9

HOMMAGE À ILAN HALIMI

M. le président. Mes chers collègues, il est près de dix-neuf heures, et, dans quelques minutes, aura lieu à la synagogue de la Victoire une cérémonie en mémoire du jeune Ilan Halimi, sauvagement assassiné, cérémonie à laquelle participeront le Président de la République, le Premier ministre et le Président du Sénat.

Il serait normal - plusieurs présidents de groupe me l'ont d'ailleurs demandé, les uns par écrit, les autres oralement, comme M. Jean-Pierre Bel à l'instant - que le Sénat s'associe à cet hommage en respectant quelques instants de silence et de recueillement.

La parole est à M. le ministre.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement s'associe à cet instant de recueillement au Sénat, à la fois pour accompagner une famille dans la plus extrême douleur et pour condamner la barbarie, le crime, l'intolérance et la haine. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.)

10

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité des chances
Discussion générale (suite)

égalité des chances

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité des chances
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi pour l'égalité des chances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Claude Biwer.

M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui comporte de très nombreuses et importantes dispositions, mais mon intervention ne portera que sur deux de ses éléments, l'apprentissage et le contrat première embauche.

S'agissant de l'apprentissage, je crois pouvoir dire que la France souffre d'un immense retard, comparée à nos proches voisins qui ont une véritable culture de l'apprentissage artisanal et surtout industriel.

Dans ces conditions, il faut que nous rendions, en France, toutes leurs lettres de noblesse à la qualification et au savoir-faire. Il est dans l'intérêt des jeunes, mais également des employeurs, de pouvoir disposer des qualifications nécessaires à l'avenir, tout en assurant la transmission des compétences.

Si je me réfère à ce qui se passe en Belgique, pays très proche de mon domicile, je constate que nos voisins européens sont bien meilleurs que nous, car ils savent utiliser l'expérience de leurs salariés les plus âgés pour la transmettre aux jeunes en apprentissage, alors que, chez nous, les entreprises se séparent des seniors, ce qui constitue à mon sens un véritable gâchis. Ne faudrait-il pas permettre aux professionnels avertis qui le souhaitent de poursuivre leur activité afin de transmettre leur savoir-faire aux plus jeunes ?

Par ailleurs, j'observe avec plaisir que le Gouvernement a proposé de développer la formation en alternance dans les grandes entreprises, et j'approuve l'initiative du ministre de l'éducation nationale qui souhaite que le nombre d'apprentis double d'ici à 2010 dans les établissements d'enseignement supérieur, ce qui prouve bien que l'apprentissage est devenu une filière d'excellence.

Le Gouvernement a raison lorsqu'il souhaite redonner un nouveau souffle à l'apprentissage, et je soutiens pleinement l'idée d'abaisser l'âge d'entrée en apprentissage à 14 ans. L'apprentissage peut, en effet, être une chance pour des jeunes qui sont souvent en complet décalage avec le système scolaire traditionnel où ils ont parfois le sentiment de perdre leur temps.

Dans cet esprit, la philosophie du dispositif proposé par le Gouvernement consiste à créer un statut d'apprentissage junior pour les élèves ayant atteint l'âge de 14 ans, tout en prévoyant que ceux-ci pourront poursuivre leur scolarité obligatoire jusqu'à son terme.

Mais est-il vraiment nécessaire de scinder l'apprentissage junior en deux séquences : à partir de 14 ans, un apprentissage junior initial, prévoyant une initiation aux métiers, puis, à 15 ans, un apprentissage junior confirmé, durant lequel le jeune se trouve véritablement sous contrat d'apprentissage ?

Je pense, pour ma part, que le jeune qui entre dans la filière apprentissage junior devrait, dès le départ, être sous contrat d'apprentissage et non se trouver dans une situation quelque peu ambiguë pendant une année - et je crois savoir de quoi je parle.

Ce sont les raisons pour lesquelles je défendrai un amendement tendant à ce que les élèves ayant atteint l'âge de 14 ans puissent immédiatement bénéficier d'une formation en apprentissage, sans passer par un parcours d'initiation aux métiers.

S'agissant du contrat première embauche, je dirai en préambule que le non-emploi qui concerne encore plusieurs millions de personnes dans notre pays est un véritable cancer rongeant notre société : il touche, nous le savons bien, plus particulièrement les jeunes, les femmes et les personnes âgées de plus de 50 ans.

Le sort réservé aux jeunes qui souhaitent entrer dans la vie active n'est pas toujours enviable : eux-mêmes ne sont pas toujours motivés, c'est vrai, et il est des tâches que certains d'entre eux rechignent parfois à exécuter.

Mais, même à ceux qui « en veulent », on oppose souvent leur manque d'expérience professionnelle, on propose des contrats précaires ou des emplois temporaires pour des durées trop courtes, qui ne favorisent pas toujours leur adaptation au monde du travail et ne leur permettent en aucun cas d'améliorer leur formation.

Bien peu de jeunes, à la vérité, bénéficient d'un CDI avant l'âge de 26 ans. Ils obtiennent le plus souvent des stages plus ou moins bien rémunérés, des contrats d'intérim, auxquels il est toujours plus fréquemment recouru, des CDD à faible durée ou encore des contrats de type contrat d'avenir, contrat d'insertion dans la vie sociale, etc.

Dans ces conditions, le contrat première embauche constitue, me semble-t-il, une avancée non négligeable. Cela étant, comporte-t-il plus ou moins d'avantages que ce qui est proposé aux jeunes à l'heure actuelle ?

Il présente, c'est certain, moins d'avantages que le CDI « classique », mais, comme je l'indiquais à l'instant, il est tout de même très rare qu'un jeune de moins de 26 ans, qui en principe ne maîtrise pas encore le métier auquel il se destine, bénéficie d'un CDI.

En revanche, le CPE est plus avantageux que tous les autres dispositifs. Certes, ce contrat est assorti d'une période de « consolidation », pour ne pas dire d'essai, de deux ans, ce qui est peut-être un peu long, et pourra être rompu sans que l'employeur ait à invoquer un motif. Cependant, certaines garanties sont prévues : un délai de préavis, le versement d'une indemnité de licenciement, la prise en compte des stages ou des formations dans le décompte des droits, l'ouverture d'un droit individuel à la formation, l'attribution d'une allocation forfaitaire de chômage, l'accès direct au dispositif LOCA-PASS de caution en garantie du loyer et de financement du dépôt de garantie et, en principe, l'accès au crédit, comme s'y est engagée la Fédération bancaire française.

La principale critique qui est faite à ce contrat tient à la possibilité laissée à l'employeur de se séparer de son salarié à tout moment, pendant une période de deux ans, sans avoir à motiver sa décision. Pour ma part, je pense qu'il serait souhaitable de prévoir, sans aller jusqu'à la motivation, juridiquement contraignante, une justification écrite explicative en cas de rupture du contrat de travail.

À la vérité, nous qui, en tant qu'élus locaux, sommes souvent aussi des employeurs, nous savons bien que lorsqu'une personne que nous avons embauchée s'avère être un bon élément, il est de l'intérêt de la collectivité locale de la conserver le plus longtemps possible.

A contrario, il ne faut pas oublier les difficultés que nous rencontrons parfois, lorsqu'une personne ne s'adapte pas à sa fonction après quelques mois de médiocre activité, ce qui peut placer la collectivité dans une situation difficile. Il en va de même pour les petites entreprises.

Je pense que cette manière de voir les choses est très largement partagée dans le monde de l'entreprise : si un jeune, embauché au titre d'un CPE, donne pleinement satisfaction au terme de la période de consolidation de deux ans, il sera conservé au sein de l'entreprise. En effet, l'entrepreneur ne souhaitera pas s'en séparer. Il ne faut pas considérer, me semble-t-il, que l'ensemble des chefs d'entreprise sont d'affreux profiteurs ; ils cherchent surtout à faire en sorte que la pérennité de leur entreprise puisse être assurée, notamment grâce au professionnalisme de leurs salariés.

En conclusion, je considère avec un certain intérêt, en ce qui me concerne, cette démarche positive que représente l'institution du contrat première embauche. J'aurais aimé pouvoir la soutenir sans réserve. Toutefois, avec les membres de mon groupe, j'ai déposé quelques amendements me paraissant utiles. J'espère, messieurs les ministres, que nous pourrons obtenir de votre part, sur les points soulevés, des éléments de réponse concrets qui nous conforteront dans l'intention d'approuver ce dispositif. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.

Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si le projet de loi que nous examinons aujourd'hui est la réponse du Gouvernement à la crise que nous venons de vivre dans les banlieues, et, plus largement, aux tensions qui traversent notre société, alors nous avons des raisons de nous inquiéter.

Messieurs les ministres, comment pouvez-vous parler avec emphase de valeurs républicaines, d'égalité des chances, de respect de la jeunesse et de perspectives d'avenir quand votre projet de loi ne regroupe que des mesures où le disparate le dispute à l'indigent ?

Pour vous, l'égalité des chances, c'est l'apprentissage dès 14 ans et le travail de nuit des enfants. Pour vous, la meilleure raison d'embaucher un jeune, c'est d'avoir la certitude qu'on pourra le licencier sans invoquer de motif. Pour vous, la seule occasion de parler de civisme, c'est à propos de la répression des incivilités. Lorsque vous vous adressez aux maires, c'est pour les transformer en shérifs. Lorsque vous évoquez la responsabilité parentale, c'est seulement au travers de la démission des parents, et toujours sous l'angle des sanctions. Quant à la lutte contre les discriminations, elle se limite à quelques dispositions symboliques.

Une fois encore, vous utilisez les mots pour mieux travestir la réalité ; une fois de plus, l'intitulé d'un projet de loi ne sert qu'à masquer les buts que vous visez ; une fois de trop, vous instrumentalisez la peur de l'avenir pour faire accepter aux salariés la dégradation de leurs conditions de travail.

Votre discours sur l'égalité des chances s'appuie sur une vision dogmatique de la réalité sociale. Malgré vos belles phrases et vos bons sentiments, votre postulat peut se résumer ainsi : « vous avez les mêmes droits, la compétition est ouverte, que le meilleur gagne ». Nous savons, vous et moi, que cela est faux. Sous couvert de reconnaissance des mérites individuels, c'est l'injustice que vous consacrez.

En France, les inégalités ne cessent de s'accroître, la logique de reproduction sociale crée de plus en plus de castes et réduit les possibilités de changer de condition. L'ascenseur social est en panne, l'ambition collective en berne et la solidarité en miettes. Mais la lutte contre les inégalités n'est toujours pas votre priorité. (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)

Pour que l'on puisse parler d'égalité des chances, pour que la référence au mérite individuel puisse être liée à l'idée de justice, encore faudrait-il que le statut des individus ne dépende plus de leurs origines sociales. Or c'est loin d'être le cas : dès les petites classes de maternelle, on constate des différences de niveaux selon le milieu social des enfants. L'évaluation réalisée en cours élémentaire deuxième année à l'échelon national fait apparaître qu'un écart de quinze points en moyenne, sur une échelle en comportant cent, sépare déjà les enfants des ouvriers de ceux des cadres.

L'école ne parvient plus aujourd'hui à assurer un bon niveau d'éducation à tous les enfants.

Mme Raymonde Le Texier. Mais, au lieu d'intervenir dès le plus jeune âge pour compenser les inégalités de départ, vous cédez à la tentation de diriger de plus en plus d'enfants vers des filières spécifiques. Vous ne vous battez pas pour leur assurer un meilleur avenir, vous vous organisez pour les éliminer de plus en plus tôt du système.

Les premières victimes de cet abandon sont les enfants issus des milieux populaires. C'est ainsi que les enfants d'ouvriers représentent 44 % des élèves de l'enseignement professionnel, contre 1,6 % d'enfants de cadres.

Alors que toutes les enquêtes montrent que l'insertion professionnelle des jeunes est d'autant plus réussie que leur niveau de formation initiale est élevé, votre décision de permettre le placement des jeunes en apprentissage dès l'âge de 14 ans laisse perplexe. À 14 ans, on est encore un enfant. D'après les artisans eux-mêmes, à cet âge-là, on ne maîtrise pas les règles de sécurité et on a du mal à appliquer strictement les consignes. Et que dire du rétablissement du travail de nuit dès l'âge de 15 ans ! Une loi de 1874 l'avait supprimé, vous osez le remettre en vigueur !

Mme Raymonde Le Texier. En réalité, de telles mesures risquent surtout de dégoûter les jeunes de l'apprentissage, ce qui accentuera encore les difficultés de recrutement dans certains secteurs.

M. Jean-Pierre Bel. C'est la vérité !

Mme Raymonde Le Texier. Ces arguments, vous les avez entendus comme nous de la bouche même des artisans, mais cela ne vous amène même pas, semble-t-il, à vous interroger. En fait, loin de vouloir revaloriser la filière professionnelle, vous entendez surtout faire le tri entre le bon grain et l'ivraie.

Lutter contre les discriminations est aussi l'un des objectifs visés au travers de ce projet de loi. Nous savons tous que, quand on n'a pas le bon nom, la bonne couleur, la bonne adresse, on ne reçoit le plus souvent pas de réponse à sa demande d'emploi, et on a peu de chances d'obtenir un logement.

Que l'on puisse fonder l'appréciation que l'on porte sur une personne sur la couleur de sa peau est aussi stupide qu'insupportable, et je ne doute pas que nous partagions ce sentiment. Mais la façon dont vous abordez cette question nous laisse songeurs. Comment allez-vous réduire les discriminations, alors même que vous renoncez à lutter contre les inégalités ?

Combattre le racisme suppose de faire évoluer les mentalités. À tous ceux qui attendent que ce texte affirme que ce qui nous rassemble est bien plus fort que nos différences secondaires, vous mentez. Vous utilisez une cause juste sans vous donner les moyens de la défendre. Vous promettez l'espoir, mais votre texte assujettit à l'existant. Vous dites « égalité des chances », mais votre projet de loi soumet aux inégalités de naissance. Vous vous voulez les champions de la lutte contre les discriminations, mais, en ciblant les populations spécifiques sans redonner sens à la solidarité, au partage, à toutes ces valeurs qui nous unissent, c'est la division que vous instaurez. La sélection par l'échec et l'éducation par la compétition font le tri entre vainqueurs et vaincus, mais n'ont jamais produit ni lien social, ni respect de l'autre, ni société solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Le progrès social, ce n'est pas jouer les uns contre les autres, avec pour seul horizon la réussite individuelle ; c'est agir ensemble pour améliorer le sort de chacun, dans l'intérêt de tous.

S'il restait un doute, le fait de présenter comme mesure phare d'un texte relatif à l'égalité des chances le fameux contrat première embauche vaudrait preuve.

Cet avatar du CNE étend aux jeunes le principe d'une période d'essai de deux ans, durant laquelle le salarié est licenciable du jour au lendemain sans qu'il soit besoin d'invoquer un motif. C'est clairement avouer que, pour vous, le seul frein à l'emploi, c'est la protection du salarié, et la seule entrave à la croissance, notre modèle social. Votre lutte contre le chômage se résume ainsi à la destruction du code du travail.

Avec ce choix, c'est l'idée même de contrat que vous videz de sa substance. Par définition, un contrat suppose garanties et réciprocité. Le vôtre n'offre qu'arbitraire et inégalité. C'est ainsi que les jeunes seront corvéables et révocables à merci, tandis que leurs patrons bénéficieront immédiatement d'avantages financiers, sans qu'aucune contrepartie leur soit demandée.

Faciles à rompre, faciles à renouveler, les contrats des jeunes seront demain une variable d'ajustement pratique en cas de retournement de conjoncture. Nul doute, de ce point de vue, que le CPE ne devienne la règle pour l'emploi des moins de 26 ans. Et pour quel résultat ? La vérité, c'est que notre économie ne crée toujours pas d'emplois, que la confiance ne revient pas et que la demande intérieure reste atone. Ce n'est pas en remplaçant des contrats stables par des emplois précaires que vous changerez la donne.

Ce que vous appelez « modernisation de l'économie » n'aboutit qu'à l'impossibilité, pour la nouvelle génération, de se projeter dans l'avenir. Comment faire des choix de vie lorsqu'on peut perdre son travail du jour au lendemain ? Comment s'affirmer dans sa profession quand la peur du licenciement ne peut que développer la soumission ? En réalité, ce que vous proposez aux jeunes, c'est d'entrer dans le monde du travail par le biais d'un contrat disciplinaire.

En témoignent les premiers dossiers de salariés embauchés sous CNE puis licenciés soumis aux tribunaux des prud'hommes. Leur examen est instructif : en effet, d'après les juristes, ces licenciements sont « des licenciements "pour l'exemple", destinés à faire comprendre aux salariés de l'entreprise qu'ils doivent être malléables ». On peut ainsi être renvoyé pour avoir osé réclamer le paiement de ses heures supplémentaires, être tombé malade, avoir annoncé sa grossesse... Le CPE devrait engendrer rapidement les mêmes déboires, tant il est le décalque du CNE.

Chacun des termes de la proposition que vous faites ainsi à notre jeunesse est un chef-d'oeuvre de cynisme et un aveu de mépris. En généralisant l'emploi « jetable », c'est la formation des jeunes diplômés que vous dévalorisez, sans pour autant apporter de réponse aux milliers de jeunes qui sortent sans qualification du système scolaire. Messieurs les ministres, la politique du gouvernement auquel vous appartenez est humainement désastreuse, économiquement inopérante et politiquement désespérante.

En fait d'égalité des chances, vous « assignez à résidence » les individus dans leur statut d'origine et vous augmentez le ressentiment social, tant le fossé entre vos discours officiels et la réalité vécue par les classes moyennes et populaires se creuse. Si, réellement, vous vous interrogez sur les raisons qui ont conduit nos banlieues à s'enflammer, les réponses ne sont pas difficiles à découvrir, même si les solutions sont complexes.

Dans une société démocratique, l'accès à des conditions de vie décentes, au savoir, à la culture, n'est pas censé découler d'un statut hérité.

Quand les inégalités de naissance se cristallisent en inégalités de destin, c'est le champ des possibles qui s'étiole, c'est l'espoir qui disparaît. Pour parler d'égalité des chances, il faut d'abord arrêter de fabriquer de la pauvreté et de l'exclusion, et ce n'est pas en renforçant la précarité que l'on y parviendra.

Par vos choix politiques, c'est le dédain que vous avez pour les Français que vous marquez, l'indifférence que vous ressentez pour les plus modestes que vous affichez...

Mme Marie-Thérèse Hermange. Vous passez les bornes !

Mme Raymonde Le Texier. ... et, à terme, c'est la démocratie que vous fragilisez. On dit notre Premier ministre flamboyant, prenez garde qu'il ne finisse incendiaire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. -Protestations sur les travées de l'UMP. )

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les trois semaines d'émeutes des mois d'octobre et de novembre derniers sont ancrées dans nos mémoires : elles ont frappé par leur violence, par la détresse, l'exaspération ou l'agressivité de leurs auteurs.

Au-delà de ces événements tragiques, il n'est pas acceptable que le quart des jeunes soit au chômage, qu'il leur faille attendre parfois près de dix ans pour obtenir un CDI et que, souvent, les entreprises les exploitent pour des stages non rémunérés.

Cette situation commande des mesures de fond et réclame aussi des mesures d'urgence. Les dispositions mises en place jusqu'à ce jour par les gouvernements de toutes tendances n'ont pas connu le succès escompté.

Ce projet de loi pour l'égalité des chances comporte un vaste ensemble de solutions imaginatives, nouvelles, concrètes, diversifiées, portant à la fois sur l'emploi, le développement économique, l'apprentissage, la politique de la ville, l'absentéisme scolaire, les incivilités ou encore la création d'un service civil volontaire.

La création du dispositif d'apprentissage junior propose aux plus jeunes de retrouver confiance en leurs capacités et le goût de la réussite. L'accession à cette formation diplômante doit consolider l'acquisition des connaissances de base. Il s'agit d'une mesure essentielle pour réduire l'écart entre les besoins des entreprises et les connaissances acquises à l'école.

Ce sont les jeunes quittant prématurément le système scolaire qui sont au coeur de ce texte. D'une part, les entreprises de plus de 250 salariés devront accroître progressivement la proportion de jeunes qu'elles emploient en contrat d'apprentissage ou de professionnalisation et, d'autre part, les stages de plus de trois mois devront être rémunérés, ce qui marquera la considération de l'employeur à l'égard du travail du stagiaire.

L'accès des jeunes à l'emploi se heurte aujourd'hui à la lourdeur des contraintes réglementaires ou fiscales qui pèsent sur les entreprises. Les dispositions du projet de loi suppriment en partie ce frein en encourageant, par une prime majorée en cas d'embauche définitive, les employeurs qui recrutent en CDI un jeune âgé de 16 ans à 22 ans révolus, sans qualification ou titulaire d'un contrat d'insertion dans la vie sociale, un CIVIS.

Par ailleurs, le CPE est un outil de lutte contre la première forme de précarité qu'est l'absence de tout espoir d'embauche. Le CPE peut être considéré comme un contrat à durée indéterminée, car il valorise, pendant la période de consolidation, les stages, les périodes de formation en alternance et les CDD effectués dans les entreprises. Il offre la possibilité d'entrer dans la vie active avec des garanties en matière de droit au logement ou de validation des acquis, comme l'indemnité chômage.

Faisons preuve de bon sens : quel intérêt les entreprises auraient-elles intérêt à pérenniser la précarité de leurs salariés ? Au contraire, il serait irrationnel de licencier un salarié auquel on a donné sa confiance en le formant, ce qui constitue un véritable investissement.

M. Yannick Bodin. Certains le font pourtant !

M. Aymeri de Montesquiou. C'est bien sûr le front de l'emploi des jeunes que doit se gagner la bataille du chômage. Nous avons le devoir de rendre l'espoir aux jeunes qui vivent dans les zones sensibles et de favoriser leur intégration sociale. C'est pourquoi la mise en place de nouveaux dispositifs d'incitation à la création d'activités, notamment commerciales et culturelles, doit transformer les zones franches urbaines en véritables « zones de croissance ».

La création de l'Agence nationale de la cohésion sociale et de l'égalité des chances fait de la lutte contre les discriminations l'une des priorités du projet de loi. L'égalité des chances doit constituer une préoccupation permanente, afin de démontrer solennellement que la République ne délaisse personne.

Cette agence répond à la volonté d'accroître la présence de l'État dans les quartiers sensibles aux côtés de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'ANRU, pour créer une coopération étroite avec les élus locaux. Sur le territoire national, elle contribuera aux actions en faveur des personnes rencontrant des difficultés d'insertion sociale ou professionnelle. Ces mesures sont complétées par les dispositions relatives à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, qui renforcent ses pouvoirs en lui donnant la possibilité de prononcer des sanctions pécuniaires.

La préservation et le développement de la cohésion sociale impliquent d'intervenir dès le stade de l'apprentissage des règles de vie en société. Face à l'absentéisme scolaire, aux difficultés sociales qui frappent certains enfants, l'action publique se doit d'être efficace auprès des parents, très en amont afin que l'avenir de l'enfant ne soit pas irrémédiablement compromis.

L'école et les institutions ne peuvent trouver de solution sans les parents : un contrat de responsabilité parentale est donc créé qui tend à aider ces derniers à remplir leur mission d'éducation.

Dans le même registre, la création du service civil volontaire entend donner à des jeunes la chance de conduire un projet collectif dans le respect des règles de vie commune.

Monsieur le ministre, le Sénat doit contribuer à simplifier votre projet de loi et à le rendre plus accessible à tous. Peut-être le contrat première embauche devrait-il avoir une durée plus courte, car deux ans peuvent entraîner impatience et même inquiétude chez les jeunes ? Si une entreprise signe un CPE c'est qu'elle a besoin de créer cet emploi. Au bout d'un an, elle sait si ce jeune répond à ses attentes.

Ce contrat a le mérite d'innover, et l'ancien Premier ministre Edith Cresson a déclaré ceci : « je souhaiterais que l'on soit plus nuancé dans la critique du CPE. Avec le CPE, la protection augmente avec la durée du contrat. Cela mérite réflexion. »

Ce texte doit permettre de redonner à la jeunesse confiance en elle-même et de la convaincre que l'égalité des chances constitue l'un des piliers de la République. La majorité du groupe RDSE le votera donc. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion du projet de loi pour l'égalité des chances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale aux termes de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, après déclaration d'urgence.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. André Lardeux.

M. André Lardeux. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le coeur de notre contrat social est constitué de deux éléments fondamentaux qui sont l'éducation et l'emploi. Tout ce qui contribue à améliorer la prise en compte par la nation de ces deux éléments doit être soutenu, particulièrement ce qui rapproche le monde du travail et l'enseignement. Aussi, ce projet de loi, malgré la grande diversité des dispositions qui y sont présentées, est le bienvenu, au moins pour ce qui concerne trois de ses aspects, à savoir le contrat première embauche, le contrat de responsabilité parentale et le service civil volontaire.

Le contrat première embauche est une excellente chose. D'aucuns critiquent la forme. C'est commode, car cela évite d'avoir à parler du fond. D'ailleurs, nombre de détracteurs de cette mesure masquent la disette de leur pensée sous l'abondance de leurs paroles. C'est regrettable, car le problème auquel cette proposition tente de remédier mérite mieux que nos sempiternelles querelles partisanes lors desquelles est oublié l'intérêt général, qui est en l'occurrence l'insertion des jeunes dans le monde du travail.

Il est facile de jouer au jeu des petites phrases, mais nous n'avons pas de temps à perdre avec cela, car il est urgent de mettre fin à la préférence française pour le chômage.

Le type de contrat proposé a deux mérites.

Le premier d'entre eux résulte du fait que ce contrat offre aux jeunes une possibilité de sortir de la « galère » dans laquelle un trop nombre d'entre eux se trouvent ou risquent de se trouver.

