpitaux. Ceux-ci dépendent, me semble-t-il, de l’Assistance publique. Relèvent-ils du ministère de la santé pour ce qui concerne la question des appels téléphoniques, qui est scandaleuse ? Je ne le sais pas. S’agissant des ASSEDIC, il va falloir se tourner vers le nouvel opérateur qui s’occupe directement du ministère de l’emploi.
Pour avoir souscrit des contrats dans des entreprises, je sais que les délais peuvent être très longs, de trois ans à cinq ans. Si les administrations viennent de signer leur contrat, la différence de traitement avec les opérateurs privés de téléphonie va donc durer. Je déplore cette situation. Toutefois, un contrat peut se renégocier ! Pourquoi n’a-t-on pas demandé aux ministères de renégocier leurs contrats ? Comme vous me l’avez suggéré, madame le secrétaire d’État, je poserai cette question à M. le ministre du budget lors de débats ultérieurs.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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Modernisation du marché du travail
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après déclaration d’urgence, portant modernisation du marché du travail (nos 302, 306).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Où est M. Xavier Bertrand ? Pour un texte si important !
Mme Christiane Hummel. Mme Létard est très bien !
M. Guy Fischer. Mais je n’ai pas dit le contraire !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État chargée de la solidarité. Monsieur Fischer, ce projet de loi est effectivement très important. Je vais en faire la présentation initiale mais, rassurez-vous, Xavier Bertrand va très rapidement me rejoindre. Il est actuellement sur le chemin du retour après avoir suivi le président de la République en déplacement dans le département du Gard et vous prie, monsieur le président mesdames, messieurs les sénateurs, de vouloir bien excuser son retard. En tout cas nous serons tous les deux dans cet hémicycle pour travailler avec vous sur cette question de la modernisation du marché du travail. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Prends garde à toi, Fischer ! (Sourires.)
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. La flexicurité est l’intérêt naturel des entreprises et des salariés : depuis presque vingt-cinq ans – depuis 1984, pour être précis, date de l’échec des négociations sur « l’adaptation des conditions de l’emploi » –, la flexicurité attendait de prendre forme en France.
En apportant des réponses concrètes à cette question, les partenaires sociaux ont témoigné du succès de la négociation collective et le projet de loi qui vous est soumis aujourd’hui est né de l’accord interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail qui a été signé le 11 janvier 2008.
Premier accord conclu dans le cadre de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, il a été signé par les partenaires sociaux, qui ont su trouver eux-mêmes les solutions adaptées aux problèmes qui les concernent. Cet accord prouve que nous sommes entrés dans une nouvelle ère du dialogue social ; il prouve que, dans une société moderne, on a toujours raison de privilégier la voie de la négociation, voire de la concertation, selon les sujets.
Le projet de loi qui vous est soumis atteste que le Gouvernement souhaite mettre en œuvre cet accord et lui donner force obligatoire le plus rapidement possible.
Ce texte a été élaboré en étroite concertation avec les signataires. Nous avons identifié les points qui nécessitaient une loi, sachant que, à terme, tout l’accord sera applicable à tous les salariés selon des modalités négociées.
Comme les parties signataires en sont convenues, certains sujets feront l’objet de négociations ultérieures, comme la formation professionnelle, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, GPEC, ou l’assurance chômage.
D’autres domaines seront précisés dans les décrets et arrêtés d’application de ce projet de loi. Nous avons travaillé à ces décrets avec les signataires et avec les parlementaires, afin qu’ils puissent être publiés aussitôt que la loi aura été promulguée. Ces projets de décrets que Xavier Bertrand vous a fait parvenir ont été transmis à la commission nationale de la négociation collective, qui les examinera le 13 mai prochain. C’est également le cas de l’arrêté prévoyant le formulaire type pour la rupture conventionnelle.
Enfin, nous avons également mis en place le groupe de réflexion tripartite demandé par les signataires de l’accord sur le contexte juridique nécessaire pour fixer le minimum et le maximum des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce groupe s’est réuni le 31 mars et se réunira de nouveau le 20 mai.
Le présent texte rendra applicables les avancées considérables introduites par l’accord du 11 janvier. Celles-ci façonnent un nouvel équilibre entre flexibilité et sécurité, pour une flexicurité à la française.
