M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Pour la bonne organisation de nos débats, et pour permettre à chacun d'organiser son dossier, la commission des lois souhaite que soit examiné en priorité l'article 29, avant l'examen de l'article 9, afin que nous puissions nous prononcer sur la cession de créance avant d'en tirer les conséquences aux articles 9 et 23.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission des lois ?
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Houel, rapporteur pour avis.
M. Michel Houel, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, désireux d'être bref, je ne reviendrai pas sur le contenu du projet de loi qui vient de nous être présenté par Mme la ministre et par M. Béteille, rapporteur de la commission des lois.
En tant que rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, je tiens tout d'abord à remercier notre collègue Laurent Béteille, qui nous a permis d'assister à ses auditions. Je me félicite de la collaboration fructueuse entre les différentes commissions qui ont travaillé sur ce projet de loi. J'en profite pour saluer notre collègue Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances.
Je tiens également à souligner la qualité du travail effectué par le Gouvernement, qui est parvenu à synthétiser les points de vue des différents acteurs en jeu, même si des améliorations du texte demeurent souhaitables.
Ma conviction profonde est qu'il faut absolument aborder la question du contrat de partenariat sans idéologie ni parti pris. Il convient d'éviter deux écueils : vouer aux gémonies ce nouvel outil de la commande publique, ou banaliser le recours à ce contrat et l'utiliser sans discernement.
Qui dispose aujourd'hui de suffisamment de recul pour asséner des vérités définitives sur ce sujet ?
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Michel Houel, rapporteur pour avis. On peut bien sûr se référer aux expériences étrangères, mais elles doivent être analysées avec prudence et replacées dans leur contexte.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Michel Houel, rapporteur pour avis. C'est pourquoi nous devons rester pragmatiques, vigilants et mesurés dans nos jugements.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est très sage !
M. Michel Houel, rapporteur pour avis. Le contrat de partenariat est un contrat dérogatoire, puisque le Conseil constitutionnel en a décidé ainsi, mais il est également riche de promesses qui demandent à être validées ou infirmées par l'expérience.
Concrètement, madame la ministre, les réflexions de la commission des affaires économiques se sont articulées autour de trois grands axes : premièrement, faire de l'évaluation préalable la pierre angulaire de la commande publique ; deuxièmement, renforcer le rôle des petites et moyennes entreprises au sein des contrats de partenariat ; troisièmement, respecter, bien sûr, le droit communautaire et les décisions juridictionnelles.
Concernant le premier axe, il nous a semblé essentiel de faire de l'évaluation préalable la clef de voûte de la commande publique.
Tout d'abord, la commission des affaires économiques, saisie pour avis, appelle de ses voeux une refonte de la méthodologie servant de fondement à l'évaluation préalable, qui est d'ores et déjà une formalité obligatoire avant toute conclusion par l'État ou l'un de ses établissements publics d'un contrat de partenariat.
Cette méthodologie rénovée aurait notamment pour but de dissiper les équivoques sur le coût des contrats de partenariat en obligeant les autres contrats de la commande publique à révéler leurs « coûts cachés ». En effet, il est tout de même curieux que le contrat de partenariat soit obligé d'afficher en toute transparence ses « coûts complets », tandis que les autres contrats de la commande publique pourraient se dissimuler derrière un maquis d'approximations et de non-dits. Quels sont ces coûts cachés ? On peut citer par exemple les coûts indirects, les coûts à long terme et les coûts d'opportunité.
Je souhaite vivement que cette méthodologie soit élaborée par la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat - la MAPPP -, rattachée au ministère de l'économie, épaulée par la Cour des comptes, les ministères concernés et les professionnels du secteur. Ce n'est qu'avec un référentiel commun élaboré en toute transparence et avec tous les acteurs concernés que l'on pourra éviter certaines polémiques et juger le plus objectivement possible du bien-fondé du recours à un contrat de partenariat.
