PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous reprenons la discussion du projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans son livre La Rumeur du monde Françoise Giroud écrivait : « C'est un drôle de pays, la France, où les négociations ont toujours lieu après le déclenchement des grèves et non avant ».
Pour des raisons historiques, sans doute à rechercher dans les épisodes violents de l'histoire sociale du xixe siècle, l'idée prédomine dans notre pays que le conflit est au coeur de la relation sociale. Conséquence de cet état d'esprit, la grève est non plus l'arme ultime à utiliser après l'échec de la négociation, mais plutôt un moyen d'évaluer les rapports de force avant celle-ci, voire un mode de gestion du dialogue social.
C'est particulièrement vrai dans les transports publics, qui ont connu des grèves répétées et parfois d'une ampleur extrême. Troublant, dans un pays qui a théorisé à son plus haut niveau la notion de service public !
C'est pourquoi le présent débat revêt une importance particulière : c'est avant tout un débat d'égalité et de solidarité.
Un débat d'égalité, car la liberté des uns ne saurait limiter celle des autres. Le droit de grève n'est légitime que s'il respecte les autres principes constitutionnels que sont la continuité du service public, la liberté du commerce et de l'industrie, la liberté d'aller et venir, la liberté du travail.
Faut-il rappeler que le statut protecteur des agents de la SNCF, par exemple, avait été historiquement accordé en contrepartie des lourdes sujétions des métiers du rail ? Ce consensus tacite était légitime, mais il semble que l'exigence de continuité ait été un peu oubliée au fil du temps.
Certes, le service n'est jamais totalement interrompu en cas de grève, mais il fonctionne de manière complètement anarchique. Cette situation n'est satisfaisante ni pour les usagers au quotidien ni pour les entreprises.
C'est aussi un débat de solidarité, car, nous le savons, ce sont les travailleurs les plus modestes, les petites entreprises et les artisans qui souffrent le plus...
M. Jean Desessard. Oh !
M. Gilbert Barbier. ... des grèves dans les transports : obligation de prendre un jour de congé ou de supporter le surcoût d'un transport individuel pour les premiers, pertes sèches pouvant aller jusqu'à la faillite pour les seconds. (Murmures ironiques sur les travées du groupe socialiste.) La facture économique et sociale peut être parfois particulièrement lourde !
Enfin, comme l'a souligné Claude Biwer, il y va aussi de l'image et de l'attractivité de la France dans le monde. Nous le ressentons bien, nous, élus de départements frontaliers, notamment avec la Suisse.
Ces propos n'ont évidemment pour objectif ni de jeter l'anathème sur les agents, dont les revendications peuvent être légitimes, même si elles sont souvent catégorielles, ni de remettre en cause leur droit de grève. Ils visent seulement à insister sur la nécessité de concilier ce droit fondamental des salariés avec les droits, non moins fondamentaux, des usagers.
Le présent projet de loi comporte des solutions allant dans ce sens.
Il oblige en premier lieu les entreprises concernées à mettre en place un dispositif négocié de prévention des conflits, sur le modèle de l'alarme sociale adoptée par la RATP, en 1996. Les résultats obtenus dans cette entreprise prouvent qu'un dialogue social en amont permet souvent d'éviter l'affrontement. Il n'y a donc pas de fatalité.
Une telle démarche de prévention suppose évidemment une forte implication des partenaires sociaux. Je crains néanmoins que la dispersion syndicale manifeste chez les grands opérateurs publics de transport rende plus difficile l'exercice d'un dialogue social de qualité.
La France est, parmi les pays d'Europe, celui qui compte le plus grand nombre de syndicats et qui enregistre le plus faible taux de syndicalisation !
M. Jean Desessard. Ah ah !
M. Gilbert Barbier. La tentation de mesurer son influence explique que la culture de la protestation l'emporte parfois sur le réformisme social.
Un autre point fort annoncé dans le projet de loi réside dans la mise en oeuvre d'un service garanti en cas de grève ou de perturbation prévisible. J'y suis évidemment très favorable, même si je m'interroge sur le contenu de cette mesure.
Monsieur le ministre, vous laissez aux autorités organisatrices de transport le soin de définir les plages horaires et les priorités de desserte. Je comprends bien votre souci de mettre en place une organisation négociée, et non imposée, de la continuité du service public qui tienne compte des spécificités locales. Néanmoins, on risque de voir apparaître des définitions très hétérogènes, sources d'inégalités territoriales.
Que se passera-t-il en cas de carence de l'autorité organisatrice de transport ? Qui décidera des dessertes locales pour les liaisons entre Paris et la province ?
Mme Nicole Bricq. Le préfet !
M. Gilbert Barbier. La réaffectation des personnels non grévistes sera-t-elle seulement possible et suffisante pour que le service minimum soit assuré ? J'aurais souhaité que l'on aille un peu plus loin dans la définition de ce service.
Quoi qu'il en soit, si des règles ne sont pas trouvées par voie d'accord, le Gouvernement devra prendre ses responsabilités et la collectivité propriétaire des services publics de transport avoir le dernier mot. Dans cette affaire, je serais tenté de dire que seul le résultat compte pour les usagers.
Le projet de loi prévoit également la consultation des salariés au bout de huit jours de grève. Quelles seront les modalités de ce vote ? Aura-t-il un caractère contraignant sur la poursuite de la grève ?
Enfin, comment et par quels moyens garantir une bonne information des usagers ?
Monsieur le ministre, je serais heureux que vous apportiez des réponses à ces interrogations.
Percevant les grèves tantôt avec fatalisme, tantôt avec révolte, parfois avec un sentiment de solidarité, les Français sont aujourd'hui las de subir de véritables prises d'otages à répétition. Ils acceptent de plus en plus difficilement que le transport public ne joue pas son rôle de service au public, qui implique une continuité et justifie d'ailleurs le soutien financier qu'il reçoit de la collectivité.
Malgré une ambition limitée, ce projet de loi répond à l'attente des usagers sans remettre en cause le droit de grève. C'est pourquoi la majorité du groupe du RDSE le votera.
Dans le mot « grève », on entend le mot « rêve » ... J'ose croire que ceux qui redoutent la privatisation des services publics sous l'effet de la mondialisation seront aujourd'hui à vos côtés pour offrir aux Français le service public qu'ils sont en droit d'attendre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, votre intervention liminaire et les propos de mes collègues de la majorité sénatoriale m'ont confortée dans ma conviction que votre texte est très politicien et qu'il ne grandit pas la politique.
M. Jean Desessard. Très bien !
Mme Nicole Bricq. Je vais vous dire pourquoi, et sans plus attendre.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, vous allez tromper les Français, vous allez tromper les usagers (Protestations sur les travées de l'UMP) en leur faisant croire que ce texte va remédier à tous les problèmes qu'ils vivent au quotidien. Croyez-moi, je suis élue d'une grande banlieue et je sais de quoi je parle.
Oui, monsieur le ministre, votre texte est une tromperie.
Mais j'ai un autre reproche à vous faire, et je pense que mes collègues socialistes seront d'accord avec moi.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. On verra !
Mme Nicole Bricq. En effet, comme l'a souligné avant moi Yves Krattinger, une fois encore, vous divisez les salariés, alors qu'il faudrait plutôt les rassembler, et vous le faites en montant contre les autres ceux qui sont effectivement victimes de ces arrêts à répétition, dont je précise que la cause, en Île-de-France, n'est pas la grève.
Enfin, et M. Gilbert Barbier s'est lui-même interrogé sur ce point, vous revenez sur le principe d'autonomie des autorités de transport. Nous vous l'avons dit et nous le répéterons, les régions, les départements, les collectivités territoriales, en particulier celles qui ont négocié ou qui sont en train de négocier des contrats avec les transporteurs, vont être soumises au diktat de votre idéologie.
Monsieur le ministre, vous vous êtes défendu dans votre intervention liminaire de légiférer pour la seule Île-de-France, mais vous l'avez tout de même citée quatre fois.
Mme Nicole Bricq. Cela prouve bien qu'elle est, d'une certaine manière, particulièrement visée.
C'est donc de l'Île-de-France que je vais à mon tour vous parler, car elle présente une singularité très forte : 12 millions de voyageurs par jour empruntent Transilien, Intercité, métro, tramway, bus, et 60 % des trains qui circulent dans cette région sont des trains nationaux ! Il faut garder ces deux chiffres présents à l'esprit.
C'est certainement dans cette région plus qu'ailleurs que tout empêchement au déplacement est vécu comme une atteinte à ce que l'on peut appeler, dans une conception juridique moderne, un droit à la mobilité.
Région capitale, l'Île-de-France est l'objet de comparaisons européennes et internationales et doit à ce titre rivaliser en attractivité et en compétitivité. Sa force ou ses défaillances, loin de nuire aux autres régions ou de les favoriser, tirent le pays tout entier ou l'abaissent. Elle est aussi l'objet de bien des convoitises et de manoeuvres plus ou moins affichées, mais que l'on peut assez facilement identifier.
L'année 2008 est sans doute un peu trop proche pour le Gouvernement. Ce texte prépare sans nul doute 2010, avec l'échéance régionale.
Permettez-moi un bref rappel historique.
L'Île-de-France a longtemps été soumise à un régime juridique et financier dérogatoire. C'est après toutes les autres régions qu'elle a obtenu son autonomie en matière de transport. Encore fallait-il résoudre la question des transferts financiers.
Malgré le compromis arrêté par la commission consultative sur l'évaluation des charges, et en dépit des efforts de son président, Jean-Pierre Fourcade, aucune compensation supplémentaire n'a été accordée par l'État, notamment pour le renouvellement du matériel roulant. L'État avait pourtant décidé, en 2005, sur l'initiative de la commission, qu'une enveloppe de 400 millions d'euros sur dix ans, dont 200 millions d'euros versés dans les trois années suivantes, devait servir à renouveler le matériel roulant. Or, à ce jour, rien n'est encore versé, et c'est bien le coeur du problème.
Sous le couvert de répondre à une attente forte autant que légitime des usagers, votre projet de loi, monsieur le ministre, ne remédie en aucun cas aux perturbations, retards réguliers, voire quotidiens, que subissent les voyageurs et qui ont pour origine la vétusté des matériels roulants et des infrastructures. Et ce sont évidemment ceux qui habitent le plus loin qui sont pénalisés.
Monsieur le ministre, vous qui êtes un élu de l'Aisne, vous devez vous rappeler que, le 13 juin dernier, cent cinquante voyageurs de la ligne Paris-La Ferté-Milon sont restés bloqués deux heures en gare d'Isles-Armentières-Congis, et ce n'était pas en raison d'une grève !
Le 25 mai dernier, à la suite de l'annulation d'un train, les usagers sont descendus sur les voies, à la gare de la Ferté-sous-Jouarre, pour arrêter une rame et obliger ainsi la SNCF à les conduire à Paris. La cause de cette situation n'était pas non plus la grève.
Les exemples de cette nature alimentent souvent les pages de la presse locale. Le conseil régional d'Île-de-France prend ce problème à bras-le-corps en consacrant aux transports un milliard d'euros, soit un quart de son budget. L'amélioration de la qualité du service, qui passe par l'augmentation des dessertes et la rénovation du matériel, constitue l'une de ses priorités.
Les engagements financiers représentent la seule évaluation concrète des politiques annoncées, au moment où, justement, ce gouvernement, à la suite du gouvernement de M. de Villepin, se désengage de ce secteur, comme cela a été souligné tout à l'heure par l'un de mes collègues de la majorité.
Monsieur le ministre, M. le président de la région d'Île-de-France vous l'a dit le 12 juillet dernier : « Si le Président de la République et le Gouvernement veulent apporter aux Franciliens des réponses aux retards dans les transports, il faut que l'État participe à un effort financier de l'ordre de 30 milliards d'euros sur quinze à vingt ans. »
Vous ne pouvez ignorer que, dans le prochain contrat de projet, l'État réduira sa participation financière en faveur des transports. Celle-ci ne représentera plus alors que 25 % des investissements, au lieu des 35 % prévus par le précédent contrat de plan.
Quand on sait que les actes extérieurs, notamment la malveillance et les suicides, engendrent 45 % des perturbations du trafic, la vétusté du matériel roulant et des infrastructures, 35 %, et les grèves, seulement 3 %, on peut pour le moins s'étonner de ce projet de loi, aussi inutile qu'inapplicable.
Mme Nicole Bricq. Nous savons, monsieur le ministre, que vous allez gagner la bataille de la communication, car vous êtes en effet très habile à cet égard. Mais, pour ma part, je travaille non pas pour l'immédiat, mais pour le long terme,...
Mme Nicole Bricq. ... et je ne veux pas que vous trompiez les gens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. -Protestations sur les travées de l'UMP.)
Ce projet de loi est inutile dans la mesure où la voie contractuelle existe déjà entre les autorités organisatrices et les transporteurs publics. Ainsi, le STIF, le Syndicat des transports d'Île-de-France, la RATP et la SNCF se sont engagés à respecter, en cas de perturbation résultant d'une grève, un certain niveau de service et de qualité d'information à l'égard des voyageurs. Les deux opérateurs doivent ainsi maintenir aux heures de pointe un niveau de service représentant au moins 50 % du service normal. Toute variation en deçà ou au-delà de ce seuil donne lieu à malus-bonus. En cas de non-respect de cette obligation, les entreprises encourent une pénalité forfaitaire.
Monsieur le ministre, lors de leur audition devant la commission spéciale, les présidents de la RATP et de la SNCF ont présenté un bilan largement positif de ces contrats. Dois-je vous le rappeler, à la RATP, le nombre de conflits a radicalement baissé, s'établissant à 0,4 jour par an. À la SNCF, il est de 0,8 jour par an.
Ce projet de loi est inopérant parce qu'il ne tient pas compte de la diversité du territoire en termes de transport et de besoin des usagers. L'Île-de-France dispose d'un trafic très dense, dont la part modale est extrêmement élevée. La majorité des actifs, dans les départements de la grande couronne que sont la Seine-et-Marne, le Val-d'Oise et l'Essonne, travaillent tous les jours à Paris. Pour se rendre de leur domicile à leur lieu de travail, ils utilisent plusieurs modes de transport : certains prennent ainsi leur voiture, puis le train et le métro.
Or l'article 4 du projet de loi vise à prévoir que le STIF devra définir des priorités de desserte de la région. Sur quels critères l'autorité organisatrice décidera-t-elle de permettre à un salarié habitant Melun, par exemple, d'aller travailler et de refuser ce droit à un salarié habitant la Ferté-sous-Jouarre ? Cet article est source d'arbitraire et d'injustice.
En outre, il prévoit la consultation des usagers pour l'établissement de ces priorités de dessertes. Qui seront ces usagers ? S'il s'agit des associations, qui sont nombreuses et actives dans les comités de lignes ou les comités d'axes, elles choisiront bien évidemment de privilégier leurs lignes ou leurs axes !
En réalité, ce texte est inapplicable, et je vous soupçonne, monsieur le ministre, de ne le savoir que trop bien. (Protestations sur les travées de l'UMP.) C'est pourquoi vous prévoyez, en cas de carence de l'autorité organisatrice, de recourir au préfet pour arrêter les priorités de dessertes. N'est-ce pas une réquisition déguisée, doublée d'une tentative d'atteinte au principe constitutionnel de libre administration ? Bref, il s'agit d'une offensive politique pour reprendre la main dans les régions que vous avez perdues en 2004.
Mme Christiane Hummel. On a gagné après !
Mme Nicole Bricq. En Île-de-France, un service minimum ne peut se concevoir qu'au travers d'un dispositif apprécié globalement en fonction d'un pourcentage du service de référence. C'est ce que prévoient les actuels contrats en cours de renégociation, qui lient le STIF aux transporteurs publics.
Un autre de mes griefs concerne l'article 8, relatif à l'indemnisation des passagers. Cet article paraît contre-productif dans la mesure où le poids de ce remboursement reposera en définitive sur l'autorité organisatrice, et donc sur le contribuable.
Mme Nicole Bricq. Il est paradoxal que les autorités organisatrices subissent, d'une part, le faible niveau de service et, d'autre part, la charge de l'indemnisation.
La politique contractuelle menée en Île-de-France montre, en définitive, que peuvent être mis en place des dispositifs conventionnels efficaces permettant une baisse du nombre de conflits grâce à la négociation et le dialogue. Or ce texte, à mon avis, va bloquer ce processus.
Sans doute vous faut-il sacrifier aux engagements de la campagne électorale, monsieur le ministre. Mais s'il s'agit de leurrer ceux au nom desquels vous prétendez légiférer, notre devoir est de dénoncer cette tromperie.
Nos concitoyens veulent des services publics de qualité. Je vous en prie, ne les prenez pas en otage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.
