M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il s'y est engagé ! À hauteur de 5 % !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. ...après avoir procédé aux coupes franches, promises mais non encore échues, il n'y a pas si longtemps, lors de l'examen de la loi de finances pour 2008, et sur lesquelles j'étais déjà intervenue pour m'en indigner, cela va de soi, vous faites partie - nous sommes nombreux à le penser - de la seconde catégorie : celle qui promet, mais ne fait rien.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Je vous rappelle que, à l'arrivée de la gauche, en 1981, le mouvement associatif, multisectoriel et global, fut reconnu comme une composante spécifique d'expression et d'action de la société civile, comme un partenaire des pouvoirs publics. On découvrait alors son importance dans l'économie du pays avec plus de 700 000 salariés à cette époque ; on en compte près de 2 millions aujourd'hui.
Cette évolution reflète bien le dynamisme, la vitalité, mais aussi la professionnalisation de ce secteur, qui est dorénavant incontournable. Malheureusement, on ne peut que constater que les crédits d'intervention en direction de ce secteur, notamment ceux qui figurent au programme « Jeunesse et vie associative », sont, encore une fois, en baisse en 2008 - moins 4,2 % en euros constants. Pour 67 % d'entre elles, les associations estiment que leurs missions sont de plus en plus difficiles à remplir en raison de moyens budgétaires insuffisants. Et je ne parle pas de leurs problèmes de trésorerie dus aux retards de paiement !
Pourtant, l'État s'épargne bien des dépenses grâce au travail réalisé par ces 14 millions de bénévoles ! Ce secteur ne mérite-t-il pas dès lors d'être reconnu et encouragé ?
Vous pourriez reprocher au gouvernement Jospin de n'en avoir pas fait assez, en son temps.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne vous le fait pas dire !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Avec cette proposition de loi, vous faites vraiment moins. Vous vous contentez du minimum minimorum, qui ne suffira pas à subvenir aux besoins importants de ces acteurs de la vie sociale, de l'équilibre des quartiers, aux besoins de la vie culturelle que porte à peu de frais, et avec peu de moyens, le corps associatif.
Avec cette proposition de loi, vous ne corrigerez pas les méfaits d'une politique qui remonte à la fin de 2002, les conséquences de décisions peu éclairées, d'une gestion financière qui va aujourd'hui largement à l'encontre de l'intérêt des Français.
Quand on prive les personnes des moyens de se réunir, d'échanger, de s'aider, de vivre décemment ou de se cultiver, il faut bien soutenir ceux qui oeuvrent à les encadrer. C'est le moins que l'on puisse faire. Mais c'est ce que vous faites le moins ! (M. le président de la commission des affaires sociales sourit.)
Voilà pourquoi la parade dont vous usez n'impressionne personne et ne satisfait que vous !
Voilà pourquoi mes collègues et moi-même pensons que cette attribution des chèques emploi associatif cache encore un désengagement de l'État pour ce secteur, particulièrement sensible dans le domaine de l'insertion, devenu indispensable pour la politique de l'emploi en faveur des plus démunis.
À ce titre, et au-delà de nos divergences de vues, j'avoue ne pas comprendre votre logique, s'il en est une !
Cette vie associative, qui concerne un Français sur deux, qui assume les missions de service public, dont l'État que vous dirigez se dédouane - missions d'insertion sociale auprès des jeunes, des personnes handicapées, des personnes âgées ou des enfants en bas âge -, qui s'avère nécessaire et efficace là où l'État semble être à la peine - je pense à la vie des quartiers, aux violences scolaires, au soutien extrascolaire, aux activités culturelles et sportives locales -, qui permet si souvent d'éviter le délitement du lien social, où les moyens font tant défaut et où l'autorégulation n'existe pas, cette vie associative, disais-je, est donc, de près ou de loin, un pilier de l'économie sociale.
L'économie sociale !