Ensuite, la commission des affaires économiques souhaite que l'État ait un comportement exemplaire en matière d'évaluation de ses grands projets d'investissement. C'est pourquoi elle vous proposera un amendement tendant à ce que tous les projets d'envergure d'autorisations d'occupation temporaire du domaine public de l'État soient passés au crible de l'évaluation préalable. Autrement dit, tous les projets de baux concernant des bâtiments à construire et conclus dans le cadre d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public devront être soumis à une évaluation préalable, comme les contrats de partenariat.
Il m'apparaît indispensable d'identifier, au cas par cas, le montage juridique et financier le plus approprié pour réaliser un projet grâce à cette réflexion préalable, gage - j'en suis persuadé - d'économies pour les finances publiques.
Cet amendement est donc la première étape, décisive, sur le chemin de la modernisation de la commande publique. L'objectif est que, à terme, tout projet de l'État relatif à un marché public complexe ou à une délégation de service public, dépassant un seuil financier élevé, fasse l'objet d'une évaluation préalable.
Le deuxième axe de notre réflexion vise naturellement à renforcer le rôle des PME au sein des contrats de partenariat.
D'une part, la commission des affaires économiques vous proposera de permettre la conclusion de contrats de partenariat pour les besoins en infrastructures de transport au sens large et pour réduire les émissions de gaz à effet de serre des bâtiments publics. Bien souvent, dans ces deux cas de figure, les PME peuvent en effet jouer un rôle non négligeable.
D'autre part, nous préconiserons de consacrer l'existence des groupements d'entreprises pour soumissionner aux contrats de partenariat, car trop peu de PME ont aujourd'hui été retenues comme titulaires. En effet, seuls trois contrats de partenariat sur les vingt-sept conclus depuis 2004 ont été remportés par des groupements de PME. Or, vous le savez, madame la ministre, les PME sont la richesse de la France.
Les PME ne doivent pas être cantonnées au rôle de prestataires. Elles doivent pouvoir remporter certains contrats de partenariat de taille moyenne. C'est un chantier long, ambitieux et difficile, mais les personnes publiques doivent, là encore, donner l'exemple et favoriser l'accès des PME aux contrats de la commande publique, sans bien évidemment rompre le principe d'égalité entre les entreprises.
Enfin, le troisième axe de nos travaux porte sur le respect des normes communautaires et des décisions juridictionnelles. La commission des affaires économiques vous soumettra un amendement relatif au dialogue compétitif afin de mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire. Nous avons surtout eu le souci de respecter l'esprit et la lettre des décisions du Conseil constitutionnel. À cet effet, nous vous proposerons plusieurs aménagements du projet de loi afin de satisfaire à ces exigences, sans pour autant bouleverser l'équilibre du texte. Tel est le cas, par exemple, d'un amendement visant à modifier la définition de l'urgence justifiant le recours à un contrat de partenariat ou d'un autre amendement tendant à rendre plus strictes les conditions d'accès à la voie sectorielle transitoire créée par les articles 2 et 16 du projet de loi.
Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, brièvement résumés, les principaux axes des réflexions de la commission des affaires économiques sur ce projet de loi. La commission l'ayant jugé globalement équilibré et mesuré, elle est favorable à son adoption, sous réserve du vote des vingt-sept amendements qu'elle présentera. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Georges Mouly applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené, rapporteur pour avis.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des finances s'est saisie pour avis d'un nombre limité d'articles du projet de loi en discussion aujourd'hui. Elle a jugé nécessaire d'apporter son éclairage sur les dispositions qui déterminent les conditions de recours aux contrats de partenariat, sur celles qui tendent à la neutralité fiscale, ainsi que sur l'article relatif aux cessions de créances. Elle a également souhaité mesurer toutes les conséquences budgétaires et comptables du nouveau train de PPP annoncé par le Gouvernement, dont je me félicite à titre personnel, car il m'apparaît porteur d'une modernisation de l'investissement public.
