Mme Raymonde Le Texier. Pour eux, si l'idée est de leur permettre « de faire des contrats plus courts, de licencier plus facilement et de s'adapter à notre marché, alors il fallait y aller plus franchement ».

On ne saurait mieux le dire, le CPE est non pas un outil conçu pour répondre aux besoins spécifiques des jeunes face au marché du travail, mais seulement la nouvelle étape dans la course à la précarité de l'emploi que vous menez, monsieur le ministre.

D'ailleurs, cette mesure ne s'appuie même pas sur une étude sérieuse de la situation de l'emploi des jeunes, encore moins sur la connaissance précise des inégalités qui frappent cette population, ni sur les incidences que le niveau de formation a sur le niveau et le statut des emplois obtenus.

Pour faire passer la potion amère de la précarité, vous gonflez les chiffres. Votre seul argument pour justifier le CPE est de brandir un taux de chômage des seize à vingt-cinq ans de 20 % en France alors que la moyenne en Europe le situe à 7,5 %. Un tel différentiel serait lié à un marché du travail trop protégé en France par rapport aux autres pays.

Or c'est faux. Un bref calcul montre que, sur cent jeunes en âge de travailler dans la tranche des seize à vingt-cinq ans, seuls 33 % sont actifs, et c'est parmi eux que le taux de chômage est de 20 %. Si on ramène ce chiffre à l'ensemble de cette tranche d'âge, le taux de chômage est en fait de 8 %. C'est déjà trop, mais c'est sensiblement différent.

En revenant ainsi à la réalité, on peut voir à quel point ce chômage a des caractéristiques spécifiques et combien la question du chômage des jeunes ramène à la lutte contre les inégalités, et non à un traitement particulier de l'ensemble de la jeunesse.

Non, monsieur le ministre, ce ne sont pas tous les jeunes qui mettent onze ans à s'intégrer dans la vie active, ce sont seulement ceux qui sortent sans qualification de notre système scolaire.

Selon une étude menée par le Centre d'études et de recherches sur les qualifications, le CEREQ, et considérant les jeunes d'une génération, celle de 2001, on constate que, si 36 % ont trouvé un emploi en CDI, le pourcentage global cache des différences significatives dès lors qu'on le rattache au niveau de formation.

Ainsi, 76 % des jeunes issus d'une école d'ingénieur et 50 % des titulaires du baccalauréat ou d'un diplôme bac + 2 sont en CDI pour leur premier emploi. Ensuite, plus la qualification baisse, moins il y a de CDI...

Selon les syndicats, quand on observe la situation des jeunes cinq à dix ans après la fin de leurs études, seuls 6 % de ceux qui ont obtenu un diplôme d'un niveau supérieur au baccalauréat sont au chômage, contre plus de 30 % de ceux qui n'ont aucun diplôme.

M. Jean-Luc Mélenchon. Voilà le fond de l'affaire !

M. Roland Courteau. C'est vrai !

Mme Raymonde Le Texier. Il est de bon ton, aujourd'hui, de faire croire aux jeunes que poursuivre des études est de moins en moins nécessaire. On l'a vu ces jours-ci, s'agissant de l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans. Le paradoxe, pourtant, c'est que, moins un diplôme vaut, plus il est nécessaire. Sinon, celui qui ne possède même pas ce titre est non seulement mis au ban de l'école, mais également confronté à une exclusion durable du monde du travail.

D'autant que les exigences en matière de qualification ne devraient pas diminuer avec le temps. Selon la Direction des études et de la prospective du ministère de l'éducation nationale, en 2015, la proportion de jeunes qui seront recrutés avec un niveau supérieur au baccalauréat devrait passer de 42 % à 46 %. Ce n'est pas en faisant de l'école une machine de tri par l'échec que vous relèverez ce défi. Ce n'est pas en focalisant sur des mesures liées à l'âge, quand le problème vient de l'absence de qualification ou de l'inadaptation de la formation que vous trouverez des solutions.

J'en veux pour preuve ce reportage édifiant, paru dans le journal Le Monde du 21 février et réalisé auprès des élèves ingénieurs de l'École centrale. Ces étudiants disent ne pas se sentir concernés par le contrat première embauche, tant ils s'imaginent protégés par le prestige de leur diplôme. C'est d'ailleurs confirmé par leurs employeurs potentiels, qui déclarent : « On ne prendra jamais le risque de proposer un CPE à un élève ingénieur très convoité ». C'est dire si, à leurs yeux, le CPE n'est qu'un sous-contrat à destination d'une population interchangeable et paupérisée !