Ce projet de loi apporte tout d’abord des garanties nouvelles aux salariés.
Il pose un principe essentiel : la forme normale de la relation de travail, la forme de droit commun, est le contrat de travail à durée indéterminée.
Les représentants du personnel seront désormais informés sur le recours prévisionnel aux contrats de travail à durée déterminée et temporaire.
En cas de maladie, l’ancienneté requise pour bénéficier d’une indemnisation complémentaire sera réduite de trois ans à un an.
La durée des stages de fin d’études sera comprise dans la période d’essai, jusqu’à réduire celle-ci de moitié.
Le montant de l’indemnité de licenciement sera unifié en doublant celui qui est prévu en cas de licenciement pour motif personnel, et l’ancienneté nécessaire pour percevoir l’indemnité passera de deux ans à un an.
Enfin, ce projet de loi pose le principe selon lequel tout licenciement doit être motivé, et il vient clarifier une situation de fait : il abroge le contrat « nouvelles embauches », le CNE.
Désormais, tout salarié dont le contrat de travail est rompu par son employeur connaîtra donc le motif de son licenciement, selon le principe présent dans l’accord qui demandait aux pouvoirs publics de prendre les dispositions nécessaires pour que l’exigence de motivation et de cause réelle et sérieuse en cas de licenciement « s’applique à tous les contrats ». Xavier Bertrand l’avait dit dès qu’ont été connus la décision de l’Organisation internationale du travail, en novembre 2007, et les arrêts des cours d’appel qui ont rendu inopérant le CNE.
La meilleure sécurisation juridique, pour les salariés comme pour les entreprises, consiste à mettre en cohérence le droit et la réalité, dans un souci de pragmatisme, pour éviter aux entreprises et aux salariés de courir des risques inutiles. Tel était le vœu des signataires de l’accord du 11 janvier 2008, mais telle était aussi la volonté du Gouvernement.
Ce projet de loi modernise les relations individuelles de travail en offrant des règles plus simples, qui s’appuient sur des garanties.
Les partenaires sociaux ont voulu mettre en place de nouvelles périodes d’essai interprofessionnelles par catégories, qui seront donc applicables dans toutes les professions et dans tous les secteurs d’activité.
Les rares périodes d’essai plus longues que prévoient aujourd’hui les accords de branche resteront applicables, comme le requiert l’accord interprofessionnel du 11 janvier 2008. Pour les périodes d’essai plus courtes, le projet de loi ménage une période de transition d’une année avant de les rendre inopérantes. Ce délai, qui correspond à la période légale de survie d’un accord collectif dénoncé, permettra aux négociations de branche d’adapter la durée des périodes pour les cas où cela s’avérerait nécessaire.
Le projet de loi permet aussi au contrat de travail ou aux accords collectifs qui seront conclus après l’entrée en vigueur de la loi de fixer des périodes d’essai plus courtes.
Le projet de loi rendra possible la rupture conventionnelle du contrat de travail. Il s’agit d’une modernisation sans précédent des relations individuelles de travail. Cela rejoint la décision 145 du rapport de la commission pour la libération de la croissance française, présidée par Jacques Attali. La modernisation de l’économie souhaitée par les membres de cette commission trouve ici son premier écho concret dans le domaine social. Ce ne sera pas le dernier ; nous avons besoin de mettre en œuvre ce type de propositions contenues dans le « rapport Attali ».
Ainsi, l’employeur et le salarié pourront convenir ensemble de rompre leurs relations de travail dans un cadre légal entouré de garanties : assistance des parties, délai de rétractation de quinze jours et homologation par le directeur départemental du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle. Ces garanties sont reprises par le projet de loi, qui en précise la mise en œuvre.
Cette nouvelle forme de rupture vise à la simplification : c’est pourquoi il est apparu naturel que les recours juridictionnels soient tous traités par les conseils de prud’hommes, que les contentieux portent sur l’homologation ou sur la convention.
Il s’agit d’une innovation essentielle dans notre droit : elle devrait sécuriser les modes de rupture et réduire la judiciarisation dans notre pays, où un quart des licenciements pour motif personnel donne aujourd’hui lieu à un recours en justice.
Le projet de loi offrira aux entreprises des outils pour accompagner et sécuriser leur activité.
