compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Roland du Luart
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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CANDIDATURES À des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein du Centre national d'art et de culture Georges-Pompidou, du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.
La commission des affaires culturelles a fait connaître qu'elle propose les candidatures de M. Jean-François Picheral, de M. Robert Tropeano et de M. Yves Dauge pour siéger respectivement au sein de ces organismes extraparlementaires.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
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CANDIDATURES À la COMMISSION spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes
M. le président. L'ordre du jour appelle la nomination des membres de la commission spéciale chargée de vérifier et d'apurer les comptes.
Conformément à l'article 8 du règlement, la liste des candidats remise par les bureaux des groupes a été affichée.
Cette liste sera ratifiée s'il n'y a pas d'opposition dans le délai d'une heure.
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Contrôle de la validité des mariages
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif au contrôle de la validité des mariages (n°s 275, 492, 2005-2006).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous examinez aujourd'hui le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale le 22 mars dernier.
Ce texte, qui prévoit un dispositif global et cohérent, vise à mieux lutter contre les détournements dont le mariage est l'objet à des fins migratoires.
Un tiers des mariages célébrés en France ou à l'étranger sont aujourd'hui des mariages mixtes. Cette situation a deux conséquences immédiates : d'une part, le mariage avec un conjoint français constitue le premier motif d'immigration vers la France et, d'autre part, près de 50 % des acquisitions de la nationalité française se font par mariage.
Bien évidemment, je n'oublie pas que la plupart des mariages mixtes sont animés d'une intention matrimoniale sincère, et il ne s'agit nullement ici de jeter une suspicion d'ensemble sur ces mariages. Toutefois, force est de constater que le nombre d'annulations prononcées par les juridictions françaises n'a cessé d'augmenter depuis une dizaine d'années et que, dans leur très grande majorité, celles-ci concernent des mariages mixtes.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Binationaux !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ainsi, en 2004, 85 % des 745 mariages qui ont été annulés par les tribunaux de grande instance et les cours d'appel étaient mixtes, et la majorité d'entre eux avaient été contractés à l'étranger.
En outre, il est à craindre que ces chiffres ne rendent pas entièrement compte de la réalité de la situation. En effet, la preuve de l'absence d'intention matrimoniale est parfois difficile à rapporter, et nous savons que, dans un certain nombre de cas, le conjoint victime d'un mariage de complaisance ou d'un mariage forcé préfère demander le divorce plutôt que l'annulation du mariage.
Tout cela démontre que le dispositif existant en matière de prévention des mariages frauduleux n'est pas adapté à la situation actuelle, et il l'est d'autant moins lorsque le mariage est conclu à l'étranger.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. C'est votre circulaire de 2005 !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. S'agissant des mariages célébrés en France, les lois du 24 août 1993 et du 26 novembre 2003 ont certes apporté des améliorations utiles. Ainsi, l'officier de l'état civil s'est vu confier le pouvoir d'auditionner les futurs époux et, si un doute subsiste quant à la validité du mariage, il peut saisir le procureur de la République afin qu'il s'oppose à la célébration.
L'application de ces dispositions a déjà permis de détecter de nombreux projets de mariages frauduleux et d'empêcher leur concrétisation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Combien ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Environ trois cent cinquante ! (Sourires.)
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je constate votre présence amicale, monsieur Dreyfus-Schmidt, et je m'en réjouis !
Toutefois, ceux qui parmi vous ont célébré des mariages - et ils sont sans doute nombreux ! - connaissent les difficultés de mise en oeuvre de ce dispositif.
En ce qui concerne les mariages contractés par des Français à l'étranger, c'est le seul article 170-1 du code civil qui fixe les modalités de contrôle. Contrairement à ce qui se passe pour les mariages célébrés sur notre territoire, cet article ne prévoit aucun mécanisme de prévention des mariages irréguliers, puisque c'est seulement à l'occasion de la demande de transcription sur les registres de l'état civil que la validité du mariage est vérifiée. Il n'est donc pas surprenant de constater que ce sont ces mariages-là qui font, le plus souvent, l'objet d'une annulation.
En outre, le dispositif applicable aux mariages contractés à l'étranger présente deux inconvénients majeurs.
D'une part, la transcription n'étant pas obligatoire, sauf pour l'obtention d'un titre de séjour ou de la nationalité française, les époux peuvent faire produire à leur mariage tous les autres effets prévus par la loi sans que la validité de leur union ait jamais fait l'objet d'une vérification préalable.
D'autre part, même lorsque la transcription est demandée, il est bien plus difficile de procéder aux vérifications nécessaires plusieurs années après la célébration. J'ajoute que les règles actuelles contraignent le parquet et les services de police à accomplir ces vérifications en moins de six mois, faute de quoi la transcription est automatique.
Enfin, ce dispositif n'est pas équitable, car il soumet les Français qui se marient à l'étranger à un contrôle moins strict que celui qui est applicable en France, alors que tous ces mariages ouvrent les mêmes droits sur notre territoire.
Telles sont les raisons qui ont conduit le Gouvernement à engager une réforme du contrôle de la validité des mariages.
Ce projet de loi prévoit un nouveau dispositif complet et cohérent, aux termes duquel les mariages contractés par des Français à l'étranger feront l'objet d'un contrôle avant même leur célébration, comme c'est le cas des mariages célébrés en France. Il a d'ailleurs été enrichi par les débats qui se sont déroulés à l'Assemblée nationale, le 22 mars dernier. L'examen de ce texte par votre Haute Assemblée sera l'occasion d'y apporter, je n'en doute pas, mesdames, messieurs les sénateurs, de nouvelles améliorations.
Ainsi, votre commission des lois a proposé que certaines dispositions figurant dans ce projet de loi en soient extraites pour être reprises par voie règlementaire. Je suis bien entendu favorable à cette démarche, qui contribue à améliorer la lisibilité de la loi.
Ce projet de loi s'articule autour de trois axes principaux que je présenterai successivement : clarifier et renforcer la procédure de contrôle des mariages célébrés en France ; soumettre au même contrôle le mariage des Français à l'étranger ; simplifier et améliorer la procédure de vérification des actes de l'état civil étranger remis à l'administration française, afin de mieux empêcher la fraude.
Le premier objectif est de clarifier et de renforcer la procédure applicable à tous les mariages célébrés sur notre territoire, quelle que soit la nationalité des époux.
Premièrement, de nombreux officiers de l'état civil ont fait valoir que, au gré des réformes, l'article 63 du code civil a beaucoup perdu de sa lisibilité, de sorte qu'il est devenu difficile de distinguer clairement la chronologie des formalités qui doivent précéder la célébration du mariage. Or, elle est essentielle.
L'expérience montre que la publication des bans a parfois lieu avant que l'ensemble des formalités et vérifications préalables n'aient été accomplies, alors qu'elle ne doit intervenir qu'une fois toutes les conditions de la célébration réunies.
À cet égard, la circulaire du 2 mai 2005 a déjà apporté certaines réponses. Le projet de loi va plus loin encore, et répond pleinement à l'attente des officiers de l'état civil en prévoyant une nouvelle rédaction de l'article 63 du code civil faisant apparaître plus distinctement les différentes étapes qui précèdent la célébration.
Deuxièmement, ce texte comporte des dispositions nouvelles, qui renforcent l'efficacité de la procédure actuelle.
Tout d'abord, il est indispensable que l'identité des futurs époux soit mieux contrôlée. Il est aujourd'hui paradoxal de constater que l'on peut exiger d'une personne qui effectue un paiement par chèque qu'elle présente une pièce d'identité alors qu'on ne peut l'exiger de la part des futurs époux.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tout à fait !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il n'existe aucune disposition légale en ce sens. Le projet de loi comble donc cette lacune en exigeant la présentation d'une pièce d'identité officielle.
Par ailleurs, il est nécessaire de systématiser davantage l'audition des futurs époux, qui est un moment privilégié pour s'assurer de la sincérité de leur intention matrimoniale. Or, trop souvent, le fait que l'un des futurs époux réside à l'étranger constitue un obstacle insurmontable. C'est pourquoi l'officier de l'état civil doit être en mesure de déléguer cette audition à l'autorité diplomatique ou consulaire, et réciproquement, si le mariage est célébré à l'étranger alors que le futur époux réside en France.
À cet égard, l'examen du texte par l'Assemblée nationale a permis d'intégrer les nouvelles dispositions issues de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, qui permettent au maire et au consul de déléguer la réalisation de l'audition à un fonctionnaire titulaire du service de l'état civil. Je suis convaincu que cette mesure contribuera, elle aussi, à augmenter le nombre d'auditions.
Enfin, le projet de loi renforce le droit d'opposition du ministère public. Actuellement, l'opposition est automatiquement caduque au terme de un an. Il faut donc la renouveler si les candidats au mariage maintiennent leur projet au-delà de ce délai, même s'ils n'ont pas demandé la mainlevée.
Incontestablement, cette situation profite aux fraudeurs. Le texte revient donc sur cette règle et prévoit que l'opposition du parquet continuera de produire ses effets tant qu'aucune décision de mainlevée n'aura été rendue.
J'en viens maintenant aux dispositions relatives aux mariages contractés par les Français à l'étranger.
Je l'ai dit, les règles actuellement applicables à ces mariages ne sont pas adaptées aux détournements dont l'institution matrimoniale est l'objet. Il convient donc de les modifier.
À cet égard, le projet de loi introduit dans le code civil un nouveau chapitre intitulé « Du mariage des Français à l'étranger », entièrement consacré à cette question. Celui-ci présente un dispositif innovant, mais dont vous remarquerez qu'il est directement inspiré du régime applicable aux mariages célébrés en France.
En premier lieu, le projet de loi limite la possibilité pour les époux de faire produire des effets à leur mariage dès lors que celui-ci n'a pas été transcrit sur les registres de l'état civil.
C'est ainsi que les mariages non transcrits ne seront pas opposables aux tiers et produiront leurs effets civils seulement à l'égard des époux et de leurs enfants.
Cette règle est identique au mécanisme prévu à l'article 194 du code civil pour les époux mariés en France. Il est légitime que nul ne puisse réclamer le titre d'époux et les effets civils du mariage s'il ne présente un acte de mariage inscrit sur les registres de l'état civil.
Bien évidemment, il ne s'agit pas de nuire aux tiers de bonne foi. Leurs droits seront préservés, et ils pourront par exemple se prévaloir de la solidarité entre époux.
L'objectif visé par le Gouvernement au travers de cette disposition est d'empêcher qu'un mariage célébré à l'étranger, et dont la validité n'a pas encore été vérifiée, soit opposable aux autorités publiques.
Toutefois, dès lors qu'il a été célébré conformément à la loi étrangère, chacun des époux sera tenu aux devoirs du mariage prévus aux articles 212 et suivants du code civil, et la présomption de paternité à l'égard des enfants s'appliquera.
En second lieu, les conditions dans lesquelles les époux pourront obtenir la transcription de leur acte de mariage étranger dépendront désormais de l'accomplissement de certaines formalités préalables.
Ainsi, avant de se marier à l'étranger, les Français devront obtenir du consulat ou de l'ambassade un certificat de capacité à mariage.
A l'instar des mariages célébrés en France, ils devront constituer un dossier complet, être auditionnés par l'officier de l'état civil et faire procéder à la publication des bans. Si le projet de mariage ne remplit pas les conditions de validité posées par la loi française, le parquet pourra s'opposer à la célébration et, bien entendu, le certificat ne sera pas délivré.
L'obligation d'obtenir un certificat de capacité à mariage figure déjà dans un décret du 19 août 1946, mais elle n'est que rarement respectée, car aucune sanction n'y est attachée.
Le projet prévoit donc une innovation importante : le fait de ne pas avoir obtenu ce certificat rendra désormais plus difficile la transcription du mariage.
En pratique, au moment de la demande de transcription, trois hypothèses seront susceptibles de se présenter, et dans chaque cas une réponse adaptée est prévue.
Première hypothèse : les époux ont obtenu le certificat de capacité à mariage.
Dans la mesure où ils se sont soumis aux vérifications nécessaires, ils bénéficieront alors d'une présomption de bonne foi et la transcription leur sera en principe acquise. Seul un élément nouveau pourra justifier des vérifications supplémentaires, mais le parquet devra se prononcer dans les six mois, faute de quoi la transcription sera automatique.
Deuxième hypothèse : les époux se sont mariés devant l'autorité étrangère malgré l'opposition du ministère public.
En application du principe d'indépendance souveraine des États, nous savons que, même si le parquet fait opposition au mariage, les autorités étrangères pourront décider de ne pas suivre cet avis.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Évidemment !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Dans ce cas, la transcription ne sera possible qu'à condition que les époux aient obtenu du tribunal la mainlevée de l'opposition du parquet.
Enfin, troisième et dernière hypothèse : les époux se sont mariés sans avoir accompli les démarches en vue de la délivrance du certificat de capacité à mariage.
Dans ce cas, le projet prévoit que la demande de transcription donnera obligatoirement lieu à une audition par l'autorité diplomatique ou consulaire, et que, en cas de doute sur la validité du mariage, le dossier sera transmis au parquet.
En effet, dans cette hypothèse, il n'y a pas lieu de faire bénéficier les époux de la présomption de bonne foi, et par conséquent, si le parquet n'autorise pas expressément la transcription, ils devront saisir le tribunal. À cette occasion, la validité de leur mariage pourra être examinée.
Sur ce point, votre commission a souhaité introduire une exception au principe de l'audition systématique prévu par l'article 171-7. Elle propose que la transcription puisse être ordonnée sans audition, lorsque l'autorité consulaire dispose déjà d'éléments qui lui permettent d'écarter tout risque de mariage de complaisance ou forcé. Cette décision devra alors être motivée sur les éléments de faits qui permettent d'écarter ce risque.
Je comprends l'objectif visé par cet amendement, qui tend à apporter des garanties suffisantes. J'y suis donc favorable.
J'en viens maintenant au dernier volet du projet de loi, qui concerne la procédure de vérification des actes de l'état civil faits à l'étranger.
Le régime juridique des actes de l'état civil étranger est actuellement prévu à l'article 47 du code civil.
Si le principe est celui de la force probante des actes de l'état civil étranger, le législateur de 2003 avait aménagé un mécanisme de sursis administratif et de vérification judiciaire des actes douteux. Toutefois, celui-ci s'est révélé trop lourd et complexe à mettre en oeuvre, et n'a pas permis de mettre fin à l'augmentation significative des fraudes.
C'est pourquoi le projet de loi prévoit de le simplifier en donnant à l'administration le pouvoir de rejeter les actes étrangers qui, après toutes vérifications utiles, se révèlent être irréguliers ou frauduleux.
À cet égard, votre commission a judicieusement proposé deux amendements qui me paraissent améliorer la précision juridique de l'ensemble.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au terme de cet exposé, permettez-moi de remercier à nouveau votre commission des lois, et en particulier son président et son rapporteur, dont le travail rigoureux et très constructif a permis d'apporter de réelles améliorations à ce projet de loi.
Ces débats démontrent que nous partageons le souci de rétablir l'équilibre entre la liberté fondamentale du mariage et le contrôle de la régularité de l'intention matrimoniale.
À mon avis, le texte qui vous est soumis présente un dispositif abouti, qui contribuera à préserver la valeur de l'institution matrimoniale dans notre société. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des seaux, mes chers collègues, il m'apparaît important, en abordant la discussion de ce projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages, qui a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 mars dernier, de faire un rapide inventaire des points qui, je le crois, nous rassemblent tous. Nous pourrons ainsi mieux discerner nos véritables oppositions, et cela nous permettra peut-être de les relativiser.
Le sujet est suffisamment sensible pour rappeler que le principe de la liberté du mariage, « composante de la liberté individuelle protégée par les articles II et IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen », a été affirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 et réaffirmé par lui dans sa décision du 20 novembre 2003. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Le respect de ce principe interdit, par exemple, de subordonner la célébration du mariage à la régularité du séjour d'un futur conjoint étranger,...
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...ou même de considérer qu'un mariage est suspect de complaisance du seul fait de cette situation irrégulière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous en reparlerons !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nul ne conteste que l'augmentation du nombre des mariages mixtes - la commission des lois, sur la suggestion de notre collègue Alima Boumediene-Thiery, préfèrerait que l'on parle de mariages binationaux - traduit avant tout l'évolution d'une société qui se mondialise et reflète l'importance croissante de la population française issue de l'immigration. La sincérité de l'immense majorité de ces unions n'est pas mise en cause...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ... et participe largement d'une bonne intégration des populations d'origine étrangère.
Enfin, la présence d'un grand nombre de ressortissants français dans le monde constitue une exceptionnelle richesse pour le rayonnement de notre pays. N'oublions pas qu'ils sont très nombreux à avoir une double nationalité et que la multiplication d'obstacles à la transcription de leur mariage en France, jointe à la regrettable politique de réduction de la carte consulaire, risquerait de les amener à renoncer à notre nationalité, affaiblissant ainsi l'influence planétaire française.
