M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Effectivement !
M. Philippe Marini, rapporteur général. ... que ce travail pourra être complété de façon responsable et en toute liberté d'esprit, et que nous trouverons ensemble les moyens de tourner le dos à l'hypocrisie qui a été évoquée et de lutter contre la mauvaise herbe fiscale, qui repousse sans cesse en raison de la disette de la dépense budgétaire.
Par conséquent, tâchons de nous préserver de nos propres tentations, agissons avec lucidité en nous efforçant de bien poser les enjeux et de définir les vraies priorités.
Compte tenu des propos tenus par M. le ministre, je pense pouvoir retirer, sans état d'âme particulier, l'amendement de la commission.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je pense, en effet, que nous pouvons retirer cet amendement pour toutes les raisons que vient d'indiquer M. le rapporteur général.
D'abord, la liste qu'il comporte est incomplète. L'outre-mer n'en fait pas partie, et pourtant ce n'est pas trahir les intérêts de l'outre-mer que de s'interroger sur le bien-fondé de certaines mesures de défiscalisation. Il y a beaucoup à faire pour l'outre-mer, mais je ne suis pas sûr que la défiscalisation atteigne systématiquement la cible. Il est donc nécessaire de procéder à une évaluation.
Ensuite, s'agissant de notre capacité à remettre en cause des niches fiscales, nous l'avons prouvée la semaine dernière en votant, dans le cadre de la première partie du projet de loi de finances, une disposition visant à mettre un terme à la réduction d'impôt relative à la télédéclaration des revenus.
En effet, lorsqu'il était ministre du budget, Alain Lambert nous avait proposé une mesure donnant un avantage de 20 euros par déclarant. Cet avantage aurait pu durer, d'autant que l'administration en bénéficiait également. Or nous avons décidé de le supprimer et de le réserver désormais aux primo-déclarants, et ce pour une période de trois ans seulement. Cela signifie que la question sera reposée dans trois ans.
Enfin, il n'est pas douteux que, en période de forte contrainte budgétaire, la tentation soit très forte pour chacun des ministres d'accompagner telle ou telle politique par des avantages fiscaux ; ce sont les seuls dispositifs possibles puisque nous ne pouvons plus compter sur les crédits budgétaires. Il nous faut donc être très vigilants.
J'ajoute que, bien souvent, lorsqu'une mesure est assortie d'un avantage fiscal, il est vraisemblable que ceux qui mettent sur le marché le produit ou le service tiennent compte de cet avantage fiscal dans le prix facturé au consommateur et en mettent une partie significative dans leur poche. Je vous rends attentifs à cela, mes chers collègues. Tous ces avantages fiscaux faussent les conditions du marché !
Telles sont les nombreuses raisons qui nous incitent à retirer notre amendement.
Mais nous avons accompli un pas important pour convaincre nos compatriotes qu'il fallait se faire à l'idée que, désormais, les avantages fiscaux peuvent être remis en cause. C'est pour cela qu'ensemble nous procéderons à une évaluation rigoureuse.
M. le président. L'amendement n° II-164 est retiré.
En conséquence, le sous-amendement n° II-274 n'a plus d'objet.
La parole est à M. Alain Lambert, pour explication de vote sur l'amendement n° II-253.
M. Alain Lambert. Monsieur le président, je souhaite expliquer mon vote sur l'amendement n° II-253, puisque je n'ai pas pu m'exprimer sur l'amendement n° II-164 à la suite de son retrait.
Permettez-moi d'insister sur ce sujet, parce que c'est toute la légitimité du Parlement qui est en cause.
M. Jean-Jacques Jégou. Oui !
M. Alain Lambert. Autant je souscris totalement à l'idée qu'une liste est, par définition, insatisfaisante et, à l'évidence, erronée du fait qu'elle ne comporte pas l'ensemble des dispositions, autant je pense que nous étions non seulement dans notre droit, mais également dans notre devoir le plus absolu en voulant l'établir.