Pendant cinq ans sera expérimenté un contrat à durée déterminée à objet défini. Il permettra à une entreprise d’embaucher un ingénieur ou un cadre afin de réaliser un projet pour une durée de dix-huit à trente-six mois. Cela offrira aux entreprises une plus grande souplesse pour recruter les compétences nécessaires à l’exécution de certaines missions ponctuelles. Un accord collectif devra être préalablement conclu pour garantir les conditions d’utilisation de ce contrat.
Enfin, le portage salarial pourra être encadré par un accord qui sera conclu d’ici à deux ans dans la branche du travail temporaire, comme l’ont souhaité les partenaires sociaux. Nous souhaitons que, dans cette perspective, les intérêts de tous soient pris en compte, et Xavier Bertrand a écrit à cet effet au syndicat des entreprises de travail temporaire, qui lui a donné des assurances à ce sujet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion qui s’ouvre aujourd’hui va nous permettre de donner force obligatoire à cet accord et, sur certains points, d’améliorer le texte qui vous est soumis, dans le respect de l’équilibre de l’accord.
L’Assemblée nationale a d’ores et déjà procédé à quelques améliorations, que je voudrais rappeler brièvement.
En premier lieu, les députés ont souhaité préciser que les personnes qui signeront une rupture conventionnelle bénéficieront des droits à l’assurance chômage.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Et même celles qui n’en signeront pas !
Mme Valérie Létard, secrétaire d'État. C’est une clarification importante, qui reprend une stipulation de l’accord du 11 janvier 2008, et les négociations de la future convention d’assurance chômage viendront confirmer ce principe.
Toutefois, la précision apportée par l’Assemblée nationale peut être encore améliorée, et c’est d’ailleurs, me semble-t-il, l’objet de l’un des amendements de la commission des affaires sociales.
Les députés ont également souhaité que les parties s’informent mutuellement de l’utilisation qu’elles entendent faire de la possibilité de se faire assister lors de l’entretien prévu en matière de rupture conventionnelle.
Ensuite, les députés ont écrit noir sur blanc que l’indemnité de rupture de 10 % prévue pour le CDD à objet défini est due par l’employeur au salarié, et non l’inverse, en cas de rupture engagée sur l’initiative du salarié.
Concernant le nouveau CDD à objet défini, Xavier Bertrand a été amené, au cours des débats qui se sont déroulés à l’Assemblée nationale, à apporter quelques clarifications, sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir, d’autant qu’un amendement de la commission des affaires sociales vise à apporter d’utiles précisions sur ce point.
Enfin, les députés ont complété la sécurisation juridique que nous avions voulu mettre en œuvre pour le CNE en prévoyant l’application des périodes d’essai conventionnelles pour les CNE requalifiés en CDI.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi contient de grandes avancées dans le domaine des relations sociales. Il constitue une première étape importante, et même décisive. Nous le savons tous, la modernisation de notre économie et de notre marché du travail appelle d’autres accords, en particulier sur la formation professionnelle et l’assurance chômage.
Ce que veulent les Français, ce que nous voulons et ce que nous mettons en œuvre pour la société française, c’est la modernisation du contrat de travail, la modernisation du droit du travail, la modernisation du marché du travail. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la France est-elle entrée, depuis le 31 janvier 2007, dans une ère nouvelle des relations du travail ? Nous sommes parfaitement fondés à le croire si l’on en juge par l’application réussie qui vient d’être faite de la loi de modernisation du dialogue social, promulguée à cette date.
Saisis par le Gouvernement, qui leur a adressé un document d’orientation en juin dernier, les partenaires sociaux se sont livrés à d’intenses négociations pour parvenir, le 11 janvier 2008, à un accord sur la modernisation du marché du travail, signé par sept organisations représentatives sur huit. Seule la CGT n’a pas apposé sa signature au bas du parchemin, mais elle a joué un rôle actif dans les débats et est ouverte aux négociations de branche qui en découleront.
Cet accord est placé sous le signe de la « flexisécurité », néologisme parfaitement explicite.
