M. Roger Madec. Qui plus est, l'OCDE elle-même a reconnu que la flexibilité n'avait qu'un effet « ambigu » sur le chômage.
En définitive, le CPE n'apportera aux entreprises aucune incitation supplémentaire à l'embauche. En revanche, les dommages collatéraux pour les jeunes salariés seront considérables. Comment faire valoir ses droits lorsque l'on peut être licencié sans motif ? Comment faire respecter sa dignité alors qu'à la moindre contrariété l'employeur peut mettre fin au contrat de travail ? Selon une récente étude de la SOFRES, 40 % des salariés du privé déclarent ne pas se syndiquer « par peur des représailles » ; il est fort à craindre que ce chiffre n'atteigne 100 % parmi ces jeunes en situation précaire. Quant au droit de grève, il demeurera pendant deux ans une possibilité bien lointaine pour eux !
Au regard de son inefficacité et de l'importance de ses effets pervers, cette mesure doit de toute évidence être retirée. La gravité du chômage des jeunes ne peut justifier l'adoption de toutes sortes de mesures qui fragilisent le monde du travail, et nous devons nous méfier de l'alarmisme du Gouvernement, qui brandit l'épouvantail du chômage pour casser le code du travail.
Certes, le taux des actifs de moins de vingt-cinq ans en recherche d'emploi est en France, avec 23 %, l'un des plus élevés d'Europe. En revanche cette proportion tombe à 8,1 % si l'on rapporte les jeunes chômeurs à l'ensemble de la population des quinze-vingt-cinq ans, soit un chiffre très comparable à celui de l'Angleterre.
Par ailleurs, le Premier ministre répète qu'il faut onze ans à un jeune pour s'insérer durablement sur le marché du travail. En réalité, trois ans après la sortie du système éducatif, 80 % des jeunes ont déjà un emploi, et les deux tiers travaillent en CDI. Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi il faudrait infliger un CPE à toute la jeunesse alors que, pour sa plus grande partie, elle peut espérer travailler en CDI. Quant à la minorité de jeunes les plus en difficulté, elle restera de toute façon en dehors de ce dispositif.
Une autre voie existe, messieurs les ministres délégués, une méthode qui a permis entre 1997 et 2002 de réduire de 200 000 le nombre des jeunes au chômage. Mais, depuis le début de la législature, ce chiffre n'a cessé de recommencer d'augmenter, et l'on compte aujourd'hui 30 000 jeunes chômeurs supplémentaires, puisque vous vous êtes empressés de mettre à bas le système des emplois-jeunes, qui avait pourtant porté ses fruits.
Aujourd'hui, le Gouvernement cherche à tirer parti de ce bilan désastreux et à exploiter le désarroi grandissant des jeunes pour déréglementer le marché du travail. Mais ceux-ci ne sont pas prêts à n'importe quoi, croyez-le, car ils savent que d'autres solutions existent.
Ni le chômage ni la flexibilité des jeunes ne sont une fatalité ; la gauche l'a prouvé par le passé, et nous nous proposons de recommencer aujourd'hui en vous invitant à supprimer de l'article 3 bis, qui est vraiment indigne du marché du travail au xxie siècle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, sur l'article.
Mme Catherine Tasca. Monsieur le président, messieurs les ministres délégués, mes chers collègues, lorsque le Gouvernement a lancé l'idée du contrat première embauche réservé aux moins de vingt-six ans, assorti d'une période de deux ans - que vous n'osez plus appeler période d'essai ! - qui permet le renvoi sans délai et sans motif, il a beaucoup insisté sur un prétendu argument selon lequel pour les jeunes, qualifiés ou non, mieux valait entrer dans la vie active, quelle que soit la forme du contrat, que de rester sans emploi ; j'ai bien entendu le rapporteur, M. Gournac, sur ce point.
Il est indigne de proposer un tel choix, qui, de fait, n'en est pas un. Quand on a vingt ans, vingt-trois ans, vingt-cinq ans, et que l'on brûle de faire enfin ses preuves, comment résister à une offre d'emploi ?
La flexibilité du travail est présentée comme une nécessité qui serait reconnue par l'ensemble de nos voisins européens. C'est là une rengaine du Gouvernement et d'un certain patronat.
Mme Évelyne Didier. Absolument !
