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élection d'un sénateur
M. le président. J'ai reçu de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, une communication de laquelle il résulte qu'à la suite des opérations électorales du 24 septembre 2006, M. Charles Josselin a été proclamé élu sénateur du département des Côtes-d'Armor.
Au nom du Sénat tout entier, je souhaite la bienvenue à notre nouveau collègue. Le Sénat retrouve ainsi son effectif complet de 331 membres. (Applaudissements.)
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Décision du Conseil constitutionnel
M. le président. J'ai reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date du 28 septembre 2006, le texte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur l'accord de Londres du 17 octobre 2000 relatif au dépôt des brevets européens.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets.
Acte est donné de cette communication.
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Fin de mission d'un sénateur
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 2 octobre 2006 annonçant, dans le cadre des dispositions de l'article LO 297 du code électoral, la fin, le 11 octobre 2006, de la mission temporaire confiée à M. Alain Lambert, sénateur de l'Orne, auprès du ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
Acte est donné de cette communication.
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DÉPÔT de RAPPORTs DU GOUVERNEMENT
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre :
- le rapport sur l'expérimentation du transfert de la gestion des programmes financés par les fonds structurels européens, en application de l'article 44 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ;
- le rapport pour 2006 sur l'exécution de la loi du 27 janvier 2003 relative à la programmation militaire pour les années 2003 à 2008 ;
- le rapport pour 2005 de la Commission des comptes des transports de la Nation.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ils seront transmis respectivement à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées et à la commission des affaires économiques, et seront disponibles au bureau de la distribution.
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DÉPôt de rapports en application d'une loi
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, conformément à l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports sur la mise en application des lois suivantes :
- loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports ;
- loi du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français ;
- loi du 5 janvier 2006 relative à la sécurité et au développement des transports ;
- loi du 20 juillet 2005 relative aux concessions d'aménagement.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Ils seront transmis, pour les trois premiers, à la commission des affaires économiques et, pour le dernier, à la commission des lois. Ils seront disponibles au bureau de la distribution.
J'ai reçu de M. François Logerot, président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le neuvième rapport d'activité de la Commission, conformément à l'article 26 bis de la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des lois et sera disponible au bureau de la distribution.
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CANDIDATURE À UNE COMMISSION
M. le président. J'informe le Sénat que le groupe socialiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu'il propose pour siéger à la commission des affaires économiques, à la place laissée vacante par Pierre-Yvon Trémel, décédé.
Cette candidature va être affichée et la nomination aura lieu conformément à l'article 8 du règlement.
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Adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne (n° 429, 2005-2006, n° 489).
Mes chers collègues, avant de donner la parole à Mme la ministre déléguée, j'ai le très grand plaisir de saluer la présence, dans notre tribune officielle, de M. Ivaïlo Kalfin, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères de la République de Bulgarie, de Mme Irina Bokova, ambassadeur de la République de Bulgarie en France, de Mme Anca Boagiu, ministre de l'intégration européenne de la Roumanie et de M. Sabin Pop, ambassadeur de Roumanie en France.(Mme la ministre déléguée, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et applaudissent.)
Au nom du Sénat tout entier, je leur souhaite une cordiale bienvenue et les remercie chaleureusement d'honorer de leur présence le débat qui va s'ouvrir dans notre assemblée sur l'élargissement de l'Union européenne à leurs deux pays.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, en l'absence de Mme Catherine Colonna, empêchée, il me revient de représenter le Gouvernement pour cette importante séance consacrée au projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne.
En mai 2004, dix nouveaux États membres ont rejoint la famille européenne. Toutefois, ce cinquième élargissement de l'Union, ouvert avec la reconnaissance du statut de candidat à douze pays en 1997, était resté inachevé en l'absence de la Bulgarie et de la Roumanie. C'est dans ce contexte que vous est soumis aujourd'hui le projet de loi autorisant la ratification du traité d'adhésion de ces deux pays, lequel a été approuvé à l'unanimité par l'Assemblée nationale en juin dernier.