La mondialisation exacerbe la compétition économique et, en l’absence de régulation internationale, exige de chaque économie innovations et adaptations permanentes. C’est particulièrement vrai dans le monde du travail. Le temps n’est plus où un contrat de travail pouvait servir de base à toute une vie professionnelle ; pour une part de plus en plus importante de nos concitoyens, le changement est la règle. Celui-ci peut être perçu comme une opportunité, mais il peut aussi être ressenti, en particulier par le salarié, comme une source d’angoisse et de souffrance. Il convient donc d’entourer la flexibilité de toute la sécurité nécessaire pour que le changement se fasse au moindre coût humain et signifie réellement pour chacun enrichissement plutôt que risque.
Au demeurant cette sécurité est également utile pour l’employeur, qui souhaite améliorer le climat dans son entreprise, de manière à en assurer la stabilité et à lui donner la plus grande visibilité.
Afin de parvenir au meilleur équilibre possible entre la flexibilité et la sécurité, plusieurs outils sont à notre disposition, notamment la portabilité de certains droits. C’est ainsi que le salarié quittant l’entreprise gardera sa couverture complémentaire santé et prévoyance pendant au moins trois mois et conservera 100 % du solde des heures de formation acquises au titre du droit individuel à la formation.
Mme Annie David. C’est précisé dans l’accord, mais pas dans le projet de loi !
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Divers autres outils de la flexisécurité ont été largement expérimentés, et ce depuis longtemps, par nos partenaires européens, en particulier par les économies nordiques, au premier rang desquelles le Danemark, afin d’assurer une vraie sécurisation des parcours (M. Jean-Luc Mélenchon proteste), notamment en attachant les droits sociaux à la personne des travailleurs plutôt qu’à leur emploi, car toutes les économies avancées sont confrontées à ce même problème. C’est la raison pour laquelle l’Europe s’y est intéressée, et l’accord conclu en France répond bien aux préconisations qu’elle a formalisées en décembre dernier.
Certes, la flexisécurité ne se fera pas en un jour, en un accord, en une loi ; il s’agit d’un problème culturel, qui nécessitera encore beaucoup de négociations, d’avancées, de reculs, de tâtonnements, mais nous avons conscience qu’une direction est prise et qu’un seuil est franchi.
Cet accord est en effet exemplaire tant sur la forme que sur le fond.
Sur la forme, il semble bien que le Gouvernement, les organisations patronales et syndicales et le Parlement aient trouvé la bonne méthode : le Gouvernement propose, fixe le cadre et le calendrier ; les organisations négocient ; le Parlement légifère.
Les relations du travail ont tout simplement franchi le pas de la modernité, que nous avons si longtemps enviée à d’autres pays et qui va procurer, si cette orientation se confirme, un nouvel atout essentiel à la France.
Sur le fond, c’est aussi de modernité qu’il s’agit, puisque nous nous donnons les moyens de mieux répondre à un formidable défi par des solutions qui construisent un modèle social et qui affirment clairement que, face à la loi de la jungle, il existe des réponses qui font – encore imparfaitement, certes – toute sa place à l’homme dans l’économie.
La flexisécurité, j’en suis persuadé, c’est la dernière chance du modèle social européen face au libéralisme sauvage. (M. le président de la commission des affaires sociales acquiesce.)
La mise en œuvre totale de cet accord nécessite une loi pour certaines de ses dispositions, mais aussi des décrets, que le Gouvernement a d’ores et déjà commencé à rédiger en concertation avec les signataires, ainsi que des accords interprofessionnels et des accords de branche.
S’agissant du texte de loi, je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur la réaffirmation solennelle du principe selon lequel le CDI est « la forme normale et générale de la relation de travail ». Tous les autres contrats – et ils sont, semble-t-il, nombreux – ne sont destinés qu’à répondre à des besoins d’adaptation, à des situations ponctuelles, et ils participent à ce titre de la flexibilité.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, une certaine rationalisation tendant à réduire le nombre de ces contrats ne serait certainement pas superflue, s’il est vrai, comme on nous l’a indiqué, que notre législation en compte déjà trente-huit formes différentes.
Le deuxième point fort de ce projet de loi est la réglementation de la période d’essai, que le code du travail ne traitait curieusement jusqu’ici que de façon allusive. La période d’essai ne pourra dépasser une durée maximale, différente selon les catégories de salariés, et ne pourra être renouvelée qu’une fois.
