Article 9 bis
L'article 706-24 du code de procédure pénale est ainsi rétabli :
« Art. 706-24. - Les officiers et agents de police judiciaire, affectés dans les services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme, peuvent être nominativement autorisés par le procureur général près la cour d'appel de Paris à procéder aux investigations relatives aux infractions entrant dans le champ d'application de l'article 706-16, en s'identifiant par leur numéro d'immatriculation administrative. Ils peuvent être autorisés à déposer ou à comparaître comme témoins sous ce même numéro.
« L'état civil des officiers et agents de police judiciaire visés au premier alinéa ne peut être communiqué que sur décision du procureur général près la cour d'appel de Paris. Il est également communiqué, à sa demande, au président de la juridiction de jugement saisie des faits.
« Les dispositions de l'article 706-84 sont applicables en cas de révélation de l'identité de ces officiers ou agents de police judiciaire, hors les cas prévus à l'alinéa précédent.
« Aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement d'actes de procédure effectués par des enquêteurs ayant bénéficié des dispositions du présent article et dont l'état civil n'aurait pas été communiqué, à sa demande, au président de la juridiction saisie des faits.
« Les modalités d'application du présent article sont, en tant que de besoin, précisées par décret en Conseil d'Etat. » - (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 9 bis
M. le président. L'amendement n° 50 rectifié ter, présenté par MM. Girod, Portelli et Lecerf, est ainsi libellé :
Après l'article 9 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 2-9 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, toute association régulièrement déclarée depuis moins de cinq ans à la date des faits qui se propose, par ses statuts, d'assister spécifiquement les victimes d'actes terroristes visées aux articles 421-1 à 421-2-2 du code pénal peuvent être agréées par le ministre en charge de la justice pour exercer les droits reconnus à la partie civile mentionnés à l'alinéa précédent.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Voilà un instant, nous parlions des victimes. Par définition, les victimes d'un attentat sont des personnes qui ont le malheur de se trouver au mauvais endroit. Elles ne sont pas visées en tant que telles. La plupart du temps, elles ont donc peu de liens entre elles. Très souvent, ce sont des personnes un peu isolées qui n'ont pas l'habitude de se retrouver devant les tribunaux, devant les juges d'instruction, et d'être confrontées au système judiciaire qui est le nôtre. Il est donc utile, eu égard à la compassion que nous avons envers elles, de leur permettre d'être représentées au cours des actes d'instruction et du traitement d'un dossier qui est extrêmement douloureux pour elles.
Or, le système des associations de victimes tel que nous le connaissons impose cinq ans d'ancienneté avant de pouvoir entrer dans le processus judiciaire.
C'est la raison pour laquelle j'ai pensé que, en ce qui concerne nos compatriotes victimes d'attentats commis sur le plan international, c'est-à-dire en dehors de nos frontières, il serait peut-être utile que, sous le contrôle du ministre de la justice - j'avais envisagé, dans une première rédaction, que cela soit fait sous le contrôle du ministre de l'intérieur, parce que c'est lui qui est chargé des associations, mais, dans ce cas précis, le ministre de la justice est certainement plus qualifié -une dérogation à cette ancienneté de cinq ans soit accordée pour permettre aux associations de victimes d'actes de terrorisme de se trouver dans le processus judiciaire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne s'agit pas de cela !
M. Paul Girod. Les mesures que je propose par cet amendement pourraient permettre à ces associations-là d'être plus présentes et, par conséquent, à l'ensemble de la nation, d'entourer davantage les victimes dans un moment très difficile.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. À titre personnel, je comprends tout à fait la finalité de l'amendement de M. Paul Girod. En effet, l'attentat terroriste est quelque chose de spécial : il peut être commis à l'extérieur du territoire français et provoque de nombreuses victimes, qui, soit, malheureusement, décèdent, soit resteront marquées dans leur corps le restant de leurs jours.
La commission a cependant considéré qu'ouvrir le délai de cinq ans permettrait à des associations oeuvrant dans d'autres secteurs de pouvoir demander à être elles aussi partie civile, ce qui pourrait poser certains problèmes. La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je comprends très bien ce que M. Paul Girod veut dire et, spontanément, j'aurais envie de lui faire plaisir et d'accepter l'amendement.