Mme Catherine Tasca. Or, l'année dernière, l'agence Euro-RSCG a conduit dans dix pays représentant 80 % de la population de l'Union européenne une enquête sur les valeurs des Européens. À la question de savoir si, « dans le monde actuel, les entreprises devraient pouvoir embaucher et licencier avec très peu de contraintes », la réponse est sans appel : par 61 % contre 36 %, les Européens répondent par la négative. Pour la jeunesse européenne, la réponse est encore plus nette, puisque les dix-huit-trente-cinq ans répondent par la négative à 70 %. N'attendez donc pas l'adhésion de notre jeunesse à votre projet !
Il existe en fait un modèle européen, reposant certes sur l'adhésion à l'économie de marché, mais heureusement assortie d'une recherche de protection juridique, bâti depuis des décennies, face au marché du travail. Votre projet de CPE est à l'opposé de ce modèle, et la jeunesse, en France comme dans les pays voisins, ne l'accepte pas.
Messieurs les ministres, j'ignore si vous avez vous-mêmes été salariés d'une entreprise à vos débuts, j'ignore si vos enfants et ceux de vos amis le sont aujourd'hui.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Mais oui !
Mme Catherine Tasca. Mais je vous pose la question, avec votre contrat première embauche, quel regard portez-vous sur la jeunesse de notre pays ? Un regard de vieux, et de vieux nantis. Et quel avenir lui proposez-vous ? Tout d'abord, vous discréditez notre enseignement général, professionnel et supérieur en mettant d'emblée en doute la capacité des jeunes à entrer efficacement dans la vie active. Si doute vous avez sur ces enseignements, alors, il faut améliorer leurs programmes, leurs méthodes, leurs moyens d'action, c'est-à-dire conduire une politique qui soit tout le contraire de celle que vous menez depuis quatre ans.
Une fois muni d'un CPE, tout jeune va faire l'apprentissage de la précarité et de la dépendance.
Précarité angoissante, puisque, en cas de rupture du contrat, il se trouvera quasiment sans protection juridique, sans droit de défense, et sans enseignement à tirer de son apparent échec puisqu'il n'aura aucune explication. L'absence de motif laissera aussi le champ libre à n'importe quelle interprétation par d'éventuels futurs employeurs. Un tel dispositif, cela a été rappelé, contredit la convention 158 de l'OIT, reprise à l'article 24 de la Charte sociale européenne et clairement réaffirmée par le Conseil d'État dans sa décision du 19 octobre 2005.
Apprentissage de la dépendance, aussi : en effet, beaucoup de jeunes sont déjà maintenus trop longtemps dans la dépendance à l'égard de leur famille en raison de la situation de l'emploi, et en raison de la spéculation foncière et immobilière qu'encourage votre politique et qui rend si difficile, pour les jeunes travailleurs, l'accès à un logement autonome.
Dépendance accrue à l'égard de l'employeur, ensuite, par cette invention qu'est le CPE. D'abord, en raison de cette précarité que j'ai soulignée, mais aussi parce que, pendant deux ans, et quelles que soient ses performances professionnelles, le jeune salarié hésitera forcément à faire l'apprentissage de l'engagement syndical. Cet engagement est pourtant la voie nécessaire d'une participation effective à la vie de l'entreprise. Or votre gouvernement et votre majorité ne cessent de déplorer hypocritement la faiblesse des organisations représentatives des salariés et l'insuffisance du dialogue social. Tout comme le CNE dans les petites entreprises, le CPE, s'il était adopté, placerait une large fraction de travailleurs en situation objective de soumission à l'égard de leur employeur.
En vérité, s'il faut trouver une flexibilité de l'emploi, celle-ci doit absolument passer par une sécurisation du parcours professionnel et une garantie de formation en entreprise pour le salarié.
La flexibilité qui est organisée par votre CPE humilie les jeunes salariés et les livre à l'arbitraire de certains employeurs. J'en veux pour preuve, ces derniers jours, certains jugements de condamnation prononcés par des conseils de prud'hommes pour rupture abusive d'un CNE, contrat né il y a à peine six mois.
