compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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BÉnÉficiaires des contrats d'assurance sur la vie et droits des assurÉs
Adoption d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, permettant la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés (nos 40, 63).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Luc Chatel, secrétaire d'État chargé de la consommation et du tourisme. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici aujourd'hui réunis pour débattre de la question de l'assurance vie.
Interrogés en juillet dernier par un organisme de sondages, à l'occasion de l'établissement de son dernier baromètre de l'épargne, les Français désignaient clairement l'assurance vie comme leur produit d'épargne préféré : c'est dire l'importance, pour nos concitoyens, du sujet que nous examinons cet après-midi.
Il existe en France 22 millions de contrats d'assurance vie, représentant 38 % du patrimoine financier des Français ; 20 % de ces contrats se dénouent par décès, et une partie de ces 20 % n'est pas réclamée par leurs bénéficiaires.
Le rapport du sénateur Henri de Richemont, fait au nom de la commission des lois, souligne que, voilà près de deux ans, le rapporteur général de la commission des finances estimait le nombre de contrats non réclamés entre 150 000 et 170 000. Cette estimation fait d'ailleurs encore autorité ; elle est aujourd'hui reprise à son compte par la Fédération française des sociétés d'assurances.
Je souhaite souligner à cette occasion le rôle précurseur joué par le rapporteur général de la commission des finances, M. Philippe Marini, dans le traitement du problème des contrats non réclamés, puisque c'est sous son impulsion que des mesures importantes ont été adoptées à la fin de l'année 2005.
Tout d'abord, c'est à l'occasion du vote de la loi du 15 décembre 2005 que le mécanisme de recherche des contrats non réclamés via l'Association pour la gestion des informations sur le risque en assurance, l'AGIRA, a été mis en place par les fédérations professionnelles de l'assurance.
Toute personne qui pense être bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie peut interroger AGIRA et obtenir une réponse. Ce mécanisme a déjà permis de retrouver les bénéficiaires de près de 12 millions d'euros de capitaux non réclamés, ce qui, selon les statistiques disponibles, correspond à environ 15 000 demandes. C'est évidemment un progrès !
Toutefois, la loi du 15 décembre 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance a surtout renforcé les obligations pesant sur les assureurs. Elle prévoit ainsi que l'assureur est tenu d'avertir le bénéficiaire lorsqu'il a connaissance de ses coordonnées et dès lors qu'il est averti du décès de l'assuré.
Il s'agissait bien sûr d'une première étape. La proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise, mesdames, messieurs les sénateurs, se situe clairement dans le prolongement de cette loi votée en 2005. Certes, elle va plus loin, comme nous le verrons, mais la voie était clairement tracée, et nous en remercions M. Marini.
Malgré leur importance, les mesures de la loi de 2005 n'ont pas épuisé le sujet. Une seconde étape est donc aujourd'hui nécessaire, et je vous propose d'entrer dans le détail des questions qui nous occupent cet après-midi.
Pourquoi, actuellement, ces contrats ne sont-ils pas réclamés ? Cette interrogation est parfaitement illustrée dans le rapport de M. de Richemont. Il existe des réponses simples. Tout d'abord, il arrive souvent que l'assureur ne soit pas informé du décès de l'assuré. Surtout, les personnes qui souscrivent un contrat d'assurance vie n'informent pas toujours le bénéficiaire de l'existence dudit contrat, et ce pour une raison simple : la législation actuelle les incite au secret puisque, si le bénéficiaire accepte le contrat auprès de l'assureur, la décision devient irrévocable.
Pour régler la question des contrats non réclamés, il nous a donc semblé important de travailler dans deux directions : l'information et l'incitation.
Commençons par l'information. Aujourd'hui, l'assureur n'a pas les moyens de vérifier si un assuré est réellement décédé. La proposition de loi apporte une réponse aussi simple qu'efficace à ce problème en ouvrant l'accès du fichier INSEE des décès aux assureurs, donnant ainsi à ceux-ci les moyens d'identifier les contrats pour lesquels ils sont tenus de verser un capital.