Quels sont les traits dominants de l'investissement public en France aujourd'hui ?
Contrairement à certaines idées reçues, l'investissement public est stable en pourcentage du PIB depuis trente ans. Il a même progressé de 0,5 point de PIB au cours des quatre dernières années. De manière globale, notre pays ne souffre donc pas d'un manque d'investissement public, dont le niveau est d'ailleurs bien supérieur à celui qu'atteignent nos principaux partenaires, qu'il s'agisse de l'Allemagne ou du Royaume-Uni.
En revanche, la part de l'investissement public réalisé en partenariats public-privé reste beaucoup plus faible en France que chez certains de nos partenaires, comme au Royaume-Uni, où il représente, selon les années, entre 10 % et 15 % de la formation brute de capital fixe publique. Les investissements réalisés en PPP dans ce pays depuis 1997 représentent aujourd'hui près de 60 milliards d'euros. En outre, un nouveau train de PPP est attendu dans les cinq prochaines années, pour un montant d'environ 33 milliards d'euros.
En France, malgré l'ordonnance du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat, le phénomène des PPP reste extrêmement limité. Selon les chiffres obtenus - ils ont déjà été évoqués - auprès du ministère du budget, on atteint en contrats signés, tous PPP et toutes administrations confondus, un montant de seulement 1,6 milliard d'euros, soit 3,3 milliards d'euros en valeur actuelle nette.
Or certains des travaux de contrôle de la commission des finances, en particulier dans le domaine immobilier, ont souligné les défaillances de la maîtrise d'ouvrage de l'État en ce qui concerne le respect des délais et des coûts. C'est dans ce domaine que nous pouvons attendre des améliorations des PPP.
Naturellement, ces progrès qualitatifs dans l'investissement public seront au rendez-vous si un certain nombre de conditions, que je me suis permis de baptiser « règles d'or », sont respectées. Rassurez-vous, il n'y en a que cinq ! (Sourires.)
La première règle est de profiter de l'expérience des PPP au Royaume-Uni.
Que nous apprend-elle ?
D'abord, seule l'efficacité économique, c'est-à-dire le value for money, doit être prise en compte avant de recourir à ces contrats innovants. On peut ainsi considérer qu'un écart d'efficience de 5 % - c'est une marge d'erreur technique -, après neutralisation de la fiscalité, entre un investissement classique et un contrat public-privé permet de légitimer économiquement un PPP.
Ensuite, certaines opérations n'enregistrent pas de gains substantiels. Le Trésor britannique considère que les opérations inférieures à 20 millions de livres, comme celles qui concernent les systèmes d'information, ne présentent pas, en général, un bilan coût-avantage suffisant. S'agissant des investissements d'un montant limité, je pense que l'on peut préférer aux contrats de partenariat des outils plus légers en termes de procédures, comme les baux emphytéotiques administratifs, les BEA, bien adaptés aux petites collectivités locales.
Deuxième règle, il importe de bâtir des indicateurs de performance de l'investissement public. Il faut, en particulier, que l'État soit capable de mesurer le respect des délais et des coûts figurant dans les cahiers des charges et d'en rendre compte au Parlement. En outre, de tels indicateurs permettraient d'établir des comparaisons utiles entre PPP et maîtrise d'ouvrage classique.
Troisième règle, en matière d'évaluation préalable, comme en matière de contrôle ex-post, la constitution d'un référentiel d'analyse financière rigoureux est indispensable. Ce référentiel doit être commun entre les administrations publiques et la Cour des comptes, afin d'intégrer des éléments de coût identique dans les calculs.
Quatrième règle, il convient d'étoffer les équipes de maîtrise d'ouvrage des différents ministères, en leur permettant de recourir à un marché de bons de commande interministériels pour des expertises extérieures, qui deviennent cruciales dans la négociation avec les cocontractants privés.