Mesurons-nous bien le caractère peu humble de l'idée que nous pourrions voter ad vitam aeternam des dispositions que nous considérerions comme légitimes ?
M. Alain Lambert. Quelle immodestie ! Quelle incroyable arrogance de la part de nous tous, mes chers collègues, de penser que nous pourrions, à un moment donné, par un état de grâce extraordinaire, décider de telle ou telle exonération, et que celle-ci pourrait durer jusqu'à la fin des temps !
En ce qui me concerne, monsieur le président, je vous demande le droit de rester humble, de pouvoir reconnaître que je me suis trompé, que nous avons pris, un jour, des dispositions fiscales stupides...
M. Michel Charasse. Pas seulement fiscales !
M. Alain Lambert. ...et que, finalement, il est bon de les revoir.
C'est pourquoi une révision générale des politiques publiques qui se limiterait aux crédits budgétaires serait totalement erronée et ferait avancer l'État sur un pied. Il faut absolument que la revue générale des prélèvements obligatoires puisse être menée en même temps, faute de quoi nous n'aurions pas une politique économique équilibrée.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bien sûr !
M. Alain Lambert. Telle est ma conviction profonde !
Cela étant, il faut tous voter contre l'amendement n° II-253. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien ! Très convaincant !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° II-253.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 39 B
Le Gouvernement remet aux commissions chargées des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat, avant le 15 février 2008, un rapport évaluant l'utilisation et l'impact économique et social des dispositions permettant à des contribuables de réduire leur impôt sur le revenu sans limitation de montant.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. L'article 39 B du projet de loi de finances tend à mettre en question l'optimisation fiscale, très largement utilisée par les contribuables à l'impôt sur le revenu pour alléger leur cotisation annuelle.
Mais l'optimisation fiscale, par l'utilisation des dispositifs d'allégement, des réductions d'impôt, des crédits d'impôt, des charges déductibles, constitue surtout un outil utilisé par les contribuables les plus aisés.
Ainsi, de manière certes très marginale, mais néanmoins réelle, quelques contribuables disposant de revenus supérieurs à 78 000 euros par foyer fiscal - soit 1,3 % des assujettis à l'impôt sur le revenu - se retrouvent en situation de non-imposition.
L'optimisation fiscale est également mise en question par l'existence du bouclier fiscal, renforcé par la loi TEPA.
Pourquoi se compliquer la vie à faire jouer tel ou tel dispositif quand la taxation différée des plus-values, le crédit d'impôt sur les dividendes, majorés des effets du bouclier fiscal, suffisent à faire le bonheur du contribuable ? En tout cas, la mesure des dispositifs fiscaux existants mérite d'être prise.
Pour s'en tenir à l'impôt sur le revenu, d'après l'évaluation des voies et moyens, plus de 40 milliards d'euros de recettes fiscales sont en effet annulés par les dispositions en vigueur aujourd'hui.
Le rétrécissement de l'assiette de l'impôt nuit à son efficacité économique et à l'objectif initial de redistribution des revenus qu'il doit remplir.
Il n'y a sans doute pas d'autre raison pour expliquer que l'impôt sur le revenu ne rapportera que 60,5 milliards d'euros en 2008, quand les contributions sociales, la CSG et la CRDS, rapporteront, pour leur part, 89,3 milliards d'euros !
Faut-il le souligner, ces chiffres règlent le sort de ceux qui nous parlent à longueur d'année du nombre trop élevé de contribuables non imposables, puisque les salariés et les retraités, parfois non imposables au titre du barème progressif de l'impôt sur le revenu, s'acquittent des contributions sociales.
Il conviendrait en effet, si l'on était parfaitement honnête dans la présentation des faits, de préciser que sur les 16 millions de foyers fiscaux non imposables, au moins 8 millions d'entre eux sont assujettis à la CSG au titre des revenus salariaux.