Nous devons par ailleurs nous pencher sur la question de l'incitation.
Premièrement, il ne faut plus que les assurés soient incités à cacher, comme je l'indiquais à l'instant, l'existence d'un contrat d'assurance vie à ses bénéficiaires. À cet effet, un amendement adopté par l'Assemblée nationale vise à réformer la clause d'acceptation des contrats d'assurance vie pour prévoir que l'acceptation d'un contrat par son bénéficiaire n'empêche plus l'assuré de récupérer les sommes.
Cette réforme fait d'ailleurs l'objet d'un large consensus : quand on a travaillé dur toute une vie pour réunir un capital, il ne faut pas que l'on puisse se le voir retiré en raison d'une réglementation inadaptée.
Nous avons évoqué les incitations pour l'assuré. Il faut également travailler aux incitations pour les assureurs. Pourquoi un assureur s'empresserait-il de verser le capital d'un contrat d'assurance vie aux bénéficiaires si la réglementation ne l'y incite pas, comme c'était jusqu'à présent le cas ?
Deux amendements adoptés par l'Assemblée nationale traitent précisément des incitations pour les assureurs.
Le premier, déposé par le Gouvernement, fixe aux assureurs un délai d'un mois à compter de la réception des pièces permettant d'effectuer le versement pour régler le capital aux bénéficiaires ; il s'agit d'une avancée importante, puisque la législation actuelle ne comporte aucun délai.
Le second amendement prévoit dans les contrats d'assurance vie une clause de revalorisation du capital durant la période qui court entre le décès de l'assuré et le versement du capital au bénéficiaire : le temps que l'assureur passe à chercher les bénéficiaires sera ainsi de l'argent gagné pour eux.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, l'occasion se présente aujourd'hui d'adopter un certain nombre de mesures cohérentes qui auront un effet décisif sur la question des contrats d'assurance vie non réclamés.
Je tiens à remercier le rapporteur de la commission des lois pour la qualité de son travail d'analyse et de proposition. Les amendements qu'il défendra au nom de la commission et plusieurs amendements d'initiative individuelle viendront enrichir le texte. Je suis convaincu que nous sommes sur le point de renforcer ensemble la confiance dans l'assurance vie, qui, je l'indiquais au début de mon propos, est un outil important du financement de notre économie et un produit favori de l'épargne de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Henri de Richemont, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, après l'intervention de M. le secrétaire d'État, mon rapport ne pourra qu'être succinct.
M. le secrétaire d'État a eu l'amabilité de rendre hommage au travail effectué par la commission des lois, et je l'en remercie. De mon côté, je me félicite des relations de travail que nous avons établies avec ses services pour préparer la discussion de ce texte et des amendements qui s'y rapportent.
Cette proposition de loi des députés Jean-Michel Fourgous et Yves Censi peut apparaître anodine. Pourtant, vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'État, elle intervient dans un domaine qui intéresse les Français, puisque 22 millions d'entre eux disposent d'un contrat d'assurance sur la vie.
Elle a d'abord pour objet de permettre la recherche des bénéficiaires des contrats d'assurance non réclamés.
La spécificité du contrat d'assurance sur la vie est de permettre à une personne autre que le souscripteur d'obtenir le versement du capital ou de la rente. Ce n'est donc pas - et je me permets, mes chers collègues, d'insister sur ce point - un simple produit d'épargne : c'est également un moyen de libéralité.
Or, nombreuses sont les personnes qui sont bénéficiaires d'un contrat d'assurance vie sans le savoir, et cela parce que, comme vous l'avez indiqué, monsieur le secrétaire d'État, si le bénéficiaire l'accepte sans le faire savoir et sans l'accord de l'assuré, celui-ci se trouve lié par sa donation.