Alors que la plupart des familles, presque dans tous les milieux, vivent une véritable difficulté de dialogue et de compréhension avec leurs enfants, vous donnez aux jeunes en âge de travailler un signe de profonde défiance à l'égard du parcours qu'ils ont déjà accompli et de celui qu'ils seront capables d'accomplir. Comment, alors, leur demander d'être constructifs et solidaires dans une telle société ? Nous voterons donc résolument contre votre projet de CPE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, messieurs les ministres délégués, mes chers collègues, il y a certains paradoxes dans la politique du Gouvernement en matière d'emploi. L'un deux tient tout simplement aux réalités que l'on peut observer aujourd'hui par rapport à l'année 2005.
En effet, le Gouvernement a annoncé qu'en 2005 le nombre de chômeurs avait diminué de 2,5 % et, en même temps, on a constaté un accroissement très sensible du déficit des ASSEDIC.
Je ne sais pas comment on peut expliquer que, l'année où l'on prétend que le chômage diminue, le budget des ASSEDIC soit en baisse.
Par ailleurs, je ne comprends pas bien comment, au cours de cette même année 2005, le nombre de chômeurs aurait diminué de 5,2 %, tandis que le nombre de RMIstes aurait, quant à lui, augmenté de 5,2 %.
Ces chiffres suscitent un certain malaise et le moins que l'on puisse dire, c'est que la politique qui est menée ne se traduit pas par des créations d'emplois.
Il est un autre paradoxe, messieurs les ministres délégués. Vous donnez le sentiment que la mise en oeuvre de ce dispositif, qui est inacceptable pour de nombreuses raisons, créera des emplois du fait de la nouvelle possibilité de licenciement sans cause.
On peut comprendre qu'il y ait des licenciements et on peut le déplorer, mais il y a toujours une raison : soit une raison économique soit, comme le dit l'OIT, une raison due à des insuffisances professionnelles, par exemple. Mais le licenciement sans cause est quelque chose d'injustifiable, et ce qui est encore plus injustifiable, c'est de le réserver aux jeunes.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. En d'autres termes, le licenciement sans cause est interdit, sauf pour les jeunes. Vous envoyez donc à la jeunesse le message suivant : la précarité, c'est pour vous.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. On peut vous licencier à tout moment, sans raison, uniquement parce que vous êtes jeune. C'est inacceptable, et je n'ai pas entendu, depuis le début du débat, un seul ministre réussir à le justifier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas. Parce qu'ils ne peuvent pas l'expliquer !
M. Jean-Pierre Sueur. Tout à l'heure, l'un de nos collègues a employé un mot qui m'a choqué : il a dit qu'il fallait tenir compte de la « psychologie » des chefs d'entreprise, de la « psychologie des employeurs », car, si on heurtait leur psychologie, on ne créerait pas d'emplois.
Mon cher collègue, les salariés, les chômeurs ou les jeunes en difficulté ont aussi une « psychologie » ; 40 % des jeunes qui vivent dans nos quartiers n'ont pas de travail, sont rejetés et la seule possibilité qu'on leur offre, c'est d'avoir un « emploi » assorti d'une période de deux ans à l'issue de laquelle on pourra les licencier sans cause. Quel effet cela peut-il avoir sur la psychologie d'un jeune ?
Et quand, en plus, on prévoit un délai de carence de trois mois, cela signifie que, après un CPE, on pourra reprendre le même jeune en CPE. Autrement dit encore, on pourra, pour la même tâche, engager successivement, et d'ailleurs de manière pérenne, des CPE après des CPE et avant d'autres CPE.
Ce n'est pas digne de la jeunesse et il y aurait une tout autre politique à mener qui consisterait à faire confiance aux jeunes et à leur dire : parce que nous vous respectons et parce que nous savons que vous pouvez apporter beaucoup à la société, nous vous offrons un véritable contrat de travail. Un contrat où il y a des droits, tous les droits, d'un côté et uniquement la précarité, de l'autre côté, ce n'est pas un contrat de travail.
Si vous faisiez confiance et si vous jouiez la carte du respect, vous seriez mieux entendus par les jeunes. Là, vous leur tournez le dos et je considère que c'est très grave pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l'article.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, mes chers collègues, depuis le début de l'examen de ce texte, le Gouvernement s'embarrasse de peu de principes pour faire appliquer son plan d'urgence pour l'emploi. Le Parlement est prié fermement de ne pas trop s'en mêler, nous l'avons vu ces derniers jours.