Pour vous qui n'avez que ces mots à la bouche - économie, valeur travail, activités, rentabilité, entreprendre -, comment peut-il se faire que vous soyez si frileux dans le soutien à une pépinière si prometteuse ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Au contraire, c'est audacieux !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Le ratio moyens-résultats devrait vous mobiliser davantage.
C'est ici qu'il est payant d'investir ! C'est ici qu'il faut favoriser l'emploi, pour encore plus d'emplois. C'est ici qu'il faudrait exercer une volonté politique de soutien fort et durable.
La pente est rude, la route est droite ! Depuis le temps qu'elles oeuvrent avec peu de moyens, les associations ont de l'endurance. C'est là qu'il faut miser sur l'avenir !
Nous avons l'impression que vous concevez un État qui peut intervenir largement dans l'économie, pour peu qu'elle ne soit pas sociale.
J'aimerais demander quel est le sens de la gouvernance d'un pays qui procède ainsi, mais je gage que vous vous en défendrez, faisant valoir le coup d'esbroufe auquel vous nous préparez et que vous ne vous lasserez pas de nous resservir opportunément.
Neuf emplois équivalent temps plein, c'est toujours mieux que trois. C'est incontestable ! Les petites associations le réclament. Elles savent de quoi il retourne.
Au fond, l'extension du chèque emploi associatif, qui pourrait être contre ? Surtout pas nous !
Pour nous, il est toujours question d'efficacité, de solidarité et de démocratie. Mais ce chèque associatif ne saurait remplacer une politique active en faveur des associations et de l'emploi associatif, fondée sur des relations partenariales équilibrées avec les pouvoirs publics.
Il est maintenant primordial que ce secteur créatif puisse être conforté et reconnu dans ses missions indispensables au maintien des grands équilibres sociétaux.
Le groupe socialiste ne votera pas contre ; il n'est pas contre ce chèque.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Il s'abstiendra seulement, pour formuler son refus de cautionner le moins-disant des politiques publiques actuelles, qui s'emploient à mettre un plâtre sur une jambe de bois. L'arbre cache à peine la forêt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Monsieur le président, je souhaiterais tout d'abord m'associer à l'hommage rendu aux associations par Mme Desmarescaux dans son excellent rapport. Elle a notamment rappelé qu'un Français sur trois est membre d'une association et que le partenariat des communes est très important pour le financement des associations.
Mme Rozier, dont je partage l'analyse, a souligné le rôle important des associations et mentionné que le dispositif du chèque emploi associatif avait certainement contribué à lutter contre le travail au noir.
À M. Voguet, qui a parlé de précarité, je dirai que le chèque emploi associatif, en facilitant les démarches sociales des associations, favorise au contraire la déclaration des salariés, donc l'acquisition des droits et l'accès à l'emploi durable.
À Mme Jarraud-Vergnolle, je rappellerai que le chèque emploi associatif est un outil supplémentaire, demandé par les associations. Le Gouvernement comme la majorité souhaitent préserver un réseau dense et diversifié.
À propos des emplois-jeunes qu'elle a évoqués, je répondrai que, pour nous, ils étaient une voie sans issue et qu'on allait se cogner la tête contre les murs à la fin des cinq ans. Nous avons tous constaté les effets dévastateurs de ce dispositif sur le terrain.
Xavier Bertrand et moi-même souhaitons garantir une visibilité et une sécurité plus grandes des dispositifs proposés aux Français, y compris aux associations. Ce nouvel outil important était attendu.
En écoutant votre intervention, madame, j'ai craint que vous ne votiez contre cette proposition de loi et que vous ne vous perdiez dans le dédale des mauvaises idées. Or j'espère que votre abstention vous conduira sur le chemin qui favorise le retour à l'emploi. Dès lors qu'est proposé, sans imposer, un outil supplémentaire aux associations, nous pourrions nous retrouver tous ensemble sur ce chemin ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Monsieur le président, je me suis peut-être mal exprimée tout à l'heure, puisque Annie Jarraud-Vergnolle et Jean-François Voguet n'ont pas compris l'intérêt de cette proposition de loi pour les associations.