Cependant, je me permettrai de lui faire une observation : une association ne se porte pas partie civile uniquement pour l'affaire qui la concerne mais peut, dans les années suivantes, se porter partie civile pour toute affaire de terrorisme, comme le permet l'article 2-9 du code de procédure pénale. Par conséquent, réduire le délai d'ancienneté aboutirait à donner à ces associations des droits extraordinairement importants.
Nous avons interrogé les juges antiterroristes sur ce point : jamais le cas ne s'est présenté. De plus, une telle disposition, compte tenu du fait qu'une association pourrait, je le rappelle, se porter partie civile sur d'autres affaires de terrorisme, irait probablement très au-delà du souhait de l'auteur de l'amendement.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Paul Girod, l'amendement n° 50 rectifié ter est-il maintenu ?
M. Paul Girod. Je suis extrêmement partagé en cet instant. Je comprends bien les arguments de M. le rapporteur - j'ai néanmoins noté que M. le rapporteur comprenait la finalité de mon amendement - et ceux de M. le garde des sceaux. Je ferai tout de même remarquer à ce dernier que j'ai prévu un filtre dans cette affaire, à savoir lui, et que j'ai tendance à penser qu'un garde des sceaux n'autoriserait pas un raccourcissement du délai sans motif sérieux, sans avoir vérifié auparavant la qualité des victimes et sans avoir pris la pleine mesure de cette demande de dérogation.
Je vais retirer cet amendement, mais avec beaucoup de regret, monsieur le garde des sceaux, car je crains que, dans les périodes que nous risquons de connaître, nous ne regrettions de ne pas avoir fait droit à la demande que je présentais.
M. Paul Girod. Les victimes auraient été heureuses de se sentir soutenues par la nation tout entière. Les victimes d'attentat sont en effet différentes des victimes d'un accident de la route, d'un déraillement de chemin de fer ou de l'explosion d'une usine chimique, encore qu'un acte de terrorisme puisse se matérialiser ainsi. La différence est de même nature que celle qui existe entre le coup de couteau de l'assassin et le coup de couteau du chirurgien : l'intention change, la technique aussi, mais c'est tout de même un coup de couteau !
Je retire donc cet amendement, mais avec énormément de tristesse.
M. le président. L'amendement n° 50 rectifié ter est retiré.
L'amendement n° 63 rectifié, présenté par MM. Goujon, Lecerf et les membres du groupe Union pour un Mouvement Populaire, est ainsi libellé :
Après l'article 9 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le I de l'article 30 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les demandes d'avis et les actes réglementaires portant sur des traitements automatisés de données à caractère personnel, intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique mentionnés dans un décret pris en Conseil d'État après avis de la commission nationale informatique et libertés peuvent ne pas comporter tous les éléments d'information énumérés ci-dessus ».
La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Les traitements qui intéressent des sujets extrêmement sensibles, à savoir la sûreté de l'État, la défense et la sécurité publique, doivent bénéficier d'une protection renforcée pour ne pas permettre aux terroristes de connaître les méthodes de collecte et de traitement des renseignements relatifs à leurs activités. La transparence complète qui doit être respectée pour certains fichiers peut se révéler dangereuse pour ces fichiers spécialisés.
L'amendement initial visait à accorder à ces traitements automatisés de données une protection forte en les dispensant de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise.
Un débat a eu lieu à ce sujet en commission, laquelle a déclaré partager cette préoccupation et comprendre le souci exprimé dans cet amendement. Toutefois, il lui a semblé préférable de retenir une solution moins dérogatoire au droit commun afin de concilier les impératifs de transparence et de sécurité.
Cet amendement rectifié revient pratiquement à l'état du droit en vigueur avant la loi du 6 août 2004 modifiant la loi de 1978.
En effet, l'article 19 de la loi de 1978 d'origine prévoyait que les demandes d'avis ou les déclarations faites à la CNIL portant sur les fichiers intéressant la sûreté de l'État, la défense et la sécurité publique pouvaient ne pas comporter l'ensemble des informations habituellement requises sur le contenu et le fonctionnement des fichiers.
Ce régime est d'ailleurs toujours applicable jusqu'au mois d'août 2007. C'est la raison pour laquelle il est, me semble-t-il, nécessaire de légiférer aujourd'hui.