M. Jean-Luc Mélenchon. Ecoutez cela, chers collègues, c'est très important !

Mme Raymonde Le Texier. En réalité, persuadés que pour l'instant les inégalités du marché du travail ne les concernent pas, ces jeunes devraient être particulièrement attentifs. La précarisation de l'emploi a commencé avec le CNE ; elle s'est étendue avec le CPE ; avec vous, elle aboutira au contrat unique et, cette fois, personne ne sera épargné !

Pire encore, à installer dans les esprits l'idée que c'est la facilité à licencier qui permettra l'embauche, notre gouvernement, en guise de « modernisation de l'économie » nous propose de retrouver les fondamentaux du XIXe siècle : chômage de masse, embauche à la journée, absence de protection sociale. Et c'est la gauche que vous qualifiez de conservatrice et de rétrograde ?

Mais croyez-vous vraiment que la croissance sera relancée sur la base du travail pas cher, en tournant le dos à l'investissement, en négligeant l'innovation ou en omettant de miser sur la recherche ?

Certains patrons et économistes pointent aussi cette erreur d'analyse et cette incongruité économique. Et c'est pourquoi, pour Henri Proglio, par exemple, le patron du groupe Veolia, le CDI devrait être « la forme normale d'embauche » des jeunes.

Mme Raymonde Le Texier. M. Proglio devient très célèbre, mais il n'est guère cité - je ne sais pourquoi - par le Gouvernement !

L'autorisation de licencier sans motif que donne le CPE est un facteur d'instabilité pour la personne recrutée. Les premiers recours examinés par les prud'hommes pour licenciement dans le cadre d'un contrat nouvelles embauches le prouvent.

Certaines entreprises ont exploité à fond l'aubaine que constituait ce dispositif, en renvoyant des salariés coupables, selon elles, d'avoir demandé le paiement de leurs heures supplémentaires, d'être tombés malades ou d'avoir annoncé une grossesse. Il s'agit de licenciements « pour l'exemple », destinés à indiquer clairement les nouvelles règles du jeu : on se soumet ou on est démis !

On ne peut pas promettre la liberté de licencier à volonté, sans obligation de motiver la décision, et jouer les étonnés quand les employeurs y recourent. C'est toujours la pratique qui révèle l'esprit des lois. Cette loi est inique et son usage ne peut que produire de l'injustice.

Le pire, c'est que cette façon de procéder risque fort d'induire des effets pervers sur notre société. Selon François Vergne, avocat : « Aux États-Unis, où l'on embauche et licencie à volonté, les salariés contestent leur licenciement en arguant d'une discrimination du fait de leur couleur, de leur âge, de leur orientation sexuelle ou de leur appartenance philosophique ».

Non seulement le contentieux risque de se développer énormément, mais, une fois placé le droit sur le terrain de la morale et de l'identité, il y a fort à parier que les frustrations en seront aggravées sans que les jugements y gagnent en lisibilité. On rompt ainsi la solidarité qui pouvait exister entre salariés, pour les renvoyer à ce qui les différencie : ce n'est plus l'existence d'un droit commun qui sera protecteur, mais la référence à une communauté « victimisée », ou à une identité bafouée. C'est, à terme, réduire les hommes à l'état de victimes absolues, et non pas les considérer comme des citoyens autonomes, faisant appel aux juges pour faire respecter les lois.

Avec ce type d'approche, la jurisprudence du licenciement risque de se retrouver toujours plus contestable, sans offrir de sécurité juridique à qui que ce soit. Vous allez ainsi à l'encontre du but qui est le vôtre, à savoir l'impossible judiciarisation du monde du travail.

Oui, ce projet de loi est économiquement aberrant, juridiquement dangereux et, surtout, humainement désespérant. En disant à la jeunesse que le seul intérêt que l'on ait à l'employer, c'est de pouvoir la limoger facilement, vous opposez une fin de non-recevoir abrupte à ses attentes. Avec un contrat aussi précaire, c'est son insertion dans la vie active que vous pénalisez et son existence d'adulte que vous fragilisez.