M. Jean-François Voguet. Nous connaissons très bien le monde associatif !
Mme Annie Jarraud-Vergnolle. Nous avons très bien compris !
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Monsieur Voguet, vous avez parlé de précarité alors que, au contraire, des droits supplémentaires ont été accordés, notamment aux jeunes.
Vous dites que les associations n'ont pas été consultées ! Je précise que, élus locaux comme vous, mon collègue Jean-Pierre Decool et moi-même avons été présents sur le terrain et rencontré de nombreuses associations.
Je vous rappelle que vous avez émis un vote négatif lors de la réunion de la commission des affaires sociales et qu'en 2003 vous vous étiez abstenus.
Aujourd'hui, je n'ai pas été nommée rapporteur pour politiser le sujet. Les attaques en direction du Gouvernement ont été claires et nettes, pour qui veut les entendre. Or, en défendant ce chèque emploi associatif, je voulais simplement répondre aux attentes des associations.
Le chemin a peut-être été long - on est d'abord passé de un à trois équivalents temps plein -, mais nous avons pris le temps d'observer et de travailler. Quoi qu'il en soit, il est certain que nous ne partageons pas les mêmes idées, monsieur le sénateur.
Vous ne regrettez pas la mise en place de ce dispositif. Au contraire, vous souhaitez que le chèque emploi associatif soit mieux connu et fasse l'objet d'une meilleure communication. Je ne comprends pas votre vote, mais je respecte votre choix.
Madame Jarraud-Vergnolle, le chemin a peut-être été long, la pente a été rude, mais tout dépend du sens dans lequel on la prend ! (Sourires.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Les socialistes la prennent toujours en descente ! (Nouveaux sourires.)
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Aujourd'hui, nous répondons à une demande des associations, qui sont très attachées au chèque emploi associatif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
I. - Dans la première phrase du premier alinéa de l'article L. 128-1 du code du travail, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « neuf ».
II. - Dans le 1° de l'article L. 1272-1 du code du travail tel qu'il résulte de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative), le mot : « trois » est remplacé par le mot : « neuf ».
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est définitivement adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour un rappel au règlement.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, mon rappel au règlement concerne l'organisation de nos travaux.
Nous venons d'apprendre que la présentation, devant la commission des affaires économiques, du rapport sur le texte relatif aux organismes génétiquement modifiés est reportée du mercredi 9 avril au mardi 15 avril, du fait du retard pris par l'Assemblée nationale dans l'examen de ce projet de loi.
En conséquence, la discussion au Sénat en séance publique, prévue les mercredi 16 et jeudi 17 avril, aura lieu dans la foulée de la présentation du rapport de la commission, ce qui complique notre travail de parlementaires, notamment si nous désirons déposer des amendements.
Aussi, monsieur le président, je vous demande de vous faire notre interprète auprès de la conférence des présidents pour que celle-ci reporte la discussion de ce projet de loi après l'interruption des travaux parlementaires de Pâques. Nous avons tous un emploi du temps chargé et c'est d'autant plus vrai de ceux d'entre nous qui sont maires, compte tenu du report du vote des budgets municipaux au 15 avril.
M. le président. Monsieur Le Cam, je vous donne acte de votre rappel au règlement.
Votre question sera soumise à la conférence des présidents, qui se réunira demain, mercredi 9 avril, à dix-sept heures.
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Aide aux malades en fin de vie
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat no 17 de M. Jean-Pierre Godefroy à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Jean-Pierre Godefroy demande à Mme la ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative de bien vouloir lui indiquer les initiatives que le Gouvernement compte prendre sur la question des malades en fin de vie.
« Plusieurs cas récents mettent aujourd'hui en lumière les lacunes de la loi n° 2005-370 votée le 22 avril 2005. Certes, en s'inscrivant dans le prolongement de la loi n° 1999-477 du 9 juin 1999 garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs et de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, elle a confirmé la prohibition de l'acharnement thérapeutique et légalisé le double effet. Mais, en instaurant un droit au ?laisser mourir?qui peut répondre aux situations de malades en fin de vie, elle a volontairement exclu la question de ?l'aide active à mourir?.