M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voici enfin un texte qui prend en compte l'usager ! Jusqu'ici, ce dernier, considéré comme quantité négligeable, subissait sans savoir pourquoi.
Aujourd'hui, compte tenu de l'utilisation qui est faite du droit de grève dans notre bon pays, l'usager a le sentiment d'être pris en otage dans des conflits qui ne sont pas les siens.
En effet, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays occidentaux, notamment en Allemagne, la grève est utilisée en France comme un moyen ordinaire de gestion des conflits sociaux. Pendant la durée du préavis légal, on ne négocie pas, alors que la loi l'impose pourtant. ; chaque partie reste campée sur ses positions en attendant l'épreuve de force que constituera la grève !
M. Jean Desessard. C'est la lutte des classes !
M. Philippe Nogrix. Ah non ! Changez de refrain maintenant ! (Rires.)
En un mot, la grève est totalement détournée de son objet. Elle devient un préalable au dialogue social, au lieu de constituer le dernier recours en cas d'échec de celui-ci.
Un tel usage de ce droit constitutionnel qu'est le droit de grève reflète parfaitement l'indigence de notre culture du dialogue et du consensus. Nous préférons trop souvent l'affrontement brutal à la concertation : c'est bien cela qui doit changer. Avant d'être législative, la rupture, dont on a tant parlé, doit être celle des mentalités. Il nous appartient, en tant que législateur, d'accompagner cette évolution. Tel est l'objet d'un texte comme celui-ci, dont nous entamons aujourd'hui l'examen.
Monsieur le ministre, vous ne verrez pas souvent le groupe de l'UC-UDF louer le recours à l'urgence. Cette fois, pourtant, nous le ferons, comme l'a indiqué tout à l'heure mon collègue Philippe Arnaud. C'est en effet à juste titre que l'urgence a été déclarée sur ce texte. Oui, il y a urgence à remettre l'usager, dont l'exaspération légitime n'a fait que grandir, au cours des années passées, au coeur des services publics de transports.
Dans les conditions d'utilisation du droit de grève que je viens de décrire, que constatent les usagers ?
Ils subissent des préjudices qui peuvent être très importants. Je rappelle que, en cas de grève, ce ne sont pas seulement les candidats au baccalauréat qui peuvent être pénalisés ; peuvent l'être également les candidats à un emploi convoqués pour un entretien d'embauche ; faute de pouvoir se déplacer, ils n'obtiendront peut-être jamais d'emploi !
M. Jean Desessard. Cela se passe justement le jour où ils doivent être embauchés !
M. Philippe Nogrix. En termes de croissance et d'emploi, les conséquences économiques d'une grève sont en réalité totalement incalculables.
Plus grave encore, aucune explication valable ne peut être fournie aux usagers s'agissant des préjudices qu'ils subissent. La plupart du temps, la grève ne peut se justifier par l'échec d'une négociation, puisque celle-ci n'a pas encore eu lieu !
Une autre raison explique le « ras-le-bol » exprimé de plus en plus ouvertement par nos concitoyens. La seule justification aux mouvements dont ils sont victimes toute l'année est la défense - nous le savons tous, mais nous n'osons pas le dire - d'intérêts catégoriels. Oui, finalement, c'est peut-être cela le plus sérieux : la grève n'est plus perçue dans l'opinion publique que comme le moyen, pour une petite minorité, de défendre certains de ses avantages.
Les chiffres corroborent cette vision sans doute quelque peu caricaturale : les agents de la SNCF représentent l % de la population active, mais 40 % des journées de grève en France !
M. Jean Desessard. C'est la courbe de Gauss !
M. Philippe Nogrix. Non, en tant qu'ingénieur, je peux vous dire que la courbe de Gauss n'a rien à voir avec ces chiffres !
La multiplication des grèves dans les transports est d'autant plus paradoxale du point de vue de l'usager que c'est justement dans ce secteur d'activité que la continuité devrait être garantie au mieux et s'imposer, compte tenu des avantages statutaires dont bénéficient les agents des grandes entreprises de transport, au premier rang desquels figure la sécurité de l'emploi.
Il est donc vraiment satisfaisant de constater que ce texte vise à prendre en compte l'usager. Ce faisant, il prend le mal à la racine, à savoir qu'il vise à lutter contre notre faible capacité à créer les conditions du dialogue et du consensus.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, mise sur le dialogue, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter. Comment, en effet, ne pas adopter un texte qui tend à organiser la prévision plutôt que l'affrontement ?
Pour tout vous dire, je regrette simplement que son objet soit encore trop limité, puisqu'il ne concerne que les transports terrestres réguliers de voyageurs. Par conséquent, nous devons le considérer, me semble-t-il, comme un projet de loi visant à permettre l'expérimentation du dialogue social dans le secteur des transports terrestres, afin de mieux concrétiser le principe de continuité.
Les conclusions de cette expérience, qui, selon moi, seront positives, devraient permettre l'extension à tous les autres modes de transport des règles posées en matière de transports terrestres.
En tant que Breton, vous ne pourrez m'empêcher de penser à tous les îliens qui, confrontés à une grève des transports maritimes, ne peuvent pas aller travailler sur le continent car le bateau ne quitte pas le port !
M. Jean Desessard. Ils peuvent y aller en pédalo !
M. Philippe Nogrix. J'ai déposé un amendement visant à inscrire dans le titre de ce projet de loi son objectif final, à savoir l'extension de ses dispositions à l'ensemble du secteur des transports.
Bien entendu, une telle extension ne pourra être programmée que si les conclusions de l'expérimentation sont positives. C'est la raison pour laquelle nous serons très attentifs à la qualité de l'évaluation qui en sera faite. À ce titre, je remercie Mme le rapporteur, qui a beaucoup insisté sur la nécessité de ce bilan et sa qualité, afin que puisse être envisagée l'extension des dispositions contenues dans ce projet de loi.
Comme nous vous l'avions annoncé en tout début de législature, et comme vous pouvez le constater aujourd'hui, nous faisons confiance, monsieur le ministre, à votre détermination à remettre l'usager au centre du service public des transports. Au demeurant, comme nous l'avons également indiqué, nous resterons vigilants pour que ce dossier avance le plus vite possible.
Enfin, permettez-moi de vous dire, avec beaucoup d'amitié et de sympathie, que j'ai regretté que vous vous contentiez de citer le rapporteur d'une proposition de loi qui avait été déposée par mon excellent collègue Philippe Arnaud. En effet, c'est grâce à ce dernier que nous avions discuté de cette question dans cet hémicycle et adopté un texte qui n'avait pas, hélas ! été transmis à l'Assemblée nationale.
Quoi qu'il en soit, je vous remercie, monsieur le ministre, de nous avoir donné l'occasion d'évoquer l'usager dans cet hémicycle. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, j'appartiens - cela ne vous étonnera pas ! - au camp, somme toute assez nombreux dans cet hémicycle, qui se réjouit de ce courageux projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public de transport, dont l'objectif est de garantir aux usagers, pris trop souvent en otages par les grèves, un service réduit, certes, mais dorénavant prévisible.
Lors de sa campagne, le Président de la République s'y était engagé ; moins de trois mois après son élection, cet engagement est en passe d'être tenu. Cela témoigne bien de sa volonté de rupture ! Après le texte instaurant des peines plancher en cas de récidive, c'est en effet le deuxième projet de loi examiné depuis la reprise de la session parlementaire qui s'adresse aux victimes, cette fois les usagers des transports publics en période de grève.
La volonté présidentielle a été relayée par l'excellent travail de la commission spéciale à laquelle j'ai eu l'honneur de participer. Je tiens à saluer son président, M. Charles Revet, et particulièrement son rapporteur, Mme Catherine Procaccia, avec qui j'ai le plaisir de faire équipe dans le département du Val-de-Marne.
Mes chers collègues, cela fait plus de dix ans que rien n'a été fait, alors que la plupart de nos partenaires européens ont permis de substantielles avancées dans leur pays. Aujourd'hui, c'est la première fois qu'un dispositif législatif est mis en place pour prendre - enfin ! - les usagers en considération.
La méthode voulue par le Gouvernement est fondée sur le dialogue. L'objectif est d'obtenir, en cas de grève ou de perturbation, un service public limité, mais organisé, et non, bien évidemment, de remettre en cause le droit de grève. L'objectif est aussi de concilier ce droit non seulement avec la continuité du service public, mais aussi avec une autre liberté fondamentale que nous avons le devoir de protéger, le droit au travail, ainsi qu'avec la liberté de se déplacer.
Même s'il n'impose pas réellement de service minimum stricto sensu - certains peuvent le regretter -, ce texte présente néanmoins de nombreuses avancées qui nous paraissent raisonnables et dont nous espérons qu'elles ne constitueront qu'une première étape.
Il vise tout d'abord à instaurer une obligation de dialogue social avant le dépôt de tout préavis de grève. Il donne une base légale aux accords d'entreprise qui ont été signés, en vue de mettre en place des procédures d'alarme sociale. Il généralise ces procédures dans tout le secteur des transports publics d'ici au 1er janvier 2008. On l'a bien compris, l'enjeu n'est pas seulement juridique : il s'agit de faire en sorte qu'à l'instar de nombreux pays la grève ne soit plus une fatalité, que la négociation précède l'action et non l'inverse. C'est une nouvelle culture des relations sociales qu'il convient de mettre en oeuvre dans notre pays.
Lorsqu'un préavis de grève a été déposé, le projet de loi prévoit que le dépôt d'un autre préavis ne peut intervenir avant l'échéance du préavis en cours. De la sorte, la pratique dite des « préavis glissants » ne sera plus possible dans les entreprises de transport public.
M. Christian Cambon. De plus, un signal fort est adressé aux partenaires sociaux. Ce texte prévoit en effet qu'au bout de huit jours de grève une consultation à bulletins secrets pourra être organisée,...
M. Rémy Pointereau. Très bien !
M. Christian Cambon. ... à la demande de l'entreprise ou des syndicats, sur la poursuite de la grève. Comment peut-on contester l'utilité d'une telle procédure, alors qu'elle est - nous le savons singulièrement dans cette maison - le fondement même de toute démocratie ? Les Français ne s'y trompent pas puisque, dans de récents sondages, ils soutiennent massivement cette disposition.
Enfin, et c'est très important, ce projet de loi renforce les droits des usagers en matière d'information en imposant aux entreprises de transport de faire connaître, au moins vingt-quatre heures avant le début de la grève, le service qui sera assuré. Le rapporteur, Mme Catherine Procaccia, a insisté sur l'importance du droit des usagers, qui est relativement nouveau.
Les entreprises qui ne respecteront pas les obligations prévues par la loi pourront se voir imposer le remboursement aux usagers des titres de transport non utilisés pour cause de grève.
Enfin, le principe du non-paiement des jours de grève est rappelé dans ce projet de loi. Il s'agit non d'une mesure nouvelle, mais d'un simple rappel de l'article L. 521-6 du code du travail applicable aux salariés des entreprises chargées de la gestion du service public. C'est, à mon sens, un élément très important de clarification.
Je souhaite maintenant, monsieur le ministre, soulever quelques observations, et nous serons particulièrement attentifs aux réponses que vous nous ferez sur ces sujets.
La première porte sur les autorités organisatrices de transport, c'est-à-dire les collectivités locales qui ont la responsabilité de l'organisation des transports publics. Que se passera-t-il si des exécutifs ne souhaitent pas appliquer, ou pas totalement, les dispositions prévues par le projet de loi ?
M. Christian Cambon. Cette situation est parfaitement envisageable si l'on tient compte de la sensibilité d'un certain nombre de régions qui peuvent apparaître comme opposées à la majorité présidentielle.
Les auditions qui ont été conduites par la commission spéciale l'ont bien montré. Ainsi avons-nous été très surpris d'entendre une personnalité importante, le président de la région d'Ile-de-France (Ah ! sur les travées de l'UMP.), déclarer « qu'il ne serait pas possible de donner une information exacte aux usagers vingt-quatre ou quarante-huit heures à l'avance ». L'Île-de-France compte à elle seule 12 millions de voyageurs par jour et mobilise 60 % du matériel de la SNCF. C'est dans cette région, nous le savons, que les grèves ont le plus d'impact, même si ces dernières entraînent des désorganisations dans les autres régions. M. Jean-Paul Huchon a également « fait part de sa conviction qu'il était impossible de définir de telles priorités ». Enfin, il a ajouté « qu'il jugeait l'article 8 du projet de loi, relatif à l'indemnisation des passagers, contreproductif dans la mesure où le poids de cette indemnisation reposerait sur les AOT et donc, en définitive, sur le contribuable ». Comme si le contribuable n'était pas lui-même un usager et n'était donc pas en mesure de juger la politique conduite par ses élus locaux !
N'était-il pas inquiétant d'entendre ce même président indiquer que la déclaration préalable lui paraissait dénuée d'efficacité ? Le dialogue social est pourtant au coeur du système qui nous est proposé pour prévenir le plus possible les conflits !
L'audition de la présidente de la SNCF a été particulièrement instructive. En se déclarant tout à fait favorable au projet de loi, parce qu'il organise « un système de négociations avec les partenaires sociaux et les autorités organisatrices de transport de nature à moderniser le dialogue social », Mme Anne-Marie Idrac a « ensuite indiqué que la SNCF, qui regroupe 160 000 salariés dans 250 établissements, connaît une baisse du nombre de préavis de grève, qui sont passés en dix ans d'environ 1 200 à 700 », diminuant ainsi de près de 60 %.
M. Jean Desessard. Et alors ?
M. Christian Cambon. Par ailleurs, « elle a rappelé la signature par toutes les organisations syndicales, en 2004, d'un accord sur la prévention des conflits et le dialogue social instituant une procédure de demande de concertation immédiate, DCI », procédure qui « a débouché sur une solution dans 90 % des cas ». Malheureusement, comme l'a souligné la présidente de la SNCF, cette procédure est « peu utilisée puisque 84 % des préavis déposés en 2006 n'ont pas été précédés d'une demande de concertation. ». C'est là que l'on trouve l'explication des grèves subites et à répétition que connaissent nombre de nos usagers, les Franciliens comme ceux d'autres grandes villes de France.
C'est donc là, monsieur le ministre, que votre projet permettra d'aller plus loin, tout d'abord en mettant en oeuvre la procédure de prévention avec l'organisation - ou les organisations - qui a initialement soulevé le problème, ensuite en substituant à la notion de « négociation » celle de « concertation ».
Concernant la prévisibilité du service et le droit à l'information, il s'agit, comme l'a souligné notre excellent rapporteur, Catherine Procaccia, d'une attente majeure non seulement des usagers, pour qui ce sera, dans les premiers mois, la partie la plus visible, mais aussi des salariés et des employeurs d'une manière générale. En effet - nous le savons bien en Île-de-France -, quelques jours de grève de transports publics et c'est toute une région qui est paralysée ; s'ensuivent les conséquences économiques absolument dramatiques que nous connaissons.
C'est pourquoi il nous a semblé indispensable d'aller plus loin en permettant aux usagers de connaître non seulement le service auquel ils peuvent s'attendre pendant les jours de grève, mais surtout, et le plus exactement possible - je sais, monsieur le ministre, que telle est votre volonté -, les horaires précis de desserte des gares. C'est un service tout à fait nouveau qu'il sera très important de mettre en place.
Si ce texte prévoit l'instauration d'un service minimum, il doit également donner les moyens maximums pour assurer aux usagers des conditions de transport dignes de ce nom. Notre collègue Hugues Portelli a rapporté devant la commission spéciale les conditions invraisemblables, en termes d'utilisation du matériel, qui prévalent actuellement les jours de grève. Il faut bien évidemment changer cela.
Il s'agit bien sûr non pas d'interdire le droit de grève - il est important de le répéter -, mais d'assurer le fonctionnement des éléments du service dont l'interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays.
Mme le rapporteur nous a par ailleurs proposé un amendement qui prévoit de fixer les conditions dans lesquelles, en cas de perturbation prévisible, l'organisation du travail est révisée et les personnels disponibles réaffectés pour permettre la mise en oeuvre du plan de transport adapté. C'est une excellente avancée !
Mais, monsieur le ministre, au-delà d'une meilleure prévisibilité du service, il faut aussi répondre au malaise des usagers des transports en commun, qui subissent les aléas de la vétusté et des insuffisances des modes de transport. À ce sujet, la région d'Île-de-France est malheureusement trop riche d'exemples !
Élu du Val-de-Marne, comme ma collègue Catherine Procaccia, je citerai la « fameuse » ligne D du RER. Alors que nous avons, en France, les meilleurs trains du monde...
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. C'est vrai !
M. Christian Cambon. ... et que le TGV s'exporte partout, nous ne sommes pas capables d'assurer les transports de banlieue !