Actuellement, il arrive trop souvent aux jeunes d'aller de stage en stage plus ou moins rémunéré - d'ailleurs fréquemment moins que plus -, d'enchaîner CDD sur CDD, dont le point commun est la brièveté, quand ce n'est pas le chômage avec tous ses aléas.

Le nouveau contrat proposé apporte aux jeunes des garanties bien supérieures à celles auxquelles ils peuvent prétendre présentement, que ce soit en matière de préavis, d'indemnités en cas de rupture par l'employeur, de mesures d'accompagnement en vue du retour à l'emploi, d'accès à la formation, etc.

Il est à noter que ceux qui doivent faire des stages bénéficient également d'une amélioration de leur situation.

Aussi est-il difficile de comprendre l'hostilité excessive de certains qui ont une vision caricaturale de l'économie et de l'entreprise. Certes, le CPE n'est pas parfait, mais il constitue un grand progrès, car la précarité ne résultera pas de ce contrat : elle caractérise déjà la situation présente.

Le second mérite du CPE est qu'il engage un dépoussiérage du code du travail...

M. Yannick Bodin. Au Karcher !

M. Claude Domeizel. C'est plus qu'un dépoussiérage !

M. André Lardeux. ... qu'il faut débarrasser de son côté phraseur et verbeux et qui n'est plus qu'un élément d'un modèle social en déshérence. En effet, la prolixité de notre code du travail n'a d'égale que la confusion qui y règne. Ce code a en effet substitué à la loi de la jungle la jungle de la loi. Il ne protège que ceux qui sont insérés et empêche trop souvent l'accès à l'emploi de ceux qui ne le sont pas. En quelque sorte, il protège non pas contre les abus des employeurs potentiels, mais contre le travail lui-même. Dans notre monde globalisé, cette situation est périlleuse pour l'ensemble des travailleurs de ce pays. Dans une étape ultérieure, il faudra probablement arriver à un système de contrat unique.

M. Guy Fischer. Au mois de juillet ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. André Lardeux. Les dispositions concernant l'apprentissage sont un complément utile pour préparer l'insertion ultérieure dans le monde du travail, mais elles seraient plus efficaces si l'orientation scolaire était rénovée dans ses principes et dans son fonctionnement.

Elles ne méritent pas non plus les critiques acerbes que l'on entend,...

M. André Lardeux. ...car elles constituent surtout un retour à des pratiques déjà utilisées dans le passé, notamment les classes pré-professionnelles.

De trop nombreuses formations dispensées actuellement ne mènent à rien et n'ont pour objet que de maintenir les postes de ceux qui en sont chargés.

Un sénateur de l'UMP. C'est vrai !

M. André Lardeux. Un autre élément positif du projet de loi que nous examinons est le contrat de responsabilité parentale. Cette disposition est aussi un pas dans la bonne direction.

Il faut bien sûr remédier aux carences de l'autorité parentale et limiter les troubles portés au fonctionnement des établissements scolaires dont le premier est l'absentéisme scolaire. À cet égard, nous devons être beaucoup plus exigeants.

En effet, il n'y a pas que l'absentéisme des enfants de familles dépassées par les événements, lesquelles ont parfois bon dos lorsque ce problème est évoqué. Il est à noter aussi ce que l'on peut appeler « l'absentéisme de confort », de plus en plus fréquent, notamment en cette période hivernale. On me cite de plus en plus souvent le cas d'enfants ne venant pas en classe le samedi matin parce que leurs parents, qui ne sont pas des personnes en situation difficile, estiment trop fatigant de se lever ce jour-là ! En outre, certains parents partent en vacances en période scolaire - le coût des séjours est alors moins élevé -, emmenant leurs enfants avec eux en dépit de l'obligation scolaire. De telles attitudes méritent pour le moins des rappels à la loi.

Pour ce qui est de l'éventuelle suspension des allocations familiales, je m'interroge sur le fait de confier la prise d'une telle décision au président du conseil général.

M. André Lardeux. Il me semblerait plus cohérent d'octroyer cette compétence au préfet, ce qui permettrait d'assurer une application effective et plus uniforme de la mesure sur l'ensemble du territoire national.

Par ailleurs, qui va financer la mise en oeuvre de cette disposition ? Faute de l'attribution de moyens financiers aux départements à titre compensatoire, elle risque d'être une mesure supplémentaire impossible à mener à bien compte tenu du fait que le système social français n'aura pas été suffisamment réformé.

Le troisième élément positif du projet de loi en cours de discussion est l'institution du service civil volontaire. Selon moi, cette proposition pourra évoluer dans les années à venir.

Pour ce qui concerne tout d'abord son intitulé, ledit service a vocation à être qualifié de « national » puisque son objectif doit être le brassage social le plus important possible.

Il faudra également veiller, lors de la mise en place de ce dispositif, à ce qu'il ne soit pas réservé aux seuls initiés ; en effet, dans ce cas de figure, il manquerait son objectif. Il faudra aussi veiller à ce que les catégories sociales les moins favorisées y aient réellement accès.

Il serait d'ailleurs bon, à mon avis, de réfléchir à l'éventuelle extension du dispositif. Mais il est inutile de se précipiter, car le principal obstacle est le coût d'une telle opération. Comme il n'est pas question de « raser gratis » et de financer à crédit une telle disposition, de sérieuses précautions doivent être prises auparavant, faute de quoi on se retrouvera dans une situation aussi difficile que celle qui a suivi l'instauration des emplois jeunes, dont le financement n'était pas pérenne.

En effet, ceux qui se donnent bonne conscience en souhaitant la généralisation de ce dispositif se gardent bien de dire où ils trouveront les 3 à 5 milliards d'euros nécessaires. Les secteurs, très vastes, dans lesquels pourrait exister un éventuel service national peuvent être associatif, social, sportif, éducatif, sanitaire, etc.

Quoi qu'il en soit, avant de mettre en place une telle disposition et sous réserve d'en avoir les moyens, les principes constitutionnels actuels ne permettent pas de la généraliser.

Madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi aussi d'émettre quelques bémols sur d'autres aspects du projet de loi que nous examinons.

Tout d'abord, pour ce qui concerne le titre II, je ne suis pas sûr qu'il soit nécessaire de créer une nouvelle agence. Je me contenterai de dire que la création proposée ne serait qu'une nouvelle complication administrative démantelant l'État. Il m'aurait semblé plus pertinent d'engager une profonde réforme des administrations centrales des ministères concernés.

M. Roland Muzeau. Remplacez l'État par une agence !

M. André Lardeux. Je suis toujours aussi peu convaincu par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE. J'ai du mal à concevoir que l'on augmente déjà ses pouvoirs, alors que cette instance ne fonctionne que depuis peu de temps,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est d'accord avec moi !

M. André Lardeux. ... à moins de satisfaire certaines envies de pouvoir.

M. Roland Muzeau. Eh oui ! Vous avez tout compris ! (Rires.)

M. André Lardeux. Vous n'êtes pas le seul à tout comprendre, mon cher collègue !

Quant à l'article 23 relatif au domaine audiovisuel, sa portée normative n'apparaît pas et démontre que nos lois n'échappent pas au verbiage. De plus, je crains qu'il ne constitue une dérive dans un sens communautariste. Mais, à mes yeux, c'est secondaire par rapport à un manque essentiel dans le domaine de la lutte contre les inégalités.

En effet, je regrette que ne figure dans ce texte aucune disposition tendant à mettre fin à la principale forme de discrimination qui frappe un trop grand nombre de jeunes, à savoir la carte scolaire dont l'hypocrisie est notoire. (Mme Janine Rozier applaudit.)

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales, et M. Dominique Leclerc. Très bien !

M. Roland Muzeau. M. Sarkozy s'en occupe !

M. André Lardeux. Telle qu'elle est mise en oeuvre, cette carte scolaire représente un véritable apartheid social et instaure des ghettos scolaires de façon délibérée. Évidemment, son éventuelle révision se heurte à de profonds intérêts corporatistes, qui se sont manifestés dès hier.

La crise que nous venons de vivre nécessite de se pencher sur cette question. En effet, elle est non pas une crise des banlieues, mais une crise de l'État. Depuis l'année 2000, 34 milliards d'euros ont été consacrés à la politique de la ville. Il serait peut-être trop sévère d'affirmer que ces sommes ont été dépensées pour rien, mais on peut au moins se demander à quoi elles ont servi.

À cet égard, les zones d'éducation prioritaires, ou ZEP, sont un échec monumental, démontrant la faillite du modèle français.

M. André Lardeux. Il ne sert à rien de leur saupoudrer un peu plus d'argent. Elles contribuent à stigmatiser les populations concernées et à maintenir la ségrégation scolaire, qui n'a pas une origine financière mais résulte de nos comportements. Ne sont maintenus dans les ZEP que les enfants des familles qui n'ayant pas assez de relations ou de connaissances pour obtenir une dérogation à la carte scolaire ; Et ceux qui prônent les ZEP se gardent bien d'y scolariser leurs enfants ! Inventons donc des systèmes pour réaliser une véritable mixité scolaire et pour stimuler une saine concurrence entre les établissements.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Très bien !

M. André Lardeux. Cela suppose que soit réalisé un effort dans un pays où la liberté de choix des familles pour l'éducation de leurs enfants est loin d'être générale et à propos de laquelle on a même constaté récemment quelques reculs.

M. Roland Muzeau. La concurrence à l'école, c'est très blairiste !

M. André Lardeux. Mon cher collègue, je n'ai pas beaucoup d'atomes crochus avec Tony Blair, mais si vous voulez me comparer à lui, je ne m'y opposerai pas !

Le troisième bémol que je veux émettre concernant le projet de loi vise son titre IV intitulé « lutte contre les incivilités ». Ce terme est un euphémisme inapproprié, hérité de plusieurs décennies de laxisme et de « politiquement correct ». Il est certain que les victimes concernées par de tels actes considèrent qu'il s'agit de violence pure et simple. Aussi me paraîtrait-il préférable d'intituler plus clairement ce titre « lutte contre la violence ».

Ce texte a donc des aspects positifs ; c'est pourquoi je le voterai. Mais le souffle de liberté qu'il représente est encore bien timide. Il en faudra plus pour bousculer un vieux pays où l'on songe plus à se protéger qu'à se lancer dans de grandes entreprises, où tout le monde, même les jeunes, hélas ! est acquis au sacro-saint « risque zéro », résultant du principe de précaution. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'esclaffe.)

M. Roland Muzeau. Mais non !

M. André Lardeux. Il est plus qu'urgent de réconcilier nos concitoyens avec l'avenir pour leur redonner de l'espérance et pour leur rappeler, à l'instar d'Helmut Kohl, qu'une nation industrielle n'est pas un parc de loisirs où les retraités sont de plus en plus jeunes, les étudiants de plus en plus âgés,...

M. Roland Muzeau. Les riches de plus en plus riches !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On vit mieux avec 10 000 euros qu'avec 800 euros !

M. André Lardeux. ...les horaires de travail de plus en plus réduits et les congés de plus en plus longs ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Me voici, intervenant derrière mon collègue M. Lardeux, confronté à une tâche ardue pour tenter de redresser les esprits non encore endormis à cette heure, mais je vais m'employer à relever ce défi.

Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, les graves événements prévisibles de novembre dernier ont révélé à certains la réalité des discriminations dont sont principalement victimes les jeunes citoyens de notre pays et la violence des inégalités socio-économiques subies par l'ensemble d'une population « ségréguée » spatialement.

Depuis, M. Dominique de Villepin a affirmé son intention de placer l'action de son gouvernement sous le signe de l'« égalité des chances » ! 

Voyons, comme semble le craindre François Dubet, sociologue, si « ce mot d'ordre n'écrase pas aujourd'hui toutes nos conceptions de la justice, et plus immédiatement s'il n'écrase pas un débat politique. »

Voyons enfin si les causes de ces drames ont été entendues et s'il nous est proposé d'y remédier. Pour ne rien vous cacher, notre sentiment est qu'il n'en est malheureusement rien.

Après avoir, entre autres, torpillé la police de proximité, liquidé les emplois-jeunes, siphonné le budget des associations, mis à mal l'éducation nationale et limité les actions publiques en direction des quartiers défavorisés, ce gouvernement s'agite en axant son action sur la rénovation urbaine, en réinjectant 100 millions d'euros de subventions aux associations, qui, à cette date, ne sont toujours pas versés, d'ailleurs, ou en réhabilitant le traitement social du chômage.

La vérité, c'est le budget, et, pour 2006, il ne témoigne pas d'un rééquilibrage social, bien au contraire : il traduit le refus de ce gouvernement et de sa majorité d'initier une autre répartition des richesses, d'un insupportable parti pris en faveur du monde de la finance, des Français les plus aisés, au détriment de la satisfaction des besoins sociaux du plus grand nombre.

Reste également, s'agissant plus particulièrement du logement, l'accentuation de situations d'exclusion ou de fragilité à l'égard d'un nombre grandissant de personnes - 5,6 millions - des jeunes en l'occurrence, comme l'a pointé cette année encore le rapport de la Fondation Abbé Pierre.

En outre, il n'a échappé à personne que le principe de mixité sociale tant mis en avant est contredit par le manque de volonté du Gouvernement de faire appliquer sérieusement la loi SRU, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

Récemment, à l'occasion de l'examen du projet de loi portant engagement national pour le logement, dont nous aurons de nouveau à discuter ici, certains élus de droite, de territoires les plus riches bien évidemment, ont fait preuve de leur détermination, non pas pour prévenir et inverser les phénomènes de ghettoïsation, mais pour assouplir, limiter davantage les obligations qui leur incombent de construire des logements sociaux, et ils ont obtenu gain de cause.

Sur le front de la lutte contre le chômage, enfin, M. de Villepin, en compétition permanente avec M. Sarkozy - cela devient assez banal de le dire - tente de nous convaincre à coup d'annonces frénétiques qu'il « essaie tout ».

Si chacun a sa méthode - le premier pratique la destruction du code du travail et la mise en forme accélérée du programme du MEDEF, le second communique sur la politique de rupture, la France de demain - une chose est sûre : aucun ne s'attaque au coeur des maux dont souffre notre société. Tous deux posent la primauté de la loi économique du profit, de la compétitivité, et considèrent comme naturelle et seule possible la précarisation des normes d'emploi.

L'affichage, la semaine dernière, des « super profits » engrangés par les grands groupes illustre ces choix économiques. Une petite litanie de citations concernant les bénéfices de certaines grandes sociétés manquerait à ma démonstration : France Télécom affiche 90 % de bénéfices nets supplémentaires, mais une hausse de 1 % seulement pour les salaires, avec à la clef l'annonce de 17 000 suppressions d'emplois ; 66 % de bénéfices nets supplémentaires pour ARCELOR ; 61 % pour Alcatel ; 36 % pour Michelin, contre 2,5 % pour les salaires ; 25,1 % pour BNP Paribas, contre 1,2 % pour les salaires ; 18 % pour Renault ; enfin, 16 % seulement pour Total, ce qui fait tout de même 12 milliards d'euros.

Ces chiffres confirment le mouvement de fond de diminution de la part des salaires dans le revenu national, au profit de la part des revenus financiers redistribués aux actionnaires et non réinvestis dans les outils industriels, donc en défaveur de l'emploi.

Nous ne sommes ni naïfs ni ringards et nous nous posons cette double question, que vous devriez essayer de vous poser aussi, mesdames, messieurs de la majorité : où est le bien-être humain là dedans ? Et quel sens cela a-t-il en termes de civilisation ?

« Tout essayer » signifie, pour vous, utiliser tous les outils pour généraliser la précarité. C'est vrai dans le secteur privé, mais également dans la fonction publique, où, désormais, selon la DARES, la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques, 16 % des agents ont des contrats courts. Là aussi, les premières victimes sont les jeunes de moins de vingt-neuf ans et les femmes, qui représentent deux tiers des contrats courts.

Comme l'a développé le professeur Alain Supiot, la contradiction n'est qu'apparente entre l'intervention sur le marché, notamment en aidant financièrement l'entreprise qui embauche, et le laisser-faire en flexibilisant le marché, « les emplois subventionnés constituant l'archétype du travail à bas prix et à faible protection ».

Le Premier ministre, comme M. Raffarin précédemment, s'inscrit dans ce schéma classique. Il intervient largement pour peser sur l'offre d'emploi, subventionnant celle-ci sans de soucier de l'efficacité quantitative et qualitative des aides publiques ainsi distribuées aux entreprises, ni de leur coût pour les finances publiques et encore moins pour la protection sociale. Ces charges pèseraient, selon les estimations, entre 30 milliards d'euros et 60 milliards d'euros ; excusez du peu !

L'empressement mis à créer de nouvelles zones franches urbaines, l'extension du régime d'exonérations fiscales et sociales aux entreprises de moins de deux cent cinquante salariés, et non seulement de cinquante salariés au plus, au risque de favoriser plus encore les effets d'aubaine et les montages financiers des entreprises, sont à ce titre évocateurs.

Le bilan de cette politique de revitalisation économique de territoires en difficulté est pourtant loin d'être aussi positif qu'il y paraît.

D'après la DARES - cette estimation date de ce mois-ci - les résidents des quartiers en difficulté sont plus jeunes et moins qualifiés que les autres salariés embauchés. Essentiellement positionnés sur des postes d'ouvriers ou d'employés, ils reçoivent des rémunérations plus faibles, de l'ordre de 30 %. Les limites de l'insertion des populations issues des quartiers dans les zones franches sont démontrées : 69 % des entreprises n'auraient aucun salarié. Pourquoi, alors, continuer à proposer ce remède, qui coûte une fortune ?

Les effets pervers du ciblage des exonérations sociales, aides fiscales au profit de telle ou telle catégorie de notre population - les jeunes, les vieux, les bénéficiaires de minima sociaux, de certains types d'emploi, à bas salaire, faiblement qualifié ou à temps partiel, ou encore situés sur certains territoires - sont officiellement connus : fragmentation du marché de l'emploi, mise en concurrence des uns par rapport aux autres, stigmatisation des demandeurs d'emploi, de telle catégorie rendue responsable de sa situation. Pourquoi alors les ignorer et préconiser, comme c'est envisagé dans ce projet de loi, de renforcer davantage le ciblage des mesures en direction de tous les jeunes, diplômés ou non, si ce n'est pour accompagner le besoin immédiat d'adaptation des entreprises ?

Si M. de Villepin pèse sur l'offre, il n'en n'épouse pas moins pleinement la critique libérale qui voit « dans le droit du travail le principal obstacle au respect du droit au travail ».

M. Roland Muzeau. En permettant qu'il soit dérogé par voie conventionnelle aux règles du code du travail régissant le temps de travail, le calcul des heures supplémentaires, en défaisant le droit du licenciement ou en multipliant les normes d'emplois à contraintes allégées et les dérogations au principe de l'emploi à durée indéterminée, que fait-il, si ce n'est donner satisfaction au MEDEF ?

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Roland Muzeau. Que fait-il en proposant le CPE dans le prolongement du CNE ? Il assouplit la législation de la protection de l'emploi, et ce - il faut le dire ! - avec les félicitations de l'OCDE, qui appelle de ses voeux, comme nombre d'entre vous, mes chers collègues de droite, la poursuite des efforts vers la refonte du contrat de travail, pour parvenir à un contrat unique dont le CPE et le CNE seraient bien évidemment l'ébauche.

M. Roland Courteau. C'est exact !

M. Roland Muzeau. M. de Villepin rejoint là, dans la course à la présidentielle, son collègue de l'intérieur, toujours prompt à critiquer notre modèle social, qui, selon lui, serait « passéiste, injuste et inefficace ».

Or ces tenants de la « modernité » oublient de dire que la démonstration du lien entre taux d'emploi et rôle de la protection de ce dernier est loin d'être faite et que, avant tout, c'est du rythme de croissance que dépend le volume d'emploi.

Je vous renvoie à l'exemple de l'Espagne et à une tribune d'Henry Guaino, ancien commissaire au Plan et collaborateur de M. Charles Pasqua, parue la semaine dernière, intitulée Les ambiguïtés de la flexibilité du travail, et dans laquelle était relativisé le constat de l'excessive rigidité de l'emploi en France, « cette dernière étant déjà plus flexible que la majorité de ses partenaires européens s'agissant du CDI et des procédures de licenciement, même si, en revanche, la réglementation sur les emplois temporaires y est plus contraignante. »

Et si, justement, sous couvert de lutter contre le chômage des jeunes via le CPE, qui n'est rien d'autre qu'un CDD masqué, le Gouvernement remédiait à ce supposé problème des garanties offertes par les CDD ?

Le CPE court au-delà de dix-huit mois, il peut être renouvelé sans limites et rompu à tout moment durant deux ans, et ce sans motif, alors que la rupture du CDD par l'employeur n'est possible qu'en cas de faute grave.

M. Roland Muzeau. Ceux qui n'ambitionnent, en fait, rien d'autre qu'une resucée de vieilles recettes ultra-libérales avec, comme maîtres mots, l'abaissement du coût du travail et la flexibilité de l'emploi, visent la substitution d'emplois et non l'ajout d'emplois atypiques à des emplois stables, et ce dans l'objectif de faire baisser rapidement à court terme la courbe du chômage. Ils ignorent sur le long terme les besoins de notre économie en salariés qualifiés, en raison des départs massifs en retraite et des évolutions technologiques. Ils passent sous silence les effets dévastateurs de trente ans de dispositifs de lutte contre le chômage qui ont, avant tout, oeuvré en faveur de l'abaissement du coût de l'emploi d'un jeune et de la stigmatisation de ces derniers.

Aujourd'hui, 40 % des jeunes ayant un emploi bénéficient du panel de mesures spécifiques d'insertion professionnelle, sans compter la part croissante des stages effectués par un étudiant sur deux - soit 800 000 personnes - au cours de sa scolarité, des 10 000 stages reconnus par le MEDEF comme étant des emplois déguisés ou des autres formes précaires d'emploi, non réservées aux jeunes mais banalisées et proposées en priorité à ces derniers.

Vous vous dispensez toutefois, madame, messieurs les ministres, de mettre un terme aux pratiques abusives des stages, notamment en définissant législativement ce que l'on peut considérer comme étant un stage, pour en limiter la durée, ou encore pour en envisager la requalification en vrais emplois.

En revanche, avec empressement et non sans confusion, vous communiquez sur un taux de chômage des jeunes - 23 %  - en omettant de préciser que 60 % des jeunes de quinze à vingt-quatre ans sont étudiants ou lycéens.

Vous vous servez de la réelle précarité qu'ils subissent pour justifier pour tous, diplômés ou non, pour ceux qui n'ont pas de difficultés à décrocher un premier emploi en rapport avec leur qualification, l'institutionnalisation d'une norme d'emploi nouvelle, particulièrement incertaine, commettant la même erreur - je vous avertis et, ce faisant, je vous rends service - que M. Balladur en d'autres temps avec son CIP, le contrat d'insertion professionnelle. Il est temps de vous ressaisir !

Pourtant, vous ne pouvez ignorer que 54 % des jeunes entrés sur le marché du travail depuis moins d'un an en 2003 étaient en emploi stable, ni que la situation des jeunes est largement différente selon leur âge et le diplôme qu'ils possèdent.

Au final, contrairement à ce que vous prétendez, il ne s'agit pas là d'un équilibre « gagnant-gagnant », mais d'un équilibre « gagnant pour les entreprises, perdant pour les jeunes salariés », qui supportent plus de précarité sociale sans bénéficier pour autant, en contrepartie, de plus de garanties.

Comme le remarque M. Jacques Freyssinet, président du Centre d'études de l'emploi, « tous les rapports le montrent, la flexibilité c'est quand les gens acceptent de bouger parce qu'ils ont la sécurité. Avec le CPE, il n'y a aucune garantie offerte aux salariés. »

« Qu'est ce qui fera que le CPE consolidera l'expérience des jeunes, qu'il créera de l'emploi ? », s'interrogent quasi unanimement les économistes et les directeurs des ressources humaines.

Quant à la présidente du CDJ, le Centre des jeunes dirigeants - ce ne sont pas des syndicalistes ouvriers ! -, elle déclare que ses adhérents, consultés, boudent déjà le CPE préférant « la motivation » pour garder les jeunes embauchés.

Inadapté pour résoudre la question du chômage des jeunes, le CPE risque d'être aussi source d'affaiblissement de l'investissement des entreprises. Majoritairement, le CPE suscite inquiétude et rejet. Les jeunes, mobilisés aujourd'hui encore, vous l'ont fait savoir.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Roland Muzeau. Le Gouvernement reste néanmoins droit dans ses bottes, par idéologie. Il méprise les exaspérations de nos concitoyens, leurs aspirations à une autre politique.

Avec ces coups de force permanents sur l'emploi, notamment, le Gouvernement s'exonère des consultations nécessaires des partenaires sociaux et de la concertation avec les collectivités territoriales compétentes.

Lorsque des avis sont rendus - je fais référence, en particulier, à celui, négatif, de la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, sur le contrat de responsabilité parentale et la suspension des allocations familiales, ou à celui du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, sur l'apprentissage - ils ne sont suivis d'aucun effet.

Certains personnels - je pense à ceux du FASILD, le Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations - apprennent par la presse le sort qui leur sera réservé. Il en va de même pour ceux de la DIV, la délégation interministérielle à la ville.

Votre attitude, madame, messieurs les ministres, est tout aussi désinvolte et méprisante vis-à-vis du Parlement. Après avoir légiféré par ordonnance sur le CNE, le CTP, vous déclarez l'urgence sur un texte pour accélérer l'adoption de dispositions substantielles introduites par voie d'amendement, dont le CPE. Et je ne reviendrai pas sur l'invocation de l'article 49-3 de la Constitution à l'Assemblée nationale...