Je veux rappeler que le processus qui s'achève avec ces deux pays a débuté au lendemain de la chute du mur de Berlin. En même temps qu'il scellait la fin de la division de l'Europe, cet événement majeur offrait à de nombreux pays de notre continent une promesse d'Europe et d'avenir meilleur. Celle-ci a pris forme en juin 1993, à Copenhague, avec une perspective d'adhésion à l'Union, devenue réalité pour dix d'entre eux en mai 2004. Aujourd'hui, à l'automne 2006, en vous prononçant sur l'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie, vous vous apprêtez à clore un chapitre fondamental de l'histoire européenne et à écrire celui de la famille européenne réunifiée.
Je souhaiterais insister sur trois points : le processus a été conduit dans le respect de plusieurs exigences ; le cinquième élargissement qui se termine consacre davantage l'Europe comme espace de paix, de sécurité et de développement économique et social ; enfin, au-delà de l'adhésion de ces deux pays, le moment est venu de mener une réflexion approfondie sur le processus d'élargissement en tant que tel.
Premièrement, le processus a été conduit dans le respect de plusieurs exigences.
Exigence, d'abord, quant à la qualité du processus de négociations : la Roumanie et la Bulgarie ont déposé leur demande d'adhésion en 1995 ; ces pays se sont vu reconnaître la qualité de candidats par le Conseil européen en 1997 et les négociations ont débuté en 2000 ; elles se sont achevées en décembre 2004 et le traité a été signé le 25 avril 2005, à Luxembourg. Près de cinq ans de négociations ont donc été nécessaires pour déterminer les modalités d'entrée de ces pays dans l'Union.
La date prévue pour cette entrée a été fixée par le traité au 1er janvier 2007. Ses auteurs avaient, par précaution, prévu la possibilité de différer cette adhésion d'une année en cas de préparation insatisfaisante de ces pays. Dans son rapport du 26 septembre dernier, la Commission a jugé, au terme d'une évaluation rigoureuse et objective, qu'un tel report n'était pas nécessaire et que les deux pays étaient suffisamment préparés pour remplir les critères politiques et économiques ainsi que pour respecter l'acquis au 1er janvier 2007, sous réserve de quelques mesures d'accompagnement. Ils pourront donc rejoindre l'Union à cette date, après que chaque État membre aura accompli sa procédure de ratification.
Tout au long du processus, la France a été vigilante pour s'assurer que ces pays garantissent un haut niveau de contrôle à leurs frontières, réforment leur système judiciaire, luttent contre la corruption, le crime organisé et la traite des êtres humains. Des progrès considérables ont été réalisés et des mécanismes d'accompagnement ont été prévus pour faire face aux difficultés qui demeurent. En effet, l'élargissement ne peut se faire au détriment de l'acquis communautaire et il doit permettre la diffusion des principes politiques qui sont au coeur du projet européen.
Exigence, ensuite, quant au respect de l'intégrité de la construction européenne : l'adhésion d'un État à l'Union implique par définition qu'il respecte l'ensemble des règles communes. Tel sera le cas pour la Bulgarie comme pour la Roumanie dès le premier jour de leur adhésion. Les deux adhérents ont ainsi entrepris des réformes considérables pour adapter leurs économies et se doter d'une administration et d'une justice capables d'appliquer la législation européenne.
Des périodes de transition ont cependant été prévues dans des secteurs sensibles. Ainsi, comme à l'égard de huit des dix États ayant rejoint l'Union en 2004, la libre circulation des travailleurs bulgares et roumains sera soumise à une période transitoire pouvant durer jusqu'à sept ans. Bien sûr, ces pays ne pourront en outre adhérer à la zone euro et à l'espace Schengen qu'une fois remplies les conditions requises.
Enfin, des mesures de sauvegarde prévues par le traité pourront être prises si des difficultés se font jour. La Commission a notamment prévu la mise en place d'un mécanisme de coopération et de vérification dans les domaines de la réforme de la justice, de la lutte contre la corruption et le crime organisé. Les progrès des deux pays seront régulièrement évalués et la Commission décidera, si nécessaire, d'utiliser la clause de sauvegarde qui prévoit la suspension de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Une première évaluation aura lieu dès le 1er juin 2007.
