compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le procès-verbal de la séance du jeudi 21 décembre 2006 a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté.
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DÉCÈS D'ANCIENS SÉNATEURS
M. le président. J'ai le regret de vous rappeler le décès de nos anciens collègues Hubert Peyrou, qui fut sénateur des Hautes-Pyrénées de 1974 à 1992, et Albert Denvers, qui fut sénateur du Nord de 1946 à 1956.
3
souhaits de bienvenue à un nouveau sénateur
M. le président. Mes chers collègues, je salue la présence de notre nouveau collègue Jean-Claude Danglot, devenu sénateur du Pas-de-Calais à la suite de la démission de M. Yves Coquelle, dont nous regretterons beaucoup les qualités, la courtoisie et la gentillesse.
En votre nom à tous, je lui souhaite une cordiale bienvenue parmi nous. (Applaudissements.)
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Désignation d'un sénateur en mission
M. le président. Monsieur le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 23 décembre 2006 par laquelle il a fait part au Sénat de sa décision de placer en mission temporaire auprès du ministre de l'outre-mer M. Denis Detcheverry, sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Cette mission sera de définir les priorités d'une coopération pérenne entre l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon et les Provinces maritimes du Canada.
Acte est donné de cette communication.
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Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 28 décembre 2006, le texte d'une décision du Conseil constitutionnel qui concerne la conformité à la Constitution de la loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel a été publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets.
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Prévention de la délinquance
Discussion d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la prévention de la délinquance (nos 102 et 132).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
Mme Hélène Luc. M. Sarkozy n'est pas là, c'est dommage !
M. Christian Estrosi, ministre délégué à l'aménagement du territoire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voici à nouveau devant votre Haute Assemblée le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, après son adoption en première lecture par l'Assemblée nationale, le 5 décembre dernier.
Vous le savez, c'est à dessein que le ministre d'État, Nicolas Sarkozy, n'a pas souhaité que soit déclarée l'urgence sur ce projet de loi. C'est en effet la première fois que la prévention de la délinquance fait l'objet d'un débat devant le Parlement. C'est la première fois qu'un Gouvernement a pris le risque de présenter un projet de loi proposant une approche d'ensemble de cette politique, qui n'est pas seulement une politique pénale, ni seulement une politique sociale. Il était donc nécessaire que le débat au sein de chacune des assemblées, et entre les deux assemblées, puisse se dérouler avec pour seules exigences la qualité et la sincérité.
M. Jacques Valade. Très bien !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Notre attente commune n'a pas été déçue.
Des débats en première lecture, le projet de loi ressort d'abord largement conforté.
Il en est ainsi du rôle du maire. Les apports successifs de votre Haute Assemblée et de l'Assemblée nationale ont permis de conforter le choix de faire du maire le pivot de la prévention de la délinquance.
Ils ont élargi la capacité d'appréciation des maires dans la mise en oeuvre de la loi. C'est dès lors en confiance et en responsabilité que les maires pourront poursuivre leur action quotidienne pour prévenir la délinquance, et s'approprier progressivement les outils que la loi mettra à leur disposition.
Ils ont clarifié le rôle du maire par rapport aux autres autorités et institutions. Ils ont notamment précisé les responsabilités respectives du maire et du président du conseil général. L'équilibre trouvé par le Sénat au cours de la première lecture n'a pas été remis en cause par l'Assemblée nationale et je crois qu'avec les propositions formulées par votre rapporteur, notamment sur les articles 5 et 6 du projet de loi, il devrait se trouver stabilisé.
Ils ont enfin renforcé l'information du maire, notamment de la part des autorités judiciaires. Si l'on veut vraiment que le maire s'implique dans la sécurité et dans la prévention, il ne suffit pas qu'il connaisse les infractions commises dans sa commune. Il faut qu'il puisse demander au procureur de la République quelles sont les suites qui leur ont été apportées par la justice. La moindre des choses est que le maire puisse savoir pourquoi un délinquant notoire, auteur présumé d'une infraction qui lui a été signalée, arpente, en apparente impunité, les rues de sa commune !
M. Jean-Patrick Courtois. C'est vrai !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Dans ce domaine, le Sénat et l'Assemblée nationale ont chacun fait franchir une étape à un mouvement engagé dès l'été 2002 par Nicolas Sarkozy,...
M. Jean-Pierre Sueur. Nicolas Sarkozy ne vient jamais ! Où est-il ?
Mme Hélène Luc. Il n'est pas là !
M. Jean-Pierre Sueur. Nicolas Sarkozy déserte le Parlement, il ne vient plus !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...et que la seconde lecture dans chacune des chambres doit permettre de stabiliser.
Le projet de loi est également conforté s'agissant des moyens qui seront mis à disposition des collectivités territoriales. Ces moyens ne sont pas nécessairement la condition première pour mettre en oeuvre une efficace prévention de la délinquance : bien souvent les moyens existent et la question est surtout celle de la méthode et de la coordination.
Mais votre assemblée, par la voix de votre rapporteur, a posé au Gouvernement une question concrète, et le Gouvernement a voulu, à son tour, apporter des réponses concrètes aux collectivités qui s'engageront dans les actions de prévention de la délinquance. C'est l'objet des nouvelles dispositions adoptées par l'Assemblée nationale pour le fonds interministériel de prévention de la délinquance.
La loi de finances rectificative a abondé ce fonds à hauteur de 50 millions d'euros ; les crédits qui seront ainsi consacrés à la prévention de la délinquance via l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances atteindront 75 millions d'euros en 2007. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vois dans le fait que votre commission propose d'adopter l'article 2 bis du projet de loi sans modification la reconnaissance de ce que le Gouvernement a tenu les engagements qu'il avait pris devant vous en première lecture.
Le projet de loi qui vous est soumis aujourd'hui est également clarifié sur un point qui avait très largement fait débat : celui de la présence, dans ce texte relatif à la prévention de la délinquance, des dispositions relatives aux hospitalisations d'office.
L'attente légitime des professionnels et des familles pour une réforme complète des hospitalisations sous contrainte se trouvera prochainement satisfaite, grâce à l'habilitation à légiférer par ordonnance qui a été adoptée dans le cadre du projet de loi relatif aux professions de santé.
Xavier Bertrand est venu spécialement pour faire part à votre Haute Assemblée de l'état de ses discussions avec les professionnels de santé. Il vous en dira donc plus dans un instant.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi maintenir ces dispositions dans le projet de loi ? On ne comprend pas !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Soyez attentif, monsieur le sénateur, sans cela vous donnerez le sentiment, lorsque vous interviendrez, de ne pas avoir écouté la voix du Gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. J'ai très bien écouté !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Le projet de loi a été largement complété en première lecture. Les dispositions qui concernent la prévention dite « situationnelle » et la prévention des troubles de voisinage ont été substantiellement enrichies par l'apport de chacune des deux chambres et par leur dialogue, notamment pour ce qui concerne la prévention des troubles anormaux de voisinage et la lutte contre l'incurie de certains propriétaires bailleurs.
Le travail parlementaire a également permis des avancées substantielles concernant la lutte contre le stationnement illicite des gens du voyage, la lutte contre les violences routières, le contrôle des chiens dangereux, la lutte contre le développement des jeux d'argent.
Nous avons voulu également répondre, sans attendre, aux violences dont sont victimes les forces de l'ordre, et dont l'actualité récente a fourni des illustrations proprement intolérables. Les pompiers, les agents des transports publics, ceux de l'administration pénitentiaire, sont également menacés. Désormais, ceux qui s'en prendront à eux savent qu'ils seront passibles de la cour d'assises.
L'amendement que propose votre rapporteur pour lutter contre le happy slapping, cette pratique odieuse qui consiste à enregistrer et à diffuser, dans une sorte de glorification de la barbarie, des images des agressions les plus violentes, viendra renforcer l'effort que nous menons pour apporter des réponses toujours plus rapides aux nouveaux seuils que franchissent, sous nos yeux, la barbarie et la violence.
Enfin, un dialogue constructif avec l'Assemblée nationale nous a permis d'avancer sur deux sujets majeurs, sur lesquels il vous est à présent proposé, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous prononcer à votre tour.
Le premier de ces sujets, c'est bien entendu l'excuse de minorité. Personne ne conteste ce constat : des actes de plus en plus graves sont commis par des mineurs de plus en plus jeunes. Aujourd'hui, sous prétexte que des jeunes sont mineurs, nous attendons leur majorité pour réagir. C'est pour cela que Nicolas Sarkozy a voulu ouvrir ce débat,...
M. Jean-Pierre Sueur. C'est pourquoi il n'est pas là !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...non pour supprimer l'excuse de minorité, mais pour l'adapter à ce qu'est aujourd'hui la délinquance des mineurs.
Si vous adoptez le texte retenu par l'Assemblée nationale, mesdames, messieurs les sénateurs, les magistrats pourront écarter plus facilement l'excuse de minorité pour les mineurs de plus de 16 ans ; lorsqu'il s'agira de récidivistes, ils n'auront pas à motiver cette décision.
Le second sujet, c'est celui de l'écart entre les peines qui sont prévues par le code et celles qui sont réellement prononcées. Nos concitoyens ne comprennent plus pourquoi, alors que le législateur détermine pour chaque infraction une peine encourue, certains délinquants peuvent commettre des infractions à répétition sans que cette peine, que la récidive fait d'ailleurs doubler, soit jamais appliquée.
Désormais, en cas de récidive ou de réitération, la juridiction devra motiver le choix de la peine qu'elle prononce au regard des peines encourues. Quand la justice est rendue au nom du peuple français, la moindre des choses c'est que ce dernier puisse la comprendre !
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les observations dont je voulais vous faire part, au nom du Gouvernement. Je veux vous rappeler que le fait d'opposer systématiquement prévention et répression, comme le font certains, c'est une caricature.
Qui contestera que la certitude de la sanction soit le premier élément de la prévention ? Qui contestera la nécessité, pour éviter que des jeunes, qui n'ont plus de repères, ne dérivent vers la délinquance, non seulement de les aider, d'aider leurs familles à assumer leurs responsabilités, mais aussi d'apporter des réponses pénales rapides, diversifiées et adaptées à chaque âge, plutôt que d'entretenir le sentiment d'impunité ?
Ce texte, les Français l'attendent, car ils attendent de nous que nous cessions d'opposer systématiquement prévention et répression.
Ce texte, les Français l'attendent, car ils attendent du Gouvernement comme du législateur qu'ils sachent apporter à des questions qui empoisonnent la vie quotidienne de nos concitoyens, notamment les plus défavorisés, des réponses simples, pragmatiques, efficaces.
Ce texte, les Français l'attendent, car ils ne veulent plus entendre ni ceux qui se complaisent dans des postures idéologiques, ni ceux qui, faute de pouvoir inventer des solutions, prétendent qu'il n'y a pas de problèmes.
L'ambition de ce texte, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est d'apporter des réponses à nos concitoyens, de fournir des outils à ceux qui, jour après jour, sont confrontés aux réalités du terrain et qui, malgré toutes les difficultés, tous les découragements parfois, ont décidé de ne pas renoncer.
Pour notre part, avec M. le ministre d'État,...
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'est toujours pas là !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. ...nous serons toujours du côté de ceux qui ne renoncent pas ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est le ministre de la santé et des solidarités qui est présent, et non pas le ministre de l'intérieur, alors qu'il s'agit de parler de la sécurité !
M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le présent projet de loi relatif à la prévention de la délinquance tend à apporter une réponse globale et cohérente au problème de l'insécurité. Pour la première fois, les déterminants de la délinquance sont abordés, à la fois dans leur globalité et, disons-le clairement, dans leur complexité. C'est ce qu'ont voulu le ministre d'État, Nicolas Sarkozy,...
M. Charles Gautier. Il n'est pas là !
M. Xavier Bertrand, ministre. ...et l'ensemble des ministres concernés par ce texte.
Le projet de loi, qui vous est soumis aujourd'hui, adopté en première lecture au Sénat le 21 septembre dernier, et à l'Assemblée nationale le 5 décembre, met en place des procédures renouvelées qui permettent aux différents acteurs de partager l'information grâce à des procédures plus efficaces, garantissant un juste équilibre entre la sécurité de nos concitoyens et le respect du droit des malades.
En effet, aujourd'hui, on observe bien trop souvent un système cloisonné, dans lequel les différents acteurs de la prévention de la délinquance peuvent éprouver des difficultés à dialoguer ensemble. À l'évidence, personne ne souhaite que s'établisse une confusion entre délinquance et santé mentale. Le rapport Garraud relatif à la prise en charge des patients dangereux, qui a été remis au Premier ministre, établit une distinction claire entre la dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminologique.
Cependant, nous devons reconnaître que certains troubles psychiatriques ne sont pas étrangers à certains comportements violents.
Même si aujourd'hui les dispositifs de prise en charge médicale des malades atteints de troubles mentaux produisent indéniablement des effets, il est manifeste que nous devons aussi concentrer nos efforts sur l'amélioration de la coordination entre l'autorité judiciaire et le système de soins, pour aboutir à un traitement efficace de la délinquance associée à des troubles psychiques. Il faut tout simplement que les acteurs concernés se parlent pour éviter toute rupture dans la continuité des soins.
Le Gouvernement s'était engagé à élaborer une réforme de la loi de 1990 sur les hospitalisations sous contrainte, à la fois globale et équilibrée. Cette réforme était demandée et attendue par l'ensemble des professionnels de santé et par les associations de patients. Elle est l'aboutissement d'une réflexion et d'une concertation menées depuis près de deux ans. Il était nécessaire de trouver un support législatif susceptible d'accueillir cette réforme. Le calendrier parlementaire très restreint a obligé le Gouvernement à recourir à la voie de l'ordonnance.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de garantir la tenue d'un débat parlementaire, le Gouvernement a souhaité maintenir les articles 18 à 24 concernant l'hospitalisation d'office dans le projet de loi qui vous est présenté. Il ne peut que s'en féliciter, car le débat fut riche.
La nécessité d'élaborer une réforme globale a été soulignée par tous les intervenants, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. En effet, ces questions dépassent largement, et nous le savons, le clivage droite-gauche, ce qui est suffisamment rare pour être dit.
Un groupe de travail s'est réuni à trois reprises, afin d'élaborer les axes de réforme de la partie sanitaire de l'hospitalisation sans consentement. Les trois réunions de concertation, qui ont eu lieu les 15 et 28 novembre ainsi que le 13 décembre, ont permis de dégager un consensus. Tous les experts se sont accordés sur la nécessité de mettre en place un dispositif de soins sans consentement qui prenne en compte non seulement le volet hospitalier, mais aussi ses modalités ambulatoires. C'est tout l'esprit de cette réforme qui, je le répète, se veut globale et qui a pour objectif d'être adaptée au parcours de soins du patient, à quelque moment que ce soit. C'est pourquoi il ne s'agit plus simplement de la mise en place de modalités d'hospitalisation. Nous voulons désormais parler de modalités de soins psychiatriques, et l'enjeu n'est pas seulement sémantique.
Les différentes modalités des soins sans consentement, qu'il s'agisse de l'hospitalisation d'office, de l'hospitalisation à la demande d'un tiers ou de l'obligation de soins ambulatoires, doivent être adaptées à l'état du patient.
Cette réforme inclut, par ailleurs, celle de la notion de tiers en cas d'absence de tiers, en particulier pour les personnes se trouvant dans un grand isolement.
Enfin, le présent projet de loi prévoit de perfectionner le fonctionnement des commissions départementales des soins psychiatriques, dans un souci d'amélioration du droit des malades et du respect de la réglementation. L'habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance sur ce dossier a été adoptée par l'Assemblée nationale le 23 novembre dernier et par le Sénat le 21 décembre. Elle sera soumise, en deuxième lecture, à l'Assemblée nationale le 11 janvier prochain, ce qui nous permettra de répondre à la demande qui a été exprimée sur les différentes travées et à celle des acteurs du secteur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement, attaché à la mise en place d'une réforme globale et équilibrée, a tenu ses engagements. La concertation a permis la rédaction d'un texte équilibré, qui pourra être publié sous forme d'ordonnance au début du mois de février et qui sera également présenté aux parlementaires particulièrement intéressés par ce sujet, comme je m'y étais engagé devant la Haute Assemblée.
Le Gouvernement a pris en considération les messages qui lui ont été adressés. C'est dans cet esprit, en dehors de tout climat passionnel, que nous pourrons résolument avancer dans l'intérêt de tous, de la sécurité de nos concitoyens et du respect du droit des malades. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en abordant l'examen, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, je souhaite souligner à quel point le travail du Sénat et de l'Assemblée nationale a contribué, en étroit partenariat avec le Gouvernement, à enrichir ce texte et à le compléter.
Les innombrables auditions auxquelles il a été procédé, comme les multiples amendements qui ont été adoptés, ont permis, sur bien des points, d'infléchir les principales orientations de la réforme. Il en va ainsi, notamment, des modalités qui permettront demain au maire de s'affirmer comme le pilote de la prévention de la délinquance, dans le respect des responsabilités et des prérogatives tant des conseils généraux et de leur président que des travailleurs sociaux ou de la justice.
L'écoute attentive des associations d'élus locaux, dans leur diversité républicaine, a permis de dissiper les craintes d'un maire shérif ou d'un maire fouettard pour ne retenir désormais que l'image du chef d'orchestre, garant de l'harmonie de l'ensemble, sans prendre la place d'aucun des musiciens.
Les deux assemblées se sont efforcées de veiller à la cohérence de la législation, en coordonnant, par exemple, le texte que nous examinons aujourd'hui avec le projet de loi réformant la protection de l'enfance. D'ailleurs, à l'heure actuelle, nul ne peut plus mettre en doute l'attachement de chacun à une adoption rapide de ce dernier par le Parlement.
Des dispositifs fort sensibles, comme les conditions de partage de l'information ou l'éventuelle levée du secret médical dans le cadre de la lutte contre les violences conjugales, ont fait l'objet de débats approfondis et d'un travail minutieux de mise au point permettant d'aboutir à des solutions équilibrées, que la seconde lecture pourra finaliser.
Je ne saurais trop exprimer ma satisfaction que, en dépit des circonstances et d'un encombrement - que d'aucuns jugent, légitimement, excessif - de l'ordre du jour du Parlement dans les semaines à venir, l'urgence n'ait pas été déclarée sur ce projet de loi. Face à l'ambition de cette réforme et aux bouleversements qu'elle va introduire dans la vie quotidienne de nos collectivités et dans celle de la société tout entière, l'urgence eût été une frustration pour les parlementaires et une forme de camouflet pour la démocratie.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En outre, elle aurait ruiné tout espoir de voir se dégager - certes, au lendemain de la période électorale - un consensus très large sur les principaux axes de cette réforme, qui constituera la meilleure garantie de sa réussite.
Venons-en aux principales évolutions que ce projet de loi a connues.
Parmi les modifications adoptées par l'Assemblée nationale, on peut relever, notamment, le souci d'une meilleure information du maire par le procureur de la République quant aux suites judiciaires données aux infractions causant un trouble à l'ordre public commises sur le territoire de sa commune.
Les députés ont également souhaité élargir les marges de manoeuvre des élus locaux. C'est ainsi que la désignation d'un coordonnateur par le maire devient facultative, comme la création, par le conseil municipal, d'un conseil pour les droits et devoirs des familles.
En outre, dans le respect des compétences de chacun et eu égard à la volonté de ne pas voir remis en cause le rôle de médiateur du maire, l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité pour le conseil pour les droits et devoirs des familles de proposer au maire de demander à la caisse d'allocations familiales, ou CAF, la mise en place, en faveur de la famille, d'un dispositif d'aide à la gestion des prestations familiales.
Dans le même esprit, la saisine par le maire du juge des enfants afin de demander la mise sous tutelle des prestations familiales ne pourra se faire que conjointement avec la CAF. Si le juge pourra toujours désigner, le cas échéant, le coordonnateur pour exercer la fonction de délégué aux prestations familiales, ce choix ne pourra plus lui être proposé formellement par le maire.
Ce projet de loi a été également élargi, grâce à l'adoption de très nombreux articles additionnels.
Notre Haute Assemblée en a introduit douze en première lecture, afin d'instituer un fonds interministériel de prévention de la délinquance, de durcir la législation relative aux chiens dangereux, de déterminer les conditions de résiliation du bail en cas de troubles de voisinage, ou encore de favoriser l'évacuation forcée en cas de violation des règles relatives au stationnement des gens du voyage.
L'Assemblée nationale a très largement approuvé les nouvelles mesures adoptées par le Sénat et a apaisé certaines craintes qui avaient été exprimées dans cet hémicycle. Ainsi, le fonds interministériel ne sera pas « un fonds sans fonds », pour reprendre l'expression de certains collègues. Outre la part des crédits délégués par l'État à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, à laquelle il sera adossé, il recevra une partie du produit des amendes forfaitaires de la police de la circulation.
À son tour, l'Assemblée nationale a inséré dans le projet de loi trente articles additionnels. Elle a ainsi étendu la portée de la disposition, actuellement prévue par l'ordonnance du 2 février 1945, permettant au juge de déroger au principe de l'atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs de plus de 16 ans.
Devant la multiplication des faits de violence commis à l'encontre des forces de l'ordre ou des agents du service public de transport, elle a réintroduit dans le code pénal la circonstance aggravante de guet-apens, créé le délit d'embuscade ainsi que l'infraction de violence volontaire avec arme sur dépositaire de l'autorité publique et aggravé les peines en matière de rébellion.
En outre, ont été introduites un certain nombre de dispositions relatives aux activités de sécurité privée, à la réforme du permis à points, à la possibilité pour le procureur de la République de délivrer un mandat d'arrêt en cas de manquement à une obligation liée au placement sous surveillance électronique mobile ou à la lutte contre le développement des jeux d'argent sur Internet.
La commission des lois vous proposera, mes chers collègues, d'approuver largement ces mesures nouvelles qui, dans leurs grandes lignes, renforcent et prolongent les orientations retenues par le Sénat en première lecture.
Elle vous soumettra, cependant, plusieurs amendements tendant, pour l'essentiel, à améliorer ou à compléter, sur certains aspects, le texte issu de l'Assemblée nationale.
Enfin, elle vous proposera de poursuivre la réflexion autour de deux mesures : la première vise à étendre à la diffamation les cas dans lesquels les associations départementales de maires peuvent se constituer partie civile, et la seconde à incriminer le fait d'enregistrer et de diffuser les images concernant la commission d'infractions de violence. Sur ce dernier point, nous craignons que la pratique récente, connue sous le nom bien mal choisi de happy slapping, ne prenne des proportions inquiétantes, avec la banalisation des téléphones mobiles équipés de caméra et la disponibilité des caméras vidéo.