Le résultat est que vous privez les uns et les autres de la possibilité de démontrer que d'autres voies existent pour lutter contre le chômage des jeunes.

Comble de l'ironie : le Gouvernement commande des rapports, mais lorsque le contenu de ceux-ci devient gênant, dans la mesure où il va à l'encontre des initiatives gouvernementales, comme c'est le cas du rapport Proglio sur l'insertion des jeunes diplômés, que j'ai lu et relu dans sa totalité tellement il m'a étonné, alors il les cache et ne les verse pas à temps au débat. C'est bien dommage !

Il est vrai que, pour l'UMP, il est dur d'entendre un patron dire que l'insertion des jeunes ne passe pas « par une multiplication des mesures incitatives pour favoriser leur embauche au détriment d'une autre catégorie » ou encore que les entreprises doivent être responsabilisées afin de nouer « avec les jeunes qu'elles recrutent un engagement durable, notamment en revalorisant le CDI comme forme normale d'embauche. » C'est cela, une relation de confiance avec les jeunes !

Je regrette aussi que vous n'ayez pas cru bon devoir tenir compte des contre-propositions syndicales ou politiques qui ont été formulées.

Je pense également à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, dont on ne peut croire qu'elle est simplement destinée à recevoir des fonds : on ne peut se satisfaire du doute entretenu autour de sa tutelle, où l'on perçoit l'ombre du ministère de l'intérieur. Monsieur Borloo, nous attendons votre réponse à ce sujet.

Je pense aussi au renforcement des pouvoirs de sanction de la HALDE, qui revient à dépénaliser les pratiques discriminatoires et à minimiser de fait l'importance des actions menées pour prévenir les comportements racistes et sexistes, ce qui concerne plusieurs ministères.

En introduisant tout à l'heure mon propos, je m'interrogeais sur l'intitulé même de ce projet de loi, qui fait référence à l'égalité des chances et non à l'égalité des droits. Car, pour reprendre les réflexions du sociologue Roland Pfefferkorn, « là où il y a égalité, par définition, il n'y a pas besoin de chance et là où il y a chance, il n'y a pas d'égalité... le mot chance renvoyant au monde de la loterie, un monde où quelques-uns gagnent et où la plupart perdent ... ».

Vous comprendrez, au détour de nos interventions et de nos amendements que l'existence du CPE, de l'apprentissage dès l'âge de quatorze ans, comme du contrat de responsabilité parentale, est pour nous autant de dispositions inacceptables, qui nous amèneront à rejeter un texte par ailleurs épars, dangereux et sans grande ambition. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Nogrix.

M. Philippe Nogrix. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, la promotion de l'égalité des chances fait appel à l'esprit de responsabilité, qu'il faut sans doute, plus que jamais, contribuer à renforcer.

Beaucoup reste à faire dans une France où notre « modèle républicain », loin de répondre à toutes ses promesses, abrite encore un certain nombre d'inégalités et de discriminations. Elles sont autant de « coups de canif » portés à notre pacte républicain, à la nation qu'il établit et au « vivre ensemble » qui en est le ciment.

L'égalité des chances doit permettre à chacun de trouver sa place dans une société qui a vocation à ne laisser personne au bord du chemin. Elle assure que les hiérarchies ne s'établissent qu'en reconnaissance du mérite et de l'effort, valeurs que l'idéologie et le « politiquement correct » ...

M. David Assouline. Vous n'avez que ce mot à la bouche !

M. Philippe Nogrix. ... ont contribué, hélas, à discréditer.

C'est au regard de cet idéal que le groupe UC-UDF propose d'examiner ce texte, sans angélisme ni diabolisation, mais plutôt avec bon sens.

Que nous dit-il, ce bon sens ?

En premier lieu, que vous aurez beau marteler que l'empilement des mesures hétéroclites (applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC) proposées dans ce projet de loi est bien à même de répondre aux défis actuels, hélas, vous ne prêcherez que pour les convaincus ! (Nouveaux applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Roland Muzeau. Bravo ! C'est bien la première fois que je vous applaudis ! (Sourires.)

M. Philippe Nogrix. Je vous en dispense. Affûtez plutôt vos arguments ! (Nouveaux sourires.)

En outre, madame, messieurs les ministres, l'introduction en catimini de dispositions qui n'ont qu'un lointain rapport avec lesdits objectifs nous semble d'autant plus contestable que, ce faisant, vous bricolez sans le dire des éléments fondamentaux de la nation.

En second lieu, que la méthode retenue nous paraît doublement détestable.

Vous ne vous seriez fixé que ce seul objectif de tendre à l'égalité des chances que vous étiez déjà « disqualifiés ». Un texte à l'ambition aussi bien ancrée mérite en effet beaucoup mieux qu'un débat en urgence, « à la hussarde », sans qu'il soit procédé aux consultations d'usage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

La République, c'est l'affaire de tous, et non celle d'un parti ou d'une corporation. Au-delà de cette question de principe, nous apportons notre voix à tous les démocrates qui s'émeuvent de « l'art et de la manière » avec lesquels vous piétinez les engagements mentionnés dans la loi du 4 mai 2004, dite loi Fillon. (Murmures d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)

Notre démocratie sociale ne vous a certes pas attendus pour tomber malade, mais il est à craindre que vous lui ayez porté là un coup fatal. (Applaudissements sur les mêmes travées.) Cela est d'autant plus vrai qu'en plaquant le CPE dans un texte qui n'était pas a priori destiné à le recevoir, vous privez la nation du grand débat que son introduction appelle.

Mme Hélène Luc. C'est vrai !

M. Philippe Nogrix. Arrêtons, là encore, de nous payer de mots ! Malgré les envolées verbales du Premier ministre pour en minimiser l'impact, le choix que vous nous proposez est d'une grande portée.

Un sénateur socialiste. On n'aura plus rien à dire ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Nogrix. Mais il alourdit aussi d'un énième contrat spécifique le code du travail, qui devra nécessairement être toiletté un jour ou l'autre. Et le plus tôt sera le mieux, car les entreprises n'en peuvent plus !

Mais tout cela, pourquoi ne pas le dire et le livrer d'ores et déjà au débat ? L'enjeu porte bien ici sur un choix de société.

M. Philippe Nogrix. Les Français ont le droit de connaître les termes qui encadrent cette remise en cause ainsi que les alternatives qui se posent, et de se prononcer à leur sujet.

Il faut, madame, messieurs les ministres, jouer carte sur table et prendre les Français à témoin de votre volonté de trouver un consensus sur une question qui les engage au plus haut point.

Nous devons absolument sortir de l'ornière idéologique de la « lutte des classes », telle qu'elle s'exprime encore, hélas, dès qu'il est question de l'entreprise en France.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Là, c'est moins bien !

M. Philippe Nogrix. Vous utilisez une bien mauvaise méthode pour présenter un dispositif qui, s'il est perfectible, n'est pourtant pas complètement irrecevable dans son principe.

Le monde bouge, en effet, et particulièrement le monde des entreprises, lesquelles doivent aujourd'hui composer avec un environnement en perpétuelle mutation. Or ce sont elles qui, jusqu'à preuve du contraire, ont ou n'ont pas d'emplois à créer et donc à proposer.

Vous le savez, ce n'est pas la loi qui fait l'emploi.

Entre le possible et le souhaitable, entre le réel et le rêvé, il y a un équilibre à déterminer.

L'angle de lecture du CPE change, pour peu que l'on accepte de considérer que les intérêts de l'employeur sont ceux de l'entreprise et que ceux de l'entreprise sont ceux de l'employé auquel elle propose un travail.

L'angle de lecture change également pour peu que l'on veuille bien cesser de considérer le travail contemporain comme systématiquement aliénant, mais plutôt et surtout comme un facteur d'équilibre, d'accomplissement et d'inclusion dans la société.

Je sais que ce n'est pas chose aisée à envisager pour une gauche qui, jadis, a inventé le ministère du temps libre ...

Mme Hélène Luc. Heureusement qu'on en a du temps libre !

M. Philippe Nogrix. ... et qui porte la responsabilité historique du miroir aux alouettes des 35 heures.

Mon expérience de l'entreprise me le confirme : un recrutement, c'est à la fois un risque et un investissement.

La peur de « l'effectif » est une maladie largement répandue en France.

Le CPE n'est pas infondé à lever les freins psychologiques à l'embauche des jeunes. Il n'entraîne a priori aucune conséquence sur l'intérêt qu'a une entreprise, dès lors que son activité le lui permet, à garder un employé qu'elle a formé à son métier durant deux ans.

Je refuse le procès d'intention fait aux employeurs, selon lequel ils n'aspireraient qu'à licencier le salarié embauché en CPE au bout de deux ans.

M. Josselin de Rohan. Vous êtes un peu réactionnaire, là ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Philippe Nogrix. Il ne faut toutefois pas faire d'angélisme.

J'estime en effet que ce dispositif, dans la mesure où il est dérogatoire, doit être plus strictement encadré qu'il ne l'est à l'heure actuelle. Le délai de deux ans excède la durée nécessaire pour une période d'essai. Quant au délai de carence entre deux CPE, il doit au contraire être allongé, afin de prévenir les effets d'aubaine, de seuil et de substitution.

De même, je pense qu'il faut prévoir la mention d'une justification écrite de la rupture du contrat de travail.

Enfin, parce que nous savons que le chômage des jeunes est une question autant d'inhibitions que de formation, le groupe UC-UDF proposera un certain nombre d'amendements destinés à permettre à l'employé de « reprendre la main ». Il faut en effet lui offrir la possibilité de s'approprier son projet et son parcours professionnels, afin qu'il soit acteur du surcroît de flexibilité que l'on peut attendre de lui. On peut ainsi résumer cette relation : « Je te donne, tu me donnes, on échange un savoir-faire contre des conditions de travail ».

Il y a encore du chemin à faire avant que la nouvelle donne proposée ici soit véritablement « gagnante-gagnante ». C'est également vrai des autres volets de votre projet de loi.

S'agissant de la HALDE, la pratique du testing, inscrite d'ailleurs sous un curieux anglicisme dans la loi française - la loi Toubon aurait-elle été abrogée ? - ...

M. Jean-Louis Borloo, ministre. On dit aussi la « testation » !

M. Philippe Nogrix. Pourquoi ne pas utiliser les mots « testation », « simulation » ou « évaluation » ? Supprimons ce testing, qui n'a rien à faire chez nous !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le testage ?

M. Philippe Nogrix. Non, le testage est réservé aux animaux ! (Sourires.)

La « testation » est un mot nouveau, introduit dans le vocabulaire en 1986 par les journalistes, grâce à qui la langue française demeure une langue vivante !

M. René Garrec. Est-ce dans le dictionnaire ?

M. Philippe Nogrix. Si la possibilité qui est offerte de répondre aux discriminations par une amende pénale permet bien de pallier les lenteurs de la justice, ce dispositif pose néanmoins autant de questions qu'il n'en résout, d'abord techniquement, avec la nécessité d'un aménagement institutionnel inspiré du précédent de la Commission des opérations de bourse, la COB, et ensuite politiquement, dans la mesure où la sanction ne saurait être envisagée autrement que comme un cautère sur une jambe de bois.

Cette sanction est certes nécessaire et doit même être doublée en cas de récidive. Mais le respect et la crainte ne se confondent pas. Les regards et les mentalités ont besoin, pour évoluer, au moins autant de pédagogie que de sanctions.

M. Jean-Pierre Sueur. C'est vrai !

M. Philippe Nogrix. Enfin, s'agissant du contrat de responsabilité parentale, que j'aurais aimé évoquer devant Philippe Bas, il aurait été profitable de lui trouver une place au sein d'un texte prenant plus globalement en compte la situation des familles.

M. Philippe Nogrix. Il faut, là encore, être conscient de ce que la responsabilisation telle que vous la concevez, en envisageant la possibilité de suspension des allocations familiales, inscrit sans le dire notre politique familiale dans une logique plus contractuelle qu'universelle, alors que ces allocations résultent d'une cotisation sur le salaire et donc sur le travail.

M. Philippe Nogrix. La vraie question à laquelle il nous faut répondre est celle de l'accompagnement social des familles, ce qui eût peut-être évité que l'UNAF, l'Union nationale des associations familiales, n'émette des réserves ou que la CNAF, la Caisse nationale des allocations familiales, ne rejette vos propositions.

M. Philippe Nogrix. Je vous épargnerai la métaphore de la montagne qui accouche d'une souris, ...

M. Roland Muzeau. Mais non ! Moi, je ne la connais pas ! (Sourires.)

M. Philippe Nogrix. ...mais elle s'impose à l'évidence !

Il y avait un objectif louable et ambitieux au départ. Il n'y a plus qu'un patchwork inabouti et, bien sûr, incomplet à l'arrivée.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Patchwork, c'est de l'anglais !

M. Philippe Nogrix. Au-delà du décalage, le caractère subreptice des modifications que vous apportez à nos fondamentaux me semble dommageable au regard, non seulement de nos mécanismes démocratiques, mais surtout de la possibilité offerte de confronter explicitement les Français aux voies et moyens de la société qu'ils veulent construire ensemble.

C'est parce que vous vous êtes soustraits à cette réalité qu'elle risque de se rappeler à votre souvenir avec fracas.

J'espère toutefois que l'examen des amendements nous permettra d'enrichir et de modifier le texte que vous nous proposez : la nature de notre vote en dépendra. (Applaudissements sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Roland Ries.

M. Roland Ries. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, il me semble qu'il faut revenir au point de départ de ce projet de loi pour en bien comprendre la portée.

Il y a trois mois, nos banlieues étaient durement frappées par ce qu'il faut bien appeler de véritables émeutes - ou riots, pour utiliser le mot anglais, qui dit bien ce qu'il veut dire ; cette situation a abouti à la déclaration de l'état d'urgence.

Ces violences intolérables pour nos concitoyens ont entraîné des dégâts très considérables, chiffrés à près de 200 millions d'euros, d'après l'évaluation réalisée par la Fédération française des sociétés d'assurances.

Ces émeutes signifiaient au Gouvernement le fort sentiment d'abandon dont se sentait victime une partie importante de notre population vivant dans des quartiers fragilisés par une politique qui n'était manifestement pas à la hauteur des enjeux.

Ces émeutes signaient également l'échec patent, dix années après son élection à la Présidence de la République, de Jacques Chirac, qui s'était successivement fait élire sur les thèmes de la lutte contre la fracture sociale, puis de la lutte contre l'insécurité.

Manifestement, ni l'un ni l'autre de ces objectifs n'ont été atteints, et les émeutes dans nos quartiers l'ont manifesté face à la nation stupéfaite et face au monde extérieur sidéré.

M. Josselin de Rohan. Et vous qu'aviez-vous fait ?

M. Roland Ries. Les deux caractéristiques de ces mouvements ont bien été la volonté de lutter contre, d'une part, les inégalités et les discriminations et, d'autre part, les violences de voie publique, c'est-à-dire très exactement contre ce que le candidat Chirac prétendait éradiquer dans ses programmes successifs.

L'échec, mes chers collègues, est donc ici manifeste.

M. Josselin de Rohan. Ségolène fera mieux ! (Sourires.)

M. Roland Ries. Dans l'urgence, voire, serais-je tenté de dire, dans la panique qui a alors frappé le sommet du pouvoir, se rendant soudain compte de la gravité de la situation, des promesses ont été faites, quelques subventions rétablies.

Mais, globalement, et particulièrement en Seine-Saint-Denis, les maires sont aujourd'hui dans la désespérance face à l'absence de mobilisation de l'État, pour reprendre le titre d'un article paru mardi dans le journal Libération.

C'est dire, mes chers collègues, à quel point les propositions du Gouvernement en faveur des quartiers étaient attendues avec impatience, mais quelle déception !

Alors qu'il aurait fallu s'interroger sur les moyens de « remettre en selle » ces quartiers avec des propositions novatrices, le projet de loi qui nous est présenté nous « sert » comme l'alpha et l'oméga de la revitalisation des banlieues un dispositif de défiscalisation des plus classiques en faveur des entreprises.

Les seuls éléments nouveaux, en dehors du CPE, dont on a beaucoup parlé, et du service civique volontaire, résident dans la mise en place d'une troisième vague de zones franches, qui ne sont d'ailleurs pas définies aujourd'hui mais qui le seront ultérieurement par décret.

Je veux exposer rapidement notre point de vue sur ces zones franches urbaines, qu'elles soient d'ailleurs anciennes ou nouvelles.

Sur le principe même des zones franches urbaines, j'ai, à la limite, envie de dire « pourquoi pas ? », même si je suis convaincu que ces zones représentent très souvent un effet d'aubaine pour les entreprises.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Entreprises qui s'en vont ensuite...

M. Roland Ries. Je rappelle à ce sujet que 20 % des implantations dans les zones franches urbaines de deuxième génération sont en fait de simples transferts d'entreprises,...

M. Alain Gournac, rapporteur. Faut-il supprimer celle de Bondy ?

M. Roland Ries. ...et je ne compte pas celles qui se seraient de toute façon créées sans la mise en place de ce coûteux dispositif.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Mais on ne parle jamais des entreprises qui ne se seraient jamais créées !

M. Roland Ries. C'est ce que j'ai pu lire dans des études de bilan sur ces ZFU de deuxième génération. On est donc loin des 70 000 créations d'emploi annoncées, car, dans le dispositif de lutte contre le chômage, il convient, on le sait, de raisonner en création nette d'emplois, et non pas en termes de vases communicants d'emplois.

Je me livrerai à présent à quelques réflexions sur les nouvelles mesures que prévoit le projet de loi en matière de ZFU, en particulier dans ses articles 6 à 15.

Tout d'abord, le dispositif proposé étant fortement dérogatoire au droit commun, il ne peut se concevoir que comme étant tout à fait exceptionnel quant au nombre de territoires concernés. Les zones franches urbaines ne trouvent en effet leur justification que si elles correspondent à une volonté forte des pouvoirs publics de « mettre le paquet » sur un nombre réduit de territoires.

Au-delà du coût important de ce dispositif, il est bien évident que, plus il bénéficiera à un nombre important de territoires, plus ses effets éventuellement positifs risquent de se diluer. Or, après les ZFU de première génération, nous avons eu les ZFU de deuxième génération et vous nous proposez à présent des ZFU de troisième génération, toutes les zones franches créées antérieurement étant non seulement maintenues, mais prolongées dans le temps sans même qu'une véritable évaluation en termes d'emplois réellement créés ait été réalisée ZFU par ZFU.

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Vous vous contredisez !

M. Roland Ries. Le caractère fortement dérogatoire du dispositif devrait, à mon sens, au contraire conduire à une limitation plus courte dans le temps. Il s'agit bien d'encourager l'installation d'entreprises, et non d'assurer des rentes de situation sans rapport avec l'intérêt social, et ce compte tenu, surtout, du coût pour la collectivité des activités en question.

Enfin, le même caractère fortement dérogatoire au droit commun devrait conduire à encadrer strictement les activités auxquelles le dispositif s'applique. Or, étendre aux entreprises de moins de 250 salariés, contre 50 actuellement, ou aux quartiers d'une taille minimale de 8 500 habitants, contre 10 000 actuellement, la possibilité de bénéficier des diverses exonérations correspond en fait à cette même logique de saupoudrage aux effets plus qu'incertains.

M. Pierre André, rapporteur pour avis. Il ne s'agit pas de saupoudrage, mais d'exonérations !

M. Roland Ries. Je note que, parallèlement, et nous déposerons un amendement pour y remédier, les professions médicales et paramédicales sont exclues du dispositif proposé pour les cotisations sociales dites personnelles, pour la maladie et pour la maternité, alors que chacun sait que les quartiers concernés souffrent d'un fort déficit d'installation de ces professions. Il faudrait au contraire, dès lors que l'on se place dans cette logique des zones franches, encourager de jeunes praticiens à installer leur cabinet dans ces quartiers.

Je terminerai ce premier propos sur deux points concernant la méthode retenue par le Gouvernement concernant l'extension du dispositif des ZFU, et notamment la création des quinze nouvelles zones.

Tout d'abord, je veux exprimer ma forte inquiétude quant à la détermination par décret du périmètre de ces quinze nouvelles zones franches. En effet, la manière dont ce gouvernement a réalisé ses choix pour les fameux collèges estampillés « ambition réussite » constitue un précédent qui n'est pas de nature à nous rassurer. Sans vouloir faire un procès d'intention, je crains que cette méthode n'ouvre la voie à des choix qui pourraient être dictés par des considérations autres que la situation objective des quartiers. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. Oui ! Par des considérations politiques !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les copains d'abord !

M. Roland Ries. Aussi, j'invite vivement le Gouvernement à mettre sur la table, de manière précise et transparente, les critères qui le conduiront à retenir tel quartier par rapport à tel autre. Pourquoi ne pas lancer un appel public à projets, comme pour la première génération de ZFU ?

Ensuite, nous savons bien que la création de nouvelles ZFU est soumise à l'accord préalable de la Commission européenne. Pourquoi alors le Gouvernement ne s'est-il pas assuré de cet accord avant de soumettre son projet de loi au Parlement ? La discussion pourrait en effet se révéler nulle et non avenue si la Commission européenne décidait qu'il est impossible d'étendre les zones franches.

Le deuxième point de mon intervention porte sur l'insuffisance des contreparties exigées des entreprises par rapport à l'importance des exonérations accordées.

Soumettre les entreprises à la seule obligation de recruter 30 % de leurs salariés dans les zones urbaines sensibles me paraît être une condition bien insuffisante. Trop de ZFU aujourd'hui sont, en fait, sans lien véritable avec les quartiers grâce auxquels elles bénéficient de leur régime fiscal d'exception.

La clause locale d'embauche est donc une condition d'exonération bien insuffisante, mais, en plus, je trouverais tout simplement scandaleux que les entreprises puissent considérer leur seule obligation comme ayant été remplie parce qu'elles recourent au CPE.

En d'autres termes, la conclusion de contrats de travail précaires ne saurait être considérée comme la contrepartie exigée des entreprises pour bénéficier des avantages fiscaux de l'implantation en ZFU. Ce sont évidemment des CDI qu'il faut exiger, et nous déposerons d'ailleurs des amendements en ce sens.

M. Thierry Repentin. C'est justifié !

M. Roland Ries. Compte tenu du coût important que ces exonérations représentent pour la collectivité, nous pourrions exiger des entreprises qu'elles prennent des engagements supplémentaires pour mieux s'insérer dans leur environnement.

Ainsi, elles pourraient s'investir plus fortement dans la promotion à l'égard de leurs salariés des modes de déplacement alternatif à l'usage individuel de l'automobile, par exemple dans le cadre de plans de déplacement des entreprises, ou encore dans la vie associative du quartier.

Je rappelle tout de même que, d'après les évaluations réalisées, chaque emploi entrant dans le dispositif qui existe aujourd'hui coûterait plus de 6 000 euros par an à l'État, soit, en définitive, pas beaucoup moins que les emplois-jeunes, que la majorité actuelle a tant critiqués à cause de leur coût élevé pour la collectivité.

M. Roland Ries. Troisième et dernier point de mon intervention : il me semble important de souligner la vision parcellaire du projet du Gouvernement.

Aborder le thème de la revitalisation économique de nos quartiers sous le seul angle de la défiscalisation me semble être une approche totalement insuffisante. En effet, deux éléments devraient, à mon sens, être pris en considération pour assurer une meilleure efficacité des ZFU.

D'une part, la gestion du foncier, dont le projet de loi ne traite pas, constitue aujourd'hui un problème important dans les quartiers.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais le Gouvernement ne veut pas en parler !

M. Roland Ries. D'autre part, les zones franches urbaines n'ont aucune chance de fonctionner correctement si elles ne s'intègrent pas dans une politique locale globale de revitalisation des quartiers, aspect que le projet de loi néglige aussi.

Globalement, les propositions qui nous sont faites sont donc bien décevantes et ne correspondent pas à la réalité des enjeux auxquels sont confrontés ces quartiers. Je suis convaincu que l'ensemble de ce projet de loi, et plus particulièrement toutes les mesures qui aboutissent à la précarisation de l'emploi des jeunes, à la pérennisation et à l'extension de dispositifs qui ont fait la preuve, au fil des ans, de leur inefficacité, n'est pas à la hauteur des énormes problèmes économiques et sociaux que connaît notre pays.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous ne cautionnerons évidemment pas cette politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Janine Rozier.

Mme Janine Rozier. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le projet de loi pour l'égalité des chances qui nous est soumis aujourd'hui a fait couler beaucoup d'encre. Il a mobilisé dans la rue, certes toujours les mêmes personnes, prêtes à sortir leurs banderoles et leurs contre-vérités, mais aussi des jeunes à qui, comme d'habitude, on a fait la leçon. (Oh ! sur les travées du CRC.)

Mme Hélène Luc. Croyez-vous qu'ils l'aient fait par plaisir ?

Mme Janine Rozier. Face au chômage qui sévit depuis une trentaine d'années, face à l'insécurité qui s'est manifestée dans nos banlieues, face au désarroi des familles et au mal-vivre des jeunes, l'État offre aujourd'hui une chance à ceux qui veulent s'intégrer par le travail.

Dans cette optique, le présent projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, contient cinq objectifs.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n'a pas été adopté !

Mme Hélène Luc. Il est seulement considéré comme adopté.

Mme Janine Rozier. Je reprendrai point par point ces cinq objectifs : favoriser l'emploi des jeunes en instituant l'apprentissage junior et le contrat première embauche ; renforcer l'égalité des chances et lutter contre les discriminations en créant l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances ; aider les parents à exercer leur autorité parentale grâce à un contrat de responsabilité parentale confié aux conseils généraux ; renforcer les pouvoirs des maires face aux « incivilités », enfin, créer un service civil volontaire.