M. le président. Veuillez conclure, madame Le Texier ! Vous avez déjà dépassé votre temps de parole de cinq minutes. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Claude Domeizel. Ce que notre collègue dit est important, monsieur le président.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est en effet très intéressant !

M. le président. Mes chers collègues, je suis là pour faire respecter le règlement !

Mme Raymonde Le Texier. Je ne doute pas que, dans votre indulgence, vous m'accorderez une minute supplémentaire, monsieur le président !

La meilleure preuve de ce qui précède, c'est que vous avez dû vous-mêmes tenter de mettre en place des garde-fous auprès des banques et auprès du système LOCA-PASS, tant il est vrai que le CPE, contrat précaire, n'offre pas de garanties.

Comment peut-on affirmer son indépendance, quand on gagne sa vie au jour le jour ? Comment se projeter dans l'avenir, quand demain rime avec incertain ? Comment s'affirmer dans son emploi, quand on est totalement soumis au bon plaisir de l'employeur ? Quel regard porte-t-on sur soi et sur la société quand on est réduit à n'être plus qu'une variable d'ajustement du système ?

Et c'est sous couvert d'une loi intitulée par vous « égalité des chances » que vous faites une telle proposition à la jeunesse ?

Monsieur le ministre délégué, vous pouvez compter sur nous pour combattre ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Onze minutes, madame Le Texier !

La parole est à M. Jean-Pierre Bel, sur l'article.

M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, messieurs les ministres délégués, mes chers collègues, par une curieuse accélération dont le Gouvernement a le secret, nous en sommes parvenus à l'examen de l'article sur le CPE.

Comme disait le maréchal Foch, de quoi s'agit-il ? (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Il n'a pas dit que cela !

M. Jean-Pierre Bel. Avec votre CPE, - comme Raymonde Le Texier vient de le dire -, tous les jeunes, qualifiés ou non qualifiés, issus ou non des zones d'éducation prioritaires, seront logés à la même enseigne. C'est bien là en particulier, me semble-t-il, le problème : une sous-catégorie de travailleurs précaires, à la merci des aléas de la conjoncture économique et des humeurs de leurs employeurs !

Dans le contexte de chômage que l'on connaît, nul doute que la capacité de négociation salariale, largement entamée, sera à nouveau fortement affaiblie, pour ne pas dire réduite à néant.

Ce contrat première embauche est vraiment un piège : il engendre instabilité, insécurité et inquiétude pour tous les jeunes. Ce n'est pas de cette égalité-là que nous voulons, que les Français veulent !

Comme le révèle un sondage, les Français sont hostiles à plus de 60 % au CPE ; ils l'ont dit et le rediront ! S'ils y sont hostiles, c'est parce qu'ils ne sont, eux, pas dupes ! Cette fois-ci, la stratégie du double langage n'est pas passée inaperçue.

Oui, le Premier ministre a raison lorsqu'il dit que les Français s'impatientent. Trois ans de gouvernement de droite, et pas de création nette d'emplois, un déficit du commerce extérieur sans précédent et des finances publiques dans le rouge !

Oui, les Français s'impatientent parce qu'ils voient leurs conditions de vie se dégrader, lentement mais sûrement, et qu'ils n'ont pas d'espoir en l'avenir, qu'ils perçoivent comme une menace.

Alors, c'est vrai, il y a urgence, messieurs les ministres délégués, mais il ne faut pas confondre l'urgence à créer de l'insécurité dans notre droit du travail et ce que nous souhaitons nous, l'urgence à rassurer, à offrir des garanties.

Pourtant, c'est bien dans la précipitation, peut-être même dans la panique, que vous voulez faire adopter ce texte. Je ne reviendrai pas sur les épisodes précédents, qui ont été rappelés : recours à l'article 49, alinéa 3, de la Constitution à l'Assemblée nationale, accélération subite des débats liée à l'utilisation de plusieurs possibilités offertes par le règlement du Sénat.

Tout cela trahit votre degré d'inquiétude, qui confine à la panique. Oui, vous paniquez, alors vous optez pour le passage en force. Vous imposez votre texte à la hussarde, parce que vous savez que, en réalité, la majorité n'est pas avec vous, que les Français ne veulent pas de ce dispositif. Vous avez voulu jouer à une espèce de jeu, à une course contre la montre, pour tenter de prendre de vitesse le mécontentement populaire, mais il vous rattrapera !

