compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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commission mixte paritaire
M. le président. J'ai reçu ce matin de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Je vous rappelle que les représentants pour le Sénat à cette commission mixte paritaire ont été désignés lors de notre séance du 31 juillet et que celle-ci s'est réunie ce matin.
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Saisine du Conseil constitutionnel
M. le président. J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l'article 61, alinéa 2 de la Constitution, le 2 août 2007 par plus de soixante députés d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat.
Le texte de la saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
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Dialogue social et continuité du service public dans les transports terrestres
Adoption des conclusions du rapport d'une commission mixe paritaire
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (n° 431, 2006-2007).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, grâce à vous tous, le Sénat a mené une réflexion large et approfondie sur ce projet de loi.
Le calendrier était certes serré, mais les travaux préparatoires ont été riches et nombreux, bien organisés, comme en témoigne en particulier le nombre des auditions menées par la commission spéciale. En effet, ce sont au total une cinquantaine de personnes - représentants d'organisations syndicales, professionnelles, administratives, chefs d'entreprises, représentants des associations d'élus et des autorités organisatrices de transport - qui ont été entendues.
Le projet de loi initial comprenait neuf articles ; le texte en compte aujourd'hui treize - c'est un chiffre porte-bonheur pour moi ! -, trois articles ayant été ajoutés par le Sénat et un par l'Assemblée nationale.
Ces treize articles qui restaient en discussion ont été soumis à la commission mixte paritaire, réunie ce matin ; elle est parvenue à un accord sur l'ensemble de ces dispositions.
Elle a adopté quatre articles dans le texte de l'Assemblée nationale et a élaboré un nouveau texte pour les neuf autres.
Avant de vous présenter le contenu de ces articles, je vous rappellerai brièvement les importants apports du Sénat en première lecture, apports que nos collègues députés ont d'ailleurs soulignés à plusieurs reprises au cours de leurs débats. Je les en remercie.
Le Sénat a ainsi adopté plusieurs mesures visant à renforcer les modalités du dialogue social.
Au nombre de ces mesures figurent l'instauration d'une plus grande souplesse dans la négociation préalable au dépôt d'un préavis et l'incitation des partenaires sociaux à conclure un accord de branche avant le 1er janvier 2008, indispensable pour les petites entreprises de transport qui ne pourront négocier d'accord d'entreprise.
Le Sénat a également prévu un délai de mise en conformité avec la loi des accords de prévention des conflits conclus à la RATP et à la SNCF, délai qui n'était pas prévu à l'origine.
Par ailleurs, le Sénat a institué un médiateur, en cas de grève, qui aura notamment pour mission de veiller au bon déroulement de la consultation prévue après huit jours de grève. Cet ajout, je le rappelle, a été salué par les organisations syndicales.
Mme Hélène Luc. Pas toutes !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Le Sénat a également voulu rendre plus effectifs les droits des usagers.
Il a ainsi étendu le dispositif du projet de loi à l'ensemble des perturbations prévisibles du trafic, c'est-à-dire non seulement à la grève, mais aussi aux incidents techniques et aux aléas climatiques faisant suite à une alerte météorologique.
Il a précisé que la définition des dessertes prioritaires par les autorités organisatrices de transport devra prévoir des niveaux de service en fonction de l'importance de la perturbation.
Il a inclus dans le service minimal l'accès au service public d'enseignement les jours d'examens nationaux, comme le brevet et le baccalauréat.
Il a organisé la réaffectation des personnels disponibles non seulement en cas de grève, mais également en cas de perturbation prévisible du trafic.
Il a clarifié le droit des usagers à une information précise et fiable sur le service assuré.
Enfin, il a rendu effectif le principe de l'indemnisation des usagers par l'entreprise.
Le Sénat a également demandé un rapport détaillé d'évaluation de la loi, qui devra être remis au Parlement avant le 1er octobre 2008. Ce rapport devra notamment permettre d'éclairer la réflexion sur l'opportunité d'étendre le dispositif du projet de loi à d'autres modes de transport.
L'Assemblée nationale, quant à elle, a conservé l'essentiel de ces apports.