En juillet dernier, ce fut par voie d'ordonnances, avec notamment le CNE, ou encore par l'ordonnance spécifique pour le contrat de transition professionnelle, le CTP. Désormais, c'est à coup d'amendements de dernière minute, disséminés au fil des projets de loi inscrits à l'ordre du jour.
Dans la loi relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, vous avez fait introduire, en deuxième lecture, au Sénat, juste avant l'examen en commission mixte paritaire, une disposition qui élargit les cas de recours à l'intérim.
Aujourd'hui, c'est au tour du CPE ; demain, ce sera l'allongement de la durée d'activité des seniors et de nouvelles possibilités de détachement d'un salarié dans une autre entreprise.
« Faire entrer le marché du travail français dans la modernité », tel est le credo du Premier ministre qui, quand il parle d'emploi, ne pratique pas la modération. Les mesures annoncées le 16 janvier dernier, sous couvert de lutte contre le chômage des jeunes, sont finalement des attaques en règle contre le code du travail. La modernité, c'est la précarité organisée par l'État !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Même en jouant sur l'angoisse du chômage et en y mettant parfois les formes - accès au logement, accès au crédit, vous tentez de rassurer les jeunes, mais cela ne les rassure pas, et ils ont bien raison - vous ne parvenez pas à convaincre la jeunesse qui, malgré les vacances scolaires, continue de se mobiliser.
Nous avons la conviction que la rapidité avec laquelle vous avez voulu débattre ici de ce projet de loi visait à ce qu'il soit adopté pendant les vacances scolaires. En effet, les jeunes ont compris que le contrat que vous leur imposez constitue une discrimination insupportable et une injustice organisée par l'État au profit des entreprises.
Plus que de la flexibilité, ce contrat instaure de la précarité. Le CPE sera désormais la voie d'accès unique à l'emploi pour les jeunes, à condition de passer sans encombre la « période d'essai » de deux ans. Ce sont les mots qui ont été employés par M. le Premier ministre, qui s'est vite ravisé, s'apercevant que cette expression pouvait être fort mal interprétée ; on a donc rebaptisé la période d'essai en « période de consolidation ». En fait, c'est une période juridiquement innommable, qui n'a pas de définition...
M. Roland Courteau. C'est exact !
M. Jean-Pierre Godefroy. ... sauf à tomber sous le coup de la convention 158 de l'OIT et l'article 24 de la charte sociale européenne dont nous avons autorisé l'approbation par la loi du 10 mars 1999.
M. Jean-Pierre Sueur. Cette période est innommable et innommée.
M. Jean-Pierre Godefroy. Absolument !
C'est toute une génération de nouveaux entrants sur le marché du travail qui devra désormais passer par cette case CPE et ses deux ans de doutes et d'angoisses face au risque de pouvoir être licencié sans motif.
D'ailleurs, pensez-vous, monsieur Larcher, comme l'a dit Jean-Pierre Sueur tout à l'heure, que licencier sans motif des jeunes qui veulent entrer dans la société, qui veulent être pris en considération, sans aucun entretien préalable, représente véritablement le modèle que les adultes veulent donner à notre jeunesse ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Les jeunes ont besoin qu'on leur parle et qu'on leur explique les choses, et ceux qui sont en difficulté dans les banlieues en ont encore plus besoin. Ils n'ont pas besoin d'ordre, ils ont besoin de discussions, de rapports de convivialité avec nous. C'est ce qui leur manque et c'est ce que vous leur reprochez aujourd'hui.
Bien sûr, rien n'est plus révoltant que de voir plus de 20 % des jeunes au chômage dans une société vieillissante, qui, par ailleurs, s'inquiète du manque de bras et de cerveaux. Pourtant, comme l'a rappelé tout à l'heure ma collègue Raymonde Le Texier, il faut relativiser ce chiffre : un calcul simple permet de montrer que sur 100 jeunes en âge de travailler dans la tranche des seize - vingt-cinq ans, seuls 33 % sont actifs. Nous pourrions avoir un débat sur les raisons de ces chiffres. Les autres poursuivent leurs études. C'est parmi ces 33 % que le taux de chômage est d'environ 20 %. Voilà qui est, bien évidemment, insupportable. Et c'est justement à eux, monsieur le ministre délégué, que vous offrez comme réponse l'apprentissage à quatorze ans - cela a failli être treize ans et neuf mois, vendredi dernier - et le CPE.