Ces remarques consensuelles une fois faites, on se trouve confronté à une alternative des plus simples : soit on se refuse même à envisager, au nom du politiquement correct et d'une certaine forme d'angélisme, que le fondement de l'institution du mariage puisse être remis en cause par la multiplication des unions contractées exclusivement à des fins étrangères aux droits et obligations attachés au mariage par la loi ; soit on accepte de regarder la réalité en face, sans pour autant chercher à la noircir, et l'on prend les mesures nécessaires pour à la fois lutter contre les dérives dont le mariage fait l'objet et préserver la pleine possibilité de nouer des liens matrimoniaux pour toutes celles et tous ceux, quelle que soit leur nationalité, qui souhaitent s'engager dans une communauté de vie.
Nous savons tous que les mariages simulés existent, que ce soit par défaut de sincérité d'intention matrimoniale - c'est le mariage de complaisance ou le mariage blanc, conclu essentiellement à des fins migratoires - ou par atteinte à la liberté de se marier...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans Molière, oui !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ... - c'est le cas, beaucoup plus tragique encore au regard des droits élémentaires de la personne, des mariages forcés.
Combien de fois, mes chers collègues, lorsque nous avons célébré des mariages, en qualité de maire ou d'adjoint, nous sommes-nous demandés si les larmes de la jeune épouse étaient bien des larmes de joie ? (Murmures sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Combien de fois, après avoir cru de notre devoir d'alerter le procureur de la République, nous sommes-nous vu inviter, pardonnez la familiarité de l'expression, à nous « occuper de ce qui nous regardait », suspectés au mieux de zèle excessif ou au pire d'arrière-pensées discriminatoires ?
Les statistiques dont nous disposons conduisent à redouter une augmentation des mariages simulés, même si la disponibilité des chiffres s'avère médiocre - nous ne disposons, par exemple, d'aucune statistique par sexe et par nationalité sur les mariages binationaux célébrés en France - et s'il convient de les manier avec prudence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Créez un fichier ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il faut ainsi à la fois se garder d'assimiler mariages célébrés à l'étranger et mariages mixtes, puisqu'il y a aussi des mariages entre Français célébrés à l'étranger,...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce sont de bons mariages !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...et conserver à l'esprit que les mariages mixtes célébrés à l'étranger ne peuvent être pris en compte aussi longtemps que les intéressés n'en demandent pas la transcription.
Sans abuser de votre patience, permettez-moi de citer quelques statistiques indiscutables et aisément vérifiables.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Nous vérifierons !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. De 1999 à 2003, le nombre des mariages célébrés en France entre des Français et des ressortissants étrangers a progressé de 62 %. En 2005, ils représentaient 50 000 des 275 000 mariages célébrés en France. Parallèlement, les mariages mixtes célébrés à l'étranger ont plus que triplé en dix ans passant de 13 000 en 1995 à 44 900 en 2004. Aujourd'hui, environ 95 000 des 320 000 mariages célébrés chaque année sont binationaux, soit près d'un tiers,...
M. Robert Bret. C'est effrayant !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...alors qu'on s'accorde à estimer que 8 % à 10 % de la population vivant en France est étrangère.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est effrayant ! C'est l'apocalypse !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne sais pas si c'est effrayant, mais ce sont les chiffres, et ils sont têtus !
Comment ne pas noter encore l'étroite corrélation de l'envolée des mariages mixtes, dans le temps et dans l'espace, avec le renforcement des contraintes de l'immigration ? Entre 1994 et 2004, le nombre de mariages à l'étranger de ressortissants français avec un conjoint algérien a augmenté de 595 %, avec un conjoint marocain de 506 %, avec un conjoint tunisien de 314 %, et avec un conjoint turc de 656 %.
M. Robert Bret. Et avec les Sénégalais ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mon cher collègue, je tiens ces chiffres à votre disposition !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut donner les chiffres et non les pourcentages ! On est peut-être passé de un à trois, de un à six, à partir de quelques unités !
M. Dominique Mortemousque. Laissez parler M. le rapporteur ! Vous interviendrez ensuite !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Parallèlement, le mariage avec un Français est désormais la première source d'immigration légale en France. En 2004, sur 75 753 personnes devenues françaises par déclaration de nationalité, 34 440 l'ont été à raison du mariage. Elles n'étaient que 19 493 en 1994.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aïe aïe aïe !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Oui, mais il y a les naturalisations !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Mes chers collègues, lorsque l'on retrouve, dans un ravin, une voiture criblée de balles, on peut toujours estimer que l'accident est dû à une panne d'essence !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel rapport ?
M. Robert Bret. Quelle comparaison !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Autrement dit, gardons-nous tout autant de noircir les chiffres que de verser dans l'angélisme ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une comparaison meurtrière !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant au nombre d'annulations de mariages - 786 en 2004 -, je reconnais volontiers qu'il reste peu significatif. Cependant, compte tenu des exigences en termes de charge de la preuve qui conditionnent la saisine de l'autorité judiciaire en vue de l'annulation du mariage, je crains qu'il ne témoigne davantage de l'augmentation des mariages simulés que de leur ampleur.
Monsieur le garde des sceaux, entendu par la commission d'enquête du Sénat sur l'immigration clandestine, le 21 décembre dernier, vous faisiez état de réseaux d'organisation de mariages de complaisance demandant aux candidats au mariage de débourser de 12 000 à 15 000 euros et versant aux Françaises, souvent des personnes en situation de précarité, entre 3 000 et 8 000 euros. La lutte contre cette délinquance organisée et le démantèlement de ces filières d'immigration clandestine - ce fut récemment le cas d'une filière tunisienne dans la région de Clermont-Ferrand - apparaissent comme une ardente obligation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela suffit !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le présent projet de loi s'inscrit dans la continuité de la loi du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le code civil, de celle du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, comme de la loi plus récente, du 4 avril 2006, renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple.
Il donne davantage de moyens de lutte contre les mariages simulés, qu'il convient d'appréhender au regard du principe fondamental de la liberté du mariage. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
Les dispositions nouvelles applicables à tous les mariages célébrés sur notre territoire, quelle que soit la nationalité des époux, ne posent guère de problème, qu'il s'agisse de l'ordre dans lequel doivent être accomplies les formalités préalables au mariage, de la constitution du dossier à la publication des bans, ou de l'amélioration des conditions de réalisation de l'audition des futurs époux.
Ce projet de loi comble également un vide juridique en faisant de l'obligation pour les futurs époux de présenter une identité officielle une exigence légale.
C'est assez surprenant, mes chers collègues, mais, comme M. le ministre l'a rappelé tout à l'heure, en l'état actuel du droit, l'officier d'état civil ne peut, sous peine de commettre une voie de fait, refuser de célébrer un mariage si les futurs époux se refusent à produire une quelconque pièce d'identité.
Votre rapporteur aurait même souhaité aller un peu plus loin sur ce point - mais la commission ne l'a pas suivi -, en prévoyant que l'identité des futurs époux devrait être justifiée par le seul moyen de la carte nationale d'identité ou du passeport, à l'exclusion de toute pièce délivrée par une autorité publique.
Le récent rapport de la mission d'information de la commission des lois du Sénat sur la nouvelle génération de documents d'identité et la fraude documentaire, présidée par Charles Guené et dont j'étais le rapporteur, préconise de retenir la carte d'identité et le passeport comme seuls documents valant justificatif d'identité pour l'ensemble des relations avec l'administration, tant le niveau de sécurité présenté par les autres documents se révèle évanescent.
Je sais bien que, à ce jour, la carte nationale d'identité n'est pas obligatoire. Toutefois, par cette remarque incidente, je souhaite me montrer cohérent avec nos travaux antérieurs et donner au Gouvernement l'occasion de s'exprimer sur la question.
Les dispositions essentielles du présent projet de loi concernent les mariages contractés par des Français à l'étranger. Elles privilégient les contrôles antérieurs à la cérémonie, dans la mesure où le Français désirant se marier devant une autorité étrangère devra obtenir préalablement un certificat de capacité à mariage attestant qu'il a accompli les formalités requises, notamment l'audition.
Les conditions de la transcription du mariage dépendront de l'octroi de ce certificat, ce qui se révèle d'autant plus essentiel que le projet de loi fait désormais de la transcription une condition de l'opposabilité du mariage en France, à tout le moins à l'égard des tiers.
Enfin, le projet de loi prend acte de l'échec de la procédure de vérification des actes de l'état civil étranger instaurée par la loi du 26 novembre 2003. Trop complexe, ce mécanisme de sursis administratif et de vérification par le procureur de la République de Nantes est resté inutilisé.
La mission d'information que j'évoquais précédemment avait constaté la validité incertaine de bon nombre d'actes de l'état civil établis à l'étranger. Ainsi, en 2001 et 2002, le ministère des affaires étrangères a tenté d'évaluer la réalité du phénomène en consultant certains de ses postes consulaires, en particulier en Afrique francophone. Il a conclu, par exemple, que le nombre d'actes irréguliers, falsifiés ou inexistants représentait une part considérable de ceux qui étaient présentés aux agents diplomatiques et consulaires - de l'ordre de 32 % au Niger, 60 % en Guinée et 90 % en République démocratique du Congo ou aux Comores.
Le Gouvernement entend donc mettre en place une nouvelle procédure plus efficace de sursis à statuer et de vérification, dont il prévoit de préciser les modalités par décret.
Tout en approuvant, sur le fond, la simplification souhaitée par le Gouvernement, la commission estime, en revanche, que le nouveau dispositif doit être explicitement prévu dans la loi. Elle vous présentera donc un amendement dans ce sens.
En conclusion, loin de stigmatiser les mariages binationaux, ce projet de loi rétablit cohérence et symétrie en appliquant les mêmes formalités aux mariages, qu'ils soient célébrés à l'étranger ou en France.
Sans mettre en cause la liberté constitutionnellement garantie de se marier, il apporte des moyens nouveaux de prévention des mariages simulés ou, à tout le moins, de paralysie de leurs effets.
Sous réserve de quelques amendements de précision et de simplification, votre commission vous invite donc à adopter ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Fermez le ban !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Christian Cambon.
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans une série de textes dont l'objet est de doter notre pays de moyens efficaces et équilibrés de maîtrise de l'immigration irrégulière.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il serait temps !
M. Christian Cambon. On sait, en effet, que les mariages simulés constituent un phénomène en forte augmentation et contribuent, pour une large part, à l'entrée irrégulière d'étrangers sur notre territoire.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. C'est faux !
M. Christian Cambon. Ce texte renforce aussi les moyens de lutte contre la recrudescence des fraudes aux actes d'état civil, en simplifiant et en rendant plus efficaces les procédures de vérification des actes d'état civil étrangers.
En effet, la lutte contre l'immigration illégale est un combat global. Qui peut croire qu'un corpus législatif partiel permettra une action efficace ? Fermer dix vannes, si la onzième n'est pas étanche, c'est l'ensemble du dispositif qui devient inutile.
Certes, notre rapporteur l'a rappelé, la loi de 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a permis un meilleur contrôle des étrangers entrant sur notre territoire. La loi relative au droit d'asile a permis, quant à elle, de lutter plus efficacement contre cette forme d'immigration irrégulière qui consiste à entrer légalement sur le territoire avec un visa de tourisme, puis à demander l'asile une fois en France, après avoir détruit ses propres papiers. (Mme Nicole Borvo et M. Michel Dreyfus-Schmidt protestent.)
Détourner le mariage de sa finalité légitime est une autre source d'immigration illégale. La loi de 2003 a, certes, doté les pouvoirs publics de moyens efficaces pour lutter contre ces mariages en France, en permettant une audition séparée des futurs mariés avant la célébration du mariage, pour vérifier la réalité de leur intention matrimoniale.
Elle a également mis en place un dispositif pénal aux fins de réprimer le mariage de complaisance.
De plus, en augmentant, en juillet dernier, de un à deux ans, puis de deux à quatre ans, le temps nécessaire pour pouvoir prétendre à l'acquisition de la nationalité par simple déclaration à raison du mariage, le Gouvernement a souhaité donner un signal fort, dont l'objet était de démonétiser la valeur migratoire du mariage.
Dès lors, une loi supplémentaire sur le mariage était-elle nécessaire ?
Certains de nos collègues se sont inquiétés de nouvelles entraves qui pourraient porter atteinte à cette liberté fondamentale qu'est la liberté de se marier. D'autres ont évoqué l'incompatibilité de ce projet de loi avec les conventions internationales qui protègent le mariage.
Légiférer sur le mariage aboutirait-il inexorablement à l'affaiblir ? Pour notre part, à l'UMP, nous ne le croyons pas.
L'intention du Gouvernement n'est évidemment pas d'empêcher les Français de l'étranger de se marier ; elle est plutôt de protéger le mariage contre ceux qui l'instrumentalisent à des fins migratoires, de lutter contre les mariages simulés, c'est-à-dire les mariages de complaisance et les mariages forcés.
Il ne s'agit donc ici, en aucune manière, de porter atteinte à la liberté du mariage. C'est contre la fraude au mariage que nous devons agir pour que les obligations applicables sur le territoire français le soient également, et de la même manière, à l'étranger.
Désormais, le mariage ne doit plus avoir pour seule finalité de permettre à certains hommes d'entrer sur le territoire.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Et les femmes ?
M. Christian Cambon. Il ne doit pas faire l'objet de trafic migratoire, de négoce fructueux, dont la monnaie d'échange est constituée de femmes mineures ou soumises.
Car ce sont elles les premières victimes de ce trafic : des jeunes femmes, parfois de nos cités, issues de la deuxième génération de l'immigration. Insuffisamment informées et protégées, elles sont conduites, souvent de force, dans leur pays d'origine pour y épouser un homme qu'elles n'ont pas choisi et qui, parce qu'il est resté au pays, demeure le seul époux acceptable aux yeux de leur famille.
Cela n'est pas un mythe, mes chers collègues ! Dans nos banlieues, nous connaissons ce phénomène qui se manifeste aujourd'hui et dont les medias se font régulièrement l'écho.
Si nous ne partageons pas tous la même vision de la politique migratoire, nous ne devons et ne pouvons pas demeurer insensibles à une telle dérive de plus en plus fréquente.
Pour autant, il ne s'agit pas de nier les évolutions de notre société, bien au contraire. Le nombre de mariages binationaux est en constante augmentation : entre 1999 et 2003, ils ont progressé de 62 %. Ils représentent aujourd'hui près d'un mariage sur trois. Environ la moitié de ces mariages sont célébrés à l'étranger : 44 727 en 2004.
C'est le signe que la société française est une société dynamique, ouverte sur le monde et confiante en elle-même.
Compte tenu du nombre croissant d'immigrés de la deuxième génération en âge de se marier, il est tout à fait naturel que le nombre de mariages avec des ressortissants de leur pays d'origine, dont ils partagent la même culture, soit en augmentation.
En revanche, nous devons porter à ces chiffres toute l'attention qu'ils méritent.
Leur progression est particulièrement importante pour les pays dans lesquels la pression migratoire est très forte, tels que les pays du Maghreb ou de l'Afrique subsaharienne francophone, qui enregistrent près de 60 % de ces mariages. Ces chiffres ont triplé en dix ans, alors qu'ils sont parfois en recul dans certains États de l'Union européenne, et cela alors même que nos échanges avec ces pays n'ont jamais été aussi intenses.
Ce constat nous invite donc à la plus grande prudence.
À l'évidence, le présent projet de loi aborde de nombreux aspects concernant l'ensemble des mariages, notamment entre deux Français. Mais il est aussi, et surtout, une pierre supplémentaire apportée au dispositif de lutte contre l'immigration irrégulière. Si l'on veut être à la hauteur des défis qui nous sont posés, il faut lutter sur tous les fronts.
Comme en témoigne le remarquable rapport de la commission d'enquête sur l'immigration clandestine, élaboré par notre excellent collègue François-Noël Buffet, le mariage est, malheureusement, l'un des moyens les plus communs pour un étranger d'entrer illégalement sur le territoire et de tenter d'obtenir un titre de séjour ou la nationalité française.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Caricature !
M. Christian Cambon. C'est un moyen commun, mais surtout avantageux, car, si l'on en croit les chiffres, le mariage avec un Français est devenu la première source d'immigration légale en France.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais non ! C'est une bêtise !
M. Christian Cambon. Le Sénat n'a pas attendu pour se saisir de ces problèmes, et son influence a été décisive sur les lois de 2006. Ainsi, lors de l'examen de la proposition de loi renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs, l'amendement de notre collègue Mme Joëlle Garriaud-Maylam a permis de faire passer l'âge nubile des femmes de quinze à dix-huit ans.
Ne sous-estimons pas l'importance de cette mesure, sans doute la plus significative qui ait été prise ces dernières années dans la lutte contre les mariages forcés. Cela nous a permis à tout le moins de nous mettre en conformité avec les recommandations du Comité des droits des enfants des Nations unies pour l'application de la convention sur les droits des enfants. Puisqu'elle est présente sur nos travées, permettez moi de saluer la clairvoyance de notre collègue en la matière. (M. Robert Del Picchia applaudit.)
Le projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages s'intègre donc parfaitement dans la double ambition de maîtrise de l'immigration irrégulière et de lutte contre les mariages forcés.
Il le fait en luttant contre le mariage de complaisance et dans le respect de cette institution, qui est, je le rappelle, un principe constitutionnel, composante de la liberté individuelle protégée par les articles II et IV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le Gouvernement propose de mettre en place un dispositif de contrôle a priori de la validité des mariages célébrés à l'étranger.