Si vous le permettez, madame, messieurs les ministres, je développerai en particulier deux sujets sur lesquels j'ai déjà eu l'honneur d'intervenir, à savoir, d'une part, l'apprentissage junior et le CPE, donc l'emploi des jeunes, et, d'autre part, l'autorité parentale et les mesures qui concernent les familles.

J'évoquerai d'abord le CPE et les points positifs que j'ai pu relever à son sujet.

Ce dispositif permettra aux jeunes qui sont en CDD, en intérim, en stage ou au chômage d'accéder à un véritable CDI, puisqu'il s'agit d'un emploi qui se consolide au fur et à mesure du temps passé dans l'entreprise. C'est donc un parcours d'insertion rapide.

Le CPE offre une garantie de rémunération et une garantie de consolidation...

M. Roland Courteau. Une garantie de licenciement !

Mme Janine Rozier. ...du temps de présence effectué dans l'entreprise au jeune qui aura déjà effectué un CDD ou des stages.

Je souligne qu'il prévoit une protection particulière pour les femmes enceintes ou celles qui sont en congé maternité. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Le CPE offre une rémunération normale garantie par la convention collective à laquelle adhère l'entreprise, rémunération qui ne peut être inférieure au SMIC. Les droits des salariés augmentent avec l'ancienneté, et la période d'essai est d'un mois.

Le CPE offre, en outre, un droit à la formation, et ce dès le premier mois d'activité, alors que ce délai est d'un an pour le CDD classique.

Par ailleurs, l'accès au logement et au crédit est facilité grâce au LOCAPASS, qui permet de simplifier le paiement des cautions, et les banques se sont engagées pour l'accès au crédit.

M. Guy Fischer. Demandez aux lycéens ce qu'il en est !

Mme Janine Rozier. Il n'est, en outre, pas possible de licencier du jour au lendemain, contrairement à ce que certains prétendent.

En cas de rupture de contrat, une indemnité de quatre mois de salaire est prévue. Le préavis progresse avec l'ancienneté : il est de quinze jours durant les six premiers mois du contrat et d'un mois au-delà.

En cas de licenciement après quatre mois, une allocation forfaitaire spécifique de 490 euros par mois est financée par l'État pendant deux mois si le jeune titulaire du contrat ne peut prétendre à l'assurance chômage.

Cette énumération, qui retrace les grandes lignes des bienfaits du CPE, peut, certes, paraître fastidieuse, car tous ceux qui voulaient comprendre ont compris depuis longtemps qu'il s'agissait d'une très bonne mesure !

M. Roland Courteau. Ils ne sont pas nombreux !

Mme Janine Rozier. Pourquoi des gens beaucoup plus intelligents que je ne le suis ne l'ont-ils pas compris ? (Exclamations et rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Pourquoi cette campagne de désinformation et de diabolisation lorsqu'on sait que près de 60 % des moins de trente ans ont, eux, parfaitement compris que le CPE constituait un plus et que le délai de deux ans en vue d'accéder à un emploi stable pour lequel ils ont été formés est une chance qui leur est offerte ?

Pourquoi vouloir ignorer les efforts accomplis et les résultats positifs déjà enregistrés depuis que ce Gouvernement a réfléchi aux problèmes de l'apprentissage et qu'une forte création d'emplois, notamment dans le secteur du BTP, a vu le jour en 2005, pour atteindre 36 000, si mes renseignements sont exacts. (Mme la ministre déléguée acquiesce.)

Les entreprises, dont la première difficulté est de trouver une main-d'oeuvre qualifiée - quand il ne s'agit pas d'une main-d'oeuvre tout court qu'elles puissent former -, ont fait des efforts d'attractivité, en portant, notamment, la rémunération de l'apprenti à 40 % du SMIC dès la première année.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. C'est exact !

Mme Janine Rozier. Elles ont revalorisé les conditions de travail.

Toutes ces mesures vont dans le même sens et devraient donc être comprises par tous.

Le présent projet de loi, en son article l er, vise à mettre en place l'apprentissage junior dès quatorze ans, ce dont je me réjouis. (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Pour ma part, j'ai toujours placé beaucoup d'espoirs dans cette voie de l'apprentissage qui permet aux jeunes de se projeter dans l'avenir et d'en avoir une vision concrète, contrairement au système scolaire classique dans lequel beaucoup obtiennent un diplôme trop souvent sans débouché, voire n'obtiennent aucun diplôme parce que l'école ne les intéresse pas, qu'ils s'y ennuient, ce qui explique qu'ils soient prêts à toutes les bêtises.

Les jeunes trouvent dans l'apprentissage la révélation de leur utilité, ce qui leur donne envie de progresser, de construire et de se construire.

Mme Janine Rozier. C'est pour eux une chance de trouver la voie du succès, en prenant conscience de leurs possibilités.

Je regrette même, à titre personnel, que le contrat d'apprentissage ne puisse être signé dès l'âge de quatorze ans.

Mme Hélène Luc. Ben voyons !

M. Jean-Pierre Godefroy. Et pourquoi pas douze ans ?

Mme Janine Rozier. C'est une année de perdue !

N'oublions pas que toute l'excellente main-d'oeuvre qui va prochainement partir à la retraite a été formée chez les artisans et dans les entreprises, sitôt après l'obtention du certificat d'études primaires, voilà cinquante ans !

M. Guy Fischer. Ce n'est pas vrai !

Mme Hélène Luc. A quoi sert-il de faire partie de la délégation aux droits des femmes si c'est pour s'exprimer ainsi ?

Mme Janine Rozier. Il est vrai que les enseignants des années cinquante étaient exceptionnels. (Murmures sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Thierry Repentin. Les sénateurs aussi ! (Sourires.)

Mme Janine Rozier. Les enfants d'immigrés - dont j'étais - apprenaient non seulement le français et le calcul, mais aussi l'hygiène, le respect, la politesse, le civisme...

M. Guy Fischer. N'oubliez pas la morale !

Mme Janine Rozier. ... ainsi que l'amour de la France, encore convalescente après la dernière guerre mondiale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)

L'école de la République savait alors former les jeunes. Elle savait aussi leur inculquer la culture du travail. Depuis qu'il est interdit d'interdire et que les valeurs ont été piétinées, le travail n'est plus une vertu.

Les entreprises du bâtiment et des travaux publics, notamment, se trouvent en réelle pénurie de main-d'oeuvre depuis que le travail manuel a été dévalorisé.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Étant donné les salaires que propose ce secteur d'activité, cela n'est pas étonnant !

Mme Janine Rozier. Les PME, qui constituent le réservoir d'embauche de demain, souhaitent apprendre un métier aux jeunes afin que soit formé un personnel efficace apte à leur permettre de développer leur activité. La formation professionnelle, si nécessaire pour les entreprises, est donc indispensable pour valoriser les capacités des jeunes.

J'en viens maintenant au contrat de responsabilité parentale.

Plusieurs sénateurs du groupe CRC. Aïe, aïe, aïe !

Mme Janine Rozier. L'égalité des chances se joue d'abord au sein des familles et à l'école.

L'autorité parentale appartient aux parents dans le but de protéger l'enfant, de subvenir à son entretien et de l'aider à bien démarrer dans la vie.

M. Yannick Bodin. C'est la Mère fouettard !

Mme Janine Rozier. Or certains parents éprouvent de grandes difficultés à exercer cette autorité. Pour de nombreuses raisons économiques, sociales ou sociétales, ils sont incapables d'empêcher l'absentéisme scolaire, voire les sorties nocturnes de leurs très jeunes enfants.

M. Yannick Bodin. On va sortir les martinets !

Mme Janine Rozier. Il convient, par conséquent, d'assigner des objectifs aux parents, de leur rappeler leurs obligations et d'organiser le dispositif d'action sociale qui doit y être associé lorsque leur situation de famille le justifie.

Familles de France (exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste), association réputée pour sa pugnacité à défendre ce qui est bon pour les familles, a fait une analyse extrêmement sérieuse du projet de loi pour l'égalité des chances. Elle fait remarquer que certaines familles entrent dans la deuxième, voire dans la troisième génération d'enfants qui n'ont pas ou très peu vu leurs parents se lever le matin pour aller travailler. La jeunesse ne peut que s'en trouver déstructurée.

Grâce au CPE, les jeunes vont pouvoir saisir l'opportunité d'une première expérience indispensable à un parcours professionnel construit et à l'autonomie économique et sociale. Il n'est pas possible de laisser la jeunesse avec pour seul avenir le chômage et le paiement de la dette publique, en la laissant dans l'assistance et l'oisiveté chroniques.

Il est dommageable pour notre société que des responsables dont la vocation devrait, de par leur métier, être la formation et l'éducation des jeunes, ne partagent pas mon analyse. Tous les gens sensés devraient penser la même chose. (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Au lieu d'inciter les lycéens à protester et à défiler dans les rues, il aurait fallu leur expliquer que l'apprentissage d'un métier avec un emploi à la clé se fait, pour 63 %, dans les PME et que, en plus du CPE, il existe le contrat initiative emploi, le contrat jeune en entreprise, le contrat de professionnalisation, le contrat en alternance - j'en oublie - et même, dorénavant, des CFA dans les universités.

Il faudrait aussi apprendre à ces jeunes que, grâce au travail des entreprises françaises, notre pays est la quatrième puissance mondiale à l'exportation et que les 45 % du budget de l'État destinés à payer les fonctionnaires proviennent de la richesse du travail apporté par les entreprises. (Oh là là ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)

Il semble que ce soit difficile à entendre pour vous, mes chers collègues !

Il nous reste cependant un espoir : M. le Premier ministre a déclaré récemment que, s'il avait entendu ceux qui défilent dans les rues, il avait aussi écouté les autres, c'est-à-dire ceux qui travaillent et qui se retrouvent, à tout bout de champ, paralysés par des grèves et des manifestations qui dérangent tout le monde et affaiblissent notre pays.

M. Thierry Repentin. Travail, famille, patrie !

Mme Janine Rozier. J'espère, en effet, que M. le Premier ministre a bien entendu cette majorité silencieuse des Français qui travaillent et qui en ont assez de voir défiler des nantis cramponnés à leurs avantages, à leurs primes et à leur sécurité de l'emploi ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Des nantis qui gagnent le SMIC, chère madame !

Mme Janine Rozier. Les Français qui souffrent ne sont jamais interviewés par la télévision et leurs doléances ne figurent pas dans les journaux (murmures sur les travées du groupe CRC.) même si leur masse va grandissant. Pourquoi ne se manifesteraient-ils pas à leur tour comme l'ont fait les Marseillais courageux qui se sont insurgés contre le scandale de la SNCM et contre la grève des transports en commun ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Madame, messieurs les ministres, je soutiendrai votre projet de loi, et je reprends ici à notre compte à tous une phrase que Mme Parisot, présidente du MEDEF (Ah ! sur les mêmes travées. - Applaudissements sur les travées de l'UMP.), a prononcée, hier matin, devant les sénateurs de toutes tendances...

M. Josselin de Rohan. Donc, devant les sénateurs communistes également !

Mme Janine Rozier.... et selon laquelle « il faut que les enseignants apprennent aux jeunes que l'entreprise n'est pas un lieu de profit mais un lieu de projet ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - Encore ! Encore ! scandé sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Josselin de Rohan. Attendez Ségolène Royal !

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.

Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, plusieurs membres de mon groupe ont déjà exposé leur point de vue sur les différents aspects du projet de loi dont nous débattons aujourd'hui. Pour ma part, je souhaiterais intervenir sur le volet CPE, objet de multiples interprétations, c'est le moins que l'on puisse dire.

Qu'on le veuille ou non, le marché du travail a profondément évolué au cours des vingt dernières années. Dans un contexte économique mondialisé, la société est fondée non plus sur la production et l'offre, mais sur la consommation et la demande.

Aujourd'hui, force est de formuler un constat d'échec. En effet, depuis plus de vingt ans, le taux de chômage des jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans est deux fois plus important que celui du chômage global.

En vingt ans, aucun gouvernement, aucun dispositif, n'est parvenu à résoudre ce problème, qui n'est pas seulement récurrent, mais aussi absolument insupportable. Pour avoir empilé les dispositifs au fil du temps sans attaquer la question de la rigidité de son marché du travail, notre pays a finalement fait le choix du chômage.

M. André Lejeune. C'est vous qui avez fait le choix du chômage, et qui continuez de le faire !

Mme Gisèle Gautier. Quelle est la réalité, aujourd'hui ? Les jeunes enchaînent les stages, rémunérés ou non, les CDD, les emplois en intérim et les contrats saisonniers, entrecoupés de périodes plus ou moins longues de chômage, sans véritable formation, sans la lueur d'espoir d'une embauche définitive. !

Que demandent aujourd'hui nos jeunes ? Qu'on leur donne leur chance, qu'on leur permette de faire leurs preuves sur une période longue présentant des garanties qui n'existaient pas jusqu'alors.

Que demandent les employeurs ? Que l'on cesse de maintenir le travail dans un carcan de rigidités qui paralyse l'embauche. Les faits sont incontestables : les pays qui ont introduit une certaine flexibilité de l'emploi connaissent un chômage moins élevé, particulièrement en ce qui concerne les jeunes, car ils misent sur la création de nouveaux emplois.

Mme Patricia Schillinger. Mais ils ont aussi introduit la sécurité sociale professionnelle ! Il faut tout dire, Mme Gautier !

Mme Gisèle Gautier. Est-il nécessaire de rappeler que les dirigeants d'entreprise n'embauchent pas pour licencier, bien évidemment, car la formation inscrite dans le CPE représente pour eux un investissement, qu'ils se doivent d'amortir ? Nous ne pouvons imaginer qu'un entrepreneur embauche et forme un jeune en se disant que, demain, il va s'en débarrasser, et que l'investissement consenti importe peu ! Les discours tenus aux jeunes aujourd'hui sont absolument invraisemblables.

Le marché du travail doit s'adapter à ces évolutions, faute de quoi la situation de la France ne pourra pas s'améliorer et risquera même de se détériorer. C'est peut-être paradoxal, mais la rigidité de notre code du travail favorise la précarisation de ceux qu'il est censé protéger.

Mme Hélène Luc. Le code du travail protège les droits des femmes, Mme Gautier !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mme Gautier ne s'intéresse pas aux droits des femmes !

Mme Gisèle Gautier. Pour que ce ne soit plus le cas, il faut dissocier le travail, qui ne manque pas, et l'emploi, qui est devenu une denrée rare.

Pour lutter contre le chômage en général, et contre celui des jeunes en particulier, il s'agit maintenant de fluidifier notre marché du travail, ce qui implique de flexibiliser l'emploi tout en renforçant les droits des salariés et leur accompagnement. C'est le modèle de la « flexsécurité » développé par le Danemark, un pays où le taux de chômage des jeunes n'est que de 7,2 %.

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Absolument !

Mme Gisèle Gautier. Or il me semble que le CPE s'inspire en partie du modèle danois. Le CPE flexibilisera le marché du travail grâce à la période de consolidation qu'il institue. Il me semble qu'il s'agit d'un élément très positif, d'un message de confiance adressé à des entreprises qui en ont plus que jamais besoin. Aussi pouvons-nous attendre autant du CPE que du contrat nouvelles embauches, grâce auquel 180 000 demandeurs d'emploi ont déjà retrouvé un travail, ce qui est à la fois encore trop peu et beaucoup au regard du nombre de chômeurs.

Mais le CPE doit être examiné dans le cadre d'un projet plus global, ...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un projet de précarisation plus globale !

M. Guy Fischer. Surtout pour les femmes !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Déjà 50 % des femmes ont des contrats précaires, elles seront bientôt 100 % !

Mme Gisèle Gautier. ...le contrat de travail unique. À terme, il serait envisagé de fusionner tous les contrats de travail de droit commun, ce qui constituerait une excellente mesure : chaque salarié serait embauché en CDI avec une période d'essai plus longue qu'elle ne l'est aujourd'hui. Nous devons y réfléchir, car un tel contrat marquerait la fin de la discrimination entre les signataires d'un CDI et les autres salariés.

D'ailleurs, les principaux intéressés ne s'y sont pas trompés : les jeunes de moins de 26 ans « en galère », selon l'expression consacrée, souvent répétée aujourd'hui, sont favorables au CPE. Ils ont bien compris que ce contrat leur offrirait plus que l'accumulation de stages, de CDD ou de missions d'intérim qu'ils connaissent aujourd'hui.

En effet, s'il apporte davantage de flexibilité, le CPE est en même temps très protecteur. Il prend en compte d'éventuelles périodes de stage ou de CDD dans le calcul de la période de consolidation. Il ouvre un droit à l'indemnisation du chômage après quatre mois passés dans l'entreprise, alors que le régime commun, je le rappelle, exige que le salarié ait travaillé six mois au cours des vingt-deux derniers mois. Il institue un droit à la formation - c'est un point important -, dès la fin du premier mois de travail, et non pas au bout d'un an, comme le veut la norme générale. Enfin, il permet à ses titulaires d'accéder au crédit et au logement. Le CPE est l'un des contrats les plus protecteurs qui soient. (Mme Annie David s'exclame.)

Par certains aspects, il protège davantage les salariés que le CDI de droit commun, d'autant que, d'un point de vue strictement comptable, il n'est pas certain que la rupture d'un CPE au cours de la période de consolidation coûte moins cher aux entreprises - il faudrait faire le calcul - que le licenciement d'un salarié en CDI. L'assouplissement apporté est essentiellement administratif. Ainsi, le CPE flexibilise sans précariser.

Certes, la protection offerte par le CPE pourrait encore être améliorée. Ainsi, la période de consolidation pourrait être plus courte ; il serait bon, nous semble-t-il, de la réduire à une année. De même, il est anormal que le contrat puisse être rompu sans que le salarié reçoive des explications. En effet, un jeune qui, après avoir travaillé deux ou trois mois dans une entreprise, est remercié sans connaître les raisons qui ont conduit à la rupture de son contrat se trouve en quelque sorte en situation d'échec et doit absolument être accompagné. Il faudra, me semble-t-il, prendre en compte cet élément.

Enfin, les jeunes en CPE doivent pouvoir faire l'objet d'un suivi professionnel qui facilite leur embauche définitive, car tel est bien l'objectif final du dispositif. C'est pourquoi il semble souhaitable que, durant la période de consolidation, l'employeur soit tenu de dresser chaque semestre un bilan d'étape avec ses jeunes en CPE. C'est le sens des amendements que nous défendrons au nom du groupe UC-UDF.

Reste que la bataille de l'emploi continue. Le CPE est un message de confiance qui est adressé non seulement aux entrepreneurs, mais aussi aux jeunes. Il représente une véritable amélioration des conditions d'entrée des jeunes sur le marché du travail.

Faisons le pari que le fossé qui s'est creusé ces dernières décennies entre la jeunesse et les employeurs se comblera, puisque la première ne sera plus découragée et que les seconds, grâce à des mesures incitatrices, seront prêts à relever le défi.

Il s'agit bien d'incitation, puisque l'une des dispositions proposées consiste en une exonération des charges sociales pesant sur les entreprises qui embauchent en CDI un jeune de moins de 26 ans au chômage depuis plus de six mois. Il s'agit là d'une preuve supplémentaire de l'engagement du Gouvernement en faveur de l'emploi des jeunes. Au lieu de désinformer nos jeunes, informons-les des véritables avantages que ce nouveau contrat leur propose ! Le CPE est une incitation au travail.

Je voterai donc l'article qui l'institue afin que, tous ensemble, nous gagnions la bataille de l'emploi et permettions aux jeunes, c'est-à-dire à la France de demain, de réussir et de retrouver des raisons d'espérer en leur avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. Jean-Pierre Sueur. Il y a autant de tendances à l'UDF qu'au Parti socialiste !

M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C'est un parti libre !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Très libre ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.

Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, après les violentes émeutes du mois de novembre dernier, nous aurions pu penser que le Gouvernement établirait lucidement et « républicainement » un état des lieux, écouterait les acteurs, sonderait les causes sociales, morales et peut-être même de civilisation qui se trouvent à l'origine de cette violence, puis qu'il prendrait des décisions.

Nous aurions pu penser que le Gouvernement proposerait un plan global et systématique, fondé sur un accord minimum avec celles et ceux qui, au-delà de leurs appartenances particulières, ont fait front pendant les événements, essayé de colmater les brèches, tenté de maintenir les liens ténus qui unissent nos concitoyens dans les cités.

Nous aurions pu penser que le Gouvernement prendrait acte non seulement des handicaps, des retards et des manques, mais aussi de la solidarité, de la fraternité, des compétences individuelles et collectives des populations de ces quartiers dits « sensibles », afin de les transformer en une force positive.

Nous aurions pu penser que le Gouvernement ferait amende honorable, reconnaîtrait qu'il n'était pas raisonnable de casser des dispositifs qui fonctionnaient pour les remettre en place quelques mois ou quelques années plus tard, après avoir démantelé les équipes et découragé les bonnes volontés.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Dominique Voynet. Au lieu de cela, messieurs les ministres, vous avez regardé les événements avec les lunettes déformantes de la peur et de la dérogation au droit commun. Cet aveuglement produit aujourd'hui le petit texte stupéfiant dont nous débattons ici.

Je dis « petit texte », car là où il aurait fallu une palette de mesures courageuses, lisibles et bien articulées entre elles en matière d'urbanisme, d'emploi, d'activité, d'école, d'éducation populaire, de logement, de transports publics, de santé, de culture, vous nous livrez une série de dispositions disparates, hétéroclites, totalement décalées par rapport à ce que nous venons de vivre et dépourvues de lien avec les préoccupations que vous affichiez ici même en novembre dernier.

Ces dispositions sont dépourvues de lien aussi avec vos propres annonces, puisque, par exemple, les modalités d'un financement pérenne des associations de quartiers auxquelles vous aviez promis de rétablir les subventions rognées année après année, au fil des gels budgétaires et des annulations de crédit, n'apparaissent pas dans ce projet de loi.

Sans doute avez-vous manqué de temps, monsieur le ministre. C'est en tout cas le prétexte que vous avez invoqué, le 20 février dernier, pour refuser de recevoir le collectif des associations d'insertion sociale et d'éducation populaire de Seine-Saint-Denis, comme je vous l'avais pourtant demandé ici, à plusieurs reprises, oralement, en décembre dernier, puis par courrier.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Dominique Voynet. Les mesures que vous proposez sont enfin dépourvues de lien avec les faits eux-mêmes, puisque nous ne savons toujours pas, à propos des dramatiques événements de Clichy, que nous n'oublierons pas, qui a dit la vérité, qui a menti, et pourquoi deux jeunes sont morts dans un transformateur un sombre soir de l'automne dernier.

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Dominique Voynet. Votre texte est petit, mais il est aussi stupéfiant, car, au lieu de faire sereinement la part de ce qui marche ou non, ou qui a cessé de marcher, de ce qui doit être rénové ou réinventé, vous avez, une fois de plus, bricolé dans votre petit coin, sans prendre en compte les travaux réalisés par le conseil national des villes ou l'observatoire des zones urbaines sensibles.

À la trappe, le collège unique de René Haby ! Au broyeur, le contrat de travail, alors qu'un rapport remis au Président de la République propose justement d'aider davantage les entreprises qui ont recours au CDI ! Aux orties la réglementation commerciale pour les zones franches, alors que toutes les associations de commerçants pestent contre la multiplication anarchique des grandes surfaces !

Mme Dominique Voynet. Au rencart le FASILD, le fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, et demain, peut être, la DIV, la délégation interministérielle à la ville et au développement urbain !

Dans un texte sur l'égalité des chances qui compte quarante pages, quatorze modifient le code des impôts et une autre encore le code du commerce ! Toutefois, pas une ligne n'évoque la nécessité de remédier à l'empilement des zonages urbains à l'aune des nouveaux territoires de coopération et de développement que sont les agglomérations, les communautés de communes et les pays, où s'invente une nouvelle gouvernance qui associe les élus, les entrepreneurs, les innovateurs sociaux et les associations.

Pas un mot n'évoque la réduction des effectifs, à moyens constants, pour l'école élémentaire et le collège, dans les quartiers discriminés. Il n'y a pas un soupçon d'intérêt pour les régies de quartier, les activités d'économie sociale et solidaire ou l'innovation sociale, pas une seule évocation de l'aide à apporter à ceux qui vivent douloureusement l'apprentissage du métier de parent !

Avez-vous seulement réfléchi aux conditions actuelles des contrôles policiers dans les quartiers, à la fois du point de vue de ceux qui les subissent encore et encore, et du point de vue de ces jeunes policiers qui doivent les pratiquer, parfois pour seulement faire du chiffre et occuper le terrain ?

Mme Dominique Voynet. Avez-vous imaginé que l'implantation, en dehors des procédures normales, de hard discounters ou de multiplexes avec vigiles et chiens dans les quartiers compromettra toutes les initiatives positives pour y réimplanter de véritables commerces et établissements culturels de proximité ? (M. Godefroy applaudit.)

Mme Dominique Voynet. Non ! Ce qui vous intéresse, c'est, une nouvelle fois, en filigrane, de réduire la question sociale des banlieues, c'est-à-dire celle de la pauvreté, à un problème de savoir-vivre des classes dangereuses et - plus grave encore par les temps qui courent - à un problème d'immigrés plus ou moins bien choisis.

Ce qui vous obsède, c'est de tenir magiquement à l'écart du droit commun tous ceux qui vous font peur parce qu'ils ne sont plus, en raison des désordres de votre propre société, dans les clous de votre civilité.

Vous dites : « En apprentissage à quatorze ans ceux qui ne suivent pas à l'école ! » Ne vaudrait-il pas mieux réfléchir à la réaffectation des moyens, pour une école plus attentive aux différences de populations, de rythmes et de cultures ?