Vous avez remarqué que la gauche est unie pour mener cette bataille. C'est au moins un résultat auquel vous serez arrivés : une bataille unie contre ce texte ! (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Josselin de Rohan. Cela sert à quelque chose ! C'est déjà cela !

M. Jean-Pierre Bel. Et je vous en remercie !

C'est parce que votre dispositif est révélateur d'une différence fondamentale de nature entre la gauche et la droite : il heurte notre vision de la société. Nous divergeons, radicalement, philosophiquement même, sur les objectifs.

Vous précarisez, quand nous voulons sécuriser. Vous découpez le droit du travail, tranche d'âge par tranche d'âge, pour mieux affaiblir le corps social, quand nous voulons, nous, renforcer la démocratie sociale.

Vous créez ce qu'on a appelé un contrat « kleenex », spécialement destiné aux plus faibles, quand nous proposons la sécurisation des parcours professionnels pour tous.

Sous le gouvernement de Lionel Jospin, nous avions fait baisser le chômage des jeunes, qui avait perdu trois points, faisant de la France le meilleur élève de l'Europe ; or, sous votre gouvernement, le taux de chômage des jeunes, de 22 %, est l'un des plus élevés en Europe.

Pour lutter contre le chômage, vous n'avez qu'un seul credo : la « flexibilité de l'emploi ». Mais votre flexibilité va toujours dans le même sens. Elle est injuste socialement et inutile économiquement. Vous tentez de culpabiliser les Français et de détruire le modèle social, mais sachez que le marché du travail français n'est pas le plus rigide de l'OCDE.

Je crains, en revanche, les conséquences sociales du développement de l'emploi précaire. Raymonde Le Texier et Guy Fischer viennent de le démontrer, la généralisation des CPE à tous les jeunes de moins de vingt-six ans risque de pérenniser l'emploi précaire dans cette catégorie, déjà affaiblie, de la population.

Le CPE est encore plus dur pour les salariés que le contrat à durée déterminée traditionnel. Les jeunes en recherche d'emploi risquent d'accumuler les CPE, s'inscrivant dans un système de cumul d'emplois à faible qualification.

Une succession de CPE ne constitue pas pour un jeune, vous l'avouerez, une expérience qualifiante et valorisante. En d'autres termes, le CPE n'a ni les avantages du CDD en ce qui concerne les conditions de licenciements ni ceux du CDI en matière de stabilité et de durée.

Comment garantir à un jeune qu'à l'issue de ses études, il pourra trouver un travail stable pour pouvoir se loger, construire un projet personnel et familial, indispensable à l'entrée dans la vie adulte ?

Qu'est-ce qui pourra conduire un chef d'entreprise à accorder un contrat à durée indéterminée quand le recours au CPE est moins coûteux et moins risqué ? L'utilisation par les employeurs des nouvelles facultés que leur offre le CPE risque d'institutionnaliser le CPE en contrat unique pour les jeunes, qui n'auront que peu de chances de décrocher un véritable CDI.

Nous le redisons avec force, au risque de vous déplaire, votre nouveau contrat aboutira à l'instauration d'une société marquée par la précarité, une société de l'emploi précaire.

Nous proposons de valoriser la recherche d'emploi, de généraliser la formation tout au long de la vie, de développer la sécurisation des parcours professionnels. Voilà, madame Procaccia, ce que nous proposons, afin de garantir à tout un chacun la possibilité de disposer d'une activité et d'un revenu lui permettant de vivre dignement.

Cette garantie est indispensable pour que les termes « égalité des chances » soient crédibles. L'égalité des chances doit être garantie tout au long de la vie. Sinon, il n'est pas sûr que ce ne soit pas qu'un vain mot, un slogan sans contenu, qui nous promet un grand désenchantement.

Le CPE, mesure phare de votre projet de loi, généralise la précarité, affaiblit les plus faibles, sans aucune contrepartie en termes de création d'emploi.

Injuste socialement, inefficace économiquement, votre dispositif doit être retiré, messieurs les ministres délégués, car il porte atteinte à notre modèle social, dont on sait qu'il doit être réformé, certes, mais pour le renforcer et non pas le détruire.