Dans un livre très récent, intitulé La France d'en dessous, le maire de Sarcelles, qui ne manifeste pas - c'est le moins que l'on puisse dire - une admiration débordante pour le gouvernement auquel vous appartenez, messieurs les ministres, témoigne de son action au quotidien.
Je vous en propose quelques extraits.
« Il n'est pas du rôle de la municipalité d'apprécier la décision d'un juge, mais, dans certains cas, elle doit en être avertie pour prendre les mesures nécessaires de surveillance afin d'éviter un nouveau drame. »
Je cite encore : « Pour un mineur en situation de rupture sociale, d'échec scolaire et qui n'a pas bénéficié d'une prise en charge éducative suffisante depuis sa plus jeune enfance, il faut des règles. Or le système judiciaire français ne lui en donne pas suffisamment. Le cas le plus classique, c'est le vol de portable. La première fois, le voleur aura un simple rappel à la loi : ?Ce n'est pas bien.? La deuxième fois se déroule à l'identique. La troisième fois, celle de trop, il sera enfin convoqué au tribunal, mais six mois après. Dès la première infraction, il lui faudrait une sanction signifiante, expliquée et compréhensible,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Exactement !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...sinon pourquoi devrait-il s'arrêter ? Le fait de repartir libre, et tout de suite, lui donne le sentiment de n'avoir rien fait de mal. Nous avons des cas d'adolescents qui ont commis cinquante vols de portable avec agression avant de se retrouver devant un juge et d'être incarcérés. »
Mme Raymonde Le Texier. Il faut donner des moyens à la justice !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J'en suis convaincu, mes chers collègues, ce projet de loi mérite mieux que des oppositions aussi systématiques que convenues et la promotion d'une véritable politique de prévention doit s'appuyer sur l'expérience de chacun et se garder de tout manichéisme. Les élus locaux l'ont bien compris. Il n'est pas interdit d'espérer que les parlementaires leur emboîtent le pas.
Sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, la commission des lois vous propose d'adopter ce projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, aujourd'hui nous revient en deuxième lecture le projet de loi censé, selon vous, « prévenir » la délinquance mais dans lequel, selon nous, transparaît seulement une volonté de répression.
Ce caractère répressif a été renforcé en première lecture tant par les sénateurs que par les députés.
S'agissant de la délinquance des mineurs, je me permettrai de citer ici les mesures préconisées, qui ne font que stigmatiser les jeunes, lesquels sont perçus par vous uniquement comme des délinquants : extension aux mineurs de treize ans à dix-huit ans de la composition pénale et de la comparution immédiate actuellement réservées aux majeurs, abaissement à treize ans de la possibilité de placer un mineur sous contrôle judiciaire, nouvelles sanctions éducatives pour les enfants dès dix ans, etc.
L'Assemblée nationale a cru bon d'en rajouter, en portant de six mois à un an la durée maximale des mesures de composition pénale, en modulant, pour les mineurs de plus de treize ans, la durée du placement prévu à l'article 39, en permettant de déroger au principe de l'atténuation de la responsabilité pénale pour les mineurs récidivistes âgés de plus de seize ans.
Vous n'avez pas réussi à aller au bout de votre logique, à savoir la suppression pure et simple de l'excuse de minorité qui vous gêne tant.
Quant aux peines plancher pour les multirécidivistes, la tentative de les insérer dans ce texte a fort heureusement échoué mais elles figurent toutefois toujours dans le projet législatif de l'UMP pour 2007-2012.
Mme Éliane Assassi. Vous le constatez, j'ai de bonnes lectures !
La remise en cause des principes fondateurs de l'ordonnance de 1945 est votre cheval de bataille, avec l'objectif d'aligner le droit pénal des mineurs sur celui qui est applicable aux majeurs.
Pour ce faire, vous êtes prêts à tous les mensonges. Ainsi, et contrairement à ce que vous avancez, la justice des mineurs n'est pas laxiste et n'organise pas l'impunité des mineurs : entre 1994 et 2004, le nombre de jeunes de moins de dix-huit ans mis en cause a augmenté de 68,9 % ; dans la même période, le nombre de mineurs poursuivis a crû de 63,7 %.
C'est dire si l'on assiste à un durcissement continu du traitement judiciaire de la délinquance juvénile, et non à la démission des magistrats. Le taux de réponse pénale aux affaires mettant en cause des mineurs est supérieur à celui qui concerne les affaires impliquant des majeurs.
Votre texte comprend désormais une multitude de nouveaux délits, quand il n'aggrave pas les peines de délits existants, et s'inspire pour l'essentiel de faits divers : délit d'embuscade, réintroduction de la notion de guet-apens dans le code pénal, délit de détention ou de transport de substances incendiaires, incrimination spécifique des violences volontaires commises contre les forces de l'ordre, les pompiers ou les agents de transport public, sanction plus sévère en cas de circulation sur la voie publique avec un quad ou une mini-moto, aggravation de la répression de la rébellion, durcissement de la législation relative aux chiens dangereux, évacuation forcée des gens du voyage et aujourd'hui le happy slapping.
Ce texte comprend également de nouvelles sanctions, comme la sanction-réparation...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas mal, cela !
Mme Éliane Assassi. ...et la sanction-restauration, ainsi que de nouvelles peines complémentaires, comme la généralisation de la mesure de confiscation, et multiplie les circonstances aggravantes, notamment en matière d'usage de stupéfiants ou encore de délit d'attroupement dans les halls d'immeubles.
Où est la prévention, mes chers collègues de la majorité ? Vous ne faites que courir après les faits divers et les traduire en article du code pénal !
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Voilà votre politique de prévention, qui n'est rien d'autre qu'une politique de lutte contre l'insécurité, de surcroît inefficace et inutile, car elle n'a d'impact ni sur la prévention du passage à l'acte délictuel, ni sur celle de la récidive.
Dans ce texte, rien n'est prévu concernant les domaines d'intervention pourtant prioritaires, au nombre desquels l'éducation, la santé, la culture, la formation, l'emploi, le logement, le suivi éducatif et psychologique. Et quand y sont évoquées l'action sociale, l'action éducative et la psychiatrie publique, c'est uniquement pour en transformer les objectifs et les mettre au service de la lutte contre l'insécurité.
L'État pénal continue ainsi de se renforcer alors que l'État social régresse de plus en plus. Les conséquences en sont désastreuses : extension au domaine social et sanitaire des mesures imposées depuis 2002 dans le domaine strictement pénal - fichage, pénalisation des problèmes sociaux au lieu de les soulager, etc. -, stigmatisation accrue des jeunes et des personnes fragilisées psychologiquement, socialement, économiquement, considérés comme des délinquants potentiels.
Vous continuez, dans le prolongement de la loi de 2003 pour la sécurité intérieure aux termes de laquelle ont été créées pour la première fois des infractions de la pauvreté, de désigner des boucs émissaires : prostituées, mendiants, SDF, immigrés, gens du voyage, jeunes, familles considérées comme défaillantes et laxistes.
En revanche, on aura noté l'absence totale de mesures visant à lutter contre la délinquance économique et financière, ou encore en matière de droit du travail. Si ce type de délinquance est moins visible, il n'en demeure pas moins qu'elle coûte très cher à la collectivité. Nous y reviendrons à l'occasion de la présentation de nos amendements, regroupés dans un chapitre II bis consacré à la prévention de la délinquance économique et financière.
Par ailleurs, votre projet de loi place le maire au centre de la politique de prévention de la délinquance : demain, il sera à la fois père fouettard, shérif, Big Brother puisqu'il aura accès à de nombreux fichiers, délégué du procureur avec le rappel à la loi, alors que seul l'État - et non pas le maire - est le garant du bon fonctionnement de la chaîne pénale.
M. Charles Gautier. C'est vrai !
Mme Éliane Assassi. Le pouvoir de police du maire remplacera définitivement l'action sociale, avec pour seule obsession la lutte contre l'insécurité.
En réalité, c'est un véritable cadeau empoisonné qui est fait aux maires. Il s'agit également d'un double mensonge : d'une part, vous mentez aux maires en leur faisant croire qu'ils auront les moyens de prévenir la délinquance (Hélas ! sur les travées du groupe socialiste) ; d'autre part, vous mentez à leurs administrés en leur laissant croire que le maire a tous les pouvoirs et qu'il pourra résoudre l'ensemble de leurs problèmes, en matière de troubles du voisinage, par exemple.
M. Charles Gautier. Tous coupables !
Mme Éliane Assassi. Quoi qu'en dise M. le rapporteur, les élus, dans une grande diversité, sont opposés à ces nouvelles mesures les concernant.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas l'AMF !
Mme Éliane Assassi. Ce projet de loi va avoir pour conséquence la municipalisation de la lutte contre l'insécurité et de la justice en violation flagrante de la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.
Ce texte organise des transferts importants de compétences de l'État vers les collectivités locales sans aucune contrepartie.
Ce désengagement de l'État en matière de sécurité, laquelle relève pourtant de ses missions régaliennes, va engendrer de profondes inégalités entre les territoires, entre les communes ou entre les EPCI, entre ceux qui auront les moyens de se payer une police municipale et/ou d'avoir recours à des sociétés privées de gardiennage, sans oublier la vidéosurveillance, et les autres qui n'en auront pas les moyens, sauf à augmenter la fiscalité locale.
Le développement des polices municipales a pour objet de remplacer la police de proximité que vous avez supprimée, ce qui permet à l'État de réaliser de substantielles économies en la matière.
Au contraire, il faut réactiver la police de proximité, comme le préconisent les auteurs d'un récent rapport du Sénat sur les quartiers en difficulté, plutôt que de développer les polices municipales, ou encore d'envoyer les CRS, les brigades anti-criminalité, ou BAC, et les groupes d'intervention régionale, ou GIR, dans les quartiers dits sensibles.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Ce texte vise, en outre, à multiplier les fichiers et à faciliter leur croisement. C'est une véritable politique de surveillance, de contrôle social qui se met en place. Nous assistons à la mise en oeuvre d'une société telle que vous la souhaitez : une société autoritaire de fichage et de délation avec le fameux « secret partagé ». Avec ce texte, vous détournez et inversez les finalités : la sanction remplace l'éducation, le « flicage » remplace le travail social.
La responsabilité des parents est, quant à elle, mise en question avec la création de conseils des droits et devoirs des familles, qui ne vont faire que stigmatiser et culpabiliser un peu plus encore les parents jugés défaillants plutôt que de les aider.
Pourtant, la défaillance ne se trouve-t-elle pas davantage du côté du système libéral, imposant toujours plus de flexibilité dans le travail et dans tous les domaines de la vie, que du côté des parents eux-mêmes ?
Ainsi donc, vous poursuivez dans la même voie : celle de la répression, celle qui ne donne aucun résultat, celle qui crispe tout le monde, celle qui oppose les gens entre eux - les jeunes, les policiers, les familles -, celle qui est aux antipodes de l'apaisement social. Vous en êtes arrivés aujourd'hui, à la fin de la présente législature, à faire modifier des lois que, soutenu par une majorité parlementaire aux ordres, vous avez fait voter en 2002, en 2003, en 2004, en 2005 et en 2006 ! Avec vous, le travail législatif n'est jamais fini en matière pénale !
Aucun des textes sécuritaires que vous avez fait adopter depuis 2002 n'a donné de résultat. (M. Jean-Patrick Courtois s'exclame.) Vous faites voter des lois sans les faire appliquer. Où sont, par exemple, les décrets d'application de ces lois ? Où sont les bilans d'application de ces lois, dont le législateur devrait disposer avant de voter de nouvelles mesures législatives ?
Quant aux dispositions relatives à l'hospitalisation d'office, vous avez enfin compris qu'elles faisaient un amalgame douteux entre délinquants et malades mentaux et vous avez décidé de faire passer votre réforme par ordonnance. Dont acte.
Cependant, le problème de fond demeure, puisqu'on va assister à un désengagement de l'État en matière de santé, sans parler de la forme, puisque les articles 18 à 24, annoncés par ordonnance, restent tout de même dans le présent projet de loi. Malgré l'intervention de M. le ministre de la santé et des solidarités, je persiste à ne pas comprendre ce que font encore ces articles dans ce texte. Nous reviendrons sur ce point lors de l'examen desdits articles.
Votre surenchère législative n'est-elle pas un aveu d'impuissance, un aveu d'échec sur toute la ligne de votre politique de sécurité face à une situation qui vous dépasse ? Allez-vous continuer à augmenter les peines d'emprisonnement et les amendes ? Non seulement ce n'est pas dissuasif - vous le savez pertinemment, messieurs les ministres - mais, de plus, quand les peines encourues sont aussi disproportionnées par rapport aux faits commis, la sanction n'est pas comprise.
Vous êtes-vous seulement interrogés sur les conséquences de l'augmentation des peines d'emprisonnement, de la création de nouveaux délits, sur l'état de nos prisons, qui souffrent déjà de surpopulation, de vétusté et d'insalubrité ?
Votre politique aussi libérale que répressive a conduit en moins de cinq ans le pays dans une impasse. Les chiffres de l'Observatoire national de la délinquance, qui a rendu publique, le mois dernier, sa deuxième enquête de victimisation, le prouvent. (M. Philippe Goujon fait un signe de dénégation.) Les chiffres recueillis sont trois fois supérieurs aux vôtres : en 2005, plus de 9 millions d'atteintes aux biens auraient été commises et près de 4 millions de personnes auraient été victimes d'au moins une agression, soit au total plus de 12 millions de crimes et délits.
M. Philippe Goujon. Vous ne savez pas lire les chiffres !
Mme Éliane Assassi. On est bien loin des 3,7 millions de crimes et délits constatés par la place Beauvau.
Quant aux violences scolaires, elles sont, elles aussi, en hausse. Dans un document émanant de ses services, le ministère de l'éducation nationale note en effet une dégradation de la situation depuis les années 2002-2003, avec une hausse de 7 % des actes violents envers les professeurs sur la période 2005-2006 par rapport à 2004-2005.
Pour laisser croire qu'elle s'occupe de cette question, la droite n'a rien trouvé de mieux que de créer une nouvelle sanction - une de plus ! -, je veux parler de la répression de la pratique du happy slapping, sur laquelle nous reviendrons tout à l'heure.
Je regrette quant à moi la suppression par l'Assemblée nationale de l'article 8 bis et le maintien de cette suppression par la commission des lois du Sénat. Pour mémoire, cet article, introduit dans le texte sur l'initiative de mon groupe, visait à faire du service public de l'éducation un véritable acteur de la lutte contre toutes les formes de violences. Nous nous inscrivions avec cette disposition dans le domaine de la prévention ; la droite lui a préféré le domaine de la répression !
Quant au climat dans les quartiers ayant subi les émeutes de l'automne 2005, force est d'admettre qu'il reste très tendu depuis cette époque, notamment entre la population et les policiers. Mais comment pourrait-il en être autrement, puisque ce gouvernement reste sourd aux souffrances qui s'y expriment, souffrances qui trouvent toutes leurs racines dans vos politiques libérales : casse des retraites ; système de santé à deux vitesses ; chômeurs radiés et, donc, privés d'indemnisation ; délocalisations et leur corollaire en termes de suppression d'emplois ; privatisations de pans entiers de notre économie.
Par conséquent, nous voterons contre ce texte, qui, loin d'avoir vocation à être efficace, est avant tout un pur produit idéologique fondé sur une conception libérale de la société selon laquelle la sécurité prime sur l'accompagnement des familles.
Nous voterons contre ce texte, qui ne sert à rien ni à personne : ni à la population, ni aux professionnels, ni aux élus. Il tend plutôt à les opposer les uns aux autres.
Et parce que ce texte constitue selon nous une vraie menace pour la prévention en tant que telle, l'éducation, l'accès aux soins et les libertés individuelles, nous avons déposé une motion tendant à opposer l'irrecevabilité, que défendra tout à l'heure mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, ce projet de loi, faussement intitulé « prévention de la délinquance », nous arrive donc en deuxième lecture. C'est peu de dire qu'il ne nous donne pas satisfaction.
Aucune des inquiétudes dont nous avons fait état n'a été dissipée et celles-ci peuvent même se trouver renforcées après l'examen du texte par l'Assemblée nationale. Mes collègues socialistes entreront tout à l'heure dans le détail. Pour ma part, je me bornerai à un simple « balayage », qui justifie à lui seul notre position.
Comme vient de le souligner Mme Assassi en terminant son propos, nous considérons toujours qu'il s'agit d'un texte inutile. Présenté dans une précipitation suspecte, après des années d'atermoiements, sans évaluation aucune des résultats des six lois répressives déjà votées par la majorité depuis 2002, il est à l'évidence un texte d'affichage, destiné à nourrir le bilan formel d'un candidat à la Présidence de la République, lequel, ministre de l'intérieur, est cependant toujours aussi absent des débats sur un sujet qu'il a pourtant porté et présenté comme majeur.(M. le ministre délégué s'entretient avec ses collaborateurs.)
Mme Raymonde Le Texier et M. Charles Gautier. Lancez un avis de recherche, monsieur le ministre délégué !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, je me demande d'ailleurs si M. le ministre délégué à l'aménagement du territoire est bien présent aujourd'hui, car il n'écoute rien !
M. Jean-Pierre Sueur. M. le ministre ne vient pas et M. le ministre délégué n'écoute pas !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le ministre délégué, vous avez un art consommé de la répartie, car, sans rien écouter, vous répondrez tout de même tout à l'heure à nos interventions : vous êtes vraiment très fort !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur le sénateur, je vous ai déjà répondu lors de la première lecture !
M. le président. Monsieur Peyronnet, vous ne pouvez pas à la fois demander à M. le ministre de l'intérieur d'être présent aujourd'hui et exiger tous les jours qu'il démissionne de sa charge ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, votre remarque est déplacée !
Mme Raymonde Le Texier. Il n'a pas encore démissionné !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez des regrets, monsieur le président ? (Sourires.)
Mme Raymonde Le Texier. M. Sarkozy a honte !
M. Jean-Patrick Courtois. Non ! Pourquoi aurait-il honte ?
M. Jean-Pierre Sueur. S'il est ministre, il faut qu'il vienne !
M. Charles Gautier. Lancez un avis de recherche !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, vous êtes quelque peu sorti de votre rôle. Pour ma part, je n'ai rien demandé à M. le ministre de l'intérieur : il fait ce qu'il veut. Tout ce que je souhaite, c'est qu'il vienne défendre devant nous les textes qu'il a proposés et qu'il a présentés comme importants.
Pour en revenir au présent projet de loi, il est inutile parce qu'il n'existe aucune chance qu'il bénéficie d'un début d'application avant les prochaines élections nationales, surtout quand on sait que nombre de décrets d'application des textes antérieurs sur le même objet ne sont toujours pas parus.
Il est également inutile sur le fond, du point de vue répressif qui le caractérise. À quoi sert, par exemple, d'aggraver les peines si l'on ne peut confondre les coupables ? Ainsi en va-t-il du délit d'« embuscade ». (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.) S'il ne peut qu'entraîner une adhésion de principe, on sait la difficulté à le caractériser et, par voie de conséquence, le risque d'amalgame qu'il favorise : en effet, comment la police fera-t-elle le tri, dans l'excitation d'une manifestation nocturne, entre les casseurs, les manifestants pacifiques et les simples badauds ? C'est une porte ouverte aux bavures et un pas de plus vers l'accusation de laxisme portée contre les juges.
En tout état de cause, monsieur le ministre, votre échec est évident, comme l'a déjà montré Mme Assassi en citant plusieurs chiffres. Pour ma part, je rappellerai simplement la hausse de 27 % en quatre ans des « violences non crapuleuses ». Votre échec, vous essayez toujours de le dissimuler derrière la responsabilité des autres. Au risque d'enflammer les banlieues, le ministre de l'intérieur a dénoncé la « racaille », comme si le mal des banlieues pouvait se résumer au comportement de quelques individus ! Au risque de déstabiliser un peu plus une institution déjà en difficulté, vous accusez l'école. Au risque de nourrir les idées les plus extrêmes, vous cédez à l'amalgame en associant troubles et immigration. Au risque d'introduire de façon inconséquente un dysfonctionnement majeur dans l'appareil institutionnel de l'État de droit, vous accusez les magistrats de démission.
Eh non, monsieur le ministre, la justice n'est pas laxiste ! Elle peut être lente, car elle manque de moyens d'instruction, mais elle n'est pas laxiste. Nous vous l'avions d'ailleurs déjà dit au mois de septembre dernier. Dans une étude récente parue dans la revue Claris du mois dernier, un sociologue, M. Mucchielli, démontre en effet opportunément le contraire et précise que les juges sont de plus en plus répressifs malgré l'absence très fréquente d'une caractérisation formelle des délits. Les classements sans suite sont de moins en moins nombreux. Les condamnations sont de plus en plus fréquentes, mais elles sont adaptées aux caractéristiques de la délinquance des mineurs. Élément plus intéressant encore, selon l'auteur, qui cite ses propres statistiques, lesquelles sont sûrement solides, la violence de ce type de délinquance n'a pas progressé depuis dix ans, malgré des faits très médiatisés : ce qui s'accroît de façon exponentielle, c'est la « petite délinquance faite de vols, de bagarres, de vandalisme, de consommation de drogues et d'insultes ou de coups échangés avec les policiers lors des contrôles ». Or, je le rappelle, le Premier ministre, était convenu à l'automne dernier que ces contrôles, par leur répétition, pouvaient être insupportables dans certains quartiers.
Que fait donc la justice ? Eh bien, elle agit ! Les mises en cause des jeunes de moins de dix-huit ans ont augmenté de 68 % en dix ans, passant de 109 000 en 1994 à 184 000 en 2004. Les alternatives aux poursuites telles que les rappels à la loi, les médiations, les réparations et les peines adaptées aux délits ont connu une progression colossale et ont été multipliées par quatorze en dix ans, passant de 4 000 à 59 000 sur cette même période. Dès lors, loin de dénoncer le « laxisme » des juges, M. Mucchielli évoque plutôt la « tolérance zéro ».
Monsieur le ministre, tout cela démontre à l'évidence que, sur ce point particulier de la délinquance des jeunes, les prémisses qui fondent la rédaction de votre texte sont fausses. Or c'est le moment que vous choisissez pour achever votre combat contre l'ordonnance de 1945, car, cette fois, nous y sommes ! Il ne s'agit plus d'adaptations, dont on sait qu'elles ont été nombreuses.