Aujourd'hui, il n'y a aucune formalité pour permettre de connaître le bénéficiaire et donc nombreux sont les contrats non réclamés. Cette situation concerne en réalité surtout les 20 % de contrats d'assurance sur la vie qui ne touchent pas les membres de la famille, lesquels en général, à la suite d'un décès, se préoccupent de savoir s'il y a ou non un contrat d'assurance vie.
Grâce à M. Philippe Marini, la loi de 2005 a permis à toute personne d'interroger les compagnies d'assurance par le biais de l'AGIRA pour savoir si elle est bénéficiaire d'un contrat d'assurance vie. Cependant il fallait aller plus loin. Lors de l'examen du projet de loi portant réforme des successions et des libéralités dont j'étais rapporteur, l'institution d'un fichier afin de pouvoir rechercher les bénéficiaires de ces contrats d'assurance vie avait été évoquée. Malheureusement, cette initiative n'avait pas abouti. C'est pourquoi je suis heureux que cette proposition de loi permette aujourd'hui de renforcer les droits du bénéficiaire après le décès de l'assuré en donnant aux bénéficiaires la possibilité d'interroger le Répertoire national d'identification des personnes physiques pour savoir si l'assuré est ou non décédé.
C'est le coeur même de ce texte et à partir du moment où l'assureur, qui, désormais, n'a plus aucune raison de l'ignorer, est informé du décès, il aura l'obligation de rechercher les bénéficiaires du contrat.
Par ailleurs, afin d'inciter les assureurs à faire cette recherche dans les meilleurs délais, la proposition de loi prévoit la revalorisation du capital garanti et l'instauration d'une sorte de pénalité prenant la forme d'intérêts de retard lorsque le versement intervient après un certain délai.
Enfin, la proposition de loi prévoit que dorénavant le bénéficiaire ne peut pas lier le souscripteur et l'assuré sans son accord. C'est une disposition très importante. Des amendements ayant été déposés, je me permettrai d'insister sur cette question.
Pour certains d'entre nous, il ne semble pas normal qu'une personne ayant instauré un bénéficiaire ne puisse pas, le lendemain ou plusieurs années après si sa situation familiale a changé, racheter son capital et en disposer.
Or, j'y reviendrai tout à l'heure lors de l'examen des amendements, personne n'oblige un assuré à indiquer un bénéficiaire ni, s'il le fait, à l'en aviser. Grâce à la proposition de loi, le bénéficiaire ne peut pas engager le souscripteur et l'assuré sans son accord et si celui-ci donne son accord à l'engagement du bénéficiaire, il agit en pleine connaissance de cause. Nous sommes dans le domaine de la stipulation pour autrui visée par le code civil et des libéralités. Or on ne peut pas juridiquement revenir sur une libéralité.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous avons déposé quelques amendements visant à clarifier ce texte et j'espère qu'ils recueilleront tout à l'heure l'accord du Gouvernement.
Nous avons voulu instaurer l'obligation pour la compagnie d'assurance de se renseigner sur la situation de son assuré.
Nous n'avons pas voulu aller au-delà de cette obligation de principe, laissant aux compagnies d'assurance, qui procèdent déjà à cette recherche, le soin d'en étudier les modalités. Nous n'avons pas souhaité instituer de périodicité ou préciser un âge à partir duquel il faut le faire.
Nous avons également voulu limiter l'accès au répertoire uniquement aux mutuelles qui sont engagées dans l'assurance vie et nous avons limité le délai de latence d'un mois entre la désignation du bénéficiaire et l'acceptation, prévu par la proposition de loi, au seul cas d'acceptation à titre gratuit. En effet, lorsque le contrat d'assurance vie vient garantir un prêt, il est bien évident que l'on ne peut pas maintenir un tel délai. À défaut, aucun prêt ne sera accordé.