Vous construisez la société de l'emploi précaire quand nous proposons d'instaurer une garantie d'activité et de stabilité, seule à même de rendre l'espoir à la jeunesse. Nous voulons faire en sorte que l'avenir soit, pour eux, une promesse et non une menace. À l'heure où la société française doute d'elle-même, il fallait assurément adresser un message d'espoir à ses enfants. Votre message, c'est celui de l'injustice et du renoncement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.

M. Roland Courteau. Mes chers collègues, il faut avoir une piètre appréciation de cette jeunesse qui conteste le CPE pour affirmer - comme je l'ai entendu dans cette enceinte - que les jeunes sont manipulés, intoxiqués et même incapables de penser par eux-mêmes.

Pour avoir rencontré ces jeunes, actifs ou sans emploi, lycéens ou étudiants - nous n'avons pas rencontré les mêmes, madame Procaccia -,...

M. Jean Bizet. Assurément !

M. Roland Courteau. ...je puis vous dire que, malgré la communication envahissante du Gouvernement, ils ont très vite compris que leur génération serait touchée, de plein fouet, par cette mesure. Voilà pourquoi ils refusent d'être traités comme les cobayes de cette expérience très libérale. Voilà pourquoi nous devons ici prendre en compte leur découragement. Ils pensaient, de bonne foi, que la politique pouvait changer les choses, mais ils constatent qu'on leur propose seulement d'institutionnaliser la précarité. Comme si le CPE était une autre manière de leur dire qu'ils sont un fardeau pour l'entreprise...

Ils ont compris que, jusqu'à l'âge de vingt-six ans, un jeune pourra être recruté par plusieurs employeurs successifs constamment en CPE et sans limitation du nombre de contrats. Ils ont compris qu'un employeur, après avoir licencié un jeune, pourra en recruter un autre pour le même poste, et ainsi de suite, sans limite. Ils ont compris que ce « contrat précarité exclusion » qu'est le CPE, sera, en fait, pour des années, la seule formule d'accès au marché du travail pour tous les actifs de moins de vingt-six ans, quel que soit le niveau de leur diplôme, et cela, sans pour autant apporter de vraies solutions à ceux qui n'ont pas de qualifications.

Comment, dans ces conditions, construire sa vie ? On me dit que, CNE, CPE et CDI, tout cela reviendrait au même. Pourtant, les employeurs, eux, ont très vite compris la différence qu'il y a entre un CDI et un CNE. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) M. Dassault et quelques autres ne s'y sont pas trompés, eux, qui, la semaine dernière, ont « vendu la mèche » dans cet hémicycle. Nous commençons d'ailleurs à assister aux premières ruptures abusives de CNE.

On constate que certains employeurs se croient tout permis. Oui, cette absence de motivation du licenciement nous ramène plusieurs décennies en arrière. Oui, elle confère à l'employeur un pouvoir discrétionnaire inacceptable. Mais peu vous importe, je le sais, que tout cela ne soit conforme ni à la convention 158 de l'Organisation internationale du travail ni à l'article 24 de la Charte sociale européenne dont l'approbation a été autorisée par la loi du 10 mars 1999. Or nous sommes, quant à nous, convaincus que ce n'est pas en démantelant le code du travail que l'on résoudra le problème du chômage des jeunes, mais bien par la croissance et par la formation.

Si ce que vous appelez « les rigidités du code du travail » étaient un frein à l'embauche, comme vous le prétendez, comment expliquez-vous que, sous le gouvernement Jospin, on ait créé deux millions d'emplois, tout en donnant nouveaux droits aux salariés ? Comment expliquez-vous que le nombre de jeunes au chômage ait baissé, à cette époque, de 220 000, alors qu'il n'a cessé d'augmenter depuis que vous êtes au Gouvernement ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Courteau. La triste réalité, c'est que, par le biais d'une politique prétendument en faveur des jeunes, vous entendez poursuivre la mise en oeuvre de l'implacable mécanique qui conduira au contrat unique de type « super-CNE ». Et quelque chose me dit que vous le faites avec application, constance et ténacité, en « détricotant » méthodiquement le code du travail. En fait, c'est une page noire de notre histoire qui est en train d'être écrite. Le MEDEF en avait rêvé ? Le Gouvernement le fait !