Ses principaux ajouts ont été la fixation au 1er janvier 2008, au lieu du 1er janvier 2009, du délai dans lequel la RATP et la SNCF devront mettre en conformité avec la loi leurs procédures actuelles de prévention des conflits ; l'inclusion des plans de travaux dans la liste des perturbations prévisibles de trafic ; l'information des collectivités territoriales sur les plans de transport adapté et d'information des usagers ; la précision du point de départ du délai de quarante-huit heures dans lequel doit intervenir la déclaration d'intention de faire grève ; la fixation du principe de gratuité de l'information des usagers ; enfin, la nécessité de dresser, sous forme de bilan annuel, la liste des investissements requis pour permettre la mise en oeuvre des plans de transport adapté.
La commission mixte paritaire a retenu l'ensemble de ces ajouts. Elle a également procédé à un certain nombre d'ajustements rédactionnels et de coordination. Enfin, elle a modifié sur deux points importants le texte de l'Assemblée nationale.
À l'article 6, la commission mixte paritaire a rétabli la disposition, introduite par le Sénat, prévoyant que la consultation qui peut être organisée au-delà de huit jours de grève puisse l'être sur l'initiative de l'employeur, d'une organisation syndicale représentative ou du médiateur s'il y en a un, et non sur l'initiative du seul employeur.
À l'article 12, introduit par l'Assemblée nationale et prévoyant un état des lieux sur le dialogue social dans les autres modes de transports publics de voyageurs, la commission mixte paritaire a ajouté que le rapport prévu devra proposer « les mesures législatives nécessaires à la mise en oeuvre d'un dispositif de continuité dans les autres modes de transports publics de voyageurs ». Cela nous a paru nécessaire, en particulier pour répondre aux préoccupations légitimes de nos collègues élus de Corse, mais aussi des départements côtiers, notamment de Bretagne et des Pays de la Loire.
Le texte sur lequel la commission mixte paritaire est parvenue à un accord était attendu depuis longtemps par nos concitoyens. Nous nous félicitons de l'avancée qu'il devrait permettre pour l'amélioration des déplacements quotidiens.
Mais, comme je le disais voilà quelques semaines à cette même tribune, ce texte devra être rapidement et intégralement appliqué pour que la situation change vraiment, comme nous le souhaitons. Nous serons donc particulièrement vigilants à sa mise en oeuvre au cours des tout prochains mois. Le rapport d'évaluation qui sera remis au Parlement constituera un rendez-vous très important pour mesurer l'impact de la loi, ses réussites, ses lacunes, et nous permettre éventuellement d'en ajuster les principales dispositions.
Je vous remercie de votre présence, mes chers collègues. Je remercie également M. le président de la commission spéciale, qui a été là tout au long de l'examen de ce texte et qui est encore présent lors de la présentation des conclusions du rapport de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, pendant longtemps, on a pensé que la France était une société bloquée par les tabous. Pendant longtemps, on a pensé qu'on ne pourrait jamais avancer sur un sujet comme le service minimum. Or, voilà que nous arrivons au terme de notre discussion relative au projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Cet examen nous aura permis d'avoir des échanges importants, non seulement en quantité, mais aussi en qualité.
Je tiens à saluer une nouvelle fois le travail accompli par la commission spéciale, notamment par son président, Charles Revet, et son rapporteur, Catherine Procaccia. Je n'oublie pas que cette commission a pu elle-même s'appuyer sur les nombreux travaux effectués préalablement au sein de la Haute Assemblée. J'ai déjà eu l'occasion de saluer les auteurs des textes qui nous ont permis de ne pas partir d'une page blanche.
Je salue également les groupes pour leur implication, car ce sont eux qui animent la vie parlementaire, et je me réjouis qu'ils aient joué pleinement leur rôle sur ce texte.
Enfin, je voudrais tout particulièrement souligner l'activité des sénateurs et leur forte présence, à la fois en commission et lors de la discussion, y compris jusqu'à des heures avancées. Cela nous a permis d'aller au fond des choses.
Nous avons pris, me semble-t-il, le temps de débattre. Ce dialogue aura permis d'améliorer le projet de loi du Gouvernement, tout en confortant son économie générale. Nous avons écouté l'ensemble des acteurs de ce dossier, nous les avons entendus et nous avons modifié le texte en conséquence. Les exemples d'enrichissement du projet, notamment par le Sénat, sont nombreux.
Nous pouvons donc nous réjouir d'avoir abouti à un texte qui respecte l'équilibre entre le droit de grève, d'une part, et les nécessités de continuité du service public et d'information des usagers, d'autre part.
Grâce à ces travaux, le projet de loi se trouve donc enrichi par les nombreux amendements auxquels le Gouvernement et la représentation nationale ont apporté leur soutien.