Vous dites : « Un contrat précaire, c'est mieux que rien pour ceux qui ne trouvent pas de travail ! » Ne vaudrait-il pas mieux penser aux nouvelles activités socialement et écologiquement utiles, qui pourraient être particulièrement soutenues, dans un cadre privé ou public ? Qu'avez-vous fait du travail accompli par Paulette Guinchard-Kunstler pour consolider les métiers de l'accompagnement des personnes dépendantes ?

Vous dites : « Hors des allocations familiales, les parents démissionnaires ! » Ne vaudrait-il pas mieux aider ces parents à faire face avant qu'ils ne sombrent, au lieu de les culpabiliser en permanence ? Vous avez entendu comme moi ces témoignages poignants de femmes seules, élevant des enfants qu'elles laissent tôt le matin ou tard le soir, pour aller nettoyer les bureaux dans lesquels nous travaillons.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme Dominique Voynet. Leur angoisse n'appelle-t-elle que du paternalisme culpabilisateur ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Vous dites : « Au tribunal, les auteurs d'incivilités ! » Ne vaudrait-il pas mieux multiplier les lieux et les occasions de prévention, de négociation, de médiation, de traitement des conflits d'usage ou de voisinage, en restaurant, par exemple, les moyens de la police de proximité ? Ne donnerez-vous pas enfin satisfaction au maire de Clichy, qui attend depuis des années un commissariat au coeur de sa ville ?

Chaque fois, au lieu de considérer la sanction et l'exclusion comme des solutions de dernier recours quand toutes les autres ont échoué, bref, au lieu de prévenir et d'éduquer, vous séparez, vous inventez une nouvelle catégorie, vous punissez, vous mettez « en dehors du jeu » !

Oui, vous démolissez le lien social quand vous organisez des spectacles pyrotechniques de destruction des barres d'immeubles sans reconstruire un nombre seulement équivalent de logements, comme l'indique l'intéressant rapport 2005 de l'observatoire des zones urbaines sensibles.

Il est donc logique, juste et légitime que des milliers de jeunes descendent dans la rue pour dire la colère que leur inspire votre contrat première embauche !

Le Premier ministre a dit qu'il écoutait les manifestants, mais aussi ceux qui ne manifestent pas. Je constate, à la lecture d'un texte dont on nous dit qu'il est le seul inspirateur, ou presque, qu'il écoute peut-être, mais qu'il n'entend pas.

Il n'entend pas ceux qui demandent le rétablissement de l'allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droit, ni ceux qui attendent qu'on mette enfin un terme à des baisses d'impôt injustes, afin de financer les mesures réclamées avec insistance par les associations de lutte contre la pauvreté. Un million d'enfants vivent sous le seuil de pauvreté, auxquels il faudrait consacrer 3,5 milliards d'euros, une somme considérable, il est vrai, mais qui doit être placée en regard des décisions que vous avez prises en matière d'impôts.

Il n'entend pas ceux qui suggèrent la mise en place d'une sécurité professionnelle tout au long de la vie, en prenant en compte les temps de formation, de travail, de chômage et de retraite.

Il n'entend pas ceux qui considèrent que le moment est venu de changer le regard de la société française sur les étrangers qui vivent dans notre pays.

À ce titre, je pense tout d'abord, bien sûr, à la décision d'accorder aux résidents étrangers régulièrement installés en France le droit de vote à la fois aux élections locales et aux élections consulaires. Notre groupe vous proposera d'adopter un amendement en ce sens.

Je pense également à la régularisation des sans-papiers qui vivent, depuis des années, dans notre pays. Beaucoup travaillent de façon clandestine dans les ateliers du Sentier, dans les cuisines de restaurants, sur de nombreux chantiers ! Je préférerais que leurs employeurs paient des cotisations sociales.

Je pense enfin à la suppression effective de la double peine, qui a fait grand bruit mais qui n'est pas encore mise en oeuvre.

Je redoute, monsieur le ministre, que, les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous n'ayons à reparler, dans quelques mois, malgré nos efforts, des mêmes phénomènes, en pire peut-être...

La politique de la ville ne supporte ni les bons sentiments ni l'amateurisme. Il faut de la cohérence, de la ténacité et, très probablement, des réformes d'importance : une réforme profonde de la fiscalité locale, la mise en place de mécanismes de solidarité effective entre les territoires...

Vous vous êtes vantés - vous avez bien fait - de la réforme de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, pour laquelle toute la gauche a voté. Mais la DSU ne correspond qu'à 5 % des dotations ! Il faut s'attaquer aux 95 % restants. Je sais déjà ce que vous allez me répondre : « Mais qu'avez-vous donc fait pendant que vous étiez au pouvoir ? »

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Rien !

Mme Dominique Voynet. Je suis bien placée pour savoir que ce n'est pas facile. J'ai passé des nuits au Sénat, parfois par la faute de M. Larcher,...

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Permettez-moi de vous reprendre : grâce à M. Larcher ! (Sourires.)

Mme Dominique Voynet. ...confrontée à des guérillas parlementaires, en comparaison desquelles celle d'aujourd'hui semble décidemment bien bénigne.

M. André Lejeune. Très bien !

Mme Dominique Voynet. Vous n'allez pas éternellement vous en tirer en mettant en cause ceux qui vous ont précédé. En effet, vous bénéficiez depuis quatre ans d'un concours de circonstances exceptionnel : un Président de la République élu à une majorité que l'on n'avait jamais connue, une majorité absolue à l'Assemblée nationale et presque absolue au Sénat, pas de cohabitation...

Devant l'histoire, madame, messieurs les ministres, personne ne vous trouvera d'excuses. (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, chers collègues, le projet de loi pour l'égalité des chances repose sur de multiples propositions que je vais m'efforcer de commenter et à propos desquelles je ferai quelques suggestions. Celles-ci ne donneront pas toutes lieu à des amendements, mais j'espère que certaines seront, un jour, prises en considération par le Gouvernement, comme cela a été le cas, je pense, pour l'apprentissage à quatorze ans (murmures sur les travées du groupe socialiste.) et la responsabilité des parents.

Mes remarques seront de bon sens et sans esprit partisan. (Exclamations et rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Mon unique souci est que le système fonctionne ; or je sais peut-être mieux que d'autres ce qui peut marcher et ce qui ne le peut pas.

Mme Hélène Luc. Naturellement ! (Sourires.)

M. Serge Dassault. Si l'on ne fait rien, comme certains le réclament, rien ne marchera jamais. Or le temps presse, il faut agir car notre économie va mal.

Mme Nicole Bricq. C'est indéniable ! Expliquez-le au Gouvernement !

M. Serge Dassault. Et, chers collègues de gauche, ce n'est pas vous qui allez la guérir ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Guy Fischer. Et le Rafale !

Mme Nicole Bricq. Ils ont tout faux !

Mme Hélène Luc. Le constat n'est pas difficile à faire...

M. Serge Dassault. Allez-vous me laisser m'exprimer ?

M. le président. Mes chers collègues, laissez parler M. Dassault !

M. Serge Dassault. Concernant la formation d'apprentis juniors, je suis très heureux de voir que, dès l'âge de quatorze ans, les élèves pourront désormais être admis à suivre une formation en apprentissage.

M. André Lejeune. Et pourquoi pas douze ou onze ans ?

M. Serge Dassault. Vous voulez en faire des chômeurs ?

M. Yannick Bodin. Vous n'en ferez pas des actionnaires !

M. Serge Dassault. Je n'ai qu'un seul regret. Ces jeunes seront admis à cette formation à leur demande et celle de leurs représentants légaux. Je souhaiterais proposer qu'ils puissent aussi y être admis à la demande de leurs professeurs. En effet, ces derniers sont seuls capables de savoir si l'élève aura, ou non, la capacité et la motivation de suivre la « filière diplômes » pour accéder à l'université. Si tel n'est pas le cas, il devra être orienté dès la quatrième vers la formation professionnelle et l'apprentissage, qui lui permettront d'obtenir un emploi.

Trop d'élèves continuent à suivre la quatrième et la troisième sans avoir ni les qualités ni la motivation nécessaires ; vous serez sans doute d'accord sur ce point.

M. André Lejeune. Vous avez raison, monsieur Dassault, il ne faut pas trop s'instruire ! Cela pourrait gêner.

M. Thierry Repentin. Est-ce que vos enfants ont été apprentis ?

M. Serge Dassault. Ces mêmes élèves sortent du collège souvent sans savoir lire ni écrire, ce qui est un comble. Ils deviennent, et j'en connais, des sans-écoles. Autrement dit, aucun lycée ne les accepte dès qu'ils ont plus de seize ans. Alors que font-ils ? Ils traînent et deviennent des délinquants. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce type de discours relève du café du commerce ! On croirait entendre le docteur Villermé.

Mme Michèle San Vicente. Décidément, tout le monde change, sauf la bourgeoisie !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quand allez-vous nous proposer de mettre ces enfants en prison dès la maternelle ?

M. Serge Dassault. Je ne vois pas pourquoi vous protestez, ce que je dis est tout à fait évident.

S'ils avaient suivi dès la quatrième des cours d'apprentissage, ils auraient été sauvés et sûrs de trouver un emploi. Mes chers collègues, vous protestez, mais voulez-vous en faire des chômeurs ? Vous y arriverez, bravo !

Pour renforcer la présence des adultes non enseignants dans les établissements scolaires, je défendrai un amendement relatif aux contrats aidés. Ceux-ci devraient être attribués à des bénéficiaires pouvant exercer non seulement dans des établissements publics d'enseignement du second degré mais aussi dans les écoles du premier degré. Or cela n'est pas encore prévu.

Je défendrai aussi un amendement tendant à ce que l'employeur qui accueille un jeune intégrant, au terme de son contrat de volontariat, dans une formation en apprentissage, puisse également prétendre au crédit d'impôt majoré.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Encore plus, toujours plus...

M. Serge Dassault. Enfin, je défendrai un amendement visant à permette à un jeune, volontaire pour l'insertion, de continuer à bénéficier des prestations attachées à son statut, et ce pendant une durée au plus de trois mois, s'il signe un contrat de travail en alternance ou un contrat de travail temporaire. Cela ne mange pas de pain !

M. André Lejeune. Tout ce que peut ramasser M. Dassault est bon à prendre, n'est-ce pas ?

Mme Hélène Luc. Monsieur Dassault, c'est tout ce que vous avez à offrir aux jeunes ?

M. Serge Dassault. Vous, ça va ! (Rires et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Hélène Luc. Veuillez rester respectueux, monsieur Dassault.

M. Thierry Repentin. Vous n'avez pas honte !

M. Josselin de Rohan. Il n'a pas l'habitude qu'on lui parle comme ça !

M. Serge Dassault. Concernant les zones franches urbaines, monsieur le ministre, je ne peux que vous féliciter de votre décision de les multiplier.

Je regrette cependant les décisions qui plafonnent le nombre d'employés, le chiffre d'affaires, le bénéfice, etc., décisions prises par peur d'accorder trop d'avantages aux entreprises qui pourraient profiter de ce qu'on appelle des « effets d'aubaine ». Il ne devrait y avoir aucune limitation, me semble-t-il. En effet, il faut savoir ce que l'on veut : soit l'on souhaite multiplier les dispositions ayant pour objet de faciliter la croissance des entreprises et donc les embauches, soit l'on veut freiner cette tendance !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À l'heure actuelle, les dividendes ne mènent pas à la création d'emplois !

M. Serge Dassault. Si l'on restreint trop les entreprises, ce que vous voulez faire, on favorise les sous-traitances et les délocalisations à l'étranger. Évidemment, les entreprises quitteront notre territoire ! C'est ce qu'elles feront si vous continuez à leur casser les pieds ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Les effets d'aubaine existent largement à l'étranger et personne ne vient les attaquer. Plus on ennuiera les entreprises, plus elles partiront, plus le taux de chômage augmentera, et c'est vous qui serez responsable du nombre de chômeurs !

M. David Assouline. C'est du chantage !

M. Serge Dassault. Je présenterai deux autres amendements : l'un est relatif aux exonérations d'impôt sur les bénéfices des entreprises établies avant la création de la zone franche urbaine ;...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Toujours plus du même côté !

M. Serge Dassault. ...l'autre est relatif aux bourses accordées par les régions aux étudiants des formations sociales, car il est indispensable de clarifier le périmètre de la région : il faut en effet s'assurer de la cohérence de ces mêmes bourses avec les crédits transférés par l'Etat.

Il faut, par ailleurs, opérer une distinction nette entre formation initiale et formation continue.

Certains jeunes n'ont pas les moyens de suivre des études supérieures. Ils demandent donc des bourses pour poursuivre leurs études ou, parfois, pour partir à l'étranger. Il est impératif d'avoir la possibilité de les leur accorder. Vous devez être d'accord sur ce point, n'est-ce pas ? (Sourires.)

Mme Dominique Voynet. Les bourses du premier trimestre n'ont pas encore été versées. Cela n'aide pas !

M. Serge Dassault. Quant aux contrats de responsabilité parentale, je suis heureux qu'ils figurent dans le texte ; je ne peux que les approuver. Cependant, il serait souhaitable que les maires, au même titre que le président du conseil général, puissent demander la suppression du versement des prestations et saisir le procureur ou l'autorité judiciaire de tout manquement au contrat de responsabilité parentale.

Mme Hélène Luc. Non ! moi je ne le veux pas !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Des shérifs partout !

M. Serge Dassault. Ce sont bien les maires, vous le savez, qui connaissent le mieux les problèmes de leur commune et qui savent ce qui va ou ne va pas. Ils pourraient ainsi agir plus rapidement.

Mme Michèle San Vicente. Ce n'est pas leur rôle !

M. Serge Dassault. Le président du conseil général qui recevra toutes les demandes ne s'en sortira pas ; en conséquence, aucune décision ne sera prise.

M. Yannick Bodin. Nous voilà revenus au temps de la féodalité !

M. Serge Dassault. Quant au service civil volontaire, je préférerais qu'il ne soit pas volontaire et qu'il s'applique à tout jeune de seize à vingt-cinq ans qui ne suit aucune formation et qui n'a aucun travail, autrement dit qui ne fait rien. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) En effet, à dix-huit ans, trop de jeunes n'exerçant aucune activité deviennent des délinquants. Quel sera alors leur avenir s'ils ne savent rien faire ?

Quand le service militaire existait, automatiquement, les jeunes de dix-huit ans quittaient leur famille et leur quartier pour apprendre la vie en groupe, acquérir l'esprit civique, faire du sport et souvent apprendre un métier. C'était un excellent moyen d'intégration.

Mme Michèle San Vicente. Et oui, monsieur Dassault, la société évolue...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je propose le travail gratuit pour les pauvres ! (Sourires.)

M. Serge Dassault. Remarquons qu'il y avait à l'époque beaucoup moins de délinquance. Un service civil obligatoire résoudrait ce problème.

En ce qui concerne les incivilités, je suis heureux de constater que la police municipale et les maires disposeront d'un peu plus de pouvoirs.

Toutefois, je voudrais aller plus loin : les troubles de voisinage, qui gênent tellement nos administrés, - qu'ils soient provoqués par des aboiements de chien, une télévision qui hurle, des restaurants qui ferment tard le soir -...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut euthanasier les chiens et les chats !

M. Serge Dassault. ...devraient être traités directement par les maires, qui sont officiers de police judiciaire. Ces derniers devraient pouvoir infliger des amendes, fermer un restaurant et contraindre un bailleur à mettre de l'ordre auprès de ses locataires pour rétablir le calme. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, car le maire n'a aucune autorité pour le faire.

M. Serge Dassault. Venons-en au contrat première embauche.

Le contrat première embauche pose un problème stratégique qui va conditionner l'avenir de l'emploi en France. Soit l'on s'oriente vers la flexibilité avec ce dispositif, et tout est possible, soit on le rejette, et l'on ferme la porte à toute embauche en France en ouvrant la voie à la délocalisation.

Aucun discours, aucune manifestation n'y pourra rien. Ce n'est pas la loi qui crée l'emploi, comme l'a dit tout à l'heure M. Lardeux. Ne paralysons pas les entreprises par des règles antiéconomiques, sinon elles quitteront le territoire français, et les emplois avec elles !

M. David Assouline. Cessez ce chantage !

M. Serge Dassault. Il existe une autre solution : revenir au socialisme et tout nationaliser ! (Rires.)

L'éternité n'existe nulle part.

Mme Dominique Voynet. Heureusement !

M. Thierry Repentin. Il est donc permis d'espérer !

M. Serge Dassault. Le poète Henri de Régnier a dit : « L'amour est éternel tant qu'il dure » ; pour ma part, je dirai que l'emploi est éternel tant qu'il dure.

M. Jean-Pierre Sueur. Le Gouvernement aussi.

M. Serge Dassault. En effet, rien n'est éternel : ni la vie, ni la santé, ni l'emploi. La santé est précaire, la vie est précaire. Tout est précaire et l'emploi n'y coupe pas, quel qu'il soit, y compris lorsqu'il se traduit par un contrat à durée indéterminé.

C'est comme cela, et aucune loi, aucun code du travail, aucun contrat n'y changera rien.

M. Serge Dassault. Ce problème est capital : sans la flexibilité, la France s'enfoncera dans la rigidité et le chômage, avec l'appui de la gauche, qui ne comprend rien à l'économie de marché (rires et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste) et qui trompe les jeunes.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Heureusement que M. Dassault est là pour expliquer les projets du Gouvernement !

M. Serge Dassault. Vous trompez les jeunes, car vous leur racontez n'importe quoi ! Vous le démontrez largement depuis ce matin.

Personne, aucune loi ne peut obliger une entreprise à embaucher si elle ne trouve pas la compétence et la flexibilité nécessaires, avec le travail correspondant.

Mme Michèle San Vicente. Il faut aussi qu'elle remplisse ses carnets de commande !

M. Serge Dassault. Si elle n'a pas de travail, elle n'embauche pas. On n'embauche pas à vie, CDI compris.

Mme Michèle San Vicente. Sans les salariés, les entreprises ne gagneraient rien !

M. Serge Dassault. Les jeunes sont intoxiqués par la gauche (rires et exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.), qui a une vision fausse de l'économie et des entrepreneurs.

L'entrepreneur - je le sais bien, car j'en suis un - ne pense pas toute la journée à licencier son personnel. Il n'est pas stupide !

M. Serge Dassault. Au contraire, il ne cherche qu'à le garder, s'il est compétent et s'il y a du travail, quel que soit son contrat.

M. David Assouline. Allez à Longjumeau !

M. Serge Dassault. Qu'il soit en CDI ou en CPE, cela importe peu à l'entrepreneur : si le personnel est bon et si le travail est là, eh bien, il le garde ! Car un chef d'entreprise a besoin de personnel compétent et il ne le met pas à la porte, CPE ou pas. Ce n'est pas ainsi que cela se passe ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

D'ailleurs, partout dans le monde où il y a la flexibilité, c'est-à-dire aux Etats-Unis, au Canada, au Danemark, en Grande-Bretagne, on constate que le taux de chômage est de 5 %. Quand la rigidité empêche de licencier, on n'embauche pas, et le chômage atteint 8% à 10 %. C'est ce qui se passe chez nous, et ce qui continuera éternellement à se passer si vous persistez à faire du raffut contre cette loi. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Jean-Pierre Godefroy. C'est là le sens du dialogue patronal !

M. Serge Dassault. C'est la flexibilité qui crée l'emploi,...

M. Serge Dassault. ...car elle rassure les entrepreneurs, qui n'embaucheront pas s'ils ne peuvent pas licencier, non pas quand ils le veulent mais quand ils n'ont plus de travail.

M. Jean-Pierre Bel. On a déjà entendu ce refrain !

M. Serge Dassault. Allez donc faire un tour dans les entreprises ! Vous n'y avez jamais mis les pieds ! Vous ne savez pas comment cela se passe ! (Protestations prolongées sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Josselin de Rohan. Ce sont tous des fonctionnaires !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ils ont souvent été salariés dans les entreprises à l'UMP ?

M. Serge Dassault. La flexibilité stimule l'emploi. La rigidité crée le chômage avec ou sans CDI. Mais flexibilité ne signifie pas abandon du chômeur. Bien au contraire, il s'agit de s'en occuper, de s'en occuper mieux qu'avant, et c'est précisément l'objet des maisons de l'emploi.

M. Jean-Pierre Godefroy. Des maisons de correction !

M. Serge Dassault. Merci, monsieur Borloo !

M. Roland Courteau. Elle est bien bonne celle-là !

M. Serge Dassault. Mais aujourd'hui, avec la rigidité -  attention, écoutez bien ! (Rires toujours sur les mêmes travées) -, les entreprises françaises font de plus en plus travailler les Polonais, les Roumains, les Hongrois et de moins en moins les Français, parce qu'ils trouvent là-bas le personnel nécessaire.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. C'est vrai !

M. Serge Dassault. Et on ne leur casse pas les pieds avec toutes sortes de contraintes.

M. David Assouline. C'est incroyable d'entendre ça !

M. Jean-Pierre Godefroy. Sait-il ce qu'il dit ?

M. Serge Dassault. Ce contrat première embauche est donc très favorable aux jeunes. Il faut qu'ils le comprennent.

Mme Hélène Luc. Vous aurez du mal à les convaincre !

M. Serge Dassault. Un chef d'entreprise n'embauchera pas facilement un jeune sans expérience et sans référence. Grâce à ce contrat, il le fera. Il n'y aura aucun problème. La raison du chômage des jeunes, c'est que les entreprises n'embauchent pas les jeunes, sous quelque contrat que ce soit, tant que ceux-ci n'ont pas prouvé leur efficacité et leur compétence. Si l'on n'adopte pas ce CPE, ils resteront encore plus longtemps au chômage, et ce sera grâce à vous !

Mme Dominique Voynet. Cela devient moins drôle, on fatigue !

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas risible, monsieur Dassault !

Mme Hélène Luc. Il est en train de « bulgariser » votre politique, monsieur le ministre !

M. Serge Dassault. Si l'on se maintient dans le système actuel,...

M. Jean-Pierre Bel. Débranchez-le !

M. Serge Dassault. ...avec la rigidité de l'emploi,...

M. Jean-Pierre Godefroy. Faites-le taire !

M. le président. Laissez parler l'orateur !

M. Serge Dassault. ...tous ceux qui cherchent un CDI resteront au chômage. (Brouhaha sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Vous feriez mieux d'écouter, ce serait plus intelligent de votre part !

M. le président. Mes chers collègues, supportez que l'on ne partage pas votre avis !

Veuillez poursuivre, monsieur Dassault.

M. Serge Dassault. Avec le CPE, l'emploi est assuré. Loin d'être un piège, Le CPE, c'est l'ouverture. Alors, réfléchissez, allez voir se qui se passe à l'étranger et cessez toute cette agitation !

M. Josselin de Rohan. Ils ne savent pas ce qu'est une entreprise, ces agitateurs !

M. Serge Dassault. Pour ma part, je soutiens totalement ce projet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à Mme Gisèle Printz.

Mme Gisèle Printz. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention portera sur le thème de l'apprentissage, puisque le Gouvernement propose de créer pour les jeunes connaissant des difficultés dans leur parcours scolaire un dispositif d'apprentissage junior.

L'exposé des motifs du projet de loi peine à justifier cette mesure prise dans la précipitation afin de répondre à la crise des banlieues d'octobre et novembre 2005, et ce sans concertation, ce qui semble être devenu une habitude pour ce gouvernement.

L'ensemble des organisations syndicales, la plupart des fédérations de parents d'élèves, les associations de jeunes y sont opposées. Les organisations d'artisans elles-mêmes ont émis de très sérieuses réserves. Le Conseil supérieur de l'éducation a, quant à lui, exprimé presque unanimement un avis défavorable.

En fait, depuis la Seconde Guerre mondiale, la politique française en matière d'éducation nationale visait à élever le niveau scolaire du plus grand nombre. Avec cette « formation apprenti junior » qui nous est proposée, il s'agit de mettre un terme à deux éléments fondamentaux du système éducatif.

Le premier est la scolarité obligatoire jusqu'à seize ans, qui, je le rappelle, fut décidée en 1959 par le général de Gaulle. Alors que tous les pays du monde tentent d'allonger le temps de scolarisation des jeunes, nous, nous nous efforçons de le raccourcir !

Le second élément est le collège unique créé en 1975, devenu le « collège pour tous » sous l'impulsion de Jack Lang. Ainsi, c'en est fini de l'objectif de porter 80 % d'une génération au baccalauréat et d'atteindre 50 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur, objectifs rappelés par la loi sur l'avenir de l'école votée par la même majorité en 2005.

Grâce à la mobilisation de la communauté enseignante, le niveau général des élèves s'est amélioré dans notre pays : 62 % d'une classe d'âge a le baccalauréat aujourd'hui, contre 25 % en 1975. Certes, les efforts se sont ralentis depuis 1990, et trop de jeunes sont sortis du système scolaire sans qualification. Pour autant, faut-il répondre à l'échec par l'exclusion ?

Car c'est bien d'exclusion scolaire qu'il est question avec ce dispositif. Je rappelle que la scolarité doit permettre l'acquisition d'un socle commun de connaissances et de compétences. Ce socle, au coeur de la réussite scolaire, devait être acquis par tous en recourant, au besoin, à des approches individualisées.

Selon M. Fillon, alors ministre de l'éducation nationale, sans la maîtrise de ce socle, il n'était pas possible de réussir sa formation initiale et donc son parcours professionnel. En excluant les élèves les plus en difficulté du système scolaire dès la fin de la classe de cinquième, vous remettez en cause la loi sur l'avenir de l'école, que vous avez pourtant votée il y a quelques mois.

Vous affirmez, ici et là, madame, messieurs les ministres, que les jeunes pourront choisir au fur et à mesure du temps, alors même qu'ils sont de très jeunes adolescents, âgés de quatorze ans à peine, de se rendre soit en apprentissage, soit au collège. Mais a-t-on vraiment idée du métier que l'on veut faire à cet âge ?