M. Henri de Raincourt. Vingt-trois !
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s'agit de s'attaquer à l'esprit de cette ordonnance : qu'en restera-t-il, lorsque l'article 35 du projet de loi aura été définitivement voté et que, avec la comparution immédiate comme avec la composition pénale, la justice des mineurs sera définitivement calquée sur celle des majeurs ? Certes, vous avez dû finalement renoncer à l'établissement des peines plancher. Mais vous faites tout pour permettre la disparition de l'excuse de minorité pour les mineurs de moins de seize ans.
En réalité, vous faites tout pour limiter la liberté des juges, par le biais des articles 35 et 45 bis. C'est grave, car cette liberté est en réalité une composante majeure de notre droit. Mal dénommée, elle constitue plutôt une contrainte déontologique, une obligation, un devoir : la peine ne doit être prononcée qu'après la prise en compte des circonstances et de la personnalité du prévenu. Selon nous, l'âge est une composante essentielle de cette personnalité, surtout lorsque l'on sait combien, à cette période de la vie, elle peut évoluer en quelques années, sinon en quelques mois.
Vous n'êtes pourtant pas gênés d'aller ainsi contre l'avis des juges, des psychologues et des travailleurs sociaux. C'est une faute lourde, que rien ne justifie, pas même vos statistiques, comme je l'ai démontré tout à l'heure. Une fois de plus, vous légiférez en fonction de l'émotion, que ce soit à propos de la malheureuse affaire de la jeune femme brûlée à Marseille et de celle qui s'est fait dévorer par ses chiens, ou encore à propos des derniers débordements racistes, effectivement inadmissibles, des supporters du PSG. Tous ces faits sont graves. Faut-il pour autant s'en remettre à une « législation de faits divers », comme il existe une « littérature de gare » ?
Ce qui transparaît plus encore dans ce texte après le passage à l'Assemblée nationale, c'est la méfiance de la majorité à l'égard de certaines populations, qui, additionnées, constituent des pans entiers de la société française.
La méfiance à l'égard de la jeunesse est évidente, y compris dans la lecture partiale que vous faites des chiffres de la délinquance. Or, je le rappelle, les meurtres et séquestrations, même si c'est sans doute déjà beaucoup, ne constituent que 0,3 % de la délinquance des mineurs, 1 % si on inclut les viols.
M. Jean-Claude Peyronnet. Loin d'approuver ces chiffres, bien sûr, je constate simplement que, par rapport à la masse globale, la proportion n'est pas supérieure à celle qui est observée pour la délinquance des majeurs.
Monsieur le ministre, vos réponses sont inadaptées et inefficaces. Pour ne citer qu'un exemple, croyez-vous qu'il suffit de durcir le délit d'occupation abusive des halls d'immeubles pour que ceux-ci cessent ? Si la police n'a pas pu faire cesser ces abus regrettables, n'est-ce pas d'abord parce qu'elle ne peut pas, de fait, intervenir dans certaines zones ou parce qu'il est très difficile de caractériser le délit ? Et cela ne renvoie-t-il pas à bien d'autres choses ? Au chômage ? À l'urbanisme ? Aux équipements collectifs ? Quant à étendre ce délit, comme l'a fait l'Assemblée nationale, aux toits des immeubles collectifs, on ne voit pas bien comment, étant incapable d'entrer par les rez-de-chaussée, la police pourra facilement courir sur les toits !
La méfiance de la majorité s'exerce également à l'égard des familles ou, plutôt, de certaines familles, dont on sent bien qu'elles n'habitent pas les beaux quartiers. Dans cette perspective, il n'est pas sans intérêt de constater que les amendements présentés à l'Assemblée nationale par la gauche, repris d'ailleurs au Sénat par nos amis du groupe CRC, et qui visent à réprimer la délinquance en col blanc ont tous été repoussés au motif, a dit M. le rapporteur, qu'il n'est pas certain qu'ils aient « leur place dans le texte ».
C'est une mauvaise plaisanterie ! Alors qu'on y traite de tout,...
Mme Raymonde Le Texier. Même de la psychiatrie !
M. Jean-Claude Peyronnet. ...alors qu'il constitue un inventaire à la Prévert, dans lequel seule la répression du raton laveur est épargnée (Sourires) - encore que, si on cherchait bien, on la trouverait peut-être ! -,
M. Jean-Patrick Courtois. On n'y a pas pensé !
M. Charles Gautier. Sarko laveur !
M. Jean-Claude Peyronnet. ...voilà que, tout à coup, vous vous avisez de considérer que les délits économiques et financiers ne peuvent pas y être évoqués. Quel aveu de partialité !
Pourtant, vous avez trouvé un peu de place pour faire cadeau aux automobilistes de points sur leur permis écorné. On voit bien par là que, lorsque vous le voulez, c'est-à-dire lorsque c'est électoralement rentable, vous pouvez transférer Noël en avril !
M. Henri de Raincourt. C'est cela qui vous fait peur !
M. Jean-Claude Peyronnet. La méfiance de la majorité s'exerce à l'égard des populations réputées a priori à risques, à l'instar des gens du voyage ou des consommateurs de drogue.
M. Jean-Patrick Courtois. Prenez-les chez vous !
M. Jean-Claude Peyronnet. Pourquoi, puisque vous voulez finalement légiférer par ordonnance, n'avez-vous pas « sorti » les articles 18 à 24 du présent texte, qui traitent de la santé mentale ?
M. Jean-Pierre Sueur. Bonne question ! C'est, à l'évidence, ce qui aurait dû s'imposer !
M. Jean-Claude Peyronnet. M. le ministre de la santé s'est justifié tout à l'heure, en nous expliquant qu'il souhaitait permettre au Parlement de s'exprimer. Personnellement, je me méfie toujours de ceux qui prônent la défense des droits du Parlement et qui choisissent ensuite de légiférer par ordonnance.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui ! C'est contradictoire !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je m'inquiète de la précipitation avec laquelle vous agissez pour régler un problème qui aurait dû l'être il y a très longtemps. Pourquoi ne pas prendre la voie normale plutôt que l'ordonnance ? En effet, sauf erreur de ma part, il était prévu que la loi de 1990 soit revue cinq ans après sa promulgation, c'est-à-dire avant 1996, voilà plus de dix ans. Alors que, pendant toute cette période, la voie normale n'a pas été utilisée, voilà que, subitement, vous nous dites qu'il y a urgence à traiter ce problème et à légiférer par ordonnance !
La méfiance de la majorité s'exerce également à l'égard des institutions. Vous voulez tout contrôler. On l'a vu pour les juges. On le voit aussi, à une plus petite échelle, pour des institutions jusqu'à présent indépendantes, comme la Commission nationale de déontologie de la sécurité. On ne vous reprochera pas d'avoir nommé à sa tête un président fortement marqué à droite, car c'est de bonne guerre.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. On ne peut pas nommer Schweitzer partout !
M. Jean-Claude Peyronnet. Mais quel est le sens d'introduire par la loi dans les statuts de la Commission un commissaire du gouvernement et de préciser qu'il pourra être accompagné d'adjoints ? M. Courtois a d'ailleurs déposé un amendement pour préciser les choses. Quoi qu'il en soit, monsieur le rapporteur, une telle précision est-elle bien du ressort de la loi ? Certainement pas ! Ce n'est même pas une disposition réglementaire au sens où on l'emploie habituellement dans cette enceinte. Elle relève plutôt du règlement intérieur tel qu'on peut l'observer dans le fonctionnement d'une association de joueurs de boules ! (Marques d'ironie sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Tout cela serait risible s'il ne s'agissait, en fait, d'introduire l'oeil du ministre dans une institution qui vous gêne !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C'est la même chose à la CNIL !
M. Jean-Patrick Courtois. Il n'y a pas besoin de l'oeil du ministre puisque j'y suis déjà !
M. Jean-Claude Peyronnet. Pour le reste, rien n'est changé, ou à peine, du point de vue des pouvoirs du maire, et pas plus au point de vue des relations entre collectivités.
Monsieur le rapporteur, à la fin de votre intervention, vous avez cité le maire d'une grande ville de banlieue. Personnellement, je terminerai en citant certains députés-maires UMP, qui ont donné leur avis sur ce texte pour la partie concernant les pouvoirs du maire. Ceux-ci ne s'y sont pas trompés. Pour Pierre Cardo, député UMP des Yvelines, il n'est pas facile d'être maire, mais cela risque d'être bien pire avec cet article 8. En outre, Jacques Pélissard, qui n'est pourtant pas n'importe qui puisqu'il préside l'AMF, l'Association des maires de France, craint que ce texte ne crée la confusion entre prévention et répression.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je l'ai auditionné longuement !
M. Jean-Claude Peyronnet. Certes, mais il s'est également exprimé à l'extérieur de cette enceinte !
M. Jean-Claude Peyronnet. Finalement, je résumerai la position partagée par beaucoup sur ce texte en citant un député UMP, qui a préféré garder l'anonymat, peut-être parce que les termes employés ne sont pas d'une valeur juridique absolue. Voici en effet comment il a qualifié le présent projet de loi dans Le Monde du 28 novembre 2006 : « Un nid d'emmerdes ! »
M. Jean-Claude Peyronnet. Telles sont quelques-unes des raisons qui justifient, monsieur le ministre, notre opposition formelle au texte que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, lors de la discussion de ce texte en première lecture, j'ai déjà eu l'occasion de souligner son caractère audacieux, notamment parce qu'il est transversal.
Il me semble donc assez contradictoire de reprocher à un texte à la fois de toucher à tout - au social, au logement, à l'urbanisme, à la procédure pénale et à la santé - et de ne s'attacher qu'à l'aspect répressif de la délinquance.
Je pense, pour ma part, que ce texte méritait d'être enrichi, ce qu'a d'ailleurs fait le Sénat, et avec force, en première lecture. Il faut également remercier l'Assemblée nationale d'avoir conservé une bonne partie des dispositions introduites par le Sénat.
Toutefois, sans reprendre les débats depuis le début, au risque de les prolonger indéfiniment, ce que, de toute façon, la procédure législative nous interdit, il me semble que certaines améliorations, peu nombreuses, peuvent encore être apportées. Ainsi, les établissements publics de coopération intercommunale qui se sont dotés de la compétence en matière de prévention de la délinquance doivent avoir un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.
L'information des maires avait également retenu notre attention. Loin de souhaiter obtenir systématiquement des pouvoirs supplémentaires en matière de police, les maires veulent, au contraire, être informés et écoutés sur toutes les questions qui concernent la prévention de la délinquance sur le territoire de leur commune. Il est donc nécessaire, à ce stade de notre discussion, d'imposer au procureur de la République d'informer les élus locaux des suites judiciaires données à des faits signalés par des maires.
La pratique du rappel à l'ordre par les maires existe déjà, je le rappelle, notamment dans les petites et moyennes communes. C'est dire que le texte ne fait donc que formaliser une pratique en vigueur dans de nombreux cas.
M. Jean-Claude Peyronnet. Nous sommes contre !
M. François Zocchetto. Il est donc inutile de s'inquiéter.
L'Assemblée nationale a cru bon d'introduire un mécanisme de convocation écrite préalable à ce rappel à l'ordre. Il s'agit d'une mauvaise idée, car cette procédure supplémentaire risque de renforcer la confusion entre le rôle du maire, acteur de la prévention, et celui des juges, chargés, quant à eux, de la répression.
J'espère, pour ma part, que le Sénat décidera de revenir à la rédaction qu'il avait adoptée en première lecture et de supprimer cette procédure de convocation écrite, dont le seul effet est de judiciariser le rôle du maire, ce qui n'est ni souhaitable ni, d'ailleurs, souhaité.
Je me réjouis, par ailleurs, de constater que le fonds interministériel pour la prévention de la délinquance, que le Sénat avait appelé de ses voeux, ait été financièrement conforté par la dernière loi de finances.
En matière d'action sociale, un équilibre a été trouvé entre l'intervention du maire et celle du président du conseil général s'agissant tant de la nomination du coordonnateur que de la création du conseil pour les droits et devoirs des familles.
J'attire toutefois l'attention du Sénat, en espérant que cet appel sera entendu par nos collègues députés, sur l'indispensable cohérence à trouver entre le présent texte et le projet de loi réformant la protection de l'enfance, dont la discussion au Palais-Bourbon débute aujourd'hui. Il faut souhaiter que l'examen concomitant de ces deux textes ne crée pas de confusion et que la concertation la plus grande s'établisse entre les deux assemblées.
En ce qui concerne l'habitat et l'urbanisme, je remarque que la disposition adoptée au Sénat a été profondément remaniée par l'Assemblée nationale. En effet, les députés ont décidé que tout propriétaire qui néglige d'utiliser les droits dont il dispose pour faire cesser les troubles suscités par son locataire sera responsable des dommages causés.
Je crains que cette disposition ne soit source de nombreuses difficultés.
M. Jean-Patrick Courtois. Tout à fait !
M. François Zocchetto. En effet, si les bailleurs devaient être reconnus systématiquement responsables des troubles causés non seulement par un locataire mais également par un simple occupant, il est à craindre qu'ils ne renoncent à louer leurs biens ou qu'ils ne sélectionnent leurs locataires avec plus de rigueur encore que ce qui est le cas actuellement.
Mme Raymonde Le Texier. Bien sûr !
M. François Zocchetto. Il serait donc opportun de supprimer cette responsabilité systématique du bailleur pour les troubles causés par l'occupant, comme nous l'avons décidé à la quasi-unanimité, ce matin, en commission des lois. Si nous ne le faisons pas, nous risquons de voir à l'avenir se multiplier les contentieux, et d'interdire à un certain nombre de nos concitoyens tout accès à un logement.
M. Jean-Patrick Courtois. C'est vrai !
M. François Zocchetto. En matière de délinquance des mineurs, je me réjouis que l'Assemblée nationale ait retenu le principe de la nouvelle procédure de présentation immédiate des mineurs devant la juridiction pénale, ainsi que celui de la composition pénale, dont le Sénat avait salué les effets positifs lors des travaux de la mission d'information relative aux procédures accélérées de jugement en matière pénale.
S'agissant de la composition pénale, je regrette, à titre personnel, qu'aucune distinction n'ait pu être établie entre les mineurs âgés de moins de seize ans, pour lesquels cette procédure ne me semble pas adaptée, et ceux de plus de seize ans, qui peuvent y être soumis sans problème.
Pour ce qui est de l'excuse de minorité et tout ce qui pourrait la remettre en cause, nous devons également demeurer vigilants, sauf, en effet, à considérer que le jeune en question est, d'une certaine façon, devenu adulte. Si cette remise en cause est acceptable dans certains cas, notamment lorsqu'un mineur est dans sa dix-huitième année, en revanche, pour les mineurs moins âgés, faire l'impasse sur l'excuse de minorité les ferait définitivement basculer dans le monde des adultes, option dont les conséquences sont non seulement importantes, mais dangereuses : nous connaissons tous les dégâts causés par la détention sur les mineurs.
Il faut, enfin, signaler les apports du texte en matière de renforcement de la lutte contre la pédopornographie sur Internet, la traite des êtres humains et le proxénétisme. Toutes les dispositions prises en ce sens sont positives.
Je le dis en toute sincérité : si nous voulons bien faire fi des polémiques politiciennes, dont les motivations sont souvent très éloignées du coeur du débat, nous ne pouvons en toute raison que saluer les apports du texte sur ces points d'ordre technique.
Nous demandons enfin à la commission des lois de fusionner les dispositifs de sanction-réparation et de sanction-restauration. Ce point, loin d'être anecdotique, oblige les auteurs d'une infraction à indemniser les victimes des préjudices, sous la forme d'une réparation matérielle, y compris en nature, du dommage causé. Cette mesure positive, qui s'apparente au travail d'intérêt général, ne peut produire que de bons effets, et j'espère que le Sénat la retiendra.
En conclusion, je formule le souhait que l'intégralité des propositions de la commission des lois ainsi que l'amendement relatif à la responsabilité des bailleurs sociaux soient acceptés par le Gouvernement. J'espère également que l'Assemblée nationale voudra bien se rendre à nos arguments et que nous parviendrons à un texte plus équilibré et, donc, utile à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nous reprenons nos travaux, en ce dernier trimestre de la législature, avec l'examen en deuxième lecture du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance. Ce n'est pas anodin, et ce pour deux raisons au moins.
La première raison, emblématique, est que ce texte apporte une nouvelle preuve, s'il en était besoin, que le Gouvernement n'a eu de cesse de maintenir l'enjeu de la sécurité pour nos concitoyens au centre de son action, comme nous nous y étions engagés lors de la dernière élection présidentielle et des élections législatives qui suivirent.
Cette cohérence tout au long du mandat, cet engagement inoxydable, a pu se vérifier, loi de finances après loi de finances.
En tant que rapporteur de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, la LOPSI, dès la session extraordinaire de l'été 2002, je peux témoigner au premier chef que le plan quinquennal d'orientation et de programmation a été respecté à l'euro près, année après année. C'est un précédent ! De mémoire de parlementaire, je n'ai pas d'autres exemples à vous communiquer.
La seconde raison tient au calendrier électoral.
Monsieur le ministre délégué, nous connaissons la force de travail de M. le ministre d'État et nous apprécions plus qu'il ne peut s'en douter sa capacité à jongler avec les emplois du temps.
Je sais aussi que la voie étroite dans laquelle il s'engage, celle de la rencontre solitaire d'un homme avec son pays, nécessite plus que de l'attention.
Mais, puisque nous sommes à l'aube de cette échéance et que le texte qui nous réunit aujourd'hui est probablement le dernier qu'il défend en tant que ministre de l'intérieur, ...
M. Jean-Pierre Sueur. Qu'il pourrait défendre s'il était là !
M. Jean-Patrick Courtois. ... je vous demande, monsieur le ministre délégué, de lui dire, au nom de tous les collègues de mon groupe, combien nous avons admiré, projet de loi après projet de loi, sa détermination, son pragmatisme et surtout sa volonté de faire bouger les curseurs.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est une candidature pour le prochain gouvernement ?
M. Jean-Patrick Courtois. Ce dernier texte est à l'image de l'ensemble de l'action politique qu'il a menée depuis 2002, et il faut le porter à son crédit.
J'ai eu l'occasion de suivre un grand nombre de ces textes en première ligne, en tant que rapporteur de la LOPSI, de la loi relative à la sécurité intérieure et de la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité. Cela m'a permis d'acquérir la conviction que la méthode de travail du ministre de l'intérieur est la bonne.
Cette méthode consiste, tout d'abord, à ne jamais se voiler la face ni à se croire plus écouté qu'on ne l'est. Les Français, depuis des années, attendaient que les problèmes soient réellement traités.
Fini le temps des réponses toutes prêtes, qui dispensaient d'agir.
M. Charles Gautier. Quel éloge !
M. Jean-Patrick Courtois. Finie également l'époque où les politiques passaient plus de temps à expliquer pourquoi ce qui devait être fait ne pouvait l'être qu'à rechercher des solutions.
M. Jean-Pierre Sueur. On dirait un éloge funèbre !
M. Jean-Claude Peyronnet. M. Sarkozy n'est pourtant pas mort !
M. Charles Gautier. Ce n'est pas parce qu'il n'est pas là qu'il est mort !
M. Jean-Patrick Courtois. Parfois, nous avons dû avancer à tâtons. Jamais une solution ne s'est imposée d'elle-même comme la seule viable. Il a fallu faire des choix, trancher, ne jamais oublier d'agir et, surtout, avoir la modestie de remettre sans cesse l'ouvrage sur le métier.
Tel est le programme que nous avons appliqué sans désemparer. Avec pragmatisme, nous avons jeté aux orties nos vieilles théories pour apprendre à conjuguer toutes les facettes de l'action publique.
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut proposer la canonisation du ministre de l'intérieur !
M. Jean-Patrick Courtois. Ce projet de loi résume à lui seul l'esprit de cette action : traiter les problèmes concrets qui se posent avec pragmatisme, sans laxisme ni excès de répression ; appréhender les problèmes nouveaux ; améliorer ce qui existe déjà.
Ce texte tend à résoudre les problèmes concrets qui se posent tant aux pouvoirs publics qu'à nos concitoyens.
S'agissant des pouvoirs publics, il était temps de clarifier la situation. En tant qu'élus locaux, nous savons bien que c'est vers le maire que se tournent immédiatement nos concitoyens lorsqu'ils sont confrontés à des problèmes d'insécurité.
Il était plus que temps de placer le maire au centre du dispositif de pilotage de prévention de la délinquance. Il est en effet l'homme idoine, celui qui se trouve au bon échelon afin de garantir la proximité qu'un autre chef d'exécutif ne saurait avoir et qui est en position de pivot pour coordonner toutes les politiques locales de prévention des comportements délictueux lorsqu'il est encore temps de le faire.
Il est aussi l'homme idoine, car il est officier de police judiciaire, sans pour autant revêtir, aux yeux de nos concitoyens, l'uniforme du gendarme. C'est également lui qui connaît le mieux son territoire communal.
Afin que tous les outils mis au service de la prévention soient parfaitement utilisés, ce projet de loi ne se limite pas au cas des maires. Il tend également à clarifier les compétences des divers échelons concernés et des autres acteurs associés, tels que l'éducation nationale, les autorités organisatrices des transports, notamment le syndicat des transports d'Île-de-France, le STIF.
Puisque j'aborde ce point, je souhaite faire une digression sur la question spécifique des conseils intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance, les CISPD.
Les députés ont adopté un amendement tendant à rendre facultative la création d'un CISPD au sein des établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI. Or le Sénat avait prévu que, lorsqu'un tel établissement exerçait la compétence relative aux dispositifs locaux de prévention, son président présiderait ce conseil.
Notre excellent rapporteur, Jean-René Lecerf, a fait valoir en commission que cette inversion rendant facultative la création de ce conseil n'était pas souhaitable. Je me rallie sans hésitation à son analyse.
Cependant, dans les faits, la création de ce CISPD ne doit pas être contre-productive, notamment lorsque les réalités sociales sont aussi disparates que dans certains EPCI. Je pense principalement à l'opposition démographique entre la ville-centre et certaines communes rurales de l'agglomération.
Ces communes ne sont donc pas égales devant l'insécurité et la délinquance, phénomènes auxquels les villes les plus peuplées se trouvent davantage confrontées. La situation dans ce cas exige des méthodes et des moyens plus importants, qui doivent être maîtrisés par le maire.
Si essentiel que puisse devenir le CISPD dans certaines banlieues, il ne peut constituer un instrument de blocage institutionnel dans certains EPCI semi-ruraux.