À cet effet, l'une des principales mesures du projet de loi - notre excellent rapporteur vient de la présenter - vise à la délivrance, à l'issue d'une audition par l'autorité diplomatique ou consulaire, d'un certificat de capacité à mariage dont l'obtention conditionnera ensuite les modalités de la transcription du mariage sur les registres de l'état civil français.
L'audition permettra de vérifier les motivations des deux époux dans leur démarche d'union. Elle apparaît essentielle à plus d'un titre, son avantage principal étant, à notre sens, de décourager les candidats d'utiliser le mariage comme moyen d'immigration. Elle permettra aussi de déceler la pression dont sont victimes de trop nombreuses jeunes femmes de la part de leur famille : il est utile de rappeler ici que le libre consentement est un principe de notre République et que les candidats à la nationalité française se doivent de le respecter s'ils veulent séjourner sur notre territoire.
Pour toutes ces raisons, mon groupe adhère à ce projet de loi, qui instaure un outil dissuasif efficace contre l'utilisation du mariage aux seules fins d'acquérir la nationalité française. Il constituera aussi, sans aucun doute, un pas important dans la lutte contre les mariages forcés.
Reste cependant un point que la commission des lois et son président, M. Jean-Jacques Hyest, mais aussi, plus particulièrement, notre collègue Christian Cointat ont soulevé dans l'examen du projet de loi : doit-on en effet, par une audition conditionnant la transcription de leurs voeux au registre d'état civil français, inquiéter des époux sincères qui se sont mariés devant une autorité étrangère selon les coutumes locales et qui n'ont pas fourni de certificat de capacité à mariage ?
En effet, si le mariage est la première source d'immigration légale vers la France, l'immense majorité des unions est évidemment sincère. Or, dans ce cas, le dispositif peut se révéler relativement contraignant, surtout lorsque des centaines de kilomètres séparent la résidence des époux de la représentation consulaire la plus proche. Il peut donc apparaître délicat de mettre en doute la bonne foi des époux au seul motif qu'ils n'ont pas sollicité préalablement le certificat de capacité à mariage.
La commission avait donc initialement proposé que les époux sincères s'étant unis devant les autorités étrangères sans solliciter préalablement ce certificat puissent être exonérés d'audition dans le cas où, au vu des pièces du dossier, celle-ci ne semblerait pas nécessaire. Il serait en effet regrettable que de jeunes mariés soient inquiétés par les autorités françaises au lendemain de leurs voeux pour avoir oublié d'effectuer une démarche administrative.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Sauf...
M. Christian Cambon. Seraient également concernées les personnes mariées depuis plus longtemps, mais n'ayant pas sollicité le certificat de capacité au mariage.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut les faire divorcer, s'ils se sont mal mariés !
M. Christian Cambon. Mon groupe comprend donc le souci témoigné par la commission des lois de simplifier le dispositif. Cependant, il a également été sensible aux objections de la Chancellerie et partage la volonté de celle-ci de ne pas vider le texte de sa substance au détour d'une mesure qui, pour être de bon sens, n'en pourrait pas moins créer une véritable brèche.
Nous nous satisfaisons donc aujourd'hui de la position de compromis à laquelle nous avons abouti, qui permet de donner davantage de latitude d'interprétation aux postes diplomatiques et consulaires tout en les responsabilisant sur l'enjeu d'un tel contrôle. En effet, si l'audition est en principe le moyen le plus adapté pour procéder à la vérification de l'existence d'une fraude, il en existe d'autres. Il convient donc de permettre la transcription sans audition lorsque les postes consulaires disposent de suffisamment d'informations permettant de ne pas douter de la validité et de la sincérité du mariage.
Si nous nous satisfaisons de cette nouvelle rédaction, nous nous interrogeons toutefois sur la possibilité pratique de réaliser de telles auditions, alors que les postes consulaires sont déjà surchargés par les nouvelles missions qui leur ont été dévolues.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est bien vrai !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Très bien !
M. Christian Cambon. Voilà trois ans, ne l'oublions pas, nous avions déjà confié aux ambassades et aux consulats la lourde et importante mission de réaliser les visas biométriques afin de disposer de données précises sur les étrangers qui entrent en France et de mieux lutter contre la propension de certains à entrer avec un visa de tourisme sur notre territoire et à ne plus le quitter.
Quoi qu'il en soit, la question de la pertinence de la politique de réduction des postes consulaires se trouve clairement posée, monsieur le ministre. Nous souhaitons que ces postes à l'étranger puissent mener à bien les missions que nous leur confions ; pouvez-vous nous donner ici les garanties que nos représentants à l'étranger seront bien à même de conduire cette nouvelle mission ?
M. Robert Del Picchia. Très bien !
M. Christian Cambon. De la même manière, notre groupe salue les dispositions visant à lutter contre la recrudescence des fraudes aux actes d'état civil. Lorsque l'on constate que 90 % des actes présentés dans nos consulats aux Comores ou en République démocratique du Congo sont faux ou frauduleux, on comprend la nécessité de réagir avec efficacité pour éviter la multiplication des filiations fictives ou des reconnaissances mensongères d'enfants.
En supprimant le caractère judiciaire des procédures de vérification et en autorisant les autorités administratives à opérer elles-mêmes ces vérifications dans un délai raisonnable, le projet de loi apporte, là aussi, des éléments de lutte efficace contre la fraude en matière d'actes d'état civil.
Parvenu au terme de mes propos, je souhaiterais saluer le remarquable travail qu'a effectué le rapporteur, M. Jean-René Lecerf. Il a su en effet, à travers son rapport et les amendements que nous examinerons, améliorer ce texte et le rendre plus efficace, sans jamais porter atteinte à cette liberté fondamentale du mariage.
M. René Garrec. Très bien !
M. Christian Cambon. C'est également l'honneur de ce gouvernement, singulièrement du ministre d'État, ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy,...
M. Christian Cambon. ... et du garde des sceaux, ministre de la justice, Pascal Clément, ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah ! Quand même !
M. Robert Bret. Et le Premier ministre ?
M. Christian Cambon. ... d'avoir su apporter une réponse législative courageuse et efficace à ces problèmes d'immigration irrégulière.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais non, ce ne sera pas efficace !
M. Christian Cambon. En la matière, c'est ce qu'attendent nos concitoyens de leurs élus, de tous leurs élus.
Aussi mon groupe souscrit-il à la totalité des dispositions qui nous sont proposées, et votera ce texte, enrichi des amendements de M. le rapporteur.
Encore une fois, ces nouvelles dispositions permettront de lutter contre les fraudes multiples qui favorisent l'immigration illégale tout en préservant cette liberté fondamentale qu'est la liberté de mariage. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'objet du projet de loi dont la discussion nous réunit aujourd'hui est clair : durcir la législation sur le mariage afin de l'utiliser comme outil de régulation des flux migratoires. Il vise, de ce fait, directement les étrangers et cible exclusivement les mariages binationaux. L'esprit de ce texte sous-entend que ces mariages seraient en majorité des mariages de complaisance.
Les deux premières phrases de l'exposé des motifs sont sans ambiguïté et illustrent parfaitement mes propos : « La lutte contre l'immigration irrégulière et les mariages forcés constitue l'une des priorités du Gouvernement. Force est de constater que les règles du mariage, conforme à notre idéal républicain, sont trop souvent détournées de leur objet à des fins purement migratoires. » Tout est dit !
Par parenthèse, que penser des grands mariages bourgeois du xixe siècle, ô combien arrangés, qui déjà détournaient les règles du mariage à des fins purement économiques ?
À l'Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux, vous accusiez nos collègues de critiquer un texte qui n'était pas le vôtre, car, prétendiez-vous, il n'y est nullement question d'immigration. L'exposé des motifs, nous venons de le voir, vient apporter un premier bémol à ces allégations.
Le rapport de notre collègue M. Lecerf vient en apporter un second. Il est en effet très clair quand il établit insidieusement un lien entre mariages mixtes - ou binationaux, pour être en accord avec mes collègues socialistes - et mariages de complaisance : « Certes, il serait caricatural d'assimiler mariages binationaux et mariages simulés. [...] Néanmoins, » - et tout est dans cette nuance - « la coïncidence de ce phénomène avec le renforcement des contrôles de l'immigration et l'intérêt comparatif accru du mariage binational n'apparaît pas totalement fortuite ».
Le doute n'est plus permis : les mariages binationaux sont purement et simplement identifiés à des mariages de complaisance, contractés dans le seul but d'obtenir un titre de séjour et/ou la nationalité française.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Vous caricaturez, chère collègue !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Pas du tout ! Je vous ai cité, mon cher collègue !
Cet amalgame est effarant, tout autant d'ailleurs que d'autres arguments utilisés pour restreindre le droit au mariage des étrangers avec un citoyen français et pour stigmatiser toujours plus les étrangers, toujours suspects, toujours fraudeurs.
J'en veux pour preuve l'argument du nombre d'enfants issus des couples binationaux, qui serait insuffisant au regard du nombre important de mariages mixtes. Je reprends ici les propos du garde des sceaux : « Près d'un mariage sur trois est un mariage mixte ; or, seul un enfant sur dix naît d'un couple mixte. La comparaison de ces deux chiffres et le décalage qui en résulte suffisent à révéler que le mariage est utilisé à des fins étrangères à l'instauration du lien conjugal et à la fondation d'une famille ». Quels raccourcis !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est scandaleux !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Honnêtement, c'est le bon sens ! Le rapprochement des chiffres est frappant !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Quel syllogisme !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Votre argumentation est un syllogisme rabougri ! (Sourires.)
Comment affirmer sérieusement que le nombre insuffisant d'enfants issus de mariages mixtes serait la preuve de mariages à caractère frauduleux ? Les étrangers et les Français qui se marient auraient-ils une obligation de résultat quant au nombre d'enfants à mettre au monde ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut y soumettre aussi les autres ! Un contrat !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vos propos, monsieur le garde des sceaux, sont consternants et dangereux par l'amalgame et les insinuations détestables qu'ils opèrent !
Quant à l'argument selon lequel l'ampleur de la fraude au mariage serait corroborée par l'évolution du nombre de signalements transmis au parquet par les autorités consulaires, il est lui aussi fort discutable. J'ai, pour ma part, l'impression que la logique est inverse : les étrangers subissent depuis plus de dix ans une législation sur le droit au séjour de plus en en plus ferme ; dans ce contexte, qui leur est plutôt hostile, il me semble que la suspicion entretenue sur leurs unions avec des Français entraîne une augmentation du nombre des signalements.
Une fois de plus, on ne peut établir de lien direct entre les signalements et le nombre de mariages blancs effectivement constatés. La preuve en est que le nombre de mariages effectivement annulés pour être de complaisance est très nettement inférieur au nombre de signalements.
Par ailleurs, l'union avec un Français est loin de constituer une garantie en ce qui concerne tant le droit au séjour que l'acquisition de la nationalité. Contrairement à ce que voudrait faire croire le Gouvernement, le statut de conjoint étranger n'est plus protégé ni protecteur depuis 2003 ; voilà d'ailleurs plus d'une dizaine d'années qu'il n'offre plus d'automaticité en matière de titre de séjour ou d'acquisition de la nationalité française.
Avant 1993, un étranger qui se mariait avec un Français pouvait se voir immédiatement délivrer une carte de séjour valable dix ans, sans condition de séjour régulier, d'ailleurs, et, six mois plus tard, obtenir la nationalité française par déclaration. Depuis la loi du 24 août 1993 incluse, les différentes lois relatives à l'immigration, mise à part peut-être la loi Chevènement de 1998, ont toutes durci les conditions d'octroi aux conjoints étrangers des titres de séjour et de la nationalité.
En ce qui concerne l'acquisition de la nationalité, la loi de 1998 prévoyait un délai de un an à compter du mariage avant que le conjoint étranger puisse demander la nationalité française. Ce délai est passé à deux ans avec la première loi Sarkozy sur l'immigration, loi du 26 novembre 2003. Trois ans plus tard, avec la loi du 24 juillet 2006, toute neuve, toute récente, qui vient donc à peine d'être promulguée, ce délai est désormais de quatre ans.
Quant à la délivrance de la carte de résident, avant 2006, elle était de plein droit pour le conjoint étranger marié depuis au moins deux ans avec un Français, ce délai ayant été lui-même allongé d'un an par la loi de 2003.
Depuis la loi du 24 juillet dernier, la délivrance de la carte de résident n'est plus de droit pour un conjoint étranger ; elle est à la discrétion de l'autorité préfectorale, et après trois ans de mariage, ce délai ayant lui aussi été allongé.
Rien ne permet de dire par conséquent que le fait de se marier avec un Français facilite le séjour ou l'acquisition de la nationalité française. Le statut de conjoint de Français n'ouvre pas un droit automatique à l'accès à un titre de séjour ou à la nationalité, comme c'est si souvent répété dans les rangs de la majorité ou parmi les membres du Gouvernement.
À moins de considérer, bien sûr, que les lois votées par ce gouvernement en matière d'immigration ne sont pas efficaces !
Enfin, était-il nécessaire, comme le prévoit ce projet de loi, de multiplier les obstacles a priori et a posteriori, pour les mariages à l'étranger, si ce n'est afin de dissuader purement et simplement deux personnes sincères, mais qui n'ont pas la même nationalité ?
Il est donc permis d'affirmer que ce texte remet en cause le droit au mariage, pourtant reconnu par la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, la liberté de se marier ne dépendra plus de la volonté de deux individus, mais elle sera subordonnée à l'avis et à la décision soit de l'officier d'état civil, soit du procureur de la République.
Ce texte porte atteinte non seulement au droit au mariage, mais également au principe de non-discrimination garanti par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, la CEDH. Ce dernier interdit en effet toute restriction à l'exercice des droits protégés par la Convention en raison de considérations discriminatoires, notamment liées à l'origine nationale.
Ce projet de loi remet en cause non seulement ces droits fondamentaux, mais également la liberté de se marier pour les étrangers en situation irrégulière, liberté pourtant reconnue par le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1993, réaffirmée en 2003, ainsi que par un jugement rendu la semaine dernière déboutant un maire UMP qui refusait de célébrer un mariage dans sa commune.
En effet, l'exigence d'une pièce d'identité, prévue par l'article 1er, sera le moyen détourné d'exiger de l'étranger souhaitant se marier un titre de séjour, qui est une pièce délivrée par une autorité publique. Un étranger en situation irrégulière sera, de fait, privé de son droit de se marier.
Ne me rétorquez pas qu'il est inconcevable de ne pas pouvoir demander une pièce d'identité aux futurs époux, comme je l'ai entendu récemment ! Le contexte politique actuel et la philosophie de ce projet de loi étant de dénier les droits les plus fondamentaux des étrangers, permettez-moi d'être très sceptique quant à la finalité précise de l'exigence d'une pièce d'identité !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C'est pour savoir qui l'on marie !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cette nouvelle condition se trouve être un moyen de contrôle qui tombe à point nommé pour vérifier l'existence d'un titre de séjour.
Lorsque le rapporteur de l'Assemblée nationale parle de « clairvoyance » dans le cas de mariages binationaux et de leur contrôle, j'ai toutes les raisons d'être plutôt inquiète quant à la subjectivité qui risque fort de régner dans les mairies.
De manière générale, en décidant d'édicter des règles plus sévères dès lors qu'il s'agit d'un mariage binational, ce sont les droits du conjoint de nationalité française auxquels vous portez atteinte également. Mais dans les deux cas, les deux futurs conjoints sont lésés
Pourtant, dans cet hémicycle, combien fut vantée l'institution du mariage ! Mais vous refusez ce dernier aux homosexuels et aux étrangers !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela n'a rien à voir !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le Pape le refuse aux prêtres !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Et vous refusez aussi le droit de vote aux étrangers en rétorquant : qu'ils prennent la nationalité française !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est un amalgame insupportable !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vos paradoxes sont sublimes, mais la vérité est autre.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C'est un syllogisme rabougri !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Non, ce n'en est pas un !
Dans l'analyse des statistiques, vous évitez magistralement de reconnaître que les mariages binationaux résultent en fait du brassage des populations, de ce mouvement sans frontière, de rencontres, de connaissance ou de reconnaissance des autres cultures, ce besoin contemporain de pouvoir vivre ici ou ailleurs, avec un compagnon d'ici ou d'ailleurs.
Ces mariages binationaux sont, en particulier avec le Maghreb, le fruit de notre histoire commune avec ces pays et les signes plutôt positifs d'une « mixité » réussie.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Indigènes !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce texte opère avec le même acharnement sur un sujet qui vous obsède : l'immigration. Nous le rejetons tout aussi fortement que les lois précédentes. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, un parcours d'obstacles : voilà en quoi ce texte transforme le projet des 90 000 Français qui, chaque année, veulent se marier avec un étranger.
Les Français établis à l'étranger s'inquiètent des conséquences que ce texte aura pour eux, mais ils sont loin d'être tous situés au coeur de la cible de ce projet répressif. Ils seront atteints, comme le seront les Français résidant en France, surtout ceux dont les ascendants d'origine étrangère formeront le projet d'épouser un étranger.