Par exemple, un jeune qui a redoublé deux fois à l'école primaire peut dès lors se retrouver en entreprise après le cours moyen 2. Le choix d'un métier peut demander du temps. En outre, un élève peut être très moyen à quatorze ans et évoluer avec l'âge ; nombre d'entre nous ont de tels exemples dans leur entourage.

N'oubliez pas non plus que l'apprentissage est difficile. Les métiers auxquels destine cette filière sont exigeants, aussi bien en raison de la difficulté des tâches à accomplir que de la complexité des machines à utiliser. Il demande aussi un effort intellectuel non négligeable. Le métier de boucher, par exemple, implique de remplir beaucoup de papiers : la traçabilité et le calcul mental sont des tâches pour lesquelles un bagage scolaire minimum n'est pas inutile.

D'après vous, monsieur le ministre, le statut scolaire de l'apprenti jusqu'à ses seize ans serait garanti et celui-ci aurait la possibilité de mettre fin à tout moment à l'apprentissage pour retourner au collège. Nous aimerions que ce soit vrai ! Mais il est difficilement concevable qu'un élève qui éprouve déjà des difficultés à acquérir le socle commun de connaissances puisse, en même temps, suivre un stage de découverte des métiers à partir de quatorze ans et supporter des horaires d'apprentissage à partir de quinze ans.

Votre projet ne précise même pas la durée des stages d'initiation aux métiers. Quant aux apprentis, dès quinze ans, ils seront soumis au code du travail et, partant, aux huit heures de travail par jour, voire au travail le dimanche, et même davantage, puisque votre texte renvoie prudemment et de façon dissimulée au décret du 13 janvier 2006 autorisant le travail de nuit.

En fait, votre argumentation tend à faire croire à des jeunes, souvent fragilisés par l'échec scolaire et par leur environnement, qu'on leur ouvre une perspective d'avenir alors qu'on leur enlève toutes les chances de réussite. En vérité, chacun sait que, si ces apprentis juniors quittent le collège dès quatorze ans, c'est pour ne plus y revenir et ne jamais maîtriser le socle commun de connaissances. C'est une terrible régression !

J'appartiens à cette génération dans laquelle de nombreux jeunes issus de familles modestes ont été enrôlés dans le préapprentissage pour servir de main-d'oeuvre bon marché au patronat. On envoyait les fils d'ouvriers en apprentissage et les filles à l'école ménagère. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. C'est fini tout ça !

Mme Gisèle Printz. Non, on veut y revenir ! J'aimerais croire que ces temps sont révolus.

Lors de l'examen du projet de loi de cohésion sociale, nous avions tiré la sonnette d'alarme à propos d'un amendement de notre collègue Serge Dassault tendant à ouvrir la possibilité d'un préapprentissage en entreprise aux jeunes dès l'âge de quatorze ans. Force est de constater que le Gouvernement a cédé au chant des sirènes du libéralisme.

Faire travailler des jeunes à quatorze ans n'est pas digne du pays des droits de l'homme (applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC), qui ne cesse, à juste titre, de dénoncer le travail des enfants dans le monde.

L'exclusion de milliers de jeunes dès quatorze ans est contraire au principe républicain d'égalité puisqu'elle ne sanctionne pas les capacités intellectuelles, le mérite, les efforts mais l'appartenance à un milieu social.

La présence d'une telle disposition dans un texte qui s'intitule « projet de loi pour l'égalité des chances » est une contrevérité. Elle accentue les inégalités en créant une sous-catégorie de jeunes.

Cette mesure aura par ailleurs des incidences sur les budgets des collectivités territoriales, notamment des régions, en charge du financement de l'apprentissage. Ces dernières devront augmenter leur participation aux financements et investissements des centres de formation pour adultes, les CFA, revoir leurs modes d'aides aux apprentis en trouvant de nouveaux modes d'hébergement et de transports.

Elles devront également revoir leurs aides à l'embauche d'apprentis car très vite, au premier accident du travail d'un jeune de quatorze ou quinze ans, les entreprises demanderont d'obtenir des compléments financiers pour assurer la sécurité des apprentis.

Mme Gisèle Printz. N'oublions pas, en effet, que jusqu'à présent, la loi n'autorisait pas les jeunes de moins de seize ans à manipuler les appareils dangereux.

Je voudrais, madame la ministre, vous rendre attentive au fait que l'on emploie toujours le masculin pour parler de la jeunesse dans ce projet de loi. À aucun moment, il n'est dit qu'il concerne les filles. Est-ce un oubli ou ai-je mal compris ? Quoi qu'il en soit, j'aimerais bien que cela y figure.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Ce projet de loi concerne bien sûr tout le monde.

Mme Gisèle Printz. Madame, messieurs les ministres, mon propos n'est pas de dénigrer l'apprentissage, loin s'en faut !

M. René Garrec. Très bien !

Mme Gisèle Printz. Dans sa forme actuelle, il permet d'accéder à des métiers valorisants aux yeux des jeunes et des parents, il représente une alternative crédible. L'apprentissage junior que vous voulez mettre en place produit l'effet contraire. Il apparaît comme une voie de relégation, qui déscolarise les jeunes prématurément. Nous y sommes défavorables et en demandons la suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. Très bien, cela relève le niveau !

M. le président. La parole est à M. Christian Cambon.

M. Christian Cambon. Monsieur le président, madame et messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est un apport essentiel de la République que de considérer que l'égalité des droits à la naissance ne suffit pas et qu'une politique volontaire est nécessaire pour rétablir l'égalité des chances tout au long de la vie.

Pour ce qui est des jeunes, hélas, vingt ans de chômage de masse ont montré combien ils subissent une forte discrimination en matière d'emploi.

Les chiffres ont déjà été évoqués à plusieurs reprises. Il est bon, comme pour la dette publique de la France, de les rappeler : un taux de chômage de 23 % pour les moins de vingt-cinq ans, atteignant 40 % pour les jeunes non qualifiés, soit deux fois plus que la moyenne européenne.

Mme Hélène Luc. Et on compte une jeune fille sur cinq parmi les chômeurs.

M. Jean-Pierre Sueur. Utile précision !

M. Christian Cambon. Je vous saurais gré, madame, de bien vouloir me laisser parler.

La vérité est là, même si elle est douloureuse pour nous tous : les jeunes mettent huit à onze ans pour obtenir un emploi stable et ce qui va avec : le logement, l'accès au crédit, bref, l'installation dans la vie.

Il en résulte un phénomène inquiétant de précarité systématique, très mal vécu par les jeunes et qui explique, pour une part, les réactions violentes que nous venons de connaître dans nos banlieues.

Au delà de ces chiffres, la réalité, nous la vivons sur le terrain, dans nos responsabilités locales. Combien de fois, en tant que maire, j'ai vu les curriculum vitae de ces jeunes, décrivant sur deux pages une seule année de travail, tant s'enchaînent stages, CDD, intérim, remplacements et périodes de chômage non indemnisées.

Mme Nicole Bricq. Et contrat nouvelles embauches !

Mme Christiane Demontes. Le CPE n'arrangera rien !

M. Christian Cambon. Dans le même temps, 450 000 emplois restent non pourvus.

Cette inadéquation, invraisemblable pour un pays comme le nôtre, a pour effet de pénaliser le développement de nos entreprises, mais surtout la croissance économique de la France.

Face à ce constat déprimant, les gouvernements successifs ont tenté, pendant vingt ans, d'apporter des réponses, hélas, peu convaincantes.

Tel fut le cas des emplois-jeunes, opération coûteuse lancée en 1997. Ils ne concernaient que le secteur public et associatif, et excluaient délibérément les entreprises de leur bénéfice, comme si elles étaient des quantités négligeables dans une politique dynamique de l'emploi.

Aucun dispositif de formation n'y était associé, pas plus que l'indemnisation du chômage au terme de cinq ans.

M. Jean-Pierre Bel. C'est inexact !

M. Christian Cambon. L'évolution de ces contrats fut laissée au bon coeur des collectivités ou des associations, invitées à transformer en contrat longue durée, si elles le pouvaient, cette première expérience professionnelle, au demeurant bien fragile.

Mme Hélène Luc. Dans la Val-de-Marne, 101 de ces jeunes ont passé le concours de l'IUFM...

M. Christian Cambon. Comprenant que rien de décisif ne serait réalisé si l'on ne réconciliait pas les jeunes avec l'entreprise, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin s'inscrivit alors en rupture avec cette politique de facilité...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On a vu le résultat !

M. Christian Cambon. ... en mettant en oeuvre un vrai plan de relance de l'apprentissage, particulièrement incitatif si l'on en juge par l'augmentation de près de 9 % cette année du nombre d'apprentis.

Associé à la création des maisons de l'emploi et à la grande réforme du temps de travail, pour reconstruire ce que les 35 heures avaient détruit, cette politique montrait le chemin d'une prise de conscience nouvelle et ambitieuse en faveur de l'emploi des jeunes par les entreprises.

En affichant résolument la volonté de se battre plus efficacement encore contre le chômage, Dominique de Villepin et son gouvernement ont choisi courageusement le chemin de l'innovation en mettant en oeuvre des réformes de structure susceptibles d'agir plus en profondeur pour l'emploi et contre la précarité.

Ce fut le cas du contrat nouvelles embauches, avec le succès que l'on connaît !

M. Thierry Repentin. Aux prud'hommes, oui !

M. Christian Cambon. Ainsi, 300 000 contrats ont été signés, en quelques mois, au sein des entreprises de moins de vingt salariés.

M. Alain Gournac, rapporteur. Eh oui !

M. Christian Cambon. Je comprends que ce chiffre puisse déranger, qu'on tente de l'expliquer par la démographie, par les départs en retraite plus nombreux. J'imagine, en revanche, ce que l'on aurait entendu si le chômage, lui, avait augmenté de 300 000 demandeurs d'emploi !

M. Christian Cambon. Le Gouvernement aurait pu en rester là et se satisfaire du statu quo pour les jeunes, leur faire miroiter des CDI qu'ils mettent dix ans à obtenir et les laisser dans la précarité de fait que je décrivais il y a un instant.

Or le Gouvernement a voulu aller plus loin et apporter une réponse concrète, souple et incitative pour sortir les jeunes de ces « galères » qu'ils vivent aujourd'hui de plus en plus mal.

En proposant un parcours d'insertion rapide de deux ans, pourvu de droits nouveaux et de garanties réelles, le contrat première embauche va offrir un nouvel instrument au service de l'emploi des jeunes.

Oh, certes, le CPE n'est pas la fée Clochette : personne ne l'a prétendu ! Il ne réglera pas tous les cas et ne fera pas disparaître le chômage d'un coup de baguette magique !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ? C'est pourtant ce que l'on nous avait dit !

M. Christian Cambon. Cependant, si l'on accepte un instant d'être juste, objectif et réaliste, comment peut-on nier les avantages que ce nouveau contrat va apporter ?

C'est d'abord un CDI qui offrira, enfin, cette première expérience professionnelle en entreprise tant recherchée : les jeunes en témoignent tous les jours.

C'est ensuite l'opportunité de partir d'un bon pied, avec la garantie d'une rémunération conforme au régime commun des salariés. En un mot, c'est offrir une chance, parfois une première chance, c'est tendre la main à ces milliers de jeunes qui, aujourd'hui, « sont dans la galère » et qui pourront, à terme, accéder à un emploi stable et pérenne.

Ce sera surtout l'occasion pour ces jeunes de donner toute la mesure de leurs qualités, de leurs compétences et de leur dynamisme.

Car enfin, pourquoi vouloir toujours faire des jeunes de futurs assistés ? Pourquoi ne pas parier sur leur envie réelle, profonde, de s'investir dans un emploi au sein de l'entreprise ?

Alors, on nous lâche l'argument suprême, celui qui fait peur : la précarité. Comme si les jeunes ne vivaient pas déjà la précarité au jour le jour ! Comme si, dans un pays de rêve, des multitudes de CDI leur pleuvaient dessus au sortir de l'université ou des centres de formation !

On nous parle d'emplois « jetables », d'emplois « kleenex » ! Toutes les formules deviennent bonnes, fleurant souvent bon l'indigence des contre-propositions, à moins que ce ne soit la proximité des élections qui les inspire !

Et bien nous, avec courage, nous disons que ce contrat, au contraire, apporte des garanties qui n'existaient pas auparavant.

D'aucuns disent que le contrat première embauche peut être rompu à tout moment, sans motif. C'est faux, et je souhaite, monsieur le ministre, que vous soyez clair sur ce point. Le droit du travail s'appliquera au contrat première embauche comme à tout autre contrat.

M. Roland Muzeau. Non, ce n'est pas vrai !

M. Christian Cambon. Il faudra toujours un motif valable pour licencier un salarié. L'employeur ne pourra pas s'en séparer parce que sa tête ne lui revient plus.

M. Jean-Pierre Bel. Vous n'avez pas lu le projet ?

M. Christian Cambon. Du reste, le préavis demeure obligatoire : quinze jours durant les six premiers mois, un mois au-delà.

On nous cite les premiers contentieux liés aux contrats nouvelles embauches : la belle affaire ! C'est bien la démonstration par l'absurde que les opposants à ces contrats se trompent : s'il y a contentieux, c'est qu'il y a bien recours possible et qu'il n'y a pas non-droit !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Eh oui !

M. Jean-Pierre Sueur. Quelle démonstration !

M. Christian Cambon. De même, les opposants au contrat première embauche se trompent lorsqu'ils confondent, sciemment, période d'essai d'un mois, applicable à tous les contrats de travail, et période de consolidation qui, elle, dure deux ans.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Exactement !

M. Christian Cambon. Or, pendant cette période de consolidation, il y a bien préavis et indemnités en cas de rupture du contrat.

Bien au-delà, ce sont de nouvelles garanties que le CPE va offrir aux jeunes.

M. Roland Muzeau. Lesquelles ?

M. Christian Cambon. Tout d'abord, en termes de formation, qui n'a pas constaté, lors de l'embauche d'un jeune, diplômé ou non, dans nos mairies ou dans nos entreprises, une insuffisance de formation pratique aux tâches proposées ?

M. Roland Muzeau. Évidemment, on ne naît pas avec toutes les connaissances !

M. Christian Cambon. Désormais, mon cher collègue, le jeune bénéficiera - c'est écrit en toutes lettres - d'un « droit individuel à la formation » dès la fin du premier mois, c'est-à-dire à l'expiration de la période d'essai. Ainsi, il pourra légitimement compléter sa formation initiale en informatique ou en langue par exemple, voire acquérir des connaissances nouvelles qui ne lui auraient pas été transmises.

De même, comment ne pas se féliciter de l'accès, pour ces futurs bénéficiaires du CPE, à la garantie de loyers et à l'avance de la caution, grâce au LOCAPASS, pour obtenir un logement ? Je suis maire en région parisienne et je connais, comme vous, les difficultés que rencontrent les jeunes pour trouver un logement.

De plus, la reconnaissance du CPE comme un vrai contrat à durée indéterminée par la fédération française des banques ouvrira aux jeunes la possibilité de contracter ce fameux premier emprunt et d'accéder au crédit à la consommation.

M. Roland Muzeau. Non seulement ils n'auront pas de travail, mais ils seront endettés...

M. Christian Cambon. Enfin, en matière de rémunération, c'est le régime commun des salariés qui s'applique et le contrat première embauche ne comporte pas de salaire plafond. Il n'a jamais été question, en effet, d'offrir aux jeunes des emplois au rabais. Mais cela, vos amis de l'UNEF préfèrent le taire !

Les opposants au contrat première embauche ont même prétendu qu'il allait devenir la seule forme de contrat pour l'embauche de tous les jeunes, quel que soit leur niveau de formation.

M. Roland Muzeau. Oui, le CNE !

M. Christian Cambon. C'est faux, là aussi.

En ce qui concerne les jeunes en situation de faible qualification, qui, certes, sont encore nombreux, le CPE ne supprime ni les contrats aidés, comme le contrat jeune en entreprise, qui est lui-même renforcé, ni l'accompagnement individuel pour les jeunes en difficulté, comme le contrat d'insertion dans la vie sociale, le CIVIS.

Pour tous ces jeunes sans qualification, l'alternance, véritable réponse à leur insertion future, est massivement développée et aujourd'hui 130 000 jeunes en difficulté sont accompagnés vers l'emploi grâce au CIVIS.

Sur le fond, n'est-il pas surtout consternant, mes chers collègues, d'entendre parler des entreprises, et plus particulièrement des petites et moyennes entreprises, comme le font aujourd'hui la plupart des dirigeants de l'opposition ?

Ils n'ont pas de mots assez durs pour faire croire aux Français, et singulièrement aux jeunes, que ces dirigeants de PME sont les nouveaux « Moloch »de l'économie, embauchant et licenciant au jour le jour, comme sur le carreau des mines au XIXème siècle. (Murmures sur les travées du groupe CRC.)

Vous semblez oublier, mes chers collègues, que ce sont les PME, comme l'entreprise SKS que vous et vos amis avez chassée, à coups de boulons, dans le Val-de-Marne, qui créent 90 % des emplois en France ! Elles portent à elles seules une part importante de la croissance économique du pays et pourtant elles ne sont pas au CAC 40, leurs dirigeants ne bénéficient ni de rémunérations extravagantes ni de parachutes dorés.

Il se trouve qu'avant d'entrer dans cette maison, j'ai eu l'honneur d'exercer pendant vingt ans les fonctions de chef de PME. Je n'ai jamais licencié un collaborateur et j'ai formé des dizaines de jeunes qui, je l'affirme, ont tous connu un parcours professionnel dont nous n'avons, ni eux ni moi, à rougir.

M. Jean-Pierre Bel. Oui, sous CDI.

M. Jean-Pierre Sueur. Sans le CPE !

M. Christian Cambon. Cette expérience m'a permis de rencontrer des centaines d'autres chefs d'entreprise. Comment aujourd'hui ne pas porter témoignage des pratiques et de l'esprit qui sont ceux de tous ces chefs d'entreprise, et qui n'ont rien à voir avec les caricatures que vous propagez ?

Croyez-vous vraiment qu'un chef d'entreprise qui a recruté un jeune, qui investit sur lui de son temps et de son savoir-faire et qui, bien souvent, s'attache personnellement à lui, le licencie du jour au lendemain comme on jette un paquet ?

M. Roland Muzeau. Il n'a qu'à le prendre en CDI !

M. Christian Cambon. Croyez-vous vraiment qu'un chef d'entreprise dont le carnet de commandes est plein, c'est-à-dire lorsqu'il peut le faire, n'a pas plutôt envie de donner leur chance à des jeunes désireux de s'investir, de donner le meilleur d'eux-mêmes et d'en finir enfin avec la galère ?

C'est bien ignorer le monde de l'entreprise que de terroriser les jeunes à ce point en généralisant les rares exemples de chefs d'entreprise qui, parfois, se conduisent mal et qui, dans ce cas, doivent être sanctionnés !

M. Christian Cambon. Quant aux solutions préconisées par nos collègues de gauche,...

M. Alain Gournac, rapporteur. Il n'y en a aucune !

M. Christian Cambon. ...nous les attendons, et les Français seront à même de juger sur pièce.

Mme Hélène Luc. Quand, ce n'est pas prévu ?

M. Christian Cambon. Ils le font, du reste, si j'en crois un récent sondage du Parisien.

Ils se souviendront de ce beau moment, voilà quelques semaines, où, au sortir d'un meeting à la Mutualité, Laurent Fabius et François Hollande se disputaient les micros en proposant, l'un, un vague contrat sécurité formation, l'autre, rien moins que le rétablissement des emplois-jeunes ! Tout cela est bien léger et ne risque pas de régler le problème qui nous est posé. On peut certes le leur pardonner, compte tenu du climat de franche camaraderie qui les unit... (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Christian Cambon. Penchons-nous sur l'exemple des régions, qui est, lui aussi, riche d'enseignements. Là, en effet, les exécutifs de gauche sont aux commandes, et les promesses de 2004 étaient alléchantes.

M. Christian Cambon. Avec les emplois tremplins, on allait voir ce que l'on allait voir ! Eh bien, on a vu !

En Île-de-France, qui compte 12 millions d'habitants, ils avaient promis 1 000 emplois au moins chaque année. Ils en ont créé 645, pas un de plus, en plus de deux ans. Et encore trouve-t-on dans ce décompte des emplois de directeur pour des associations de copains ou même des emplois créés pour le conseil régional lui-même ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. On n'est jamais si bien servi que par soi-même !

M. Josselin de Rohan. En Bretagne, nous n'avons rien eu !

M. Christian Cambon. En Midi-Pyrénées, où on avait également promis monts et merveilles, soixante-six emplois ont été créés en deux ans. Voilà bien un dispositif qui, lui, va révolutionner l'emploi des jeunes !

Peut-être que du côté de l'apprentissage, levier essentiel des régions, les efforts de nos collègues de gauche allaient être plus conséquents. Hélas ! En Île-de-France, alors même que le conseil régional vient en deux ans d'augmenter de 60 % la part régionale de la taxe professionnelle des entreprises, pénalisant d'autant la création d'emplois, les crédits d'investissement pour l'apprentissage viennent de baisser de 38 % pour 2006.

M. Roland Muzeau. La faute à Karoutchi !

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. C'est qu'il coûte cher le tramway nommé désir ! (Sourires.)

M. Christian Cambon. Alors, mes chers collègues, on le voit : n'en déplaise à nos censeurs, personne n'a aujourd'hui inventé la solution miracle pour résoudre cette terrible discrimination des jeunes face à l'emploi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n'avez pas inventé la poudre !

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Et vous donc !

M. Christian Cambon. Soyons donc, les uns et les autres, modestes !

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas votre cas !

M. Christian Cambon. C'est pourquoi, à l'UMP, nous avons choisi de soutenir le Gouvernement, qui tente, avec courage, d'innover et de proposer, à travers le CPE, une réponse plus adaptée aux attentes des jeunes et aux besoins de l'économie.

La vraie question nous est enfin posée. Allons-nous nous décider à tirer le bilan de vingt ans de primes, de plans successifs, d'exonérations, de mesures en tous genres, pour nous adapter enfin aux réalités du monde de l'emploi ? C'est le pari que, pour notre part, nous faisons.

Bien sur, vous pouvez faire rêver nos jeunes, vous pouvez leur promettre la lune et caricaturer la réalité à des fins purement politiciennes. Mais nos jeunes, eux, dans cette affaire, jouent leur avenir. Mieux vaut alors ne pas leur cacher la vérité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UC-UDF et du RDSE.)

M. Alain Gournac, rapporteur. Bravo Christian !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On est vraiment dans la caricature !

M. Roland Muzeau. Ce n'était pas sympathique pour l'UDF !

M. Josselin de Rohan. Occupez-vous de vos voisins, vous avez fort à faire !

M. Alain Gournac, rapporteur. Chacun sa croix ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.

M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, le contrat première embauche est contraire à l'égalité des chances.

M. Josselin de Rohan. Revoilà le révérend père !

M. Jean-Pierre Sueur. Dans une même entreprise, sur un même poste, pour le même travail, la règle sera en effet différente selon que le salarié aura plus ou moins de vingt-six ans.

Mais ce que je trouve vraiment indéfendable dans le CPE, c'est la notion de licenciement sans cause. À l'instant même, M. Cambon vient de nous dire qu'aucun chef d'entreprise de bonne foi ne souhaitait licencier sans cause, mais qu'il pouvait malheureusement, par moment, y être contraint. Dans ce cas, il y a toujours une raison au licenciement. Si ce que dit notre collègue est vrai, pourquoi cet acharnement à vouloir créer le licenciement sans cause, sans raison, sans motif ?

M. Jean Desessard. Excellent !

M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi, madame, messieurs les ministres, un tel licenciement serait-il illégal, impossible pour quelqu'un de vingt-sept ans ou de trente ans alors que, pour un jeune de moins de vingt-six ans, ce licenciement sans cause deviendrait possible ? On perçoit, au sein même du Gouvernement, des difficultés pour l'expliquer...

En fait, on ne peut pas associer à la jeunesse la notion de licenciement arbitraire. Le licenciement arbitraire n'a aucune raison d'être quel que soit l'âge. Alors, pourquoi le réserverait-on aux jeunes ? Pourquoi ? Nous n'avons aucune réponse à cette question, pourtant fort simple, depuis des semaines.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons déjà fait observer que cette disposition était contraire à la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail, ratifiée par la France - vous le savez très bien, monsieur Larcher -, qui prohibe, en son article 4, les licenciements « sans motifs valables liés à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondés sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise ». Et c'est le bon sens ! Je ne vois pas pourquoi la France créerait le licenciement sans cause, de surcroît réservé aux jeunes !

Vous savez aussi que cette convention de l'OIT exclut de ces dispositions les travailleurs effectuant une période d'essai, à condition que la durée de celle-ci soit raisonnable.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Et voilà !

M. Jean-Pierre Sueur. Avec le CPE, la période d'essai est en réalité de deux ans.

M. Gérard Larcher, ministre délégué. Non, c'est une période de consolidation !

M. Jean-Pierre Sueur. Elle sera forcément requalifiée comme telle, puisque, pendant les deux ans, on peut licencier sans cause ni motif. Or vous savez que la Cour de cassation a jugé abusives les périodes d'essai de trois mois, de six mois ou d'un an selon les professions. Alors, une période de deux ans ne nous paraît pas raisonnable. De plus, vous envoyez un très mauvais message à la jeunesse.

J'en profite pour dire que, de même que nous ne nous permettrions pas de critiquer les PME - comme cela vient de nous être reproché -, nous ne sommes pas contre l'entreprise.