Enfin, nous avons rétabli des dispositions qui avaient été modifiées par la loi sur la protection juridique des majeurs, pour protéger en particulier le majeur sous curatelle voulant instituer un autre bénéficiaire ou même supprimer telle ou telle stipulation du contrat d'assurance vie : l'assistance du curateur suffit, et non pas l'accord du juge des tutelles ou du conseil de famille.
Telles sont les modifications qui ont été adoptées par la commission des lois.
Il s'agit d'un texte dont la portée est apparemment modeste, mais qui est très ciblé : il donne aux compagnies d'assurance les moyens de connaître la situation de l'assuré et il pose l'obligation à nos yeux fondamentale de se renseigner sur la situation de celui-ci. Cette proposition de loi représente un pas très important pour les bénéficiaires des contrats d'assurance vie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous retrouvons ici une question qui avait été évoquée en 2005 lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance, et c'est en fonction des travaux que nous avions menés alors que la commission des finances a souhaité se saisir pour avis de la présente proposition de loi. Celle-ci ne visait initialement qu'à permettre aux organismes professionnels de consulter le fichier national des personnes décédées, mais ses dispositions ont été très notablement enrichies lors de son examen à l'Assemblée nationale, comme l'a indiqué M. le secrétaire d'État, et ce afin de renforcer les garanties des assurés.
Qu'en est-il des enjeux de cette question ? Ils sont a priori importants mais difficiles à bien quantifier. Il existerait, nous dit-on, un stock de 150 000 à 170 000 contrats d'assurance vie non réclamés, pour un montant cumulé qui se chiffrerait peut-être en milliards d'euros, dans la mesure où l'encours total de l'ensemble du secteur de l'assurance vie est de l'ordre de 1 100 milliards à 1 200 milliards d'euros.
Selon moi, des chiffres aussi considérables sont sujets à caution ; nous y reviendrons dans un instant.
L'assuré, dans notre droit - il n'est pas prévu de le modifier, ce qui est d'ailleurs une bonne chose -, choisit ou non d'informer le bénéficiaire de sa situation. En cas d'acceptation par le bénéficiaire de l'apport prévu à son profit, il n'est plus possible à l'adhérent de revenir sur son choix. Si, au contraire, l'adhérent choisit de ne pas informer le bénéficiaire, le risque peut exister qu'au décès dudit adhérent le bénéficiaire n'en tire pas profit.
Pour éviter un tel phénomène, qu'avons-nous fait dans le cadre de la loi de 2005 dite « DDAC assurance » ?
En premier lieu, et sur mon initiative à l'époque, les dispositions de l'article 8 prévoient que « le contrat comporte une information sur les conséquences de la désignation du ou des bénéficiaires et sur les modalités de cette désignation. Il précise que la clause bénéficiaire peut faire l'objet d'un acte sous seing privé ou d'un acte authentique. » D'autre part, « toute personne physique ou morale peut demander par lettre à un ou plusieurs organismes professionnels représentatifs [...] à être informée de l'existence d'une stipulation effectuée à son bénéfice [...] ».
Je rappelais alors, et je le fais de nouveau, qu'une façon sûre, éprouvée et classique d'être assuré d'une bonne exécution de ses intentions est de déposer sous séquestre, chez un tiers de confiance ou chez un professionnel, le contrat d'assurance vie, à charge pour ce professionnel d'accomplir des obligations bien précises quand leur fait générateur intervient, à savoir le décès de l'assuré.
Par ailleurs, toujours en 2005, et sur l'initiative de notre collègue Yves Détraigne, les dispositions de l'article 7 de la loi ont prévu que « lorsque l'assureur est informé du décès de l'assuré, l'assureur est tenu d'aviser le bénéficiaire si les coordonnées sont portées au contrat de la stipulation effectuée à son profit ».
Venons-en à la mise en oeuvre de ces dispositions.