La rectification proposée vise donc à limiter simplement la publicité de certaines formalités prescrites par l'article 30 de la loi de 1978 modifiée pour mieux concilier ce souci de protection et les règles applicables en matière de traitement de données nominatives. Les demandes d'avis portant sur ces fichiers sensibles pourraient ne pas comporter toutes les informations normalement requises par la CNIL.
Toutefois, pour offrir plus de garanties que ne le prévoyait la loi de 1978 dans sa version initiale, je propose, par cet amendement n° 63 rectifié, de limiter cette dispense d'information aux seuls fichiers sensibles qui seraient déterminés - et c'est en cela que consiste l'ajout apporté par la version rectifiée de l'amendement - par un décret en Conseil d'État pris après avis de la CNIL.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. La commission a donné un avis favorable à la version rectifiée de cet amendement.
Je remercie M. Goujon d'avoir accepté les propositions de la commission des lois : les fichiers qui intéressent la sûreté de l'État, la défense et la sécurité publique doivent en effet bénéficier d'une protection renforcée pour ne pas permettre aux terroristes de connaître les méthodes de collecte et de traitement des renseignements relatifs à leur activité.
La transparence complète qui doit être respectée pour certains fichiers peut se révéler dangereuse pour ces fichiers spécialisés.
Le dispositif proposé par M. Goujon est un bon compromis entre les impératifs de sécurité et de transparence. Il ne fait que revenir à l'état du droit avant la loi de 2004 en y ajoutant une garantie supplémentaire puisque, parmi les fichiers intéressant la sûreté de l'État, la défense et la sécurité publique, seuls ceux qui seront mentionnés dans un décret en Conseil d'État pris après avis de la CNIL seront partiellement dispensés d'une information complète de la CNIL.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 9 bis.
Article 10
I. - Après l'article 706-22 du code de procédure pénale, il est inséré un article 706-22-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-22-1. - Par dérogation aux dispositions de l'article 712-10, sont seuls compétents le juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Paris, le tribunal de l'application des peines de Paris et la chambre de l'application des peines de la cour d'appel de Paris pour prendre les décisions concernant les personnes condamnées pour une infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-16, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné.
« Ces décisions sont prises après avis du juge de l'application des peines compétent en application de l'article 712-10.
« Pour l'exercice de leurs attributions, les magistrats des juridictions mentionnées au premier alinéa peuvent se déplacer sur l'ensemble du territoire national, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 706-71 sur l'utilisation de moyens de télécommunication. »
II. - Les dispositions du présent article entreront en vigueur le 1er mai 2006.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Le dispositif préexistant a fait l'objet de maintes critiques, portant, notamment, sur le manquement de transparence, auquel il convient d'ajouter le risque accru de collusion entre les services de police spécialisés et la justice.
La spécialisation, en particulier au stade des investigations, est, certes, concevable. Toutefois, cette spécialisation est peu, voire pas du tout justifiée au stade de l'aménagement des peines.
Dans le cas de peines criminelles, supérieures à dix ans de réclusion, et à l'exclusion des fins de peine, les juridictions compétentes pour aménager une éventuelle sortie anticipée se doivent de statuer de manière collégiale.
Étant dans tous les cas en possession des principaux éléments du dossier pénal, les juridictions de l'application des peines sont parfaitement averties de la nature des faits à l'origine de la condamnation. Elles possèdent donc tous les éléments de nature à les conduire à la plus grande circonspection. De plus, les statistiques de la libération conditionnelle sont là pour démontrer qu'elles ne se départissent pas de cette circonspection.
Des motifs de sécurité ne sauraient venir appuyer les dispositions proposées. En effet, les renseignements éventuels relatifs à un risque objectif de reprise d'une activité dangereuse peuvent parfaitement être transmis aux juridictions de l'application des peines, soit à leur demande, soit sur l'initiative du parquet, parquet qui, dans de tels cas, fait heureusement preuve d'une vigilance toute particulière.
Enfin, la multiplication des sites de détention de personnes purgeant des peines après une condamnation pour faits de terrorisme ne peut suffire à une telle spécialisation. Les juges de l'application des peines sont compétents là où ils sont et y appliquent la loi et la jurisprudence du mieux qu'ils le peuvent.
Que le garde des sceaux commence donc par leur donner de vrais moyens financiers et humains avant de commencer par tout vouloir centraliser !