Les dysfonctionnements de cette ligne D du RER - retards, suppressions de trains, pannes, absence d'informations -, laquelle compte, je le rappelle, 460 000 usagers par jour, conduisent à l'engorgement de nos réseaux routiers. Je ne m'étendrai pas sur les détails ubuesques de la gestion de certaines portions de ligne qui dépendent tantôt de la SNCF, tantôt de la RATP, créant ainsi encore plus de perturbations.
Toujours dans le Val-de-Marne, mais dans un autre domaine, il est un problème qui nous touche, Catherine Procaccia et moi-même : celui de l'aéroport d'Orly. Ce secteur rencontre un certain nombre de difficultés ; en effet, les transports terrestres ne sont pas les seuls à connaître des perturbations dont les conséquences sont désastreuses sur l'économie du pays !
Si les contrôleurs du ciel sont assujettis à un régime bien particulier, lié à la sécurité des passagers, force est de constater que les mouvements de grève des personnels au sol peuvent, eux aussi, paralyser le trafic et porter préjudice à de nombreuses entreprises. Souvenons-nous de ce qui s'est passé voilà quelques semaines : l'arrêt de travail de quelques dizaines de personnes a bloqué tout le ciel français, donc tous les aéroports, pendant plus de vingt-quatre heures, avec les conséquences économiques et sociales que l'on imagine.
Ne conviendrait-il pas, là encore, d'aller plus loin dans un second temps et de prévoir l'extension des dispositions du présent projet de loi au trafic aérien ?
Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite saluer une fois encore ce dispositif, qui tend à rendre plus forte l'obligation de dialogue social, un dialogue social beaucoup plus vivant, dans un pays qui a plus la culture du conflit que celle du dialogue. C'est à ce prix que nous réconcilieront les Français, notamment les Franciliens, avec la notion de service public. (M. Jean Desessard s'exclame.)
Un bilan sera fait, je l'espère, au terme d'une année, afin de tirer toutes les conséquences de cette avancée sociale forte sur le plan législatif.
En quelque sorte, mes chers collègues, ce projet de loi est bien un pari, celui que notre société n'est pas bloquée, celui que les changements récents qui sont intervenus en France permettront enfin d'ouvrir une ère nouvelle dans le dialogue social, tout en respectant les libertés essentielles des usagers ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.
Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de ce texte survient en dehors de tout contexte immédiat de grève d'envergure dans un service public de transport. En l'état, il s'agit donc, pour le Gouvernement, d'obtenir un effet d'affichage en utilisant les résultats de sondages récents selon lesquels les trois quarts des Français seraient favorables à l'instauration d'un service minimum dans les transports.
Pour autant, était-il si urgent de s'attaquer au droit de grève, dont l'exercice est déjà très encadré par plusieurs lois ? Je ne le crois pas. Rien ne justifie aujourd'hui un durcissement de la réglementation, si ce n'est une promesse électorale du Président de la République.
C'est un fait, depuis quinze ans, le nombre de jours de grève a diminué de plus de un million. La présidente de la SNCF, Mme Anne-Marie Idrac, constatait d'ailleurs que les conflits avaient nettement reculé en 2006 et que la moitié des journées perdues par agent avaient pour cause le contrat première embauche.
Les usagers des transports en commun et leurs associations, lorsqu'ils sont interrogés, n'évoquent pas spontanément le service minimum et les désagréments associés aux grèves comme la question prioritaire du moment. Et pour cause : la grève ne représente que 1 % des problèmes qu'ils peuvent rencontrer !
Le reste, tout le reste, est imputable aux défaillances, aux retards, aux suppressions de train, aux arrêts prolongés, aux incidents, au défaut d'information. Si, quotidiennement, il y a de quoi remplir de nombreuses pages sur la blogosphère des usagers mécontents, ce projet de loi ne répondra à aucune de ces préoccupations.
En tant qu'élue mosellane, il m'est difficile de ne pas évoquer le TGV Est-européen. Nous sommes heureux qu'il ait été enfin mis en service, car nous l'attendions avec impatience. Nous pensons aussi qu'il représente une formidable opportunité pour le développement de nos régions. Mais il faut déplorer les désagréments que rencontrent quotidiennement les usagers : l'offre de places, qui a fortement diminué, n'est pas équivalente à ce qu'elle était auparavant avec les trains Corail ; les rames sont saturées ; il n'est pas possible d'obtenir un billet avant plusieurs jours. Les chefs d'entreprise, par exemple, ne peuvent se rendre à des réunions ou à des entrevues de dernière minute. Auparavant, ils pouvaient faire le voyage en trois heures ; maintenant, ils ne le peuvent plus du tout.
M. Pierre André. Il n'y a qu'à mettre des chevaux !
Mme Gisèle Printz. À cela s'ajoutent des retards fréquents, de nouvelles grilles horaires inadaptées, un coût des billets exorbitant et d'autres désagréments dont la presse régionale se fait quotidiennement l'écho.
L'exemple suivant est particulièrement significatif. Un retraité devant prendre un avion à Paris rate son TGV en gare de Metz en raison des embouteillages. « Ce n'est pas grave, se dit-il, je prendrai le prochain. Mon avion part demain, j'ai le temps. » On lui répond qu'il n'y a plus de places dans le prochain TGV. « Eh bien donnez-moi une place en train Corail ! » On lui indique que les trains Corail ont été supprimés. Il décide alors de prendre l'avion, mais apprend que les vols pour Paris ont malheureusement été supprimés eux aussi depuis la mise en service du TGV. On lui conseille enfin de se rendre au Luxembourg, tout proche, et c'est finalement là qu'il peut prendre un vol pour Paris. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Cette histoire paraît incroyable. Pourtant, c'est la réalité. Malgré cela, aucune voix gouvernementale ne s'élève pour demander un service normal et suffisant dans le TGV. La direction de la SNCF se satisfait « du succès commercial, opérationnel et technique » du TGV Est-européen. Pour elle, les difficultés rencontrées par les usagers ne sont que passagères. Elle précise qu'à « la rentrée de septembre, avec la fin des opérations de promotion et les rames supplémentaires à Nancy, Metz et Strasbourg, tout rentrera dans l'ordre. »
Cette réflexion me laisse très perplexe.
M. Philippe Leroy. Hors sujet !
M. Pierre André. Il n'est pas étonnant que le parti socialiste n'ait plus d'électeurs !
Mme Gisèle Printz. Tout d'abord, nous n'avons aucune garantie que tout rentrera dans l'ordre au début du mois de septembre. Ensuite, admettrait-on, s'il s'agissait d'une grève, que pareille situation dure trois mois ? Certainement pas ! En fait, les désagréments des usagers préoccupent le Gouvernement quand ils sont liés à une grève, c'est-à-dire dans 1 % des cas. Le reste du temps, il ne s'en soucie guère. En attendant, ce sont les agents de la SNCF qui subissent le mécontentement des voyageurs.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, si la loi impose à chaque gréviste de déclarer individuellement son intention de faire grève quarante-huit heures avant le jour prévu, ce n'est pas vraiment par respect pour l'usager. Comme je vous l'ai dit en commission des affaires sociales, c'est une bonne chose que d'informer l'usager. Mais vous savez très bien que les directions des entreprises de transport public disposent de nombreux indicateurs et outils pour organiser les plans de transport en temps de grève et pour optimiser les ressources disponibles sans être obligées d'en passer par de nouvelles contraintes dont le seul objectif est la restriction de l'exercice du droit de grève.
En effet, cette mesure va tout d'abord à l'encontre du principe du préavis collectif qui doit être déposé par une organisation syndicale représentative afin de protéger les salariés et de leur permettre de défendre leurs revendications.
Il faut aussi rappeler que, si les délégués syndicaux bénéficient d'une protection spécifique en cas de menace de licenciement, tel n'est pas le cas des autres salariés.
Ensuite, monsieur le ministre, avec cette mesure appliquée sans discernement à toutes les entreprises quelles que soient leur taille et l'organisation de leur réseau, vous ouvrez la porte aux pressions multiples et au harcèlement des salariés par leur hiérarchie, notamment dans les petites entreprises. Cette pression est renforcée par la menace d'une sanction disciplinaire. C'est inacceptable ! Vous vous êtes déclaré prêt à apporter des garanties contre les pressions des employeurs ;...
M. Guy Fischer. Paroles, paroles...
Mme Gisèle Printz. ...nous souhaiterions les connaître.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Ils ne l'ont pas bien lu !
Mme Gisèle Printz. Ce n'est pas bien explicité !
Mme Gisèle Printz. Enfin, ce délai de quarante-huit heures risque d'engendrer un abondant contentieux, compte tenu de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a jugé, dans son arrêt Air France du 22 novembre 2005, qu'il ne peut être imposé à un salarié d'indiquer à son employeur, avant le déclenchement de la grève, qu'il participera au mouvement.
Mme Gisèle Printz. Concernant la possibilité donnée à l'entreprise d'organiser une consultation à bulletins secrets au bout de huit jours de conflit, nous estimons qu'elle constitue une deuxième atteinte au droit de grève. Elle a en effet pour objet de diviser les salariés entre eux, ce qui entraînera une détérioration du climat social dans les entreprises, dont l'usager, à coup sûr, ne sortira pas gagnant.
C'est au contraire en responsabilisant les entreprises sur la qualité de la relation entre la hiérarchie et les salariés que celles-ci seront le mieux à même d'assurer le meilleur service possible aux voyageurs.
De plus, une telle consultation est à notre avis parfaitement inutile puisqu'elle ne pourra empêcher une partie des salariés, même minoritaire, d'exercer librement son droit de grève.
Avec ces deux mesures, le rôle des organisations syndicales est remis en cause, ce qui est en parfaite contradiction avec la volonté de dialogue social affichée dans le premier volet du texte. Cette volonté est louable, car la négociation doit être encouragée et systématisée. En cela, la RATP, avec le système d'alerte sociale, peut être qualifiée d'exemplaire. Malheureusement, monsieur le ministre, le titre iii de votre projet de loi tend à éclipser cette volonté. La sanction et l'entrave à l'expression des salariés ont clairement pris le pas sur le fondamental.
Par ailleurs, l'article 9 rappelle le principe du non-paiement des jours de grève. D'une part, ce rappel est superfétatoire dans la mesure où ce non-paiement est déjà fixé par la loi. D'autre part, il sème le doute et la suspicion envers les salariés grévistes en insinuant qu'ils étaient jusqu'à présent payés. Nous n'approuvons pas ces méthodes. Ce n'est pas par la provocation que l'on fera avancer le dialogue social ! Nous demandons par conséquent la suppression de cet article.
Enfin, il est regrettable que les origines de la conflictualité dans une entreprise ne soient jamais évoquées, et encore moins la recherche d'un quelconque remède pour attaquer le mal à la racine. C'est la preuve que la volonté est non pas de soigner, mais de dissimuler derrière des mesures coercitives les carences du dialogue social en France.
En conclusion, monsieur le ministre, il nous paraît indispensable de favoriser le dialogue et la négociation constructive dans l'entreprise ; mais nous pensons aussi que la grève demeure - ne vous en déplaise - un droit constitutionnel auquel nous sommes profondément attachés.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Nous sommes bien d'accord !
Mme Gisèle Printz. Elle doit être l'ultime moyen de résoudre un conflit, mais elle est - et je le dis pour l'avoir vécu en tant que syndicaliste - le tout dernier recours des salariés pour faire aboutir leurs revendications et pour faire respecter leurs droits et leur dignité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Hubert Haenel.
M. Hubert Haenel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord féliciter le président de la commission spéciale, Charles Revet, ainsi que le rapporteur, Catherine Procaccia, de l'excellent travail qui a été réalisé sous leur houlette.
Mon intervention se fonde sur mon expérience d'administrateur de la SNCF depuis douze ans, de vice-président chargé des transports - et notamment du TER - au conseil régional d'Alsace, et de voyageur. Elle s'appuie aussi sur les courriers et les doléances que vous et moi, mes chers collègues, pouvons recevoir comme maire, comme sénateur, ou comme conseiller régional.
Le sujet dont nous débattons aujourd'hui a déjà fait couler beaucoup d'encre, sous des appellations diverses : service minimum, service garanti, aujourd'hui continuité du service public. Le temps est venu de cesser de tourner en rond.
Il est heureux, monsieur le ministre, que le Gouvernement, comme le Président de la République s'y était engagé durant la campagne présidentielle, ait pris l'initiative de rechercher une solution à ce problème récurrent.
Comment faire en sorte que les transports terrestres de voyageurs, lorsqu'ils présentent le caractère de services publics, continuent d'être assurés même lorsque s'expriment des revendications sociales fortes des personnels qui les exploitent ?
Le projet de loi qui nous est proposé par le Gouvernement est un texte raisonnable. Il devra être appliqué par les uns et les autres de manière raisonnable. Le moment venu, comme le suggère la commission spéciale, il faudra dresser un bilan et en tirer toutes les conséquences.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Tout à fait ! C'est très important !
M. Hubert Haenel. L'objectif de ce texte est de permettre l'organisation d'un service réduit, mais garanti, correspondant aux priorités de déplacement lorsque s'exerce le droit de grève des personnels qui assurent ce service.
La condition indispensable à la réalisation de cet objectif est la prévisibilité du nombre de personnes qui entendent utiliser ce droit : seule la juste anticipation du nombre de ceux qui ne travailleront pas - et, par différence, de ceux qui travailleront - le ou les jours de grève permet d'organiser un plan de transport - certes réduit, mais garanti - et d'informer les usagers de la consistance de ce plan.
C'est la raison pour laquelle la disposition essentielle de ce projet de loi est à mes yeux l'article 5, qui dispose que « pour permettre à l'entreprise d'établir et de rendre public le niveau de service assuré en cas de grève, les salariés [...] dont la présence détermine directement l'offre de service informent, au plus tard quarante-huit heures avant le début de la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention de participer à celle-ci ».
Cette disposition est en effet la condition nécessaire à la mise en place d'un plan de transport adapté et à l'information des usagers. Instruit par l'expérience, et parce qu'il n'est pas toujours si simple de « savoir terminer une grève » - mes collèges communistes, tout comme leurs camarades de la CGT, qui savent que je ne suis pas sectaire, ne seront pas étonnés de m'entendre citer Maurice Thorez (Murmures sur les travées de l'UMP. -Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) -, il me semble que la nouvelle disposition essentielle de ce texte est son article 6, qui prévoit la possibilité d'organiser une consultation sur la poursuite du mouvement au-delà de huit jours de grève. Le secret du vote permettra en effet à chacun de se prononcer « en son âme et conscience ».
M. Jean Desessard. Ce n'est pas ce qu'a dit Thorez ! (Sourires.)
M. Hubert Haenel. Vous vous étonnerez peut-être, mes chers collègues, que je n'aie pas parlé du dialogue social : si j'ai omis de l'évoquer, c'est parce qu'il devrait aller de soi et que, s'il fonctionnait correctement, nous ne serions pas obligés de légiférer aujourd'hui. Je suis un fervent partisan du dialogue social, que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de pratiquer dans ma région ; mais force est de constater que, lorsqu'il ne fonctionne pas, une autre solution doit être trouvée.
M. Henri de Richemont. Bravo !
M. Hubert Haenel. À ce propos, il me paraît d'ailleurs essentiel que le dispositif que nous mettons en place aujourd'hui aboutisse et soit respecté par les différentes parties.
Et que l'on n'aille pas me dire que ce dispositif constitue une atteinte insupportable au droit de grève ! Au risque d'être un peu provocateur, je tiens à souligner que le droit de grève n'est pas pour autant un droit absolu qui primerait sur tous les autres droits.
Mme Christiane Hummel. Très bien !
M. José Balarello. Bravo !
M. Hubert Haenel. En matière de droits fondamentaux, il convient en effet de distinguer entre les principes qu'il faut appliquer de manière inconditionnelle et ceux qui peuvent être limités par d'autres préoccupations importantes.
Par exemple, le droit à un procès équitable est un principe qu'il faut appliquer de manière inconditionnelle. Même si la culpabilité nous paraît avérée, même si le crime nous semble barbare, il est de notre devoir à tous d'empêcher le lynchage de l'accusé.
MM. René Beaumont et Henri de Richemont. Bravo !
M. Hubert Haenel. La situation n'est pas la même dans le cas, par exemple, de la liberté d'expression. C'est un principe essentiel, mais dont la portée peut valablement être limitée par d'autres considérations.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. C'est important !
M. Hubert Haenel. Nous considérons tous que la liberté d'expression ne donne pas le droit de diffamer autrui, d'exalter la pédophilie ou d'inciter à la haine raciale. Elle n'est pas un principe d'application inconditionnelle. C'est bien ce qu'énonce l'article XI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, comme l'a rappelé M. Revet : tout citoyen dispose de la liberté d'expression « sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ».