Ce texte sera très discriminatoire, il suffit de lire l'exposé des motifs et les dispositions proposées dans les différents articles pour en être persuadé.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce texte porte évidemment atteinte au droit constitutionnel de vie en famille consacré par la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce texte pose aussi de sérieux problèmes de relations internationales, et certains de mes collègues développeront ce point.
Contraint de respecter ses engagements internationaux, le Gouvernement est confronté au fait que, lorsqu'un mariage est célébré à l'étranger, l'intention matrimoniale n'est pas contrôlée par un officier d'état civil français.
Ce projet de loi, avec ses complications administratives, ses procédures judiciaires perpétuellement susceptibles de recours, a donc pour but de vérifier, même a posteriori, même alors que le mariage est consommé, comme en témoigne la naissance d'enfants, que l'intention matrimoniale est - ou était - la seule fin du mariage et que celui-ci n'est entaché d'absolument aucun objectif migratoire.
Il me semble que, avant d'aller plus loin, chacun de nous devrait s'assurer de pouvoir répondre positivement à trois questions.
Premièrement, ce projet de loi apporte-t-il une réponse efficace à des faits qui mettraient en danger notre société ?
Deuxièmement, ce projet de loi améliore-t-il le dispositif préexistant de lutte contre les mariages migratoires ?
Troisièmement, ce projet de loi est-il applicable par l'administration et par la justice ? J'insiste beaucoup sur cette troisième question, parce que le problème de l'applicabilité met en jeu le sens de notre travail. Si nous légiférons pour que la loi ne soit pas applicable, cela n'a aucun sens. Je crains que ce ne soit le cas.
M. Charles Gautier. Ce ne serait pas la première fois !
M. Robert Bret. Surtout depuis 2002 !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cette loi est-elle une réponse efficace à un problème de société ?
L'existence de mariages contractés à seule fin d'assurer à un conjoint étranger la possibilité de s'établir en France me choque tout particulièrement.
En effet, quand on représente les Français à l'étranger, on est confronté à ces situations : le courrier reçu à Paris, les visites dans les consulats montrent qu'il existe quelques problèmes.
Et on sait trop de quelles souffrances vont se payer, pour le conjoint victime et les enfants, un mariage d'intérêt fondé sur une tromperie plus ou moins déguisée et dont la victime, homme ou femme, est plus ou moins consentante.
Mais, de grâce, ces affaires qui touchent à l'intimité ne se prêtent pas aux analyses sommaires que nous venons d'entendre.
D'abord, rappelons-nous que le mariage d'intérêt n'est pas une nouveauté ! En quoi le migrant qui cherche, à la faveur d'un mariage, un accès vers la France est-il différent, dans l'usage qu'il fait du mariage, du chasseur de dot dont se méfiaient les familles de nos grands-mères ?
Et de même que, dans ma Sarthe natale, le montant de la dot de la jeune fille et les espérances du jeune homme étaient, voilà moins de cent ans - il suffit que je lise le contrat de mariage de mes grands-parents pour le savoir -, l'un des facteurs les plus importants d'une union négociée par les familles et leurs notaires, de même la faculté du conjoint français d'offrir le droit au séjour en France entre en ligne de compte dans certains mariages. Sinon, pourquoi des filles de vingt ans épouseraient-elles des barbons sexagénaires ou septuagénaires français (Exclamations sur les travées de l'UMP) ...
M. le président. Tous les sexagénaires ne sont pas des barbons !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On était barbon à quarante ans du temps de Molière, on est vraiment barbon à soixante ou soixante-dix ans en France, aujourd'hui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais ces mariages-là ne représentent qu'une toute petite partie des mariages célébrés à l'étranger, et ce dans moins d'une dizaine de pays.
Dans l'immense majorité des cas, la mobilité professionnelle internationale, le tourisme, l'usage d'Internet, le très grand nombre de citoyens plurinationaux - nous appartenons maintenant à des familles dont les membres comptent deux, trois, quatre nationalités différentes - expliquent largement le fait que l'on se marie à l'étranger, ou en France avec un étranger.
Combien y a-t-il de mariages Erasmus en Europe aujourd'hui ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il y a une baisse des mariages !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Combien de coopérants naguère, combien de volontaires internationaux, combien d'expatriés, de diplomates sont-ils mariés à des ressortissants étrangers ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Mais c'est le cas de l'immense majorité des mariages !
On fait sa première expérience d'expatriation à l'âge où l'on tombe le plus facilement amoureux, et vous voudriez que cela ne se termine pas par des mariages internationaux ?
Quant aux mariages qui sont dans la ligne de mire du décret de février 2005 et de ce projet de loi, c'est-à-dire les mariages contractés par des Français dont les parents ou les grands-parents, établis en France, sont originaires du Maghreb ou d'Afrique, certains, c'est vrai, sont arrangés par des familles soucieuses de préserver la tradition. Mais sont-ils tous pour autant des mariages forcés, des mariages de complaisance, des mariages blancs ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Personne ne le dit !
M. Robert Del Picchia. Pas tous, mais il y en a !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je connais bien ce milieu, et je peux dire que, dans la plupart des cas, ce n'en sont pas !
Monsieur le garde des sceaux, d'après les statistiques du ministère de la justice, en 2004, sur les mariages annulés, vingt seulement étaient des mariages forcés. Ce sont vingt mariages de trop, mais il n'y en a quand même eu que vingt !
M. Robert Bret. Il n'y a pas besoin de faire une loi !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Dans la plupart des cas, à l'occasion des vacances, tout comme à la faveur des rallyes dans la bonne société française contemporaine, les jeunes gens ont le bon goût de ressentir de l'attrait tout justement pour le partenaire jugé idéal par les familles. C'est une histoire vieille comme le patriarcat. C'est complètement archaïque, mais cela existe dans les familles d'origine maghrébine, comme dans les familles du VIIe arrondissement !
Nous légiférons donc actuellement sur une proportion infime des mariages célébrés à l'étranger, comme en témoigne le fait que, en 2005, sur 46 000 mariages, 1 733 dossiers ont été adressés par les consulats au parquet de Nantes. Sur ces 1 733 dossiers, 760 seulement ont donné lieu à une assignation. On suppose que 350 jugements environ statueront en faveur d'un refus de transcription des mariages étrangers. Au total, le soupçon d'intention migratoire ne serait donc juridiquement établi que pour moins d'un mariage sur 1 000. Nous sommes dans un État de droit, et il n'y a que le fait juridiquement établi qui compte.
Je conclurai sur ce point en disant que le mariage migratoire existe, mais que son occurrence et le danger qu'il représente pour la société sont surestimés pour des raisons fondamentalement idéologiques et politiciennes.
Deuxième question : ce projet de loi constitue-t-il une amélioration du dispositif antérieur ?
Nous n'avons pas de recul sur le dispositif de contrôle de l'intention matrimoniale, placé en amont de la transcription de l'acte de mariage étranger à l'état civil.
La procédure mise en place par la loi du 26 novembre 2003 n'est devenue réellement opérationnelle qu'avec le décret du 23 février 2005 qui centralise le contentieux relatif aux mariages à l'étranger au seul parquet et au seul TGI de Nantes.
Nous légiférons donc à un moment où le dispositif antérieur n'a pas atteint ses ultimes étapes judiciaires, et nous n'avons que des chiffres estimatifs sur le résultat.
Légiférer à nouveau sans connaître les résultats de la législation antérieure, c'est abuser de la loi, la dévaloriser, dévaloriser le rôle du Parlement, et tout cela à des fins d'affichage politicien évident.
M. Charles Gautier. Oui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On ne peut que s'élever contre une telle dérive du travail parlementaire !
M. Charles Gautier. Eh oui !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce que nous connaissons, en revanche, ce sont les difficultés d'application administratives et judiciaires et les atteintes à la vie privée suscitées par le décret de 2005.
Il est de plus en plus fréquent que les délais pour la transcription d'un acte de mariage se calculent en années et entraînent l'impossibilité de la vie commune, puisque le conjoint étranger ne peut pas venir en France.
Les auditions sont effectuées avec plus ou moins de clairvoyance et de tact par des agents consulaires surmenés que rien n'a préparé à cette tâche de police de la vie privée.
Depuis mars 2005, le parquet et le greffe du tribunal de Nantes croulent sous la tâche. Les magistrats du service de l'état civil du parquet ne traitent plus que le contentieux du mariage, un seul poste nouveau ayant été créé. Quant au TGI, dans lequel travaillent quatre magistrats, il a vu le nombre d'affaires qui lui échoit passer de 700 à 1 400.
Ce que l'on sait de l'application du décret de 2005 laisse donc présager le pire en termes tant de dysfonctionnements administratifs et judiciaires que d'atteintes à la vie familiale.
Le présent projet de loi complique le dispositif antérieur, et rien n'assure que la loi sera applicable.
En effet, si ce projet est voté, il sera désormais possible de remettre en cause la validité du mariage à tout moment.
Ce sera tout d'abord possible a priori, avec l'obligation pour tout Français qui se marie à l'étranger d'obtenir au préalable un certificat de capacité à mariage. Ce contrôle a priori est, j'y reviendrai, parfaitement utopique. La France n'a pas pouvoir sur tous les pays du monde en matière de mariage.
Il sera également possible de remettre en cause la validité des mariages a posteriori, comme dans le cadre du décret de 2005, soit après sa célébration, soit avant la transcription de l'acte étranger. En outre, le parquet aura à tout moment la faculté - s'il en a le temps et les moyens - d'attaquer la validité du mariage en cas d'« élément nouveau ». Cet « élément nouveau » est la porte ouverte à tous les abus.
La loi multiplie donc les obstacles à la transcription du mariage et allonge tous les délais qui séparent le couple du moment où il pourra y avoir communauté de vie effective. Multiplication des obstacles, allongement de tous les délais, on retrouve la méthode qui a prévalu dans la loi dite « CESEDA », relative à l'immigration et à l'intégration, et on sent la patte du même auteur.
En poussant l'analyse plus au fond, nous constaterons que cette loi vise à renverser les procédures judiciaires et, de ce fait, induit une inégalité entre les citoyens et entre les justiciables.
Dans le cadre du décret de 2005, le parquet est toujours demandeur. C'est lui qui doit assigner et prouver au tribunal que son assignation repose sur des faits objectifs. Si le projet de loi que nous examinons est adopté, ce sera dorénavant le consulat qui refusera de transcrire le mariage, et le parquet de Nantes sera en situation de défense face à des époux qui l'attaqueront pour refus de transcription.
Le fait de renverser la charge de l'attaque introduit une discrimination entre les justiciables, entre ceux qui pourront faire face aux dépenses de la procédure, qui auront les moyens de prendre un avocat à Nantes, et ceux qui ne le pourront pas.
Par ailleurs, les couples devront faire la preuve de la sincérité de leurs intentions. Mais comment prouver son innocence en un domaine aussi intime ?
Comme nous le verrons dans le cours du débat, le cumul de l'engagement des consulats, du parquet et du TGI de Nantes, la difficulté de délivrer les assignations à l'étranger et de signifier les jugements feront que, en dépit de l'importance du travail accompli, des fonds publics investis et de l'énergie dépensée, le dispositif sera encore moins opérationnel que le précédent, ne permettant guère d'annuler les mariages réellement entachés de fraude qui sont célébrés à l'étranger. La réponse judiciaire aux mariages migratoires, abusivement confondus avec tous les mariages binationaux, c'est-à-dire le recours à une procédure écrite contradictoire, est inadaptée à ces situations liées à la vie intime.
Ce texte porte une atteinte disproportionnée aux droits des personnes par rapport aux objectifs poursuivis et aux résultats prévisibles. Nous ne le voterons donc pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi qui est aujourd'hui soumis à la Haute Assemblée s'inscrit dans la politique de contrôle de l'immigration.
En effet, l'objectif affiché est de limiter l'acquisition de la nationalité française ou d'une carte de séjour en France par le biais du mariage grâce à un renforcement du contrôle de la validité des mariages. Il s'agit donc d'améliorer notre législation contre les mariages de complaisance et les mariages forcés.
Monsieur le garde des sceaux, depuis les huit derniers mois, c'est le troisième texte relatif aux mariages simulés qui nous est soumis par le Gouvernement. Il eût peut-être été plus opportun de déposer un texte unique !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. Ainsi, la loi du 4 avril 2006 crée un dispositif spécifique contre les mariages forcés, notamment en relevant l'âge nubile des femmes de 15 à 18 ans.
Par ailleurs, cette même loi autorise le ministère public à demander la nullité d'un mariage contracté sans le consentement des époux.
Désormais, l'exercice d'une contrainte sur les époux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage.
Quant à la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, elle rend moins attractif le mariage avec un Français au regard des règles applicables en matière de droit au séjour ou d'acquisition de la nationalité française, notamment en supprimant le caractère automatique de la délivrance de la carte de résident et en portant le délai à compter duquel la carte peut être délivrée à trois ans de mariage. D'autres orateurs ayant évoqué cet aspect, je ne m'y attarderai pas.
Le présent projet de loi vise à renforcer le contrôle de la validité des mariages. Il s'agit donc d'un dispositif qui aborde le sujet plus en amont, mais dont l'objectif est le même que celui des deux précédentes lois, à savoir la lutte contre les mariages simulés.
Il faut dire que certaines dispositions de la loi du 4 avril 2006 traitent des mêmes sujets que le présent texte, ce qui confirme la teneur de mon propos introductif. Je pense en particulier à celle qui autorise la délégation de la réalisation des auditions à des fonctionnaires titulaires ainsi qu'à celle qui prévoit, lorsque l'un au moins des futurs époux ne réside pas dans le pays de célébration du mariage projeté, que cette audition puisse être réalisée par l'officier de l'état civil territorialement compétent.
J'en viens maintenant aux dispositions proposées pour garantir un meilleur contrôle de la validité des mariages.
Comme M. le rapporteur, dont je salue l'excellent travail, nous souscrivons à l'objectif de lutter contre les mariages de complaisance ou les mariages forcés dans la mesure où ceux-ci détournent l'institution du mariage, lequel repose sur un échange de consentement libre et de bonne foi. Le mariage ne doit pas être utilisé à des fins purement migratoires.
Il convient toutefois de rester prudent dans la mesure où un tel texte pourrait aboutir à suspecter tous les mariages mixtes d'être frauduleux. Ce serait une conclusion hâtive. Il faut bien garder cela à l'esprit, monsieur le garde des sceaux, et ne pas rendre les mariages binationaux impossibles du fait d'une réglementation qui ne concernerait que 800 cas par an.
Mme Jacqueline Gourault. Cependant, si des mariages sont empreints de mauvaise foi et de dévoiement, il convient bien évidemment de les combattre.
En effet, comme l'a relevé notre collègue Jean-Guy Branger dans son rapport sur la lutte contre les violences au sein du couple, publié en mars 2005, les mariages forcés peuvent constituer une forme de violence pour des femmes qui n'ont d'autres choix que d'accepter des mariages arrangés.
C'est pourquoi nous ne pouvons que souscrire à la lutte contre les mariages forcés.
Par ailleurs, en qualité de maire, je connais très bien les difficultés que peuvent rencontrer l'ensemble de mes collègues pour intervenir et anticiper efficacement la célébration des mariages simulés. Il est donc nécessaire de leur offrir un maximum d'outils juridiques leur permettant de faire face à cette situation.
À ce titre, le projet de loi s'articule autour de trois axes : mieux contrôler les mariages célébrés en France, modifier les règles de validité des mariages célébrés à l'étranger, revoir la législation sur le contrôle de la validité des actes d'état civil faits par une autorité étrangère.
Ces dispositions m'inspirent quelques remarques.
Tout d'abord, monsieur le garde des sceaux, je m'interroge sur la nécessité de choisir des témoins dès la constitution du dossier. Quelles sont l'opportunité, la motivation profonde de cette décision ? Je ne suis pas persuadée de l'efficacité de cette mesure dans la perspective d'un meilleur contrôle de la validité des mariages. C'est pourquoi j'approuve la précision de M. le rapporteur selon laquelle le remplacement des témoins ne doit pas empêcher la célébration du mariage.
Je m'interroge également sur l'opportunité de modifier les règles qui régissent l'opposabilité du mariage. En effet, dans la mesure où ce texte vise à renforcer la lutte contre les mariages simulés et que la transcription du mariage est déjà nécessaire pour l'obtention d'un titre de séjour ou pour l'acquisition de la nationalité française, la généralisation de son opposabilité importe peu dans l'optique du projet de loi.
Par ailleurs, sans entrer dans les détails - mes collègues représentant les Français de l'étranger le feront mieux que moi -, on peut se demander quelle sera la charge de travail nouvelle créée par ce texte pour les agents en poste dans les consulats et dans les ambassades.
Enfin, au regard du principe constitutionnel de la liberté du mariage, je m'interroge sur la validité de la suppression du délai de caducité de l'opposition du procureur de la République. N'y a t-il pas là un risque d'inconstitutionnalité ?
Nous attendons par conséquent de ce débat quelques éclaircissements. Si nous approuvons la nécessité de lutter contre les mariages de complaisance et les mariages forcés, nous savons tous qu'il faut garantir le principe de la liberté du mariage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lutter plus efficacement contre la fraude au mariage est un impératif et une urgence, le but essentiel étant la protection des personnes et des libertés individuelles.
Dans un contexte français de pression migratoire forte et croissante, toute institution donnant accès à des droits importants peut susciter des convoitises et faire l'objet de détournements.