Vous n'avez pas perdu de temps, en quatre ans. Après la suppression d'un jour férié, le relèvement du contingent d'heures supplémentaires, la suspension des dispositions de protection de licenciement, l'extension du « forfait-jour », la remise en cause des 35 heures, voici venir la fin du CDI. « Ci-gît le CDI », se réjouissent déjà certains.

Nous n'avons pas la même conception du droit social. Quand nous y voyons protection, condition de la cohésion sociale et donc de l'efficacité économique, vous vous obstinez à n'y percevoir que rigidités et obstacles. Alors vous voulez aller vite, vous voulez aller aussi loin que possible dans la dérégulation du marché du travail, sans toutefois provoquer une réaction trop importante des syndicats, des jeunes et de l'opinion. C'est ce qui explique le grand soin que vous avez apporté à « gérer l'agenda », autrement dit, à mettre à profit les vacances scolaires dans le but de limiter la contestation et de prendre les jeunes et les syndicats de vitesse.

Mais, sur ce point précis, le coup a raté. Et vous, monsieur le ministre délégué, vous qui ne semblez comprendre que le rapport de force, soyez attentif à ce qui va se passer le 7 mars prochain et les jours suivants. Quelque chose me dit que, pour le Gouvernement, le temps se brouille sérieusement et sans doute durablement. En ce qui nous concerne, c'est avec force que nous rejetterons l'article 3 bis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, sur l'article.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, je vous remercie de me donner la parole pour faire connaître la position du groupe UC-UDF sur l'article 3 bis. Il était prévu que nous devions en discuter aujourd'hui, à cette heure. Et nous le faisons bien, je le crois.

Pour notre groupe, l'état actuel du marché de l'emploi et l'état actuel de notre droit montrent qu'il faut réformer. L'UDF soutient fermement l'idée de réformer notre droit, et en particulier notre droit du travail. C'est d'ailleurs une position assez largement répandue dans nombre de groupes politiques. Comme l'a rappelé notre collège du Haut-Rhin, le maire de Mulhouse, dans un point de vue paru dans le quotidien Le Monde il y a quelques jours, il faut bouger, car les choses bougent.

Mais, à nos yeux, cette réforme doit être mue par la recherche d'un nouvel équilibre : d'un côté, il doit y avoir plus de flexibilité pour l'entreprise, mais, d'un autre côté, il doit y avoir plus de droits pour le salarié. Nous demandons à l'entreprise qu'elle offre, en échange de ce surcroît de flexibilité, plus de travail. Parallèlement, nous souhaitons que ceux qui offrent leur capacité à répondre à la demande de flexibilité soient mieux protégés qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Nous savons bien que toute réforme du droit social exige d'abord une méthode. Il faut savoir convaincre et non pas contraindre. On ne peut pas à la fois défendre notre modèle social et ne pas respecter les fondements mêmes de ce modèle social. Or, ce modèle social repose d'abord sur la recherche du consensus : c'est la condition même du « vivre ensemble ».

Nous sommes donc très ouverts à l'idée de la réforme. Mais, messieurs les ministres délégués, nous demandons au Gouvernement de discuter des projets que le Gouvernement peut avoir à soutenir. Nous souhaitons qu'il les présente et qu'il en parle avec les partenaires sociaux. La recherche de l'accord est la première exigence de notre méthode.

Il est possible que l'on ne parvienne pas à un accord, et il faut bien trancher à un moment donné. Il est tout à fait légitime que la représentation nationale tranche, mais il faut qu'il y ait au préalable débat.

M. Michel Mercier. Quant à la procédure, elle peut parfois paraître rude, mais elle est nécessaire. Selon moi, il n'y a pas eu obstruction. Il y a débat, discussion, et c'est heureux qu'il y ait au moins un endroit, dans notre pays, où l'on peut discuter de ces questions.

Cela étant, je regrette beaucoup, monsieur le ministre délégué, que vous n'ayez pas choisi une méthode plus participative pour modifier le code du travail.

M. Michel Mercier. C'est là un reproche qu'on peut vous adresser. Cette absence de préparation dans la méthode « plombe » la réforme elle-même. C'est dommage, car loin de considérer le fond de la réforme, on se contente d'examiner la façon dont la réforme est faite. La réforme méritait mieux, mais la méthode en aura occulté la réalité.