« Comme l'avait déjà proposé le groupe socialiste du Sénat en 2005, il semble aujourd'hui nécessaire d'aller plus loin vers la reconnaissance d'une exception d'euthanasie qui permettrait de gérer les cas exceptionnels pour lesquels les soins palliatifs ne peuvent apporter la solution. »
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà trois ans, quasiment jour pour jour, nous avions déjà eu un débat très intéressant, mais aussi extrêmement frustrant, sur la fin de vie et l'euthanasie.
Les circonstances de ce nouveau débat sont quasiment identiques à celles qui prévalaient voilà trois ans. J'espère néanmoins que l'issue en sera différente. Dois-je rappeler que, à l'époque, trois groupes - le groupe socialiste, le groupe de l'Union centriste et le groupe CRC - avaient quitté l'hémicycle avant la fin des débats pour protester contre l'impossibilité de faire adopter l'un quelconque des amendements déposés, y compris de ceux qui avaient été votés le matin même en commission ?
Placé sous les feux de l'actualité, le débat d'aujourd'hui doit s'extraire des cas récents pour s'élever au niveau de l'intérêt général. Les parlementaires doivent s'inscrire résolument dans les débats de leur temps et, comme on pouvait le lire dans un éditorial d'un quotidien du matin, « c'est l'honneur du politique, sa plus haute mission, que de légiférer sur l'essentiel d'une société, la vie et la mort », même si cela est toujours extrêmement difficile.
Si le groupe socialiste du Sénat a souhaité lancer le débat avec cette question orale, c'est parce qu'il se rappelle ce qui s'est passé dans ce même hémicycle voilà trois. Les intervenants sont quasiment les mêmes, seul le représentant du Gouvernement a changé. J'espère, madame la ministre, que vous vous montrerez plus réceptive que votre prédécesseur !
La mort est la plus grande angoisse de la condition humaine. Bien qu'elle soit finalement inévitable, elle est source de révolte, et ce d'autant plus qu'elle n'est pas la même pour tout le monde : certains meurent « paisiblement », si je puis dire, dans leur lit, d'autres sont surpris en pleine activité, d'autres encore doivent affronter de grandes souffrances parfois pendant très longtemps.
Une étude montre que, si 70 % des Français déclarent vouloir mourir paisiblement chez eux, dans les faits, 70 % d'entre eux - et même 85 % en milieu urbain - meurent à l'hôpital.
Dans son livre, Je ne suis pas un assassin, le docteur Chaussoy écrit : « Il faut une sage-femme pour mettre l'homme au monde, il faut aussi des passeurs, des hommes et des femmes sages, pour l'accompagner dans ce monde et l'aider à bien le quitter ». Voilà une citation qui illustre bien ce dont il est question dans tout débat sur l'accompagnement de la fin de vie. La question du passage est, à mon sens, essentielle.
Le débat sur la fin de vie est complexe parce qu'il met en cause deux principes fondamentaux qui peuvent sembler contradictoires : le respect de la vie, d'une part, le respect de la dignité et de la liberté de l'homme, d'autre part.
Il est interdit de donner la mort : tel est l'impératif éthique, social et politique. Pour autant, au nom de la liberté, tout homme doit avoir l'assurance qu'il pourra « vivre sa mort » conformément à ses choix.
En préambule, il importe de rappeler que, si la question dont nous débattons aujourd'hui est difficile, délicate à aborder parce qu'elle fait appel à des convictions notamment morales, religieuses, philosophiques ou éthiques, néanmoins, dans un pays laïc, la morale religieuse, fort respectable au demeurant, ne saurait empêcher de légiférer.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner voilà trois ans, je suis pour ma part intimement convaincu qu'au lieu de se demander ce qui est permis ou défendu aux tierces personnes - médecins, soignants, famille, proches, notamment - en matière de lutte contre la douleur, d'acceptation ou de refus de traitement, voire d'euthanasie, il faut faire de la personne concernée le centre de gravité de tout le système. Il faut se demander quels sont les droits des êtres humains sur la fin de leur vie. Selon moi, ces droits devraient être absolus, parce que la vie n'appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux procureurs, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux techniciens chargés des machines destinées à maintenir artificiellement en vie des hommes et de femmes : c'est de la volonté du patient et de lui seul qu'il faut tenir compte.