Le troisième point important du texte est la rupture conventionnelle du contrat de travail par le commun accord des parties. Outre la démission et le licenciement, employeur et salarié peuvent désormais se séparer à l’amiable, à condition de respecter une procédure qui garantit la liberté de consentement des parties.
Les partenaires sociaux ont d’abord prévu que salarié et employeur pourraient se faire assister, pour négocier la rupture, par un membre du personnel de l’entreprise. Souhaitant vraisemblablement écarter toute idée de « judiciarisation » de la procédure, ils n’ont en revanche pas retenu la possibilité de se faire assister par un avocat.
Les partenaires sociaux ont ensuite confié une mission de contrôle au directeur départemental du travail et ils ont souhaité que, en cas de conflit, les prud’hommes, et eux seuls, soient amenés à statuer.
Cette séparation à l’amiable donne droit aux allocations chômage, ce qui devrait dissuader les salariés de chercher à se faire licencier, plutôt que de démissionner, comme cela arrive parfois.
Le quatrième point consiste à créer un nouveau type de contrat : le contrat à durée déterminée à objet défini.
Ce contrat a été imaginé dans le but de faire accomplir une tâche bien circonscrite, limitée dans le temps, de dix-huit à trente-six mois, et qui ne devrait pas concerner des emplois permanents dans l’entreprise. En cas de rupture, ce contrat donne lieu à indemnisation dans les mêmes conditions qu’un CDD classique.
Enfin, ce projet de loi légalise le portage salarial, pratique née il y a une vingtaine d’années, qui concerne environ 20 000 personnes chaque année en France et qu’aucune disposition n’est venue codifier jusqu’à aujourd’hui, ses utilisateurs se trouvant ainsi placés dans une grande insécurité juridique.
Le portage salarial vise à concilier les avantages du travail indépendant et ceux du salariat : un professionnel autonome cherche une mission auprès d’une entreprise cliente ; une fois qu’il l’a trouvée, il s’adresse à une société de portage, avec laquelle il signe un contrat de travail ; lorsque la mission est terminée, la société encaisse les honoraires versés par le client et reverse au professionnel une rémunération sous forme de salaire, après avoir retenu les frais de gestion et la totalité des cotisations sociales.
Le professionnel se trouve ainsi allégé des charges de gestion et peut en outre bénéficier d’une assurance chômage entre deux missions.
Les partenaires sociaux se sont accordés pour reconnaître une véritable utilité sociale à cette forme de contrat, en particulier pour les seniors. Ils en ont donc souhaité la légalisation et ont demandé que son organisation soit dévolue à la branche de l’intérim.
Toutefois, plusieurs organisations professionnelles existent dans ce secteur et l’une d’entre elles a même déjà signé un accord avec trois organisations syndicales. Il conviendrait donc que la branche de l’intérim tienne compte de leur expérience et les associe aux négociations, dans des formes à déterminer.
Telles sont, mes chers collègues, les principales dispositions du texte qui nous est soumis. Vous aurez compris que rompre l’équilibre de ce texte remettrait en cause tant l’esprit de la loi de janvier 2007 que le contenu de l’accord signé en janvier 2008. Mais, plus grave encore, il serait démontré que, décidément, la France est incapable de conduire des relations de travail de façon moderne, apaisée, contractualisée.
Certes, ce type d’accord n’est pas le premier de notre histoire : l’initiative du général de Gaulle aboutissant à la création de l’Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce, l’UNEDIC, de même que les travaux de Jacques Chaban-Delmas, Joseph Fontanet, Jacques Delors aboutissant à la loi de 1971 portant organisation de la formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente sont là pour le prouver.
Mais nous pouvons espérer que, cette fois-ci, nous entrons dans une forme de négociation durable et que, désormais, tous les accords nécessaires seront élaborés dans cet esprit et selon cette procédure. Nous vivons donc un moment important de l’histoire des relations du travail ; ne brisons pas cet élan !
C’est pourquoi, avant de conclure, je voudrais m’adresser, d’abord, à celles et ceux de nos collègues que l’équilibre atteint ne satisfait pas et qui ont peut-être le sentiment que les salariés ne bénéficient pas, dans ce projet de loi, de toutes les protections nécessaires.