La Commission a également adopté un mécanisme ad hoc relatif aux aides agricoles, permettant d'en suspendre le versement à la Bulgarie et à la Roumanie en cas de non-fonctionnement des systèmes intégrés de gestion et de contrôle à la date d'adhésion.
Outre ces clauses de sauvegarde spécifiques à ces deux pays, pourront être mises en oeuvre les clauses de sauvegarde générales prévues par l'acquis communautaire, par exemple pour le versement des aides de cohésion.
Enfin, des dispositions exigeantes en matière de sécurité alimentaire, de protection de l'environnement et de sécurité nucléaire ont également été introduites à la demande de l'Union. L'ensemble de ces mesures permettra de préserver l'intégrité de la construction européenne.
Dernière exigence : veiller au bon fonctionnement de l'Union et de ses politiques communes !
Sur le plan institutionnel, les règles avaient été définies dès le traité de Nice et elles s'appliqueront dès le 1er janvier prochain.
S'agissant des politiques communes, la Bulgarie et la Roumanie y participeront selon les mêmes principes que pour les États entrés dans l'Union en 2004. Elles bénéficieront ainsi progressivement de la politique agricole commune et de la politique régionale. Le coût de leur adhésion a par ailleurs été strictement encadré.
Deuxièmement, ce cinquième élargissement consacre davantage l'Europe comme espace de paix, de sécurité et de développement économique et social.
En permettant que la Bulgarie et la Roumanie d'entrer dans l'Union européenne, ce sont deux nouveaux pays qui nous rejoignent au coeur de notre espace de paix et de démocratie commun. C'est conforme à la vocation première de l'Europe depuis les origines.
Par ailleurs, avec ces deux nouveaux États, l'Europe comptera plus de 480 millions d'habitants et sera la première puissance économique du monde. Ces deux pays connaissent une croissance économique soutenue et leur adhésion constitue une opportunité pour les entreprises européennes.
Le processus d'adhésion a d'ailleurs déjà eu un impact positif sur nos exportations et nos investissements, qui ont connu une croissance importante ces dernières années. Avec une hausse de 20 % de nos exportations vers la Roumanie et de plus de 11 % vers la Bulgarie en 2005, la France est aujourd'hui un de leurs partenaires majeurs et elle bénéficie de l'élargissement.
Cet élargissement permet également d'accueillir deux partenaires avec lesquels nos relations politiques et culturelles sont anciennes et denses. Je pense en particulier aux liens qu'entretiennent plus de 800 communes, institutions et associations françaises avec leurs homologues roumaines.
En outre, avec cette adhésion, la diversité linguistique et culturelle de l'Europe sortira renforcée. La place de notre langue en particulier sera plus forte avec ces deux nouveaux États, membres de la Francophonie et dont une grande partie de leurs citoyens pratique le français. La Roumanie a ainsi accueilli la semaine dernière le XIe sommet de la francophonie, auquel a participé le Président de la République et auquel j'ai eu l'honneur de l'accompagner. L'adhésion de ces pays est donc conforme aux intérêts de l'Europe comme à ceux de notre pays.
En tant que ministre chargée de la francophonie, je souligne que l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie porte désormais à quatorze sur vingt-sept le nombre de pays membres de l'Union européenne appartenant à l'Organisation internationale de la francophonie. (Applaudissements.) Au moment où nous menons tous le combat pour préserver l'usage du français au sein de l'Union européenne, l'arrivée de ces deux États est une très bonne nouvelle pour notre langue.
Troisièmement, au-delà de l'adhésion de ces deux pays, le moment est venu de conduire une réflexion approfondie sur le processus d'élargissement en tant que tel.
Nous devons donc à présent réfléchir aux conditions dans lesquelles nous déciderons d'accueillir, à l'avenir, de nouveaux membres. Cette réflexion, nous l'avons engagée en juin dernier à vingt-cinq sur l'initiative de la France, qui a proposé à ses partenaires de mieux définir le concept de capacité d'absorption qui figurait déjà dans les conclusions du Conseil européen de Copenhague en 1993.