De plus, ce taux de chômage élevé provient des 15 % à 20 % d'élèves qui vivent l'école comme un lieu d'échec et d'exclusion et en sortent sans acquis minimal. La lutte contre le chômage des jeunes devrait commencer par tarir sa source : l'échec scolaire et l'incapacité de notre société à transmettre les savoirs, les valeurs et les comportements indispensables pour l'autonomie, l'épanouissement, mais aussi la sociabilité et l'employabilité des individus. Il faut s'attaquer à la racine du mal, c'est-à-dire à la formation et à la qualification, et ce n'est pas ce que vous faites.
On le sait, l'emploi dépend de la croissance, de la fluidité du marché du travail et de la bonne articulation entre éducation et emploi. Or ces trois conditions posent encore problème. Le CPE, lui, ne créera qu'un effet d'aubaine pour les employeurs, qui vont embaucher des jeunes à l'essai, en consolidation ou en période innommée, pendant deux ans, en exonérations de charges, exonération dont, d'ailleurs, on ne sait pas si elles seront compensées.
M. Roland Muzeau. Tout à fait !
M. Guy Fischer. On demandera à M. Vasselle ce qu'il en pense !
M. Jean-Pierre Godefroy. Il faudra que nous ayons une réponse sur ce point aussi.
Le CPE se substituera donc aux CDD et aux CDI.
En l'espace de deux mesures, le champ laissé au CDI classique s'est déjà singulièrement rétréci. Et la troisième phase de cette bataille pour l'emploi pointe déjà son nez : ce sera celle de la « réforme globale du contrat de travail ». Pour parler plus distinctement, ce sera celle du contrat unique, le contrat « adapté aux mutations économiques de notre société », c'est-à-dire le contrat de la précarité généralisée, comme le demande le MEDEF, je vous renvoie aux propos de Mme Parisot.
Pour toutes ces raisons, et bien d'autres encore que je n'ai pas abordées- nous y reviendrons - nous ne voterons pas ce projet de loi, et non seulement nous ne le voterons pas, mais nous avons bien l'intention de nous y opposer pied à pied tout le temps qu'il faudra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Nous l'avions bien compris, mon cher collègue ! (Sourires.)
La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Messieurs les ministres délégués, ne craignant aucun paradoxe, ce sera donc au nom du social que vous détournez à l'envi le sens des mots, dans des proportions telles que la précarisation des conditions peut désormais signifier « égalité des chances » et « sécurisation des parcours professionnels ».
« CNE » et « CPE » sont présentés comme des solutions aux problèmes que poserait la rigidité du contrat à durée indéterminée. Cela sous-entend que le droit du travail est, en l'état, une des causes du sous-emploi de certaines catégories de la population, dont les jeunes, nombre de mes collègues l'ont dit.
Malheureusement, le droit du travail a d'ores et déjà été largement flexibilisé, les employeurs ayant produit, dans les faits, toute une série d'instruments d'ajustement. Ceux-ci se sont mis en place progressivement, et donnent en même temps une idée assez précise de la manière dont le CPE sera utilisé.
En novembre 2005, une étude du ministère de la justice, confirmant plusieurs analyses proposées par la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, la direction des études de votre propre ministère, monsieur Larcher, relevait, outre une forte augmentation de la proportion des litiges émanant du secteur des services, soit 56,1 % du contentieux prud'homal, une très nette inversion dans les motifs de licenciement.
Alors qu'en 1993 les licenciements dits « économiques » constituaient 61 % de l'ensemble des motifs de licenciement, ils ne représentent plus que 24 % des licenciements intervenus en 2004. Cela signifie qu'aujourd'hui 76 % des licenciements ne relèvent pas de plans sociaux.
Le nombre de licenciements n'ayant pas globalement diminué ces dernières années et l'économie des services ne cessant, en France, de gagner en importance, c'est la structure générale de l'emploi qui se trouve transformée. Il en résulte que les formes dominantes du licenciement qui frappent les salariés changent de nature pour s'individualiser, augmentant ainsi considérablement la précarisation des relations du travail.
De fait, cette tendance montre que c'est de plus en plus souvent à titre personnel qu'un salarié se trouve saisi par les dynamiques économiques, ce que confirme la DARES en soulignant que « des observations convergentes relient la progression des licenciements pour motif personnel à des pratiques nouvelles de gestion de l'emploi et des effectifs », visant à licencier de manière « moins visible », tout en préservant « l'image de l'entreprise » et en passant pour « indolores » pour le corps social.