La réussite des PPP, comme de tout investissement, tient autant à l'évaluation préalable qu'à la conduite du projet et à son suivi dans la durée. Or, si la mission d'appui aux partenariats public-privé du ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi permet une évaluation préalable approfondie, les mêmes garanties ne sont pas toujours apportées dans l'exécution de l'investissement et dans le suivi du contrat. Pourtant, compte tenu de la complexité des projets en général, ces deux points sont déterminants pour assurer la réussite financière finale des PPP.
Cinquième règle, il faut faire de la consolidation des engagements financiers liés aux PPP dans la dette publique le principe, et de la déconsolidation l'exception. C'est, me semble-t-il, important.
Ne nous le cachons pas, dans un contexte de montée des tensions budgétaires, les risques d'optimisation budgétaire liés aux PPP existent. Si, comme le souhaite le Gouvernement, 15 % des investissements publics étaient réalisés en PPP et si la totalité n'était pas prise en compte dans la dette au sens « maastrichtien » du terme, 10 milliards d'euros supplémentaires annuels, soit 0,6 point de PIB, n'apparaîtraient pas dans la dette publique, qui a atteint 64,2 % en 2007.
La recherche par les gestionnaires de la déconsolidation - ce n'est pas un cas d'école, comme le montre le très récent contrat de partenariat sur les prisons - peut conduire à un transfert de risques excessif au partenaire privé, avec pour conséquences une augmentation des coûts et un rétrécissement des conditions de mise en concurrence. Dans ces conditions, les effets comptables, c'est-à-dire l'amélioration faciale de la dette, pourraient conduire à un « sous-optimum » économique des contrats conclus par la personne publique.
Au Royaume-Uni, 87 % des contrats public-privé, représentant 54 % des volumes investis, sont déconsolidés.
Madame la ministre, au sein de l'exécutif comme du Parlement, nous ne sommes pas encore suffisamment armés pour vérifier la soutenabilité des engagements budgétaires de long terme pris par les administrations. Or, au-delà du respect nominal des indicateurs de Maastricht, ce qui est fondamental pour les générations futures, c'est la soutenabilité de notre politique budgétaire à moyen et long terme.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. À cet égard, j'ai bien entendu tout à l'heure votre volonté de conserver une gestion rigoureuse, madame la ministre.
Compte tenu de ces cinq règles d'or, la commission des finances vous proposera quatorze amendements visant à assurer un lien entre son travail législatif et ses missions de contrôle, en faisant en sorte que le législateur évite des choix de gestion, sur la base, par exemple, d'évaluations allégées,...
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Charles Guené, rapporteur pour avis. ...que le contrôleur budgétaire pourrait ensuite reprocher aux administrations.
La philosophie de ces amendements est simple et tient en trois points.
Premier point, assurer un caractère systématique et réel à l'évaluation financière préalable des PPP. Selon la commission des finances, malgré l'existence, pour le recours aux contrats de partenariats, de critères liés à la complexité, à l'urgence, ainsi qu'à l'existence de secteurs prioritaires, critères qui résultent d'un compromis laborieux avec les exigences du Conseil constitutionnel, les arbitrages doivent avant tout reposer sur une logique financière. Je propose d'ailleurs que ceux-ci s'effectuent hors taxes, afin que la prise en compte de la fiscalité ne fausse pas les arbitrages éventuels en faveur d'une externalisation des activités de l'État.
Quelles que soient les circonstances, cette démarche d'évaluation préalable impose des chiffrages rigoureux. On voit mal les cas concrets où les gestionnaires publics devraient se contenter d'une évaluation succincte pour justifier d'un PPP. Jusqu'à présent, une catastrophe naturelle n'a jamais empêché les administrations de fonctionner et d'évaluer correctement leurs investissements. Or une évaluation préalable est la meilleure garantie de succès d'un PPP et de respect des délais et des coûts.
On voit également mal comment une évaluation défavorable, même pour des secteurs considérés comme prioritaires, pourrait justifier le recours à un PPP, dont l'objectif est précisément d'optimiser les coûts d'investissement de la puissance publique.