Sous le bénéfice de ces observations, nous ne pouvons que souhaiter disposer des éléments d'information sur la réalité et la consistance des effets cumulatifs de la dépense fiscale et des nécessaires réformes à mener pour la rendre plus équilibrée. Dans notre esprit, cela passera immanquablement par sa remise en cause et par la réduction significative de son impact.
M. le président. Je mets aux voix l'article 39 B.
(L'article 39 B est adopté.)
Article additionnel après l'article 39 B ou après l'article 40
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° II-186, présenté par MM. Arthuis, Lambert, Longuet et Marini, est ainsi libellé :
Après l'article 39 B, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I.- Le plafond des sommes qui peuvent être déposées sur un livret des caisses d'épargne est fixé à 16 000 euros. La capitalisation des intérêts peut porter le solde du livret au-delà de ce plafond.
II.- Le début du 7° de l'article 157 du code général des impôts est ainsi rédigé :
« 7 ° Dans la limite d'un montant de dépôts de 16 000 euros, les intérêts des sommes inscrites ... (le reste sans changement) ».
III.- Le dernier alinéa du 1° du III bis de l'article 125 A du même code est complété par les mots : « et aux intérêts des livrets des caisses d'épargne ne bénéficiant pas de l'exonération mentionnée au 7° de l'article 157 ».
La parole est à M. Philippe Marini.
M. Philippe Marini. Cet amendement a été déposé à titre personnel par ses quatre signataires, à savoir MM. Arthuis, Lambert, Longuet et moi-même La commission nous a autorisés à le présenter.
Je reviendrai sur l'analyse que nous faisons de la situation, en m'efforçant d'être aussi factuel que possible pour dépassionner, s'il en était besoin, le débat.
Au 31 décembre 2006, il existait 43 266 440 livrets A, pour un encours total de 111,6 milliards d'euros.
M. Charasse ne conteste pas les chiffres...
M. Michel Charasse. Je ne les conteste pas ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Le livret A a une double nature.
Il est présenté le plus souvent, et à juste titre, comme un produit d'épargne populaire. Mais, par ailleurs, comme l'attestent les chiffres, il profite aux ménages les plus aisés, qui y voient un moyen de placer des liquidités sans prélèvement au profit de l'État et de la sécurité sociale.
Cela dit, il est évident que c'est un produit d'épargne populaire : 67,8 % des livrets ont en dépôt moins de 750 euros, soit 2,4 % du total des liquidités déposées ; 56,3 % des livrets, soit plus de 24 millions, ont un encours inférieur à 150 euros et ne représentent que 0,6 % des dépôts. Ces livrets font office de comptes courants pour les populations les plus pauvres, ce qui illustre le rôle social joué par les Caisses d'épargne et plus particulièrement par La Banque Postale sur l'ensemble du territoire.
Pour la plupart d'entre eux, ces détenteurs ne payent pas l'impôt sur le revenu. Tout naturellement, ils bénéficient de la simplicité du livret A et de la facilité d'accès au réseau de distribution de La Banque Postale et des Caisses d'épargne sans pouvoir tirer profit de l'exonération fiscale des intérêts.
À l'inverse, le niveau du plafond, comme la possibilité de disposer au sein d'un ménage d'autant de livrets que celui-ci compte de membres, profite aux ménages les plus aisés. Comme il est naturel, ces derniers « saturent » les placements défiscalisés avant de placer leur épargne sur d'autres véhicules fiscalisés. Cette pratique n'est pas conforme à l'image que l'on se fait habituellement du livret A comme produit d'épargne sociale.
Il faut ajouter que, d'un point de vue économique et au regard des intérêts des épargnants, l'argument lié à la fiscalité, qui prend pour cette population toute son importance, peut empêcher que soient opérés des choix conformes à l'optimum financier.
Le biais fiscal du livret A explique que 2,7 millions de livrets, soit 6,3 % du nombre de comptes, dépassent le plafond d'encours autorisé, représentant 44,5 % du total de l'encours.