C'est la raison pour laquelle j'ai déposé des sous-amendements, notamment afin qu'un conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance ne puisse être créé sans l'accord de la commune-centre. À ce sujet, je remercie M. le rapporteur de son appui.
Dans une approche pragmatique, ce projet de loi se refuse, une nouvelle fois - c'est une autre de ses vertus - à entrer dans les sentiers balisés du « tout répressif » ou du « tout éducatif ». Article après article, il conjugue ces deux facettes d'une même action publique.
À côté des nombreuses mesures relatives à la prévention en amont des actes délictueux - fonds interministériel de prévention de la délinquance, renforcement de l'information du maire, partage des informations à caractère confidentiel entre professionnels de l'action sociale, création du conseil des droits et devoirs des familles, amélioration du cadre de vie - se trouvent autant de dispositions offrant un large éventail de réponses graduées aux actes de délinquance.
Et ce signal est adressé à titre principal aux mineurs.
L'éducation et la prévention sont, naturellement, le fondement de toute politique pénale des mineurs. Mais le cadre de l'ordonnance de 1945 repose sur des constats qui relèvent d'une autre époque et d'une délinquance d'une autre nature. Il était essentiel de revoir le cadre législatif pour apporter des réponses graduées en maintenant la sanction éducative au centre du dispositif.
Sans revenir sur l'ensemble des mesures proposées que j'avais déjà développées en première lecture, je souhaiterais insister sur le signal fort adressé, par l'Assemblée nationale, à destination des mineurs de seize ans qui pensaient bénéficier éternellement d'une totale impunité.
Ce texte s'emploie à appréhender les problèmes nouveaux.
S'il y a un temps pour l'action politique, il doit aussi y avoir un temps pour la réflexion. Il est vrai que le rythme parlementaire s'y prête de moins en moins et qu'il est aujourd'hui nécessaire de mener ces deux aspects de concert.
C'est l'objet de ce projet de loi. En effet, il ne se contente pas de traiter la délinquance sous ces facettes les plus connues, il balise également en amont ce qui peut être amélioré, soit pour appréhender le développement inquiétant de certaines formes de délinquance - je pense, par exemple, aux dispositions relatives à la lutte contre la toxicomanie -, soit pour saisir à la racine l'apparition de nouvelles formes de délinquance, comme en matière de paris en ligne ou de happy splapping, sur l'initiative de M. le rapporteur.
C'est en scrutant la société et en comprenant le terreau dans lequel germent ces nouvelles formes de délinquance que l'on peut lutter efficacement contre elles. C'est, là encore, l'une des vertus de ce projet de loi.
Enfin, la dernière qualité de ce projet est, à l'image de l'action gouvernementale, de ne pas se reposer sur des lauriers, si chèrement acquis furent-ils, et d'améliorer ce qui existe déjà.
Cent fois il faut remettre l'ouvrage sur le métier. Là encore, ce texte s'y emploie. Je constate que ce projet de loi vise à légiférer de nouveau sur nombre de matières que nous avons traitées récemment.
Pour avoir été rapporteur de certaines de ces lois, je pense notamment aux nouvelles dispositions relatives à l'évacuation forcée des gens du voyage ou à celles qui viennent réglementer les activités de sécurité privée.
Les niches de légalité, comme les nouvelles pratiques délictueuses, sont autant de raisons qui encouragent le législateur à demeurer vigilant.
Pour conclure, j'irai plus loin et ferai une ouverture sur le futur. Ce projet de loi est, me semble-t-il, emblématique du moment politique où nous nous trouvons. Il est la parfaite synthèse de l'action que nous avons menée depuis quatre ans et demi, certes, mais il est également porteur de projets d'avenir.
Ce projet de loi est, avant tout, un texte programme, résolument tourné vers le futur et annonciateur de l'ambition que compte poursuivre Nicolas Sarkozy au service de nos concitoyens. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
De grands chantiers demeurent ouverts, et il nous importe de poursuivre, au service de nos concitoyens, sur la voie tracée. Je pense à la lutte contre les violences au sein du couple ou à la poursuite de la responsabilisation des mineurs délinquants.
Avec pragmatisme, c'est ce que ce projet de loi ambitionne, et nous partageons ses orientations.
Au bénéfice de toutes ces observations, notre groupe adoptera ce projet de loi tel qu'il sera issu de nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut transmettre immédiatement le texte de cette intervention à M. le ministre d'État, s'il le faut par motard ! (Sourires.)
M. Jean-Patrick Courtois. C'est déjà fait ! J'ai dédicacé le texte au ministre d'État et il lui a été remis en main propre !
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien ! C'est gratifiant !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, comme le souligne l'état 4001, depuis 2002, la délinquance a objectivement reculé, ...
M. Charles Gautier. C'est faux !
M. Aymeri de Montesquiou. ... et ce conformément à la volonté des Français.
Aujourd'hui, chacun convient que la lutte contre la délinquance a constitué, et constitue toujours, une préoccupation majeure des Français, du Parlement et de notre gouvernement.
En conséquence, depuis bientôt cinq ans, des textes s'ajoutent aux textes constituant un arsenal législatif, certes lourd, mais qui permet aux forces de police et de gendarmerie comme à l'institution judiciaire d'agir le plus efficacement possible contre une délinquance qui recule.
Si la délinquance « zéro » n'existe pas, il nous faut y tendre et, donc, sans cesse adapter nos outils aux évolutions d'un phénomène que notre société ne tolère plus. Face aux nouvelles formes de l'insécurité, la réponse de nos politiques publiques se doit de comporter aussi une forte dimension sociale et éducative, autrement dit préventive, en agissant en amont.
Le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance qui nous est aujourd'hui proposé en deuxième lecture vise cet objectif essentiel en appréhendant la notion de prévention dans une dimension large : d'une part, il aborde des domaines aussi divers que la famille, la santé publique, l'éducation, l'action sociale, les collectivités territoriales ou encore l'urbanisme ; d'autre part, il fait intervenir une multiplicité d'intervenants et d'acteurs.
Il s'agit ainsi d'apaiser ce sentiment d'insécurité qui se nourrit de la délinquance, bien sûr, mais peut-être et surtout de la confrontation quotidienne aux incivilités. Celles-ci ne constituent pas nécessairement des infractions pénales et des troubles à l'ordre public : il en est ainsi, même si cela peut paraître désuet, des manquements aux règles ordinaires de la courtoisie et du respect. Comme de nombreuses sociétés qualifiées de modernes, la France est malade de l'incivilité.
Car ce sont bien ces comportements incivils, parfois dépourvus de toute codification juridique, qui se trouvent au coeur du sentiment d'insécurité. Si la lutte contre la délinquance passe en grande partie par l'interdiction, la répression et le code pénal, la lutte contre les incivilités passe, d'abord et avant tout, par l'éducation, la responsabilisation et la prévention.
Prévenir la délinquance et les incivilités, c'est poursuivre la lutte contre l'insécurité. Ce projet de loi donne des outils pratiques pour permettre d'instituer un dispositif d'anticipation, de détection et d'endiguement des comportements délinquants. Ces dispositifs sont réactifs dès les premiers signes de délinquance de la part de mineurs à la dérive.
En simplifiant les procédures et en rassemblant tous les acteurs - administrations, travailleurs sociaux, magistrats, élus, éducation nationale, associations - ce texte doit permettre de responsabiliser des mineurs prédélinquants de plus en plus jeunes. Les chiffres le montrent, on assiste à un rajeunissement alarmant de la délinquance des mineurs, particulièrement pour les actes de moyenne gravité.
Comme le soulignait en son temps Lionel Jospin : « On ne peut nier que des comportements soient délinquants sous prétexte que leurs auteurs sont très jeunes ». S'il n'est pas question de faire l'amalgame entre « jeunes » et « délinquants », pas plus d'ailleurs qu'entre « délinquants » et « jeunes des quartiers difficiles », il s'agit de traiter un jeune délinquant comme un délinquant qui doit être sanctionné de façon sévère et graduée en fonction de la gravité de son acte, et pas uniquement en fonction de son âge.
Il faut bien admettre qu'une réforme d'ensemble de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquance s'impose. D'ailleurs, n'a-t-elle pas commencé puisque cette ordonnance a déjà connu, à ce jour, pas moins de trente-huit modifications ?
Nombreuses sont les notions sur lesquelles repose l'ordonnance de 1945 qui paraissent obsolètes, alors même que les grands principes modernes des textes internationaux auxquels la France a souscrit en sont absents, comme la proportionnalité de la sanction, l'égalité des chances, la non-discrimination ou l'intérêt supérieur de l'enfant.
Selon le président de l'Observatoire national de la délinquance, les délinquants mineurs n'ont jamais été aussi jeunes, aussi réitérants, aussi violents et aussi féminisés.
Quand on parle de la délinquance des mineurs, il ne faut pas oublier le rôle indispensable des parents. C'est pourquoi il faut saluer comme une avancée le stage de responsabilité parentale prévu par le projet de loi.
Dans sa décision du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a dégagé un « principe fondamental reconnu par les lois de République en matière de justice des mineurs » qui rappelle, d'une part, l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en raison de leur âge, et d'autre part, « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».
C'est bien dans ce cadre constitutionnel que s'inscrivent les dispositions de ce projet de loi relatives à la délinquance des mineurs, parmi lesquelles une mesure éducative d'activité de jour pour les mineurs déscolarisés ou encore de nouvelles sanctions éducatives applicables aux mineurs de dix ans et plus.
On ne peut nier le bien-fondé de ces mesures, mais elles ne doivent pas nous empêcher de poser la question de l'enfance délinquante de façon plus globale. Nous ne pouvons plus faire l'économie d'une nouvelle législation de fond adaptée aux réalités de notre époque en matière de délinquance des mineurs.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Ce texte, monsieur le ministre délégué, ne repose pas sur des principes simplistes et réducteurs de déterminismes sociaux qui sous-entendraient que les délinquants et les plus démunis produisent des délinquants. Il n'est pas question de stigmatiser ou d'accuser par anticipation telle ou telle catégorie sociale ou bien tel ou tel quartier sensible.
Ce projet de loi tient compte d'une réalité plus complexe, puisqu'il repose sur des actes concrets et signifiants, ou, plus exactement, sur un premier acte de violence et de délinquance. Ainsi, le rappel à l'ordre auquel pourra procéder le maire, acteur pivot du nouveau dispositif, suppose un acte illégal préalable et bien réel.
C'est bien là l'un des points majeurs du projet de loi. Il a été confirmé par l'Assemblée nationale : le maire devient le pilote de la prévention de la délinquance puisque l'article 1er prévoit que « le maire anime, sur le territoire de la commune, la politique de prévention de la délinquance et en coordonne la mise en oeuvre. ».
Au-delà de cette reconnaissance de la forte montée en puissance, depuis une vingtaine d'années, du rôle des communes en matière de sécurité, ce texte reconnaît clairement le rôle privilégié du maire en matière de cohésion sociale. Au-delà de 10 000 habitants, les conseils locaux de sécurité et de prévention seront obligatoires afin de favoriser le travail en réseau, véritable clef de voûte de la prévention comme le souligne M. le rapporteur. Les députés ont fort justement étendu cette disposition à celles des communes de moins de 10 000 habitants qui comprennent une zone urbaine sensible.
De même, afin de mieux prévenir les attitudes de violence, notamment de violence scolaire, le maire aura la charge de l'aide et de l'orientation des familles en difficulté à travers un conseil pour les droits et les devoirs des familles.
Ce partage des informations entre les professionnels soumis au secret sera rendu possible par l'instauration d'un coordonnateur choisi par le maire parmi les travailleurs sociaux du département et après consultation du président du conseil général. Les travaux parlementaires ont permis de préciser le rôle et la fonction de ce coordonnateur.
Face à la multiplication des acteurs, il faut bien en convenir, l'enjeu de la prévention consiste en grande partie à assurer une meilleure coordination, car le temps passé à s'informer ne doit pas être supérieur à celui qui est réellement consacré à des actions de prévention de la délinquance, comme c'est trop souvent le cas aujourd'hui.
Dans cette perspective, on comprend donc la logique de conférer au maire, acteur de terrain, ce rôle essentiel d'animation et de coordination de la prévention de la délinquance, rôle qui lui fait actuellement défaut.
Toutefois, il ne faut pas que ces nouvelles compétences confiées aux maires entraînent une confusion entre les missions de chacun des acteurs de la sécurité. Il ne doit pas s'agir d'un transfert de responsabilités de la part des services de police, de justice ou encore de l'éducation nationale vers les seuls maires, qu'il s'agisse, par exemple, de tutelle aux prestations familiales ou de rappel à la loi. Chacun doit rester à sa place, remplir sa mission d'origine et assumer sa seule responsabilité. Il s'agit non de transformer le maire en pseudo-shérif, mais d'en faire le coordonnateur de la prévention.
Puisque la sécurité constitue une préoccupation majeure de la population, il est normal que le maire, premier magistrat de la commune, soit un acteur essentiel de la prévention.
Les travaux parlementaires, tout particulièrement ceux de M. le rapporteur, ont permis de clarifier les domaines d'intervention respectifs des maires et des présidents de conseil général en matière d'aide sociale à l'enfance et d'aide à la parentalité. Ils ont permis de conforter la complémentarité des différents dispositifs et de coordonner le présent projet de loi avec celui qui réforme la protection de l'enfance.
Une vision globale et préventive de la délinquance ne peut pas faire l'impasse sur le sujet difficile de la toxicomanie et de la drogue qui facilitent le passage à l'acte violent et agressif, a fortiori chez les jeunes.
Ceux-ci sont, de loin, les principaux consommateurs de produits stupéfiants : parmi les usagers de cannabis interpellés, les deux tiers ont entre dix-huit et vingt-cinq ans, et 13 % sont des mineurs. Autrement dit, près de 80 % des interpellés ont moins de vingt-cinq ans !
Les consommateurs sont donc de plus en plus nombreux et de plus en plus jeunes.
L'objectif du présent projet de loi est de rendre enfin applicable, et réellement dissuasive, la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses.
Parallèlement à la réponse répressive, monsieur le ministre délégué, vous proposez d'élargir le dispositif législatif actuel en matière d'orientation sociale, sanitaire et thérapeutique, en rendant possible le prononcé d'une injonction thérapeutique dans le cadre d'une composition pénale ou encore en instaurant à titre de peine complémentaire l'obligation d'accomplir un « stage de sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants ». Ce sont de bonnes initiatives.
Sur toutes ces mesures, et sur bien d'autres que je n'ai pas abordées, j'approuve votre démarche comme j'approuve les modifications proposées par le rapporteur, dont je tiens à nouveau à saluer l'excellent travail d'analyse et d'expertise.
C'est pourquoi les membres du groupe du RDSE dans leur majorité et moi-même nous soutiendrons ce texte en participant à son adoption. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, en cinq ans, c'est la dixième loi sur la sécurité que nous examinons.
De loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure en loi relative à la maîtrise de l'immigration, de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales en loi relative à la prévention de la délinquance, vous n'avez cessé, monsieur le ministre délégué, de renforcer l'arsenal répressif.
Pour quel résultat ? La délinquance générale reste à un niveau élevé et les violences aux personnes se sont multipliées. À cela, rien d'étonnant, car, en la matière, la prolifération des lois sert surtout à masquer l'échec de votre politique. Avec vous, la loi n'est plus le cadre de l'action, mais son substitut.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. La preuve en est que vous ne prenez même pas la peine de rendre effectives les lois que votre candidat aux élections présidentielles fait voter en tant que ministre. C'est ainsi qu'aucune des vingt-six mesures prévues dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration n'a été prise, que la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives est toujours inapplicable et que 22 % des décrets d'application concernant la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure n'ont toujours pas été publiés !
M. Claude Domeizel. Il est bon de le rappeler !
M. Bernard Frimat. Et ce n'est pas brillant !
Mme Raymonde Le Texier. Vous payez de mots la légitime inquiétude des Français face à la violence et, plutôt que de traiter les causes, vous préférez stigmatiser des catégories sociales : les mineurs, les pauvres, les étrangers, les malades mentaux...
C'est encore le cas de ce texte qui fait du maire le « pivot » de la politique de prévention sur le terrain et dont le noyau dur concerne les mineurs.
En procédant à la quatrième réforme de l'ordonnance de 1945 pour poursuivre l'alignement du droit applicable aux mineurs sur celui des majeurs, c'est à un changement de philosophie en la matière que vous nous obligez, allant jusqu'à nier l'état d'enfance à l'enfant qui transgresse la loi.
Avec ce texte, le mineur n'est plus « en danger », mais source de danger ; la justice des mineurs perd, elle, toute ambition éducative et la sanction devient une fin en soi et non le point de départ du travail éducatif.
Votre propre famille politique déplore de telles méthodes. Sur la question des peines « plancher » et la suppression de l'excuse de minorité, le ministre de l'intérieur s'est heurté à l'opposition du garde des sceaux et du Premier ministre.
Mme Alliot-Marie a, quant à elle, publiquement regretté que le ministre de l'intérieur ait « trop souvent insinué l'idée pernicieuse qu'un jeune était un délinquant en devenir ».
Par ailleurs, dans un article du monde, François Chérèque déplore que l'image du mineur présentée dans ce projet de loi soit « celle du prédateur non sanctionné par la justice et, de ce fait, installé dans une ?culture de l'impunité? ».
Or, outre le fait que la délinquance des mineurs concerne une petite minorité de jeunes, comme l'a dit très justement Jean-Claude Peyronnet, les études montrent que le taux de réponse judiciaire en matière de délinquance juvénile est de 84 %, que le nombre de mineurs en détention a doublé depuis 1996 et que les formes de placement contraignantes se sont développées. Est-ce là l'impunité que vous ne cessez d'invoquer pour justifier le « tout répressif » ?
Vous parlez, monsieur le ministre délégué, de ce qui n'est pas, mais, en revanche, rien sur le manque de moyens de la justice, rien sur la pénurie de travailleurs sociaux sur le terrain !
A également disparu de ce texte le concept même de prévention. Certes, pour le ministre de l'intérieur, la sanction est « la première étape de la prévention » : pour M. Sarkozy la prévention consiste à sanctionner avant qu'il y ait faute !
En réalité, à travers ce texte de loi, vous avez pour dessein non de prévenir la délinquance mais de communiquer sur la récidive. Vous voulez non pas faire porter la réflexion sur les causes de la violence et les moyens de la prévenir, mais faire triompher une vision déterministe de la société où le lien entre pauvreté et délinquance est affirmé, où l'insécurité est instrumentalisée et où la stigmatisation des familles en difficulté tient lieu de politique de prévention.
Votre projet de loi, monsieur le ministre délégué, en transformant les élus en shérifs, les acteurs sociaux en auxiliaires de justice et l'aide sociale en contrôle social, ne résout rien et complique l'action de tous les acteurs sociaux sur le terrain.
Entre la notion de secret professionnel partagé qui existe dans le texte sur la protection de l'enfance et la trahison même du secret professionnel que porte le présent texte, il n'y a que quelques mois d'écart, mais on n'est déjà plus dans le même monde ! D'un côté, la vie privée est respectée ; de l'autre, elle est sacrifiée à un intérêt de sécurité publique. D'un côté, le partage est nécessaire à l'efficacité du travail entrepris ; de l'autre, la confusion est totale entre les enjeux sociaux d'une politique de la famille et les questions liées à la délinquance.
Or, le secret professionnel, ce n'est pas le secret pour le secret, c'est la condition du travail social. Celui-ci n'est efficace que s'il s'appuie sur une confiance réciproque. En obligeant tout professionnel à signaler au maire les personnes ou les familles connaissant des difficultés telles qu'elles nécessitent l'intervention de plusieurs acteurs sociaux, c'est le respect des personnes et la crédibilité des professionnels que l'on détruit.
Et pour quel résultat ? Que fera le maire de ce secret révélé ? Quel rôle d'intermédiaire pourra-t-il jouer vis-à-vis de sa population s'il en devient à la fois le représentant et le censeur ? Transformer le travailleur social en délateur et le maire en « super-gendarme » est inefficace et dangereux. À travers cela, c'est à la fois la légitimité du politique et du travailleur social que l'on met à mal.
En réalité, rares sont les maires qui se réjouissent des nouveaux pouvoirs que le Gouvernement veut leur confier tant ils sentent que c'est une façon pour l'État de se laver les mains d'un certain nombre de responsabilités. Hormis ceux qui, dans la toute-puissance, s'imaginent qu'il suffit d'effleurer une situation pour y remédier, les maires savent à quel point le travail social réclame du temps, de la compétence et de la confidentialité.
Pour ceux qui n'en ont pas conscience, le réveil sera terrible quand, englués dans des querelles de compétences et de préséance avec le conseil général, ils ne pourront qu'affronter finalement leur incapacité à changer les choses au fond et qu'ils devront, néanmoins, rendre des comptes à leur population.
C'est d'autant plus à craindre qu'aucun moyen n'est dégagé pour permettre aux acteurs concernés de faire face à leurs nouvelles obligations. Pourtant, si aujourd'hui les actions locales s'essoufflent, ce n'est pas faute d'investissement des acteurs, mais parce qu'il n'y a plus les moyens suffisants pour agir dans la durée
Or vous proposez dans ce texte de faire mieux avec moins ! Vaste programme, lorsque chacun s'accorde à dire que l'on faisait déjà ce que l'on pouvait avec pas assez...
Ce texte, censé avoir été pensé à la suite des émeutes de 2005, privilégie une logique exclusivement punitive au lieu d'une approche sociale. Il répond par la seule pénalisation au malaise croissant d'une partie de notre population, assignée à résidence dans des « quartiers ghettos », frappée par le chômage et victime de discriminations. Il ne porte que la stigmatisation là où l'on attendrait l'espoir.
Oui, il y a fort à faire en matière de prévention de la délinquance, oui, il y a urgence à agir sérieusement, mais le texte que vous nous proposez n'a pour seule visée que la promotion de son auteur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Auteur qui n'est même pas là pour le défendre !
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, il est toujours tout à fait étonnant, sinon extraordinaire, d'entendre les orateurs de gauche se plaindre, comme ils viennent de le faire, de l'insuffisance des progrès accomplis en matière de sécurité, alors qu'ils ont été de véritables fossoyeurs (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC)...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toujours les grands mots !
M. Philippe Goujon. ...de la sécurité chaque fois qu'ils ont été au pouvoir dans notre pays !
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
M. Bernard Dussaut. Voilà !
M. Philippe Goujon. Pourtant, ils devraient se souvenir qu'en 2002 nos concitoyens ont clairement signifié qu'ils voulaient que soit mise en oeuvre une politique résolue de lutte contre l'insécurité.