Deuxième point, supprimer les frottements fiscaux, qui pourraient autrement conduire à des biais dans les arbitrages des responsables d'administration sur les modalités de leur investissement. Dans ce domaine, des progrès sont souhaitables par rapport au texte que vous nous proposez, madame la ministre.
Certains relèvent du domaine règlementaire, au moins formellement. Il en est ainsi de l'alignement des PPP sur le régime des investissements publics s'agissant du salaire du conservateur des hypothèques, de la taxe locale d'équipement et des taxes qui lui sont associées.
Toutefois, madame la ministre, comme l'assiette de l'impôt relève fondamentalement du domaine de la loi, conformément à l'article 34 de la Constitution, vous me permettrez de formuler un souhait : les textes que vos services rédigeront sur le sujet devront bien viser l'ensemble des PPP, et pas seulement les contrats de partenariat.
Pour ma part, je vous proposerai d'autres amendements concernant la même problématique, c'est-à-dire la neutralité fiscale. L'un d'entre eux concernera l'éligibilité des baux emphytéotiques administratifs au fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, dans les mêmes conditions que les contrats de partenariat.
Je le rappelle, ce fonds vise à neutraliser la TVA dans la réalisation des investissements locaux, quels que soient les montages juridiques utilisés. En effet, on imagine mal comment un investissement pourrait être discriminé au regard du FCTVA sur la base de son seul montage juridique.
En outre, les élus locaux comprendraient mal que l'État, par la voix du Gouvernement, leur propose un grand nombre d'exonérations d'impôts locaux pour les PPP - je pense notamment à la taxe de publicité foncière, au versement pour le dépassement du plafond légal de densité ou à la taxe locale d'équipement - et ne fasse pas le moindre effort à propos du FCTVA, alors qu'il s'agit non pas réellement d'une perte fiscale, mais plutôt de ce que je qualifierais de « perte d'opportunité ».
Troisième point, préférer un mécanisme de cession des créances issu des contrats de partenariat banalisé et connu des acteurs économiques financiers - cela s'appelle la « cession Dailly » -, plutôt qu'un dispositif spécifique, tel qu'il nous est proposé dans le projet de loi. À cet égard, nous avons eu, dernièrement, une modification qui mériterait discussion.
Sous réserve de l'adoption de ces amendements et sous le bénéfice des cinq règles d'or que j'ai énumérées, la commission des finances a émis un avis favorable sur le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, quelques mois seulement après l'annonce de la volonté présidentielle de stimuler l'investissement privé dans le secteur public, le Parlement est saisi d'un projet de loi tendant à développer les contrats de partenariat, forme juridique spécifique des fameux partenariats public-privé.
Actuellement, ce type de contrat est régi par l'ordonnance du 17 juin 2004, dont l'utilisation est jugée bien décevante par le Gouvernement.
Cette loi vise donc à libérer les contraintes financières et juridiques, dont la mise en oeuvre est jugée trop lourde, et à en faire le droit commun de la commande publique, et ce malgré le caractère inconstitutionnel de ce nouveau texte, comme ma collègue Josiane Mathon-Poinat le démontrera en défendant la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Pour ma part, je m'attacherai à démontrer que ce texte est peu pertinent pour stimuler la croissance économique et que son opportunité politique n'a de sens qu'à l'aune des critères de rigueur imposés par la Commission européenne et le Gouvernement français.
En effet, nous nous trouvons dans une situation paradoxale.
Pour relancer l'économie, le Gouvernement doit obligatoirement stimuler l'investissement public, notamment dans les grands équipements. Aujourd'hui, cet investissement correspond à seulement 3,8 % du PIB. Cela s'explique par les fameux critères de Maastricht, dont le seuil de 3 % de déficit public conduit l'État à limiter son action. Dans ce cadre, le recours à l'investissement privé apparaît donc nécessaire.