Le mariage est devenu un catalyseur de dérives souvent orchestrées par des individus peu scrupuleux qui détournent la volonté des personnes et altèrent ainsi le principe de libre consentement qui est à la base de cette institution séculaire.
Mariage simulé, mariage forcé ou mariage arrangé - lorsqu'il y a vice de consentement - sont devenus si répandus qu'ils requièrent un renforcement approprié de notre législation. Il est du devoir des responsables politiques et de l'État de protéger les citoyens en prévenant de tels détournements et atteintes intolérables à la liberté individuelle et à la dignité humaine.
La Haute Assemblée, qui est à l'origine du renforcement de la prévention des mariages forcés avec le relèvement à 18 ans de l'âge nubile du mariage pour la femme - je remercie d'ailleurs M. Christian Cambon des propos qu'il a tenus sur ce sujet -, ne peut que se satisfaire du dispositif présenté aujourd'hui, qui parachève le travail accompli au cours des derniers mois tant par le Sénat que par l'Assemblée nationale.
Un grand pas a été franchi avec la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre des mineurs. Grâce à cette loi, qui autorise le ministère public à demander la nullité d'un mariage contracté sans le consentement libre des époux et qui considère que l'exercice d'une contrainte sur les époux, y compris par crainte révérencielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage, les jeunes femmes sont aujourd'hui mieux protégées et les mineures ne peuvent plus être contraintes au mariage.
Je ne m'étendrai pas sur le détail du dispositif du projet de loi, qui a été excellemment analysé par le remarquable rapporteur de la commission des lois, M. Jean-René Lecerf, et par M. le garde des sceaux. J'en approuve l'économie générale et la philosophie. Mon intervention se limitera à quelques réflexions sur les conséquences des nouvelles dispositions pour nos compatriotes résidant à l'étranger et sur leur incidence sur nos postes diplomatiques et consulaires, voire sur les services judiciaires de Nantes.
Tout d'abord, et c'est ma première réflexion, l'harmonisation des formalités applicables aux mariages célébrés tant à l'étranger qu'en France, en renforçant le contrôle a priori par rapport au contrôle a posteriori, qui était jusqu'à présent la règle à l'étranger, est tout à fait logique.
Elle traduit l'égalité des droits entre tous les Français, qu'ils résident dans l'hexagone ou à l'étranger, principe qui a toujours été défendu dans cet hémicycle. C'est d'ailleurs en me fondant sur ce principe d'égalité de traitement que j'avais souhaité, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'immigration et à l'intégration, que les conditions d'acquisition de la nationalité par le mariage soient identiques pour tous les Français, qu'ils résident en France ou à l'étranger.
Il faut se féliciter de l'introduction dans le code civil, par cette future loi, d'un nouveau chapitre consacré au mariage des Français à l'étranger, regroupant, dans des articles 171-1 à 171-8, toutes les prescriptions relatives aux conditions de validité d'un mariage célébré à l'étranger, aux formalités préalables au mariage, à la transcription et à la possibilité de sursis à transcription.
Je tiens à le souligner, on ne peut accuser le renforcement du contrôle de ces mariages de viser expressément nos compatriotes qui, résidant à l'étranger, s'y marient pour des raisons évidentes, sans la moindre intention de détourner les procédures. Nous sommes d'ailleurs un certain nombre, sur les travées de cette assemblée, à appartenir à la catégorie des Français ayant épousé un étranger. Nous savons qu'un mariage sur trois, aujourd'hui, concerne un étranger.
À ce titre, il aurait été intéressant, monsieur le garde des sceaux, de savoir combien de mariages, parmi les 45 000 recensés, ont impliqué des Français résidant à l'étranger et combien d'annulations, parmi les 786 prononcées en 2004 - leur nombre est en diminution l'année suivante -, leur sont imputables.
Ma deuxième réflexion porte sur l'obtention d'un certificat de capacité à mariage, lequel ne devrait pas poser de problème de fond à nos compatriotes de l'étranger, sauf si, pour la réalisation de l'audition préalable, ils doivent parcourir des centaines de kilomètres pour se rendre au consulat le plus proche. Un tel déplacement serait, n'en doutons pas, fort dissuasif.
Sur ce point, deux options se présentent.
Si la réalisation de l'audition peut être déléguée aux fonctionnaires dirigeant une chancellerie détachée ou aux consuls honoraires de nationalité française compétents, celle-ci se déroulera à proximité du lieu de résidence de nos ressortissants. Une telle option fait l'objet d'amendements que notre excellent collègue Christian Cointat présentera dans un instant et que j'ai cosignés.
Si cette tâche est confiée par délégation, ainsi que le prévoit le projet de loi, aux seuls fonctionnaires titulaires chargés de l'état civil, la réalisation, dans de bonnes conditions, de ces auditions, pour nos personnels surchargés de travail et dont les effectifs ont été réduits, représentera une véritable gageure. Il s'agit là d'un réel problème de mise en oeuvre. Je serais très heureuse, monsieur le garde des sceaux, que vous puissiez également nous répondre sur ce point.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cela relève du ministère des affaires étrangères !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. M. le rapporteur propose d'ailleurs que l'audition préalable à la transcription conserve un caractère obligatoire, sauf s'il apparaît, au vu des pièces du dossier, qu'elle n'est pas nécessaire au regard des articles 146 et 180 du code civil. Ainsi, sans l'assurance que les moyens mis à la disposition des services consulaires permettront une application dans de bonnes conditions de l'audition qui constitue le pivot de la vérification de l'intention matrimoniale des candidats au mariage, il serait sans doute beaucoup plus prudent d'assouplir le système.
Notre souci porte sur deux aspects. Il s'agit, d'une part, de l'encombrement des circuits pour la transcription des mariages, encombrement qui risque d'être rapidement ingérable, et, d'autre part, de la formation de personnels compétents pour réaliser les auditions, dont la forme, comme le fond, s'avère complexe.
Une concertation interministérielle entre vos services et ceux du ministère des affaires étrangères a-t-elle bien eu lieu, monsieur le garde des sceaux ? Des moyens seront-ils dégagés pour permettre à nos services d'état civil à l'étranger d'assumer leurs nouvelles obligations ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. La réponse est « non » !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Qu'en est-il également de l'encombrement des services juridiques à Nantes, lesquels ne manqueront pas d'être davantage sollicités et pourraient peiner à respecter les délais de réponse qui leur sont impartis, délais qu'on ne peut allonger sans pénaliser gravement la liberté au mariage ? Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, des informations que vous pourrez nous apporter sur ce point.
J'en viens à ma troisième réflexion. Le texte proposé pour le nouvel article 171-5 du code civil rend obligatoire la transcription d'un mariage célébré à l'étranger devant une autorité étrangère pour qu'il soit opposable à un tiers en France. Cette transcription est impérative, indépendamment du fait que la France ait signé, ou non, avec ces pays une convention prévoyant une clause de dispense de légalisation des actes d'état civil.
Une telle mesure n'est pas choquante en soi, et nos compatriotes de l'étranger ont tout intérêt à transcrire leur acte de mariage sur les registres de l'état civil français. Mais cette nouvelle disposition risque de ne pas être comprise des couples binationaux dont le conjoint étranger est ressortissant de l'Union européenne. Ces derniers, qui n'ont pas besoin de faire transcrire leur mariage pour vivre en France, pourraient être les premiers à pâtir d'une telle mesure, alors qu'ils sont les moins susceptibles de recourir aux mariages simulés.
C'est un fait, nombre de nos compatriotes mariés à un ressortissant de l'Union européenne ne demandent pas la transcription de leur mariage, car rien ne les y oblige. Comment seront-ils informés des conséquences potentiellement graves de la non-transcription de leur mariage ? Comment, dans une logique d'intégration et de rapprochement des États membres de l'Union européenne et dans le souci du développement d'une citoyenneté européenne qui n'en est encore qu'à ses prémices, justifier ce qui pourrait apparaître comme une défiance à l'égard des pratiques de nos partenaires européens ?
Je vous remercie, monsieur le garde des sceaux, des réponses que vous apporterez à ces questionnements. Ceux-ci ne m'empêchent en aucune manière de soutenir ce projet de loi, qui renforce non seulement la protection des personnes, mais aussi, in fine, l'institution du mariage, à laquelle nos concitoyens sont très attachés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons a été adopté par l'Assemblée nationale le 22 mars dernier. Or vous vous souvenez certainement du Mouvement du 22 mars, mouvement quelque peu révolutionnaire, puisqu'il avait conduit aux événements de 1968.
M. Robert Bret. Cela n'a rien à voir !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous y étions, mais pas forcément du même côté !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour ma part, j'étais à la Sorbonne...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'était donc la même époque !
Le texte que nous examinons est également révolutionnaire. Comment les membres de la majorité ont-ils d'ailleurs pu accepter qu'il ne vienne en débat qu'aujourd'hui ? S'il devait véritablement atteindre les buts que certains en attendent, il aurait dû être présenté voilà très longtemps ! Mieux, pourquoi n'avez-vous pas demandé la déclaration d'urgence sur ce texte, monsieur le garde des sceaux ? À vos propres yeux, vous êtes particulièrement coupable !
M. Robert Bret. Je le crois aussi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par ailleurs, c'est M. le garde des sceaux qui nous présente ce texte.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne suis pas convaincu qu'il est le mieux placé en matière de validité des mariages ! Il me semble que d'autres membres du Gouvernement seraient plus à même de dire si un mariage est valable ou s'il ne l'est pas.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. M. Dreyfus-Schmidt doit penser à M. Jean-François Lamour ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Mais peut-être ceci explique-t-il cela ! J'ajoute que, si ce texte vise surtout les mariages binationaux, certaines de ses dispositions s'appliquent, rappelons-le, aux mariages prononcés en France. Je pense notamment à l'article 63 du code civil que le projet de loi vise à modifier.
Par ailleurs, pourquoi un audit n'a-t-il pas été mené pour tenir compte d'une disposition nouvelle votée récemment, selon laquelle les jeunes filles doivent, pour se marier, avoir non plus quinze ans, mais dix-huit ans ? En effet, vraisemblablement, et conformément à la volonté qui a présidé à l'instauration de cette modification, de nombreux mariages prétendument arrangés n'ont plus été prononcés. Il aurait été intéressant de connaître plus précisément la situation à cet égard.
En guise de conclusion, je souhaite revenir sur une idée à laquelle je tiens beaucoup : la pratique. J'ai été amené à poser des questions écrites sur ce point à M. le Premier ministre, qui était alors ministre de l'intérieur. Sans réponse de sa part, j'ai fini par l'interroger lors des questions d'actualité au Gouvernement, et il a d'ailleurs répondu totalement à côté du sujet.
Le Conseil constitutionnel - j'allais dire ce Conseil constitutionnel - a clairement énoncé qu'il n'est pas possible de ne pas prononcer un mariage pour le seul motif que l'un des futurs conjoints serait en situation irrégulière. Une telle disposition est également conforme aux principes internationaux, comme cela a été rappelé, ainsi qu'aux principes européens.
Or nous savons que ce principe est bafoué dans la pratique. L'officier de l'état civil avertit le procureur de la République qu'une personne en situation irrégulière prétend se marier. Cette information est alors transmise au préfet, mais il ne s'agit pas de savoir si l'intéressé est de bonne foi et s'il a l'intention de faire un véritable mariage. À ce propos, je m'étonne d'ailleurs que personne n'ait proposé que l'on s'assure, comme pour les reines de France, que le mariage a été véritablement consommé ! (Sourires.)
Quoi qu'il en soit, les futurs jeunes mariés se trouvent souvent renvoyés dans leur pays d'origine avant même que le mariage ait été prononcé. Il s'agit donc d'une violation absolue des décisions du Conseil constitutionnel !
Monsieur le garde des sceaux, vous êtes un juriste scrupuleux (M. le garde des sceaux manifeste son contentement), et j'ai enfin trouvé avec vous l'interlocuteur que je cherchais !
Monsieur le garde des sceaux, est-il admissible que l'on puisse expulser une personne en situation irrégulière, à qui l'on n'a rien à reprocher et dont le mariage doit être prononcé ? Quelles dispositions comptez-vous prendre pour que force reste à la loi ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord exhorter chacun d'entre nous à abandonner le terme de « mariages mixtes » et à utiliser celui de « mariages binationaux », qui reflète mieux la réalité, tout au moins en France, où le mariage est toujours mixte, entre un homme et une femme. Je remercie d'ailleurs M. le rapporteur d'avoir accepté cette formulation. J'espère que M. le garde des sceaux suivra son exemple, car les mots ont un sens.
En effet, l'utilisation abusive du terme « mixte » pour évoquer l'union de deux personnes, l'une de nationalité française et l'autre de nationalité étrangère, est simplement inacceptable et stigmatisante, surtout lorsque vous procédez à un amalgame avec le mariage forcé, que vous utilisez aujourd'hui, monsieur le ministre, comme alibi. Pourtant, ce projet de loi n'apporte aucune solution à cette pratique intolérable, d'autant plus que les pays visés par ce texte sont ceux qui sont les plus stigmatisés en termes d'immigration, à savoir les pays du Maghreb et d'Afrique subsaharienne et, dans une moindre mesure, les pays d'Asie.
Officiellement, le Gouvernement annonce que ce projet de loi a pour objet de renforcer le contrôle exercé sur la sincérité de l'intention matrimoniale et de lutter plus efficacement contre la fraude à l'état civil, fraude que vous liez bien évidemment à l'immigration. Une fois de plus, vous désignez à la vindicte populaire le même bouc émissaire !
En fait, vous nous proposez ni plus ni moins qu'une loi de suspicion généralisée à l'encontre non seulement des étrangers, mais également de tous Français d'origine étrangère, binationaux et Français désirant se marier avec une personne étrangère, en France ou ailleurs. Ainsi, vous continuez à injecter le venin de la méfiance et de la peur de l'étranger. En trompant les Français sur l'ampleur du phénomène, vous jouez sur les peurs à des fins électoralistes. Une fois de plus, vous faites du marketing politique et, pour ce faire, vous n'hésitez pas à remettre en cause toute une série de principes essentiels de notre droit.
Le premier principe remis en cause est la liberté matrimoniale, garantie par la Déclaration universelle des droits de l'homme, devenue une norme obligatoire par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et par le protocole additionnel s'y rapportant, tous deux signés par la France. En effet, la liberté de conclure une union matrimoniale et le droit de choisir le mode d'expression de son amour ne découleront plus de la volonté des futurs époux, mais seront subordonnés à l'avis et à la décision soit de l'officier de l'état civil, soit du procureur de la République.
Votre projet introduit une insécurité juridique supplémentaire, dans la suite logique de votre loi visant « la désintégration de l'immigration », ainsi qu'une différence de traitement totalement inacceptable devant la loi. Année après année, loi après loi, les conditions de conclusion d'un mariage entre un Français et un étranger célébré à l'étranger n'ont cessé de se durcir, et les droits liés au mariage avec un citoyen français ont déjà été restreints pour l'accès à la nationalité et au droit au séjour.
Le seuil supplémentaire que vous nous proposez de passer conduit à s'interroger sur le respect du principe de non-discrimination que l'on retrouve dans la Constitution et dans différents engagements internationaux. Ainsi, à l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, il est précisé ceci : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. ».
En complexifiant les formalités préalables au mariage, vous introduisez clairement un contrôle a priori et des règles que nous ne pouvons accepter.
Il en va ainsi de la rédaction que vous nous proposez de l'article 63 du code civil. L'une des nouvelles dispositions impose la justification de l'identité, excluant de facto toutes les personnes sans papier et faisant de la simple irrégularité du séjour une raison suffisante de présomption de fraude au mariage. Selon vous, sans papier, on n'aurait plus le droit d'exprimer son amour !
Monsieur le ministre, ce que vous semblez oublier - ou plutôt ce que vous tentez de nous faire oublier -, c'est que des personnes étrangères, même sans papiers, ne sont pas pour autant sans sentiments. Le coeur est un organe qui, ici comme ailleurs, n'est conditionné ni par la possession d'une pièce d'identité ni par la nature de la situation administrative de la personne ! La disposition que vous proposez est d'autant plus condamnable que la possession d'une pièce d'identité n'est jusqu'à présent pas obligatoire en France.
Je comprends une chose : M. le ministre de l'intérieur, qui est le réel inspirateur de ce projet de loi, espère nous imposer une « France d'après », où les enfants, dès l'âge de trois ans, se verront inspectés par des policiers, où les adolescents seront interpellés et jugés comme des majeurs, où les familles pauvres verront leurs allocations « coupées » dès que leur enfant sera absent de l'école, où beaucoup d'entre nous se retrouveront fichés, enfin une France où les mariages entre Français et étrangers seront non pas en augmentation, mais bien en recul. En fait, vous rêvez d'une France bien blanche !
C'est inutile et dangereux, monsieur le ministre. Ceux qui ont contribué à libérer la France du nazisme hier nous prouvent, comme ceux qui peuplent nos cours d'école aujourd'hui, que la France n'a jamais été bien blanche et qu'elle ne le sera jamais !