Avec le droit de grève, nous sommes manifestement dans la même situation : il s'agit d'un principe essentiel, mais qui ne s'applique pas de manière inconditionnelle. C'est bien pourquoi le préambule de la Constitution de 1946 précise qu'il s'exerce « dans le cadre des lois qui le réglementent ».
M. Jean Desessard. Vous l'avez dit quinze fois !
M. Hubert Haenel. Saisissez le Conseil constitutionnel, et vous verrez !
Le législateur est donc parfaitement fondé à vouloir concilier le droit de grève avec d'autres préoccupations légitimes. Pour certaines fonctions, il a été conduit à retirer complètement le droit de grève, en raison de l'exigence de continuité de l'État. Dans d'autres cas, il a institué un service minimum.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Tout à fait !
M. Hubert Haenel. Par ailleurs, la législation interdit, je vous le rappelle, certaines formes de grève, en raison soit de leurs modalités, soit de leur objet.
On ne peut donc voir dans le droit de grève un absolu, un principe qui devrait l'emporter sur toute autre considération. Le législateur peut restreindre ce droit, dès lors qu'il le fait pour un motif d'intérêt général indiscutable et que l'atteinte au droit de grève est strictement proportionnée au but visé.
L'instauration d'un service minimum pour les services publics essentiels est apparue, dans de nombreuses démocraties comparables à la nôtre, comme le moyen de concilier les droits des salariés concernés avec les droits des usagers, qui doivent pouvoir compter sur la continuité des services publics.
La continuité appartient en effet, avec l'universalité, à la notion même de service public. Il est paradoxal de prétendre être un défenseur du service public et de s'opposer, dans le même temps, à l'instauration d'un service minimum. Si, réellement, le droit de grève n'a pas à être encadré, c'est que l'on n'est pas en présence d'un service public, puisque la continuité n'est pas essentielle : à ce moment-là, laissons agir le marché !
En réalité, s'opposer au service minimum, c'est s'opposer à la notion même de service public. Et c'est aussi, à mon avis, méconnaître la raison d'être du droit de grève. Celui-ci est un moyen de rétablir l'équilibre entre l'employeur et les salariés. C'est cette notion d'équilibre qui est centrale. Le droit de grève est un élément d'un ensemble de règles destiné à garantir un équilibre entre droits et obligations, pouvoirs et contre-pouvoirs.
Or, où est l'équilibre entre les agents grévistes des services publics et les usagers de ces mêmes services ? Les uns savent bien que la pérennité de leur entreprise et de leur emploi est assurée et qu'ils n'ont pas à craindre une retenue significative sur leur salaire ; les autres, souvent usagers captifs, se voient privés de leur droit d'aller travailler, de se former, ou encore de se soigner, sans qu'ils soient en rien partie au conflit. Le déséquilibre est flagrant.
Le droit de grève est, en son essence, un droit républicain, c'est-à-dire un droit qui rétablit l'égalité. On le détourne de sa finalité quand on en fait un instrument de pression sur les citoyens. L'instauration d'un service minimum est ainsi, dans son principe, un retour à l'égalité républicaine entre toutes les parties prenantes.
Le dialogue social, c'est la recherche en commun d'un juste équilibre entre les préoccupations légitimes qui sont en présence.
On n'avance pas dans le dialogue social par des psychodrames dont les usagers sont les principales victimes. En instaurant un service minimum, non seulement on respecte enfin les usagers, mais on crée les conditions d'un dialogue social pacifié, plus responsable, où la grève est un dernier recours et non pas un exutoire.
Je suis persuadé que ce texte met en place les conditions d'un retour au dialogue et à la raison dans des secteurs où, trop souvent, on a pris l'habitude de faire la grève d'abord et de négocier ensuite.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. C'est vrai !
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Eh oui !
M. Hubert Haenel. Et finalement, c'est la notion même de service public qui se trouvera renforcée et grandie.
Je tenais à vous dire cela du haut de la tribune, avant d'évoquer l'expérience alsacienne, car j'ai entendu tout et n'importe quoi sur le droit de grève !
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Tout à fait !
M. Hubert Haenel. Il est utile que l'on sache que le Sénat est tout à fait capable d'avoir une réflexion approfondie sur le sujet.
La région Alsace a, je le rappelle, anticipé ces évolutions indispensables en signant, dès juillet 2005, un avenant dit « avenant prévisibilité » à sa convention d'exploitation avec la SNCF pour le transport régional de voyageurs, mettant en place un dispositif novateur concernant la prévisibilité du service en cas d'annonce de grève et de période de conflits. Les objectifs de ce dispositif, entré en application au service annuel 2006, visaient bien à inciter au dialogue social et à améliorer la qualité du service à rendre aux usagers en cas de grèves.
Cet accord prévoit notamment une concertation préalable entre la région Alsace et la SNCF pour élaborer, dans le cadre de chaque changement de service, quatre plans de transport pour les dessertes de substitution en cas de conflit. Ces quatre plans correspondent à quatre niveaux d'offre réduits compris, grosso modo, entre 25 % et 66 % du service normal. Les dessertes retenues dans ces différents plans visent à satisfaire les principaux besoins de déplacement, notamment du domicile au travail et du domicile au lieu d'étude, à permettre un retour du trafic à la normale le plus rapidement possible à la suite de la reprise du travail, et, enfin, à proposer des services effectivement réalisables avec un nombre réduit d'agents en service.
Cet accord prévoit également une concertation entre la région Alsace et la SNCF au moment de la détermination de la mise en oeuvre de l'un ou l'autre des plans. C'est ainsi que le service est arrêté à partir des données prévisionnelles du nombre de grévistes attendus. Ce système permet théoriquement de prévenir les risques de surévaluation trop fréquents du conflit par la SNCF. On pourrait aller plus loin, mais la SNCF, craignant toujours des imprévus, fait le minimum par prudence.
L'accord prévoit également un dispositif d'information préalable des voyageurs, notamment par voie d'affichage en gare et dans tous les points d'arrêt - il en existe cent soixante en Alsace -, sur le site internet du TER Alsace, via la centrale régionale d'appel et la presse. Cela permet de savoir vingt-quatre heures à l'avance quels trains fonctionneront et où ils s'arrêteront.
Enfin, un système incitatif sous forme de bonus-malus prévoit des sanctions financières dans les cas où la SNCF ne respecte pas ses engagements et ne parvient pas à assurer le service effectivement annoncé aux voyageurs.
Quelles sont les principales leçons à tirer du conflit de décembre 2006 ? Dix journées de grève en région Alsace. Il y avait longtemps que l'on n'avait pas vu cela !
D'une part, on peut souligner que l'information aux voyageurs est globalement améliorée : la SNCF s'est organisée pour mettre en oeuvre des moyens humains supplémentaires ; le service annoncé est arrêté au plus juste par rapport au service que la SNCF estime effectivement pouvoir mettre en oeuvre.
D'autre part, il faut convenir que l'efficacité de la prévisibilité du service reste fonction de l'évolution du conflit.
La conception des quatre plans que je viens de vous annoncer dénote une réelle amélioration et garantit une plus grande homogénéité de traitement pour l'ensemble du territoire national.
Plus le conflit est syndicalisé et généralisé, plus la prévisibilité du niveau de service est bonne.
En cas de conflit non maîtrisé directement par les organisations syndicales, la prévisibilité est plus difficile à assurer. En décembre 2006, dans ma région, une grève a été amorcée par le terrain.
En cas de forte différenciation du nombre de grévistes d'un dépôt à un autre - cela a été dit tout à l'heure -, la SNCF n'est pas toujours en mesure de mettre en oeuvre un programme homogène à l'échelle de toute la région.
M. Jean Desessard. Ça, c'est certain !
M. Hubert Haenel. Enfin, et d'un point de vue général, le dispositif alsacien, s'il est intéressant et globalement positif, ne permet pas d'assurer un service minimum de transport, le principe étant d'affecter au mieux les moyens humains disponibles, d'obliger la SNCF à s'engager sur un niveau de desserte qui peut être réduit à néant dans le pire des cas, par exemple si tous les conducteurs de train sont grévistes.
Le projet de loi proposé reprend les grandes lignes de ces principes de prévisibilité et en améliore certains points. On peut d'abord attendre de l'obligation de déclaration préalable qu'elle rende plus fiable la prévision de service.
M. Jean Desessard. Pas du tout !
M. Hubert Haenel. On notera ensuite que le texte consolide le rôle et renforce la responsabilité de l'autorité organisatrice de transport dans la définition des priorités de desserte...
M. Jean Desessard. Aucunement !
M. Hubert Haenel. ...et, au sein de ces priorités, celles qui correspondent à un besoin essentiel de la population. Je ferai remarquer au passage que cette mission demandera un fort investissement de chaque autorité organisatrice de transport en termes de concertation avec les usagers.
On peut s'interroger sur le point de savoir si l'entreprise de transport est obligée de mettre en oeuvre le service de transport correspondant aux besoins essentiels de déplacements.
À la lumière de l'expérience alsacienne, des améliorations peuvent à mon avis être apportées à ce texte, en particulier pour donner à l'autorité organisatrice les moyens de décider et de contrôler la mise en oeuvre du plan de transport, de sanctionner financièrement l'entreprise de transport, sans forcément passer par un remboursement des titres de transport déjà fortement subventionnés pour ce qui est du TER. Il s'agit ainsi d'inciter l'entreprise de transport à tout mettre en oeuvre pour éviter ou limiter les impacts des conflits sociaux. Ce sont des éléments qui existent aujourd'hui en partie dans le dispositif alsacien et qui ne sont pas repris dans le projet de loi, d'où des amendements qu'un certain nombre de mes collègues et moi-même avons déposés.
En conclusion, le projet de loi, même s'il est perfectible, peut permettre, moyennant quelques ajustements, de franchir une étape vers une amélioration réelle de la qualité des transports en cas de grève. Faisons confiance aux acteurs du terrain, aux entreprises, aux salariés et même aux organisations syndicales pour nous démontrer que ces dispositions sont suffisantes pour parvenir à des améliorations perçues par nos concitoyens, faute de quoi le législateur se verrait contraint d'intervenir à nouveau. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je qualifierai ce projet de loi de démagogique,...
M. Jean Desessard. ... inefficace (Exclamations sur les travées de l'UMP.) et vaniteux ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. C'est tout ? (Rires sur les mêmes travées.)
M. Jean Desessard. Ce projet de loi est démagogique. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Xavier Bertrand, ministre. Heureusement qu'il vous reste du temps de parole pour vous rattraper !
M. Jean Desessard. Mes chers collègues de la droite, je m'en réfère aux promesses du candidat Nicolas Sarkozy, qui promettait aux électeurs la garantie, pendant les jours de grève dans les transports, de plages horaires de trois heures de service le matin et de trois heures l'après-midi, par la réquisition des grévistes.
M. Jean Desessard. Permettez-moi, par souci d'objectivité, de citer un sénateur de droite, M. Christian Cambon, du groupe de l'UMP,...
Plusieurs sénateurs de l'UMP. Il est là !
M. Jean Desessard. ...qui indiquait à la commission spéciale que l'exigence d'un service minimum de trois heures le matin et de trois heures le soir nécessitait en réalité la présence de 100 % des personnels.
M. Christian Cambon. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la présidente de la SNCF !
M. Jean Desessard. M. Cambon lui-même a donc estimé qu'une telle disposition pourrait porter une atteinte essentielle au droit de grève. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Cornu. C'est faux !
M. François Trucy. Il n'a pas dit cela !
M. Jean Desessard. C'est pourquoi ce projet de loi ne prévoit pas la réquisition des grévistes. (Ah voilà ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est ça, l'ouverture !
M. Jean Desessard. On ne peut que se féliciter de ce retour à la raison et au droit constitutionnel. Cependant, mes chers collègues, cessez de parler de service minimum, comme je l'ai entendu ici.
Mme Gisèle Printz. Cela n'existe pas !
M. Jean Desessard. Il ne s'agit plus de service minimum !
Certes, M. Nicolas Sarkozy revient en arrière, mais le présent texte comporte encore certaines dispositions qui pourraient porter atteinte au droit de grève, notamment la consultation des salariés après huit jours de grève... (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. La démocratie participative !
M. Rémy Pointereau. C'est la démocratie !
M. Jean Desessard. ... et, surtout, le préavis individuel de quarante-huit heures, au nom de la prévisibilité du trafic.
S'agissant de cette dernière disposition, mes chers collègues de droite...
M. Jean-Pierre Raffarin. Et du centre !
M. Jean Desessard. ... et du centre, mais du centre de droite, car, au Sénat, le centre n'a pas encore fait sa mutation - nous aimerions d'ailleurs bien une clarification à cet égard (M. Philippe Nogrix s'exclame.) -...
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout le monde n'a pas la clarté des Verts !
M. Jean Desessard. ...s'agissant de cette disposition, disais-je, si toutefois elle n'est pas invalidée par le Conseil constitutionnel (Mais non ! sur les travées de l'UMP.), les salariés ayant déclaré leur intention de faire grève ne sont pas obligés de la faire s'ils ont obtenu satisfaction entre-temps, puisqu'il s'agit de négociations.
Mme Gisèle Printz. Eh oui !
M. Jean Desessard. À l'inverse, ceux qui n'avaient pas annoncé leur intention de faire grève peuvent très bien, en fonction de l'évolution du conflit, de l'attitude de la direction, décider de se joindre au mouvement.
M. Jean Desessard. Et dans ce cas, la prévisibilité quarante-huit heures à l'avance est quasi-nulle...
M. Jean Desessard. ... puisque le nombre de grévistes peut être plus ou moins important.
Par conséquent, le droit à l'information avec ce préavis de quarante-huit heures est obsolète. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Non, il est souple !
M. Jean Desessard. Vous ne pouvez pas savoir qui fera grève ou non.
Je ne reviendrai pas sur la mesure démagogique se rapportant au paiement des jours de grève. Quelques cas seulement sont concernés, puisque la majorité des jours de grève ne sont pas indemnisés.
M. Gérard Cornu. Heureusement !
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Et à l'éducation nationale ?
M. Jean Desessard. Mais il existe quelques cas où ils sont payés. Pourquoi ? Les chefs d'entreprise de transport que nous avons auditionnés nous ont affirmé que, à la fin du conflit, leur souci était de permettre à leurs salariés d'effectuer correctement leur travail.
M. Henri de Richemont. Eh oui !
M. Jean Desessard. Or l'on connaît les difficultés financières supportées par les salariés à l'issue des grèves longues.
M. Henri de Richemont. Il ne faut pas faire grève !
M. Jean Desessard. C'est pourquoi les chefs d'entreprise eux-mêmes souhaitent cette mesure de paiement des jours de grève, afin de faciliter un retour à la normale en matière de transports à la fin de la grève. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Christian Cambon. Ben voyons !
M. Gérard Cornu. Si on est payé pendant qu'on fait grève...
M. Jean Desessard. Et donc, vous-mêmes, au nom de cette idéologie que vous prônez et qui se résume en ces mots : « Vous avez voulu faire grève ? Eh bien, payez maintenant », vous risquez d'empêcher un retour à la normale à l'issue du conflit. (Protestations sur les mêmes travées. - M. Philippe Arnaud s'exclame.)
C'est paradoxal ! Vous proposez un texte de loi qui sera de nature à créer plus de problèmes à la fin du conflit que s'il n'y avait pas de texte !
M. Jean-Pierre Raffarin. On ne crée pas des problèmes, on donne des solutions !
M. Jean Desessard. Vous êtes la cause du dysfonctionnement ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Et ce qui est significatif du caractère vraiment idéologique de votre raisonnement, mes chers collègues de droite (Et du centre ! sur les travées de l'UMP.), c'est que quasiment tous ceux qui sont intervenus à cette tribune ont dit : « Enfin ! », comme si vous attendiez tous cette loi depuis de nombreuses années. (Eh oui ! sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Philippe Nogrix. Nous aurions même voulu aller plus loin !
M. Jean-Pierre Raffarin. Les usagers l'attendaient !
M. Jean Desessard. Ce projet de loi est inefficace : fondamentalement, il n'améliorera pas l'accès aux transports, parce qu'il se trompe de problème. En effet, comme cela a été dit par mes camarades de gauche (Ah ! sur les travées de l'UMP.) et même par le rapporteur, il y a de moins en moins de grèves à la SNCF et à la RATP, grâce aux procédures de concertation préalable actuelles.
Par exemple, depuis l'accord-cadre à la RATP, qui donne satisfaction aux salariés et à la direction, le nombre de jours de grève a diminué de 90 %.