Afin de les appliquer, les organismes représentatifs - la Fédération française des sociétés d'assurances, la Fédération nationale de la mutualité française, le Centre technique des institutions de prévoyance et le Groupement des entreprises mutuelles d'assurance - ont constitué une association, l'AGIRA.
À la fin de 2006, après dix mois de fonctionnement, ce dispositif avait permis de retrouver les bénéficiaires de 625 contrats, sur 15 000 dossiers, soit cinquante à quatre-vingts demandes par jour. On a ainsi pu débloquer au total 12 millions d'euros au profit des bénéficiaires des clauses et ce chiffre somme toute modeste incite, me semble-t-il, à réviser assez sensiblement à la baisse le montant global des sommes des contrats non réclamés. Peut-être a-t-on conçu quelques illusions un peu excessives en la matière.
Qu'en est-il de la question de l'affectation des sommes relevant des contrats en déshérence ?
Jusqu'en 2007, ces sommes étaient portées au bénéfice non pas des actionnaires des compagnies d'assurance, mais de la communauté des assurés sous forme de participation aux bénéfices. J'ai trop souvent lu des amalgames ou des commentaires laissant croire qu'il y avait là, pour les compagnies d'assurance, pour leurs fonds propres, donc pour leurs actionnaires, une sorte de windfall profit,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et la francophonie ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ...d'effet d'aubaine,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je préfère, c'est tellement plus joli !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ...mais ce n'était pas exact puisqu'il s'agissait bien de sommes qui étaient redistribuées à la communauté des assurés.
Depuis le 1er janvier 2007, s'applique une nouvelle disposition en vertu de l'article 18 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007. L'imagination de nos collègues de la commission des affaires sociales dans ce type de texte est toujours grande et souvent opportune...
M. Alain Gournac. Très opportune !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. ...et c'est ainsi que ces sommes sont à présent affectées au Fonds de réserve pour les retraites. En application du principe de non-rétroactivité, ces dispositions ne devraient concerner que les contrats d'assurance vie arrivant à échéance après la date d'entrée en vigueur du nouveau dispositif pour éviter de remettre en cause des situations juridiquement et définitivement acquises. C'est du moins l'interprétation de la commission des finances, mais tout à l'heure, lors de l'examen de l'amendement que je défendrai en son nom, j'en demanderai confirmation à M. le secrétaire d'État.
Qu'en est-il de la position de la commission des finances ?
Nous considérons que les solutions proposées par le présent texte sont réalistes et techniquement aisées à mettre en oeuvre, et qu'il n'est en aucun cas nécessaire d'envisager la mesure - à notre sens trop lourde et un moment envisagée - qui aurait consisté à instaurer un fichier national de l'ensemble des contrats d'assurance vie et des bénéficiaires. En effet, il s'agit d'un mécanisme lourd et coûteux, qui aurait engendré des frais d'intermédiation répercutés sur l'ensemble des usagers, des clients de ce vaste marché.
Dans son rapport pour 2006, constatant le faible nombre de demandes ayant abouti, le Médiateur de la République, notre ancien collègue Jean-Paul Delevoye, souhaite encourager une démarche proactive de recherche par les entreprises d'assurance, en retenant différents critères, comme l'âge du souscripteur ou l'absence prolongée d'échanges entre l'entreprise d'assurance et l'assuré, et envisage une obligation générale d'information et de recherche des bénéficiaires à la charge des entreprises d'assurance. Je considère, pour ma part, que cette suggestion est satisfaite par la présente proposition de loi.
À mon sens, un seul point pourrait être amélioré, je veux parler de l'évaluation.
Une évaluation préalable est nécessaire avant d'envisager des aménagements au régime actuel, le cas échéant dans le prolongement des propositions faites par le Médiateur de la République.
Dans cette attente, le Parlement a, me semble-t-il, besoin d'éléments d'information non seulement sur la mise en oeuvre du dispositif adopté sur l'initiative du Sénat et sur les sommes reversées aux bénéficiaires, mais également sur les contrats en déshérence, que les montants soient affectés au Fonds de réserve pour les retraites, ou redistribués, comme c'était le cas avant le 1er janvier 2007, à la communauté des assurés.