Parallèlement, les gouvernements successifs de droite, notamment depuis la loi de décentralisation de 2004, ont organisé le désengagement massif de l'État de ses fonctions régaliennes, en confiant de plus en plus de compétences aux collectivités territoriales. Celles-ci ont vu leurs compétences augmenter, sans pour autant que les moyens suffisants pour mettre en oeuvre leurs nouvelles missions leur soient concédés. Elles sont aujourd'hui asphyxiées et rencontrent beaucoup de difficultés à engager de nouveaux projets. Selon ce texte, les contrats de partenariats constitueraient donc une solution leur permettant de faire face au désengagement de l'État.
Ainsi, nous sommes dans un schéma où l'État se décharge sur les collectivités, qui se retourneront à leur tour sur le secteur privé pour effectuer les investissements financiers nécessaires à la réalisation des équipements publics et à leur gestion.
Dans le même temps, l'État privatise les services et les équipements publics pour financer le remboursement de la dette, comme ce fut le cas avec la privatisation des autoroutes. Il se prive donc des ressources pérennes lui permettant de financer les investissements nécessaires dans de nombreux domaines et de tous les leviers pour réaliser une programmation cohérente et nationale des investissements dans le secteur public. C'est une spirale du déclin, et ce alors que les besoins sont immenses.
Nous ne souscrivons pas à un tel projet. Selon nous, l'État doit au contraire se libérer des contraintes de rigueur budgétaire drastique imposées par la Commission de Bruxelles. Il s'agit non pas de réduire sa capacité d'action, mais, bien au contraire, de lui donner des moyens supplémentaires.
Cela devrait se traduire par une réforme de la fiscalité taxant plus justement la spéculation financière et les profits. La France est un pays riche qui dispose des ressources nécessaires pour mener à bien sa mission de cohésion nationale, d'aménagement du territoire et de service public.
De plus, ce texte est un miroir aux alouettes. En effet, si les collectivités seront dédouanées de l'investissement initial, elles devront s'acquitter d'une forme de loyer au profit du cocontractant privé.
Il s'agit donc de faire passer des dépenses d'investissement en dépenses de fonctionnement, procédé qui grèvera durablement le budget des collectivités et limitera, à terme, leur capacité d'intervention. C'est un système qui peut se révéler pernicieux.
Par ailleurs, comment ne pas reconnaître que ces fameux contrats de partenariats n'ont pas fait leur preuve, en France comme en Europe ?
C'est notamment le cas en Europe. Permettez-moi de revenir sur l'expérience britannique, puisqu'elle a été abordée, en prenant l'exemple du métro londonien, qui doit nous inciter à la plus grande prudence. Ainsi, que se passe-t-il quand l'opérateur privé est défaillant ? Le risque est sérieux que la structure privée soit purement et simplement mise en faillite si l'opération n'est pas jugée assez rentable par les actionnaires. Les pouvoirs publics et les contribuables devront alors payer la facture. Est-ce là une bonne conception du partage des risques ?
La Fédération européenne des services publics est également très critique sur la lourdeur administrative et financière de mise en oeuvre de ces PPP.
En France, le rapport de la Cour des comptes de cette année a pointé plusieurs exemples où la conclusion de contrats de partenariat s'est révélée plus coûteuse pour la collectivité qu'une autre solution. Je mentionnerai ainsi les cas du centre d'archives du ministère des affaires étrangères et du pôle de renseignement du ministère de l'intérieur.
Je me permettrai également de vous rappeler l'expérience des marchés d'entreprise et de travaux publics ont conduit à de graves dérives, comme l'affaire des lycées d'Île-de-France. Ils ont finalement été prohibés en 2001 par le code des marchés publics.