Sur ces questions douloureuses, émotionnelles et controversées, il ne s'agit pas de savoir qui a définitivement raison. Les avis sont divergents et ils le resteront. Il s'agit de trancher la seule question qui compte : celle du respect de la liberté de choix et du droit à l'autodétermination de la personne humaine.
On distingue parfois l'euthanasie active de l'euthanasie passive. Je rappelle d'abord que le terme « euthanasie » vient du grec euthanasia, eu signifiant « bien » et thanatos « mort ». L'euthanasie, c'est donc la bonne mort, douce et sans souffrances.
L'euthanasie passive désigne des cas d'omission ou d'interruption de traitements de survie. C'est l'opposé de l'autre option qui consiste à tenter de maintenir le patient en vie par un traitement acharné, agressif et inutile, pratique condamnée par l'éthique médicale, à plus forte raison lorsque le malade a refusé ce traitement.
Même si les auteurs du texte s'en défendent toujours, la première hypothèse est bien celle que prévoit la loi de 2005. Mais dans quelles conditions ? Le savons-nous ? Que savons-nous de ce temps suspendu, parfois plusieurs jours avant l'échéance ultime ? L'omission ou l'interruption d'un traitement ne suffisent pas toujours. Quant à la sédation, qui endort, elle ne sert qu'à faire perdre au patient la perception de la réalité, celle du temps et, finalement, celle de sa propre fin de vie.
Si l'euthanasie passive est, dans certains cas, reconnue sur le plan idéologique, religieux et légal, il est difficile de voir le fondement moral de la distinction avec l'euthanasie active.
Y a-t-il d'ailleurs vraiment une euthanasie passive ? La distinction doit-elle être faite ? À mon avis, non ! La seule question est de savoir si l'on reconnaît ou pas à chacun le droit à disposer de sa mort. Pour moi, le droit à l'euthanasie n'est pas un choix entre la vie et la mort ; c'est un choix entre deux façons de mourir.
Madame la ministre, mes chers collègues, à cet instant de mon intervention, il me semble important de m'arrêter sur le cas de la Belgique, dont la législation, qui date de 2002, me paraît être, au moins partiellement, un modèle à suivre tant dans son contenu que dans son mode d'élaboration : il a fallu deux ans de débat avant l'adoption du texte final, deux ans pendant lesquels le débat fut mené partout, et même retransmis à la télévision.
Aujourd'hui, cette loi est bien acceptée et, n'en déplaise à ses détracteurs, elle est loin d'être laxiste, comme on tente trop souvent de nous le faire croire. En 2007, 495 personnes ont été euthanasiées en Belgique ; toutes remplissaient les conditions nécessaires, que je rappelle : le patient « capable et conscient » doit connaître une souffrance physique ou psychique « constante », « insupportable », « qui ne peut être apaisée » et qui résulte d'une affection accidentelle ou pathologique « grave et incurable » ; il formule une demande « volontaire, réfléchie et répétée » ; des médecins examinent sa requête, puis envoient une déclaration d'euthanasie à une commission de contrôle dans les quatre jours suivant la mort. Aucun cas, je dis bien aucun cas suspect n'a été signalé au parquet. Le circuit est encadré, et l'euthanasie ne représente en Belgique que 0,5 % des décès. Si aujourd'hui les Belges, tout comme les Néerlandais, portent leurs efforts sur le développement des soins palliatifs, c'est qu'ils ont pris conscience du retard qu'ils avaient en ce domaine, et cela ne remet nullement en cause la loi votée en 2002.