C'est pour satisfaire à ces exigences d'information et d'évaluation que la commission des finances m'a prié de soumettre au Sénat un amendement visant à prévoir que le Gouvernement dépose un rapport au Parlement sur ce sujet.
En conclusion, la commission des finances vous appelle, mes chers collègues, à voter en faveur de cette proposition de loi, sous réserve des amendements déposés par la commission des lois et de l'amendement qu'elle a elle-même présenté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me réjouis que la proposition de loi permettant la recherche des bénéficiaires de contrats d'assurance sur la vie non réclamés et garantissant les droits des assurés ait été inscrite à l'ordre du jour de notre assemblée.
L'assurance vie est devenue l'un des principaux, sinon le principal instrument de placement financier de nos concitoyens, avec 22 millions de contrats d'assurance vie, qui représentent quelque 38 % de leur patrimoine financier. Cependant, ces contrats peuvent ne pas être mis à exécution au décès de leur souscripteur, contrairement à ce qui était prévu.
Ce texte - s'il est adopté, ce dont je ne doute pas - permettra de résoudre deux difficultés : d'une part, la question des contrats non réclamés par leurs bénéficiaires après le décès de l'assuré et, d'autre part, celle des conditions ainsi que des effets de l'acceptation du bénéfice du contrat.
Cette proposition vient donc compléter très utilement le dispositif qui avait été créé en 2005, lors de l'examen du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance.
Comme l'a rappelé M. Marini, l'amendement que j'avais alors déposé, et qui avait été adopté par le Sénat, tendait à consacrer, pour la première fois, l'obligation pour l'assureur de rechercher les bénéficiaires de contrats non réclamés après le décès de l'assuré, à la condition que les coordonnées de ceux-ci soient portées au contrat.
Si cette disposition constituait déjà une avancée, elle obligeait toutefois, dans un certain nombre de cas, le bénéficiaire potentiel à accomplir une démarche volontaire afin d'obtenir l'information. Force est de constater que la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui va plus loin, puisque c'est désormais l'information qui ira vers l'usager.
Au passage, il est intéressant de constater que ce qui, à la suite de mon amendement, semblait inenvisageable en 2005 est devenu parfaitement possible aujourd'hui.
M. Alain Gournac. Cela évolue !
M. Yves Détraigne. En effet, expliquant l'infaisabilité de ma proposition initiale, le gouvernement de l'époque avait réduit la portée de mon amendement, en prévoyant notamment que l'assureur n'aurait l'obligation d'aviser le bénéficiaire que si les coordonnées de celui-ci étaient portées au contrat.
Désormais, l'obligation de recherche concernera l'ensemble des contrats détenus par les assureurs, qu'il s'agisse des contrats en cours ou des contrats conclus après publication de la loi. Nous ne pouvons donc que saluer ce texte qui fait évoluer la législation au bénéfice de nos concitoyens, en répondant mieux au respect de la volonté des défunts.
En permettant aux assureurs et aux mutuelles d'accéder au fichier INSEE des décès, la loi va leur donner tous les moyens d'identifier les contrats pour lesquels ils sont tenus de verser un capital.
En réformant la clause d'acceptation des contrats d'assurance vie, la loi ouvre désormais au souscripteur la possibilité, sous certaines conditions, de récupérer la libre disposition des sommes placées. L'allongement de la durée de vie et, par conséquent, l'augmentation des coûts d'accompagnement des personnes âgées dépendantes appelaient une telle modification.
En renforçant, enfin, l'obligation de moyens qui pèse sur les assureurs, d'une part, pour identifier les bénéficiaires et, d'autre part, pour verser les sommes dues dans un délai maximal de 1 mois, la loi incite les professionnels à oeuvrer davantage encore en faveur des assurés.