Quatre ans et demi plus tard, on peut dire que le ministre de l'intérieur a pleinement répondu à cette attente, puisque les réformes annoncées ont été appliquées, les moyens nécessaires débloqués et les forces de sécurité remobilisées. Les résultats sont d'ailleurs à la hauteur de la tâche accomplie. (Protestations sur les mêmes travées.)
Je rappelle les chiffres, qui eux sont objectifs.
M. Pierre-Yves Collombat. Ils sont trafiqués !
M. Philippe Goujon. La délinquance a reculé de 9 % depuis 2002 alors, il faut le rappeler,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On a compris !
M. Philippe Goujon. ...qu'elle avait augmenté de 14 % entre 1997 et 2002, et le taux d'élucidation, qui mesure l'efficacité des services, est quant à lui passé de 25 % à 33 %.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C'est indiscutable.
M. Philippe Goujon. Cependant, il faut encore, c'est vrai, amplifier ces résultats et les inscrire dans la durée. C'est tout le sens de ce projet de loi, qui s'inscrit pleinement dans une démarche...
M. Charles Gautier. Dépêchez-vous, car vous ne pourrez pas la poursuivre longtemps !
M. Philippe Goujon. ...visant à prendre toute la mesure de la transformation de la délinquance, aujourd'hui plus précoce, plus violente, et à appréhender la notion de prévention dans toutes ses dimensions.
C'est la conclusion d'un long cheminement commencé dès 2002, quand le ministre de l'intérieur a dénoncé la « posture » du sentiment d'insécurité pour s'attaquer véritablement à la délinquance.
Ce dernier apport privilégie une nouvelle approche de la prévention, la distinguant nettement des politiques « fourre-tout » menées depuis le début des années quatre-vingt, politiques qui tenait plus de l'animation sociale et de la philosophie de l'excuse, le tout étant rendu encore plus inefficace par le cloisonnement et l'émiettement des actions.
La responsabilisation accrue et la mobilisation élargie des acteurs constituent les deux piliers de cette nouvelle politique. Faisant appel à la responsabilité de chacun, des auteurs de délits comme des tiers, parents ou magistrats, c'est une politique de la main tendue qui refuse la fatalité.
Car la vraie générosité ne consiste pas à laisser un adolescent dériver pour s'enfoncer dans la délinquance d'habitude. La réalité du terrain l'atteste, la première prévention, c'est bien évidemment la certitude de la sanction, une sanction adaptée à la personnalité du délinquant et à la gravité des faits. L'impunité n'a que trop duré, et le sentiment qui en découle alimente la spirale de la délinquance.
Aussi, on ne peut tolérer l'augmentation continue - le taux a été supérieur à 100 % depuis 1996 ! - des violences contre les personnes dépositaires de l'autorité publique. Sapeurs-pompiers, chauffeurs de bus, agents de la SNCF ou de la RATP doivent être juridiquement mieux protégés, et la création d'une infraction spécifique de violences volontaires avec arme sur toute personne dépositaire de l'autorité publique est une reconnaissance des difficultés qu'ils rencontrent.
L'initiative de nos collègues de l'Assemblée nationale visant à la création d'un délit de détention ou de transport sans motif légitime de substances incendiaires ou explosives destinées à commettre des destructions complète le dispositif.
Les violences volontaires, de plus en plus nombreuses, commises contre les forces de l'ordre, attirées parfois dans de véritables guets-apens, doivent pouvoir être spécifiquement et lourdement sanctionnées, en englobant d'ailleurs tous ceux qui sont trouvés sur les lieux (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), ce que permettront désormais l'incrimination du délit d'embuscade et le renforcement du délit de rébellion.
Il est en effet indispensable d'adapter notre arsenal pénal aux nouvelles formes de délinquance, car l'existence et l'application de la sanction sont le premier rempart contre la commission de l'infraction.
C'est dans cet esprit que notre excellent rapporteur, Jean-René Lecerf, nous propose fort opportunément d'incriminer la pratique récente, apparue sous le nom, bien insatisfaisant d'ailleurs, d'« happy slapping ». Celui qui se borne à filmer la scène et qui ne peut pas être considéré comme l'instigateur de l'agression à laquelle il ne participe pas directement pourra ainsi être poursuivi et condamné.
M. Charles Gautier. Les metteurs en scène !
M. Philippe Goujon. Seule en effet la certitude de la sanction permet de lutter contre le sentiment d'impunité et de produire un réel effet dissuasif. Or, bien que nous soyons dotés de l'arsenal répressif peut-être le plus sévère d'Europe contre l'usage de stupéfiants, l'impunité est aujourd'hui la règle et la sanction l'exception, avec pour résultat une banalisation de la consommation de cannabis, qui touche désormais 3,5 millions de Français.
Si la loi de 1970 n'est pas appliquée, c'est tout simplement parce qu'elle n'est pas applicable. En effet, menacer le fumeur de cannabis d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende n'est pas réaliste.
C'est la raison pour laquelle, malgré les mesures concrètes contenues dans ce projet de loi, telles que le stage de sensibilisation aux dangers de la drogue ou le recours à l'ordonnance et à la composition pénales, il nous faudra réfléchir plus avant, tel est en tout cas mon sentiment, à la voie de la contraventionnalisation, dont l'intérêt est indéniable.
Il faut évidemment que la sanction, certaine et rapide, soit adaptée. C'est tout l'enjeu de la réforme de l'ordonnance de 1945, à laquelle, n'en doutons pas, il nous faudra nous atteler à l'avenir, tant il est démontré que celle-ci, pas plus qu'elle n'impressionne le mineur délinquant d'aujourd'hui, ne dissuade ceux qui hésiteraient à basculer dans la délinquance par peur de la sanction.
Les sanctions prévues dans cette ordonnance sont en effet inadaptées, calibrées pour des incivilités sans commune mesure avec la plupart des faits commis, ce qui conduit à discréditer l'autorité - la police comme la justice - et à conforter un sentiment d'impunité qui pousse les plus jeunes à s'enfoncer dans une délinquance dont souvent on ne revient pas.
Un crime ou un délit sur cinq est commis par un mineur. La délinquance des mineurs a augmenté de 80 % en dix ans et les individus en cause sont de plus en plus en jeunes, gâchant ainsi leurs vies comme celles de leurs victimes. De plus, il n'est pas rare qu'un mineur de quinze ans soit déjà un « hyper-récidiviste ».
Or chacun sait parfaitement que cette délinquance est avant tout constituée par un noyau dur de multirécidivistes pour lesquels les réponses pénales actuelles sont totalement inefficaces. C'est donc tout notre système qui est à revoir, afin que l'on trouve les réponses adaptées à des jeunes en perte de repères, souvent manipulés, et capables de commettre, en général en bande, des actes d'une violence inouïe, ainsi que l'actualité, hélas, nous en donne de nombreux témoignages.
C'est d'ailleurs ce qu'ont bien compris nos voisins européens, notamment anglais et espagnols, qui ont mis en place de nouvelles sanctions - moins simplistes, je tiens à le dire à nos collègues, que celles qui sont proposées par Mme Royal -, et ont tenu à responsabiliser particulièrement les parents.
Aussi, la possibilité donnée aux juges de déroger au principe de l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs récidivistes de seize à dix-huit ans constitue sans aucun doute un premier pas dans la bonne direction.
Toutefois, il conviendra sans doute d'aller plus loin et de traiter le mineur récidiviste qui commet plusieurs agressions successives contre des personnes comme un majeur, ce qui suppose, notamment, la suppression de l'excuse de minorité.
Le cas des autres multirécidivistes doit également faire l'objet d'un traitement adapté.
En effet, si l'on doit affirmer avec force qu'il faut donner sa chance à chacun, que dire d'un individu qui comparaît pour la vingt-cinquième fois - le fait n'est pas si rare - devant le tribunal correctionnel ? Que la sanction doit être éducative ? Qu'il finira bien par retenir la leçon ? Oui, sans doute, mais à condition qu'il soit condamné à une peine lourde !
Dans ces cas, l'instauration de peines plancher est une ardente nécessité, tant il est vrai que l'appel à la responsabilité de chacun ne doit pas avoir de limite. Il en va ainsi des acteurs naturels de la prévention que sont les parents et les magistrats.
Ainsi, le conseil pour les droits et devoirs des familles, à la création duquel les maires seront incités s'ils veulent pouvoir proposer un accompagnement parental, permettra d'informer les familles de leurs droits et devoirs envers l'enfant et d'engager des mesures d'aide à l'exercice de la fonction parentale.
Le maire pourra, le cas échéant, saisir le juge des enfants pour demander, conjointement avec la caisse des allocations familiales, la mise sous tutelle des allocations familiales en cas de difficultés graves et persistantes dans la gestion de ces dernières par certaines familles.
De la sorte, les parents défaillants seront plus régulièrement rappelés à leurs responsabilités. Ne pas signaler l'absentéisme de son enfant, par exemple, c'est se rendre complice des difficultés futures que connaîtra celui-ci. Je rappelle à cet égard que, dans un établissement sur dix, 10 % à 16 % des élèves sont absents.
Les magistrats sont tout autant impliqués dans la prévention de la délinquance, en particulier au regard de la protection des victimes potentielles, auxquelles le Gouvernement porte enfin, à travers ce texte, une attention nouvelle.
Dans cet esprit, il est juste que les magistrats soient désormais astreints, en matière correctionnelle, à une motivation spéciale du choix de la peine, de sa durée et de son mode d'exécution, lorsque l'infraction est commise en état de récidive légale ou de réitération.
Ce projet de loi - c'est là une qualité majeure - fait preuve d'une confiance en la raison de tout un chacun qui, par les moyens qui lui sont donnés ou proposés, est mis face à ses responsabilités.
Tel est le cas en particulier en matière d'hospitalisation d'office, domaine dans lequel les dispositions retenues, améliorées depuis la première lecture en accord avec le Gouvernement et dans le cadre de la révision par ordonnance de la loi de 1990, permettront de prévenir plus efficacement la récidive.
À cet égard, monsieur le ministre délégué, je ne puis que rappeler le souhait de notre commission des lois d'une meilleure prise en charge des délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques. Nous demandons qu'un certain nombre de places leur soit réservées au sein des unités hospitalières spécialement aménagées, qui verront prochainement le jour. Ces délinquants y purgeraient leur peine en milieu médical, ce qui permettrait peut-être d'éviter les atrocités du type de celles qui ont été commises à la prison de Rouen, et pourraient continuer à y être soignés à l'issue de leur peine.
Cette implication de l'administration pénitentiaire dans la prévention de la délinquance est bien la preuve que la politique de prévention est, par essence, une politique transversale.
Le caractère pluridisciplinaire de cette politique a, certes, été maintes fois souligné. Cependant, je ne crois pas inutile d'y revenir, tant il est la marque de fabrique de la politique de sécurité du Gouvernement.
Nous partageons la conviction du ministre de l'intérieur selon laquelle la réponse, loin d'être uniquement policière, doit être protéiforme, c'est-à-dire non seulement pénale, mais aussi sociale et éducative.
C'est la raison pour laquelle toute la politique de prévention ne se limite pas à ce seul projet de loi. Ce sera l'objet, par exemple, du projet de loi réformant la protection de l'enfance, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale, qui prévoit le dépistage précoce des troubles du comportement chez l'enfant, souvent irréversibles s'ils ne sont pas traités à temps, mesure dont on ne dira jamais assez l'importance pour briser le carcan de la souffrance, entretenu par la loi du silence, de quelque 5 000 à 8 000 enfants, et parfois réclamée par les parents eux-mêmes.
Les pouvoirs publics se trouvent ainsi largement mobilisés en vue de la réalisation de l'objectif de prévention de la délinquance.
Au coeur du dispositif se trouve le maire, nouveau pivot de la politique de prévention et autour duquel se mobiliseront les acteurs de terrain.
Les maires qui veulent être des médiateurs et des fédérateurs, sans pour autant, bien entendu, participer au dispositif répressif, trouveront dans ce texte les moyens de parvenir à ce difficile équilibre. Ils jouent d'ailleurs déjà bien souvent ce rôle, mais ils bénéficieront désormais de la légitimité qu'ils souhaitaient.
Le département et la région ont aussi un rôle à jouer et il est heureux que celui-ci soit reconnu ; de ce point de vue, l'action du Sénat a été prépondérante.
Ce projet de loi est novateur en ce qu'il permet de revoir la répartition des compétences entre les collectivités locales en fonction des besoins locaux, grâce à des délégations de compétences permettant de rapprocher les services publics de l'usager.
En la matière, le travail en réseau est particulièrement important, favorisé par l'institution de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, les CLSPD, dans les communes de plus de 10 000 habitants.
De la même manière, l'exercice des facultés désormais offertes aux communes ou à leurs groupements de contribuer à la prévention de la délinquance, en participant aux dépenses de gardiennage ou de surveillance d'immeubles sociaux, ne pourra qu'être bénéfique. À ce propos, je forme le voeu, de circonstance, que la Ville de Paris recoure à cette possibilité afin d'assurer une meilleure sécurité dans les grands ensembles de la capitale.
Alors que les EPCI seront autorisés à financer la vidéosurveillance, je réitère par ailleurs mon désir de voir enfin la Ville de Paris s'engager dans la « vidéotranquillité » en contribuant au plan d'équipement présenté par la préfecture de police.
L'utilité de ces dispositifs, très étroitement encadrés par la loi, est démontrée et fait même aujourd'hui l'objet d'un large consensus, et ce pas seulement dans les stades ou à leurs abords. Ainsi la région d'Île-de-France finance-t-elle la vidéosurveillance dans les transports en commun et dans les lycées ; quant au conseil général de Seine-Saint-Denis, il applique le même dispositif à l'entrée des collèges.
Prenant en compte les disparités dans les délais d'instruction par certaines commissions départementales, qui peuvent aller jusqu'à six mois, il serait bon, selon moi, que le ministre de l'intérieur donne des instructions pour que les procédures soient harmonisées sur l'ensemble du territoire.
Si l'État doit demeurer un acteur prépondérant de la prévention, il faut qu'il privilégie une approche horizontale et décloisonnée.
Dans cet esprit, l'extension, après son expérimentation dans trente départements, de la présence de travailleurs sociaux dans les commissariats et les groupements de gendarmerie sera très précieuse non seulement pour les victimes, mais aussi pour les mineurs et les cas sociaux que les policiers ne savent pas accompagner.
Il revient également à l'État d'adapter régulièrement les instruments juridiques permettant de prévenir la délinquance, en particulier pour éradiquer le hooliganisme, le racisme et la violence dans le sport.
À ce titre, la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives est aujourd'hui opérationnelle, contrairement à ce que je viens d'entendre.
M. Jean-Pierre Sueur. Les décrets ne sont pas parus !
M. Philippe Goujon. Ils sont prêts, mon cher collègue, et M. le ministre délégué pourra vous le confirmer !
M. Jean-Pierre Sueur. Alors ils sont parus ce matin même au Journal officiel ! (Sourires.)
M. Philippe Goujon. Il n'en demeure pas moins que le tragique incident intervenu au Parc des Princes, le 23 novembre dernier, a mis en lumière les insuffisances de la mesure d'interdiction administrative de stade tant dans ses conditions de mise en oeuvre que dans sa durée.
C'est la raison pour laquelle je défendrai un amendement, à la philosophie préventive, tendant à faciliter la mise en oeuvre de la mesure administrative et d'en étendre la durée.
Il appartient aujourd'hui clairement à tous les acteurs qui en ont les moyens de contribuer à la prévention de la délinquance.
Tel est le cas des sociétés de sécurité privée, par exemple, qui, dans le strict respect de leurs prérogatives légales, participent largement à la politique nationale de sécurité. J'ai déposé un autre amendement visant à pérenniser leur forte implication dans la prévention du terrorisme dans les aéroports, disposition qu'il faudra sans doute étendre aux ports.
Il est effectivement primordial de limiter les charges financières auxquelles les risques terroristes exposent ces sociétés de sécurité privée, faute de quoi les montants des polices d'assurances qui leur sont réclamés risquent de les contraindre à ne plus pouvoir assumer leurs missions ; nous en reparlerons lors de la discussion des articles.
Enfin, au-delà du service volontaire citoyen de la police nationale, nous sommes évidemment tous - simples citoyens, parents, enseignants, élus, policiers, magistrats, éducateurs - des acteurs de la prévention de la délinquance.
Avec ce projet de loi ambitieux, qui parachève l'action du ministre de l'intérieur pour une sécurité retrouvée,...
M. Charles Gautier. Pour parachever, il parachève !
M. Philippe Goujon. ... la politique a un sens.
Tournant résolument le dos à l'idéologie (Sourires sur les travées socialistes) et ne contenant que des mesures pragmatiques élaborées sur la base d'un diagnostic établi par les acteurs de terrain à partir des problèmes qui se posent au quotidien pour que ces derniers soient traités en dehors de tout esprit de système, il permet de mettre en oeuvre la politique volontariste que réclament nos concitoyens, exaspérés par le déchaînement des violences et des actes répréhensibles.
Nul doute aussi, comme l'ont dit certains de ceux qui m'ont précédé à cette tribune, qu'il faudra encore franchir d'autres paliers et que cela constituera sans aucun doute la priorité du ministre de l'intérieur dans ses fonctions à venir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.- Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture le texte relatif à la prévention de la délinquance.
Or nous entamons cette deuxième lecture à quelques mois des élections présidentielle et législatives, alors que ce projet de loi, ai-je besoin de vous le rappeler, mes chers collègues, était annoncé depuis 2003. Cela fait donc quatre ans que l'on nous annonce ce texte, et nous étions en droit d'attendre une préparation exemplaire.
Ce n'est pourtant pas le cas, puisque, une fois de plus, nous travaillons dans l'urgence (M. le ministre délégué fait un signe de dénégation.) ...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Non !
M. Charles Gautier. ...sans que celle-ci ait été déclarée. Les calendriers sont annoncés au dernier moment, bousculés, précipités, ce qui empêche le Parlement, et en particulier le Sénat, d'anticiper ses travaux.
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Il me semble que, depuis 2003, vous avez eu le temps d'y réfléchir, tout de même !
M. Charles Gautier. De plus, le texte que nous étudions a été constamment modifié, tronqué, remodelé, complété, l'actualité imposant une rédaction quasiment au jour le jour, en temps réel, sous la dictée des événements.
Conclusion : on ne sait plus trop de quoi l'on parle, ce qui est d'ailleurs vrai pour la plupart des textes !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je suis d'accord sur ce point : vous ne savez plus trop de quoi vous parlez !
M. Charles Gautier. Monsieur le ministre délégué, vous nous avez longtemps promis, après les nombreux textes répressifs que vous nous avez concoctés pendant cette législature, un projet de loi qui, cette fois, traiterait véritablement de la prévention de la délinquance.
Or, malheureusement, nous l'attendons toujours, car, malgré l'intitulé du texte dont nous sommes saisis, ainsi que nous l'avons déjà dit maintes fois en première lecture, le Gouvernement ne recherche qu'à la marge des solutions à la délinquance !
En effet, c'est non par la création de nouvelles infractions que l'on trouvera des solutions à la délinquance, mais bien par l'éducation.
Ce n'est pas en durcissant les peines applicables aux mineurs délinquants que l'on évitera qu'ils sombrent dans la violence, mais c'est en instaurant des peines alternatives susceptibles de provoquer prise de conscience et maturité chez les jeunes.
Ce n'est pas en accélérant les procédures d'évacuation forcée des gens du voyage qu'on luttera contre la délinquance ; c'est en permettant à ces personnes de s'installer sur des terrains aménagés, et en incitant précisément les communes à prévoir de tels espaces.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Charles Gautier. Si la prévention de la délinquance, qui, comme chacun le sait, est nécessaire, est efficace quand elle relève des collectivités territoriales, et surtout de la commune, il reste que cette efficacité - je pense, notamment, aux conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance - doit être améliorée. C'est pourquoi la généralisation de ces conseils doit être encouragée.
Or, même dans ce domaine, vous choisissez de privilégier le rôle répressif du maire, en en faisant un shérif doté de l'obligation de réprimander les voyous dans les quartiers, sans d'ailleurs lui octroyer de nouveaux moyens. Ces mesures seront inefficaces : un cautère sur une jambe de bois !
Aujourd'hui, le partage des compétences entre le maire, le président du conseil général et l'État, entre autres acteurs, est si peu clair que les citoyens ont bien du mal à s'y retrouver ! Or, le texte que nous examinons le rend plus complexe et confus encore, comme notre collègue Aymeri de Montesquiou l'a souligné tout à l'heure.
Ainsi, monsieur le ministre délégué, vous accordez au maire un pouvoir de rappel à l'ordre. Mais cette mission ne relève-t-elle pas de tous les acteurs concernés, et surtout de la justice ? En outre, vous faites du maire le responsable du conseil pour les droits et devoirs des familles, une tâche qui paraît relever des compétences du président du conseil général, en tant que coordinateur de l'action sociale, même s'il la délègue parfois aux services sociaux.
En fait, chacun de ces acteurs doit continuer à jouer le rôle qui est le sien, même s'il est parfois nécessaire que le législateur clarifie celui-ci, et nous devons nous garder à tout prix de compliquer encore le dispositif.
Je prendrai un autre exemple : dans le cadre des CLSPD, vous étendez tellement les compétences du maire, monsieur le ministre délégué, que celui-ci sera susceptible de se trouver en possession d'informations confidentielles concernant certaines familles. Or le maire a-t-il réellement besoin de ces renseignements pour exercer son mandat ? Rien n'oblige à en faire systématiquement le détenteur d'informations relevant du secret professionnel entre les acteurs sociaux !
Le maire doit continuer à être un acteur central de la prévention de la délinquance et de l'action sociale, mais il doit rester à sa place et exercer sa mission de coordination des politiques publiques sans s'immiscer dans la vie privée de ses concitoyens.
Certes, la frontière est ténue en pratique, mais il est important de préserver les rôles de chacun. Sinon, mes chers collègues, comme Raymonde Le Texier l'a brillamment rappelé, gare aux dérives possibles et aux tentatives d'abus !
En réalité, je le répète, ce texte constitue une énième loi d'affichage. À l'Assemblée nationale, la première lecture a d'ailleurs permis au Gouvernement de continuer à modifier le présent projet de loi, afin de répondre à l'actualité, sans cesse renouvelée, en ajoutant des dispositions supplémentaires. Ces dernières constituent d'ailleurs, elles aussi, des mesures d'affichage, qui resteront lettre morte et ne feront que compliquer le travail des magistrats et des policiers !