Sur la prévention des conflits, la négociation de branche est devenue obligatoire pour le 1er janvier 2008. Cette obligation permettra de faire bénéficier au plus vite employeurs et salariés de ces accords et de suppléer l'échec ou la carence éventuelle de certaines négociations d'entreprise. Cette disposition, nous le savons, est particulièrement adaptée pour répondre à la situation des petites entreprises de transport.
Ce texte ouvre donc la voie à une alarme sociale partout et pour tous au 1er janvier 2008, d'une façon que le Parlement a voulu la plus pratique et la plus concrète possible : dans les entreprises comme la RATP et la SNCF, les avancées de la loi s'intégreront aux accords existants sans qu'il y ait besoin d'en renégocier l'intégralité.
Les amendements ont également confirmé la priorité donnée au dialogue social, en prévoyant que le décret en Conseil d'État, qui s'appliquera au 1er janvier 2008 dans les entreprises où aucun accord n'aurait été trouvé, aura vocation à être remplacé par tout accord qui serait conclu après cette date.
Il en ira de même pour les accords de prévisibilité, puisque le plan de prévisibilité, applicable à défaut d'accord, aura lui aussi vocation à s'effacer chaque fois qu'un accord aura été trouvé par la suite au sein de l'entreprise.
Certes, nous voulons qu'il existe partout un cadre de prévention des conflits et d'organisation du service minimum au 1er janvier 2008, afin de respecter pleinement les engagements pris devant les Français, mais nous tenons avant tout à faire primer la concertation et le dialogue social sur les décrets et les arrêtés préfectoraux, ainsi qu'à faire en sorte que les accords négociés puissent toujours se substituer aux actes unilatéraux.
Nous retrouvons cette priorité accordée au dialogue dans la faculté donnée aux partenaires sociaux de l'entreprise de désigner un médiateur dès le début du conflit - c'était l'un des souhaits sénatoriaux et notamment le vôtre, madame le rapporteur - afin de veiller à ce que la grève se déroule sans excès et d'aplanir les différends qui pourraient naître à cette occasion.
Nous voulons tout mettre en oeuvre pour éviter la grève et, si tel n'a pas été le cas, pour que celle-ci dure le moins longtemps possible, afin que la perturbation ne débouche pas sur une véritable paralysie.
Sur le deuxième volet, lié à l'organisation du service, vous avez confirmé le rôle des autorités organisatrices de transport pour fixer les priorités de desserte, ainsi que le rôle joué par les entreprises dans l'élaboration des plans de transport adapté et d'information des usagers.
Toujours afin d'améliorer l'organisation du service et l'information donnée aux usagers, vous avez conforté l'exigence, quarante-huit heures avant la grève, d'une déclaration préalable d'intention.
Enfin, vous avez souhaité qu'après huit jours de grève, une consultation indicative des personnels concernés soit organisée, sur décision du médiateur, de l'employeur ou des syndicats de l'entreprise.
Le troisième volet de ce texte constitue une réelle avancée, puisqu'il met en place un véritable droit à l'information des usagers. Les amendements qui ont été adoptés ont permis de rendre plus opérationnel encore le remboursement par l'entreprise des titres de transport en cas de défaut d'exécution des plans de prévisibilité ou d'information : la loi prévoit désormais que les modalités de ce remboursement seront précisées dans des conventions, et non plus par décret. Bien évidemment, ce remboursement sera à la charge des entreprises de transport et non de l'autorité organisatrice.
La volonté d'améliorer la qualité et la lisibilité de la loi a conduit à prévoir une évaluation de l'application de ce texte au 1er octobre 2008, tandis que, dès le 1er mars prochain, sera publié un rapport sur l'état du dialogue social dans les autres modes de transport.
Il n'est pas dans mes habitudes de revenir sur les amendements adoptés par la commission mixte paritaire, qui relèvent de la responsabilité des parlementaires, députés et sénateurs. Je voudrais simplement vous faire part d'une interrogation sur la portée de la formulation retenue à l'article 12, selon laquelle le rapport « propose les mesures législatives ». En effet, au vu de ce rapport, chacun devra prendre ses responsabilités, les parlementaires en déposant une proposition de loi, comme l'a indiqué notamment M. Sauveur Gandolfi-Scheit à l'Assemblée nationale, ou tout simplement le Gouvernement, en présentant un texte adapté, qu'il s'agisse d'un projet de loi ou de toute autre voie juridique.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, nos débats nous ont permis de faire un large tour d'horizon de l'ensemble des questions liées au dialogue social et au service minimum dans les transports, auxquelles nous avons apporté des solutions.