M. Jean Desessard. Puisque tout va bien, pourquoi faire une loi ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.) Comme cela a été souligné aussi bien par les dirigeants de la RATP et de la SNCF que par les syndicats, cela fonctionne. Dès lors, pourquoi changer ce qui marche, monsieur le ministre ?
M. Jean Desessard. Je sais que vous récompensez les dirigeants d'entreprise qui ne réussissent pas (Protestations sur les travées de l'UMP. -Mme Gisèle Printz applaudit.) ; mais reprenez les choses qui fonctionnent ! Cessez de récompensez les dirigeants d'entreprise qui ne parviennent pas à gérer leur entreprise ! (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
Comme Mme le rapporteur elle-même l'admet, M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP, a évoqué une « entreprise aujourd'hui apaisée », faisant valoir un taux de conflictualité de seulement 0,4 jour de grève par agent et par an. Il a ajouté que le nombre de préavis de grève était passé de huit cents par an dans les années quatre-vingt à environ cent soixante par an en 2006.
Pour la SNCF, Anne-Marie Idrac a souligné que, en 2006 le nombre de journées perdues par agent avait été inférieur à 0,8. De son côté, le secrétaire général de la fédération nationale des transporteurs de voyageurs, Serge Nossovitch, a reconnu l'extrême rareté des conflits sociaux dans le domaine des transports interurbains.
M. Jean-Pierre Raffarin. Tout va bien !
M. Jean Desessard. Eh oui ! La situation s'est améliorée. Et même en cas de grève, la paralysie totale est rare.
M. Pierre André. C'est bon pour le Gouvernement !
M. Jean-Pierre Raffarin. Voilà le résultat de cinq ans de bon gouvernement !
M. Jean Desessard. À la SNCF, d'après Mme Idrac, « les trafics ont été assurés, lors des conflits de 2005, à hauteur d'environ 50 % en Île-de-France et entre 33 et 50 % pour les TER ». Faut-il un projet de loi pour un jour de grève par an et par salarié ?
M. Philippe Nogrix. Mais cela fait beaucoup !
M. Jean Desessard. Une telle situation mérite-t-elle réellement un examen par le Sénat et par l'Assemblée nationale ? (Oui ! sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Votre « oui » relève de l'idéologie ! (Rires sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean Desessard. J'y reviendrai à la fin de mon intervention, mais je maintiens que c'est idéologique ! D'autant plus que de nombreuses grèves ne pourront pas être empêchées par une procédure de dialogue social.
Je pense à celles qui sont liées à une actualité sociale nationale, comme les protestations contre le contrat première embauche, ou CPE. Je rappelais d'ailleurs tout à l'heure à la commission spéciale que, si vous aviez écouté la gauche, ...
M. Pierre André. Nous n'aurions pas eu Sarkozy !
M. Jean Desessard. ... vous n'auriez pas paralysé le pays pendant quinze jours ! Si vous aviez repris nos amendements sur ce sujet, il n'y aurait pas eu de grève générale ! Par conséquent, le dialogue social, ça commence ici ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Je pense aussi aux grèves dites « émotives », après l'agression, par exemple, d'un employé. Cela a été dit ici, même par des collègues de droite. (Mme Christiane Hummel s'exclame.) Si un salarié est agressé, vous pourrez élaborer toutes les lois imaginables, dire tout ce que vous voulez, le ministre pourra se déplacer autant qu'il le souhaite, vous ne pourrez pas empêcher le personnel de faire grève ! En effet, dans de tels cas, les personnels ont peur et souhaitent que de telles agressions cessent. À ce moment-là, les voyageurs qui ont été véhiculés le matin ne pourront pas rentrer chez eux le soir.
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Et velib' ?
M. Jean Desessard. Par conséquent, nombre de grèves ne rentrent pas dans le cadre que vous avez fixé, et le présent projet de loi ne changera rien à cette situation.
Le texte prévoit, dans l'un de ses articles, un plan d'urgence pour définir les lignes prioritaires. À cet égard, monsieur Cambon, vous avez dénoncé l'attitude de M. Huchon,...
Mme Christiane Hummel. Il a raison !
M. Jean Desessard. ... mais je vois mal comment ce plan peut se mettre en place en région parisienne.
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, nous en reparlerons dans un an.
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, lorsque nous avions dénoncé ici la loi sur l'eau, on nous avait dit que tout allait bien. Or, je m'aperçois qu'il sera question du problème de l'eau au Grenelle de l'environnement, parce que la situation actuelle n'est pas satisfaisante ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Dès lors, on peut toujours discuter, mais il conviendrait qu'un jour la présidence du Sénat dresse un bilan des lois votées par ce dernier...
M. Henri de Richemont. Il y en a trop !
M. Jean Desessard. ...et des lois remises sur le métier quelques années après leur adoption.
M. le président. Mon cher collègue, revenez-en à votre intervention.
M. Jean Desessard. Je reviens au plan d'urgence, monsieur le président.
Alors que les correspondances font l'objet de nombreux arbitrages en Île-de-France, comment négocier un plan de dépannage avec 20 %, 50 %, 70 % de grévistes ?
Certains proposent, pour les jours de grève, de déplacer le personnel d'une ligne à l'autre, ou encore de remplacer des rames simples par des rames à deux étages.
M. Jean Desessard. Si vous croyez que c'est facile, monsieur le ministre ! J'aimerais voir à l'oeuvre ceux qui ont l'habitude de jouer au chemin de fer dans leur salon ou dans leur ministère. (Rires.)
M. Jean-Pierre Raffarin. C'est mieux que de faire du vélo !
M. Jean Desessard. La complexité actuelle du réseau ne permet pas une telle réactivité.
Et, à ce propos, ma collègue Bariza Khiari, sénatrice socialiste de Paris, et moi-même, sénateur Vert de Paris, nous nous inscrivons en faux contre les déclarations de M. Dominati, qui souhaite un service maximum des transports diversifiés à Paris. Or, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, et son adjoint aux transports, Denis Baupin,... (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
Un sénateur de l'UMP. Un socialiste et un Vert !
M. Jean Desessard. ...tendent vers ce service maximum, avec le tramway, le métro, le bus, les circulations douces,...
M. Henri de Richemont. Et les vélos !
M. Jean Desessard. ...et désormais les vélos ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
D'ailleurs, s'agissant du vélo, je suis d'accord avec vous, ce n'est pas Paris qui en a la primeur, mais Lyon. Mais Lyon et Paris sont tout de même des municipalités respectivement socialiste et Verte ! À droite, on attend, on verra !
M. Jean-Pierre Raffarin. Les vélos, c'est Michel Crépeau, radical de gauche, qui les a mis en circulation à La Rochelle ! Rendez à Crépeau ce qui est à Crépeau !
M. Jean Desessard. Nous sommes sur la bonne voie à Paris et en Île-de-France, et nous aurions pu l'être également sur le plan national, s'il n'y avait pas eu de mauvais résultats dernièrement. Mais nous y reviendrons !
Ce projet de loi est vaniteux. Bien sûr, je reconnais les problèmes posés par la grève (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.) Mais oui ! Il m'arrive d'être coincé et serré comme une sardine dans la foule des voyageurs !
M. Jean Desessard. Bien sûr, je suis concerné par les retards, les annulations de trains, les dérangements perpétuels. (Ah ! sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Pour prendre régulièrement le train ou le RER, j'en sais quelque chose ! Je sais d'ailleurs que certains sénateurs et sénatrices utilisent ces moyens de transport. Tant mieux ! (M. Henri de Richemont s'exclame.)
M. Georges Gruillot. Nous aussi, nous avons une carte d'abonnement !
M. Jean Desessard. Et nous savons tous que les choses ne sont pas parfaites.
Mais un autre point est à souligner dans cette analyse des dysfonctionnements. Aujourd'hui, dans notre société, on ne supporte plus les frustrations, la moindre difficulté ; la tendance est à la consommation, pour avoir tout, tout de suite.
Et c'est là que réside la vanité de votre projet de loi, monsieur le ministre.
Croyez-vous que, avec les problèmes écologiques à venir, tout ira comme sur des roulettes, tout s'améliorera ? Les aléas climatiques empêcheront de nombreux déplacements tant régionaux que nationaux. L'éloignement entre le domicile et le lieu de travail entraînera une multiplication des embouteillages, des bouchons, accroîtra les frustrations.
M. Gérard Cornu. Ne soyez pas si pessimiste !
M. Jean Desessard. Nous vivons dans une société inégalitaire. Je serais curieux de connaître le pourcentage de dysfonctionnements liés aux incivilités, aux passagers se promenant sur les voies, aux agressions, aux suicides.
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous ne voyez pas l'avenir en rose ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean Desessard. Cela, ce n'est pas un projet de loi qui va le résoudre.
Puisque l'on constate une diminution de 90 % des grèves dans les transports parisiens, ne vaudrait-il pas mieux augmenter les effectifs pour prévenir des situations comme celles qui se sont produites voilà quelques semaines, à savoir des usagers du service public - je parle à dessein d'« usagers » et non de « clients », car le terme « usagers » fait référence au service public -...
M. Jean Desessard. ... qui sont restés bloqués toute une nuit sur un quai de gare, sans voir un seul membre du personnel venir les informer ? Ce n'était pourtant pas une grève ! (Vives exclamations sur les travées de l'UMP.)
Avez-vous pris des dispositions à cet égard, monsieur le ministre ?
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Desessard !
M. Jean Desessard. Je vais le faire, monsieur le président.
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Non, non, continuez !
M. Éric Doligé. Encore un peu, monsieur le bourreau !
M. Jean Desessard. Sans doute allez-vous dire, monsieur le ministre : Jean Desessard s'est livré à une formidable analyse, en reprochant au projet de loi d'être vaniteux, démagogique et inefficace, mais qu'est-ce qu'il propose ?
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Rien !
M. Gérard Cornu. Des vélos !
M. Jean Desessard. Eh bien, si ! Nous proposons quelque chose :...
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Généraliser les vélos !
M. Jean Desessard.... un changement de politique. (Ah ! sur les travées de l'UMP.) C'est pour cette raison que je suis intervenu à plusieurs reprises sur l'aspect idéologique de ce débat.
J'ai un autre projet de société à proposer...
M. Jean Desessard. J'estime que notre mentalité doit changer. Je refuse la politique des flux tendus dans les sociétés de transport, l'obligation constante d'aller vite, sans stocks, sans réserves, sans prévisions...
De toute façon, mes chers collègues, il y aura des contraintes environnementales, sociales, et il nous faudra bien vivre avec.
M. Jean Desessard. Les salariés ne peuvent être en état de stress permanent, comme si le moindre retard d'une heure ou d'une journée pouvait mettre l'entreprise en faillite et le pays à feu et à sang !
Nous devons réfléchir à un autre modèle que le modèle productiviste selon lequel il faut toujours faire plus et plus vite. Nous avons les moyens de vivre autrement.
Mes chers collègues, je vous ai entendu parler du dialogue social. Mais, au cours de ces dernières années, n'avez-vous pas eu l'impression que les patrons abusaient ? N'avez-vous pas l'impression que les profits ont augmenté pour les plus riches ?
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n'est pas idéologique, ça !
M. Jean Desessard. N'avez-vous pas l'impression que la vie est plus dure pour ceux qui gagnent le moins ou pour ceux qui n'ont pas de travail ?
Eh bien, messieurs, cela s'appelle le capitalisme ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.)
Eh oui, cela existe, mais on semble le découvrir !
M. Pierre André. Les Français ont répondu dans les urnes !
M. Jean Desessard. Et la lutte contre le capitalisme, c'est le mouvement social, c'est le droit de grève, qui n'est pas simplement l'ultime recours, mais le moyen de se défendre contre un système qui opprime.
M. Henri de Richemont. Et cela mène à quoi ?
M. Jean Desessard. Mes chers collègues, derrière ce projet de loi sans grand intérêt, que le Gouvernement sera incapable de faire appliquer mais qui jettera de la poudre aux yeux pendant quelques mois, se cache, en fait, une différence d'idéologie entre, d'une part, ceux qui veulent réprimer les travailleurs, en pensant qu'il faut toujours aller plus vite et restreindre les droits des plus pauvres et, d'autre part, ceux qui souhaitent un développement harmonieux, un autre modèle, de notre société. (M. Henri de Richemont s'exclame.)
C'est donc un conflit idéologique qui nous oppose et, dans ces conditions, vous comprendrez, monsieur le ministre, que - quels que soient les amendements que vous accepterez, lesquels, je crois, ne seront d'ailleurs pas nombreux -...
M. Jean Desessard.... les sénatrices et le sénateur Verts votent contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai bien peur que mon intervention paraisse bien fade après celle de M. Desessard. (Sourires.) Zola aurait-il fait mieux ?
Alors qu'il nous est souvent reproché de travailler sur des textes trop éloignés des préoccupations de nos administrés, l'occasion nous est donnée aujourd'hui, monsieur le ministre, de toucher des millions de nos concitoyens au coeur de leur vie quotidienne.
L'intérêt que présente la mise en place d'un service minimum dans les transports n'est évidemment plus à démontrer, puisqu'elle répond simplement au souhait de près des trois quarts de nos administrés, qui se déclarent aujourd'hui favorables à la mise en place d'un tel service en cas de grève.
De plus, il s'agit d'un engagement majeur pris lors de la campagne présidentielle, et les Français ne s'y sont pas trompés.
Monsieur le ministre, nos concitoyens ont besoin de prévisibilité et ils attendent de leurs transports publics, notamment aux heures de pointe, un service fiable et de qualité qui leur permette de se rendre sur leur lieu de travail et d'en revenir dans des conditions normales et raisonnables, en particulier dans les grandes agglomérations.
Cette exigence légitime n'est pas à opposer à l'attachement des Français et au service public, d'une part, et au droit de grève, d'autre part. Il n'est aucunement question ici de remettre en cause une utilité indiscutable qui trouve sa raison d'être et sa légitimité dans la satisfaction d'un besoin d'intérêt général au bénéfice du plus grand nombre.
Au contraire, il nous est offert de poursuivre les efforts déjà accomplis pour renforcer le dialogue social, généraliser la prévention des conflits et mieux informer les usagers en cas de grève ; vous avez largement développé ce point, monsieur le ministre, lors de votre audition par la commission spéciale.
En effet, même si les accords antérieurs marquent indéniablement une amélioration, ils ne sont pas encore suffisamment adaptés aux besoins des usagers d'aujourd'hui.
Le véritable enjeu est donc d'offrir, tout en répondant aux exigences du dialogue social et de la négociation, dans le respect du droit de grève, un service minimum dans les transports qui garantisse à chacun d'entre nous la liberté de se déplacer et celle d'aller travailler.
Nous ne pouvons que nous féliciter d'un texte qui va dans ce sens en ce qu'il prévoit une démarche anticipative, pragmatique, fondée sur le dialogue et la concertation et qui fait appel au sens des responsabilités de chacun. Je voudrais, à cet égard, saluer l'excellente qualité du travail de Mme le rapporteur et du président de la commission spéciale.
Il est primordial de respecter l'ordre des choses et de laisser ainsi le temps nécessaire à la négociation. C'est, à mon sens, une question de respect envers chacun.
Les accords internes, fondés sur la négociation avec les différents partenaires et destinés à mettre en place un système efficace d'alerte sociale, sont évidemment prioritaires. Cependant, en cas d'échec, n'est-il pas du rôle de l'État de prendre ses responsabilités et d'anticiper un système permettant d'assurer la continuité du service public ?
Pour ce faire, il nous faut identifier précisément les besoins de la population, car nous devons pouvoir offrir aux usagers un service minimum sur mesure et garanti.
C'est pourquoi je suis un fervent défenseur d'une détermination des besoins à l'échelle territoriale, principe qui n'étonnera personne venant d'un membre d'une assemblée représentant les territoires. Ne plafonnons pas le sens des responsabilités et n'uniformisons pas les besoins de la population.
Je souhaite, par ailleurs, souligner l'importance donnée à la communication en direction des usagers de manière précise, juste et fiable. À cet égard, le délai de préavis de quarante-huit heures doit être perçu non pas comme une offense au droit de grève, mais simplement comme une considération légitime à l'endroit des usagers.
En conclusion, monsieur le ministre, je tiens à saluer la recherche permanente d'équilibre inhérente à ce texte. Entre volonté de concertation et prise de responsabilité, c'est le respect de la mission de service public qui y gagne ; on vous reconnaît bien là, monsieur le ministre ! Il ne s'agit pas d'un texte coercitif mais simplement d'une « boîte à outils démocratique » constituée de leviers permettant d'assurer un service minimum essentiel, c'est-à-dire de qualité.
Je ne doute pas que nous saurons faire aussi bien que nos voisins des grands pays de l'Union européenne qui, dans un climat de dialogue et de responsabilité, ont, pour la plupart, réussi à faire coexister droit de grève et service minimum dans les services publics.