Cette réflexion doit porter bien sûr en premier lieu sur l'avenir des institutions.
Le président de la Commission européenne l'a lui-même souligné : « Il serait imprudent d'avancer avec des nouveaux élargissements sans règlement de la question institutionnelle ». Je ferai mienne cette remarque de bon sens.
Les règles que nous nous sommes fixées à quinze ne peuvent pas rester les mêmes alors que nous sommes vingt-cinq et que nous nous apprêtons à passer à vingt-sept. Nous devons donc donner à l'Union élargie les moyens d'être plus efficace, plus transparente et plus démocratique. La séquence qui sera définie par le Conseil européen de juin, lequel débutera sous présidence allemande et s'achèvera sous présidence française, doit nous permettre de trouver les solutions nécessaires.
Mais la réflexion sur la capacité d'absorption supposera aussi de s'interroger sur l'évolution des politiques communes et de leur financement. Cette dimension figure d'ailleurs expressément dans les conclusions du Conseil européen de juin. En outre, cette réflexion devra également prendre en compte la perception actuelle et future de l'élargissement par les citoyens.
Telles sont les questions auxquelles nous devons continuer de réfléchir. La Commission européenne présentera, au mois de novembre prochain, un rapport spécial sur tous les aspects qui ont trait à la capacité d'absorption. Et je veux le dire de façon claire : il ne serait pas responsable d'envisager de nouveaux élargissements tant que ces questions n'auront pas trouvé de réponse. Le Sénat peut compter sur le Gouvernement afin que cette réflexion, qui est d'ores et déjà engagée, soit menée à son terme.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour l'ensemble des raisons que je viens d'exposer, j'ai l'honneur de vous demander de bien vouloir autoriser la ratification du traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Blanc, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui est placé sous le signe du respect de la parole donnée par l'Europe, sous l'impulsion forte de la France, qui a toujours été l'avocat - et je m'en réjouis ! - tant de la Roumanie que de la Bulgarie tout au long de laborieuses négociations.
Cette parole, c'est un engagement pris il y a plus de treize ans lorsque la perspective a été ouverte aux pays d'Europe centrale et orientale de rejoindre le processus de construction européenne. Il s'agissait pour l'Europe de consolider l'ancrage démocratique de ces États qui venaient de recouvrer leur pleine souveraineté, de leur offrir de participer à leur tour à une communauté de valeurs et d'élargir l'espace où se concrétise le projet des pères fondateurs de l'Europe : la paix, construite sur le travail en commun et le développement des échanges.
Cet engagement, c'est aussi celui que nous avons pris avec nos partenaires européens envers la Bulgarie et la Roumanie en décembre 2002 de fixer l'objectif d'une adhésion en 2007 alors que les négociations avec les huit autres pays d'Europe centrale et orientale étaient closes.
La fidélité à la parole donnée et l'amitié n'excluent pas la vigilance ni même l'exigence. La Commission européenne a été ainsi chargée de vérifier que les nouveaux membres pourraient supporter le « choc » de l'entrée dans un espace de libre circulation et que, dans un espace qui repose sur la confiance réciproque, les règles seraient bien les mêmes pour tous.
Au cours des dernières années, sous le regard attentif de la Commission, la Bulgarie et la Roumanie ont, il faut le souligner, accompli un travail d'adaptation considérable, reprenant à leur compte l'ensemble de l'acquis communautaire, se prêtant à des évaluations régulières - sans doute difficiles par moment -, intégrant parfois des notions jusqu'alors étrangères à leur tradition juridique au risque, comme me l'ont indiqué certains parlementaires, d'en affecter l'équilibre.
Avec cette mise en ordre de marche, les deux pays se sont tournés vers l'Europe. Les règles juridiques ont été adaptées, les échanges commerciaux se sont réorientés, des visas ont dû être imposés à des États tiers.
L'Union européenne a accompagné ce processus, non seulement financièrement, avec des programmes de préadhésion, mais aussi humainement, avec le concours des États membres, en particulier de la France.