Sur les transports terrestres, qui sont un sujet quotidien et prioritaire pour nos concitoyens, notamment ceux qui utilisent tous les jours les transports en commun pour aller travailler ou pour se rendre à l'école, au collège ou au lycée, ce texte va permettre des avancées concrètes.
Une forte attente des Français s'est exprimée sur ces questions, et nous pouvons aujourd'hui leur apporter une réponse adaptée, attendue, grâce à cette loi qui est un texte d'équilibre, un texte pragmatique, tout simplement un texte de service public ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l'issue de la commission mixte paritaire, les sénateurs et les députés de la majorité se sont accordés sur un texte que j'ai qualifié ce matin d'« hypocrite »...
M. Charles Revet, président de la commission mixte paritaire. Vous ne trouvez pas que vous y allez un peu fort ?
Mme Annie David. ...qui, loin de garantir le dialogue social et la continuité du service public dans les transports, porte une atteinte sans précédent au droit de grève.
Alors même que tout est organisé pour éviter en ce début de mois d'août les mobilisations, sept fédérations de cheminots et quatre fédérations de transport ont appelé à une journée de mobilisation qui a été largement suivie dans toute la France.
Et pour cause ! Ce qui se passe est grave : grave pour le droit de grève, constitutionnellement reconnu, mais que vous videz de son contenu ; grave pour le bon fonctionnement du dialogue social, que vous mettez à mal par les menaces, les sanctions disciplinaires et financières, les pressions diverses et variées qui ne manqueront pas, par votre faute, d'être exercées sur les salariés.
Vous vous plaisez à répéter que ce texte n'est pas idéologique, qu'il est l'expression d'un équilibre.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mesdames, messieurs de la majorité, assumez au moins la politique que vous menez, celle de la négation de la démocratie, de la casse du droit du travail, de la liberté syndicale et des acquis sociaux ! En guise d'équilibre, vous proposez de supprimer l'ultime moyen d'expression et de résistance des salariés.
Vous ignorez volontairement les causes réelles des dysfonctionnements du service public des transports : les manques de moyens en personnels, les sous-investissements chroniques, la saturation des réseaux de transport et la vétusté des installations et des engins qui en résultent. Et croyez bien que ce n'est pas la modification à la marge de l'article 7 qui va changer les choses ! C'est au moment de la loi de finances qu'il faudra nous prouver votre attachement à améliorer la situation en votant les crédits à la hauteur des besoins du service public des transports !
Vous ne mesurez pas l'urgence de la situation. La précarité explose dans les transports : l'intérim a progressé de 15 % en 2006 et la sous-traitance a enregistré une croissance de 56 % entre 2002 et 2007 dans les transports urbains et routiers de voyageurs. Depuis 2002, 16 000 emplois ont été supprimés à la SNCF et 800 postes l'ont été à la RATP en quatre ans. Le budget annuel des transports est en constante régression ; les entreprises publiques que sont la SNCF et RFF, Réseau ferré de France, sont totalement asphyxiées par la dette. De telles modalités d'exercice ne peuvent favoriser de bonnes conditions de transports pour les usagers au quotidien.
Là sont les véritables et principales causes des perturbations ! Face à cela, vous vous intéressez aux interruptions du trafic, rares et de surcroît légitimes, dues à des grèves, que vous restreignez au point de remettre en cause le droit de grève.
La responsable du comité des usagers de la ligne 13 du métro parisien, après l'accident qui s'est produit dimanche dernier, interrogée sur la gêne provoquée par les mouvements sociaux, répondait : « C'est l'arbre qui cache la forêt, une forêt très sombre, dense de tous les abandons de celles et ceux qui nous gouvernent : désengagement constant de l'État en matière de transports collectifs ».
En réalité, le projet de loi, acte unilatéral, illustration de votre conception quelque peu autoritaire du dialogue social, a pour unique objet d'affaiblir le droit d'expression et de grève des salariés.
De plus, vous vous faites les fervents défenseurs de la liberté d'accès aux services publics ou encore de la liberté de travailler, mais que reste-t-il de ces libertés si les individus sont dépourvus des droits correspondants ?