Monsieur le ministre délégué, j'en fais le pari devant vous : demain et après demain, vous continuerez à nous présenter sans cesse de nouveaux textes, simplement mis au goût du jour !
Les paradoxes de ce projet de loi se trouvent résumés dans les mesures qui concernent la consommation de cannabis. Quel est l'intérêt de renforcer des sanctions qui sont obsolètes depuis trente ans et qui, de ce fait, ne sont pas appliquées, tout simplement parce que, comme cela a été souligné tout à l'heure, elles ne sont pas applicables ?
Monsieur le ministre délégué, nous avons vraiment l'impression que vous travaillez dans le virtuel ! Or vous vous exprimez comme si vos propos correspondaient à une réalité.
Au lieu de prévoir une réforme en profondeur des dispositifs qui ne fonctionnent pas, vous apportez des modifications à la marge, avec la certitude qu'elles ne changeront rien. Voilà quatre ans que vous agissez toujours de cette façon et, dans ce domaine comme dans celui de la sécurité en général, d'ailleurs, la dégradation est permanente, quoi que vous affirmiez.
Enfin, monsieur le ministre délégué, vous annoncez déjà les mesures par lesquelles vous réformerez de nouveau ce texte, à peine entré en vigueur, si vous passez le cap des cinq prochains mois. C'est tout de même assez inattendu !
Votre méthode, qui consiste à toujours promettre que les problèmes seront résolus dans l'avenir, et à toujours reporter les torts sur vos opposants, revient à enchaîner les effets de tribune.
Aujourd'hui, chacun se rend compte qu'en quittant le ministère de l'intérieur vous laisserez bientôt un bilan déplorable. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Philippe Goujon. Ils n'ont décidément peur de rien !
M. Charles Gautier. Parmi les mesures adoptées, il n'en est guère qui aient porté leurs fruits. Seule, semble-t-il, la politique de sécurité routière a donné quelques résultats.
M. Philippe Goujon. C'est sûr !
M. Charles Gautier. Or vous revenez aujourd'hui sur les mesures que vous avez adoptées dans ce domaine, parce qu'à l'approche des élections vous en craignez l'impopularité.
M. Philippe Goujon. Ce n'est pas vrai !
M. Charles Gautier. Monsieur le ministre délégué, votre bilan n'est donc pas satisfaisant - c'est le moins que l'on puisse dire ! -, et vous le savez. Avec ce texte de loi - le douzième ou le treizième, je ne sais plus ! -, vous tentez une nouvelle surenchère démagogique, uniquement pour parfaire votre image médiatique.
Vous finissez la législature en présentant un projet de loi prétendument relatif à la prévention de la délinquance, mais cela ne trompe personne, car le contenu de ce texte ne correspond aucunement à son objet affiché. Personne ne croit aujourd'hui à la présentation que vous en avez faite, et nous avons déjà montré maintes fois que, dans ce texte, seul le titre évoquait la prévention ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.
M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, ce projet de loi marque un grand progrès en matière de prévention et de traitement de la délinquance, et je l'approuve totalement.
Toutefois, il reste encore beaucoup à faire, et je souhaiterais formuler quelques propositions complémentaires. Elles porteront sur un aspect du problème qui est très différent et qui n'a encore été évoqué ni dans le présent projet de loi ni dans les interventions précédentes, mais qui me semble essentiel pour lutter contre la délinquance, à savoir la prévention par le travail.
Monsieur Gautier, vous avez affirmé que les sanctions ne suffisaient pas et qu'il fallait développer la prévention. C'est exactement ce que je vous propose de faire ! Les lois ont vieilli, et ce qui était valable en 1950 ne l'est plus aujourd'hui. Il faut revoir certaines de nos habitudes, vous avez raison de le souligner, monsieur le ministre délégué.
Toutefois, quelle est la cause principale de la délinquance ? Pourquoi y a-t-il aujourd'hui tant de délinquants ? Le renforcement du rôle du maire et des parents, l'intervention de la police et de la justice, la définition de nouvelles sanctions constituent des mesures qui sont importantes, certes, mais pas suffisantes.
En effet, la cause principale de la délinquance réside, me semble-t-il, dans l'inactivité des jeunes qui quittent le collège à l'âge de seize ans, ne continuent pas leurs études, ne s'inscrivent dans aucune école, ne disposent d'aucune compétence ni formation professionnelle, ne trouvent pas de travail, ne font rien et ne sont soumis à aucune obligation !
Une fois que ces jeunes sont sortis du système scolaire, à l'âge de seize ans, plus personne ne s'occupe d'eux. En outre, leur minorité leur garantit l'impunité jusqu'à l'âge de dix-huit ans, ce dont, évidemment, leurs aînés profitent.
Ce résultat est dû essentiellement au collège unique, qui oblige tous les jeunes à suivre la même formation, alors qu'un certain nombre d'entre eux n'en ont ni le goût ni les moyens. Aussi les jeunes sortent-ils du collège à seize ans sans aucune compétence professionnelle, après avoir perdu leur temps et fait perdre leur temps aux autres ! Ils n'ont rien à faire et deviennent la proie de ceux qui leur proposent beaucoup d'argent pour, entre autres, voler des voitures, en brûler, vendre de la drogue, agresser la police - bref, pour devenir des délinquants. Ils se font les acteurs de cette insécurité que le projet de loi que vous présentez, monsieur le ministre délégué, doit réduire.
Or, si ces jeunes travaillaient, ou étudiaient, ils ne traîneraient pas dans les rues, et la sécurité régnerait ! (Murmures ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Bernard Frimat. CQFD!
M. Serge Dassault. Mes chers collègues, l'équation est simple : inactivité égale délinquance et activité égale sécurité ! Il faut supprimer ou réduire l'inactivité des jeunes afin d'éliminer la délinquance.
C'est pourquoi, monsieur le ministre délégué, je proposerai à l'article 9 du présent projet de loi un amendement visant à rendre obligatoire la formation professionnelle pour les mineurs âgés de seize ans à dix-huit ans qui n'ont ni diplôme, ni qualification, ni emploi.
Il s'agit non pas de concurrencer l'éducation nationale, qui n'impose d'obligation scolaire que jusqu'à l'âge de seize ans, mais de prendre son relais, afin de favoriser le développement de l'apprentissage et d'enseigner à ces jeunes un métier qui les écartera de la délinquance et leur offrira un travail.
L'obligation de formation professionnelle jusqu'à dix-huit ans ne poserait aucun problème à tous ceux qui poursuivent leurs études dans les lycées et universités ou qui suivent déjà une formation professionnelle puisqu'ils travaillent. En revanche, cette nouvelle limite d'âge contraindrait, ou du moins inciterait à trouver une formation et à s'orienter vers l'apprentissage ou, en tout cas, à ne pas rester inactifs, tous ceux qui, après le collège, ne trouvent aucune école, aucun lycée susceptible de les accueillir et qui n'ont aucune motivation pour travailler. Et cela ferait autant de délinquants en moins dans les rues !
Ainsi, tant que l'apprentissage à partir de l'âge de quatorze ans n'est pas généralisé, la meilleure méthode pour réduire l'insécurité est d'obliger ces jeunes à poursuivre une formation après la sortie du collège, de seize à dix-huit ans. Il ne faut pas non plus oublier, mes chers collègues, que nombre des chefs d'entreprise, qui détiennent la clef du système de l'apprentissage, montrent certaines réticences à prendre des apprentis qui leur coûtent cher et leur prennent du temps. Il faudrait donc les y obliger, me semble-t-il.
Aujourd'hui, plus de 60 000 jeunes sortent chaque année sans qualification du système scolaire, soit près du dixième d'une classe d'âge, ce qui représente chaque année autant de délinquants potentiels en plus dans les rues ! Je pense qu'il vaut la peine de s'occuper d'eux.
Une fois que ces jeunes sont devenus majeurs, et alors qu'ils sont peut-être toujours inactifs, seule une petite minorité d'entre eux accède à une formation, puisque 350 000 jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans sont dépourvus de toute qualification. Ces derniers sont pour la plupart au chômage et, malheureusement, une partie d'entre eux tombent dans la délinquance.
Il faut s'occuper de ces jeunes, en instituant - j'ai déjà formulé cette proposition, sans grand succès jusqu'à présent - un service civil, qui serait obligatoire pour tous ceux qui sont inactifs à dix-huit ans, ce qui réduirait encore d'autant le nombre de délinquants dans les rues !
Au passage, monsieur le ministre délégué, je souhaiterais saluer, notamment, votre choix de placer les maires au centre du dispositif de prévention de la délinquance. Toutefois, encore faudrait-il offrir à ceux-ci les moyens d'appliquer les sanctions, ce qui n'est pas encore le cas.
Je voudrais insister sur l'initiative de Pierre Hérisson, qui souhaite permettre aux préfets de procéder d'office à l'évacuation forcée de terrains situés sur le territoire d'une commune, à la demande du maire ou du propriétaire de ces terrains, sans avoir à obtenir l'autorisation préalable du juge. Cette procédure de police administrative se substituerait à la procédure judiciaire en vigueur.
Aux termes du présent projet de loi, en effet, la mise en demeure par le préfet ne peut intervenir que si le stationnement est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la tranquillité publiques, mais cette condition est en général satisfaite. Je considère cependant qu'aucun recours devant le juge ne doit être possible, comme le prévoit ce texte.
Monsieur le ministre délégué, il faut saluer les améliorations apportées par ce projet de loi en ce qui concerne la saisine du juge des enfants par le maire et la tutelle aux prestations familiales. Nous devons également nous féliciter de l'incrimination des attroupements dans les rues et les entrées d'immeubles. Seront punies désormais de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende les voies de fait, les menaces de commettre des violences contre une personne ou l'entrave apportée à l'accès à la libre circulation des personnes.
Je suis heureux également de constater que la responsabilité du propriétaire sera engagée en cas de trouble de voisinage du fait de son locataire. En effet, le maire est toujours tenu pour responsable de tout ce qui ne va pas dans sa commune, alors qu'il n'a pas les moyens d'agir contre les locataires ! D'ailleurs, j'aurais souhaité que le maire puisse également verbaliser les fauteurs de trouble et leur infliger des amendes, ce que le projet de loi ne prévoit pas encore.
Enfin, concernant la responsabilité pénale, j'aurais préféré qu'elle soit reconnue dès l'âge de seize ans, ce qui aurait permis de supprimer la protection dont bénéficient les mineurs délinquants.
En effet, si vous acceptiez, monsieur le ministre délégué, de porter l'obligation de formation professionnelle de seize à dix-huit ans, vous réduiriez de façon notable la délinquance, ce qui correspond bien, me semble-t-il, à l'objet de votre projet de loi. Au surplus, cette mesure ne vous coûterait rien. Tout au plus devriez-vous, peut-être, augmenter le nombre de centres de formation d'apprentis, actuellement insuffisant. Mais, par rapport aux coûts engendrés par l'éducation nationale, ce serait négligeable.
Cet amendement sort, peut-être, du cadre du présent projet de loi. Il constituerait pourtant une mesure très efficace de prévention de la délinquance, et rejoindrait ainsi la finalité d'un texte qui ne se limite pas à la répression.
Cette mesure réduirait la présence de mineurs inactifs dans les rues, présence qu'à l'instar des autres maires je constate dans ma commune de Corbeil-Essonnes. Or, lorsque ces jeunes trouvent du travail ou une solution de formation - ce que nous, maires, les incitons constamment à faire -, la sécurité s'améliore, car ils ne sont plus dans les rues.
Les termes de l'équation sont simples : l'insécurité dépend directement du travail des jeunes. Mettez les jeunes au travail, et la délinquance diminuera ! C'est précisément, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, ce que je vous propose de faire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de remercier votre rapporteur, M. Lecerf.
Le Gouvernement a souhaité que le débat soit ouvert. C'est pourquoi l'urgence n'a pas été déclarée. Le texte proposé par le Gouvernement a ainsi été soumis à une première lecture dans chacune des deux assemblées. Il fait maintenant l'objet d'une deuxième lecture au Sénat avant, la semaine prochaine, d'être examiné par l'Assemblée nationale.
Le débat parlementaire a considérablement enrichi et infléchi les dispositions originales de ce texte, et permis notamment de dissiper un certain nombre d'inquiétudes. Je pense en particulier à celles qui ont été exprimées, ici ou là, par les maires. Vous avez veillé, mesdames, messieurs les sénateurs, à relayer ces inquiétudes, et je ne peux que m'en réjouir. L'Association des maires de France, derrière son président, M. Jacques Pélissard, a ainsi contribué de manière importante au débat.
Non, madame Assassi, nous n'avons pas préparé la municipalisation de la sécurité et de la justice ! Au contraire, nous entendons clarifier les responsabilités de chacun, en donnant aux maires la possibilité de se faire entendre et de dialoguer avec toutes les institutions qui interviennent dans la prévention de la délinquance.
Monsieur Peyronnet, vous avez été le porte-parole des appréhensions rapportées par le président Pélissard. Je constate que celles-ci ont été levées par les amendements adoptés sur l'initiative, non pas du Gouvernement mais, là encore, des maires de France, qui ont ainsi démontré qu'ils approuvaient totalement ce texte sur la prévention de la délinquance.
Madame Assassi, vous prétendez que nous préparons le désengagement de l'État de la sécurité, vous qui n'avez voté ni la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure en 2002, ni la loi pour la sécurité intérieure en 2003, deux lois qui n'ont cessé de renforcer les capacités d'intervention, les compétences et les moyens des forces de sécurité intérieure dans notre pays, dans le but justement d'affirmer le rôle régalien de l'État en matière de sécurité publique. Vous ne pouvez pas nous accuser, aujourd'hui, de désengagement alors que vous vous êtes opposée, hier, au renforcement des moyens des forces de sécurité intérieure dépendant de l'État ! Votre attitude est, sur un plan politique, totalement contradictoire ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
En ce qui concerne l'efficacité de notre politique, que vous contestez, je me permets, comme l'a déjà fait M. Goujon, de vous renvoyer aux statistiques qui, depuis 2002, attestent au contraire son succès. M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, présentera d'ailleurs le bilan de cette politique après-demain, dont il ressort très nettement que la délinquance a baissé depuis 2002.
Je ne peux donc laisser sans réponse la double affirmation de M. Peyronnet selon laquelle la délinquance des jeunes n'aurait pas augmenté et qu'en conséquence le texte porterait atteinte sans raison aux principes fondamentaux de la justice des mineurs. Non seulement, monsieur Peyronnet, ces principes ne sont pas mis en cause, mais toutes les nouvelles réponses pénales qu'apporte ce projet visent à élargir la palette des mesures éducatives afin que les magistrats puissent apporter une réponse adaptée tout à la fois à l'acte commis et à l'âge du délinquant.
S'agissant, en particulier, de l'excuse de minorité, les juridictions apprécieront elles-mêmes s'il y a lieu ou non de la retenir. À cet égard, je suis sensible aux propos plein de mesure de M. François Zocchetto, et je pense que l'examen du texte le rassurera totalement.
Je ne peux, non plus, laisser sans réponse le reproche que vous nous adressez, mesdames Assassi et Le Texier. D'après vous, nous reviendrions sur des dispositions adoptées à notre initiative, alors même que leurs décrets d'application ne seraient pas encore publiés. En réalité, ce que vous refusez de comprendre, c'est notre méthode, le pragmatisme. Cette méthode nous conduit, lorsque cela est nécessaire, à compléter, plus rarement à corriger, un dispositif législatif qui doit s'adapter sans cesse à l'évolution de la délinquance.
Bien que je sois contraint, étant assis au banc des ministres, de vous tourner le dos, ne croyez pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que les interpellations émanant de la partie gauche de l'hémicycle ne sont pas parvenues jusqu'à moi. Il est tellement facile de multiplier les effets de tribune un moment et, l'instant d'après, d'invectiver les orateurs suivants, avec comme seul espoir que de tels propos, pleins de sous-entendus, seront transcrits dans leur intégralité au Journal officiel !
Ainsi, j'ai entendu certains s'écrier, quand M. Goujon était à la tribune, que les textes que nous avons proposés depuis 2002, dont le but a été, en permanence, de renforcer les dispositions de lutte contre la délinquance, n'auraient pas été suivis des décrets nécessaires à leur application, en particulier s'agissant des dispositions contre la délinquance dans le sport.
Mais je ne vois pas à quels décrets il est fait référence. Encore une fois, c'est si facile... Je vais donc être très clair, d'autant que j'ai sous les yeux le détail précis de l'ensemble des dispositions réglementaires qui ont été prises. Je tiens d'ailleurs à votre disposition le bilan de l'application des lois votées sur l'initiative de M. Nicolas Sarkozy.
S'agissant notamment de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure, 34 décrets ont été publiés. Il n'en reste qu'un seul, qui est actuellement soumis au Conseil d'État.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais nous sommes en 2007. Quatre ans se sont écoulés depuis le vote de la loi !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Quant à la loi du 24 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, tous les décrets restant à prendre sont en cours d'examen par la CNIL ou le Conseil d'État.
Enfin, monsieur Sueur, puisque vous faisiez référence à la prévention des violences lors des manifestations sportives, sachez que deux décrets devaient découler du vote de la loi, et qu'ils ont été publiés le 9 décembre 2006. Vous ne suivez pas, monsieur Sueur, et je vous invite à lire plus attentivement le Journal officiel !
Démonstration est ainsi faite de la parfaite inutilité de vos interventions relatives au prétendu retard que nous aurions pris dans la mise en oeuvre des lois relatives à la sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Mais que faites-vous des quatre autres lois ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je ne veux pas m'étendre davantage, nous avons déjà eu ce débat.
Je souhaite en revanche remercier les orateurs qui ont su saluer les résultats du Gouvernement en matière de lutte contre la délinquance, comme M. de Montesquiou, et souligner le courage de la majorité sénatoriale, pour la manière dont elle a abordé une question aussi difficile que celle de la prévention. Je veux, en particulier, remercier MM. Courtois et Goujon qui, comme pour chacun des textes que M. le ministre d'État a présentés au Parlement, ont grandement contribué à la richesse des débats, prouvant ainsi qu'ils sont fidèles à leurs convictions et à ceux qui s'efforcent de les mettre en oeuvre.
Je voudrais également rendre hommage à M. Dassault. Vous avez rappelé, monsieur le sénateur, toute l'importance pour notre pays de la formation et de l'éducation des jeunes.
Quand, sur ces travées (M. le ministre délégué désigne la gauche de l'hémicycle), on prétend que la délinquance des mineurs n'a pas augmenté au cours des années écoulées, chacun sait que cela est faux ! Mais nous savons aussi qu'au cours des vingt dernières années une sorte de lâcheté a prévalu dans notre pays, qui a laissé une fracture importante se constituer entre un certain nombre de familles et de jeunes. Or nous n'acceptons pas que les jeunes puissent être ainsi stigmatisés.
Mme Éliane Assassi. Changez de loi, alors !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Une immense majorité d'entre eux souhaitent en effet prendre l'ascenseur social, et pouvoir bénéficier de toutes les chances et de tous les atouts nécessaires pour réussir leur parcours de vie. Les responsables de l'État comme ceux des collectivités locales doivent mettre à disposition des jeunes les outils et les moyens nécessaires. Nous devons les accompagner !
Lorsque je vous entends affirmer, mesdames, messieurs les sénateurs siégeant à gauche de cet hémicycle, que nous stigmatisons la jeunesse par le simple fait que nous présentons un projet de loi sur la prévention de la délinquance, je sais qui en réalité stigmatise cette jeunesse ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Nous entendons au contraire reconnaître le talent, l'intelligence et la motivation exceptionnels des jeunes de France. Eux-mêmes nous enjoignent aujourd'hui de les protéger, car, nous disent-ils, ils en ont assez d'être rackettés ou menacés dans leurs établissements scolaires, les rues de leurs cités, leurs immeubles ou leurs cages d'escalier. Ce sont ces jeunes qui demandent à l'État, aux collectivités et aux maires de mieux les protéger, les encadrer et les accompagner.
Ce projet de loi leur apporte, précisément, des réponses !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les jeunes apprécieront !
Mme Éliane Assassi. Nous verrons bien dans quel sens les jeunes voteront !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis est un texte de générosité ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. N'en faites pas trop !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Nous avons voulu, et c'était une première, démontrer que les ministères de l'intérieur, de la santé, de la justice et de l'éducation nationale étaient capables, ensemble, de se mettre au travail de manière transversale, afin d'apporter des réponses à toutes les inquiétudes.
Nous ne réglerons, nous le savons, le problème de la délinquance que par une vraie politique de prévention. Mais, en même temps que nous engageons une vraie politique de prévention, source d'une véritable égalité des chances pour tous les jeunes, ce que personne auparavant n'avait proposé, il nous faut également donner aux jeunes des repères. Ceux-ci doivent comprendre que, si jamais ils dépassent la ligne blanche, il y aura sanction à la clé.
Comment expliquer que notre pays tolère ces multirécidivistes qui, systématiquement, rentrent en héros dans leurs cités parce que, jamais, ils ne sont sanctionnés ? Comment expliquer que l'on n'ait jamais osé aborder le problème de l'ordonnance de 1945, notamment s'agissant de l'excuse de minorité, alors que nous savons qu'un mineur de 2007 n'a rien à voir avec un mineur de 1945 ?
M. Jean-Pierre Sueur. L'ordonnance a été révisée dans sa totalité !
M. Charles Gautier. On n'en est plus là !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est simplement faire preuve de réalisme, de pragmatisme ; c'est regarder la société française telle qu'elle est, telle qu'elle a évolué, pour lui redonner un certain nombre de repères ; c'est en même temps rassurer la jeunesse de France, et grand nombre de familles qui attendaient enfin du courage de la part de leurs gouvernants, ainsi qu'une prise de responsabilité de la part des représentants de la nation et des élus locaux.
Il est bien dommage que, de ce côté-ci de l'hémicycle, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne répondiez pas à l'attente de tant d'hommes et de femmes de notre pays qui vivent au quotidien des situations de détresse dans leurs cités et qui espèrent, pour une grande majorité d'entre eux, être mieux protégés. Vous préférez les laisser livrés à eux-mêmes ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Nous pensons au contraire que la première des libertés, c'est la sécurité, singulièrement pour toutes ces personnes. Avec ce texte, nous leur apportons aujourd'hui une réponse ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 45, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif à la prévention de la délinquance (n° 102, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je regrette encore une fois que l'examen des motions intervienne après la clôture de la discussion générale et votre réponse aux orateurs, monsieur le ministre. Vous avez tenté le style « meeting » dans l'hémicycle, mais ce n'est pas un exercice évident. Vous avez tout de même été applaudi, au moins par votre majorité.