Au Sénat, les excellents travaux de la délégation pour l'Union européenne, conduits par MM. Aymeri de Montesquiou et André Ferrand, nous ont permis de suivre l'évolution des préparatifs bulgares et roumains durant plusieurs années, et des rapports ont jalonné ces observations.
Les deux groupes d'amitié, présidés respectivement par M. Jean-François Picheral et par M. Henri Revol, se sont rendus sur place. J'ai pu moi-même y participer. En outre, en ma qualité de rapporteur, et j'en remercie le président de la commission des affaires étrangères, j'ai effectué un déplacement dans les deux pays à la mi-septembre, et j'y ai été reçu très chaleureusement. Tous, nous avons pu prendre la mesure à la fois de l'ampleur de la tâche et des résultats obtenus.
Le traité d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie est très semblable à celui qui a permis l'entrée des dix nouveaux États membres en 2004. La totalité de l'acquis communautaire s'appliquera aux deux pays dès leur adhésion, mais avec quelques aménagements. Ainsi, la participation à l'euro et à l'espace Schengen ne pourront intervenir qu'après un certain délai. Les actuels États membres pourront décider d'apporter des restrictions à la libre circulation des travailleurs tandis qu'un certain nombre de périodes transitoires ont été accordées par l'Union européenne aux deux nouveaux entrants dans des domaines qui, à leurs yeux, nécessitent un temps d'adaptation plus important.
Il n'est pas inutile de préciser ici que la démographie est en baisse tant en Roumanie qu'en Bulgarie et que le développement économique y est en pleine expansion. L'immigration s'étant déjà produite, notamment vers l'Espagne et l'Italie, il ne faut donc pas craindre une vague migratoire importante. Il fallait souligner ce point !
Sur la période 2007-2009, un plafond de 16 milliards d'euros de crédits d'engagement a été fixé pour les deux pays, qui devraient recevoir 42 milliards d'euros dans le cadre des perspectives financières 2007-2013.
Les deux pays bénéficieront de manière progressive des aides directes au titre de la politique agricole commune : 25 % en 2007, 100 % en 2016. Le traité d'adhésion leur donne la possibilité de compléter ces montants par des aides nationales.
Les deux pays seront logiquement bénéficiaires des aides régionales et de cohésion, dont le montant reste cependant plafonné à 2,4 % du PIB en 2004 et à 4 % - soit les conditions générales - en 2009.
Sur le plan institutionnel, Bulgarie et Roumanie auront chacune un commissaire, le Parlement européen comptera dix-huit députés bulgares et trente-cinq députés roumains, et les deux États disposeront respectivement au Conseil de 10 et de 14 voix sur 345. En outre, au comité des régions d'Europe, la Bulgarie comptera douze membres et la Roumanie aura quinze représentants.
Ces dispositions ont prévalu pour l'élargissement de 2004 ainsi que les trois clauses de sauvegarde prévues par le traité d'adhésion, qui permettent, dans les trois ans qui suivent l'adhésion, de prendre des mesures en cas de perturbation de la situation économique d'un État membre - qu'il soit ancien ou nouveau - ou lorsque l'acquis n'est pas correctement appliqué et risque d'affecter le fonctionnement du marché intérieur ou la coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
Dans son rapport de suivi du 26 septembre dernier, la Commission européenne n'a pas recommandé le recours à un mécanisme propre au traité d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie permettant de reporter l'adhésion d'un an. Cette proposition est heureuse. C'est en effet la possibilité du report de l'adhésion qui avait permis la clôture des négociations.
Chaque rapport de suivi de la Commission européenne a souligné des avancées et une tendance positive tout en relevant, sans complaisance, les réformes à poursuivre, en particulier dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.
Cette épée de Damoclès au-dessus de ces deux pays depuis la clôture technique des négociations les a inquiétés, mais elle a constitué un aiguillon considérable. Le volontarisme politique n'a pas fait défaut à ces deux pays, y compris pendant les mois d'été, et l'essentiel du travail normatif a été accompli.