Que reste-t-il du droit d'accès aux services publics alors même que votre politique participe à l'enclavement de nombreux territoires, notamment en milieu rural, lorsque l'on assiste à la disparition de trésoreries publiques, à la fermeture de postes ou encore de classes, pour ne pas dire à la suppression de l'école publique ?
Que reste-t-il de la liberté de travailler dans un pays où les politiques libérales menées par le Gouvernement ne sont pas en mesure d'assurer aux individus un droit au travail ?
Mon groupe l'a fortement dénoncé hier, lors de l'examen de la loi dite « TEPA », la fameuse loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, en commission mixte paritaire.
Vous nous dites vouloir relancer le dialogue social, monsieur le ministre, mais vous le faites au travers d'une procédure de prévention des conflits qui remet en cause les accords-cadres existants ayant pourtant fait la preuve de leur efficacité et en proposant des mesures qui font peser de sérieux risques sur le bon déroulement du dialogue social. Le « préavis du préavis » que vous avez instauré constitue une mesure inefficace, qui ne règle en rien le problème du non-respect de l'obligation de négocier, mais qui en allonge le délai.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Annie David. De plus, l'adoption par le Sénat d'un amendement visant à préciser que seules les organisations représentatives qui envisagent de déposer le préavis sont parties prenantes à la négociation porte une atteinte considérable à l'expression syndicale et au principe légal selon lequel la convocation de toutes les organisations syndicales est un préalable nécessaire à la conduite de toute négociation.
Quant au principe de l'élaboration, à la suite d'une négociation entre l'entreprise et les organisations syndicales, d'un « accord collectif de prévisibilité du service » applicable en cas de grève ou d'autres perturbations prévisibles du trafic, il est déjà précisé que si la négociation n'aboutit pas avant le 1er janvier 2008 l'accord sera conclu de manière unilatérale par la seule direction de l'entreprise.
Autant dire que cette disposition ne poussera pas franchement les directions des entreprises à négocier avec les syndicats et qu'elle tourne donc également le dos au principe du dialogue social.
Ce matin, en commission mixte paritaire, nous avons constaté qu'un ajout du Sénat, repoussé par l'Assemblée nationale, a fait son retour, mais cette fois à l'article 12. Là encore, il s'agit de tout sauf de dialogue social, puisque avant même que les partenaires sociaux se réunissent pour d'éventuelles négociations sur les transports, un projet de loi sera élaboré sur « la mise en oeuvre d'un dispositif de continuité dans les autres modes de transports publics de voyageurs » ! M. le ministre a d'ailleurs souligné tout à l'heure les interrogations que suscite la rédaction de cet article.
Quelle étrange conception du dialogue social vous avez !
En ce qui concerne le droit de grève, il s'avère que les dispositions du projet de loi les plus attentatoires à ce droit constitutionnellement reconnu restent inchangées : interdiction de déposer un préavis avant l'échéance du préavis en cours ; mise en oeuvre de la procédure de négociation préalable ; obligation faite aux salariés de déclarer quarante-huit heures à l'avance leur intention de participer à un mouvement de grève.
De plus, la commission de l'Assemblée nationale a donné une interprétation aggravante de cette disposition en considérant que le salarié encourait des sanctions s'il ne procédait pas à la déclaration, mais également s'il changeait d'avis et décidait de rallier le mouvement. Ce faisant, le Gouvernement entend interdire dans les faits toute amplification des grèves. Nous ne sommes pas dupes ! Vous savez bien que les grèves prennent du poids au fur et à mesure que les jours passent.
Couplé à l'article 6, qui n'a d'autre objet que de faire pression, d'intimider et de diviser les salariés entre eux, ce dispositif constitue une véritable atteinte au droit de grève. De plus, s'il appartient à la direction de l'entreprise d'organiser cette consultation et d'en définir les modalités, il y a fort à parier que celle-ci mettra l'accent sur l'aspect symbolique du vote des salariés et cherchera à faire pression sur chaque agent au moment du scrutin.
M. Hugues Portelli. Comme à la CGT !
Mme Annie David. À l'article 9, un amendement du Gouvernement a heureusement permis de revenir sur la proposition de la commission spéciale du Sénat prévoyant l'interdiction de la compensation directe ou indirecte de la retenue sur salaire des grévistes, disposition qui constituait une ingérence abusive et dangereuse dans les négociations de fin de grève.