Plus fondamentalement, cette progression paraît liée à la diffusion des modes de management par objectifs rendus plus « individualisants », plus systématiques et plus efficaces grâce à une organisation du travail qui intensifie celui-ci et accorde une place prépondérante aux nouvelles technologies de l'information.
La DARES constate ainsi que les licenciements pour insuffisance de résultats progressent de manière significative depuis les années quatre-vingt, qu'ils touchent plus particulièrement les hommes, affectent en priorité les salariés âgés de cinquante ans et plus, les cadres et les agents de maîtrise et, enfin, qu'ils concernent davantage les entreprises de main-d'oeuvre et les enseignes « multimarques ».
À terme, le CPE ne fera que participer de cette tendance lourde à l'individualisation du licenciement en particulier, et du rapport à l'emploi et à la protection en général.
Or, au regard du fort déséquilibre du rapport des forces dans le contexte d'un chômage de masse, ce phénomène n'aboutit en fait qu'à la précarisation renforcée des conditions d'existence des salariés.
Cette généralisation de la précarité n'affecte pas seulement ceux qui, parmi les jeunes - pour diverses raisons, notamment du fait de leur niveau et de leur type de formation - pouvaient espérer obtenir rapidement un contrat à durée indéterminée. Elle affecte tous les jeunes, même si cela se fait selon différentes modalités et à des degrés divers, tout simplement parce que la possibilité d'être licencié à tout moment est plus gênante que la certitude sur le terme de son contrat.
Si un jeune bénéficie d'un contrat de courte durée, il peut l'accepter tout en continuant de chercher un emploi à durée indéterminée. Le CPE est au contraire, pendant deux ans, au sens littéral, un contrat indéterminé dans la mesure où il laissera le jeune salarié dans un état de parfaite indétermination quant à son avenir.
L'assouplissement extrême de la procédure de licenciement, qui pourra se passer ne serait-ce que de l'invocation d'un motif, exposera le jeune à l'arbitraire.
Tout à l'heure, mes chers collègues, vous avez parlé de psychologie. Avec le CPE, et j'attire votre attention sur ce point, le jeune se trouvera, pendant deux ans, soumis à la domination de sa hiérarchie au sein de l'établissement. Même si cette domination ne se traduit pas, de la part de l'employeur, par des exigences et des attitudes abusives, ce pouvoir de nuisance sera pourtant toujours possible.
Je conclurai en me référant à un philosophe politique américain, Philip Pettit.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Parce que les Américains font désormais partie de vos références ?
M. David Assouline. Bien sûr, à condition qu'ils ne disent pas des bêtises. Je ne suis pas antiaméricain.
M. Christian Cambon. Quand cela vous arrange !
M. David Assouline. Permettez-moi de vous donner lecture de ce qu'il écrivait récemment à propos de cette forme insidieuse de domination. Écoutez bien, puis vous me direz si vous partagez son point de vue. « Quand on est exposé à la réalité ou la possibilité d'une interférence arbitraire, on ne souffre pas seulement d'être placé dans une situation de grande incertitude. Cela incite aussi à devoir garder un oeil vigilant sur les puissants, à anticiper sur ce qu'ils peuvent attendre de vous et à chercher à leur plaire, ou à prévoir ce qu'ils feront afin de rester hors de leur chemin. Cela implique de se voir continuellement imposer la nécessité de faire siens une déférence stratégique et un certain souci de l'anticipation. Vous ne pouvez jamais, l'esprit libre, ne vous préoccuper que de vos propres affaires ; il vous faut naviguer dans une zone minée où de toutes parts des dangers vous guettent. »
Monsieur le président, mes chers collègues, la politique de l'emploi du Gouvernement trace en profondeur les contours de cette nouvelle condition salariale que l'on ne peut souhaiter à nos enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Christian Cambon. Quelle vision de l'entreprise !
M. le président. Ce n'est pas le cas dans nos collectivités territoriales, où personne n'a peur du patron ! (Sourires.)
La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Cet article 3 bis, qui vise à créer le contrat première embauche, témoigne bien du gouffre qui sépare le projet libéral de ce gouvernement en matière d'emploi de notre propre vision du monde du travail.