Dans le cadre d'un réexamen des mesures dérogatoires en matière d'épargne, cet amendement vise à faire cesser l'effet d'aubaine qui consiste à défiscaliser les intérêts des livrets A capitalisés au-delà du plafond.
Il n'apparaît pas souhaitable que le livret A soit détourné de son objet initial pour devenir une base de trésorerie et d'optimisation fiscale.
L'amendement ne porte en rien préjudice, cela va de soi, aux ménages non imposables. Il permet de faire un choix entre le prélèvement libératoire de 18 % ou l'intégration au barème de l'impôt sur le revenu.
En outre, puisque le plafond du livret A n'a pas été modifié depuis 1991, il nous semblerait conforme à l'équité, dans le cadre de la mesure que nous préconisons tous les quatre, de le porter de 15 300 euros à 16 000 euros. Cette mesure serait de nature, en tant que de besoin, à rassurer celles et ceux qui craindraient une diminution trop importante des fonds centralisés par la Caisse des dépôts et consignations pour le financement du logement social.
La proposition que nous formulons dans cet amendement d'appel s'inscrit dans la perspective de banalisation de la distribution du livret A.
Si tous les réseaux sont en mesure de distribuer ce produit, il est très vraisemblable, compte tenu de son excellente image, de sa simplicité, de sa rusticité et de son régime fiscal, qu'ils parviendront tous à récolter, grâce à leur efficacité commerciale, des sommes globalement plus importantes que celles qui sont aujourd'hui drainées par le livret A. Il me semble que ce point de vue est défendu par un nombre croissant d'observateurs.
Il est donc raisonnable de réfléchir à la dépense fiscale, qui est loin d'être négligeable, de telle sorte que celle-ci soit davantage ciblée sur celles et ceux qui ont besoin d'être incités à épargner et afin que la banalisation du livret A ne coûte pas au budget de l'État des sommes qui deviendraient rapidement insupportables.
M. le président. L'amendement n° II-242, présenté par M. Repentin et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 40, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I - À la fin du premier alinéa de l'article L. 221-1 du code monétaire et financier, les mots : « plafonnement dans des conditions fixées par voie réglementaire » sont remplacés par les mots : « un plafond de 20 000 euros ».
II. - La perte de recettes pour l'État résultant du I est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Marc Massion.
M. Marc Massion. Cet amendement a pour objet de porter le plafond du livret A de 15 300 euros à 20 000 euros.
Une telle proposition présente un double avantage : en améliorant l'attractivité de ce produit d'épargne populaire, elle permet d'espérer une augmentation de son encours global ; par voie de conséquence, les fonds disponibles dédiés au financement des logements locatifs sociaux pourront être augmentés
L'augmentation de l'encours des fonds consacrés au développement du parc locatif social apparaît aujourd'hui plus que nécessaire pour que les objectifs de construction du plan de cohésion sociale, révisés à la hausse après le vote de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, soient atteints.
Celui-ci ne représentant à ce jour que 4 % de l'épargne globale, il est temps d'adresser des signes forts aux opérateurs du logement de ce pays et de conforter les petits épargnants dans leurs efforts au quotidien.
Parmi les détenteurs d'un livret A, 6 % atteignent ou dépassent le plafond, soit 2 600 000 d'entre eux, qui représentent environ 42,3 milliards des 111 milliards d'euros collectés.
Si même seulement la moitié de ces gros détenteurs choisissaient d'épargner pour atteindre le nouveau plafond de 20 000 euros, ce ne serait pas loin de 6,5 milliards d'euros supplémentaires qui serviraient à soutenir le financement et, par conséquent, la construction de logements sociaux.
L'augmentation du plafond est une mesure utile et efficace, qui sera aussi populaire. La majorité et le Gouvernement étudient des scénarios bien différents. En effet, en proposant, dans un premier temps, de fiscaliser les intérêts acquis au-delà du plafond du livret A, M. le rapporteur général, dans un article paru dans la presse le 8 novembre dernier, n'ouvre-t-il pas implicitement la porte à la fiscalisation pure et simple des intérêts, en confortant du même coup tous les tenants de la banalisation de la distribution de ce produit d'épargne populaire ? Cette impression nous a été confirmée la semaine dernière.