Telle n'est pas, ni sur la forme ni sur le fond, la voie choisie voilà trois ans par notre pays. À ce titre, je vous conseille, pour information, la lecture du dernier ouvrage de François de Closets, Le Divorce français, dans lequel les conditions du débat et la genèse de la loi du 22 avril 2005 sont, à mon sens, assez justement rapportées et analysées.
Je reconnais que la loi du 22 avril 2005 a permis certaines avancées, et même de très belles avancées. En s'inscrivant dans le prolongement de la loi du 9 juin 1999 garantissant à tous l'accès aux soins palliatifs et de la loi du 4 mars 2002 relative notamment aux droits des malades, elle a confirmé la prohibition de l'acharnement thérapeutique et légalisé ce que l'on appelle le « double effet ». C'est un progrès indiscutable pour les médecins, qui ont vu dépénaliser leurs bonnes pratiques de fin de vie ; c'est aussi un progrès pour les malades, qui voient confirmer leur droit à refuser toute forme de traitement, au risque de précipiter leur fin ; c'est un progrès encore que de voir reconnaître aux directives anticipées une valeur, ne serait-ce qu'indicative.
Pourtant, aujourd'hui, force est de constater les lacunes de notre législation.
À cet égard, je me dois de rappeler qu'en 2005 le groupe socialiste avait proposé que l'application de la loi fasse l'objet d'une évaluation par l'Office parlementaire d'évaluation des politiques de santé, l'OPEPS, et que le texte soit de nouveau examiné par le Parlement dans un délai maximum de trois ans après son entrée en vigueur. Je crois que ce qui se passe aujourd'hui nous donne raison sur ce point et que, si notre amendement avait été adopté alors, nous aborderions le débat d'aujourd'hui plus sereinement.
J'ai bien noté que le Gouvernement vient, en urgence, de demander au député Jean Leonetti une évaluation de la mise en oeuvre de la loi de 2005. Je m'en félicite, même si je ne crois pas vraiment qu'il revienne au principal auteur du texte, malgré sa grande compétence, d'en faire lui-même l'évaluation de l'application : sans doute une évaluation collégiale et indépendante aurait-elle beaucoup plus de sens.
M. François Autain. Vous avez raison !
M. Jean-Pierre Godefroy. Certains affirment que nombre de soignants comme de patients ignorent ce que permet la loi du 22 avril 2005. C'est possible, mais, mes chers collègues, cela vaut pour cette loi comme pour bien d'autres : il faut diffuser largement l'information pertinente. Pour autant, je crois qu'il serait hypocrite d'en rester là.
L'autre lacune majeure qui a d'ores et déjà été identifiée, c'est bien sûr l'insuffisance des soins palliatifs. Madame la ministre, dans le rapport qu'elle vous a remis à la fin de l'année dernière, Mme Marie de Hennezel dresse un état de carence généralisée des soins palliatifs dans notre pays. Elle établit l'existence d'inégalités profondes dans l'accès aux soins palliatifs selon les régions, ainsi que des difficultés majeures et récurrentes dans la diffusion en France de la culture des soins palliatifs. Elle conclut que les sources actuelles de financement des activités de soins palliatifs ne sont aucunement à la hauteur des missions et des enjeux auxquels nous devons faire face.
À cet égard, force est de constater que la question du financement se heurte aux effets pervers des nouveaux systèmes de tarification hospitalière, qui n'ont de cesse de privilégier la réduction des durées d'hospitalisation et la réalisation d'actes lourds - tout le contraire des soins palliatifs !
Madame la ministre, nous venons de prendre connaissance de la circulaire que vous avez adressée aux agences régionales de l'hospitalisation. Néanmoins, nous attendons toujours de savoir quelles suites vous comptez donner au rapport qui vous a été remis par Mme Marie de Hennezel et quelles mesures vous envisagez de prendre pour développer les soins palliatifs dans notre pays.