Certes, ce texte ne réglera pas tout. Il est possible, par exemple, que se pose la question du destinataire final des fonds placés sur une assurance vie lorsque le bénéficiaire sera lui-même décédé avant de pouvoir en disposer. La solution n'est pas évidente et ne peut, me semble-t-il, être résolue sans une étude complémentaire. Peut-être devrons-nous rouvrir ce débat quand nous y verrons plus clair.
Quoi qu'il en soit, l'adoption de ce texte marque une avancée considérable dans le règlement du problème des contrats en déshérence et va contribuer à régler un problème à la fois juridique - une volonté ayant été clairement exprimée, il est juste qu'elle soit respectée - et moral, car il n'est pas normal que des fonds épargnés au profit d'une personne privée qui peut en avoir réellement besoin ne lui soient jamais versés.
Dans un même ordre d'idées, il sera également nécessaire que nous réfléchissions un jour au sort des comptes épargne en déshérence. Il existe aussi en la matière une incertitude quant à leur destination finale.
En marge de cette discussion, je me permettrai de formuler une remarque d'ordre plus général.
Le 25 octobre dernier, lors de l'examen de la proposition de loi relative à la simplification du droit, je dénonçais, à cette même tribune, notre part de responsabilité, en tant que parlementaires, dans l'inflation législative. Preuve en est faite une nouvelle fois avec le présent texte qui ne comportait, au départ, qu'un seul article et risque, au final, d'en comprendre huit, certes utiles, mais pas forcément tous de niveau législatif.
Mme Nicole Bricq. C'est certain !
M. Yves Détraigne. Je tiens, en revanche, à saluer la diligence avec laquelle cette proposition de loi, adoptée par nos collègues députés le 11 octobre dernier, a été inscrite à l'ordre du jour des travaux du Sénat. Je souhaite vivement que ce texte soit promulgué rapidement, car il touche très concrètement la vie de dizaines de milliers de nos concitoyens.
En conclusion, j'indique que le groupe Union centriste-UDF votera en faveur de ce texte, qui permettra non seulement de mieux respecter la volonté des défunts, mais également d'instaurer une meilleure relation de confiance entre les assurés et leurs compagnies d'assurance. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la combinaison des règles juridiques et l'ancienneté des contrats d'assurance vie ont entraîné, au fil des décennies, la constitution d'un stock très important de contrats dits « en déshérence », qui sont arrivés à leur terme sans qu'aucun des acteurs en présence n'agisse : le souscripteur ne donne plus signe de vie, mais l'assureur n'a pas la preuve qu'il est décédé ; aucun bénéficiaire ne se manifeste ; dans le doute, l'assureur se conforme à l'interdiction de prévenir le bénéficiaire.
J'aborderai trois points.
Le premier concerne le montant des avoirs en cause. En la matière, les chiffres varient. La Fédération française des sociétés d'assurances avance un montant de l'ordre de 950 millions d'euros. M. Marini, dans son rapport de juin 2005 relatif au projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance, évoquait un « montant cumulé qui se chiffrerait en milliards d'euros ». Il a réitéré ce chiffre voilà quelques instants. Quant au Médiateur de la République, il estime que ce montant se situerait entre 2 milliards et 4 milliards d'euros.
Il s'agit de sommes importantes, d'autant que, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, les fonds concernés, au terme d'un délai de trente ans, viendraient abonder le Fonds de réserve pour les retraites. En réalité, ces fonds ne seront versés qu'au début de l'année 2008, comme l'a indiqué M. Henri de Richemont dans son rapport écrit.
Le deuxième point que je souhaite évoquer a trait à l'affectation des sommes non réclamées avant le délai de prescription, et j'avais déjà eu l'occasion d'aborder cette question, en octobre 2005, lors du débat sur le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'assurance.