M. Charles Gautier. Les applaudissements n'étaient pas très fournis !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Or nous ne sommes pas à un meeting !
Le projet de loi, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, confirme s'il en était besoin que nous avons à nous prononcer, en guise de prévention de la délinquance, sur des dispositions de sécurité intérieure tous azimuts. Il s'agit ni plus ni moins d'un texte dans lequel vous vous employez à élargir les sanctions et le contrôle social dans de nombreux domaines, affichant votre philosophie selon laquelle plus la sanction est forte, plus elle est dissuasive, donc préventive.
Il me faut donc réaffirmer très clairement que, pour nous, contrevenir à la loi doit être sanctionné ; encore faut-il que la sanction ait du sens et s'inscrive dans un processus de réinsertion. Mais une politique de prévention, monsieur le ministre, vise l'avant-contravention, l'avant-délit ou l'avant-crime. Or il est impossible de percevoir concrètement l'aspect « prévention » du projet de loi, terme qui figure pourtant dans son intitulé, tant les nouvelles mesures modifiant le code pénal, le code de procédure pénale, le code de la santé publique, sont de nature répressive.
J'avais déjà défendu une motion d'irrecevabilité en première lecture. Avec la majorité sénatoriale, monsieur le ministre, vous aviez ironisé à l'époque sur ce que j'avais appelé le « mépris du Parlement ».
Je persiste : les sept lois répressives, dont je vous épargnerai les intitulés, qui ont précédé celle dont nous débattons aujourd'hui ont multiplié le nombre des délits et des sanctions y afférentes. Les sénateurs et députés de la majorité ont ajouté guet-apens et embuscades, happy slapping, ils ont augmenté les délits « hall d'immeuble », mais ils ont atténué les contraventions routières : la période électorale oblige à être plus répressif pour certains et moins pour d'autres, et je n'évoquerai même pas la criminalité financière, dont, évidemment, nous n'avons pas à nous occuper dans le cadre de ce texte.
Qui plus est, le projet de loi interfère avec la loi du 2 janvier 2004 relative à l'accueil et à la protection de l'enfance et avec la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, ainsi qu'avec les dispositions du projet de loi réformant la protection de l'enfance dont l'Assemblée nationale commence aujourd'hui l'examen.
Monsieur le ministre, je persiste, parce que trop de lois nuit à la loi, et tout spécialement quand les textes que je viens de mentionner, quoi qu'il en soit par ailleurs des décrets que vous avez bien voulu citer, n'ont pas fait l'objet - et pour cause, compte tenu de leur jeune âge ! - d'une évaluation sérieuse, indispensable au bon travail du Parlement.
L'inflation législative est telle que le Conseil d'État a fait part de son inquiétude dans son rapport du 15 mars 2006, que vous connaissez certainement : il y souligne le fait que celle-ci est porteuse d'insécurité juridique pour les acteurs économiques et pour les citoyens.
Mais l'inflation législative, par l'empilement des textes qu'elle induit, a également des conséquences en termes d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, caractéristiques dont la valeur constitutionnelle a été consacrée par le Conseil constitutionnel le 16 décembre 1999 et reconnue par le Conseil d'État le 24 mars 2006.
Le Conseil constitutionnel considère « qu'en effet l'égalité devant la loi énoncée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et ?la garantie des droits? requise par son article 16 pourraient ne pas être effectives si les citoyens ne disposaient pas d'une connaissance suffisante des normes qui leur sont applicables ; qu'une telle connaissance est en outre nécessaire à l'exercice des droits et libertés garantis tant par l'article 4 de la Déclaration, en vertu duquel cet exercice n'a de bornes que celles déterminées par la loi, que par son article 5, aux termes duquel ?tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas? ».
Source de contradictions, l'empilement des normes juridiques rend celles-ci bien souvent incompréhensibles. Nous en avons un exemple avec le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et le projet de loi réformant la protection de l'enfance.
Les codes et les lois sont excessivement complexes et privent nos concitoyens d'une connaissance suffisante de la législation qui leur est applicable. Bien souvent, certains articles d'une loi viennent contredire des dispositions en vigueur ou compléter une législation déjà abondante et qui, de surcroît, n'est pas toujours appliquée. Aussi, en réponse, ce texte ajoute-t-il, en matière de peines complémentaires, une sanction « restauration ». C'est en ce sens que nous considérons ce projet de loi comme allant à l'encontre du principe d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, d'autant que sont en cause des droits et libertés fondamentaux.
Je persiste aussi à affirmer, parce qu'aucune correction n'a été apportée, que ce texte porte également atteinte au principe de la séparation des pouvoirs en conférant aux maires des pouvoirs quasi judiciaires.
Quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, le projet de loi fait du maire un acteur central en matière de « contrôle » de la délinquance : tout reposera désormais sur ses épaules. Ses pouvoirs sont multipliés : il pourra mettre en place, s'il le souhaite, un conseil pour les droits et devoirs des familles, procéder à des rappels à l'ordre, y compris pour les mineurs, proposer un accompagnement parental ou encore une mise sous tutelle des allocations familiales.
Mais il y a pire : le maire recevra des informations, jusqu'ici protégées par le secret professionnel, sur les administrés qui bénéficient de l'aide d'un éducateur ou d'une assistante sociale. Il pourra également constituer un fichier nominatif des élèves ayant fait l'objet d'un avertissement pour absentéisme scolaire.
Les maires, assimilés à de véritables délégués du procureur, sont dotés de prérogatives qui, malgré les dires du Gouvernement, empiètent sur le pouvoir judiciaire. Le rappel à l'ordre prévu à l'article 8, que le maire pourra adresser à l'encontre aussi bien des majeurs que des mineurs, en est l'exemple le plus frappant. Il est d'ailleurs significatif que, les uns et les autres, vous vous employiez à répéter que le maire ne sera pas un shérif : n'est-ce pas parce que votre texte appelle une telle critique ?
Les maires seront même informés sans délai, par la police ou par la gendarmerie, des infractions causant un trouble à l'ordre public et, par le procureur de la République, des suites judiciaires qui leur sont données.
Toutes ces dispositions tendent à donner au maire des prérogatives qui empiètent largement sur les missions actuelles d'autres institutions : la confusion institutionnelle est ici totale, au détriment des familles en difficulté. Elles traduisent enfin - et vous ne vous privez pas, monsieur le ministre, de même que le ministre de l'intérieur, de le réaffirmer en toute occasion - une véritable défiance à l'encontre des travailleurs sociaux et de la justice, qui - est-ce un hasard ? - manquent cruellement de moyens humains et financiers.
Le maire deviendrait ainsi le garant de la sécurité : malgré vos dénégations, monsieur le ministre, nous risquons à terme d'assister à la dilution de la politique nationale et, en parallèle, à la multiplication des spécificités locales. C'est l'égalité de traitement entre les citoyens qui est ici remise en cause.
Je persiste aussi à dire que le texte recèle un nombre inquiétant d'atteintes aux libertés fondamentales, que nous relevions déjà en première lecture et qui, pour certaines, ont été aggravées par l'Assemblée nationale.
Les atteintes à la vie privée sont multiples et la diffusion d'informations à caractère confidentiel est facilitée. L'Assemblée nationale a prévu à l'article 1er que, au sein des groupes de travail des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance, des faits et informations à caractère confidentiel pourront être échangées, sous réserve de ne pas être communiquées à des tiers. La commission des lois propose même d'étendre cette faculté au conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance.
Le secret professionnel est remis en cause par l'article 5, qui autorise le partage d'informations jusqu'ici protégées par le secret professionnel : dès lors qu'une famille suivie par des professionnels de l'action sociale connaîtra une aggravation de ses difficultés, les travailleurs sociaux devront en informer le maire et le président du conseil général. Ces informations pourront même servir de base à la décision de réunir le conseil pour les droits et devoirs des familles.
Toutes ces dispositions conduisent à soumettre la vie privée et familiale de personnes connaissant des difficultés sociales, éducatives, financières à un contrôle social et administratif pesant et particulièrement intrusif, au motif qu'à vos yeux la probabilité est forte qu'elles soient à l'origine de futurs délinquants.
De même, comme le soulignait en 2002 la Commission nationale consultative des droits de l'homme, la CNCDH, sont inquiétantes pour une société démocratique la multiplication des fichiers et l'augmentation du nombre des personnes habilitées à les consulter. Mais peut-être est-ce là ce que la commission des lois appelle un « continuum de prise en charge » ?
Le maire serait ainsi autorisé à mettre en oeuvre un fichier afin d'améliorer le suivi de l'obligation d'assiduité scolaire. Ce fichier contiendra des informations à caractère personnel transmises par les organismes chargés du versement des prestations familiales, mais aussi par l'inspecteur d'académie ou par le directeur de l'établissement en cas d'exclusion temporaire ou lorsque l'élève quitte l'établissement en cours ou en fin d'année.
Outre le fait que cet article organise un formidable croisement de fichiers, sous la coordination du maire, son champ d'application est très vaste et le nombre d'écoliers concernés par ce fichage risque d'être très élevé. Il n'est plus besoin d'attendre d'être un adulte pour être fiché : les enfants pourront l'être dès leur plus jeune âge ! Par ailleurs, est-ce un premier pas vers le dépistage des enfants de moins de trois ans ? C'est en tout cas l'impression qui en ressort.
L'extension du fichage concerne aussi les personnes souffrant de troubles mentaux : depuis cinq ans, chaque loi pénale a créé ou étendu un fichier ; ce projet de loi ne fait donc pas exception. L'objectif est de cibler des populations « criminogènes ». Le problème, en l'espèce, c'est que ces personnes sont insidieusement assimilées à des délinquants. La tenue d'un tel fichier, compte tenu du caractère sensible des informations enregistrées, pose un réel problème en matière d'atteinte à la vie privée.
Je ne sais si les séries policières américaines, où en quelques secondes les super-flics new-yorkais savent tout, de A à Z, d'un John Smith né au fin fond de l'Ohio, fascinent nos gouvernants, mais je ne me priverai pas de rappeler que cela n'a aucune influence, aux États-Unis, sur la prévention de la délinquance ni sur la violence en général.
J'avais considéré comme irrecevable en première lecture l'inclusion dans ce projet de loi des dispositions relatives à la santé mentale. Depuis, la vive protestation des professionnels vous a conduit, monsieur le ministre, à vous poser quelques questions, mais vous avez alors ajouté un motif d'irrecevabilité au texte.
En effet, le tour de passe-passe qui consiste à vouloir procéder par ordonnances à la nécessaire réforme de la loi du 27 juin 1990 tandis que les articles relatifs à la santé mentale continuent d'être traités dans le présent projet de loi est pour le moins inacceptable pour les parlementaires, qui doivent savoir ce que le Gouvernement décidera par ordonnances dans le même domaine, qui plus est élargi.
J'ajoute qu'en l'occurrence, comme pour les familles souffrant de difficultés sociales, le Gouvernement, quoi qu'il en dise, entretient les amalgames, sous-entend que les personnes malades mentales présentent un risque particulier en matière de délinquance et propose comme solution de les ficher.
Nous ne pouvons tolérer de telles atteintes à la vie privée, d'autant que, encore une fois, elles n'auront aucun effet en matière de prévention de la délinquance. Elles ne font que traduire le phénomène de pénalisation des problèmes sociaux auquel nous habitue ce gouvernement depuis cinq années, avec les résultats que l'on connaît.
S'agissant de la justice des mineurs, les dispositions ont même été aggravées par l'Assemblée nationale. La spécificité de la justice des mineurs, pourtant reconnue constitutionnellement, devient virtuelle tant le Gouvernement cherche à la rapprocher de la justice des majeurs. Éliane Assassi l'a développé, je n'y reviens pas : présentation immédiate et extension de la composition pénale sont des atteintes graves à la justice des mineurs.
Je reste très dubitative sur la réalité du consentement d'un mineur âgé de treize à seize ans, auquel la loi ne reconnaît par ailleurs aucune capacité à contracter. De même, cela suppose que le mineur reconnaisse sa culpabilité, ce qui est contraire à l'article 40 de la Convention internationale des droits de l'enfant. Celui-ci dispose en effet que les États parties doivent veiller en particulier « à ce que tout enfant suspecté ou accusé d'infraction à la loi pénale ait au moins le droit aux garanties suivantes : [...] ne pas être contraint de témoigner ou de s'avouer coupable ».
Par ailleurs, cette mesure ouvre une énième brèche dans les principes fondamentaux de l'ordonnance de 1945, quoi que vous en disiez. En effet, celle-ci conférait au juge des enfants une compétence exclusive pour connaître des délits commis par les mineurs et déterminer la réponse pénale la plus adaptée à leur égard. Désormais, cette compétence sera partagée avec le procureur de la République, même si le juge des enfants conserve le pouvoir d'homologuer ou non la proposition acceptée par le mineur et ses représentants.
De manière générale, la procédure de présentation immédiate devant le juge des enfants et l'extension de la composition pénale, en ce qu'elles ne permettent pas à l'enfant de préparer sa défense ou d'être jugé de façon équitable, remettent en cause les droits de la défense. S'agissant de mineurs, cette remise en cause me semble particulièrement grave et contraire à la Convention internationale des droits de l'enfant.
L'Assemblée nationale a jugé ces atteintes aux principes de l'ordonnance de 1945 insuffisantes. Il faut admettre que la vigueur avec laquelle le ministre de l'intérieur souhaite la vider de son sens ne pouvait guère atténuer les ardeurs de certains députés.
Ainsi, nous avons échappé à l'abaissement de l'âge de la responsabilité pénale à seize ans et à la suppression pure et simple de l'atténuation de responsabilité pénale. Néanmoins, les députés ont décidé d'étendre la portée de la disposition actuellement prévue par l'article 20-2 de l'ordonnance de 1945 permettant au juge de déroger au principe de l'atténuation de responsabilité pénale.
Tout d'abord, l'article 39 bis ne fait plus mention du caractère exceptionnel de cette dérogation. Ensuite, son champ d'application est étendu aux auteurs d'infractions violentes en situation de récidive. Enfin, cet article prévoit, à l'égard de cette catégorie de délinquants, de supprimer l'obligation pour le juge de motiver spécialement sa décision de ne pas atténuer la responsabilité pénale. Nous ne sommes finalement plus très loin de la remise en cause totale de l'atténuation de responsabilité.
Il n'en reste pas moins qu'en retirant le caractère exceptionnel de la procédure, l'article 39 bis contrevient aux principes de l'ordonnance de 1945, qui ont valeur constitutionnelle, ainsi qu'à l'article 40 de la Convention internationale des droits de l'enfant qui dispose : « Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, [...] et qui tienne compte de son âge ».
Monsieur le ministre, vous répétez que les mineurs d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que les mineurs de 1945. Pour ma part, je vous dirai encore une fois que la justice des mineurs concerne l'âge...
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... et qu'un mineur est toujours un mineur.
La solution proposée par le ministre de l'intérieur, qui se substitue d'ailleurs étrangement au garde des sceaux en la matière, est de prévoir une remise en cause de l'atténuation de la responsabilité, un alourdissement des peines encourues et une possibilité accrue d'enfermer les mineurs.
Ce texte ne fait que traduire une mise sous tutelle du ministère de l'intérieur de l'action sociale, de l'éducation nationale, de la justice des mineurs et des majeurs, ou encore des transports. Avec les députés de l'Assemblée nationale, c'est un véritable fourre-tout de mesures prises pour répondre à l'actualité et aux faits divers.
Loin d'apporter des réponses en matière de prévention, ce projet de loi met en péril le fondement de notre État de droit et hypothèque l'avenir de nos libertés fondamentales. Telle est la raison pour laquelle nous vous demandons de voter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les griefs qui sont formulés par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen sont d'ordre politique ou polémique, parfois à la limite de la mauvaise foi.
Dire qu'il n'est pas question de prévention dans ce texte, c'est comme affirmer que les fauteuils de cet hémicycle sont verts. (Sourires.) De toute façon, nous conviendrons, les uns et les autres, qu'il ne s'agit pas d'inconstitutionnalité.
On nous dit ensuite que ce texte aggrave l'inflation législative. N'est-ce pas le propre de tout projet de loi ? Il faudrait donc purement et simplement arrêter de légiférer ! Il ne s'agit toujours pas d'inconstitutionnalité.
On nous dit encore qu'il y a remise en cause du secret professionnel. Sur ce point, mes chers collègues, je tiens tout de même à préciser que le texte va beaucoup moins loin que ne le souhaitait l'Association des maires de France dans sa globalité et dans sa diversité républicaine : elle désirait que le secret professionnel puisse être partagé au niveau des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance. Nous avons estimé que cette extension était trop vaste et qu'il convenait de limiter ce partage du secret professionnel au maire ou, comme l'a ajouté l'Assemblée nationale, aux cellules de veille.
On nous dit enfin - je crois rêver ! - qu'il y aurait violation de la séparation des pouvoirs en raison des prérogatives conférées au maire. J'ai essayé d'expliquer, lors de la discussion générale, que le maire jouera un rôle de chef d'orchestre en réunissant autour de la table les acteurs. Certes, il obtiendra des informations complémentaires, mais il ne disposera pas de l'ombre d'un pouvoir de sanction ; il n'empiétera pas sur les prérogatives de l'autorité judiciaire.
Reste un argument qui me paraît essentiel et qui pourrait être retenu, s'il était fondé : il y aurait remise en cause du principe de l'atténuation de responsabilité pénale pour les mineurs de plus de seize ans. Il s'agit effectivement d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République et par le Conseil constitutionnel. J'apporterai deux réponses sur ce point.
Premièrement, ce principe n'est nullement remis en cause : il y a extension de la portée de la dérogation actuelle qui existe déjà dans l'ordonnance de 1945.
Deuxièmement, le Conseil constitutionnel déclare que ce principe fondamental reconnu par les lois de la République doit se concilier « avec la nécessité de rechercher les auteurs d'infractions et de prévenir les atteintes à l'ordre public, et notamment à la sécurité des personnes et des biens ».
Ne trouvant pas l'ombre d'un grief d'inconstitutionnalité dans ce projet de loi, je demande au Sénat de bien vouloir rejeter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je n'ai pas entendu d'arguments nouveaux par rapport à ceux qui ont déjà été développés en première lecture lors de la présentation de la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Vous ne cessez de dénoncer l'inflation législative ! M. Gautier a fait allusion à une énième loi sur la sécurité, etc. Quelle est la réalité ? Depuis 2002, chaque fois que nous avons présenté un texte permettant de faire un pas important pour répondre aux inquiétudes des Français et, surtout, de mettre fin au laxisme dont avait fait preuve le gouvernement socialiste entre 1997 et 2002 (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.),...
M. Jean-Claude Peyronnet. Voilà !
M. Christian Estrosi, ministre délégué.... ce qui avait entraîné une augmentation de la violence et de la délinquance de près de 14,6 % - les résultats enregistrés par le même observatoire traduisent une baisse de 9 % depuis 2002 ; cela représente deux millions de faits de délinquance en moins, donc une diminution de la détresse et des séquelles dans la population de notre pays -, systématiquement, le groupe CRC et le groupe socialiste ont déposé des motions tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et déposé des recours devant le Conseil constitutionnel.
Il s'agit, par exemple, de la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, de la loi pour la sécurité intérieure, notamment du fichier des empreintes génétiques, de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, pour répondre au problème que vous aviez soulevé sur la conservation des données électroniques, ou encore de la loi relative à l'immigration et à l'intégration : systématiquement, le Conseil constitutionnel vous a désavoués !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut réformer le Conseil constitutionnel !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Une fois de plus, c'est ce que fera le Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, comme l'a indiqué M. le rapporteur, aucun des arguments développés ne justifie l'inconstitutionnalité du projet de loi.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a un problème avec le Conseil constitutionnel !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est pourquoi je demande à la Haute Assemblée de bien vouloir rejeter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 45, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Sueur, Peyronnet, Godefroy et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 35, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3 du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, relatif à la prévention de la délinquance (n° 102, 2006-2007).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. L'ordre du jour est chargé, voire surchargé, mais ce n'est pas de notre fait. Dans ces conditions, est-il vraiment nécessaire de délibérer du présent texte ?
Monsieur le ministre, vos propos relèvent de la réitération d'affirmations. Nous pourrions aussi reprendre ce qu'a très bien dit tout à l'heure M. Jean-Claude Peyronnet.
Nous ne nous réjouissons pas de l'augmentation en cinq ans de 27,5 % des actes de violence gratuite, mais c'est un fait qui est constaté par l'observatoire dont vous avez parlé. À des chiffres, on peut répondre par d'autres chiffres, mais je ne suis pas sûr que cela fasse avancer le débat.
M. Jean-Pierre Sueur. Précisément, pour ce qui est des décrets d'application, monsieur le ministre,...
M. Jean-Pierre Sueur.... vous avez répondu avec éloquence en vous félicitant que, s'agissant du texte de 2003, tous les décrets d'application aient été publiés, sauf un, en 2007. Je vous en donne acte, monsieur le ministre. Mais vous me donnerez également acte que, subtilement, sur les huit lois relatives à la sécurité - on pourrait d'ailleurs aller jusqu'à dix, comme l'a indiqué Mme Le Texier - vous n'avez parlé des décrets d'application que pour trois d'entre elles.
Qu'en est-il de la publication des décrets d'application des textes adoptés au cours des deux dernières années ? C'est une question précise à laquelle, je n'en doute pas, vous apporterez une réponse précise.
Voici donc la huitième loi sur le sujet, présentée par M. le ministre de l'intérieur ou par M. le garde des sceaux. Chaque fois, nous nous sommes posé la question : s'il y a une deuxième loi, c'est peut-être parce que la première était insuffisante ; puis la question est revenue à propos de la troisième, de la quatrième... Et aujourd'hui, monsieur le ministre, si vous présentez une huitième loi, cela signifie-t-il que les sept précédentes étaient incomplètes, imparfaites, inefficaces, mauvaises ? Si, à la fin de cette législature, vous en êtes à nous soumettre tous ces articles, n'est-ce pas une manière de mettre en cause le bien-fondé de toutes ces lois ? Je crois, mes chers collègues, qu'il s'agit là d'un détournement du rôle du Parlement.
Vous voulez faire croire aux Françaises et aux Français qu'en élaborant une huitième loi vous agissez. En réalité, tout le monde sait que c'est une loi d'affichage. Vous n'aurez pas le temps de prendre les décrets d'application dans les prochaines semaines et tout devra être remis sur le métier. Nul n'ignore le contexte dans lequel intervient la discussion de ce projet de loi : des élections se profilent et, monsieur le ministre, vous y pensez autant que nous !