De la même façon que vous étendiez les pouvoirs du maire avec votre projet de loi relatif à la répression de la délinquance, aujourd'hui, avec ce projet de loi, vous accroissez de façon disproportionnée les pouvoirs de l'officier d'état civil. Ce dernier pourra contrôler des documents, imposer leur présentation, émettre des doutes sur la réalité du lien unissant les époux ainsi que sur la véracité d'un document, et ainsi saisir le procureur.
L'obligation de demande de mainlevée en cas d'opposition à mariage est la meilleure illustration de cette disproportion. Cette procédure paraît simple, mais elle est totalement injuste lorsque les époux vivent à l'étranger. Ces derniers auront alors les plus grandes difficultés à venir se défendre convenablement en France pour obtenir la levée de l'opposition !
Il est un autre domaine dans lequel le pouvoir du procureur de la République est accru, c'est celui de l'opposition au mariage.
Jusqu'à présent, une opposition venant du parquet ou des parents est caduque après un an - c'est l'article 176 du code civil. Avec ce projet de loi, vous proposez de prolonger cette nullité, uniquement pour le parquet. Elle persiste dans le temps et ne prend fin que lorsque les candidats au mariage auront saisi le tribunal d'une demande de mainlevée. Ici, on frôle l'inversement de la preuve, principe contraire à notre tradition juridique.
Après la loi sur la prévention de la délinquance, laquelle introduit un système généralisé de suspicion et de délation autour du maire, des travailleurs sociaux et des enseignants, voici une loi de plus pour renforcer votre obsession du contrôle social, de la présomption de fraude et de culpabilité, et le sentiment de suspicion envers - toujours les mêmes ! - les étrangers ou les binationaux que vous continuez, en fait, de considérer comme des étrangers.
À nouveau, l'émiettement des droits fondamentaux et des libertés frappe tout d'abord les étrangers, puis se répand jusqu'à toucher également les Français !
J'évoquais le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance et la dénaturation de la mission des maires, des enseignants et des travailleurs sociaux. Ce projet de loi procède de la même logique en dénaturant la fonction des services consulaires, du fait des nouvelles obligations qui pèseront désormais sur eux. Les agents de ces services deviennent à leur tour des agents du contrôle social et de la délation à l'étranger.
Qui plus est, ces dispositions impliqueront une charge de travail supplémentaire considérable et sans équivalent dans chacune de nos représentations consulaires ainsi qu'au tribunal de Nantes, alors que les consulats comme ce tribunal croulent déjà sous l'immense fardeau de leurs missions actuelles. Il est d'ailleurs étonnant que la commission des affaires étrangères n'ait pas été saisie pour avis de ce projet de loi, car les autorités consulaires sont très concernées par ce dernier !
Cela me permet de faire deux remarques sur les notions de réciprocité.
Tout d'abord, il convient d'évaluer les conséquences de l'application de ce projet de loi sur les relations avec les pays tiers, notamment ceux avec lesquels la France a signé des conventions bilatérales. Ces conventions présentent des dispositions qui, au-delà de la régularité formelle de l'acte, traitent des conditions de jouissance et d'exercice du droit au mariage entre ressortissants de la France et de l'autre pays signataire. Je m'interroge donc sur les contradictions que suscitera l'entrée en vigueur de ce projet avec le maintien de ces conventions.
De plus, monsieur le ministre, face aux durcissements que nous imposons aux étrangers désirant épouser des Français, les États étrangers avec qui les liens interpersonnels des Français se renforcent ne risquent-ils pas d'appliquer à leur tour des conditions similaires à leurs ressortissants contractant des mariages avec des Français, en France ou ailleurs ?
Ce projet de loi va toucher des familles entières, déstabiliser un grand nombre de destins, car c'est avant tout d'amour, de familles et de vies d'êtres humains qu'il s'agit !
En tant que parlementaire, je reçois un grand nombre de Françaises et de Français qui, désespérés, me saisissent comme un ultime recours face à une administration sourde et parfois même à une justice détournée de son rôle premier. Ces personnes ne veulent ni plus ni moins que vivre leur amour et fonder une famille en toute tranquillité, comme n'importe qui.
Je vous poserai une dernière question, monsieur le ministre. Cette progression dans la répression, dans la restriction de nos droits, dans la limitation de nos libertés, s'explique-t-elle par le constat d'échec de votre politique ou est-elle tout simplement mise en oeuvre à dose homéopathique afin de mieux faire passer les lois intolérables qui nous attendent encore ?
Quoi qu'il arrive, face à cette vision répressive, « orwellienne », terrifiante de notre société, les Verts continueront à s'opposer farouchement et à manifester leur attachement inconditionnel aux droits fondamentaux et aux libertés de toutes et de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai écouté avec beaucoup d'attention, vous le devinez, les différents exposés des orateurs. Je suis heureux des éléments qui ont été apportés par les sénateurs de la majorité. Je suis en revanche stupéfait d'un certain angélisme développé tout au long des discours de l'opposition, laissant penser que les uns seraient pour les mariages d'amour et les autres y seraient opposés ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Cela est quelque peu simplificateur ! Quelles que soient les travées, personne n'est opposé au mariage d'amour ; c'est en tout cas ce que je souhaite.
Monsieur le rapporteur, vous voulez un encadrement plus strict de la justification d'identité, en particulier en imposant que seuls la carte d'identité et le passeport soient acceptés. Je tiens à vous assurer que le Gouvernement partage votre volonté d'améliorer la lutte contre la fraude documentaire.
À cet égard, un projet de loi relatif à la protection de l'identité est en cours de préparation et permettra de sécuriser les conditions de délivrance des cartes d'identité et des passeports. Le débat sera l'occasion de savoir si nous voulons imposer que la justification d'identité se fasse uniquement par ce moyen. Mais la question que vous posez correspond à un autre débat que celui d'aujourd'hui.
Je souligne toutefois que le projet de loi prévoit d'ores et déjà une amélioration par rapport à la situation actuelle. En l'état du droit, il est possible aujourd'hui de justifier de son identité par tout moyen. Désormais, le code civil exigera que l'identité soit justifiée par une pièce délivrée par une autorité publique.
Monsieur Cambon, vous avez souligné que l'immense majorité des mariages binationaux sont sincères. Vous avez bien fait, car, à écouter d'autres orateurs, on finirait par croire que nous doutons de cet évident constat !
Votre appréciation conduit à une proposition d'amendement pour le cas où les formalités du mariage n'ont pas été respectées. Ainsi, avec le rapporteur de la commission des lois, vous souhaitez que le principe de l'audition ne soit conservé qu'à une exception : si l'autorité diplomatique ou consulaire dispose de suffisamment d'informations pour établir l'insincérité du mariage. Le Gouvernement se ralliera à cet amendement. En effet, dans ce cas, l'audition apparaît totalement inutile, tout le monde le conçoit.
Madame Mathon-Poinat, vous vous êtes étonnée de la différence entre le nombre de signalements de mariage frauduleux et le nombre d'oppositions. Je vais tenter de répondre à vos interrogations sur les chiffres.
En 2004, les procureurs de la République ont été saisis par les officiers d'état civil communaux de 5 272 signalements de mariage frauduleux. Toutefois, ce chiffre ne reflète pas celui des signalements faits sur le fondement de l'article 175-2 du code civil en vue d'une opposition à la célébration du mariage. En effet, il comprendrait également celui des signalements effectués sur le fondement de l'article 40 du code de procédure pénale, le plus souvent à raison de la situation irrégulière de l'un des futurs époux, qui a été soulignée par M. Dreyfus-Schmidt et qui donne lieu à l'ouverture d'une procédure pénale. Dès lors, le chiffre de 444 oppositions doit être accueilli avec prudence. Il ne peut en tout cas être rapproché de celui des 5 272 signalements. Ce n'est pas de même nature !
Madame Cerisier-ben Guiga, vous avez donné des informations inexactes sur le fonctionnement du TGI de Nantes.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. J'en viens, et les informations m'ont été données là-bas !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Vous allez avoir maintenant celles du garde des sceaux, avec la modestie qui convient quand on donne des informations !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le TGI ne m'aurait-il pas donné de bonnes informations ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Pardonnez-moi de donner mes chiffres ; j'ai le sentiment que c'est presque audacieux, mais acceptez de les entendre !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Je vous écoute, et je prends des notes !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Les délais de réponse du parquet de Nantes étaient parfois supérieurs au délai de six mois prévu pour lui permettre de se prononcer après vérification de l'authenticité d'un acte de l'état civil des étrangers fait en pays étranger. Sur ce point, vous avez raison. J'ai donc affecté de nouveaux moyens. Votre enquête est peut-être ancienne...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Elle date de huit jours !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. J'ai affecté de nouveaux moyens au TGI de Nantes, notamment cinq nouveaux greffiers en chef. Les délais sont aujourd'hui réduits et l'échéance de six mois est toujours respectée.
Dans le même sens, si de nouveaux moyens sont nécessaires, je m'engage devant le Sénat à les affecter tant au parquet qu'au greffe. Je crains que vos chiffres ne soient antérieurs à l'arrivée des cinq greffiers en chef actuellement en poste au TGI de Nantes.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce sont les magistrats qui manquent, pas les greffiers !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce sont les chiffres de la Chancellerie, madame la sénatrice.
Madame Gourault, vous m'avez demandé si l'identité des futurs témoins serait demandée à l'avance. Notre objectif est d'éviter que ne surgissent des difficultés le jour de la cérémonie. En outre, si une enquête est diligentée aux fins de vérifier la sincérité de l'intention matrimoniale, l'audition des témoins s'en trouvera facilitée. Pour autant, les futurs époux pourront évidemment changer de témoins avant le mariage si un quelconque événement le justifie. Le droit demeure inchangé sur ce point.
Madame Garriaud-Maylam, vous m'avez interrogé sur la concertation avec le ministère des affaires étrangères. Je vous rassure, s'il en était besoin : elle a été parfaite. Dans les consulats les plus exposés à la fraude, le principe de l'audition systématique est déjà appliqué. Elle a lieu le plus souvent à l'occasion de la demande de transcription du mariage. Désormais, il y sera procédé avant le mariage. La charge de travail ne s'en trouvera pas accrue pour autant.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Comment pouvez-vous dire cela ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Dans d'autres consulats, la généralisation des auditions est susceptible de représenter une charge nouvelle. À cet égard, le développement des délégations données à certains fonctionnaires facilitera la tâche de ces consulats. Au besoin, des moyens supplémentaires y seront affectés.
Monsieur Dreyfus-Schmidt - je m'adresse à vous aussi, madame Boumediene-Thiery, dans la mesure où vos arguments étaient en partie communs à ceux de votre collègue -, vous avez prétendu que ce projet de loi portait atteinte à la liberté de mariage.
Sauf votre respect, permettez-moi de vous contredire : ce texte ne vise qu'à étendre aux Français qui se marient à l'étranger le dispositif qui est déjà appliqué en France, ce dont je ne comprends pas que vous vous étonniez.
Loin de porter atteinte au droit fondamental du mariage, ce texte vise au contraire à rétablir l'égalité de traitement entre les Français qui se marient à l'étranger et ceux qui se marient en France, en les soumettant aux mêmes formalités préalables - vous devriez y être sensible, monsieur Dreyfus-Schmidt.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Comment peut-on dire cela ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je repréciserai ce point dans ma réponse aux motions déposées par votre groupe.
Monsieur le président, je pense avoir ainsi répondu à l'ensemble des intervenants.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pour faciliter l'examen de l'article 1er et de l'article 3, la commission souhaite que les amendements de suppression nos 26 et 36, d'une part, et nos 30 et 37, d'autre part, soient examinés en premier lieu, sans discussion commune avec les autres amendements déposés sur ces articles.
Tant sur la forme que sur le fond, le débat n'en sera que plus clair.
M. le président. Je suis saisi, par Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Yung, Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 19 rectifié bis, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44 alinéa 2 du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale relatif au contrôle de la validité des mariages (n° 275, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Richard Yung, auteur de la motion.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est très important et requiert toute notre vigilance, car il est irrecevable à plus d'un titre.
À cet égard, je partage les observations et remarques pertinentes qu'a formulées en commission notre collègue le doyen Gélard, qui a mis en avant les risques d'inconstitutionnalité de ce texte et sa possible incompatibilité avec les conventions internationales.
Loin de moi l'idée de nier l'ampleur et le développement des mariages mixtes, qu'ils soient célébrés en France ou à l'étranger. Ce phénomène, dans un pays dont les citoyens d'origine étrangère représentent une part non négligeable de la population, est explicable.
De nombreux Français d'origine étrangère ont conservé des liens forts avec leur pays d'origine. Certains y retournent pour se marier avec un compatriote. De nombreux couples binationaux dont le mariage a été célébré à l'étranger choisissent d'y demeurer.
Les Français eux-mêmes bougent, en raison notamment de la mondialisation. Ils rencontrent des partenaires avec lesquels ils peuvent se marier.
Quant aux mariages détournés à des fins purement migratoires, ils représentent une proportion malheureusement croissante - je le déplore -, mais faible des mariages binationaux. D'après la commission d'enquête sénatoriale sur l'immigration clandestine, il est très difficile de les quantifier : « Il n'existe pas de statistiques sur les mariages de complaisance car ces affaires, comme les mariages forcés, sont poursuivies sur le fondement de l'article 146 du code civil, c'est-à-dire de l'absence de consentement, et ne donnent pas lieu à un enregistrement spécifique de la part des greffes. »
Cette absence de consentement est bien sûr très difficile à prouver, quand elle existe.
Il est vrai que, pour certains étrangers, le mariage est devenu l'ultime moyen pour franchir les frontières de notre pays. J'affirme même que les mariages blancs sont la conséquence directe de la politique migratoire du Gouvernement et de la fermeture progressive de nos frontières depuis 2003.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quel raisonnement extraordinaire !
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, votre projet de loi participe aussi du phénomène bien connu d'hyperinflation législative et traduit l'échec de votre politique de fermeté.
La suppression de la procédure de sursis administratif, à l'article 6, prouve par exemple que la loi du 26 décembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité est inapplicable. Aussi, je m'interroge : si le texte qui nous est proposé est, par mégarde, adopté, subira-t-il dans trois ans le même sort, lorsque vous aurez pris conscience de son absurdité ?
Une chose est sûre en tout cas : nous l'aurons déjà supprimé en 2007.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous êtes bien présomptueux !
M. Richard Yung. Monsieur le ministre, à la suite de l'adoption de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, vous ne pouvez plus avancer masqué, comme Descartes, et nier que ce nouveau texte d'affichage s'inscrit dans un contexte de suspicion généralisée à l'égard des couples binationaux. Vous venez défendre ici non pas « l'immigration choisie » mais les « mariages choisis ».
M. Richard Yung. Sous prétexte de vouloir protéger l'institution du mariage, vous cherchez à enrayer une prétendue vague migratoire.
Pourquoi votre texte n'a-t-il pas alors été intégré à la loi relative à l'immigration et à l'intégration ?
À présent, je souhaite développer les motifs juridiques d'irrecevabilité du présent projet de loi.
À nos yeux, nombre des dispositions de ce texte sont anticonstitutionnelles.
Elles portent atteinte au principe constitutionnel de la liberté du mariage, principe consacré par le Conseil constitutionnel, en particulier dans sa décision du 13 août 1993.
En dépit de vos dénégations, monsieur le ministre, en cherchant à détourner le contrôle des mariages afin d'en faire un mode légal de contrôle des flux migratoires, vous risquez, avec ce projet de loi, de remettre en cause fortement tant la liberté du mariage, qui est une composante de la liberté personnelle protégée par les articles II et IV de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, que cette belle institution républicaine qu'est le mariage.
Dans la mesure où, désormais, le statut de conjoint n'ouvre pratiquement pas droit à l'entrée sur le territoire, au séjour ou à l'accès à la nationalité française, une nouvelle réforme du contrôle de la validité des mariages risque de décourager définitivement certains couples respectueux de la loi et donc d'avoir des effets contre-productifs.
Certes, le législateur peut et doit prendre des mesures relatives aux questions migratoires, mais il lui appartient avant tout de respecter la liberté du mariage. Or, si ce texte était adopté en l'état, les futurs conjoints seraient soumis à un double contrôle extrêmement sévère qui précariserait leur situation.
Vous risqueriez alors de jeter de nombreux couples dans le péché ! (Rires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas bien !
M. Richard Yung. Or ce n'est certainement pas votre objectif, monsieur le garde des sceaux !
La multiplication des contrôles est d'autant plus inutile que le parquet peut demander la nullité du mariage trente ans après sa célébration !
Conjuguées à la paupérisation des services consulaires et des services judiciaires, ces nouvelles dispositions auraient pour conséquence principale d'allonger excessivement et inutilement les délais courant avant et après la célébration des mariages.
Les jeunes iront alors à Gretna Green, ville écossaise située à la frontière avec l'Angleterre, où, depuis deux cent cinquante ans, le maréchal-ferrant a le privilège de célébrer les mariages sans conditions légales, pour autant que les futurs époux soient âgés de plus de 16 ans. Ce n'est certainement pas ce que nous recherchons.
Il pourrait même s'écouler plusieurs années entre le dépôt du dossier au consulat et la transcription du mariage. Au nom d'un nouveau slogan politique non identifié, ce texte risque donc de transformer le mariage à l'étranger en un véritable parcours du combattant.