Compte tenu des sommes en jeu, il semble en effet opportun de leur trouver une affectation de nature à favoriser la compétitivité des entreprises, à laquelle vous êtes très sensible, monsieur le secrétaire d'État. Actuellement, les sommes engrangées avant prescription sont principalement placées dans des SICAV. Pourquoi ne pas les diriger vers les PME à fort potentiel de croissance ? Et je ne fais pas là une proposition infondée. Il faudrait sans aucun doute que les assureurs orientent une part accrue de l'assurance vie vers le capital risque ! Telle était d'ailleurs l'une des recommandations de la mission commune d'information sur les centres de décision économique, présidée par M. Marini<.
Au 30 juin 2007, la profession estime que les fonds en question atteignent 20 milliards d'euros, ce qui constitue certes un progrès. Toutefois, cette somme représente une part marginale du montant total de l'assurance vie, que M. le rapporteur général a estimé voilà quelques instants à 1 200 milliards d'euros !
Le troisième point que j'évoquerai concerne une certaine inertie des compagnies d'assurance dans la recherche des bénéficiaires.
Près de deux ans après la naissance de l'AGIRA, prévue par la loi du 15 décembre 2005, qui répond aux demandes de personnes se croyant bénéficiaires d'un contrat d'assurance vie et transmet lesdites demandes aux organismes gestionnaires de ces contrats, les résultats sont relativement faibles : sur près de 10 500 demandes, un peu moins de 700 contrats ont été soldés, pour un montant total de 12 millions d'euros.
Je veux insister sur un point. Sans y être obligée, - et cela figure dans les travaux menés par le Médiateur de la République - une compagnie d'assurance française, plutôt proactive, que vous avez sans doute déjà identifiée, mes chers collègues, a missionné une société pour rechercher les bénéficiaires de contrats de plus de 3 000 euros dont les souscripteurs avaient cent ans ou plus et ne s'étaient pas manifestés depuis quatre ans. D'après les chiffres communiqués par le Médiateur de la République, la recherche a d'ores et déjà porté sur 1 150 dossiers. Il s'avère que les trois quarts des souscripteurs sont vivants. Sur les 300 dossiers restants, pour lesquels le souscripteur du contrat est décédé, la quasi-totalité des bénéficiaires ont été retrouvés, et les sommes versées représentent environ 30 millions d'euros. Ce chiffre est à mettre en parallèle avec celui que j'ai évoqué tout à l'heure dans le cadre de l'AGIRA, à savoir 12 milliards d'euros.
Il appartient donc aux compagnies d'assurance de prendre leurs responsabilités et de faire un travail d'investigation, afin que le principe qui préside au contrat d'assurance vie, et selon lequel les fonds reviennent de plein droit aux bénéficiaires à la mort de l'assuré, soit respecté.
Cette proposition de loi est une étape de portée limitée, mais elle permet au moins de poser trois questions, qui appellent des réponses sinon immédiates, du moins à court terme : quel est le montant estimé des contrats en déshérence ? Quelle est la destination finale des fonds ainsi capitalisés ? Quelle part sera finalement réservée à la redistribution à l'ensemble des assurés, dans le cadre de la mutualisation, et quelle autre serait affectée au Fonds de réserve pour les retraites ?
L'efficacité des recherches entreprises par la compagnie dont je parlais, extrapolée à la totalité du secteur, et le travail fait par le biais de l'AGIRA doivent permettre aux agents économiques que sont les assureurs et dont le métier est de calculer les risques d'établir des chiffrages plus précis. Cela évitera de fantasmer sur des sommes qui n'existeraient pas et mettra de la transparence dans ce dossier.
L'amendement proposé par la commission des finances sur l'initiative de M. Marini, rapporteur pour avis, aidera à y voir plus clair d'ici au mois de juillet 2008.
Le groupe socialiste votera en faveur de cette proposition de loi qu'il approuve. C'est une étape petite, mais consensuelle, ce qui n'est pas si courant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur quelques travées de l'UMP.)