En outre, vous n'êtes pas sans savoir que de lourdes menaces pèsent sur l'existence même du livret A, puisque de nombreux signes laissent penser que le Gouvernement en a admis la banalisation.
L'imminence de la publication du rapport Camdessus a donné lieu récemment à plusieurs articles, dans lesquels on apprend que l'État réfléchirait à la possibilité de renoncer à son recours en justice et que la Caisse des dépôts et consignations est elle-même menacée.
En octobre 2007, Eurostaf publiait même une étude, vendue 3 000 euros, visant à faire connaître aux banques les « opportunités offertes par la banalisation du livret A » pour la dynamisation de l'épargne.
À terme, c'est bien la mort du livret A qui se prépare ! Pourtant, le livret A, ce sont 47 millions de détenteurs, le plus souvent modestes, qui mettent de côté de l'argent, souvent pour venir en aide à leurs proches en cas de coup dur ou pour se constituer un apport personnel en vue d'un emprunt immobilier. C'est aussi une pièce essentielle du système de financement du logement social dans notre pays.
Si le niveau des encours du livret A venait à diminuer sous l'effet de la banalisation de sa distribution, les collectivités locales auraient à compenser elles-mêmes les pertes que l'avantage d'un prêt à très longue durée et à très bas taux d'intérêt procure au montage des opérations de construction de logements sociaux. Or vous connaissez comme moi l'effort important d'ores et déjà consenti en faveur de ces opérations par les collectivités, tout comme les ambitions affichées par le Gouvernement en matière de construction.
Le livret A, c'est aussi le dernier rempart contre la désertification bancaire des territoires classés en zones de redynamisation urbaine et en zones de revitalisation rurale et contre l'abandon des populations les plus fragiles.
En effet, en contrepartie du monopole de distribution, La Banque postale - pour ne citer qu'elle - assure une mission de service bancaire universel à destination des plus modestes. Elle est dans l'obligation de répondre positivement à toute demande d'ouverture d'un Livret A, quel que soit le montant du dépôt, tout comme elle est tenue d'effectuer gratuitement sur ce livret toute opération supérieure à 1,5 euro à ses guichets. Ces obligations ne s'imposent à aucun autre organisme bancaire !
Cette mission de service public a été évaluée par la Commission européenne à plus de 400 millions d'euros. Et c'est La Banque postale qui l'assure. Plus de la moitié des détenteurs de Livrets A disposent de moins de 150 euros d'épargne. Bien souvent, ce produit constitue même le seul outil bancaire des ménages les plus démunis.
Enfin, l'État a un intérêt direct à améliorer le système tel qu'il existe aujourd'hui, puisqu'une partie des sommes épargnées sur ce support populaire, placée par la Caisse des dépôts et consignations, rapporte de l'argent qui revient directement dans les caisses de l'État !
Pour favoriser la construction, « tous les acteurs de la chaîne du logement doivent s'y mettre », nous dit à loisir Mme la ministre du logement. Les petits épargnants à leur manière, avec le Livret A, sont un maillon essentiel de la chaîne. Nous vous proposons, en augmentant le plafond, de leur adresser à tous un signe fort.
J'ajoute que mon ami Michel Charasse m'a fait remarquer tout à l'heure - puisque M. le rapporteur général a rappelé que le plafond du livret A n'avait pas été revu depuis 1991 - qu'avec ce plafond à 20 000 euros nous sommes encore en dessous de l'actualisation par rapport à l'inflation.
M. Michel Charasse. Exactement !
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission estime que ce relèvement est un peu excessif par rapport à la dépense fiscale qu'il représenterait.
Nos collègues pourraient se rallier à l'amendement que Jean Arthuis, Alain Lambert, Gérard Longuet et moi-même nous avons présenté à titre personnel, dans la mesure où il prévoit aussi un relèvement du plafond.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Malgré la qualité des auteurs de l'amendement n° II-186, qui l'incite à la plus grande prudence, le Gouvernement ne peut accepter cet amendement pour deux raisons.