M. Roland Muzeau. Bien sûr !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes pour l'entreprise. Nous n'acceptons pas non plus d'ailleurs que, dans certaines interventions, on critique les « amis de l'UNEF ». Les syndicats étudiants sont respectables ; ils disent ce qu'ils ont à dire, de même que les lycéens, les jeunes travailleurs et les jeunes des banlieues.

M. Alain Gournac, rapporteur. Il ne faut pas les tromper !

M. Jean-Pierre Sueur. Je n'accepte pas que l'on dise à cette tribune qu'ils ne comprennent pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Ils comprennent très bien ; ils ont la capacité citoyenne de comprendre !

M. Alain Gournac, rapporteur, et M. Josselin de Rohan. Il y en a qui mentent !

M. Jean-Pierre Sueur. Nous n'avons pas à présenter de manière péjorative la pensée de ces jeunes.

Monsieur le ministre, nous débattions hier soir du volontariat, présenté comme une solution innovante, intéressante. Oui, le volontariat peut être tout à fait utile et intéressant. Certains d'entre nous ont d'ailleurs signé un appel, avec de nombreux parlementaires.

Mais, compte tenu du chômage des jeunes, dans le contexte de précarité et de licenciements arbitraires que vous créez, le volontariat a peu de chance de représenter une solution crédible, parce qu'il apparaît trop évidemment comme un succédané pour trouver une solution à la question de l'emploi. Dans ces conditions, je ne crois pas que le volontariat sera bien perçu, ni qu'il sera un succès, d'autant que des organismes à but lucratif ont été introduits dans le projet de loi relatif au volontariat associatif et à l'engagement éducatif dont la discussion a été interrompue hier soir, ce qui n'est pas de bon augure.

Pour finir, je voudrais souligner que les inégalités liées au CPE figurent aussi dans l'ensemble du dispositif. Je pense à la question des territoires, évoquée par Roland Ries. Chaque génération de zone franche urbaine a été choisie d'une certaine manière. Certains quartiers hors zones franches urbaines vont plus mal que d'autres qui, pour diverses raisons, ont pourtant été classés en zone franche.

À cet égard, je crains beaucoup les effets pervers du zonage - la France est d'ailleurs championne du monde du zonage en matière de politique de la ville. Le zonage est toujours justifié au départ, et à juste titre, par la nécessité de donner plus à ceux qui ont moins.

M. René Garrec. On l'a cru aussi !

M. Jean-Pierre Sueur. C'est la philosophie des ZEP. Ensuite, on se rend compte que telle ZEP génère des phénomènes de fuite. Alors, on crée des super-ZEP.

Pour ma part, je pense que le zonage, dans une certaine mesure, produit de la stigmatisation, c'est-à-dire le contraire de l'effet recherché. Il faut y réfléchir.

Prenons un exemple : dans ce texte pour l'égalité des chances, on nous propose la suppression de toute règle présidant à l'implantation des multiplexes au sein des zones franches urbaines. Je ne sais pas si l'on a bien réfléchi aux conséquences d'une telle disposition ! Celle-ci ne va pas entraîner la création de cinémas dans les centres-villes des communes de banlieue ou des communes en difficulté.

M. Jean-Pierre Sueur. Elle va favoriser la concentration des cinémas dans des multiplexes situés le long des routes nationales, à côté des parkings des hypermarchés.

M. Jean-Pierre Sueur. Elle va donc avoir un effet négatif sur la culture, parce que ne sont diffusées dans les multiplexes que certaines catégories de films.

M. Alain Gournac, rapporteur. Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Pierre Sueur. De plus, il se produira une concentration de l'offre cinématographique, au détriment de quantités de territoires, qu'ils soient centre-ville, faubourg, banlieue ou ruralité. On peut dès lors se poser la question suivante : quel rapport y a-t-il entre la concentration de l'offre cinématographique que vous proposez et l'égalité des chances ? Pourquoi faut-il inclure une telle mesure dans ce texte ?

M. Jean-Pierre Sueur. On constate d'ailleurs que bien des mesures qui sont présentées dans ce projet de loi ne permettront pas d'aller vers plus d'égalité dans les territoires.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué la DSU, dont nous avons approuvé l'augmentation. Mais Mme Voynet faisait remarquer à juste titre que cette dotation n'était qu'un élément parmi beaucoup d'autres. Ainsi, dans toutes les villes qui touchent la DSU, il conviendrait d'étudier l'évolution négative de la DCTP, la dotation de compensation de la taxe professionnelle.

M. Jean-Pierre Sueur. On se rendrait alors compte que, dans beaucoup de villes, ce que l'on a donné en plus au titre de la DSU - et l'on a bien fait - a été retiré pratiquement à due concurrence du fait de l'évolution très négative - de 9 % ou 10 % - de la dotation de compensation de la taxe professionnelle !

En vérité, la réduction des inégalités entre les territoires demande un effort beaucoup plus important, en particulier au bénéfice des banlieues. Il est vrai que c'est difficile, et nous ne l'avons jamais contesté.

Je finirai en évoquant l'interview donnée dans la presse mardi dernier par le maire de Clichy-sous-Bois, car ses propos m'ont frappé.

Il affirme que, depuis trois mois, il attend vainement du Gouvernement des réponses sur deux dossiers intéressant sa ville et que, depuis trois mois, le ministère du budget persiste à refuser de créer un fonds national d'indemnisation pour les collectivités qui ont été durement touchées par les événements du mois de novembre. Pour la seule ville de Clichy-sous-Bois, les compagnies d'assurance imposent, dit-il, une franchise de 2 millions d'euros.  Je le cite : « Autant dire qu'on est proche de l'auto-assurance. Quand je pense que l'État avait indemnisé les stations de ski en raison du manque de neige ... La cause des banlieues vaut celle des remontées mécaniques ! »

Voilà la réalité de l'inégalité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

L'inégalité est là, partout, elle imprègne toute la vie, et elle imprègne aussi toutes les pages de ce texte !

Alors, madame, messieurs les ministres, la vraie question qui se pose est celle-ci : comment avez-vous pu appeler cette accumulation d'inégalités supplémentaires « projet de loi pour l'égalité des chances » ? (Applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le président, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous savons que le chef du Gouvernement voue une grande admiration à Napoléon Bonaparte. Mais la brutalité avec laquelle il a imposé à l'Assemblée nationale - tant à l'opposition qu'à la majorité, d'ailleurs - d'approuver, sans aller au terme de la discussion, le projet de loi qu'examine aujourd'hui le Sénat me donne à penser qu'il sait aussi s'en inspirer !

Dans Napoléon le Petit, Victor Hugo écrivait : « Qu'est-ce que c'est que ça, la tribune ? s'écrie M. Bonaparte Louis ; c'est du parlementarisme ! » Et le grand poète de poursuivre : « ... le parlementarisme, c'est-à-dire la garantie des citoyens, la liberté de la discussion, la liberté de la presse, la liberté individuelle, le contrôle de l'impôt [...], la sécurité de chacun, le contrepoids de l'arbitraire, la dignité de la nation, l'éclat de la France... ».

Faut-il vous rappeler que les grandes lois qui ont contribué à établir les fondements la République, lois toujours en vigueur, ne se sont pas faites à coup de 49-3 ou en recourant à d'autres artifices de « rationalisation » du parlementarisme ?

La loi de 1901 ou celle de 1905, pour ne prendre que deux exemples auxquels le Président de la République et ce gouvernement se disent attachés, ont fait l'objet de longues délibérations, approfondies, conflictuelles aussi, mais ayant abouti à des législations qui cimentent toujours le corps social.

Qu'en sera-t-il d'une loi fourre-tout, uniquement motivée par l'opportunisme le plus politicien, je veux parler de celui qui doit permettre de s'afficher aussi libéral que M. Sarkozy ?

Madame la ministre, messieurs les ministres, je vous le demande solennellement : pensez-vous qu'une bonne décision publique est celle qui est uniquement issue des cabinets ministériels et de la technocratie d'État, au mépris de la représentation nationale et des partenaires sociaux ?

En fait, vous avez choisi de recourir au 49-3 comme certains patrons peu scrupuleux - il y en aura toujours ! - débaucheront des jeunes gens employés en CPE : sans motif sérieux, arbitrairement.

En agissant ainsi, vous nourrissez l'antiparlementarisme latent d'une partie de l'opinion, vous confortez ceux qui pensent que le jusqu'au-boutisme vaut mieux que la délibération.

Le texte que vous soumettez au Sénat après le regrettable recours au 49-3 est censé répondre au profond malaise que traverse notre pays, qui s'est notamment manifesté par les émeutes urbaines ayant agité les banlieues de nos villes à l'automne dernier.

Noble ambition que celle qui est affichée : oeuvrer à l'égalité des chances. Mais entendons-nous par là la même chose ?

Arrêtons-nous sur l'une des causes profondes de ce malaise social français : le ralentissement du processus de rattrapage entre catégories sociales, comme l'a analysé notamment le sociologue Louis Chauvel.

Au milieu des années cinquante, les cadres percevaient un salaire en moyenne quatre fois supérieur à celui des ouvriers. Mais ces derniers, sur une seule génération, pouvaient espérer, compte tenu du rythme de progression des salaires, rattraper le salaire moyen des cadres.

Au milieu des années quatre-vingt-dix, les cadres ne touchaient plus « que » 2,6 fois le salaire moyen des ouvriers, mais il fallait à ces derniers trois siècles pour espérer arriver à ce niveau ! Le temps de rattrapage a donc été multiplié par dix !

Les couches sociales moyennes sont aujourd'hui composées pour partie de catégories issues de milieux parfois très modestes, qui ont progressé dans l'échelle sociale grâce à leur travail et à la forte croissance des Trente Glorieuses. Elles observent aujourd'hui avec désespoir que bon nombre de leurs enfants « galèrent » entre stages plus ou moins sérieux, intérim, CDD et chômage, sans pouvoir espérer la même progression sociale qu'eux, voire en étant menacés de régression.

Le ressentiment de la jeunesse défavorisée vient largement du no future qui l'attend : les jeunes savent qu'il existe une autre société mais que celle-ci n'est pas pour eux.

Le ressentiment social, dans la France de 2006, repose donc d'abord sur des bases objectives : non seulement les inégalités sont fortes et tendent à s'accroître, mais, au surplus, l'ascenseur social est en panne. Or ce ressentiment profond, ce malaise qui parfois laisse éclater la violence, ne peut être qu'entretenu par le décalage grandissant entre, d'un côté, les discours et les actes officiels sur l'égalité des chances et, de l'autre, la réalité quotidienne des catégories populaires et moyennes.

Ce texte illustre parfaitement ce phénomène. Les banlieues flambent, le chômage des jeunes reste massif, les discriminations à l'embauche se perpétuent... Et quelle est la réponse du Gouvernement ? Un texte, ce texte, qui divise, stigmatise, alimente la méfiance et le discrédit à l'égard des politiques publiques !

Sous couvert de faciliter l'insertion des jeunes sur le marché du travail, ce gouvernement n'hésite pas à proposer de sortir une partie d'entre eux du système scolaire avant seize ans et d'obliger l'ensemble de la jeunesse à accepter des contrats de travail jetables pendant deux ans.

En prétextant la responsabilisation des parents, cette majorité remet sur la table le chantage aux allocations.

En affichant la volonté de recréer pour la jeunesse une période de vie commune dédiée à la collectivité, les cabinets ministériels nous ressortent un service facultatif, qui n'obligera personne à consacrer quelques mois au civisme et à la nation, mais accueillera les personnes les plus fragiles, les sortant ainsi des statistiques du chômage !

Lorsqu'on se penche attentivement sur ce texte, notamment sur deux de ses mesures-phares censées régler le problème du chômage des jeunes - l'apprentissage à quatorze ans et le contrat première embauche -, on ne peut qu'être ébahi par l'inanité des solutions proposées !

Prenons l'exemple du désormais fameux CPE : alors qu'aucune évaluation sérieuse n'a encore pu être menée à terme sur l'incidence du contrat nouvelles embauches, vous inventez un nouveau dispositif ciblé sur les jeunes demandeurs d'emploi, qui vient s'ajouter à tous ceux qui existent déjà.

Tout en prétendant simplifier la vie des entrepreneurs, vous la complexifiez - certains le disent ! - et, de plus, vous créez une nouvelle niche sur le marché du travail : déjà, est en train d'apparaître la catégorie des entreprises de moins de vingt salariés employant un volant de nouveaux embauchés tournant tous les vingt-quatre mois ; désormais, il y aura les « jeunes embauchés » tournant au même rythme, une espèce d'armée de réserve de jeunes diplômés de moins de vingt-six ans dans laquelle les employeurs pourront piocher régulièrement !

Pour ce gouvernement, la clé du succès en matière d'emploi est de créer des marchés du travail différenciés. Est-ce bien sérieux ? L'impératif, aujourd'hui, ne serait-il pas plutôt d'établir une plus grande homogénéité du marché du travail et de réduire l'incertitude qui y règne ?

Pourquoi s'acharner ainsi à précariser les relations du travail alors que l'un des objectifs des politiques publiques devrait être de renforcer la durabilité du contrat de travail ?

Personne ne prétendra qu'une entreprise, surtout à l'ère de la compétition mondialisée, n'a pas besoin de salariés compétents et qualifiés. Or l'acquisition d'un haut degré de qualification ainsi que le développement de compétences pointues et spécialisées sont des processus longs. Les entrepreneurs et les formateurs le savent. D'après les partenaires sociaux, ces processus d'acquisition prendraient au minimum une quinzaine d'années. Ils sont donc incompatibles avec des relations de travail précaires.

Un salarié, surtout s'il est jeune, doit trouver de vraies perspectives de développement professionnel pour être motivé et efficace dans son travail. La perspective de pouvoir être licencié du jour au lendemain, sans explication, y concourt-elle vraiment ?

Nous aimerions que les promoteurs du CPE, au sein du Gouvernement et de I'UMP, répondent clairement à ces questions.

Tout le monde le sait dans cet hémicycle, ce pays souffre d'un dramatique problème de sous-emploi.

Est-ce en flexibilisant toujours plus notre droit social, comme l'a reconnu M. Dassault avec une franchise qui l'honore - mais lui voit dans ce texte des objectifs que vous ne revendiquez pas, monsieur le ministre, et il faudra que vous nous disiez tout à l'heure si ce sont ou non aussi les vôtres ! -, est-ce en fragilisant toujours plus la situation de centaines de milliers de jeunes cherchant à s'insérer dans le monde du travail, sur fond de croissance atone et de dérive de notre commerce extérieur, qu'on parviendra à rétablir la situation ? Bien sûr que non !

Une étude récente démontre que la détérioration continue de la balance commerciale du pays depuis 1999 a détruit 825 000 emplois en France.

Monsieur le ministre, pouvez-vous me dire, droit dans les yeux, que cette destruction massive d'emplois est plus liée au manque de flexibilité de notre droit du travail qu'à la rigidité de la politique monétaire de la Banque centrale européenne ?

Dans le contexte actuel de compétition accrue, les pouvoirs publics devraient tout faire pour donner à notre jeunesse l'espoir de pouvoir participer à la vie de la cité et à son développement économique en disposant d'un niveau élevé de formation et de protection.

Ce gouvernement semble résolu à faire exactement l'inverse ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, mon intervention portera principalement sur le contrat première embauche.

Monsieur le ministre de l'emploi, j'ai écouté attentivement la présentation que vous avez faite de ce projet de loi et j'ai constaté que vous le défendiez avec peu d'enthousiasme, ...

M. Guy Fischer. Eh oui !

M. André Lejeune. C'est le moins qu'on puisse dire !

M. Jean Desessard. ... comme si vous-même n'étiez pas convaincu par le CPE et que vous aviez assuré le service minimum commandé !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le SMC ! (Sourires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Jean Desessard. En effet, comment un politique qui se veut social peut-il cautionner un contrat qui constitue une véritable attaque du droit du travail ?

M. Roland Muzeau. Eh bien, c'est simple : il faut qu'il soit de droite ! (Sourires sur les mêmes travées.)

M. Jean Desessard. En matière d'emploi, il existe de mauvaises réponses, et ce gouvernement les essaie les unes après les autres !

Nous pourrions dire : « Après tout, ce n'est pas si grave ! Il a le mérite de tenter quelque chose ! » En réalité, non seulement ces mauvaises réponses ne créent pas d'emplois, mais, de plus, elles accroissent la précarisation de notre société, elles attaquent un code du travail reconnu par tous et elles conduisent à une dégradation considérable de la situation de l'ensemble des salariés.

Par exemple, la mise en place du CNE n'a pas créé d'emplois : les embauches qui se concluaient traditionnellement par la signature d'un CDI ont fait l'objet d'un CNE, ce qui n'a fait qu'accroître la précarité.

M. Christian Cambon. C'est vous qui le dites !

M. Jean Desessard. La période d'essai de deux ans, c'est un retour à la toute-puissance de l'employeur, au détriment de la démocratie sociale et de la défense des droits des salariés.

Que de mauvaises réponses n'avez-vous apportées ces dernières années ! CNE, CPE, exonération de charges sociales sur les bas salaires, catégorisation des employés par classe d'âge, maquis des contrats de toutes sortes, primes incontrôlées versées aux entreprises, compétition entre régions, entre communes... Tout cela a abouti à un énorme gâchis sans donner véritablement de résultats.

Il existe quand même quelques bonnes réponses : la création d'emplois dans les services publics, principalement dans les secteurs de la santé, de la recherche, de l'éducation ; la réduction du temps de travail, notamment pour les emplois les plus pénibles ; la mise en place d'aides aux créateurs d'entreprise et aux associations qui remplissent des missions indispensables de cohésion sociale ; l'encouragement aux investissements respectueux de l'environnement ou favorables à sa protection, comme la maîtrise de l'énergie dans le secteur de la construction, la recherche sur le solaire ou la géothermie, l'aide à l'agriculture biologique. D'ailleurs, l'emploi écologique est l'emploi de demain !

À ceux qui comparent le taux de chômage de la France et celui d'autres pays je rappelle que nous avons le plus fort taux de productivité en Europe. Cela signifie que l'on effectue avec moins de personnes la même quantité de travail : en d'autres termes, c'est l'exploitation pour les uns et le chômage pour les autres.

Mme Dominique Voynet. Très bien dit !

M. Jean Desessard. L'État doit maintenir pour tous un revenu minimum décent afin d'éviter l'appauvrissement, la précarisation et l'exclusion des chômeurs.

Il est difficile pour une personne de retrouver un emploi lorsqu'elle a perdu son logement, lorsqu'elle ne peut plus se soigner ni s'habiller. Or cela reste une charge énorme pour la société, en particulier pour les collectivités locales.

En outre, nous sommes favorables à ce que les étudiants bénéficient d'un salaire. Je vous vois déjà lever les yeux au ciel, et dire : « Mais qui va financer tout ça ?»

Mme Dominique Voynet. Mais non, ils dorment !

M. Jean Desessard. Je répondrai que l'on ne transige pas sur un projet de société solidaire, non sans rappeler que différents choix gouvernementaux ont favorisé fiscalement les plus aisés au détriment des plus modestes. Je ferai également remarquer que des sociétés comme Total réalisent des bénéfices records et continuent d'embaucher des stagiaires à qui mieux mieux sans les rémunérer, sans oublier les salaires exorbitants des cadres dirigeants et les profits des actionnaires.

La droite est aujourd'hui sans tabous : elle démantèle petit à petit le code du travail pour s'aligner progressivement sur les conditions sociales des pays les moins avancés en ce domaine.

M. René Garrec. On en est loin !

M. Jean Desessard. La droite a fait le choix de s'adapter au néolibéralisme, qui conduira à la paupérisation du peuple français et du pays. Car la richesse d'un pays est intimement liée à celle de l'ensemble de ses citoyens.

Ce projet de loi ne correspond en rien à notre conception du social. Ce n'est pas notre projet de société. D'ailleurs, la majorité des Français estime que le CPE entraînera davantage de précarité. Elle sera donc très vigilante pendant la période d'essai d'un an qui vous est accordée, jusqu'en mars 2007.

Considérez cela, madame, messieurs les ministres, comme un préavis de licenciement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. de Rohan s'esclaffe.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. David Assouline. Soyez franc !

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d'abord vous dire que le Gouvernement attache beaucoup d'importance à ce texte.

À mesure que les différents sujets seront abordés, chacun des ministres avec lesquels je vous présente ce projet de loi, Gérard Larcher et Catherine Vautrin, ici présents, mais aussi Azouz Begag et Gilles de Robien, répondra de manière détaillée sur les points qui le concernent plus spécifiquement. Pour ma part, je me contenterai de répondre de façon globale aux différentes interventions, en commençant par celle de M. Gournac.

Monsieur le rapporteur, j'ai été très frappé par ce que vous avez dit à propos des auditions, par la commission, de l'ensemble des partenaires sociaux, notamment celles des représentants des organisations de la jeunesse de ce pays.

M. Alain Gournac, rapporteur. Ces auditions étaient très intéressantes !

M. David Assouline. Quelles organisations de la jeunesse ? Pas l'UNEF en tout cas !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Toutes celles qui se sont rendues à votre invitation, sans exclusive aucune - je pense notamment aux deux témoignages importants que vous nous avez rapportés -, ont montré leur intérêt pour l'intégralité du texte, ...

M. Alain Gournac, rapporteur. Effectivement, et pas seulement pour le CPE !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ... en particulier pour ce grand sujet de préoccupation qu'est la discrimination.

M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. La discrimination est aujourd'hui, en effet, le véritable poison de notre pays.

M. Alain Gournac, rapporteur. Exact !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Vous en avez fourni des illustrations assez effrayantes, y compris en matière d'apprentissage.

En fin de compte, le coeur du débat sur l'apprentissage, ce n'est pas vraiment la question de l'âge : l'essentiel est de montrer que la formation en alternance est l'une des voies royales de l'activité et de l'épanouissement personnel et qu'elle doit être ouverte à tous dans ce pays. Cela dépasse les statistiques.

M. Alain Gournac, rapporteur. Tout à fait !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir, au-delà de vos remarques sur ce texte et des amendements que vous avez déposés au nom de la commission des affaires sociales, appelé très fortement notre attention sur ce point, car cela permet de recentrer le débat sur l'un des sujets fondamentaux du projet de loi.

M. le rapporteur pour avis de la commission des lois, Jean-René Lecerf, a martelé ce principe : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Mais il a démontré, chiffres à l'appui, que ce n'était pas, aujourd'hui, dans notre pays, une réalité en matière d'accès au logement, à l'emploi, à la formation. Ainsi, en ce qui concerne l'accès aux quatre grandes écoles françaises, il a cité des chiffres qui devraient tous nous interpeller : en vingt ans, nous sommes passés de 29 % à 10 % de diplômés issus des couches dites populaires. Comme l'a dit M. Lecerf, un pays qui recrute ainsi ses élites dans une frange réduite de sa population est un pays qui se rétrécit.

M. Jean-Pierre Sueur. Très juste !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Avec la sagesse et, surtout, la qualité d'expertise qu'on lui connaît, M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, Pierre André, a coupé court aux faux débats concernant les zones franches urbaines. Idéologique il y a cinq ou six ans, cette question est désormais devenue technique et porte sur le formatage des ZFU, sur le fait que les habitants des quartiers y soient vraiment employés et que les débats publics avec la Commission européenne se passent dans les meilleures conditions.

Mme Nicole Bricq. Non, ce ne sont pas des débats publics !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Mme Catherine Vautrin s'y emploie, ce qui devrait rassurer M. Dallier, rapporteur pour avis de la commission des finances.

C'est probablement son sang alsacien, sa proximité géographique avec l'Allemagne - où l'on compte 1,6 million d'apprentis, contre 265 000 chez nous cette année, malgré une augmentation de 10 % -, qui a incité M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, Philippe Richert, à insister fortement sur l'apprentissage. Au-delà des textes de loi qui pourront être votés, c'est bien l'orientation à l'école et la mise en oeuvre de l'alternance qui garantiront un véritable succès des dispositifs.

Jean-René Lecerf a, pour sa part, insisté à juste titre sur la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Je comprends que la commission des lois soit préoccupée par le fait qu'une jeune institution, indispensable par ailleurs, se retrouve en situation de devenir une véritable nouvelle juridiction. Dans le même temps - je crois que nous en sommes tous les deux d'accord -, nous ne pouvons pas la cantonner à un simple rôle de consultant ou à la préparation des dossiers pour les autres. Au cours du débat parlementaire, il nous appartiendra de trouver la bonne mesure entre une forme de sanction immédiate et une validation judiciaire dans le cadre d'un débat contradictoire.

Monsieur Dallier, vous vous êtes exprimé dans un hémicycle un peu plus bruyant qu'il ne l'était lorsque vos collègues rapporteurs étaient à la tribune. (Sourires.) C'est sans doute votre qualité d'élu de la Seine-Saint-Denis qui a donné de la couleur et de la force à vos propos.

Vous avez indiqué qu'il s'agissait au moins autant de restaurer la cohésion nationale que la cohésion sociale. Toutes vos observations enrichiront certainement les débats qui vont suivre.

Madame Luc, vous nous avez reproché d'agir trop vite. Je ne peux souscrire à vos propos. Certes, nous agissons vite, ...

Mme Nicole Bricq. De manière précipitée !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ... mais la situation l'exige.

Je voudrais répondre à toutes celles et à tous ceux qui sont intervenus sur les conditions de travail du Sénat. Certains ont dit que le fait de siéger le vendredi et le lundi était une idée révolutionnaire dans cette maison.

M. Alain Gournac, rapporteur. Pas vraiment !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. En tant que membre du Gouvernement, j'ai défendu des textes dans cet hémicycle tant des lundis et des vendredis que des samedis, sans parler d'un certain nombre de nuits, ...

Mme Dominique Voynet. Nous aussi !