Françoise Giroud disait : « C'est un drôle de pays, la France, où les négociations ont toujours lieu après le déclenchement des grèves et non avant ». Nous avons bien compris le message et nous avons la volonté de remettre les choses dans le bon ordre et dans le bon sens.
Nous devons oeuvrer collectivement, dans un esprit d'équipe, pour un service public donnant la priorité à l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, étant le dix-septième et dernier intervenant, je ne suis pas sûr de pouvoir apporter une quelconque plus-value à ce vieux débat que nous reprenons aujourd'hui. Tout a été dit et l'on arrive trop tard, disaient déjà les Anciens.
Je souhaiterais cependant, monsieur le ministre, vous faire part de mon sentiment immédiat sur le texte que vous nous proposez et vous dire d'emblée que ce dernier soulève, à mon avis, beaucoup plus de questions qu'il ne prétend en résoudre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Tout d'abord, je tiens à vous redire, monsieur le ministre, que l'objet de mes réserves ne porte absolument pas sur l'idée de vouloir assurer dans toute la mesure possible la continuité des services publics de transport. Je crois même pouvoir dire que personne ici - en tout cas, je n'en ai pas eu d'écho - ne s'est déclaré contre ce principe.
Dans le même esprit, il y a lieu de se réjouir de ce que le Gouvernement place la concertation au coeur des relations sociales. À l'heure où les autorités politiques prennent enfin la mesure de la nécessité de développer les modes de transports alternatifs à la voiture dans les agglomérations par l'amélioration de la qualité des transports collectifs, la négociation constitue la voie que doivent privilégier tous les acteurs des transports publics.
De ce point de vue, je souhaite naturellement, comme vous-même, monsieur le ministre, que la France s'engage pleinement dans cette voie, comme c'est le cas en Allemagne ainsi que dans les pays scandinaves, où la grève ne constitue que l'ultime recours et non un mode normal de gestion des conflits sociaux.
Si je me réjouis donc pleinement de voir le Gouvernement promouvoir le dialogue social, il m'est toutefois difficile de vous suivre, monsieur le ministre, sur le sens que vous entendez donner concrètement à cette notion.
En effet, se pose la question de la méthode et des moyens utilisés pour parvenir à cette fin. Or, sur ces points, le projet de loi que vous nous soumettez montre clairement qu'ils ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Je ne puis tout d'abord que regretter la forme très polémique que prennent certaines orientations de votre projet de loi. Cela a déjà été dit, mais je tiens à le redire fortement : quel peut être l'intérêt de ce fameux article 9, sinon de désigner à la vindicte de l'opinion les salariés des transports ? Qui pourrait aujourd'hui prétendre sérieusement que ceux-ci sont payés lorsqu'ils ont décidé de se mettre en grève ?
Monsieur le ministre, au cours des douze années pendant lesquelles j'ai présidé la Compagnie des transports strasbourgeois, pas une seule fois, les salariés n'ont été payés pour leurs journées de grève et, pas une seule fois, les syndicats ne sont venus négocier le paiement de ces jours de grève. Cette règle, édictée dès le départ, n'a souffert, je le répète, aucune exception pendant ces douze années.
En outre, sur le plan du droit, cet article ne comporte aucune disposition nouvelle : il ne fait que reprendre les dispositions du code du travail. Dès lors, cette approche ne me semble absolument pas de nature à promouvoir l'esprit de dialogue et de concertation que vous prétendez privilégier par ailleurs à travers ce projet de loi.
Sur ce point, les représentants des organisations syndicales que nous avons auditionnés ont été unanimes, Mme le rapporteur pourra le confirmer. Il serait donc, selon moi, grandement souhaitable de retirer cet article 9, inutile sur le fond et, à certains égards, provocateur sur la forme.
Plus fondamentalement, il y a de quoi s'interroger sur un projet de loi qui prétend promouvoir la concertation, mais qui, dans ses formulations, la met sous étroite surveillance.
Vous savez bien que, dès aujourd'hui, les efforts accomplis par les élus, les syndicats et les représentants des entreprises ont souvent abouti à prévenir les conflits, dont le nombre s'est considérablement réduit au fil des ans.
L'encadrement que vous prévoyez du dialogue entre les partenaires sociaux et surtout le calendrier de la négociation collective avec l'objectif du 1er janvier 2008 me paraissent totalement contradictoires avec la sérénité nécessaire pour établir l'indispensable climat de confiance que présuppose tout dialogue social efficace.
Je note, par ailleurs - et cela me paraît essentiel -, que, dans votre projet de loi, la confusion est permanente entre la notion, non affirmée explicitement mais présente en filigrane, de service minimum et la notion de prévisibilité du service. Autant, en ce qui me concerne, je suis favorable à une amélioration de la prévisibilité afin d'informer à l'avance, dans la mesure du possible, les voyageurs, autant j'estime très dangereux, monsieur le ministre, de prévoir un niveau de service fondé sur la définition d'un « plan de transport adapté ».
Informer les usagers de l'offre qui sera mise à leur service et négocier avec les organisations syndicales le mécanisme de prévisibilité va, pour l'ancien président d'une société de transport que je suis, dans le bon sens.
M. Roland Ries. En revanche, demander à l'opérateur de proposer « un plan de transport adapté » qui « indique les niveaux de service », comme le prévoit l'article 4 du projet de loi, semble impossible à appliquer si l'opérateur ne dispose pas de la faculté de réquisitionner du personnel dans certains cas.
M. Roland Ries. J'y viendrai, monsieur le ministre.
Or cette perspective n'apparaît pas dans ce projet de loi parce que, vous le savez, elle susciterait une forte hostilité de la part des organisations syndicales dans la mesure où, à l'évidence, elle porterait atteinte au droit individuel de faire grève, droit inscrit dans la Constitution.
C'est la raison d'être des formulations ambiguës de votre texte. En effet, peut-on m'expliquer - et cela vaut également pour l'Alsace - comment l'opérateur pourra assurer un service minimum lorsque ses services comptent, par exemple, 100 % de grévistes sans recourir à la réquisition des personnels ou, pire, à des entreprises sous-traitantes ?
J'ignore comment on pourra faire face à une telle situation ! En tout cas, en Alsace, nous n'avons rien prévu pour le cas où il n'existerait aucune offre de transports, 100 % des personnels se trouvant en grève.
M. Roland Ries. Elle peut se produire !
M. Roland Ries. Dieu merci, de tels cas sont de plus en plus rares, mais je peux vous assurer que c'est ce qui s'est produit à la CTS, la compagnie des transports strasbourgeois, où 100 % des agents se sont mis en grève : aucun bus ni tramway ne circulait ; je peux vous donner les chiffres précis, monsieur le ministre.
Comment fait-on, dans un tel cas de figure, pour garantir un service minimum de 25 %, 30 % ou 35 % ? C'est impossible.
M. Roland Ries. Au cours de l'examen des articles, je présenterai donc un amendement visant à déterminer le niveau de service en tenant compte, à chaque fois, des taux de participation à la grève.
Sur ce point, monsieur le ministre, je ne fais d'ailleurs que reprendre les orientations figurant dans la charte pour une prévisibilité du service public de transport en période de perturbations, élaborée conjointement par votre prédécesseur, M. Dominique Perben, par M. Michel Destot, le président du GART, le groupement des autorités responsables de transports publics, et par M. Jean Sivardiere, le président de la FNAUT, la fédération nationale des associations d'usagers des transports, et cosignée par une vingtaine d'agglomérations importantes.
M. Roland Ries. Oui, sur ce point.
M. Roland Ries. Sur la charte pour une prévisibilité du service public de transport en période de perturbations qui, je le répète, a été élaborée l'année dernière conjointement par le ministère des transports, le GART et la FNAUT, et cosignée par une vingtaine d'agglomérations.
Enfin, monsieur le ministre, les définitions des priorités de desserte censées, aux termes de l'article 4 du projet de loi, « permettre, notamment, les déplacements quotidiens de la population en cas de grève ou d'autres perturbations prévisibles du trafic » poseront, nous le savons, de redoutables questions. En effet, et je n'entre pas dans les détails de ce problème, comment définir des priorités dans un service déjà souvent insuffisant ?
Vous l'avez compris, monsieur le ministre, le projet de loi que vous nous soumettez soulève de très nombreuses questions. Loin de calmer le jeu dans les entreprises de transport, il risque, au contraire, d'attiser les inquiétudes. Michel Destot, le président du GART, le soulignait dans l'introduction à la charte que j'évoquais tout à l'heure : « C'est au niveau local que résident les voies d'amélioration du service rendu à l'usager et non au travers d'interventions législatives ou réglementaires, quelles qu'elles soient ». On ne saurait mieux dire !
C'est pourquoi, monsieur le ministre, j'émets, en mon nom propre comme en celui de mon groupe, les plus expresses réserves quant au présent projet de loi, même si on peut louer votre intention de privilégier le dialogue et la négociation au sein des entreprises.
En réalité, ce projet de loi constitue pour l'essentiel un texte d'affichage politique, à haute valeur symbolique selon vous, mais qui, au quotidien, dans les réseaux de transports, créera plus de problèmes qu'il n'apportera de solutions. C'est la raison pour laquelle nous ne le voterons pas en l'état. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, certains sur ces travées ont qualifié ce texte d'inutile.
M. Jean Desessard. En effet !
M. Xavier Bertrand, ministre. Pourtant, tous ne partagent manifestement pas cette opinion dans cet hémicycle : j'ai une certaine expérience des séances de nuit, et j'ai rarement vu autant de monde ! Cela prouve que, pour les Français comme pour la représentation parlementaire, ce texte n'est pas inutile et qu'il est même indispensable. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre participation. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Je souhaite également rendre hommage aux parlementaires qui, dans le passé, ont posé la question de la conciliation du droit de grève avec les exigences de la continuité du service public et les droits des usagers. Je pense en particulier aux travaux de Claude Huriet et d'Hubert Haenel, que j'ai cités tout à l'heure, mais aussi à la proposition de loi déposée au Sénat en 1999 par Philippe Arnaud, car ce texte, discuté et voté par la Haute Assemblée, a permis de poser des jalons utiles au présent projet de loi.
Je souhaite aussi saluer les expériences en matière de prévention des conflits qui, comme Hubert Haenel l'a rappelé, ont été menées dans certaines régions pionnières, notamment l'Alsace, chère à M. Ries, et qui ont, elles aussi, servi de base à l'élaboration de ce projet de loi.
En ce qui concerne l'esprit de ce texte, je reprendrai deux termes employés, entre autres, par Alain Gournac et Pierre Hérisson dans leurs interventions, à savoir « équilibre » et « négociation », car ils résument parfaitement l'esprit du projet. Messieurs, je vous remercie l'un et l'autre du soutien franc et clair que vous avez apporté à la démarche du Gouvernement.
Je me réjouis aussi que le Sénat se soit approprié la logique d'un projet qui, comme l'ont rappelé à juste titre MM. Haenel, Gournac et de Montesquiou, vise à concilier le droit de grève avec d'autres droits de valeur constitutionnelle, et non pas à stigmatiser le droit de grève, dont nous connaissons l'importance et la portée.
Monsieur Billout, contrairement à ce que vous avez soutenu, parmi d'autres, il ne s'agit pas d'affaiblir la négociation collective mais, au contraire, de lui donner toute sa place afin d'éviter que le conflit ne se déclenche ou ne dure.
D'ailleurs - et ce n'est pas le membre du Gouvernement que je suis qui vous l'indique, mais la Cour de cassation, dont vous connaissez la jurisprudence à ce sujet - les accords qui ont été passés à ce jour sont fragiles, car ils ne disposent pas de base légale. L'intervention d'un texte de loi est donc nécessaire afin de donner une base légale à la négociation, et notamment aux accords qui ont été conclus par quatre régions, par la SNCF et par la RATP.
Aujourd'hui, un syndicat qui en a la volonté peut s'affranchir de l'alarme sociale - que nous appelons tous de nos voeux -, car celle-ci ne possède aucune base légale. Ce ne sera plus le cas après l'adoption de ce texte : je le répète, l'alarme sociale sera obligatoire partout et pour tous, comme tout le monde le souhaite dans cet hémicycle, si j'ai bien compris.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez évoqué divers incidents qui sont dépourvus de lien avec le droit de grève, mais que vous avez eu raison de mettre en évidence. Il en est ainsi des retards importants subis en Bretagne par un TGV dans lequel, d'ailleurs, se trouvait une de mes collaboratrices.
Monsieur Gournac, vous avez raison de le souligner, cet incident montre qu'il existe encore d'importantes marges de progression dans le domaine de l'information des usagers. Je vous livre le fond de ma pensée, car je ne suis pas le ministre en charge de ce domaine mais un simple usager des transports et encore régulièrement du train : l'absence de communication en la matière est intolérable !
Nous savons pertinemment que les TGV peuvent connaître des problèmes techniques et qu'en cas de rupture de l'alimentation électrique les systèmes de communication à l'intérieur des trains ne fonctionnent plus. Toutefois, et je m'en suis d'ailleurs entretenu récemment avec le directeur général de la SNCF, dans un tel cas de figure, les agents et les contrôleurs peuvent passer parmi les passagers, compartiment par compartiment, afin de les informer, ni plus ni moins ! Tel est précisément notre objectif.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi n'est ni de droite ni de gauche, il est au service des usagers, car nous ne pouvons plus nous satisfaire de ce genre de situations ! Je tiens d'ailleurs à vous indiquer que Dominique Bussereau a demandé à la SNCF une enquête, qui portera d'abord sur les aspects techniques de l'incident, ensuite sur les raisons pour lesquelles l'information n'a pas été donnée correctement aux voyageurs, enfin sur la possibilité de mobiliser des locomotives diesel pour toutes les rames de TGV qui tomberaient en panne.
Je le répète, une telle situation n'est pas facile à gérer pour les contrôleurs qui se trouvent à bord d'un train confronté à ce genre de problème, mais elle l'est encore moins pour les usagers qui ne reçoivent aucune information - et je n'évoque même pas le cas de ceux qui voyagent avec leur famille et leurs enfants et qui doivent, en plus, rassurer les leurs !
Comme l'ont souligné MM. Biwer et Nogrix, l'usager-client est au centre du dispositif. Au reste, madame Bricq, contrairement à ce que vous avez affirmé, il ne s'agit pas seulement des usagers des grandes agglomérations, mais aussi de ceux des zones rurales, qui ont toute leur place dans ce projet de loi.
Monsieur Cambon, vous avez tout à fait raison de rappeler que les entreprises de transport, une fois le projet de loi voté, devront accomplir des progrès significatifs en matière d'information. Le « service après vote » est au coeur de la conception que je me fais de la politique, conception que vous partagez, je le sais. Je serai donc très vigilant sur la mise en oeuvre effective de cette loi, car voter un texte, c'est bien, mais le faire appliquer, dans l'esprit que vous avez voulu lui donner, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est encore mieux !
Comme l'a souligné M. de Montesquiou - et c'est l'un des aspects essentiels de ce texte -, il faut considérer la grève comme un ultime recours, lorsque toutes les tentatives de négociations préalables ont échoué. Notre objectif est tout simplement que la négociation précède désormais l'action revendicative, comme c'est déjà le cas dans de nombreux pays européens.
Dans ce cadre, il ne s'agit pas, contrairement à ce qu'a indiqué M. Billout, de créer un « super-préavis » - les délais légaux en la matière resteront inchangés -, mais d'instituer une procédure de dialogue social préalable, visant précisément à éviter le préavis en désamorçant le conflit le plus tôt possible.
En ce qui concerne les délais, je ne partage pas le point de vue de M. Krattinger car, pour ma part, je ne confonds pas urgence et précipitation. Dans ce dossier, l'urgence est juridique, mais aussi sociale, car voilà des décennies que le législateur n'a pas pris les responsabilités que lui confère la Constitution !
Certes, la date du 1er janvier 2008 est volontariste, et je l'assume tout à fait, mais elle est nécessaire pour créer une dynamique qui implique à la fois les autorités organisatrices de transport et les partenaires sociaux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis le temps qu'on parle du service minimum, si l'on ne parvient pas à le réaliser en cinq mois, on ne le fera jamais, ce que les Français ne supporteront pas, tout simplement ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Monsieur Portelli, je n'ai pas le sentiment que ce projet de loi n'assure qu'un service minimum législatif. Nous voulons respecter les engagements du Président de la République et non porter atteinte au droit de grève. Certes, en la matière, il est toujours délicat de parvenir à un équilibre, mais j'ai l'impression que nous avons trouvé à la fois la voie de passage et le point de compromis entre les différentes contraintes que vous avez remarquablement présentées. J'ai écouté avec attention votre argumentation et, même si je ne partage pas vos conclusions, il me semble important que les problèmes aient été bien posés.