Au problème du chômage, et à celui de la précarité, nous n'avons décidément pas les mêmes remèdes, et les mêmes mots ne recouvrent définitivement pas les mêmes réalités.
Pour MM. de Villepin et Sarkozy, la lutte contre le chômage justifie tous les types d'emploi pour peu qu'ils soient assortis du maximum de libertés pour les entreprises et du minimum de garanties pour les salariés.
Le CNE hier, le CPE aujourd'hui, le CDD pour les plus de cinquante ans demain, tous ces contrats participent de cette même démarche.
Plutôt que de promouvoir la mobilité des salariés dans une réelle sécurité, le MEDEF et le Gouvernement imposent la précarité pour accompagner les restructurations et la recherche du plus bas coût du travail, comme les marchés financiers l'exigent.
Les premiers éléments disponibles relatifs au contrat nouvelles embauches sont particulièrement inquiétants. Ils nous incitent à mener la bataille contre l'instauration du contrat première embauche, qui n'est rien d'autre que son clone.
Il y a d'abord le sondage, réalisé le 11 janvier dernier auprès de trois cents dirigeants de très petites entreprises. On y apprend avant tout que 71 % de ceux qui ont eu recours au CNE auraient embauché de toute façon.
Les motivations de recours à un tel contrat sont, pour plus de la moitié d'entre eux, la facilité avec laquelle ils peuvent licencier.
Enfin, ce sont les secteurs des services ainsi que du bâtiment et des travaux publics qui ont le plus recours au CNE. Et, parmi les salariés embauchés, plus des trois quarts ont un niveau inférieur au baccalauréat.
En fait, le CNE draine, et entretient, une population jeune, peu diplômée, et en situation précaire.
Cette politique de l'emploi est inquiétante. De telles modifications du droit social ne devraient pouvoir se faire sans concertation prolongée des partenaires sociaux et, surtout, sans expérimentation ou évaluation.
C'est d'ailleurs ce que remarque l'INSEE, dans sa dernière note de conjoncture, de décembre 2005. Il souligne en effet que l'on manque de recul pour apprécier les créations nettes d'emplois suscitées par le CNE et que, dans tous les cas, cela ne sera pas possible avant plusieurs mois !
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que le CNE mène à « une plus grande volatilité du marché du travail » qui réagit plus directement aux variations de la conjoncture.
Enfin, les procédures de recours devant les tribunaux, les plaintes collectées par les organisations syndicales se font de plus en plus nombreuses.
On constate un fort accroissement du nombre des salariés licenciés au bout de quelques jours, pour des motifs aussi légers qu'une tenue vestimentaire inappropriée.
La multiplication des plaintes déposées devant les tribunaux est pour Mme Parisot la preuve que le CNE est juste et respectueux des droits !
Il est heureux que le recours aux prud'hommes soit toujours autorisé. Il est encore à ce jour un droit...
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Incontournable !
M. Bernard Vera. ... et non pas une tolérance !
Décidément, ce sont deux visions du monde qui s'opposent ici : le CPE est bien une insulte à la jeunesse.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mais non !
M. Bernard Vera. Celle-ci l'a parfaitement compris et, de jour en jour, l'opposition à ce contrat grandit.
Pour sa part, c'est avec la plus grande détermination que le groupe communiste républicain et citoyen mènera le combat contre ce nouveau contrat.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet, sur l'article.
Mme Dominique Voynet. Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner une disposition dont il semble que le Premier ministre ait eu seul, ou presque, l'illumination, au point que les membres de son gouvernement appelés à la défendre ne l'ont découverte qu'au moment où elle a été rendue publique !
Nous sommes nombreux ici à penser que vous avez choisi une méthode que le Gouvernement a déjà utilisée dans d'autres dossiers. Comme l'a souligné M. Roland Courteau, vous testez, vous expérimentez de nouvelles idées sur des cibles présumées plus fragiles, plus exposées, moins bien organisées, moins bien protégées avant, la brèche étant ouverte, de généraliser à l'ensemble des salariés des réformes aussi géniales que le licenciement sans justification ou l'allongement de la période d'essai à six mois, un an, voire deux ans !