Cette volonté de spécialisation accrue n'a donc pas de réels motifs techniques. Elle semble plutôt faire écho à un impératif tendant à faciliter le contrôle de l'exécutif sur les décisions judiciaires en ce domaine.
Après avoir dessaisi les juges de l'initiative et du contrôle de l'investigation antiterroriste, le Gouvernement semble décidé à museler leur capacité d'autonomie au stade de l'aménagement des peines.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 75 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
L'amendement n° 96 rectifié est présenté par MM. Peyronnet, Badinter et Boulaud, Mmes Cerisier-ben Guiga et Tasca, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Khiari, MM. Mermaz, Sueur, Vantomme et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 75.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'article 10 du projet de loi vise à centraliser auprès du tribunal de l'application des peines de Paris le suivi de l'ensemble des personnes condamnées pour des faits de terrorisme, quel que soit le lieu de détention ou de résidence du condamné.
Cette disposition, qui vient compléter l'organisation judiciaire française en matière de lutte contre le terrorisme, fondée sur la compétence nationale des magistrats parisiens en matière de poursuite, d'instruction et de jugement, parachève à l'évidence la procédure d'exception dont font l'objet les infractions terroristes.
Si, en matière de terrorisme, une certaine forme de spécialisation peut se concevoir en ce qui concerne les investigations - nous y sommes favorables, je le dis tout de suite pour éviter toute forme de caricature -, en revanche, elle est loin d'être justifiée au stade de l'aménagement des peines.
Rappelons tout de même que, actuellement, les juridictions de l'application des peines sont parfaitement au courant de la nature des faits à l'origine d'une condamnation. Elles doivent, en effet, être en possession des principaux éléments afin de décider d'un éventuel aménagement de peine.
À regarder, par exemple, les statistiques des libérations conditionnelles concernant des personnes condamnées pour terrorisme et la circonspection avec laquelle ces libérations sont décidées, on voit bien que les juridictions ne prennent pas leurs décisions sans connaître le dossier.
Dans le cas d'un risque objectif de reprise d'une activité dangereuse, je ne doute pas que des renseignements soient transmis à ces juridictions, à leur demande ou sur l'initiative du parquet, particulièrement attentif dans ce domaine.
Aucune justification technique ne saurait à nos yeux légitimer cette volonté de spécialisation.
Cette mesure vise sans doute, en fait, à favoriser un contrôle accru de l'exécutif sur les décisions judiciaires.
Telle est la raison du dépôt de l'amendement n° 96 rectifié, qui vise à supprimer l'article 10.
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 96 rectifié.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il est défendu.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. La commission reste fidèle à sa position de principe : elle est défavorable à toute suppression d'article, puisqu'elle tient à ce que le texte soit examiné ; elle s'oppose donc à la suppression de l'article 10, tendant à instaurer la centralisation de l'application des peines en matière de terrorisme.
La centralisation apparaît cohérente avec l'organisation judiciaire française dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, fondée sur la compétence nationale des magistrats parisiens en matière de poursuite, d'instruction et de jugement.
Elle est également nécessaire pour permettre la spécialisation, qui, seule, permet une connaissance approfondie des dossiers.
Enfin, elle paraît utile afin que soit assuré un traitement homogène des condamnés pour acte de terrorisme, actuellement dispersés entre trente et un établissements pénitentiaires.
La commission est donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Nul, ici, n'ignore l'avis du Gouvernement !
Je rappelle rapidement - vous l'avez d'ailleurs très bien dit vous-même, madame Nicole Borvo Cohen-Seat - qu'il s'agit d'harmoniser et de mettre en cohérence l'ensemble de la lutte antiterroriste.
D'ores et déjà, l'instruction et la poursuite sont centralisées ; nous voulons que l'application des peines le soit également. C'est là la dernière étape de la mise en cohérence de la lutte antiterroriste.
Vous l'avez entendu comme moi à la radio, mesdames, messieurs les sénateurs, un certain nombre de suspects ont été arrêtés, et les juges d'instruction ont découvert aujourd'hui même, grâce aux interrogatoires menés, des armes et des explosifs en grande quantité.
Personne ne disconvient de la spécialisation des juges antiterroristes.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si vous n'en disconvenez pas non plus, les uns et les autres, quel que soit le groupe politique auquel vous appartenez, laissez faire cette harmonisation générale !