M. Roland Muzeau. La preuve, la gauche est deux fois plus nombreuse que la droite ce soir !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ... et la démocratie n'a pas eu à en pâtir.

Madame Luc, je me permets de vous rappeler que la conférence des présidents a été consultée, que des échanges nourris ont eu lieu et que quatre ministres ont été présents pendant toute la discussion générale.

Ce texte aurait dû venir en débat le 28 février et être examiné par la Haute Assemblée pendant une semaine. La conférence des présidents l'a inscrit à votre ordre du jour une semaine plus tôt afin que vous puissiez disposer de deux semaines pour l'examiner sereinement. La démocratie exige en effet que, sur un tel texte, chacun puisse s'exprimer.

Comme l'a très bien dit M. de Raincourt, le Gouvernement a voulu mettre en oeuvre un vrai principe républicain, celui de l'égalité des chances.

Mme Dominique Voynet. Le principe républicain, c'est l'égalité tout court !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. On peut discuter tel ou tel point, on peut discuter des moyens, mais on ne peut pas reprocher à un gouvernement de proposer rapidement au Parlement un débat sur l'égalité des chances, pilier de la République, qui doit être notre préoccupation permanente.

Monsieur Bel, vous avez longuement exprimé votre opinion sur le contrat première embauche, sur lequel a porté l'essentiel de votre intervention. Je peux comprendre toutes les interrogations, mais je voudrais vous rappeler un chiffre : en dix-sept ans - dont les trois quarts sous des gouvernements que vous souteniez -, le chômage des jeunes des quartiers sensibles est passé de 20 % à 50 %.

On peut débattre du CPE, et les questions que vous posez sont également posées dans l'opinion publique. On peut effectivement se demander si une période d'essai accompagnée de formation, d'un préavis, ainsi que d'indemnités dans l'hypothèse où les choses tourneraient mal, est bien une réponse adaptée. La question mérite sans doute d'être posée.

Mais il n'est pas juste de se livrer à des caricatures - Mme Gautier et M. Cambon l'ont très bien dit -, en présentant notre dispositif comme porteur de précarité ou comme des TUC privés. Les travaux d'utilité collective étaient d'ailleurs, je le rappelle, une invention d'un gouvernement que vous souteniez, monsieur Bel.

L'idée est tout de même d'essayer de trouver ensemble une solution convergente, une forme de consolidation qui soit propre à inspirer la confiance commune. N'ayons pas d'inquiétudes et tentons l'expérience ! Pourquoi ne nous dirions-nous pas simplement qu'il faut faire taire nos inquiétudes et tenter l'expérience ?

Monsieur le président Bel, il est tout de même extraordinairement différent pour un jeune d'arriver dans une entreprise avec un CDD en ayant une obsession, savoir où il effectuera son prochain CDD, et de s'insérer dans une équipe, d'essayer d'affermir sa capacité à y participer, avec la volonté de s'y maintenir et en faisant tout pour y parvenir. (Mme Le Texier s'exclame.)

M. David Assouline. Mais votre dispositif ne permet rien de tout cela ! C'est incroyable !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Oui, il y a un problème de fluidité du marché du travail ! Non, il n'est pas exact de dire que nous créons de la précarité par rapport à la situation actuelle !

Mme Gisèle Printz. Bien sûr que si !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. La précarité, c'est de n'avoir aucune chance ! C'est de risquer de perdre son emploi au bout de deux mois ! Nous offrons au contraire au jeune une chance de consolider sa situation !

M. Roland Muzeau. Cessez de prendre les Français pour des imbéciles !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Vous pouvez être en désaccord et considérer que nous nous trompons, mais vous ne pouvez pas à ce point caricaturer notre dispositif ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Hélène Luc. Nous ne le caricaturons pas ! Vous vous en apercevrez rapidement !

M. Yannick Bodin. Nous disons simplement la vérité ! Le CPE signera votre échec dans quelques mois !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Monsieur le sénateur, si vous évoquez l'élection présidentielle...

M. Yannick Bodin. Je ne suis pas candidat ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ... souvenez-vous de ce Premier ministre qui semblait dans une situation très favorable quinze mois avant l'élection ! (Rires sur les travées de l'UMP.)

M. Yannick Bodin. Vous parlez de M. Balladur ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je parle d'un Premier ministre qui paraissait très en forme.

M. Yannick Bodin. Donc de M. Balladur !

M. David Assouline. En tout cas, s'il s'agit d'un Premier ministre très en forme, ce n'est certainement pas M. de Villepin ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Monsieur Bel, vous avez également évoqué la question de l'articulation entre le dispositif d'apprentissage et l'impératif de scolarité obligatoire à seize ans. Mme Printz a elle-même consacré l'essentiel de son intervention à ce sujet. Votre interrogation est légitime.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, une expérience a été menée : le « lycée de toutes les chances ». Nous avons essayé de travailler sur le décrochage : 6 % des jeunes sont concernés. Est-on certain de ne pas se tromper en leur faisant croire que, coûte que coûte, ils passeront une agrégation de sociologie ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça, c'est caricatural !

M. Alain Gournac, rapporteur. Non, c'est la vérité !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Madame Printz, vous évoquez le risque d'erreur. (Brouhaha sur les mêmes travées.) C'est un véritable sujet ; laissez-moi donc y répondre le plus honnêtement possible !

M. Roland Muzeau. Ça, vous aurez du mal !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Ce n'est pas mon sentiment, monsieur Muzeau !

Lorsque vous affirmez, madame Printz, qu'une orientation précoce présente un risque d'erreur,...

M. Jean-Pierre Godefroy. Irrémédiable !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ...vous avez raison. Toutefois, si cette orientation précoce permet de découvrir plusieurs métiers tout en restant dans le système scolaire, vous avez déjà un peu moins raison.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Mais penser que suivre des études académiques protégerait de tout risque d'erreur serait bien mal connaître la situation de jeunes diplômés de nos universités !

Le rapport de M. Henri Proglio sur l'insertion professionnelle des jeunes - on s'y réfère d'ailleurs parfois à l'appui de thèses qui lui sont totalement étrangères - montre en effet qu'un certain nombre de jeunes diplômés d'université connaissent des taux de chômage supérieurs au reste de la population de la même classe d'âge.

Ce rapport recommande de recourir davantage aux CDI, en évitant les stages et les CDD. Il propose même aux partenaires sociaux un système de modulation. Il suggère en effet de différencier le financement de l'UNEDIC entre les acteurs s'orientant vers un CDI ou un CPE et ceux qui iraient résolument vers des CDD ou des stages.

Madame Borvo Cohen-Seat, je ne peux pas souscrire à votre affirmation selon laquelle l'apprentissage junior tournerait le dos aux savoirs fondamentaux. Vous savez comme moi que le décrochage est pire que tout : il ne permet ni de découvrir un métier, ni de s'y préparer, ni de continuer à acquérir ces savoirs.

Le système fonctionne mieux lorsqu'un jeune a une chance d'être heureux dans la découverte ou l'apprentissage d'un métier. Les sections sport-études offrent ainsi un système très efficace, y compris s'agissant de l'acquisition des savoirs, car il y a, pendant la journée, une part de bonheur qui facilite ensuite une telle acquisition.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On voit bien que vous ne connaissez rien à la réalité de l'apprentissage !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Monsieur Muzeau, vous nous avez indiqué que nous « siphonnions » le budget des associations. À l'heure où je vous parle, alors que nous ne sommes qu'en février, les fonds annuels ont été délégués dans leur intégralité. C'est la première fois depuis vingt ans ! Et cela représente 250 millions d'euros, soit 100 millions d'euros de plus qu'en 2001 ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'exclame.)

Ne faites pas croire, monsieur Muzeau, que nous faisons disparaître le FASILD ou la DIV.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Vous savez très bien que c'est faux. Nous avons un problème d'agence de cohésion et nous nous appuyons sur un dispositif qui doit évoluer. Vous avez lu comme moi le rapport de la Cour des comptes d'il y a deux ans. La situation de notre pays n'est pas celle de l'époque de la création du FASILD. La Cour des comptes a demandé un recentrage...

M. David Assouline. Mais pas une destruction !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ...sur une action beaucoup plus proche de l'intégration. C'est eu égard au caractère territorial du FASILD que nous avons, à la demande et sous l'autorité de Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité, décidé de nous appuyer sur ce fonds et sur les six préfets délégués pour l'égalité des chances.

Monsieur Ries, vous avez évoqué les zones franches urbaines et parlé d'« aubaine ». De grâce, souvenez-vous qu'il y a eu un rapport parlementaire du Sénat !

M. Jean-Pierre Sueur. Ainsi que d'autres, émanant d'autres institutions !

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes. Oui, mais ils étaient nuls !

M. Alain Gournac, rapporteur. Et scandaleux !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je rappelle que le conseil municipal de Strasbourg, où vous siégez, a demandé à l'unanimité la création de deux zones franches urbaines. Alors, gardez-vous de cette attitude indigne qui consiste à approuver les zones franches urbaines dans votre ville et à les dénigrer devant le Sénat ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.) Vos qualités personnelles devraient, me semble-t-il, vous permettre de trouver de meilleurs arguments pour vous opposer à ce projet de loi.

M. Lardeux a évoqué la responsabilité parentale. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, aura l'occasion d'approfondir ce sujet. À l'automne, nous avons connu de grandes difficultés dans nos quartiers. Nombre d'élus ont été au contact de la population sur le terrain. Ils se sont rendu compte qu'ils avaient perdu le contact avec certains jeunes. Ils les avaient connus enfants et ils les ont retrouvés très différents, âgés de quinze ans, seize ans ou dix-sept ans.

Comment dès lors recréer une relation entre les élus, la République et les parents ? Comment aider un certain nombre de parents ? Le dispositif sera présenté par Philippe Bas. Dans chaque département, il y aura un débat entre les mairies, le préfet et les élus départementaux. C'est la démocratie !

J'ai bien noté votre souhait, Monsieur Nogrix. Vous pourriez voter ce projet de loi sous réserve que nous travaillions sur le mot de testing, auquel vous préférez « testage » ou « testation ». Je vous promets que, avant la fin des débats, nous aborderons ce problème lexical qui vous tient à coeur et qui est effectivement, à n'en pas douter, essentiel s'agissant d'une loi de la République. (Sourires.)

Madame Voynet, je suis heureux que vous soyez restée pour entendre ma réponse.

Mme Dominique Voynet. Ça va être ma fête ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Vous êtes en effet un personnage public d'importance. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme Dominique Voynet. Je ferais bien de prendre mon parapluie pour me protéger ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je vous ai écoutée attentivement, comme les autres orateurs, d'ailleurs.

Mme Raymonde Le Texier. Mme Voynet a été excellente !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Vous avez à juste titre rappelé que la crise des banlieues concernait tant les parents que les jeunes de ces quartiers. Vous avez insisté sur la nécessité d'établir des diagnostics et de lancer un débat sur l'urbanisme, le logement et l'éducation. Ce sont vos propos.

Mme Dominique Voynet. Non, ce n'est pas exactement ce que j'ai dit !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Vous avez indiqué m'avoir demandé de recevoir un collectif d'éducation populaire. Je souhaiterais donc savoir à quel moment vous avez formulé une telle demande. En effet, en trois ans, je n'ai jamais refusé de recevoir une association ou une personnalité qui m'ait été recommandée par un parlementaire ou par un maire. C'est encore plus vrai lorsque la demande m'en est faite verbalement.

Vous pouvez certes émettre des courriers. (Mme Voynet brandit une lettre.) Mais comme vous avez certifié m'avoir personnellement demandé de rencontrer les représentants ce collectif, je m'engage à les recevoir avec vous quand il vous plaira. (Mme Voynet s'approche de M. le ministre et lui tend un papier.) Ah, vous me faites le coup de la lettre prétendument envoyée !

Mme Dominique Voynet. C'est la réponse que vous m'avez adressée ! Lisez-la donc !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Eh bien, madame Voynet, je vous présente mes excuses ! C'est effectivement une réponse en date du 20 février 2006.

Mme Dominique Voynet. Ne renvoyez pas le stagiaire qui l'a rédigée !

M. Gérard Larcher, ministre délégué. C'est un stagiaire rémunéré !

Mme Dominique Voynet. Mais non ! Votre gouvernement ne rémunère jamais les stages dans la fonction publique !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Voici ma réponse, madame Voynet : je recevrai cette association avec vous quand vous le souhaiterez.

Revenons à présent au sujet qui nous préoccupe. Oui, il y a un bien un problème d'urbanisme et de logement, même si cela n'explique pas tout ! Le phénomène de ségrégation territoriale tend évidemment à concentrer l'ensemble des difficultés sur certains espaces.

Où est le désaccord ente nous, madame Voynet ? Vous ne pouvez pas prétendre que nous avons découvert le sujet lors de la crise des banlieues.

Permettez-moi à cet égard de vous rappeler ce que nous expliquions ici même voilà un an, en présentant le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

« La France est l'un des pays d'Europe qui consacre le plus gros effort financier à la protection sociale. Et pourtant, nos résultats sont inquiétants.

« En effet, en quinze ans : le nombre d'allocataires du RMI est passé de 422 000 à 1 100 000 ; le nombre de familles surendettées supplémentaires est passé de 90 000 à 165 000 par an ; le chômage des jeunes de seize ans à vingt-quatre ans dans les quartiers en zones urbaines sensibles est passé de 28 % à 50 % ; chaque année, plus de 80 000 enfants entrent en 6ème sans maîtriser les savoirs fondamentaux ; les grandes écoles sont trois fois moins accessibles aux élèves de milieux modestes qu'au cours des années cinquante ; les actes racistes enregistrés sont passés de 189 à 817 chaque année ; le nombre de logements indécents a doublé ; la liste d'attente pour l'accès au logement social a été multipliée par quatre.

« La France doit faire face à un chômage structurel et à l'exclusion qui l'accompagne, aux jeunes sans espoirs et aux enfants défavorisés, aux logements insalubres, aux quartiers sans avenir, à une perte du sens de l'action collective de la République, à l'intolérance et parfois au racisme.

« Cette nouvelle réalité paraît inéluctable, elle désespère ceux qui y sont enfermés, elle décourage les autres. Elle n'est pas uniquement le fruit des difficultés actuelles de la conjoncture économique ; la situation a d'ailleurs continué à se dégrader pendant les périodes de croissance soutenue.

« Nous devons répondre clairement, ouvertement à ceux qui se découragent : la République retrouvera l'égalité des chances ; elle ne transigera pas avec son ambition, elle ne jouera pas avec son avenir.

« Inexorablement, depuis quinze ans, le fossé continue de se creuser entre ceux dont les enfants ont un avenir et ceux dont la descendance en est privée. D'innombrables talents sont ainsi gaspillés, recevant la rage en lieu et place de diplôme. »

Madame Voynet, oeuvrer en faveur de la rénovation urbaine et résoudre le problème du logement social exige une action en profondeur. Il ne suffit pas d'organiser des « spectacles pyrotechniques de destruction des barres d'immeubles », comme vous l'avez dit avec un peu de condescendance. Il s'agit de faire de ces endroits des quartiers d'avenir et de respecter ses habitants en y créant des dynamiques urbaines. Vous savez très bien tout cela !

Mme Dominique Voynet. Je vous l'ai rappelé !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. De même, vous vous interrogez sur l'implantation des « multiplexes avec vigiles et chiens dans les quartiers ». Madame Voynet, je vous invite à aller voir où le Gaumont a été implanté à Valenciennes ...

Mme Dominique Voynet. Quand vous aurez reçu mon collectif associatif ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ... et à rencontrer les salariés du quartier de la Briquette. Je pense que vous changerez alors d'avis !

S'agissant du rétablissement de l'allocation de solidarité spécifique, vos intenses activités personnelles expliquent certainement que vous ne vous soyez pas rendu compte que c'est chose faite depuis déjà un an et demi !

En ce qui concerne la sécurisation des parcours professionnels, je vous invite à saisir vos amis socialistes, madame Voynet. En effet, s'agissant des contrats de transition professionnelle, qui constituent l'outil d'accompagnement des personnes licenciées pour raison économique le plus puissant qu'on puisse imaginer - il leur permet de conserver leurs revenus pendant un an et d'essayer de nouveaux métiers, dans le cadre d'une plateforme de transition professionnelle, et ce dans leur bassin de vie -, eh bien, vous n'allez pas me croire, le parti socialiste a saisi le Conseil constitutionnel pour y faire obstacle ! (M. le rapporteur s'esclaffe.) Les partenaires sociaux sont stupéfaits et je dois vous dire que moi aussi !

Madame Voynet, vous savez bien ces choses. Vous avez souffert en tant que ministre.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Nombre de sujets ont dû vous faire souffrir, mais un plus que les autres : le Gouvernement auquel vous avez appartenu est celui qui a le moins fait pour l'amélioration de la fiscalité locale des villes pauvres, qui a fait le moins pour les logements sociaux et qui a le moins investi dans la politique de la ville.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas vrai !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Madame Printz, avec votre sensibilité personnelle, vous avez exprimé des inquiétudes concernant l'apprentissage, notamment l'âge à partir duquel il est possible, ce que je comprends, mais je ne peux pas vous laisser dire que l'apprentissage, c'est l'exclusion.

Mme Gisèle Printz et Mme Annie David. À quatorze ans, si !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Les dispositifs de nos amis allemands sont encore plus incitatifs que les nôtres.

Mme Raymonde Le Texier. Pas à quatorze ans !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Pour nous, l'apprentissage n'est pas la voie de l'exclusion.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Je ne reviens pas sur la découverte des métiers, dont j'ai déjà parlé tout à l'heure.

Monsieur Cambon, je vous remercie d'avoir dénoncé un certain nombre de caricatures sur le CPE et d'avoir remis le clocher au milieu du village. Certes, on peut débattre du délai de consolidation, mais non, le CPE, ce n'est pas une période d'essai de deux ans. La durée de cette période variera entre un et trois mois, selon les conventions collectives. Non, il ne sera pas possible de licencier un salarié sans préavis. Non, il ne sera pas possible de procéder à des licenciements sans respecter l'ordre public social. Oui, le droit des salariés à la formation et à des indemnités est renforcé par rapport à ce qu'il est dans le cadre d'un CDI, comme l'a rappelé Mme Gisèle Gautier.

Monsieur Sueur, vous avez évoqué les risques liés au zonage, sujet qui suscite de nombreux débats. Permettez-moi de relever que les élus de gauche qui ont refusé le classement de leurs quartiers en ZUS ou en ZRU lors de leur création, par crainte qu'ils ne soient stigmatisés, ce qui pouvait se concevoir, nous demandent tous aujourd'hui, sans exception, à bénéficier de ces dispositifs de soutien.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Le débat sur le zonage est un vrai débat.

M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. S'agissant de la carte scolaire, par exemple, si l'on peut proposer des solutions différentes, nul ne peut nier que, telle qu'elle est aujourd'hui appliquée, la carte scolaire a des effets sociaux contraires à ceux qui étaient escomptés.

M. Jean-Pierre Sueur. Mais je n'ai pas mis en cause la carte scolaire !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Nous savons tous que les zonages ont des limites, mais nous savons également qu'ils ne méritent pas d'être systématiquement stigmatisés.

Enfin, il a beaucoup été question ces temps-ci, tant dans cet hémicycle que dans la presse, du maire de Clichy-sous-Bois. Je rappelle que la commune de Montfermeil, qui est située sur le même plateau, est concernée par le même projet de rénovation urbaine. Ce projet a été signé au mois de décembre 2004.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée. Exactement !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Il est doté de 320 millions d'euros, qui sont disponibles. Ce projet est difficile à mettre en oeuvre, car les difficultés sont concentrées, mais jamais aucun gouvernement n'avait mis 320 millions d'euros à la disposition des villes de Clichy-sous-Bois ou de Montfermeil, ni même proposé de le faire.

Et puisque vous me parlez de la DSU, monsieur Sueur, ...

M. Jean-Pierre Sueur. De la DCTP !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. ...et des problèmes que posent d'autres dotations, permettez-moi de vous rappeler quelques chiffres : savez-vous à combien s'élevait la DSU de Montfermeil, dont vous vous préoccupez tous tant, il y a un an ? Elle était de 2,3 millions d'euros. Connaissez-vous son montant aujourd'hui ? Il est de 5 millions d'euros !

M. Jean-Pierre Sueur. Et la DCTP ?

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Savez-vous à combien elle s'élèvera dans trois ans ? À 10 millions d'euros ! Les moyens de cette ville, sur laquelle vous vous apitoyez et que vous invoquez sans cesse, auront donc été presque multipliés par quatre, alors que, auparavant, pendant cinq ans, elle n'a bénéficié ni d'un programme de rénovation urbaine ni d'amélioration des conditions de vie.

M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas ce que dit Claude Dilain !

M. Jean-Louis Borloo, ministre. Monsieur Desessard, on peut bien sûr créer des emplois dans les secteurs que vous évoquiez, notamment des emplois écologiques. Oui, ITER est une bonne nouvelle s'agissant des énergies alternatives. Oui, nous soutiendrons toujours la création de tels emplois. Par ailleurs, je vous remercie de la gaieté avec laquelle vous avez abordé ce sujet.

S'agissant du logement, sujet qui vous tient à coeur, monsieur Desessard, permettez-moi de vous rappeler qu'il a fait l'objet d'un long débat, auquel vous avez largement contribué. L'objectif est de passer du doublement au triplement des logements sociaux. C'est cela aussi, l'égalité des chances.

La France s'adapterait sur les moins-disants sociaux. Mais quels sont les pays que l'on vise en disant cela ? S'agit-il des grandes démocraties avancées, régies par l'économie de marché ? Ou des pays sortis de quelque glacis ? Oui, c'est vrai, c'est une difficulté, comme on l'a vu récemment à l'occasion d'un problème environnemental ou écologique. Mais moi, je ne ferme pas les yeux !

Avec ce texte, je ne prétends pas régler tous les problèmes. Toutefois, entre la loi d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, la loi de programmation pour la cohésion sociale et le présent projet de loi, qui est un texte puissant en termes de lutte contre les discriminations territoriales, raciales et sociales, lesquelles constituent notre lot commun à tous, nous disposons d'outils de combat.

En tout état de cause, les cinq ministres concernés par le présent texte sont fiers de le défendre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous allons passer à l'examen de la motion n° 7 tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Hélène Luc. À cette heure-ci, ce n'est pas raisonnable !

M. le président. Nous avons le temps de l'examiner car, je vous le rappelle, nous ne reprendrons nos travaux demain qu'à dix heures trente.

M. Roland Muzeau. La commission des affaires sociales se réunit demain à neuf heures trente !

M. Roland Muzeau. Je demande la parole, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau.

M. Roland Muzeau. Monsieur le président, il faut être raisonnable !

M. le président. J'essaie de l'être !

M. Roland Muzeau. Tout excès, surtout à une heure aussi tardive, serait dommageable !

Nous nous préparons à des débats sérieux et approfondis. Les ministres qui ne se sont pas encore exprimés vont le faire, vous nous l'avez annoncé, monsieur le ministre. Vous-même, monsieur le ministre de l'emploi, avez apporté des réponses exhaustives aux parlementaires et je vous en remercie.

M. Jean-Louis Borloo, ministre. J'ai essayé !

M. Roland Muzeau. La commission des affaires sociales a travaillé dans des conditions épouvantables, que j'ai déjà décrites il y a quelques heures maintenant.

M. Alain Gournac, rapporteur. Nous nous réunirons de neuf heures trente à dix heures trente demain. Nous avons le temps d'examiner la motion !

M. Roland Muzeau. Monsieur le rapporteur, ne vous échauffez pas à cette heure-ci, ce n'est pas bon pour les nerfs ! (Sourires.)

Nous nous sommes réunis pendant l'heure du dîner - ce qui n'est pas un problème en soi, mais cela fait une fois de plus - ...

M. Alain Gournac, rapporteur. Nous avons le temps d'examiner la motion, monsieur le président !

M. Roland Muzeau. ... et nous n'avons examiné que quelques dizaines d'amendements, uniquement sur les trois premiers articles ; il en reste une quantité assez impressionnante. Le nombre d'amendements déposés est d'ailleurs la preuve que l'opposition, notamment, souhaite contribuer de façon positive au débat sur ce projet de loi.

C'est la raison pour laquelle je souhaite que la levée de la séance soit soumise au vote de notre assemblée. Les membres du groupe communiste républicain et citoyen se refusent en effet à bâcler la discussion de la motion de M. Godefroy, qu'ils ont prévu de soutenir, et à « brader » leurs explications de vote - ils en feront chacun une, comme, me semble-t-il, nos collègues socialistes -, car ils ont encore beaucoup de choses à dire.

J'invite donc mes collègues de la majorité, à cette heure avancée, à voter pour l'interruption de nos travaux.

M. le président. Si j'appelle tout de suite en discussion la motion déposée par M. Godefroy, elle pourra être débattue sans trop de difficultés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Je vous rappelle que nous aurons demain encore deux autres motions à examiner.

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas raisonnable, monsieur le président !

M. Roland Muzeau. Demain matin, il fera jour, monsieur le président !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la motion. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

M. Roland Muzeau. Il est une heure du matin !

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis de la commission des finances. Et alors ? (Sourires.)

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas sérieux !

M. Philippe Dallier, rapporteur pour avis. Il ne fallait pas nous interrompre !

M. Claude Domeizel. Je demande la parole, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Claude Domeizel.

M. Claude Domeizel. Monsieur le président, je demande une suspension de séance de cinq minutes.

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le vendredi 24 février 2006, à zéro heure cinquante-cinq, est reprise à une heure.)

M. le président. La séance est reprise.

Mes chers collègues, je vais lever la séance après vous avoir donné connaissance de l'ordre du jour du vendredi 24 février.

La suite de la discussion du projet de loi est renvoyée à la prochaine séance.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité des chances
Discussion générale (suite)