Cela étant, si je partage les constats de Mme de Hennezel sur les soins palliatifs, je ne suis pas d'accord avec elle quand elle affirme que le développement des soins palliatifs suffirait à exclure la question de l'euthanasie. Je récuse cette idée. Le débat qui nous réunit aujourd'hui ne doit pas se résumer à cette alternative, car la question des soins palliatifs et celle de l'euthanasie ne sont pas alternatives et ne doivent surtout pas l'être : elles sont complémentaires.
Mais que sont les soins palliatifs ? Leur objectif est simple autant qu'ambitieux : « dispenser toutes les thérapeutiques permettant de réduire au mieux les souffrances des personnes malades pour lesquelles le corps médical a établi qu'elles ne pouvaient plus bénéficier d'actions salvatrices ». Tout est dans le « au mieux ». En effet, nul ne peut prétendre que les soins palliatifs sont la solution ultime, parfaite, pour soulager toutes les personnes en fin de vie. Les connaissances sur la douleur ont certes fait de grands progrès ces dernières années, mais elles sont encore largement insuffisantes pour garantir un succès absolu dans la lutte contre la douleur physique, et encore moins contre la douleur psychique. La recherche dans ce domaine doit d'ailleurs être encouragée et développée.
C'est pourquoi je crois qu'il est aujourd'hui nécessaire d'aller plus loin en reconnaissant une aide active à mourir ou, si l'on veut, une « exception d'euthanasie ».
Je vous rappelle, mes chers collègues, que le Comité consultatif national d'éthique s'est prononcé en faveur d'une telle exception dès le 27 janvier 2000. Vous me permettrez de citer deux extraits de son avis.
« Face à certaines détresses, lorsque tout espoir thérapeutique est vain et que la souffrance se révèle insupportable, on peut se trouver conduit à prendre en considération le fait que l'être humain surpasse la règle et que la simple sollicitude se révèle parfois comme le dernier moyen de faire face ensemble à l'inéluctable. Cette position peut être alors qualifiée d'engagement solidaire. » Je souscris pleinement à ces propos du Comité d'éthique, ainsi qu'à ceux qui suivent.
« De telles détresses appellent la compassion et la sollicitude. Certes, ces termes peuvent être compris de façon paternaliste, comme sollicitant la pitié ou la commisération. Mais, conjuguées avec le respect et marquées par la recherche d'une relation partenariale authentique, compassion et sollicitude incitent à l'humanité, à la sensibilité et à la solidarité. Dépassant le seul registre du droit moral et de la revendication, elles marquent des ouvertures inédites, autorisées par le partage d'une commune condition. »
Comme nous vous le proposions il y a trois ans, il doit s'agir non pas de « dépénaliser l'euthanasie » mais bien d'encadrer en l'insérant dans le code de la santé publique, pour certaines situations caractérisées - souffrance physique ou psychique constante, insupportable, non maîtrisable - et dans des circonstances précises, une aide active à mourir soumise à des conditions strictes, une aide qui ne peut être prodiguée que par un médecin et dans le respect d'une procédure collégiale, une aide qui ne peut être apportée que lorsque la volonté et le consentement de la personne sont clairs, libres et réitérés.
Je veux notamment insister sur le cas de ces hommes et de ces femmes qui, en état de dépendante totale, doivent faire appel à une tierce personne pour tous les actes de leur vie quotidienne - soins, toilette, nourriture, communication -, sans pour autant aujourd'hui pouvoir faire appel, dès l'instant où leur corps les en empêche, à cette tierce personne pour mettre fin à leurs jours.
M. Jean Leonetti rappelait il y a quelque temps que le suicide est non pas un droit, mais une liberté ; or c'est justement cette liberté qui est refusée aux personnes totalement dépendantes et handicapées qui ne peuvent plus s'exprimer, qui ne peuvent plus agir par elles-mêmes. Il me semble que c'est ajouter une souffrance à la souffrance et que refuser cette liberté à ceux qui la demandent, c'est, j'ose le dire sans provocation, la dernière discrimination qu'on leur fera subir.