Je vous le demande par respect pour ces hommes et ces femmes qui consacrent une partie de leur vie à cette lutte pour défendre la France et les pays voisins contre le terrorisme. En effet, dans ce cas d'espèce, un pays voisin aurait très bien pu être visé par les armes et les explosifs, de très forte puissance, qui ont été trouvés.
Pour notre part, nous sommes heureux de participer au maintien de la paix sur l'ensemble de notre continent.
Voilà quel est l'esprit de ce texte. Alors, certes, on peut toujours être défavorable à toutes les mesures. Mais, en l'occurrence, ce serait vraiment dommage, ne serait-ce que par respect pour ces hommes et ces femmes.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Je suis un peu las d'entendre sans arrêt que nous sommes du côté des terroristes sous prétexte que nous rappelons des vérités ou que nous contestons le bien fondé ou l'opportunité de telle ou telle mesure.
Pour ma part, je me permets de rappeler à la Haute Assemblée que je fus, en 1982, le premier ministre de la justice, parmi tous ceux de l'Union européenne, à demander l'institution d'un tribunal pénal international pour les terroristes internationaux. Je fus alors brocardé par tous mes collègues car, à l'époque, il ne faisait pas bon parler de ces choses. Il a fallu attendre vingt ans pour voir naître les juridictions pénales internationales !
La nature criminelle et dangereuse du terrorisme n'est pas discutable. Mais je ne cesserai jamais de dire combien il est nécessaire et indissociable pour nos démocraties à la fois de mener avec fermeté et efficacité la lutte contre le terrorisme et de veiller à la sauvegarde des libertés, faute de quoi, croyez-moi, les terroristes auront atteint leur but. (M. Jean-Pierre Sueur acquiesce.)
S'agissant de vos derniers propos, monsieur le garde des sceaux, je vous réponds que nous sommes tous favorables à la centralisation. Vous avez salué, et vous avez eu raison, l'activité, le zèle et la compétence des magistrats de la section antiterroriste. Mais nous sommes là non plus au stade de l'instruction ou du jugement, mais de l'exécution de la peine.
Or, au stade de l'exécution, les terroristes sont répartis, pour des raisons de sécurité, dans un certain nombre d'établissements pénitentiaires.
Puisque nous en sommes là au niveau de l'application des peines, les personnes qui sont alors les mieux placées pour suivre ces détenus et pour apprécier ces situations sont, me semble-t-il, non pas les juges qui étudient les dossiers ou s'interrogent sur les faits mais bien plutôt les juges de l'application des peines (M. le garde des sceaux fait un geste de dénégation), qui peuvent d'ailleurs consulter les magistrats de la section antiterroriste.
Vous avez choisi de faire le contraire, monsieur le garde des sceaux, et c'est votre droit. Mais ne nous dites pas que nous sommes systématiquement opposés à tout ce que vous proposez. Ce n'est pas exact !
J'ajoute - et ce n'est pas à vous que je vais l'apprendre -que, lorsqu'une possible libération est envisagée, on prend en compte des éléments liés à la réinsertion et à l'évolution futures - c'est le facteur humain - d'un homme ayant abandonné les convictions qui étaient les siennes au moment où il a commencé à commettre des actions détestables à tous égards. Voilà ce qui est en question !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je m'étonne que M. Badinter développe une telle thèse. Cela me surprend de sa part, car ce qu'il dit est radicalement faux !
Nous parlons en effet de terroristes qui, comme vous l'avez dit très justement, monsieur Badinter, sont répartis dans différents établissements pénitentiaires pour des raisons de sécurité. Mais le vrai débat, c'est que le réseau continue !
Une fois que ces détenus sont libérés, le problème est non pas d'envisager leurs possibilités de réinsertion, mais d'évaluer leur capacité à être à nouveau des éléments actifs à l'intérieur de ce réseau. Or ceux qui sont les mieux à même d'apprécier cela, ce sont justement les juges qui ont suivi l'affaire dès le début, en collaboration avec les juges d'instruction, le Parquet et les juges de l'application des peines.
Il ne s'agit pas ici d'envisager l'évolution d'un homme comme un autre, ou d'une femme comme une autre. En effet, ce que les terroristes ont de particulier, c'est, d'une part, qu'ils ne regrettent jamais leurs actes et, d'autre part, qu'ils disent être prêts à recommencer dès qu'ils seront libres. Cela n'a donc rien à voir avec les situations dont vous parlez !