Il s'agit désormais, comme l'ont souligné nos interlocuteurs roumains et bulgares, de marquer la détermination des autorités à maintenir le cap de la lutte contre la corruption, le crime organisé, le blanchiment d'argent, afin d'enraciner ces réformes dans la pratique et de les rendre irréversibles. Telle est la volonté de ces pays et nous la partageons.
Les conditions d'entrée de la Bulgarie et de la Roumanie sont marquées par une nouveauté : dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, des mesures d'accompagnement viseront à aider les deux pays à se mettre en pleine conformité avec l'acquis communautaire.
La Commission européenne a défini des objectifs de référence - six pour la Bulgarie, quatre pour la Roumanie - et fera rapport sur les avancées réalisées, en conservant la possibilité d'activer, le cas échéant, comme le prévoit le traité d'adhésion, la clause de sauvegarde.
En matière agricole, de formidables efforts ont été réalisés par les deux ministres de l'agriculture roumain et bulgare - je les ai rencontrés tous les deux et ils sont bien conscients de la nécessité d'aller jusqu'au bout - pour que les mécanismes de gestion des aides soient opérationnels. Si leurs efforts considérables ne permettaient pas dans l'immédiat l'application rigoureuse de ces mécanismes, la Commission européenne a prévu la possibilité de moduler le délai pendant lequel les aides seraient versées, sous contrôle.
La Commission européenne se réserve donc la possibilité de retenir éventuellement une partie de ces sommes. Néanmoins, j'ai pu constater combien les ministères de l'agriculture de ces deux pays ont mis en place les réponses nécessaires afin que tout se déroule dans les meilleures conditions.
Des garanties ont donc été prises pour accueillir nos partenaires bulgare et roumain comme membres à part entière de l'Union européenne : ce n'est pas leur faire insulte, c'est au contraire répondre à leur volonté de réussir l'intégration, dont la commission des affaires étrangère du Sénat se félicite.
Pour autant, sans rapport avec le degré de préparation des deux candidats, il est certain que le climat qui préside à leur entrée aurait pu être plus favorable.
Dix nouveaux membres ont rejoint l'Union européenne en 2004, à une période où la perspective d'une réforme institutionnelle était proche. Après le « non » français et néerlandais au traité constitutionnel - et dont les Roumains ou les Bulgares ne peuvent être rendus responsables ! -, le dilemme entre élargissement et approfondissement, que nous avions cru un temps pouvoir dépasser, se rappelle à nous vigoureusement.
Certes, l'Union européenne ne s'est pas effondrée au lendemain du « non » français, mais elle peine à retrouver l'élan dont elle a besoin pour faire face aux nombreux défis qu'elle doit relever : promouvoir ses valeurs de dialogue et de primauté du droit ; tenir son rang dans la mondialisation, avec, à ses portes, des espaces de pauvreté et de conflits ; être à même d'identifier ses intérêts propres, de les formaliser et de les faire valoir sur la scène internationale. La Roumanie et la Bulgarie peuvent nous aider à retrouver cet élan et cet enthousiasme.
Cette Europe-là a commencé de naître dans les douleurs de la guerre des Balkans, au coeur du continent européen. C'est alors que nous avons réalisé que le sens même du projet européen serait en question si l'Europe ne se donnait pas la capacité d'agir. L'Afrique et le Moyen-Orient nous sont aussi proches, et nous laissent aussi peu de choix.
Voisins des Balkans occidentaux, dont les drames se poursuivent et dont la stabilité est loin d'être assurée, la Bulgarie et la Roumanie réalisent pleinement ce qu'un espace de paix et de prospérité signifie. Ces deux pays sont également conscients que cette paix dépend du renforcement des capacités de l'Union européenne.
Le déplacement que j'ai effectué au mois de septembre dernier avait autant pour objet d'observer les préparatifs de l'adhésion que d'apprécier la vision de l'Europe que les Bulgares et les Roumains souhaitent privilégier.
J'ai pu constater que l'équilibre Nord-Sud, le projet euro-méditerranéen et la politique de voisinage rencontraient un écho particulier dans ces pays qui seront la nouvelle frontière extérieure de l'Union européenne et qui ont une position forte en mer Noire ainsi que des liens privilégiés avec la mer Égée et la Méditerranée.