La première est que l'on touche à un produit d'épargne qui concerne des millions de Français. Comme vous le savez, le Gouvernement a confié à Michel Camdessus, au mois de juin dernier, une mission de réflexion sur les modalités à la fois de distribution et, plus généralement, de fonctionnement du livret A. Michel Camdessus doit rendre son rapport avant la fin de l'année.
Il ne faudrait pas anticiper sur ce rapport concernant un sujet extraordinairement lourd de conséquences et très sensible pour nos concitoyens. Je ne dis pas qu'il ne faut pas traiter les sujets sensibles, mais le Gouvernement a montré qu'il était très attentif à la gestion et à la répartition de la distribution du livret A. C'est de tout cela qu'il s'agit, monsieur le rapporteur général ; vous l'avez d'ailleurs très bien noté dans votre propos.
La seconde raison est que la disposition pourrait aboutir, d'une certaine façon, à complexifier le livret A, alors que c'est un produit rustique - pour reprendre votre expression -, très simple de compréhension.
J'entends bien qu'un très petit nombre de ménages effectuent des dépôts importants et optimisent leur situation fiscale au travers du livret A. Mais, dans le même temps, c'est un produit qui est lisible et accessible à tous. Il est juste plafonné.
M. Michel Charasse. Les sommes sont disponibles immédiatement !
M. Éric Woerth, ministre. Absolument ! C'est sa simplicité - d'une certaine façon, on peut le regretter - qui en fait, dans le maquis des instruments financiers extrêmement complexes, un produit unique. Le complexifier lui ferait probablement perdre un peu de son intérêt.
Michel Camdessus formulera sans doute une série de propositions, et il faudrait peut-être attendre les quelques jours qui nous séparent de la fin de l'année pour examiner ces propositions et en débattre ici même. J'ai noté votre souhait, systématiquement, de revenir à ce produit, puisque ce n'est pas la première fois que le Sénat évoque des dispositifs de « calage » du livret A.
En ce qui concerne l'amendement n° II-242, je me rallie à l'avis de la commission des finances. Il n'est pas utile de relever le plafond à ce point, car on s'éloignerait de la finalité du livret A.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Jégou. En réalité, je souhaite interroger le Gouvernement sur l'efficacité ou non de la niche fiscale.
Lorsque j'entends notre excellent rapporteur général parler de dépense fiscale en matière de livret A, je dois à la vérité de dire, pour avoir siégé au conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations pendant huit ans en tant que député, que je ne suis pas convaincu que la dépense fiscale ne soit pas inférieure à ce que rapporte à l'État les sommes qu'il prélève chaque année au titre de la garantie de l'épargne pour tenter d'équilibrer le budget. Plusieurs dizaines de milliards d'euros sont ainsi prélevées, et je me demande si ces sommes ne seraient pas plus importantes si le livret A était davantage alimenté. Il s'agit d'une recette que l'État, au titre de sa garantie, verse dans le budget chaque année.
M. Michel Charasse. C'est avec ça et avec le loto que l'on parvient à boucler les fins de mois !
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le ministre, la dépense fiscale est-elle supérieure ou inférieure à la recette que l'État apporte au titre de sa garantie ?
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. C'est en effet une question essentielle qui est posée par l'amendement de M. le rapporteur général et par notre amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Notre amendement est déposé à titre personnel !
Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas parce qu'il est présenté à titre personnel qu'il n'est pas important, monsieur le rapporteur général !
Nous avons examiné ce sujet en première partie et nous le revoyons aujourd'hui.
L'amendement que vient de défendre Marc Massion était motivé par le contexte du livret A. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous éclairer et, dans le même temps, satisfaire à la demande de notre collègue Jean-Jacques Jégou ?