Le Gouvernement nous a proposé de réformer le droit social à deux reprises : d'abord par le biais du contrat nouvelles embauches, et ensuite par celui du contrat première embauche. Ces deux contrats sont assez similaires. Méritent-ils toutes les critiques qu'on leur adresse et tous les honneurs qu'on leur réserve ? Probablement pas.

Un excellent article, disponible sur Internet, écrit par le professeur Pierre Cahuc - que vous venez de nommer au Conseil d'orientation économique - et par le professeur Carcillo, montre que le contrat nouvelles embauches et le contrat première embauche présentent des avantages et des inconvénients pour les employeurs comme pour les employés. Il conviendrait qu'on puisse débattre de ces points. Il faudrait qu'on puisse examiner de près les points forts et les points faibles de ces contrats. Cela permettrait qu'ils soient acceptés par la population.

Or, ce n'est pas le cas. On discute de la méthode et non pas du fond : on déplore l'absence de dialogue social et l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, à l'Assemblée nationale. Nous manquons l'occasion qui nous était offerte d'aller au fond des choses. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)

Mais je ne veux pas être trop long, monsieur le président. D'ailleurs, je prends l'engagement de ne plus m'exprimer avant la fin de la discussion de l'article. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Pierre Sueur. Je pensais que vous vouliez vous engager à ne plus vous exprimer jusqu'à la fin de la discussion du projet de loi ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Notre collègue fait comme il veut, enfin !

M. Michel Mercier. Monsieur Sueur, je reprendrai sûrement la parole d'ici là et je pense que vous ne me contesterez pas un droit que, pour ma part, je vous reconnais toujours. (Sourires.)

Les deux contrats, le CPE et le CNE, ne sont pas ce que l'on nous dit qu'ils sont. Concernant l'indemnisation et l'assurance chômage, ils sont plus favorables à l'employé que le CDD et le CDI. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) Il faut avoir l'honnêteté de le reconnaître. Mais on n'en a retenu qu'un aspect, la suppression d'un certain nombre de procédures, qui fait que l'on peut enfin licencier plus aisément.

M. Jean-Luc Mélenchon. Mais c'est essentiel !

M. Michel Mercier. Laissez-moi finir, mon cher collègue. Je ne vous empêche jamais de parler. J'entends pouvoir parler comme vous, aussi longtemps que vous, non pas aussi bien que vous, car je n'ai pas l'honneur d'appartenir à votre tendance (sourires.), mais enfin, bien tout de même, parce que...

M. Jean-Luc Mélenchon. Parce que c'est vous ! (Nouveaux sourires.)

M. Michel Mercier. Sans doute !

On n'a donc vu que cet aspect. C'est, bien entendu, une grave inexactitude.

D'ailleurs, la contre-épreuve en a été apportée en peu de temps, puisque le conseil des prud'hommes de Longjumeau n'a pas hésité, la semaine dernière, à condamner une entreprise notamment pour rupture abusive d'un CNE. Quoi de surprenant ? On savait dès le départ que le recours au juge serait toujours ouvert. Le Conseil d'État, lorsqu'il a été saisi en formation administrative du projet d'ordonnance, a bien indiqué que l'abus de droit pourrait être invoqué devant le juge.

Mme Catherine Tasca. Heureusement !

M. Michel Mercier. En effet, car c'est aussi la marque de notre modèle social. Au reste, au moins depuis 1962 et l'arrêt Rubens de Servens, nous savons bien que, en France, quand il n'y a plus de recours, il en existe encore deux : le recours en cassation et le recours pour excès de pouvoir.

Or il est clair que les recours dont ces nouveaux contrats pourront faire l'objet reposeront sur des moyens différents de ceux que l'on utilisait habituellement. Cela peut d'ailleurs avoir une conséquence toute simple : les employeurs ne souhaiteront peut-être pas utiliser ces nouveaux contrats, qui risquent d'être plus lourds de conséquences que les contrats ordinaires. C'est là un vrai problème.

Pour résumer notre position, nous sommes favorables à un contrat unique et évolutif, c'est-à-dire créant des droits au fil du temps. Le CDI, tout le monde est pour aujourd'hui, et il faut en être conscient : les employés, bien sûr, les organisations syndicales, mais également le club Montaigne, qui l'a rappelé voilà quelques jours, ainsi que M. Proglio dans son rapport, et l'ensemble des acteurs. Quant à Mme Parisot, elle n'a pas dit autre chose.