Cela dit, la décision du Conseil constitutionnel de 1979 à laquelle vous avez fait allusion doit être considérée aussi à l'aune des différentes améliorations qui ont été apportées à ce texte.
Comme vous l'avez vous-même relevé, monsieur Portelli, le présent projet de loi relève le défi de la conciliation entre les exigences du dialogue social et celles de la continuité du service public. Pour autant, il apporte aussi des garanties destinées à rendre effectives les dispositions relatives au service minimum.
Vous vous êtes demandé ce qui se passerait en l'absence d'accord d'entreprise. Dans un tel cas de figure, c'est l'accord de branche qui s'appliquera et, s'il n'y en a pas, ce sera le décret en Conseil d'État. J'ajoute, pour répondre également à M. Cambon, que, si l'autorité organisatrice de transport ne prend pas ses responsabilités, c'est le préfet qui interviendra, sans délai supplémentaire. Autrement dit, monsieur de Montesquiou, l'État pourra intervenir dans tous les cas pour faire en sorte que le service minimum soit bel et bien garanti aux usagers.
M. Dominati, parmi d'autres, souhaite voir ce texte étendu au transport aérien, et MM. Cambon et Nogrix à d'autres modes de transport encore. Nous aurons l'occasion d'y revenir lors de l'examen des articles, notamment lorsque nous discuterons de certains amendements émanant de la commission.
Toutefois, je le répète, nous estimons que les transports terrestres constituent aujourd'hui une priorité, tout simplement parce qu'ils assurent les déplacements quotidiens de la population.
Monsieur Desessard, j'ai écouté vos propos avec beaucoup d'attention. Vous n'avez pas nié qu'il existait un problème, mais votre démonstration me faisait furieusement penser à cette phrase du docteur Queuille : « Il n'est pas de problème qu'une absence de solution ne puisse résoudre ». (M. François Trucy s'esclaffe.) Je ne sais pourquoi, j'y ai songé en permanence en vous écoutant !
En dehors de votre évident talent oratoire, je n'ai pas été séduit, permettez-moi de vous l'avouer, par votre argumentation au fond, sur laquelle nous reviendrons certainement lors de l'examen des articles.
Monsieur Desessard, Madame Printz, ce texte ne pose pas de faux problèmes, sinon... vous ne seriez pas là ! (Sourires.) Au demeurant, nous ne pouvons pas expliquer aux usagers qu'il existe un problème mais qu'il faut surtout ne rien faire. Je ne pense pas que le Président de la République ait été élu pour ne rien faire ni que tel soit le souhait de la majorité qui le soutient.
Lors des dernières élections présidentielles, nous avons été témoins d'un véritable miracle démocratique, puisque les voix des extrêmes ont été divisées par deux, tout comme le nombre des abstentionnistes. Aussi, cette fois, tous les engagements doivent être tenus, sans exception et sans retard. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
J'en viens à un point un peu moins politique. Vous avez évoqué l'arrêt « Air France », madame Printz. Or, dans cet arrêt du 23 juin 2006, la Cour de cassation a décidé qu'il ne pouvait être imposé à un salarié d'indiquer à son employeur son intention de participer à la grève avant le déclenchement de celle-ci. C'est bien à cet arrêt que vous faisiez référence ?
Mme Gisèle Printz. Oui !
M. Xavier Bertrand, ministre. Une lecture exhaustive de cet arrêt fait apparaître que la Cour de cassation rappelle également que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». Autrement dit, la décision de la Cour s'explique tout simplement en l'absence de lois prévoyant une déclaration préalable. Le projet de loi qui vous est proposé, parce qu'il prévoit cette déclaration préalable quarante-huit heures avant le début du conflit, a pour conséquence de rendre désormais impossible un jugement tel que celui qui figure dans l'arrêt « Air France ».
Si vous aviez voulu apporter votre contribution et votre soutien au Gouvernement, madame Printz, vous n'auriez pas procédé autrement ! Je tiens sincèrement à vous en remercier. (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Enfin, j'ai bien conscience du fait que d'autres problèmes subsistent. J'ai dit l'engagement total du Gouvernement et je le redis au nom de Dominique Bussereau. Sur tous les sujets liés à la qualité des transports, notamment à la SNCF, si les efforts engagés ont été importants, il nous faut encore poursuivre dans cette voie, car je sais que, au-delà de la grève, la qualité du service et la qualité du réseau revêtent une grande importance à la fois pour les agents, pour les usagers et, partant, pour les parlementaires et le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme David, M. Billout et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 43, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (n° 363, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Annie David, auteur de la motion.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de la discussion générale, mon ami Michel Billout a fait part de notre opposition au projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs.
En effet, monsieur le ministre, ce texte nous semble inutile mais aussi dangereux, en dépit de vos efforts et de ceux de votre majorité pour tenter de le légitimer en vous érigeant aujourd'hui en défenseurs de la continuité du service public, alors que vous procédez depuis plusieurs années à son démantèlement et que vous prônez la liberté contractuelle, notamment dans le droit du travail.
Les différentes raisons qui nous conduisent à considérer ce texte inutile, voire contreproductif, ont déjà été exposées. Cependant, j'y reviendrai dans mon intervention, car les griefs d'inconstitutionnalité du projet de loi s'expliquent avant tout par l'inutilité des mesures au regard du but affiché : préserver la continuité du service public des transports.
Bien sûr, nous sommes favorables à la continuité du service public dans les transports, mais pas uniquement en cas de grève ! C'est au quotidien qu'il faut l'assurer, avec des conditions de transport de qualité, alliant régularité, confort, fiabilité et sécurité pour toutes et tous les usagers ! Or, et c'est l'une des raisons qui nous font dire que ce texte est inutile, à aucun moment, il n'y est question des besoins quotidiens des usagers, encore moins des carences ou des dysfonctionnements dus aux politiques de déréglementation et de libéralisation successives. Michel Billout en a fait une très juste démonstration !
Ce texte est également dangereux, car ses dispositions portent une atteinte grave et disproportionnée au droit de grève, constitutionnellement reconnu et constamment réaffirmé par les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État et de la Cour de Cassation. Ce projet de loi porte en lui les prémices d'une dénaturation sans précédent du droit de grève et des libertés collectives constitutionnelles dans leur ensemble.
Pourtant - cela a été rappelé par certains orateurs -, l'alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 proclame que « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ». L'inscription de ce droit dans le préambule de notre Constitution est non pas le fruit du hasard, mais le résultat de l'histoire française et internationale. Sa reconnaissance s'est faite au prix de terribles répressions et d'injustes assassinats de salariés. La grève, aujourd'hui encore, n'est pas un exutoire, comme je l'ai entendu dire : elle est un moyen indispensable à la sauvegarde des droits des salariés et à l'expression de leur volonté. Elle doit le rester tant que certains chefs d'entreprises peu scrupuleux, ces fameux « patrons voyous », défrayeront la chronique en imposant de manière unilatérale des fermetures de sites, des délocalisations ou encore des réorientations de leur production.
Les salariés, celles et ceux qui le peuvent encore, ne font jamais grève par plaisir : elles et ils utilisent cet outil à leur disposition pour obtenir de vraies négociations sur un objet de conflit qui n'a pas été résolu par d'autres voies.
Aussi, si le législateur entend proposer une nouvelle réglementation, comme le rappelle très justement le rapport de la commission présidée par M. Mandelkern, le point de départ de cette nouvelle réglementation « doit fondamentalement résider dans la recherche d'une meilleure continuité du service et de la satisfaction des besoins essentiels des populations, et non dans la diminution des prérogatives ou des droits des salariés ».
Or, monsieur le ministre, votre projet de loi méconnaît largement ce point de départ essentiel, puisqu'il entend alourdir les modalités d'exercice du droit de grève, menacer les salariés de sanctions disciplinaires, instaurer un service minimum pour qu'aucune gêne ne soit occasionnée aux usagers du service public des transports !
Monsieur le ministre, vous souhaitez rompre l'équilibre historique que garantit le droit de grève dans le droit du travail. En effet, la grève, outil au service des salariés pour défendre leurs droits, n'a de sens que si elle leur permet de peser dans les négociations. Pour cela, il est nécessaire qu'elle entrave le cours normal de la production ou du service. Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'opposent fermement à la réglementation proposée, parce qu'elle constitue le laboratoire d'une régression sociale, qui sera sans nul doute bientôt étendue à l'ensemble des services publics.
Il est vrai que le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 25 juillet 1979, a précisé que la reconnaissance du droit de grève par le préambule de la Constitution ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la continuité des services publics, celle-ci ayant, tout comme le droit de grève, le caractère d'un principe à valeur constitutionnelle.
M. Charles Revet, président de la commission spéciale. Très bien !
Mme Annie David. Ce faisant, le Conseil constitutionnel a également donné des directives précises afin que le législateur procède à la conciliation nécessaire entre deux principes ou dispositions à valeur constitutionnelle.
Ainsi, dans un considérant de principe de la décision des 11 octobre 1984, le Conseil constitutionnel rappelle que, « s'agissant d'une liberté fondamentale, [...] la loi ne peut en réglementer l'exercice qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle ».
Le législateur ne saurait donc, à l'occasion de cette conciliation, désavantager l'un des principes en présence au point de le mettre en cause. En effet, la grève n'ayant de sens que si elle permet aux salariés de peser dans les négociations, l'exercice du droit de grève dans le secteur des transports ne saurait se concevoir sans aucune gêne pour les usagers.
Cette exigence de conciliation impose donc au législateur de ne faire subir au droit de grève que des restrictions étroitement nécessaires à l'objectif d'intérêt public visé. Cela lui impose aussi de justifier l'intensité de cette atteinte. Elle n'est juridiquement acceptable que dans la mesure où la démonstration est faite de son utilité.
Or, si le projet de loi apporte effectivement des limitations importantes aux conditions d'exercice du droit de grève, ces limitations ne sont pas nécessaires à la garantie de la continuité du service public. En effet, les perturbations du service public ou le recul sur le territoire national des services publics des transports, donc les atteintes à la continuité du service public, ne peuvent s'expliquer uniquement par des faits de grève. Le projet de loi se méprend donc sur les causes des dysfonctionnements qui entravent la continuité du service public des transports. Cette méprise est grave et aboutit à une réglementation inappropriée.
Ces atteintes au droit de grève sont pour nous inacceptables alors qu'il ressort clairement de l'état des lieux dressé par le rapport de la commission présidée par M. Mandelkern que ni la conflictualité, en baisse dans le secteur des transports publics de voyageurs, ni les doléances des usagers, ni a fortiori l'effet accru sur ce service public des insuffisances de moyens et des erreurs de stratégie ne justifiaient cette nouvelle réglementation. En se méprenant sur les causes des atteintes à la continuité du service public, le projet de loi sera sans effet sur elles.
Cette nouvelle réglementation apparaît d'autant plus inutile que les organisations syndicales, dans leur ensemble, se sont déclarées favorables à la mise en place d'un réel dialogue social.
Le projet de loi proposé par le Gouvernement, acte unilatéral, semble aller dans le sens opposé à l'esprit conventionnel qui doit présider au dialogue social ; il se trouve de ce fait en contradiction avec la volonté affichée par le Président de la République de promouvoir la concertation avec les organisations syndicales, puisqu'il risque au contraire de durcir le dialogue social et d'aboutir à de nouvelles grèves.
Enfin, monsieur le ministre, votre projet de loi méconnaît également la compétence du législateur pour fixer les limites du droit de grève, le principe d'égalité et de libre administration des collectivités locales ; j'y reviendrai à l'occasion de l'examen de l'article 4.
Après cet exposé général, je souhaite, pour étayer mes propos, détailler nos griefs en m'appuyant sur certains des articles du texte qui sont les plus révélateurs à nos yeux.
L'article 2 instaure une sorte de « préavis du préavis », qui en allonge de huit jours le dépôt.
Rappelons que l'article L. 521-3 du code du travail précise que, « pendant la durée du préavis, les parties intéressées sont tenues de négocier ». Or l'obligation de négocier faite aux dirigeants de l'entreprise et aux salariés est largement méconnue par les premiers. Allonger la durée du temps de négociation paraît donc parfaitement inutile, si rien ne contraint les chefs d'entreprises à se présenter à la table de négociation.
Cette mesure revient à soumettre la légalité du droit de grève à une condition supplémentaire sans améliorer la continuité du service public.
À l'article 5, la procédure de déclaration individuelle préalable à la grève de quarante-huit heures et les sanctions disciplinaires des salariés grévistes qui ne l'auraient pas respectée encourent les mêmes griefs. Elles constituent une atteinte manifeste et disproportionnée au libre choix des travailleurs dans l'exercice de leur droit de grève.
Cette obligation porte également atteinte au principe de l'exercice collectif du droit de grève, qui constitue l'une des garanties de ce dernier en évitant que des pressions individuelles ne soient exercées. Elle a, de plus, toutes les chances de pervertir les relations sociales, donc d'aller à l'encontre de l'objectif affiché de prévisibilité du trafic.
Par ailleurs, en remettant à l'employeur le soin de déterminer les conditions de vote en cas de consultation des grévistes, l'article 6 attribue à l'entreprise de transport concernée une modalité de l'exercice du droit de grève relative à sa poursuite.
À supposer que cette intervention de l'entreprise soit conforme à la répartition des compétences opérées par la Constitution, l'organisation de la consultation par l'entreprise nous semble constituer une modalité essentielle de l'exercice du droit de grève, qui devrait relever de la compétence des salariés.
Enfin, je terminerai en évoquant l'article 4, qui non seulement constitue une violation du droit de grève, mais pose également la question du respect du principe d'égalité, comme je l'ai indiqué au début de mon intervention.
Cet article, dont l'objet est d'organiser la mise en place des dessertes qui doivent être prioritairement assurées, soulève le problème de la traduction de la multiplicité des rapports des pouvoirs locaux en une multiplicité des conditionnements du droit de grève et des inégalités dans son exercice.
Or, dans la décision dite « taxation d'office » du 27 décembre 1973, le Conseil constitutionnel a consacré le principe d'égalité devant la loi en se référant notamment à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le principe d'égalité peut également connaître des aménagements si l'intérêt général le commande. Cependant, le Conseil constitutionnel a jugé que l'invocation de l'intérêt général ne suffisait pas à justifier la différence de traitement. Il faut un lien nécessaire, un rapport logique entre la règle discriminatoire et l'intérêt général fixé par l'objet de la loi. Cette condition n'est pas satisfaite par l'article 4 !
De plus, le projet de loi justifie l'instauration des priorités de desserte par l'atteinte disproportionnée susceptible d'être causée par le droit de grève à une série de droits et libertés. Or ces derniers ne constituent pas tous des principes à valeur constitutionnelle et ne justifient pas que soit porté atteinte au droit de grève au simple regard du respect de la hiérarchie des normes.
Il en va ainsi du droit d'accès aux services publics qui n'a pas valeur constitutionnelle, contrairement à l'égalité de traitement des usagers ou à la continuité des services.
De plus, si la liberté d'aller et venir a valeur constitutionnelle, il importe, pour que ce principe puisse être valablement opposé au droit de grève, que la grève entrave la liberté d'aller et de venir. Or la grève n'a ni les moyens ni la vocation d'entraver la liberté d'aller et venir. Elle privera l'usager d'un moyen d'aller et venir mais sans atteindre sa liberté.
De la même façon, la grève n'entrave pas la liberté du commerce et de l'industrie ou la liberté du travail, dès lors qu'elle ne saurait par elle-même interdire à un usager d'entreprendre ou d'aller travailler.
Notons que la liberté du travail n'a pas de valeur constitutionnelle, contrairement au droit au travail garanti par le préambule de la Constitution de 1946.
En ce qui concerne les problèmes de compétences que pose le projet de loi, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 juillet 1980, a rappelé qu'il appartient au législateur de déterminer les limites du droit de grève, lequel a valeur constitutionnelle, et que la loi ne saurait comporter aucune délégation au profit du Gouvernement, de l'administration ou de l'exploitant du service en vue de la réglementation du droit de grève. L'intervention du législateur est donc indispensable pour aménager l'exercice du droit de grève.
Pourtant, l'article 2 du projet de loi semble ignorer cette jurisprudence, mais aussi l'alinéa 7 du préambule de la Constitution de 1946 et l'article 34 de la Constitution. En effet, ce dernier texte réserve à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice de leurs libertés publiques. Le Gouvernement n'a donc pas compétence pour réglementer le droit de grève.