S'ils entendent assumer pleinement leur rôle au sein de l'Europe, ces pays souhaitent également jeter des ponts et nouer des coopérations avec les voisins de l'Europe. Je crois sincèrement que, sur ce terrain, ils apporteront beaucoup à l'Union européenne et qu'ils nous aideront à retrouver une dynamique, servie par des institutions plus efficaces.
La France trouvera dans ces nouveaux partenaires fortement francophones - Mme le ministre l'a très justement rappelé et le dernier sommet de Bucarest vient d'en témoigner - deux États attachés au principe de solidarité et aux politiques communes. Le développement rural et la politique agricole commune y trouveront, j'en suis sûr, des soutiens résolus. Je pense sincèrement que, sur nombre de sujets, nous trouverons des alliés dans la Bulgarie et la Roumanie.
Après avoir concentré nos efforts sur l'adhésion, désormais très proche, il reste à réussir l'intégration de nos deux nouveaux partenaires et à encourager leur convergence rapide au sein de l'Union européenne afin de ne pas décevoir les attentes, très fortes, des populations. Je crois qu'un consensus se fait jour sur la nécessité d'instaurer un temps de consolidation pour l'Union européenne, comme Mme le ministre l'a souligné voilà quelques instants.
Le processus de ratification du traité d'adhésion est désormais très avancé au sein de l'Union européenne, vingt-deux États ayant déjà achevé leur procédure. Après la ratification française, l'Allemagne et le Danemark devront clore le cycle de ratification.
Le projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale au mois de juin dernier. Il est examiné en séance plénière ici même au lendemain du dernier rapport de la Commission européenne, non parce que nous avons voulu ralentir les débats, mais parce que nous avons souhaité respecter davantage les travaux de la Commission. Quoi qu'il en soit, l'examen de ce texte aujourd'hui par le Sénat ouvre la voie à la ratification française.
Aussi la commission des affaires étrangères vous invite-t-elle, mes chers collègues, à approuver le projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. C'est avec beaucoup d'enthousiasme et de fierté que j'exprime cette demande en tant que rapporteur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la délégation pour l'Union européenne, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui invités à autoriser la ratification du traité d'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie à l'Union européenne. Nous nous préparons ainsi à clore une étape historique de la réconciliation européenne, engagée en 1993 à Copenhague.
Il faut rappeler que cette adhésion roumaine et bulgare s'inscrit pleinement dans la cinquième vague d'élargissement, qui comprenait également les autres États d'Europe centrale et orientale ayant intégré l'Union européenne le 1er mai 2004. La Bulgarie et la Roumanie avaient été alors distinguées de leurs voisins en raison des progrès complémentaires que ces deux pays devaient impérativement réaliser dans certains domaines essentiels, à l'égard des critères requis.
Notre rapporteur, M. Jacques Blanc, a détaillé avec beaucoup de clarté et d'enthousiasme le cheminement courageux et difficile que ces deux pays ont suivi depuis l'ouverture des négociations, et qu'ils devront d'ailleurs encore poursuivre dans certains secteurs, comme l'a rappelé la Commission européenne dans son dernier rapport d'évaluation en date du 26 septembre dernier.
Les exigences posées par l'Union européenne étaient légitimes. Elles auront au total été sensiblement supérieures à ce qui fut demandé aux autres nouveaux États membres.
Le mécanisme du report possible de la date d'adhésion sur le fondement des évaluations de la Commission européenne illustrait cette singulière vigilance dont a été entouré l'ensemble du processus. Le « système de surveillance permanente » qui sera bientôt mis en place en est un autre exemple.
Comme notre rapporteur l'a indiqué, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite bien sûr à adopter le présent projet de loi, ce qui conduira la Bulgarie et la Roumanie à nous rejoindre dès le 1er janvier prochain. Il n'est pas indifférent de rappeler - vous l'avez d'ailleurs fait, madame la ministre - que ces pays enrichiront aussi l'Union européenne d'une tradition francophone ancienne et vivante, et nous devrons les aider à la préserver.