Il semble que, pendant le week-end, le Gouvernement ait changé de pied par rapport à la plainte qu'il avait déposée auprès de la Cour de justice des Communautés européennes concernant la demande de la Commission de voir le livret A banalisé.
Vous nous avez parlé du rapport Camdessus en nous demandant d'attendre ses conclusions. Mais, dans moins de dix jours, nous ne siégerons plus. Il est normal que le Gouvernement nous dise aujourd'hui quelle est sa position par rapport à la banalisation du livret A et à la centralisation de la collecte par la Caisse des dépôts et consignations. Il s'agit tout de même, si mes chiffres sont exacts, d'une source de financement importante pour le budget de l'État.
Cela signifie-t-il - avant même de parler de la distribution du livret A - que la centralisation de la collecte serait derrière nous et que l'État se priverait d'une recette substantielle ? Rien que pour les excédents de gestion réalisés sur les fonds d'épargne, la Caisse des dépôts et consignations verserait 750 millions d'euros en 2008. Nous sommes en loi de finances ; c'est au Gouvernement d'éclairer le Parlement sur ces questions.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour explication de vote.
M. Bernard Vera. L'amendement n° II-186 vise à fiscaliser les intérêts du livret A...
M. Philippe Marini, rapporteur général. Au-delà du plafond !
M. Bernard Vera. Vous avez raison, monsieur le rapporteur général, la fiscalisation se limite aux intérêts des sommes dépassant le plafond, c'est-à-dire, pour le moment, 16 000 euros.
Le coût de la défiscalisation du livret A et de ses intérêts est de 280 millions d'euros pour environ 46 millions de livrets, ce qui représente une dépense fiscale moyenne de six euros et neuf centimes environ par livret. Et même dans le cas où les intérêts porteraient sur un livret plafonné, la base imposable serait de 480 euros au maximum.
On est donc très loin de la dépense fiscale coûteuse, surtout quand on garde à l'esprit l'usage qui est fait de la collecte du livret A, c'est-à-dire le financement prioritaire de la construction de logements locatifs sociaux.
Certains dispositifs incitatifs pour l'épargne des ménages ont un coût bien plus élevé - nous pensons, par exemple, aux PEA, sans parler de certaines formules de fonds communs de placements - pour une efficacité sociale et économique moindre et un usage souvent plus discutable que celui du livret A.
Si l'on doit mettre en cause les avantages fiscaux liés à la détention de l'épargne, il faut explorer, me semble-t-il, d'autres pistes avant celle-ci.
Pourquoi faudrait-il que nous soyons si empressés de fiscaliser une partie des intérêts du livret A - et pour quel résultat ? -, même si, d'un seul coup, d'aucuns nous parlent de justice sociale dans une telle mesure ?
La justice fiscale, ce serait ne pas voter le bouclier fiscal ou le prélèvement libératoire sur les dividendes de l'article 6.
Mme Nicole Bricq. Exactement !
M. Bernard Vera. Ce serait aussi remettre en cause le dispositif des sociétés d'investissement immobilier cotées, qui coûte chaque année 1,5 milliard d'euros de ressources fiscales à l'État.
Si vous voulez attaquer des niches bien garnies, il y a de quoi faire, avant de déplacer l'attention sur les intérêts du livret A, qui constituent moins de 6 milliards d'euros, tout compris, pour 46 millions de livrets.
S'il est maintenu, nous voterons contre cet amendement, et nous demanderons que le Sénat se prononce par scrutin public.
M. le président. La parole est à M. Alain Lambert, pour explication de vote.
M. Alain Lambert. Le débat est allé très au-delà de l'amendement, qui traite de la question de la fiscalisation de l'épargne au-delà d'un certain seuil. Il est assez émouvant de voir nos collègues du groupe socialiste et du groupe CRC se préoccuper, enfin, d'épargnants qui ne sont pas parmi les plus modestes.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Alain Lambert. Cette sorte de compréhension de l'économie ne peut que nous satisfaire et nous donner de l'espoir pour l'avenir. (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Vous n'avez pas écouté !