En présentant ce projet de loi sur la prévention de la délinquance, vous pensez que les Français se diront : « au moins, eux, ils travaillent ». N'aurait-il pas été plus pertinent de donner davantage de moyens à la justice, à tous les professionnels qui travaillent dans le domaine de la prévention et de l'éducation ?
Monsieur le ministre, je suis l'actualité, j'écoute les propos que vous tenez sur les médias. N'est-il pas surprenant que le programme du principal parti de la majorité actuelle comporte des dispositions qui sont contraires non seulement à la législation en vigueur, mais également au projet de loi que vous nous proposez d'adopter ? Je pense notamment aux peines planchers ou à certaines mesures concernant les mineurs.
Mes chers collègues, je vous invite à voter la motion tendant à opposer la question préalable afin de libérer le Gouvernement de la schizophrénie dont il semble atteint. En effet, monsieur le ministre, comment pouvez-vous dire au Parlement, en défendant un projet de loi, que vous refusez les peines planchers et, à l'extérieur, en soutenant le programme de votre parti, que les peines planchers sont absolument nécessaires ?
Eu égard au contexte actuel, la discussion du présent projet de loi nous conduit à des exercices intellectuels peu productifs. Nous pourrions donc parfaitement alléger l'ordre du jour du Parlement et, ainsi, promouvoir un confort intellectuel que vous pourriez apprécier autant que nous.
S'agissant du rôle du maire, le présent texte comporte de nombreuses ambiguïtés.
Le maire n'a pas à assumer les compétences dévolues à la police nationale. Confondre leurs compétences, c'est risquer - on le constate d'ores et déjà ici ou là - des tentatives de mainmises municipales dans des domaines qui, en vertu de la loi et de la Constitution, relèvent de la responsabilité de l'État. Cette responsabilité doit être exercée - c'est une garantie républicaine forte - par la police nationale, donc par l'État, un État républicain, dans le cadre de ses pouvoirs régaliens.
De la même manière, confondre les compétences du maire et celles des magistrats, c'est risquer des évolutions inacceptables et préjudiciables à la séparation des pouvoirs.
Il ne faut pas vouloir que le maire fasse tout ! Comme nombre de maires l'ont eux-mêmes souligné, une telle situation deviendrait très vite intenable.
Que le maire soit un partenaire - au sens fort du terme - des services de l'État, de la justice, de la police nationale, nous sommes d'accord ! En revanche, qu'il devienne un auxiliaire de justice ou un substitut, nous ne pouvons l'accepter.
Selon le rapporteur Jean-René Lecerf, ce projet de loi, s'il est adopté, ne conférera au maire aucune prérogative substantielle effective en matière judiciaire pour ce qui relève de la répression et de la sanction. Si tel est le cas, une question vient immédiatement à l'esprit : pourquoi faut-il changer la loi ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Pour faire du maire un chef d'orchestre !
M. Jean-Pierre Sueur. Le maire a déjà l'autorité suffisante pour être le partenaire de l'ensemble des services de l'État. Il n'est pas nécessaire d'élaborer une loi à cet effet !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il ne détient pas les informations !
M. Jean-Pierre Sueur. Si on veut lui donner d'autres missions, d'autres fonctions, un autre rôle, une efficacité accrue dans certains domaines, il s'agit alors d'un véritable changement.
Monsieur le ministre, je m'étonne du caractère fourre-tout de ce texte. Certes, c'est une critique que l'on a souvent adressée à de nombreux projets de lois, notamment à ceux qui portent diverses dispositions d'ordre social ou autres. Toutefois, avec le présent projet de loi, nous nous heurtons à une autre difficulté : cette collection surabondante d'articles en tout genre, ce conglomérat informe de mesures disparates est aussi un catalogue de peurs, petites et grandes, qui traduit l'idée fixe, l'obsession de l'enfermement, de l'exclusion, de la négation de ceux qui sont censés être dangereux.
Je serai très clair : la sanction est nécessaire, indispensable, et nous n'avons jamais prôné le laxisme ; c'est un slogan trop facile.
Monsieur le ministre, vous avez raison lorsque vous dites que la peur de la sanction contribue à la prévention. Mais d'autres éléments contribuent à la prévention.
Nous n'acceptons pas le fantasme perpétuel de l'enfermement et de l'exclusion qui est induit par l'énumération à laquelle vous procédez. En effet, ce texte évoque successivement les gens du voyage, les chiens dangereux, les malades mentaux, les toxicomanes. Comment ne pas voir ce qu'il y a non seulement de gênant, mais aussi de pernicieux dans une telle énumération ?
Il faut bien évidemment protéger la population contre les chiens dangereux : qui pourrait y être opposé ? Mais comme nous le disions ce matin en commission des lois, des dispositions allant dans ce sens, qui relèvent du code rural, auraient pu être prises par la voie réglementaire.
Cependant, évoquer le danger, la peur, en mentionnant les chiens dangereux, les gens du voyage - toujours faciles à stigmatiser -, les malades mentaux, dont la population doit être protégée, les toxicomanes, c'est procéder à une énumération qui induit des amalgames. Monsieur le ministre, il n'est pas neutre de présenter les choses de cette manière. Ce n'est pas seulement le texte en lui-même qui entraîne un certain nombre d'effets ; c'est aussi sa constitution en forme de répertoire de diverses peurs.
Chaque cas appelle des réponses de la société, des traitements, des cures et, dans certains cas, des sanctions. Mais l'amalgame qui est pratiqué est intrinsèquement pervers.
J'en viens à un point particulièrement choquant : les dispositions relatives à la psychiatrie.
Tout d'abord, ce fut une lourde erreur d'inscrire ces mesures dans un texte sur la délinquance. Sans jamais que cela fut dit - mais il y a le posé et le présupposé - ce procédé induit l'image en vertu de laquelle les malades mentaux seraient assimilés à des délinquants. Votre première erreur fut donc de créer une confusion en introduisant les dispositions concernant la psychiatrie dans un texte relatif à la prévention de la délinquance.
Votre seconde erreur fut de refuser d'élaborer une loi spécifique traitant ce sujet d'une manière globale. Tous les professionnels que nous avons reçus, qu'il s'agisse des psychiatres ou de leurs représentants, nous ont affirmé qu'il fallait rénover la loi de 1990 en prenant en compte l'ensemble de la question : l'hospitalisation, les secteurs, les cures, la psychiatrie en prison - la carence est importante en la matière -, sans oublier les rapports avec les familles. C'est un sujet très difficile ; une grande loi est nécessaire, élaborée dans la plus large concertation.
Mais, dites-vous, qu'à cela ne tienne, nous allons réparer l'erreur ! Et M. Sarkozy, ici absent, a cette formule magnifique, reprise dans la presse : « Qu'importe le véhicule, pourvu que le contenu reste le même ! » ; ce sera non plus une loi, mais une ordonnance. J'ai bien entendu les propos de M. Bertrand, mais comment accepter qu'une telle méthode puisse être considérée comme une bonne façon de traiter un problème aussi lourd ?
On a souvent parlé de la loi de 1838 et des débats très riches, mais aussi très complexes, auxquels elle a donné lieu au Parlement. Comment peut-on imaginer que l'on va aujourd'hui traiter cette question par une ordonnance, en fin de législature, afin de tenter de réparer une erreur ? Et, comble de l'aberration, monsieur le ministre, le Parlement va continuer à débattre des articles qui sont censés faire partie de l'ordonnance et qui sont visés par la loi d'habilitation.
En conclusion, permettez-moi de vous donner lecture d'un extrait - qui doit être gravé dans le marbre - du rapport présenté en décembre dernier, au nom de la commission des affaires sociales, par M. Alain Milon, sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé.
M. Milon écrit ceci : « L'introduction d'un article d'habilitation dans le projet de loi ne pose pas en soi de problème de respect des règles constitutionnelles. Néanmoins - ce mot est déjà tout un programme - la démarche suivie par le Gouvernement n'est pas banale - le discours, à lui seul, n'est pas banal, monsieur le président de la commission des lois - puisque le vote de cet article d'habilitation par l'Assemblée nationale n'a pas entraîné la suppression symétrique des articles 18 à 24 du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance »
M. Milon poursuit, et c'est vraiment remarquable : « Selon les informations recueillies, il serait envisagé de ne procéder à cette suppression qu'à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance en commission mixte paritaire. »
Ainsi, lors de la commission mixte paritaire au sein de laquelle, jusqu'à preuve du contraire, ne siègent que des parlementaires, députés ou sénateurs, le retrait des dispositions dont nous allons maintenant débattre est déjà prévu, puisque celles-ci figurent toujours dans le projet de loi bien que le Parlement ait autorisé le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur ce sujet. Si, dans cet hémicycle, quelqu'un considère que cette démarche n'est pas absurde,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Honteuse !
M. Jean-Pierre Sueur.... qu'il m'explique comment il justifie ce véritable pataquès !
Mes chers collègues, il s'agit là d'un argument extrêmement fort pour voter la motion tendant à opposer la question préalable et que j'ai eu l'honneur de vous présenter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je formulerai quelques remarques avant d'émettre l'avis de la commission sur cette motion.
Tout d'abord, notre collègue Jean-Pierre Sueur a posé la question de savoir s'il fallait délibérer du présent texte eu égard au prétendu échec de la politique menée en matière de sécurité depuis cinq ans. Mais les chiffres sont têtus ! En effet, après une augmentation de la délinquance des mineurs et des violences non crapuleuses, c'est-à-dire des violences gratuites, entre 1997 et 2002, nous observons, depuis 2002, une baisse spectaculaire de cette délinquance.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Personne ne vous croit !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur Dreyfus-Schmidt, connaissant votre honnêteté intellectuelle, je me demande comment vous pouvez affirmer que personne ne nous croit ! L'appareil statistique qui permet de mesurer cette délinquance est intrinsèquement le même depuis des décennies.
Des progrès considérables ont été accomplis, mais il nous faut maintenant progresser en matière de délinquance des mineurs et de violence non crapuleuse.
Vous dénoncez une ambiguïté fondamentale concernant le rôle du maire : l'État se déchargerait sur le maire de ses compétences régaliennes. Or il arrive que les maires, notamment en matière de police administrative, soient également des agents de l'État. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Il leur arrive aussi d'être officier de police judiciaire. (Et alors ? sur les travées du groupe socialiste.) Et je ne pense pas qu'à ce titre ils soient les représentants de la commune.
Une interrogation fondamentale, qui devrait vous préoccuper, subsiste : comment se fait-il qu'une association aussi oecuménique que l'Association des maires de France, après avoir discuté, point par point, des mesures qui l'inquiétaient, en particulier de la possibilité, pour le maire, d'empiéter sur le pouvoir judiciaire, constate qu'il a été fait droit, pour l'essentiel, à l'ensemble de ses revendications et admette que le texte fait désormais l'objet d'un large consensus ? Les échéances électorales se rapprochent et je comprends qu'il soit parfois difficile de reconnaître un certain nombre de vérités.
Il aurait été préférable d'augmenter le budget de la justice, a-t-on dit. Or celui-ci s'est accru de 38 % en cinq ans. Excusez du peu ! Sur ce point, la majorité et le Gouvernement font ce qu'ils peuvent. Que n'en a-t-il été de même à d'autres époques ! Nous espérons simplement que cette évolution se poursuivra sur la même lancée.
Notre collègue Jean-Pierre Sueur a évoqué le caractère composite de ce texte, qui regroupe notamment des dispositions concernant aussi bien les violences conjugales que les chiens dangereux ou les gens du voyage. Je comprends son point de vue, que je partage d'ailleurs partiellement. Je n'aurai cependant pas la cruauté de lui rappeler que les mesures concernant les gens du voyage ont été adoptées à l'unanimité par l'Assemblée nationale.
Je crois donc que nous nous posons des problèmes qui n'intéressent guère que le « microcosme », pour reprendre l'expression d'un ancien Premier ministre. En effet, ce qui préoccupe fondamentalement nos concitoyens, c'est de savoir si nous nous attaquons effectivement aux sources d'insécurité, en nous efforçant d'apporter des solutions. Peut-être aurait-il été plus opportun d'élaborer non pas un, mais quatre, cinq ou six textes. Mais qu'aurait-on dit alors de l'inflation législative ?
Je suis toujours très surpris de la béatification, pour ne pas dire la canonisation, dont fait l'objet la loi sur les aliénés du 30 juin 1838, car celle-ci est très certainement un exemple des atteintes portées aux libertés individuelles. Pour ma part, j'ai la faiblesse de préférer une ordonnance respectueuse des libertés à une loi liberticide !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant à la schizophrénie, mes chers collègues, n'abusons pas d'une accusation que nous pourrons nous lancer très souvent au cours de la période à venir !
Monsieur Sueur, je ne sais pas s'il vous sera facile, pendant la campagne présidentielle, de défendre, par exemple, l'encadrement militaire des adolescents en difficulté, qui semble pourtant faire partie du programme de la candidate que vous défendez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Bien entendu, la commission n'est pas favorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Monsieur Sueur, en défendant cette motion, vous avez simplement fait une intervention politique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au Parlement, on fait encore de la politique !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous avez cherché, une fois de plus, la caricature. C'est dommage ! En effet, sur un sujet aussi grave et aussi sérieux, le Gouvernement a tenu, en ne déclarant par l'urgence sur ce texte, à ce que le Parlement puisse apporter la contribution la plus large possible. Tel a d'ailleurs été le cas, puisque des amendements émanant de votre groupe ont été adoptés.
Vous avez tenté d'énumérer une liste de griefs, qui relèvent de la caricature. Quant au fantasme permanent de l'enfermement, si nous avons accordé une place aussi importante aux collectivités locales, notamment en ce qui concerne leurs compétences dans le domaine social, c'est bien parce que nous voulons que la prévention joue un rôle majeur. Ce texte, loin de renforcer l'enfermement des mineurs, accroît les capacités d'intervention des collectivités locales, qu'il s'agisse des municipalités ou des départements, en particulier en matière sociale.
Vous souhaitez, monsieur Sueur, m'apporter un confort intellectuel.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas négligeable !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je vous remercie de vous en soucier ! À quoi bon, dites-vous, faire adopter ce texte, puisque nous sommes à quelques mois d'une échéance électorale ? Dans l'intérêt de mon confort intellectuel et du vôtre, dont je me préoccupe également, je vous rappelle que c'est sur l'initiative d'un gouvernement que vous souteniez qu'a été proposée la mise en place du quinquennat. Le mandat législatif est aussi de cinq ans. Par conséquent, le mandat du Président de la République et celui des députés ont désormais exactement la même durée. Devrions-nous débattre de ces sujets si importants pour les Français pendant quatre ans seulement ? Ou bien chacun doit-il assumer ses responsabilités jusqu'au terme de son mandat, en s'inscrivant dans la durée ?
Au cours de la législature précédente, vous avez proposé, en matière de sécurité, un certain nombre de mesures ; je pense notamment à la loi relative à la sécurité quotidienne.
M. Jean-Pierre Sueur. De M. Vaillant !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Effectivement !
Elle a été adoptée à l'automne 2001, puisqu'elle succédait aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Vous aviez notamment prévu des dispositions...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Provisoires !
M. Christian Estrosi, ministre délégué.... concernant la fouille des coffres des véhicules. À l'époque, l'opposition les avait considérées comme parfaitement responsables. En tant que député, je me souviens avoir moi-même soutenu un certain nombre de ces mesures
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Provisoires !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je ne vous avais alors pas accusé, monsieur Sueur, bien que nous étions à quelques mois seulement des échéances présidentielle et législative, de favoriser, quelques mois avant le terme de ces mandats, l'inflation législative.
M. Jean-Pierre Sueur. La situation était particulière !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Pour ma part, j'avais considéré qu'il s'agissait de propositions pragmatiques. Par la suite, la plupart des dispositions de ce texte ont été appliquées par les gouvernements suivants, qui les considéraient comme tout à fait adaptées.
Monsieur Sueur, malgré votre intervention, je sais que vous avez suffisamment le sens de la continuité de l'État pour ne pas dire, à cette tribune, que le Gouvernement et le Parlement ne jouent pas leur rôle en poursuivant leur travail jusqu'au bout, en fonction de leurs convictions et de ce qui leur paraît essentiel et prioritaire pour répondre aux aspirations de nos concitoyens. Je souhaitais insister à cet égard, ce point de votre intervention m'ayant paru « décalé ».
Vous avez parlé d'un texte fourre-tout qui regrouperait la psychiatrie infantile, les chiens dangereux, etc. Or je vous rappelle que les amendements relatifs aux chiens dangereux ont été adoptés à l'unanimité par le Sénat.
M. Jean-Pierre Sueur. J'ai dit que cette mesure était juste !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. J'ai même le souvenir que, lors de la première lecture de ce projet de loi par la Haute Assemblée, un certain nombre de membres de votre groupe avaient regretté que ce texte n'intègre pas, notamment, une politique du logement ou de l'éducation nationale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Vous dénoncez aujourd'hui le caractère fourre-tout de ce texte après avoir déploré, en première lecture, l'insuffisance de dispositions transversales émanant d'autres ministères !
M. Charles Gautier. Nous parlions de prévention !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. C'est bien la démonstration que vous êtes en décalage, monsieur Sueur !
Enfin, je veux, une fois pour toutes, éclairer la Haute Assemblée sur les décrets.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Sur l'ordonnance !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Au sujet de l'ordonnance, M. Xavier Bertrand a déjà répondu. Je sais bien que vous caricaturez également cet aspect des choses. Pour ma part, je ne crois qu'aux vertus du dialogue, de la concertation et du compromis.
En première lecture, le Sénat a délibéré et approuvé les articles 18 à 24 du projet de loi, qui visent à réformer la loi du 27 juin 1990 dans ses dispositions relatives aux hospitalisations d'office, en s'inscrivant dans une perspective globale et équilibrée. Vous savez, mesdames, messieurs les sénateurs, que cette réforme était attendue par l'ensemble des professionnels de santé.
À l'Assemblée nationale, les députés ont estimé que, pour donner satisfaction aux professionnels de santé, il serait sans doute plus efficace de procéder à une refonte d'ensemble de l'hospitalisation sous contrainte par ordonnance. Ceux-ci pourraient ainsi disposer plus rapidement des mesures arrêtées.
En même temps, le Gouvernement a considéré que, tout en procédant par ordonnance, le fait que le Parlement ait pu en débattre n'était pas une mauvaise chose. Ce support qu'est le texte législatif a permis aux parlementaires de s'exprimer sur ce sujet et l'ordonnance est un moyen d'apporter une réponse plus rapide et plus efficace aux professionnels de santé.
Monsieur Sueur, très sincèrement, j'accepte totalement votre remarque selon laquelle cette façon de procéder n'est pas traditionnelle. Mais, dans le monde où nous vivons, nous devons nous adapter en permanence aux réalités auxquelles nous sommes confrontés.
À partir du moment où il y a eu un vrai débat, que nous avons voulu ouvert, d'abord avec les professionnels de santé, ensuite au Sénat, enfin à l'Assemblée nationale, et qu'à l'occasion de l'examen de ce texte non déclaré d'urgence nous avons trouvé une solution qui donne parfaitement satisfaction à l'ensemble des professionnels de santé et qui est susceptible de faire l'unanimité au sein de ces derniers, pourquoi contester cette manière d'agir ? (M. Jean-Pierre Sueur proteste.) De manière apaisée, tenons-nous en là, monsieur Sueur !
J'ai entendu vos arguments ; je vous ai apporté les miens, qui ne sont d'ailleurs pas si opposés. Vous avez davantage insisté sur la forme. Personnellement, j'ai essayé de vous apporter une réponse sur le fond.
Enfin, monsieur Sueur, s'agissant des décrets, concernant le ministère de l'intérieur que je suis chargé de représenter aujourd'hui, je ne m'exprimerai que sur les textes qui ont été présentés par le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Jean-Pierre Sueur. Pas sur la justice ?
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je vous ai déjà répondu sur la loi du 26 novembre 2003.
S'agissant de la loi du 18 mars 2003, vingt-cinq décrets ont été pris sur trente et un, six décrets sont en attente, dont trois relèvent seulement du ministère.
Quant à la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, publiée le 24 janvier 2006 - ce n'est pas vieux ! -, je vous confirme que tous les décrets sont soit pris, soit en cours d'examen.
Enfin, s'agissant de la loi du 5 juillet 2006 relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives, qui n'est pas ancienne non plus, monsieur Sueur, les deux décrets relatifs à cette loi ont été pris et sont parus au Journal officiel le 9 décembre dernier.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous en donne acte !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Vous avez fait allusion à la loi de 2003 et à la publication de ses décrets d'application en 2007 ; je vous parle d'une loi que vous avez votée en juillet 2006 et dont les deux décrets d'application ont été publiés en décembre dernier !
Enfin, pour ce qui est de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, trois décrets sont pris : ils concernent le regroupement familial des étrangers, la Commission nationale de l'admission exceptionnelle au séjour et la partie réglementaire du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. De plus, trois décrets transversaux, dont l'un concerne à lui seul quarante-cinq articles, sont devant le Conseil d'État, en attente de publication.
Voilà le bilan qui est le nôtre sur les projets de loi que nous vous avons présentés au cours des cinq dernières années.
M. Jean-Pierre Sueur. Vous n'avez pas parlé des textes qui relèvent du ministère de la justice !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. Je ne vous en parlerai pas, car il ne m'appartient pas de les suivre aux côtés du ministre de la justice !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais M. Sarkozy les signe en tant que président de l'UMP !
M. Christian Estrosi, ministre délégué. En revanche, je suis fier de suivre ceux qui sont conduits par le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, et je vous ai d'ailleurs apporté des réponses sur ce point.
S'agissant du projet de loi relatif à la prévention de la délinquance, monsieur Sueur, je vous fais calmement et paisiblement la démonstration - ce sera mon dernier mot - que l'argument utilisé pour justifier la question préalable ne tient pas, car ce texte contient énormément de dispositions qui, lorsqu'elles seront votées, seront d'application directe, sans qu'il soit nécessaire de publier des décrets d'application.
Par ailleurs, pour l'ensemble du projet de loi, seule une trentaine de décrets d'application est prévue. Le secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance a d'ores et déjà fait préparer l'avant-projet de ces décrets qui, vous le comprendrez, ne pourront naturellement être publiés qu'une fois la loi votée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Pour mon confort intellectuel, monsieur Sueur, je ne peux que vous appeler à voter le plus rapidement possible le projet de loi qui vous est présenté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Michèle André.)