Telle est précisément la raison pour laquelle nous vous proposions voilà trois ans un amendement qui visait à ajouter aux quatre cas exonérant les médecins de poursuites pénales prévus dans la loi - refus de l'obstination déraisonnable ; principe du « double effet » ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes conscientes en fin de vie ou non ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes inconscientes en fin de vie ou non - un cinquième cas : l'aide médicalisée pour mourir. Je crois que cette proposition est toujours d'actualité, et il me semble urgent d'étudier sérieusement cette piste, la liberté de conscience du médecin restant bien entendu toujours affirmée.
En aucun cas il ne peut s'agir de changer l'interdit éthique « Tu ne tueras pas », qui vise le cas d'une mort imposée à une personne qui ne la souhaite pas. Nous défendons simplement la possibilité d'assister les personnes qui souhaitent abréger leur existence pour des raisons tout à fait justifiées tenant aux souffrances intolérables qu'elles subissent. Je crois que cela permettrait d'avancer dans cette fameuse « voie française » qu'ont voulu promouvoir les auteurs du texte de 2005.
Le Parlement français s'honorerait à regarder enfin en face la question de l'euthanasie : nous ne pouvons plus nous cacher derrière des faux-semblants quand nous sommes à ce point interpellés par nos concitoyens.
J'ai bien conscience qu'il va falloir convaincre. C'est pourquoi je voudrais conclure par une proposition : que le Sénat crée en son sein une mission d'information chargée d'évaluer les dispositions de la loi du 22 avril 2005 et de proposer les évolutions nécessaires. J'espère, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, que vous accueillerez favorablement cette idée.
Voilà trois ans, le Sénat n'avait pu véritablement faire entendre sa voix. Nous avons aujourd'hui l'occasion de reprendre notre travail tranquillement, posément : saisissons-la !
Mes chers collègues, nous sommes attendus, nous sommes interpellés, et nous le serons de plus en plus. Humanistes que nous sommes, respectueux par-dessus tout de la vie d'autrui, soyons à l'écoute des demandes réitérées de ceux qui ne réclament qu'une chose : leur libre choix, la liberté de décider pour eux-mêmes et par eux-mêmes des conditions de leur fin de vie, le médecin étant bien sûr le compagnon privilégié et indispensable dans la prise de décision. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Jean-Pierre Godefroy vient d'exposer avec la sensibilité, mais aussi la détermination qu'on lui connaît ses convictions sur ce qu'il conviendrait de faire pour aider les malades en fin de vie. Je le remercie de cette initiative, car, dans ce débat, toutes les convictions sont respectables dès lors qu'elles se soucient de respecter l'homme.
J'ai entendu ses mots. Et, c'est vrai, comment ne pas comprendre l'angoisse de celui qui, bien portant encore, sait qu'il sera, demain, confronté à la dépendance ? L'allongement de la vie a d'ailleurs pour corollaire de rendre cette perspective vraisemblable pour chacun d'entre nous. Pour certains, c'est même avec plus de certitude encore, l'actualité vient à nouveau d'en donner un exemple avec le cas de cette jeune femme atteinte du syndrome d'Ehlers-Danlos. Cela explique d'ailleurs que nos concitoyens soient de plus en plus impliqués dans ce débat.
Pourtant, avant d'envisager de changer les textes, il est nécessaire d'en évaluer les effets. C'est la mission que le Gouvernement a confiée à Jean Leonetti pour la loi qui porte son nom.
Nous disposons déjà d'éléments d'appréciation, notamment au travers du rapport de Marie de Hennezel, remis au ministre de la santé en octobre dernier et intitulé La France palliative. Il en ressort la très grande ignorance de nos concitoyens, et même du corps médical, sur le contenu de la loi.
Or, en dépit des réserves que nous avaient inspirées les circonstances de son adoption au Sénat, ce texte offre aux patients, à leurs familles et aux équipes médicales les moyens d'accompagner la fin de vie dans la quasi-totalité des cas.