À ce titre, même la jurisprudence Dehaene du Conseil d'État ne peut être interprétée comme autorisant une intervention générale du pouvoir réglementaire. En renvoyant à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les règles d'organisation et de déroulement de la négociation préalable prévue, le projet de loi ne se borne pas à laisser au Gouvernement le soin de déterminer les modalités d'application des conditions d'exercice de la négociation préalable. Par conséquent, comme il ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cette « incompétence négative » est contraire à la Constitution.
Enfin, l'édiction par le pouvoir réglementaire national de mesures d'organisation détaillées des services de transport pourrait aboutir à priver les collectivités locales d'une part naturelle de leurs compétences. En effet, en vertu de l'article 72 de la Constitution, celles-ci « disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences ». Le paragraphe IV de l'article 4 du projet de loi, qui confie, en cas de carence de l'autorité organisatrice de transport, au représentant de l'État le soin d'arrêter les priorités de desserte empiète donc dangereusement sur les principes constitutionnels de libre administration des collectivités locales.
Comme je viens de le démontrer, le projet de loi relatif au dialogue social et à la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs entre en contradiction avec plusieurs dispositions et principes constitutionnels. Ces atteintes ne sauraient se justifier par la garantie de la continuité du service public puisque l'objectif affiché dans l'intitulé du texte susvisé tombe à la lecture de ce dernier pour dévoiler le vrai dessein du Gouvernement : l'affaiblissement des droits collectifs des salariés, en portant atteinte au droit de grève.
Bref, ce projet de loi est un acte de régression sociale auquel nous nous opposons fermement en qualité non seulement de parlementaires mais aussi de citoyens. C'est pourquoi nous vous demandons, mes chers collègues, de voter en faveur de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur de la commission spéciale. Madame David, je vous recommande une excellente lecture, celle du rapport - notamment ses pages 15, 16 et 17 -, qui démontre, en réfutant par avance bien des arguments que vous avez invoqués, que l'ensemble de ce projet de loi est tout à fait constitutionnel. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Le Gouvernement émet le même avis que la commission. Au demeurant, madame David, je souhaite vous faire part de quelques remarques.
Tout d'abord, si l'on veut protéger le droit de grève, il faut, au préalable, tout faire pour éviter le recours à la grève. Tel est justement l'enjeu du premier volet de ce projet de loi.
Par ailleurs, si l'on veut faire la différence entre la perturbation intrinsèquement liée au droit de grève et la paralysie, source de grandes difficultés pour les usagers, il faut recourir à la médiation et trouver le tiers qui permettra de régler les problèmes et d'éviter que la grève ne dure.
Vous avez évoqué les besoins quotidiens. Mais justement, ce texte vise les déplacements quotidiens et les besoins essentiels de la population. Le Gouvernement, en le déposant, est donc allé au devant des préoccupations que vous avez exprimées.
Vous avez fait référence à la proportionnalité de l'atteinte au droit de grève. Mais on peut aussi s'interroger, d'un point de vue juridique, sur cette proportionnalité au regard des droits des usagers. Cette question a rarement été soulevée mais la réponse que l'on peut y apporter intéresserait nombre d'acteurs du dossier du service minimum.
Enfin, vous avez cité l'arrêt Dehaene de 1950 relatif à l'annulation d'un arrêté préfectoral de 1948. Cette décision montre bien que les problèmes posés à l'époque provenaient de l'absence de réglementation. Le Gouvernement, avec ce projet de loi, vise justement à prévoir un cadre précis. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 43, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Demontès, MM. Krattinger et Godefroy, Mme Printz et Bricq, MM. Desessard, Ries, Teston, Reiner, Gillot, Domeizel et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°39, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs (n° 363, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la motion.
M. Claude Domeizel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai l'honneur, au nom du groupe socialiste et apparenté, de défendre la motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté.
Cette motion de procédure me paraît justifiée, car le sujet traité est extrêmement grave et sensible compte tenu non seulement de ses portées immédiates, mais aussi de ses conséquences à venir.
Ce sujet délicat préoccupe depuis longtemps tous les gouvernements, de droite comme de gauche. Depuis quelques années, tous les ministres chargés des transports, de gauche comme de droite, se sont penchés sur le service minimum dans les transports. Ils ont tous renoncé, craignant que le remède ne soit pire que le mal.
L'exposé des motifs du projet de loi que nous examinons dispose que l'objectif visé est « de garantir aux usagers, en cas de grève, un service réduit mais prévisible ». Par ailleurs, il repose sur l'idée qu'en renforçant le dialogue social dans les entreprises de transport les grèves pourront être évitées pour une large part.
Si ce thème, inscrit dans le titre du projet de loi, ne nous choque pas, nous, socialistes, fervents défenseurs du service public, d'une part, et du dialogue social, d'autre part, nous constatons que ce texte dérive dangereusement sur la remise en cause du droit de grève.
Permettez-moi, mes chers collègues, de vous faire part de mes réserves quant à l'utilité d'un tel texte, rédigé à la hâte, sur ordre du Président de la République, sachant que, de fait, un service minimum existe déjà dans les transports ferroviaires et que, par ailleurs, il n'aura aucun effet sur les nombreuses grèves dites « émotionnelles ».
Permettez-moi également de souligner que, pour nous, l'objectif de garantir aux usagers un service réduit plus structuré répond aux besoins de la vie actuelle des travailleurs, des écoliers ou des étudiants qui doivent se déplacer, particulièrement dans les zones urbaines.
Ce projet de loi, en laissant croire qu'il résoudra un problème, tend, finalement, à rendre plus contraignant le droit de grève. Le Gouvernement compte peut-être même, par ce biais, faire « avaler » des mesures impopulaires. Allez donc savoir...
Mme le rapporteur estime que « nos concitoyens souhaitent l'instauration d'une forme de service minimum ». Certes, mais il faut pondérer ce jugement. Les perturbations qu'engendrent les mouvements sociaux - et je ne les minimise ni ne les occulte -, sont considérées comme des sujets moins prioritaires que la sécurité, le cadencement, l'absence de rupture de charge ou le confort.
C'est en dotant les services publics des moyens nécessaires à leurs missions que les conflits seront évités. Non, la gestion des conflits, donc la continuité du service public, ne sera pas assurée en dressant les usagers contre les salariés ou les salariés les uns contre les autres.
Qu'en est-il, en réalité, de ces grèves ? Depuis une trentaine d'années, nous enregistrons une baisse tendancielle de la conflictualité : le nombre de journées de grève a baissé de plus de 10 % par an. Ces dernières années, le taux de grève a connu un recul de l'ordre de 16 %. Les causes de ce changement sont multiples ; je pense en particulier au chômage de masse et à la précarité salariale généralisée.
Mais qu'est-ce que le droit de grève sinon la dernière possibilité offerte aux salariés, après de multiples tentatives de dialogue, de se faire entendre, de voir leurs préoccupations prises en compte ?
Enfin, ne perdons pas de vue que ce sont les grèves qui sont à l'origine de la plupart des progrès sociaux !
Ce texte est-il une atteinte au droit constitutionnel et individuel de faire grève ? On peut légitimement se poser la question. En effet, le paragraphe II de l'article 5 prévoit que les salariés concernés par le plan de prévisibilité doivent informer leur hiérarchie, au plus tard quarante-huit heures avant le début de la grève, de leur intention de participer à cette dernière. Or, si le droit de grève est un droit individuel, le préavis est, quant à lui, collectif et syndical.
À ce propos, notre collègue Gisèle Printz a bien fait de rappeler le jugement de la Cour de cassation de 2005 concernant la société Air France, selon lequel - il me plaît de le rappeler - « il ne peut être imposé à un salarié d'indiquer à son employeur, avant le déclenchement de la grève, qu'il participera au mouvement ».
M. Claude Domeizel. Même si le projet de loi précise que ces déclarations n'auront pour objet que l'organisation du service durant la grève, nous ne pouvons écarter le risque d'un fichage informel des salariés.
M. Claude Domeizel. La déclaration individuelle dans le délai de quarante-huit heures, sanction disciplinaire à l'appui, est inacceptable et dangereuse. Elle est irréaliste et inapplicable.
Qui plus est, pendant ces deux jours, l'employeur peut faire pression sur le salarié. Vous savez peut-être que la décision d'être gréviste, donc de perdre une partie de son salaire, est lourde de conséquences et ne se prend pas à la légère. Le salarié doit pouvoir se décider au dernier moment s'il le souhaite, rattraper un oubli ou un manque d'information s'il a laissé passer ce délai. Désormais, il ne pourra plus changer d'avis, même si des événements de dernière heure l'y incitent. Cette mesure sera injustement pénalisante pour le salarié sans qu'elle facilite en rien l'organisation du service minimum.
De plus, que se passerait-il si, après s'être déclarés grévistes, une majorité de salariés se présentaient à l'embauche ? Vous imaginez la pagaille dans l'entreprise !
M. Claude Domeizel. À l'inverse, monsieur le ministre, croyez-vous sérieusement que des sanctions pourraient être prises si l'ensemble du personnel se mettait en grève sans respecter le préavis de quarante-huit heures ? Permettez-moi, en cet instant, de rappeler que l'ordre de réquisition généralisé adressé aux mineurs en 1963 fut sans effet.
Il faut garder à l'esprit que, dans le cas où le salarié ferait grève sans avoir prévenu sa direction, il serait passible d'une sanction disciplinaire. Cela s'apparenterait à une faute lourde, laquelle, potentiellement, peut justifier un licenciement. Cette contrainte est telle qu'elle s'assimile à une remise en cause de ce droit constitutionnel. Elle créerait une nouvelle faute au sein du code du travail et instaurerait un climat d'appréhension et de dissuasion difficilement compatible avec la valeur essentielle de notre République : la liberté.
Oui, la négociation doit avoir été menée jusqu'à son terme avant que soit déposé un préavis de grève. Non, madame Procaccia, la grève n'est pas aujourd'hui un préalable à la négociation. Elle découle toujours d'un dialogue social qui a avorté. Il faut donc une plus grande qualité de dialogue, clairement encadré et contrôlé.
Comment considérer l'article 3, qui prévoit qu'un nouveau préavis de grève ne pourra pas être déposé avant l'échéance de celui qui est en cours et avant que la procédure de négociation préalable n'ait été mise en oeuvre ? N'est-ce pas une restriction au droit de grève, dès lors qu'une catégorie de salariés ne pourra plus déposer un préavis de grève quand un autre préavis aura été déposé pour l'ensemble du personnel, et vice-versa ?
L'article 6 est, quant à lui, tout aussi attentatoire et choquant. Il y est prévu que, au-delà de huit jours de grève, l'employeur peut, de sa propre initiative ou à la demande d'une organisation syndicale représentative, organiser une consultation à bulletin secret pour la poursuite de la grève. Cette disposition contrevient aux avis du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'État, qui réaffirment constamment que la loi ne saurait déléguer aux partenaires sociaux ou à l'employeur « le soin de réglementer le droit de grève ».
C'est effectivement le dialogue social permanent que nous devons privilégier au sein des entreprises, notamment des entreprises de service public.
Moteur de réforme, le dialogue doit donner confiance à chacun des partenaires sur son rôle, sa place, et lui permettre de dépasser ses contraintes internes pour aller vers l'autre. Dans ce sens, il est un puissant instrument de prévention des conflits, comme en attestent les réussites nées de l'application des dispositifs d'alarme sociale à la RATP ou de « demande de concertation immédiate » à la SNCF.
À ce titre, Mme Idrac, présidente de la SNCF, disait, le 17 mars 2004 : « La voie législative directe est périlleuse, le chemin contractuel, sans doute plus long, paraît plus fructueux ». Elle ajoutait récemment : « Pour l'heure, je constate que cela s'améliore et je privilégie le dialogue social et la négociation. D'ailleurs, plus la part du dialogue social est importante, mieux ça marchera, quelle que soit la formule législative éventuelle ».
M. Claude Domeizel. Cet avis est partagé par l'actuel président d'EADS, M. Louis Gallois, qui, avec l'expérience qu'on lui reconnaît, estimait, en 2004, qu'« une solution interne sera toujours meilleure qu'une loi. »
Vos intentions, monsieur le ministre, sont finalement claires : Mme le rapporteur propose tout de go que, au vu du rapport d'évaluation qui sera effectué sur l'application de ce texte, soit examinée « l'opportunité d'étendre le dispositif de la présente loi aux autres modes de transport, voire de le transposer à d'autres services publics ». (Murmures d'approbation sur les travées de l'UMP.) Nous avons bien compris où vous voulez aller.
Quant à l'article 9, qui vise à prévoir le non-paiement des journées de grève, il est provocateur, car il laisse planer l'idée fausse qu'elles sont payées aujourd'hui. Vous cherchez ainsi à dresser les usagers contre les salariés. De surcroît, telle qu'elle est rédigée dans le projet de loi, cette mesure est dangereuse, car la négociation de fin de conflit sera privée d'un moyen essentiel de sortie de crise.
Quelle sera l'efficacité de cette loi ? Croyez-vous vraiment que, lorsque la cocotte-minute est au bord de l'explosion, une loi peut arrêter un mouvement ?
La commission, par un amendement, revient sur la possibilité de recourir à un médiateur. Cependant, en cas de conflit dur, le médiateur doit avoir dans sa boîte à outils tous les moyens pour recoller les morceaux, dégripper la situation, donner un tour de vis s'il le faut, ou encore mettre de l'huile dans les rouages. À cause de cet article 9, encore durci par la commission, il devra se présenter les mains vides.
Comment cela se traduira-t-il sur le terrain ? Par exemple, quelles seront les priorités pour un président de conseil général : assurer le transport scolaire plutôt que le transport des salariés ? Ces transports prioritaires concerneront-ils l'ensemble du département ou uniquement certaines zones ?
Telles sont quelques-unes des questions - elles ne sont pas minces - qui vont se poser très crûment demain aux autorités organisatrices de transports.
L'article 4, tel qu'il est actuellement rédigé, risque d'être source de nombreux contentieux, non seulement entre l'usager et l'autorité organisatrice des transports, mais également entre cette autorité et l'entreprise de transport.
Oui, ce texte est dangereux, parce qu'il conduit à attenter au droit de grève, à contraindre le dialogue social, à remettre en cause le rôle des organisations représentatives de salariés, à opposer les salariés les uns aux autres, comme les citoyens aux salariés grévistes.
Ce qui est inquiétant, c'est qu'il ne s'agit, pour reprendre les mots de Mme le rapporteur, que « d'un premier pas » !
Monsieur le ministre, permettez-moi de me répéter : la déclaration individuelle quarante-huit heures avant et le non-paiement des journées de grève sont des mesures inutiles, irréalistes, excessives et donc insignifiantes. Une bonne partie de ces dispositions étant inapplicables, il ne s'agira donc que d'une opération d'affichage politique.
Fort de ces constats, mais également très soucieux de l'avenir de l'ensemble des salariés, notamment de ceux du service public, je vous propose, mes chers collègues, d'adopter cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Contrairement à ce qu'estiment les auteurs de cette motion, ce projet de loi ne restreint pas de « manière excessive et inutilement brutale » l'exercice du droit de grève dans les entreprises de transport. Nous n'en avons absolument pas la même approche ni la même lecture.
Selon la commission, ce texte prône le dialogue social, outil privilégié de prévention des conflits. La preuve en est son intitulé : « Dialogue social et continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs ». Peut-être, monsieur Domeizel, estimez-vous que la négociation et la prévention des conflits sont des restrictions au droit de grève ? J'ai du mal, là aussi, à vous comprendre.
Vous ne parlez que de la grève, mais, dans ce texte, sont évoquées les perturbations occasionnées aux transports, quelle qu'en soit la cause. Et la grève est l'une des causes de ces perturbations.
Ce projet de loi ne porte pas atteinte au climat social des entreprises, bien au contraire, puisque - de nombreux orateurs l'ont dit - il vise à améliorer le dialogue social.
Les mesures proposées sont, selon vous, complexes et difficilement applicables. La commission ne l'entend pas ainsi. Elle a déposé un certain nombre d'amendements, dictés par un souci essentiel : faire en sorte que toutes les dispositions du texte deviennent effectives. Le principal écueil serait en effet de ne rien faire.
L'avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Je serais tenté de poser plusieurs questions à M. Domeizel, mais l'heure avance et je ne le ferai que lors de la discussion des articles ; voilà une raison supplémentaire de ne pas voter cette motion. (Sourires.) Je lui demanderai notamment comment, en l'absence de déclaration de grève, il compte informer les usagers.
J'aurai également à coeur d'apporter un certain nombre d'éclaircissements et de garanties sur l'exercice du droit de grève, qui est constitutionnel, nous le savons bien, les uns et les autres. Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Domeizel, je dois avouer que je décèle dans vos propos beaucoup d'a priori, que je m'efforcerai de lever.
Pour l'heure, je me contenterai d'indiquer que l'avis du Gouvernement est défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 39, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.