Vous nous avez décrit, monsieur Badinter, le travail d'un juge de l'application des peines. Or ce n'est pas ce qui est en cause ! Si vous ne voulez pas l'admettre, faites-nous au moins confiance !
M. Robert Badinter. L'avantage du ministre, c'est de parler sans qu'on puisse lui répondre !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 75 et 96 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Article additionnel après l'article 10
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par M. Courtois, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article 706-25 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Pour le jugement des accusés mineurs âgés de seize ans au moins, les règles relatives à la composition et au fonctionnement de la cour d'assises des mineurs sont également fixées par ces dispositions, deux des assesseurs étant pris, sauf impossibilité, parmi les juges des enfants du ressort de la cour d'appel, conformément aux dispositions de l'article 20 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, dont les alinéas huit à quatorze sont applicables. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement vise à combler une importante lacune des dispositions du code de procédure pénale laquelle, bien qu'elle date de décembre 1986, n'a été mise en évidence que tout récemment par la pratique judiciaire.
Le législateur de 1986 avait prévu que la centralisation des compétences en matière de terrorisme ou de juridiction parisienne concernerait également les juridictions spécialisées pour mineurs. Il en est ainsi, notamment, pour la cour d'assises des mineurs, dont la spécificité tient à ce que les deux assesseurs de la cour doivent, sauf impossibilité, être des juges des enfants.
Cependant, s'il est prévu, dans la loi de 1986, une composition spéciale de la cour d'assises en matière de terrorisme, formée uniquement de magistrats professionnels en raison des risques de pression dont peuvent faire l'objet les jurés populaires, il n'est en revanche pas prévu d'étendre ces règles à la cour d'assises des mineurs, dont on n'imaginait pas à l'époque qu'elle pourrait un jour connaître de crimes terroristes.
Malheureusement, à l'heure actuelle, il arrive que des crimes terroristes soient commis à la fois par des majeurs et par des mineurs, ces derniers relevant de la cour d'assises des mineurs, actuellement composée de jurés populaires.
Il s'ensuit que la juridiction d'instruction a le choix, conformément aux dispositions de l'article 9 de l'ordonnance de 1945, soit de disjoindre la procédure, les mineurs étant jugés par la cour d'assises des mineurs et les majeurs par la cour d'assises spéciale, composée seulement de magistrats professionnels, soit de renvoyer mineurs et majeurs devant la cour d'assises des mineurs.
Cet état de fait est incohérent et dangereux, compte tenu des risques de pression pesant sur les jurés, notamment si tous les accusés, mineurs et majeurs, sont jugés en même temps.
Par ailleurs, s'il y a disjonction, cela signifie que se tiendront au moins deux procès d'assises, voire quatre en cas d'appel, procès auxquels les victimes d'acte de terrorisme devront assister à chaque fois.
Il convient donc de prévoir qu'en matière de terrorisme, la cour d'assises des mineurs, conservant évidemment sa spécificité, qui tient à la présence de deux juges des enfants, sera également composée de magistrats professionnels. Il s'agira ainsi d'une cour d'assises doublement spéciale, car elle sera spécialisée à la fois pour le jugement des mineurs et pour celui des actes de terrorisme.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cet amendement très intéressant pourra s'avérer également d'une grande utilité.
Pour reprendre les propos de M. le rapporteur, même s'il est rarissime de voir des mineurs actuellement impliqués dans des réseaux terroristes, ces situations existent néanmoins. Ainsi, dans une affaire de terrorisme corse, deux mineurs de seize à dix-huit ans et une quinzaine de majeurs sont actuellement renvoyés pour des faits criminels devant la cour d'assises des mineurs de Paris.
Dans ce cas d'espèce, si l'amendement n'était pas adopté, il serait nécessaire d'organiser, pour les mêmes faits, deux procès d'assises, voire quatre procès en cas d'appel, ce qui poserait des problèmes évidents en matière de sécurité et de coût financier, et obligerait les victimes à subir à quatre reprises le calvaire d'un procès d'assises.
Pour éviter ce genre de situation, l'amendement de la commission tend à prévoir la création d'une cour d'assises doublement spécialisée, qui pourra juger à la fois les mineurs et les majeurs.
Le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 10.