Dans le secteur spécifique des transports terrestres, selon le rapport de la mission d'information sur le fonctionnement et le financement des infrastructures de transports terrestres, « la voie des PPP ne saurait en aucun cas constituer une solution miracle au problème du financement des infrastructures de transport. En effet, ce secteur n'est sans doute pas le plus approprié à une large utilisation des partenariats avec le secteur privé. La preuve en est donnée non seulement par les difficultés rencontrées par certains projets français comme le tram-train de Mulhouse, mais aussi par l'exemple du Royaume-Uni où l'utilisation très fréquente de ce type de contrat n'a finalement laissé qu'une part très faible aux infrastructures de transport avec 8 % des projets, très loin derrière le secteur de la santé, des prisons ou de la défense. »
Afin d'inciter au développement des partenariats public-privé, vous souhaitez garantir une stricte neutralité fiscale entre les différentes formes de la commande publique. Ainsi, cette nouvelle loi offre aux contrats de partenariat les avantages fiscaux des marchés publics, notamment par l'octroi de subventions prévues par la loi MOP.
Pourquoi pas, mais le parallélisme n'est pas total. Ainsi, vous permettez, pour les contrats de partenariat, le recours à une procédure négociée. Cette possibilité est par ailleurs réclamée depuis longtemps par les collectivités pour l'ensemble des formes de marchés publics. Ne serait-il pas alors opportun de leur permettre également le recours à ce type de négociation ?
De plus, cette nouvelle forme juridique est assortie, contrairement aux marchés publics, non seulement d'une grande souplesse contractuelle, mais également d'un allégement de la législation pénale. Avec l'expérience des METP, nous connaissons pourtant les risques importants de dérives en termes d'ententes illicites ou de favoritisme.
Par ailleurs, comment les collectivités dont les moyens sont limités pourront-elles mettre en oeuvre un tel arsenal ? Elles devront souvent faire appel à la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat qui est rattachée au ministère, dont on connaît les objectifs. Le barreau des avocats de Paris avait dans ce cadre contesté, lors d'un recours, le caractère exorbitant des compétences confiées à une telle mission, notamment au niveau de la négociation. Tout cela conduit encore à une opacité des règles d'attribution dans la commande publique.
Ainsi, ce texte ne répondra pas aux difficultés rencontrées par les collectivités dans la commande publique.
En outre, si nous ne sommes pas opposés par principe au recours à l'investissement privé, cette forme particulière n'emporte pas notre agrément puisqu'elle vise à la systématisation de l'utilisation du contrat de partenariat par simple idéologie.
La faculté de l'État et de ses établissements publics, des collectivités locales de recourir aux contrats de partenariat est étendue par ce texte. En effet, jusqu'en 2012, peu de conditions seront requises pour recourir à ce type de contrat dans de nombreux secteurs comme les transports, la défense, les équipements de santé... Pour les autres secteurs, il suffira simplement de démontrer une évaluation positive et favorable aux autres formes de la commande publique. Il est alors plus qu'opportun, comme vous le faites dans ce texte, de doter ce nouveau contrat d'un régime fiscal particulièrement avantageux.
Cette généralisation soulève de nombreuses questions.
Il s'agit d'un contrat global qui porte à la fois sur l'architecture, sur tous les corps de métiers, toutes les formes de construction, toutes les entreprises de bâtiments, sur le choix du banquier et du gestionnaire, ainsi que de l'entreprise qui assumera l'entretien. Comment croire alors que d'autres entreprises que les géants du BTP pourront répondre à ces appels d'offres ?
Autrement dit, il en est fini de la reconnaissance d'intérêt général de l'architecture, et de l'indépendance des architectes puisque ceux-ci seront voués à être de simples sous-traitants des grands groupes ayant obtenu les marchés. Le principe de la dualité entre la maîtrise d'ouvrage public et la construction posé par la loi MOP n'est pourtant pas une vue de l'esprit ; il correspond à la reconnaissance de la spécificité de l'architecture et des enjeux liés à l'urbanisme.
De surcroît, ce projet pénalise grandement les PME, qui sont vouées à devenir de simples sous-traitantes des groupes monopolistiques privés. Cela comporte de lourds risques pour le développement économique local. Initialement, le texte prévoyait même de revoir à la hausse les seuils de résultat permettant de caractériser les PME.