Pis encore, ce projet de loi rompt l'égalité entre les Français qui se marient en France et ceux qui se marient à l'étranger. Même les couples de bonne foi seront systématiquement soupçonnés de fraude.
Au sein de l'Union européenne, j'imagine que de jeunes Français épousant, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, devant les autorités légales de ces pays, un conjoint allemand ou anglais ne penseront pas à suivre cette procédure extrêmement lourde que vous êtes en train d'élaborer, véritable usine à gaz. Par conséquent, ils seront confrontés à de grandes difficultés.
Ce projet de loi contrevient également à l'engagement gouvernemental de simplification du droit - il est vrai que je ne suis pas le mieux placé pour en parler. Il viole en quelque sorte l'objectif de valeur constitutionnelle de compréhensibilité et d'intelligibilité de la loi.
Enfin, ce texte risque d'instaurer une insécurité juridique jusqu'à la transcription du mariage dans la mesure où cette dernière deviendrait la condition préalable à l'opposabilité dudit mariage en France.
Le Sénat doit refuser cette « judiciarisation » du mariage célébré à l'étranger. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le code civil, le procureur de la République peut s'opposer à la célébration du mariage, cette décision devenant caduque au bout d'un an. Or le texte proposé par l'article 3 pour l'article 171-6 du code civil met fin à ce principe en contraignant les candidats au mariage à demander devant le tribunal de grande instance la mainlevée de l'opposition afin de renouveler leur demande de mariage.
Certes, cette procédure aurait théoriquement le mérite de raccourcir quelque peu les délais. Mais, outre son coût onéreux pour les candidats au mariage, elle aurait pour sérieux inconvénient d'inverser la charge de la preuve. En effet, il appartiendrait dans ce cas aux futurs époux de prouver leur bonne foi et non pas au procureur de démontrer qu'il a des éléments sérieux de doute sur l'honnêteté de leurs intentions.
En outre, après le mariage célébré à l'étranger, les époux pourraient également être amenés à saisir le juge si le procureur de la République ne se prononce pas sur la transcription du mariage au bout de six mois ou s'il s'oppose à celle-ci.
Pour ce faire, les époux devront avoir les moyens financiers d'être défendus par un avocat du barreau de Nantes. Or, tous les Français de l'étranger ne sont pas des nantis : ils n'ont pas forcément les moyens de payer cet avocat.
De toute façon, nous savons tous ici que le parquet de Nantes serait bien incapable de se prononcer au cours de cette période de six mois. Je ne vais pas revenir sur ce point.
J'ajoute que le garde des sceaux n'est probablement pas le ministre le mieux placé pour évoquer les moyens supplémentaires qui pourraient éventuellement être donnés aux consulats.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Très bien !
M. Richard Yung. Il revient plutôt au ministre des affaires étrangères de nous en parler. Il n'est pas là : nous discutons donc un peu dans le vide.
Pour finir, ce texte est contraire au droit international. L'article 9 de la convention du 14 mars 1978 sur la célébration et la reconnaissance de la validité des mariages prévoit que « le mariage qui a été valablement conclu selon le droit de l'État de la célébration, ou qui devient ultérieurement valable selon ce droit, est considéré comme tel dans tout État contractant ». La France est partie à cette convention. Or, la multiplication des procédures administratives avant et après le mariage risque de constituer une violation de cette disposition qui, dans la hiérarchie des normes, est supérieure à la loi. En d'autres termes, seront considérés comme nuls et non avenus certains mariages, ou tout mariage d'ailleurs, célébrés par des autorités étrangères. J'imagine que nos partenaires, dans l'Union européenne comme en dehors, en tireront aussi les conséquences.
Tels sont, mes chers collègues, les principaux arguments que je voulais développer pour vous prouver qu'il n'y a pas lieu de poursuivre le débat sur ce texte qui est inutile, inique et pour tout dire irrecevable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai bien écouté notre collègue Richard Yung. J'aurais pu tenir des propos similaires à ceux qui ont été les siens au début de son intervention.
En effet, il ne nie pas que des mariages soient détournés à des fins migratoires...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On ne le nie pas !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...ni même que ceux-ci soient en augmentation. Il estime simplement que le nombre de ces mariages de complaisance ou forcés est faible. Comme nous passons notre temps à dire ici que la plupart des mariages binationaux sont effectivement des mariages sincères, je ne vois pas de différence entre sa position et la nôtre.
J'essaie vainement de trouver les griefs d'inconstitutionnalité. M. Yung a parlé d'une remise en cause de la liberté du mariage. Qu'exigeons-nous pour les mariages célébrés en France ? Nous demandons qu'un document d'identité soit présenté, qu'il émane d'une autorité publique et qu'il comporte une photographie, même ancienne. Cette exigence est tout à fait invraisemblable, vous l'avouerez... En quoi est-elle une atteinte à la liberté du mariage ?
M. Yung voit également, si j'ai bien compris, une rupture de l'égalité entre les mariages célébrés en France et ceux qui le sont à l'étranger. Nous n'avons pas dû lire le même texte ! Toutes les dispositions du projet de loi visent en effet à faire en sorte qu'une personne qui se marie à l'étranger soit soumise aux mêmes conditions que celle qui se marie en France.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Ce n'est pas réalisable !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quel est donc alors ce poids colossal que nous imposons aux uns et aux autres ? Effectivement, en cas de doutes sérieux sur la validité - j'allais dire sur la pureté - de l'intention matrimoniale, une audition pourra être organisée. Nous pourrons aussi demander soit aux officiers d'état civil, soit aux autorités consulaires, soit aux fonctionnaires de l'état civil placés sous leur responsabilité, de se forger leur conviction sur l'intention matrimoniale, sous le contrôle éventuel d'un juge.
L'ultime argument d'inconstitutionnalité serait le renversement de la charge de la preuve. Je le cherche désespérément !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'avez pas entendu ce que le doyen Gélard a dit en commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Si l'on peut éventuellement arriver à trouver un renversement de la charge de la saisine du juge, il n'y a en revanche pas l'ombre d'un renversement de la charge de la preuve. Il appartiendra toujours au procureur de démontrer l'absence d'intention matrimoniale.
Mes chers collègues, les motifs du dépôt de cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité me paraissent plus justifiés par la proximité d'échéances électorales importantes que par le fond du texte. La commission a cherché en vain les arguments d'inconstitutionnalité, et elle vous demande de repousser cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je me demande une fois de plus si nous parlons bien des mêmes choses. (Absolument ! sur les travées du groupe socialiste.)
Je le dirai avec respect : il ne s'agit ni de changer le droit national du mariage ni de mettre en cause les règles applicables au sursis ou à l'opposition au mariage.
Le projet de loi a pour objet de transposer ces règles aux mariages de Français ou de binationaux célébrés dans nos consulats. Admettez que, si ce texte était inconstitutionnel, nous nous en serions déjà aperçus ! La loi en France ne change pas.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Un petit peu...
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Absolument pas ! Ce qui est réglementaire peut devenir législatif mais le fond ne change pas.
Si je creuse le début de raisonnement juridique que je crois deviner derrière votre argumentation, le droit français ne pourrait pas s'appliquer dans nos consulats à l'étranger.
À peine énoncée, cette théorie ne peut que prêter à sourire ! Il ne saurait être question d'inconstitutionnalité : le droit reste le même, il est simplement transposé aux mariages de Français ou de binationaux dans nos consulats.
Je demande donc à la Haute Assemblée de repousser cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 19 rectifié bis, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Mathon-Poinat, Borvo Cohen-Seat, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 35, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif au contrôle de la validité des mariages (n° 275, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je déplore que le règlement du Sénat prévoie que les motions tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et la question préalable ne soient examinées qu'après la clôture de la discussion générale. Je ne manque jamais de le rappeler, dans l'espoir que le règlement sera modifié pour permettre au débat de se dérouler normalement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous ne sommes pas d'accord sur les modifications !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons eu la réponse de M. le garde des sceaux. Or, si ce projet de loi n'était pas discriminatoire - mais hélas ! il l'est -, il ne concernerait pas les seuls mariages avec les étrangers. Au nom de l'égalité des citoyens, le contrôle de tous les mariages devrait être renforcé : il faudrait d'abord vérifier si ceux-ci ne seraient pas, dans leur grande majorité, arrangés à des fins patrimoniales, fiscales, ou pour des intérêts familiaux. Il faudrait ensuite s'assurer qu'ils ont bien été consommés, sans quoi il ne s'agirait évidemment pas de vrais mariages.
Je ferai deux constats. D'une part, ce texte vient s'ajouter à une liste déjà bien longue de lois fort répressives portant sur la lutte contre l'immigration : il ne vise en effet que les mariages entre un Français et un étranger. D'autre part, il repose sur un fantasme selon lequel les mariages mixtes seraient a priori de complaisance et participeraient de l'afflux de hordes étrangères sur notre territoire.
La preuve en est le brouillage sémantique entre mariage de complaisance, mariage simulé, mariage forcé. Ces notions, qui sont tout de même différentes, sont maniées de façon tout à fait floue. La présentation des statistiques est un autre élément de brouillage : faire état, par exemple, de 500 % d'augmentation des mariages binationaux avec des étrangers de tel ou tel pays, sans citer aucun chiffre absolu, n'est guère précis. Et si l'on part de trois mariages, une augmentation de 500 % aboutira à un résultat dérisoire !
Les annulations de mariage sont très faibles : on en dénombre 300, 500, peut-être 700. Ce chiffre, selon vous, ne correspondrait pas à la réalité : il serait en fait beaucoup plus élevé. Combien ? On l'ignore !
Notre législation en matière de droit au séjour des étrangers et de mariage forcés, qui sont bien évidemment répréhensibles, est loin d'être insignifiante.
Le rapporteur lui-même parle d'un « dispositif législatif pléthorique ». Il a raison ! La loi du 30 décembre 1993 ainsi que la loi du 26 novembre 2003, toutes deux relatives à l'immigration, ont posé les premières pierres de l'arsenal législatif du contrôle de la validité des mariages entre un Français et un étranger.
Préalablement au mariage, la loi de 1993 a mis en place une procédure d'opposition à la célébration du mariage en cas d'indices sérieux présumant l'absence de réelle intention matrimoniale.
La loi de 2003 prévoit, quant à elle, que l'officier d'état civil doit entendre les époux afin de vérifier leur intention matrimoniale, sauf s'il apparaît que cette audition n'est pas nécessaire.
De même, les modalités de transcription du mariage sur les registres d'état civil ont été durcies par ces deux lois. La loi de 1993 prévoit que l'agent diplomatique ou consulaire doit surseoir à la transcription en cas de doutes sérieux, le ministère public disposant d'un délai de six mois pour se prononcer.
La loi de 2003 a renforcé ce dispositif puisqu'elle prévoit que les époux sont entendus préalablement à cette transcription. Cette dernière a également renforcé l'arsenal répressif, en créant le nouveau délit du mariage de complaisance.
La lutte contre les mariages forcés nous tient à coeur. Nous avons déposé - même si nous n'étions pas les seuls - une proposition de loi en ce sens, reprise dans la loi du 4 avril 2006 sur les violences au sein du couple, afin de porter l'âge du mariage à 18 ans pour les jeunes filles. Le projet de texte qui nous est soumis ne va pas apporter grand-chose concernant les mariages forcés.
Cette loi a par ailleurs renforcé le dispositif de contrôle des mariages, en autorisant la délégation de la réalisation des auditions des futurs époux, en permettant au ministère public de demander la nullité du mariage contracté sans le consentement libre des époux, ou encore en considérant que l'exercice d'une contrainte sur les époux constitue un cas de nullité du mariage. La question est bien là : si le consentement n'est pas libre, le mariage doit être considéré comme frauduleux.
Enfin, et pour clore cet inventaire à la Prévert, la loi du 24 juillet dernier, qui vient donc à peine d'être d'adoptée, a elle aussi étendu le dispositif visant à décourager les personnes de nationalité étrangère de se marier avec un Français.
Cette motion tendant à opposer la question préalable pourrait d'ailleurs être justifiée par le simple motif que nous avons examiné, voilà à peine trois mois, un texte très vaste sur l'immigration. Les dispositions qui nous sont présentées aujourd'hui auraient eu toute leur place dans la loi de juillet dernier, si nous avions été d'accord avec vous sur ce texte, ce qui n'est bien sûr pas le cas !
Il ne s'agit ni plus ni moins que d'entretenir une suspicion généralisée à l'encontre des étrangers, suspectés de vouloir, par tous moyens et en particulier par le mariage, profiter de notre système et obtenir un titre de séjour ou la nationalité française.
L'arsenal législatif contre les étrangers souhaitant se marier avec un Français étant suffisamment étoffé à notre sens, il n'est nul besoin d'en rajouter. Nous n'avons évidemment pas le même point de vue sur cette question, puisque tant le Gouvernement que M. le rapporteur considèrent que les résultats en la matière sont « largement insuffisants ».
Le critère retenu est le nombre de signalements effectués par les officiers d'état civil, ce nombre étant en constante augmentation. Mais les signalements ne sont pas synonymes de mariages simulés. La confusion est pourtant sciemment entretenue. Serait-ce que vous souhaitez voir tous les signalements aboutir à une annulation du mariage ?
Si le nombre de signalements est en effet relativement important, celui des mariages annulés l'est nettement moins, comme le révèle une étude d'Infostat justice, publication qui dépend du ministère de la justice et dont le numéro d'août 2006 est consacré aux annulations de mariages en 2004. On peut y lire des informations réellement très intéressantes.
Certes, le nombre d'affaires en matière d'annulation de mariage traitées par les tribunaux a augmenté entre 1995 et 2004. Certains ont expliqué que cela va dans le sens de l'histoire. Au total, 1 210 affaires ont été traitées en 2004. Néanmoins, sur ces 1 210 affaires, 737 se sont soldées par une annulation. Et sur ces 737 annulations, seules 363 concernaient des mariages de complaisance. Évidemment, monsieur le garde des sceaux, vous subodorez, sans le démontrer, qu'il y a beaucoup plus de mariages de complaisance.
Par ailleurs, afin de ne pas entretenir de fantasmes, il serait bon que nous puissions fonder notre discussion sur des éléments précis. Ainsi, il serait intéressant de savoir combien de mariages sont célébrés dans le seul objectif, non avouable, d'obtenir un titre de séjour et combien d'entre eux sont rompus une fois l'effet juridique obtenu.
L'étude que j'ai évoquée indique certes le nombre de mariages de complaisance qui ont été annulés en 2004, mais elle ne précise pas si ces mariages étaient mixtes. Nous n'avons pas plus d'explications sur les raisons pour lesquelles leur nombre serait en augmentation. Nous ne disposons que de suppositions !
De nombreuses ambiguïtés doivent encore être levées afin de nous permettre de légiférer en toute connaissance de cause. Établir un lien direct entre le nombre de signalements et le nombre de mariages prétendument de complaisance semble hasardeux, voire mensonger, faute de preuves précises.
Toute affirmation, tout chiffre non fondé sur une étude sérieuse n'est que pure spéculation, destinée à entretenir la suspicion. Or on ne peut légiférer à partir de suspicions !
Notre législation en matière de fraude au mariage est pourtant loin d'être laxiste, si on la compare à celle qui est en vigueur dans d'autres pays de l'Union européenne. Selon les situations, l'harmonisation européenne est un prétexte à géométrie variable !
En Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne et en Italie, pays censés avoir adopté un dispositif comparable à celui de la France, la situation est en fait tout autre. Les peines de prison y sont bien moins élevées que ce qui est prévu par notre législation, quand elles ne sont pas inexistantes.
Les sanctions vont de trois ans de prison ou une amende en Allemagne à six mois de prison ou une amende au Danemark. En Belgique, la peine encourue est comprise entre huit jours et trois mois de prison, l'amende entre 130 et 500 euros. En Italie, il n'existe pas de sanction pénale spécifique en cas de mariage de complaisance. En Espagne, les seules sanctions prévues touchent l'officier d'état civil.
Quant aux pays qui, comme la France, ont adopté une législation particulière en matière de lutte contre les mariages de complaisance, qu'il s'agisse des Pays-Bas, de l'Angleterre ou du Pays de Galles, ils n'ont prévu aucune sanction pénale spécifique non plus.
Notre législation est donc bien plus sévère que celle de nos voisins européens. Pourquoi avoir créé voilà trois ans à peine une sanction pénale spécifique si le Gouvernement considère aujourd'hui qu'il est nécessaire de renforcer le dispositif de lutte contre les mariages de complaisance ?
Une fois de plus, ce sont l'incohérence et la volonté d'affichage qui caractérisent ce texte, non la rationalité et le discernement.
Ce projet de loi vient compléter un dispositif déjà lourd et complexe en matière de mariages de binationaux, notamment ceux qui sont célébrés à l'étranger, ce qui portera évidemment préjudice à la très grande majorité des personnes de bonne foi désireuses de se marier.
En prévoyant de renforcer le contrôle a priori et a posteriori des mariages célébrés, c'est au droit au mariage de ces personnes que vous portez atteinte. Vous ne nous avez pas démontré le contraire, monsieur le garde des sceaux.