M. le rapporteur nous a exposé quelques-uns des motifs, des raisonnements qui ont conduit le Gouvernement à retenir ce dispositif. Il a déclaré qu'il s'agissait de lever les réserves psychologiques des employeurs en les libérant des rigidités du code du travail.
M. Alain Gournac, rapporteur. Absolument !
Mme Dominique Voynet. Vous me permettrez, monsieur Gournac, de ne pas retenir cet argument. Vous auriez pu l'utiliser pour les très petites entreprises ou pour les petites et moyennes entreprises, pour lesquelles le fait de ne pas pouvoir compter sur un niveau soutenu de commandes constitue un justificatif que nous n'acceptons pas, mais que nous pouvons comprendre.
En ce qui concerne les entreprises plus grandes, les choses sont claires : si elles ont besoin d'un salarié supplémentaire, elles l'embauchent ; si elles n'en ont pas besoin, elles ne l'embauchent pas. D'ailleurs, vous soulignez vous même dans votre rapport que les « viscosités du marché du travail », sont dues pour l'essentiel à deux facteurs majeurs, « les insuffisances de la formation des jeunes et le frein psychologique que certaines rigidités du droit du travail opposent à l'embauche », au moins dans les plus petites entreprises, facteurs qui « jouent un rôle majeur dans l'évolution de l'emploi ».
Je ne vois, pour ma part, aucune justification à la généralisation d'un dispositif de ce type dans les entreprises plus importantes.
Monsieur Gournac, lors de la discussion générale, vous avez interpellé les sénateurs de l'opposition en soulignant, dans une description apocalyptique, et assez caricaturale, que, pour une jeunesse vouée à l'inaction, un CPE valait mieux que rien, comme si ceux qui étaient hostiles à votre proposition faisaient cyniquement le choix d'acculer la jeunesse à « tenir les murs » ! Reconnaissez au moins que vous venez d'enrichir la palette des hypothèses de précarité d'un nouvel outil.
M. Alain Gournac, rapporteur. Pas du tout !
Mme Dominique Voynet. Certains jeunes commencent leur expérience professionnelle par des CDD, des remplacements de congés de maternité, des travaux saisonniers, des missions de travail temporaire, l'intermittence du spectacle, des stages peu ou pas rémunérés, un travail à temps partiel. Il faut maintenant ajouter le CPE à cette liste.
Dans votre intervention générale, monsieur le rapporteur, vous avez fait une comparaison ironique entre le CPE et les emplois-jeunes. Pour ma part, je ne vois pas matière à ironie. Nous étions animés du souci non de faire du nombre, mais d'aider à l'émergence et à la consolidation de nouveaux secteurs d'activité socialement et écologiquement utiles, de nouveaux métiers pour répondre à de nouveaux besoins, et ce pour une durée de cinq ans.
M. Christian Cambon. Parlons-en, des nouveaux métiers !
Mme Dominique Voynet. On était loin de l'effet d'aubaine, loin de la substitution que vous nous proposez aujourd'hui !
M. Christian Cambon. Il n'y avait pas de formation !
Mme Dominique Voynet. Comme l'a souligné Mme Raymonde Le Texier, l'accès à un CDI dépend étroitement du niveau de formation initiale, de la vitalité du secteur d'activité. Certains employeurs cherchent à s'assurer la stabilité, le professionnalisme de leurs équipes via des garanties solides de sécurité professionnelle. Mais, plus le niveau de formation est bas, plus les salariés sont présumés interchangeables, plus il est difficile d'espérer un contrat durable.
Je considère que le Gouvernement fait fausse route. Nous sommes prêts à travailler encore et encore à l'amélioration des dispositifs de formation, à la mise en place de filets de sécurité permettant de garantir à ceux qui n'ont pas su saisir une première chance, une deuxième et même une troisième chance. Pourquoi pas ? La vie est longue et la vie professionnelle l'est, hélas ! de plus en plus.
Permettez-moi en conclusion de reprendre le propos de Jean-Pierre Bel citant le maréchal Foch. (Sourires.) De quoi s'agit-il ? Il ne peut pas s'agir d'un pari pour le Gouvernement, d'une aubaine pour les employeurs et d'une loterie cruelle pour les salariés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, sur l'article.
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, messieurs les ministres délégués, mes chers collègues, tant de choses ont été déjà si bien dites...
M. Paul Girod. Que ce n'est pas la peine d'en ajouter !