Nous nous retrouvons finalement dans un schéma où le rapport de force est inversé. C'est l'offre qui fera la demande, comme le reconnaît expressément l'article 10 de l'ordonnance prévoyant que les cocontractants peuvent eux-mêmes solliciter auprès des collectivités la conclusion d'un contrat de partenariat « clés en main ».
Qu'en sera-t-il des projets non rentables qui n'intéresseront pas le secteur privé ? L'aménagement du territoire doit-il être décidé et guidé par les seuls intérêts financiers des grands groupes ? Autant de questions fondamentales déjà posées par l'ordonnance et qui s'expriment plus fortement encore dans votre projet de loi.
Il faut donc être clair sur les objectifs poursuivis. L'appel aux capitaux privés a un corollaire que vous ne pouvez passer sous silence : c'est la rémunération des fonds investis. Cette rémunération se traduit notamment par l'utilisation du domaine public à des fins commerciales, par la réalisation de baux commerciaux. Il s'agit là d'une atteinte possible à la vocation de service public.
Par ailleurs, ces baux privés pourront être conclus pour des durées longues, jusqu'à quatre-vingt-dix-neuf ans, et pourront se traduire par des autorisations de constructions. Une évaluation de la pertinence de l'occupation du domaine public sera donc impossible et les mauvais choix quasi irréversibles.
Au final, les infrastructures non rentables seront confiées au secteur public alors que celles qui seront jugées rentables seront réalisées par le secteur privé. Autrement dit, nous nous retrouvons dans un schéma où l'on privatise les gains et où l'on socialise les pertes. Cette piste ne nous paraît donc pas pertinente.
D'autant que, si la rémunération du cocontractant dans le contrat de partenariat passe par un loyer payé par la personne publique, rien n'empêche celui-ci de « tirer bénéfice de l'exploitation d'autres besoins que ceux de la personne publique du domaine, des ouvrages ou des équipements dont il a la charge ».
Autre question qui nous semble fondamentale et particulièrement inquiétante, l'article 1er dispose que le partenaire pourra recevoir mandat « pour encaisser, au nom et pour le compte de la personne publique, le paiement par l'usager final de prestations revenant à cette dernière », ce qui semble signifier qu'il pourra exécuter le service public avec son propre personnel. Cela pose tout de même question quant à l'avenir de la fonction publique.
On peut également s'interroger sur l'augmentation attendue dans la qualité de la gestion et le service rendu par une société privée. En effet, l'État ou la collectivité devra payer un loyer pendant vingt, trente ou quarante ans. Comment pourra-t-on démontrer, à partir des éléments dont on disposera au moment de l'évaluation, que le partenariat public-privé est préférable à la délégation de service public ou à l'appel au marché classique ?
La meilleure productivité du secteur privé est une affirmation non fondée. Bien au contraire, pour ne prendre qu'un seul exemple, partout en France, des collectivités s'interrogent sur la pertinence d'une véritable gestion publique de l'eau au regard des dérives tarifaires des grands groupes privés, qui ont réalisé des profits records dans ce domaine.
En outre, le développement tant espéré de ce type de contrat ne permettra pas de répondre aux immenses besoins de financement dans les secteurs clefs de l'économie.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment que la réalisation d'infrastructures d'intérêt général doit être prévue sur le long terme et dégagée des aléas des marchés financiers. Nous soutenons donc que le Gouvernement, notamment par la loi de finances, doit faire le choix d'une action forte pour répondre aux besoins d'équipements publics.
Si nous pouvons comprendre dans certains cas l'intérêt des délégations de service public ou des marchés publics, nous jugeons négativement le fait que le privé soit, en fait, à l'initiative de la prise de décision d'investissement public.
L'aménagement du territoire et l'existence de services publics sont des missions qui reviennent à la puissance publique, qui incarne l'intérêt général. Nous ne pourrons donc voter ce texte en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)