Mais au moment où se clôt cette cinquième phase d'élargissement, celle des retrouvailles des deux Europe séparées par l'histoire, l'Union européenne, c'est le moins que l'on puisse dire, traverse une crise profonde.
Mme la ministre déléguée aux affaires européennes, lors de la dernière conférence des ambassadeurs, le 29 août dernier, nous a, avec beaucoup de clarté et de réalisme, brossé un tableau lucide de la situation actuelle de l'Union.
Elle relevait notamment, à juste titre, que l'élargissement modifie en profondeur la nature même du projet européen et qu'il importait désormais de tirer les conséquences institutionnelles, financières et politiques que ce changement implique dans le fonctionnement et l'ambition futurs de l'Union.
Nous n'oublions pas qu'un nouveau cycle a déjà été lancé à l'intention des Balkans. Là encore, des engagements ont été pris de part et d'autre. La promesse faite à ces pays d'une adhésion à l'Union est une garantie pour la réconciliation de peuples et de communautés qui, il y a peu encore, se livraient à une guerre féroce. Cette perspective est, pour eux, un aiguillon afin d'engager des réformes nécessaires et de développer de nouveaux comportements politiques, adaptés aux exigences des démocraties modernes.
Ces engagements devront être tenus, mais pour qu'ils prennent tout leur sens, pour que ces garanties mêmes soient solides et crédibles, l'Union doit se donner un calendrier prudent et elle doit prendre le temps du débat afin d'imaginer des solutions nouvelles pour résoudre ses difficultés.
Le concept de capacité d'assimilation que le Conseil européen du mois de juin dernier a intégré dans ses conclusions, sur proposition de la France, prend en compte un certain nombre de ces conditions préalables. Il s'articule autour de trois questions.
Premièrement, que voudrons-nous faire, à vingt-sept, de nos politiques communes et avec quels financements ?
Deuxièmement, que voudrons-nous faire, à vingt-sept, pour rénover notre architecture institutionnelle, sujet central où tout, ou presque, reste à reconstruire après l'échec du projet de traité institutionnel ? L'enjeu en est connu : comment donner à l'Union une véritable capacité de décision sur les sujets majeurs où elle est attendue par les Français et, en fait, par tous les peuples européens ? Au travers de quelles nouvelles règles de majorité qualifiée, de quels nouveaux équilibres entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen, cela se fera-t-il ?
Il reviendra à la présidence allemande, au prochain semestre, de lancer une nouvelle dynamique en ce domaine, qui pourrait s'étendre jusqu'à la présidence française à la fin de 2008, à l'issue de laquelle les décisions devront impérativement être prises.
Troisièmement, enfin, que pourrons-nous faire à vingt-sept pour relancer l'accompagnement démocratique de la démarche européenne, accompagnement que nos concitoyens ne perçoivent plus et qui portera en premier lieu sur les élargissements futurs, lesquels entraîneront d'ailleurs une nécessaire réflexion sur les frontières finales et sur l'identité même de l'Union européenne demain ?
Je souhaite pour ma part que notre prochaine campagne électorale ne fasse pas l'impasse sur ces divers enjeux, tant l'Europe conditionne la qualité de la vie quotidienne de chacun.
Cette réflexion sur la capacité des nations à assimiler les exigences de l'Union européenne n'est d'ailleurs pas à sens unique : elle concerne tout autant ses nouveaux membres.
Dans ces pays récemment entrés dans l'Union, la perspective de l'adhésion a nourri des attentes et des espoirs qui se sont souvent évanouis au contact de la réalité économique et sociale. Comme l'actualité récente l'a montré, il peut résulter de ces déceptions populaires une fragilité politique qui, s'agissant de démocraties encore jeunes, ne peut nous laisser indifférents.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en parachevant cette phase historique de l'élargissement, nous comblons un fossé ancien entre les deux parties d'une même Europe. Je crois qu'il faut désormais s'attacher à combler le fossé entre l'Union et les Européens eux-mêmes, entre ce qu'elle peut leur apporter et ce qu'ils en attendent. L'accomplissement espéré du rêve européen est sans doute à ce prix. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)