M. Alain Lambert. Monsieur le ministre, puisque vos explications ont dépassé le cadre de cet amendement, permettez-moi de vous dire que, si j'ai le plus grand respect pour Michel Camdessus, dont la pensée démocrate chrétienne a pu m'inspirer au début de ma vie publique, je ne suis pas certain qu'il soit sur les sentiers les plus vertueux.
S'il est vrai que les hauts fonctionnaires ayant été secrétaire général du Fonds monétaire international sont bien plus intelligents que les parlementaires, je ne suis pas sûr qu'ils aient la pratique de la vie réelle. Je voudrais vous mettre en garde, car ce problème présente deux aspects.
La banalisation est la possibilité offerte à tout épargnant de déposer son épargne sur un livret A dans l'établissement le plus proche de chez lui. S'opposer à la banalisation me paraît un peu extravagant.
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est antisocial !
M. Alain Lambert. En revanche, je suis totalement favorable à la centralisation, qui permet de faire de l'épargne à court terme une épargne à long terme. Le livret A est un instrument de transformation économiquement formidable. C'est une magnifique invention, et je ne suis pas sûr qu'elle ne soit pas en danger avec le rapport Camdessus.
M. Michel Charasse. Bien sûr que si !
M. Alain Lambert. Monsieur le ministre, nous considérons, comme vous, qu'il faut faire très attention au regard à la fois des épargnants, mais aussi des propositions qui nous viendront d'esprits plus élevés que les nôtres ; mais je ne suis pas sûr qu'ils soient mieux inspirés que nous.
Quoi qu'il en soit, je souhaite remercier M. le rapporteur général de chatouiller cet après-midi les tabous ; notre pays en a besoin de temps en temps pour pouvoir faire un peu de pédagogie.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. J'ai cosigné cet amendement, car je crois profondément que le livret A a pour vocation de mobiliser l'épargne de ceux pour lesquels la constitution d'une épargne est un effort difficile. Cet effort mérite d'être accompagné ; il l'est par des dispositions fiscales que nous connaissons les uns et les autres.
Il m'arrive souvent de soutenir ceux qui investissent, et dont le rôle économique est indispensable, même si leur nombre ultra-minoritaire et leur aisance apparente font qu'ils sont en général peu défendus. Je le fais par nécessité économique, car notre pays a besoin d'investisseurs.
Nous devons orienter l'épargne détenue par les gens disposant des plus grandes capacités d'investissements vers des placements à risques, tournés vers l'industrie, l'entreprise, la recherche, l'innovation. Il ne faut pas faire peser sur les finances de l'État, par le biais de la défiscalisation, le confort tranquille que l'on octroierait à ceux qui, ayant les plus grandes facilités à épargner, ont le devoir d'aller vers des investissements à risques.
Le plafonnement me paraît pertinent, car il amène chacun à optimiser le rendement de son épargne en s'orientant vers des investissements qui sont certes plus risqués, mais qui peuvent également être plus rémunérateurs et dont notre économie a besoin.
M. Michel Charasse. Bien sûr !
M. Gérard Longuet. Monsieur le ministre, j'ai bien entendu votre appel. Je souhaite toutefois connaître le sentiment du Gouvernement.
Mme Nicole Bricq. C'est exactement ce que nous avons demandé.
M. Gérard Longuet. J'ai beaucoup d'estime pour M. Camdessus, qui est un esprit brillant. J'ai écouté nombre de ses conférences, j'ai lu ses livres. Mais connaître la position du Gouvernement nous permettrait de savoir si nous devons, ou pas, retirer cet amendement.
Monsieur le ministre, quels que soient les convictions de M. Camdessus et le respect que nous lui portons, c'est vous que la majorité soutient. À ce titre, nous souhaitons connaître le point de vue du représentant de l'exécutif et de sa majorité.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je suis naturellement très attentif à tous les écrits de M. Camdessus. D'ailleurs, il y a déjà eu un rapport Camdessus.