M. Laurent Béteille. Le Gouvernement est trop bon !
Mme Annie David. Mais cet article n'en constitue pas moins une mesure populiste qui tend à faire croire que le paiement du salaire des grévistes est la règle. Je tiens à rappeler que c'est loin d'être le cas. Pire encore, il faut savoir que les retenues se font sur la base du salaire brut.
Enfin, il est regrettable, mais compréhensible face aux difficultés que pose ce texte, que le Gouvernement se dégage de sa responsabilité et fasse reposer sur les autorités organisatrices de transport la mise en oeuvre du service minimum.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le souligner lors des débats, la question du respect du principe d'égalité est également posée. En effet, l'organisation par les collectivités de la mise en place des dessertes qui doivent être prioritairement assurées soulève le problème de la traduction de la multiplicité des rapports des pouvoirs locaux en une multiplicité des conditionnements du droit de grève et des inégalités dans son exercice.
Pour conclure, je ne manquerai pas de dénoncer également la forme, car la conduite de la procédure législative est à l'image du contenu du projet de loi.
Alors que le Président de la République avait annoncé son souci de redonner toute sa force au débat parlementaire, plusieurs éléments confirment au contraire le peu de cas qui en est fait. Il en est ainsi de l'audition collective des organisations syndicales de salariés, de l'urgence déclarée, de l'inscription à l'ordre du jour en plein été.
Et, comble de tout, ce texte a été adopté par l'Assemblée nationale cette nuit même, à trois heures trente, alors que la commission mixte paritaire était prévue ce matin. Comment pouvons-nous travailler sérieusement, et être pris au sérieux par nos concitoyens, lorsqu'un texte est voté à une telle heure de la nuit, pour passer le lendemain matin en CMP - où je vous rappelle que nous devons discuter des articles restant à adopter - et ensuite, dans l'après-midi, être adopté définitivement en séance publique ? Ce n'est pas là l'image d'un Parlement respecté et cette précipitation ne peut donner une image positive de nos assemblées.
Aussi, la commission pour la réforme des institutions récemment mise en place devra s'interroger en premier lieu sur le rôle même de ces institutions.
Pour mon groupe, et vous n'en serez pas surpris, ce projet de loi vise à détériorer le dialogue social et constitue une atteinte grave au droit de grève, sans pour autant être en mesure de répondre aux exigences de qualité et de continuité du service public.
Mme Hélène Luc. Absolument !
Mme Annie David. Ce constat a d'ailleurs été résumé très clairement par la délégation de manifestants isérois reçue en préfecture mardi dernier : « Ne laissons pas bâillonner les salariés et gruger les usagers ! ».
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne serez pas étonnés que nous votions contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Ce texte, nous avez-vous dit, monsieur le ministre, entend répondre à deux objectifs : favoriser le dialogue social et organiser le service en cas de grève ou d'autres perturbations prévisibles.
Beaucoup de choses ont été dites durant ce débat, même s'il s'est déroulé de manière extrêmement rapide. J'en veux pour preuve, comme l'a souligné Annie David, la réunion de la commission mixte paritaire ce matin même. Toute cette précipitation ne donne pas une image très positive du travail parlementaire.
M. Charles Revet, président de la commission mixte paritaire. Mais ce travail a été réalisé avec sérieux, ma chère collègue !
Mme Christiane Demontès. Je le reconnais.
Je voudrais simplement rappeler quelques éléments déjà évoqués par mes collègues du groupe socialiste.
Le dialogue social est un élément essentiel de la bonne marche de toute entreprise ou de tout service. Vous le mettez en avant, monsieur le ministre, mais nous constatons que ce n'est qu'un prétexte pour mieux l'entraver. En effet, ce projet de loi se situe dans la droite ligne des textes qui, depuis un certain nombre d'années, n'ont eu d'autres effets que de stigmatiser davantage les salariés. Je pense à la loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social ainsi qu'à la loi de modernisation du dialogue social, mais ce ne sont pas les seuls textes à aller dans ce sens.
En fait, ce projet de loi est avant tout dicté par des considérations idéologiques. Dépourvu d'études d'impacts, il est en décalage avec les réalités du secteur des transports publics terrestres et apparaît bien comme une mystification.
Depuis plusieurs semaines, vous vous évertuez à le présenter comme fondateur d'un service minimum. Mais la réalité est tout autre : ce texte ne propose, au mieux, qu'un service restreint, contraint et somme toute hypothétique.