Nous disons donc oui au CDI, car c'est la façon pour l'entreprise de participer au « vivre-ensemble » dans notre pays ; mais pas à n'importe quel CDI : il faut qu'il laisse à l'entreprise sa liberté de création, nous y sommes très attachés.

Nous ne demandons pas à l'entreprise de financer la protection sociale, de financer l'assurance chômage dans son ensemble : c'est à la société d'organiser ces droits, non à l'entreprise en tant qu'unité. Nous lui demandons simplement une plus grande offre de travail en échange d'une plus grande flexibilité, c'est là son rôle. Pour le reste, il revient à la société dans son ensemble de faire en sorte que l'employé ait davantage de droits, et nous défendrons cette idée à travers un amendement.

Nous présenterons également essentiellement deux amendements, si vous tenez, messieurs les ministres délégués, à conserver le CPE : le premier visera à ramener à un an la durée de la période de consolidation, le second à instaurer l'obligation de justifier, le cas échéant, la rupture du contrat. Ce sont pour nous deux points essentiels, grâce auxquels ces contrats pourront être acceptés, parce qu'ils seront équilibrés et qu'ils pourront participer à l'édification de notre modèle social.

Je le répète, nous sommes prêts à accepter un certain nombre de changements mais pas selon n'importe quelle méthode, pas n'importe comment.

C'est naturellement en fonction de l'accueil qui sera réservé à nos propositions que nous nous prononcerons sur l'article 3 bis. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)

M. Roland Muzeau. Vous vous prononcerez pour ou contre ?

M. Michel Mercier. Monsieur Muzeau, la question ne m'étonne pas, venant de vous ! Comme d'habitude, vous ne m'avez pas écouté !

M. Roland Muzeau. J'ai lu la presse !

M. le président. La parole est à M. Roger Madec, sur l'article.

M. Roger Madec. Monsieur le président, messieurs les ministres délégués, mes chers collègues, croire que le CPE aura pour effet de réduire le chômage des jeunes est une illusion, sinon une contrevérité. En réalité, ce sont les droits des salariés qui seront réduits, voire bafoués.

Il suffit pour s'en convaincre de se pencher sur les 23 % de jeunes au chômage et de constater que 40 % d'entre eux n'ont pas de qualification. Pour s'attaquer aux causes réelles du chômage chez les moins de vingt-cinq ans, il nous faut donc concentrer tous nos efforts sur ces jeunes non diplômés.

Formation, apprentissage, alternance, sont certes les passages obligés d'une politique efficace de lutte contre l'exclusion du marché du travail. Rappelons que 16 % des jeunes sont durablement exclus de l'emploi. Pour ceux-là, force est de constater que le CPE n'apportera aucune réponse nouvelle.

Le Gouvernement a bien compris l'importance de la formation, puisqu'il multiplie ces derniers temps les annonces sur l'apprentissage. Il faut néanmoins rappeler que, depuis 2002, le nombre des contrats d'apprentissage a diminué de près de 6 000.

Un autre moyen de se convaincre de l'inefficacité du CPE est d'observer les premiers pas de son aîné, le CNE. Malheureusement, le Gouvernement, qui avait pris l'engagement de nous communiquer une évaluation de ce dispositif, ne nous a fait connaître aucun chiffre. Et pour cause ! Selon les sondages, 71 % des personnes embauchées en CNE auraient de toute façon trouvé un travail ; parmi elles, 45 % auraient eu un CDI et 28 % un CDD. Contrairement à l'objectif annoncé, ces nouveaux contrats ont donc pour effet non pas de créer des emplois, mais de se substituer au droit commun du travail.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Roger Madec. Enfin, nous dit-on, le CPE apporterait aux entreprises la flexibilité dont elles ont besoin pour embaucher. C'est faux ! Le droit du travail est déjà bien assez souple puisque les CDD permettent de recruter des salariés pour des périodes très courtes et que l'intérim apporte lui aussi aux employeurs une grande souplesse dans la gestion de leur main-d'oeuvre. Quant à la « liberté de licencier » que donnerait le CPE, je rappelle qu'un jeune peut déjà être licencié à moindre frais puisqu'il a, par définition, une ancienneté limitée. En outre, la Cour de cassation, par une décision récente, vient d'ouvrir la voie aux licenciements préventifs.

Mme Hélène Luc. Absolument !