Dans le cas des mariages célébrés à l'étranger, l'allongement des délais d'opposition à la célébration ou à la transcription du mariage, ou encore le fait de prévoir que, à chaque étape administrative antérieure ou postérieure au mariage, le procureur pourra être saisi en cas de doutes sur les finalités de l'union, créent une véritable insécurité juridique au détriment des Français et des étrangers souhaitant se marier. Encore une fois, l'égalité entre les citoyens, qu'ils soient ou non Français, est rompue.
Enfin, la présomption de régularité des actes d'état civil étrangers est elle aussi un peu plus remise en cause par ce projet de loi, qui parachève ainsi le travail commencé avec la loi de 2003.
L'article 47 du code civil nous permettait pourtant de vivre en bonne intelligence avec les États voisins, puisqu'il prévoyait, avant 2003, une présomption de régularité des actes d'état civil établis par un pays étranger.
La loi de 2003 a remis en cause cette présomption : désormais, l'acte d'état civil étranger fait foi, sauf s'il est établi qu'il est falsifié ou mensonger. Le projet de loi va même plus loin puisqu'il prévoit que des vérifications pourront encore intervenir avant la transcription de l'acte. Cette fois encore, l'insécurité juridique va planer sur les actes d'état civil établis à l'étranger.
Nous sommes donc bien dans l'ère du soupçon à l'égard de tout ce qui vient de l'étranger !
À l'heure où certains voudraient plus de liberté pour les capitaux et les marchandises, la liberté pour les femmes et les hommes de se déplacer, de fonder une famille, quel que soit le pays choisi, se fait encore attendre. Ce paradoxe ne peut durer éternellement. C'est là un grand préjudice pour les gens et pour notre pays.
Ce projet de loi est aussi inutile que dangereux. Sous couvert de permettre le contrôle de la validité des mariages, il tend ni plus ni moins à empêcher les mariages mixtes et à décourager les Français de se marier avec des étrangers ! Pis, et c'est en cela qu'il est dangereux, il véhicule l'idée selon laquelle, en épousant un Français ou une Française, les étrangers cherchent exclusivement un moyen de rester sur notre territoire.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous invite à rejeter ce texte en votant cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je partage le point de vue de Mme Borvo Cohen-Seat sur un point, celui des chiffres.
Monsieur le garde des sceaux, nous aimerions effectivement disposer à l'avenir de plus de précisions sur les mariages binationaux célébrés en France, comme je l'ai indiqué lors de la discussion générale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi à l'avenir ? Avant de légiférer !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il serait ainsi utile de connaître la durée de ces mariages. Je suis personnellement convaincu que la durée d'un certain nombre de ces mariages est particulièrement limitée, ce qui confirmerait les appréhensions qui sont les nôtres.
J'ai été maire d'une commune de 40 000 habitants. À ce titre, je me suis adressé à plusieurs reprises au procureur de la République au sujet de mariages binationaux qui me paraissaient être soit des mariages de complaisance, soit des mariages forcés. J'ai rarement obtenu de réponse de sa part. Or j'ai très rapidement constaté ensuite la dissolution de ces mariages une fois acquis un titre de séjour.
Je n'ai malheureusement pas d'autres points d'accord avec Mme Borvo Cohen-Seat. En ce qui me concerne, je suis convaincu que le mariage n'est pas une décision anodine. Même si le nombre de mariages simulés correspond au nombre de mariages annulés, c'est déjà beaucoup trop. Nous avons donc besoin d'une législation nous permettant de faire respecter l'institution qu'est le mariage.
Mais il serait déraisonnable de notre part de verser dans l'angélisme. Nous savons très bien, les uns et les autres, que le nombre de mariages annulés ne représente que la partie émergée de l'iceberg...
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. On n'en sait rien !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ...et que, en réalité, le nombre de mariages de complaisance ou de mariages forcés est bien plus élevé.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce ne sont que des supputations !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Quant à l'incohérence du projet de loi évoquée par Mme Borvo Cohen-Seat, je ne vois pas où elle est. En revanche, je cherche vainement la cohérence des propos de notre collègue ! Cette dernière s'insurge ainsi contre le fait que des sanctions pénales soient prévues en cas de mariage de complaisance, infraction qui peut en outre être commise en bande organisée. Cette incrimination pénale me paraît pourtant tout à fait nécessaire.
Ce texte permet de manière fort utile de vérifier que le mariage n'est pas détourné des fins qui sont les siennes, à savoir la communauté de vie. Nous pourrons nous débarrasser à tout jamais des amalgames douteux évoqués à l'occasion de cette motion tendant à opposer la question préalable entre étrangers, mariages frauduleux, droit au séjour et acquisition de la nationalité lorsque nous aurons pris des mesures permettant de faire clairement respecter l'intention matrimoniale.
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, la commission des lois vous demande de ne pas voter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Madame Borvo Cohen-Seat, je crois pouvoir dire que vos arguments reposent sur un constat erroné, ce dont j'aimerais vous convaincre.
M. Robert Bret. On n'a aucun chiffre !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Tout d'abord, loin d'être inutile, ce texte s'inscrit au contraire dans un dispositif global de lutte contre les mariages frauduleux.
En effet, vous savez que l'objectif principal des dispositions de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs est de lutter plus particulièrement contre les mariages forcés.
Les dispositions applicables au mariage qui figurent dans la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration visent quant à elles à rendre moins attractive la conclusion d'un mariage aux seules fins d'obtenir un titre de séjour ou d'acquérir la nationalité française.
Le texte qui vous est aujourd'hui soumis ne constitue pas une énième révision : les mesures qu'il comporte sont parfaitement complémentaires de celles que je viens d'évoquer, puisqu'elles tendent à renforcer notre dispositif de prévention des mariages frauduleux, en France comme à l'étranger, et à mieux lutter contre la fraude des documents d'état civil.
L'objectif du Gouvernement est ainsi de parvenir à un dispositif global et cohérent, qui permette de rétablir l'équilibre entre liberté du mariage et lutte contre la fraude.
Ensuite, ce texte n'est pas non plus dangereux.
Je l'ai indiqué lors de la discussion générale, il ne s'agit pas de faire un amalgame entre mariages mixtes et mariages frauduleux. Personne ne conteste que la plupart des mariages mixtes ne font que traduire l'ouverture de notre société vers le monde extérieur et sont fondés sur des sentiments sincères. On ne peut que s'en réjouir !
Toutefois, les chiffres que j'ai indiqués voilà quelques instants, et que vous considérez comme insuffisants, sont là pour nous le rappeler : un nombre important de ces unions obéissent exclusivement à des stratégies migratoires. Nous le savons tous, nous ne devons pas le nier. Nous devons empêcher de telles unions.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Oui, il y en a, mais pas en nombre important !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Personne ne le nie ! Mais si vous constatez comme nous qu'il y en a - nous sommes donc d'accord ! -, adoptons alors une législation nous permettant de faire face à ces cas que, contrairement à nous, vous estimez rares - mais là n'est pas le débat.
Tel est l'objet de ce projet de loi, qui mérite bien entendu d'être examiné et adopté par le Sénat. Je vous demande en conséquence, mesdames, messieurs les sénateurs, de rejeter la motion du groupe CRC tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le groupe socialiste votera cette motion, et je voudrais essayer de convaincre nos collègues d'en faire autant.
L'attention de l'Assemblée nationale est actuellement retenue par le projet de loi de finances pour 2007.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ce sera ensuite le tour du Sénat. Quand donc l'Assemblée nationale examinera-t-elle le présent projet de loi ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. La semaine prochaine ! Pas de chance ! Votre argumentaire s'écroule... (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous verrons !
Et si ce texte n'est pas adopté conforme par l'Assemblée nationale, sera-t-il à nouveau soumis au Sénat ? On peut véritablement en douter !
Il me semble tout à fait inutile de retenir l'attention du Sénat sur un texte dont vous vous êtes parfaitement passés depuis le 22 mars dernier et qui ne sert strictement à rien !
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, vous pourriez vous joindre à nous et voter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 35, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 1 :
Nombre de votants | 329 |
Nombre de suffrages exprimés | 321 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 161 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par Mme Cerisier-ben Guiga, MM. Yung, Dreyfus-Schmidt et C. Gautier, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 18 rectifié bis, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, relatif au contrôle de la validité des mariages (n° 275, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Charles Gautier, auteur de la motion.
M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première phrase de l'exposé des motifs du texte que nous examinons aujourd'hui en dit long sur l'état d'esprit dans lequel ce texte a été rédigé : « La lutte contre l'immigration irrégulière et les mariages forcés constitue l'une des priorités du Gouvernement. »
C'est éloquent ! Dès la première phrase, on nous inflige un amalgame entre immigration et mariage forcé - comme s'il n'existait pas de mariages forcés entre Français. Pourquoi instituer une sorte de rapport systématique entre immigration et mariage forcé ?
La suspicion est permanente : les règles du mariage seraient détournées a priori à des fins purement migratoires. L'argumentation paraît peu sérieuse. Les chiffres cités sont inexistants ou peu précis. En réalité, ce phénomène touche combien de mariages ? Quel pourcentage représente-t-il sur l'ensemble des mariages binationaux ?
En fait, il semble que la proportion soit très faible. L'application de la loi de 2003 et du décret de 2005 s'y rapportant entraîne l'annulation d'à peu près 200 mariages par an. On parle de 34 000 personnes par an qui acquièrent la nationalité française par le mariage,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n'est pas beaucoup.
M. Charles Gautier. ...chiffre à rapprocher des 75 000 personnes naturalisées chaque année en France.
Et puis, je m'interroge car il existe déjà des règles permettant aux officiers d'état civil de dénoncer un mariage qui leur paraîtrait peu sincère. Les textes protégeant les jeunes femmes contre le mariage forcé n'ont-ils pas été récemment réformés, notamment grâce à nos collègues Nicole Borvo Cohen-Seat et Roland Courteau, qui se sont battus pour le relèvement de l'âge légal du mariage à dix-huit ans ? (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela ne figurait pas dans la proposition de Roland Courteau !
M. Charles Gautier. Monsieur le garde des sceaux, ce texte est un pur produit de campagne électorale, mais il est aussi dangereux.
Il est dangereux, car il induit automatiquement une suspicion vis-à-vis des couples binationaux. Il stigmatise celui ou celle qui, de nationalité française, oserait proposer le mariage à un étranger.
Il est dangereux aussi et surtout parce qu'il renverse la charge de la preuve. Comme cela a déjà été dit plusieurs fois, ce n'est plus à l'officier d'état civil de prouver que le mariage est délictueux, mais au couple binational de prouver sa volonté réelle de se marier. Quelle chose est plus dure à prouver que son amour profond ?
Par cette réforme, vous ne parviendrez qu'à une seule chose : fabriquer une nouvelle catégorie d'étrangers irrégularisables, dont le désir de vie commune sera contrarié et qui viendront tout de même en France. Ils seront alors inexpulsables, contraints de vivre dans la clandestinité, et vous savez très bien ce que cela entraîne : le gymnase de la ville de Cachan est rempli de familles dans ce cas !
Monsieur le garde des sceaux, nous avons déposé cette motion de renvoi à la commission pour une raison bien précise. Vous prévoyez dans ce texte une charge de travail supplémentaire pour les services diplomatiques et consulaires, ainsi que pour le parquet de Nantes. Dans la réponse que vous avez faite à Mme Cerisier-ben Guiga sur ce sujet, vous n'avez parlé que des postes de greffier. Votre silence concernant les postes de magistrat ne fait que confirmer la véracité des propos de ma collègue.
M. Charles Gautier. L'article 3 du projet de loi que nous examinons aujourd'hui renforce les contrôles a priori et a posteriori concernant les mariages célébrés à l'étranger.
Les autorités diplomatiques et consulaires seront chargées désormais de délivrer obligatoirement des certificats de capacité de mariage, de réaliser les auditions des futurs époux, d'engager les procédures d'opposition et de transcrire les mariages célébrés à l'étranger. Par là, vous durcissez les conditions d'accès au mariage de façon considérable.
Le durcissement de ces conditions entraînera automatiquement des contentieux nombreux. Ceux-ci sont de la compétence du tribunal de grande instance de Nantes depuis le décret du 23 février 2005. Or, depuis la sortie de ce décret, aucun bilan n'a été établi, aucune audition n'a été faite. Quelles en sont les conséquences pour le parquet de Nantes ? Il suffit d'aller rencontrer les personnes concernées - c'est plus facile pour moi que pour d'autres, je le reconnais volontiers - pour constater que leurs conditions de travail ne se sont pas améliorées, c'est le moins que l'on puisse dire !
Monsieur le ministre, les services diplomatiques et consulaires sont déjà dans des situations financières et matérielles inquiétantes. Le tribunal de grande instance de Nantes, comme une grande partie des tribunaux de grande instance de France, est surchargé de dossiers.
Nous considérons donc qu'il aurait été important de prévoir, dans le cadre de la préparation de la discussion de ce texte, une saisine pour avis de la commission des affaires étrangères. Celle-ci aurait, au minimum, procédé à l'audition de la direction des affaires consulaires et du parquet de Nantes. Le ministre des affaires étrangères n'a même pas été auditionné par la commission des lois, il est pourtant concerné au premier chef par la mise à disposition de moyens supplémentaires, comme l'a démontré mon collègue Richard Yung.
De plus, ce texte a été déposé à l'Assemblée nationale en février 2006 ; il a été retiré de l'ordre du jour au profit du texte sur l'immigration, tout cela voilà plus de six mois. La précipitation avec laquelle la commission des lois vient d'être saisie n'est donc absolument pas justifiée.
C'est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste demande le renvoi à la commission de ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je n'interviendrai pas sur les critiques concernant le texte, je me bornerai à répondre au sujet du renvoi à la commission.
Notre rapporteur a été nommé au mois d'avril, il a donc eu tout le temps de procéder aux auditions nécessaires des services de la chancellerie et du ministère des affaires étrangères.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Lui seul !
Mme Alima Boumediene-Thiery. La commission ne les a pas entendus.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il nous en a rendu compte. Je pense que le rapporteur a bien fait son travail. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
La commission a eu le temps d'examiner les divers aspects de ce texte. Nous avons d'ailleurs tenu compte des difficultés qui nous étaient signalées et apporté un certain nombre de modifications afin de répondre aux besoins de sécurité juridique, mais aussi de simplicité.
D'ailleurs, mes chers collègues, nous ne sommes pas obligés, pour chaque texte, d'entendre tous les ministres. Nous n'avons pas entendu le garde des sceaux.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cela aurait pourtant été utile ! Demandez aux consuls ce qu'ils en pensent !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Madame Cerisier-ben Guiga, veuillez cesser de m'interpeller !
Nous estimons que nous pouvons parfaitement délibérer, nos collègues étant tout à fait informés des divers aspects de ce projet de loi. C'est la raison pour laquelle j'invite le Sénat à rejeter la motion de renvoi à la commission. (Mme Alima Boumediene-Thiery proteste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cette motion tend à obtenir le renvoi du texte à la commission des affaires étrangères afin que le ministre des affaires étrangères puisse faire connaître son point de vue sur cette réforme.
Chacun est conscient qu'il s'agit là d'une demande dilatoire. Le ministère des affaires étrangères a déjà été auditionné par le rapporteur de la commission des lois.
Je tiens à indiquer que, dans un certain nombre de consulats, ceux qui sont parmi les plus exposés à la fraude, le principe de l'audition systématique des époux est déjà appliqué, d'ailleurs avec un certain succès. Lorsque cela est possible, cette audition a lieu avant le mariage. Néanmoins, le plus souvent, elle se déroule après la célébration, à l'occasion de la demande de transcription. Quoi qu'il en soit, les consulats qui pratiquent ainsi soulignent l'efficacité de cette mesure afin de détecter les cas de fraude.
Si la généralisation des auditions est susceptible de créer une charge nouvelle, la réforme a également pour objet de rendre plus efficace le dispositif de contrôle des mariages. Ainsi, le développement des dispositions relatives à la délégation donnée à certains fonctionnaires pour procéder à l'audition, de même que la réalisation d'un contrôle plus en amont peuvent alléger ces charges.
En tout état de cause, le Gouvernement assurera le suivi de l'application de cette réforme et affectera les besoins nécessaires à sa réussite.
Cela étant dit, j'aimerais à nouveau répondre à Mme Cerisier-ben Guiga ainsi qu'à M. Gautier, qui viennent de me reprocher de n'avoir parlé que des greffiers et non des magistrats. Comme je veux tout faire pour leur être agréable, je vais leur donner immédiatement satisfaction. (Sourires.)
Par le passé, le parquet civil de Nantes comptait trois magistrats. Mon prédécesseur a créé un quatrième poste, et je viens d'affecter un cinquième magistrat à cette juridiction. Le nombre de magistrats est donc passé de trois à cinq.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Pour un doublement de la charge de travail !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. De la même façon, par le passé, il y avait onze greffiers. Les efforts de mon prédécesseur et de moi-même ont abouti à faire passer leur nombre de onze à seize.
Telle est la situation, qui, j'en suis heureux, permettra de rassurer Mme Cerisier-ben Guiga et M. Gautier, dont j'ai pu mesurer à quel point l'inquiétude était sincère.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Oui, très sincère !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Au bénéfice de ces explications, le Gouvernement demande au Sénat de bien vouloir rejeter la motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 18 rectifié bis, tendant au renvoi à la commission.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, avant d'aborder l'examen des articles, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.