Restreint, parce que les plans de transport que fondent des accords de prévisibilité ne seront que coquilles vides dès lors que le conflit sera dur et qu'il concernera une grande majorité de salariés.
Contraint, parce que, en matière de dialogue social, vous vous contentez du slogan alors que les délais de négociation pour parvenir à un accord-cadre de prévention des conflits sont tels qu'ils constituent un véritable frein à leur bon déroulement et à leur conclusion.
Tout cela permettra certainement au Gouvernement de s'en remettre à un décret pris en Conseil d'État pour fixer les règles de la négociation. Dès lors, comment parler de dialogue social, d'autant qu'il reviendra au représentant de l'État de déterminer le plan de transport adapté et à l'employeur de définir le plan de prévisibilité ?
Hypothétique, car les autorités organisatrices de transport, tout comme les entreprises de transport, se retrouveront confrontées à une véritable usine à gaz.
Nous l'avons souligné pendant les débats, et ce point a encore été évoqué ce matin en commission mixte paritaire, rien n'est défini concernant la hiérarchie des priorités. Au moment des examens et des concours, les élèves et les étudiants auront-ils la priorité sur les salariés ? Quels critères fonderont l'arbitrage en matière de dessertes prioritaires ?
En outre, le fait d'introduire dans la loi de nouveaux principes à valeur constitutionnelle, tels que la liberté d'aller et de venir, la liberté du travail, la liberté du commerce et de l'industrie - ajoutée par les parlementaires de l'UMP -, sera, n'en doutons pas, source de nombreux contentieux.
Comme l'a dit Jean-Pierre Godefroy lors de son explication de vote sur l'ensemble du projet de loi : « Votre texte n'est qu'une attaque frontale contre le droit de grève dans les services publics ».
Mme Christiane Demontès. Mais si, monsieur le ministre ! Et il n'est pas vrai, contrairement à ce que vous avez indiqué tout à l'heure, que les partenaires sociaux étaient favorables à ce texte !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Ils ne se sont d'ailleurs pas privés de faire savoir combien ils étaient peu satisfaits, en cette fin de mois de juillet qui n'est pourtant pas la période de l'année la plus facile pour eux. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Je veux maintenant évoquer les contraintes que vous imposez à l'exercice du droit de grève. Il en va ainsi de la lettre et de l'esprit des articles 5 et 6.
Afin de justifier ces attaques contre le droit constitutionnel de faire grève, vous mettez en avant l'intérêt de l'usager. Mais, vous le savez comme moi - cela a souvent été dit pendant les débats -, les grèves ne sont la source que de 3 % des désagréments subis par les voyageurs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
Mme Christiane Demontès. Bien plus nombreux sont les incidents liés à la vétusté des matériels et des infrastructures.
La déclaration préalable au déclenchement d'une grève et la consultation des salariés prévue au II de l'article 6 sont autant d'illustrations de cette mise en cause du droit de grève. Tout cela n'est que prétexte pour mieux diviser les salariés et affaiblir la représentation syndicale.
Votre volonté n'est pas de servir les usagers. Ceux-ci ne vous servent que d'excuse. À vrai dire, vous êtes résolus à multiplier les contraintes dans l'exercice du droit de grève et à restreindre les capacités revendicatives et de défense des salariés.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Exactement !
Mme Christiane Demontès. À ce propos, même si le Gouvernement a rectifié le tir, l'amendement de la commission sur l'article 9 visant le non-paiement des heures de grève - ce qui est déjà une réalité - relève purement et simplement de la provocation. (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC.)
Enfin, comment passer sous silence le fait que ce texte entend n'être qu'un « premier pas » avant une généralisation de la remise en cause du droit de grève à l'ensemble du service public ?
Finalement, il ne s'agit que d'un texte d'affichage à lourde charge idéologique. Loin de favoriser le dialogue social, il le contraint.
Négligent pour l'usager, qu'il prend en quelque sorte en otage pour l'opposer aux salariés, dépourvu de réalisme, il sera une source de contestations et de contentieux pour les autorités organisatrices de transport et pour les entreprises. Ce texte n'est qu'un prétexte pour mettre en place un cadre propice à de futurs reculs sociaux.
Pour toutes ces raisons, vous l'aurez compris, le groupe socialiste votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, lorsqu'il examine avant l'Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, le Sénat se prononce par un seul vote sur l'ensemble du texte.
TITRE Ier
CHAMP D'APPLICATION