compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le rapport sur les perspectives d'activité et les fonds propres de la société DCN, établi en application de l'article 78 de la loi de finances rectificative de 2001 n° 2001-1276 du 28 décembre 2001.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
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Loi d'orientation agricole
Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation agricole (nos 26, 45, 50).
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'ouvrir la discussion, je dois vous rappeler que le Conseil économique et social a demandé que, conformément aux dispositions de l'article 69 de la Constitution, M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social, puisse exposer devant le Sénat l'avis du Conseil économique et social sur le projet de loi d'orientation agricole.
Conformément à l'article 69 de la Constitution et à l'article 42 du règlement du Sénat, huissiers, veuillez faire entrer M. Gaël Grosmaire.
(M. le rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social est introduit dans l'hémicycle selon le cérémonial d'usage.)
M. le président. Je rappelle qu'en application de l'article 42, alinéa 4, du règlement le représentant du Conseil économique et social expose devant le Sénat l'avis du Conseil, avant la présentation du rapport de la commission saisie au fond.
Par ailleurs, le représentant du Conseil économique et social a accès à l'hémicycle pendant toute la durée de la discussion en séance publique. A la demande du président de la commission saisie au fond, la parole lui est accordée pour donner le point de vue du Conseil sur tel ou tel amendement ou sur tel ou tel point particulier de la discussion.
Monsieur Grosmaire, nous vous souhaitons une cordiale bienvenue au Sénat.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai l'honneur de soumettre aujourd'hui à votre examen le projet de loi d'orientation agricole. Le texte qui vous est présenté est le résultat d'un travail approfondi engagé depuis plus d'un an.
Sous l'autorité de M. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, mon prédécesseur, Hervé Gaymard, avait organisé une large consultation dans chacune des régions métropolitaines et d'outre-mer. Ces débats riches et denses, auxquels beaucoup d'entre vous ont participé, ont révélé des attentes et le besoin de tracer de nouvelles perspectives pour notre agriculture.
Ce projet de loi a été élaboré en concertation avec les représentants des professionnels, grâce aux pistes indiquées par la Commission nationale d'orientation, qui m'a remis son rapport le 20 décembre 2004. Cette élaboration progressive a permis d'apporter des réponses à l'évolution de l'agriculture et aux préoccupations des exploitants. Néanmoins, ce texte s'adresse naturellement à l'ensemble de la communauté nationale. C'est pourquoi j'ai voulu le déposer devant le Conseil économique et social, instance éminente représentant les diverses composantes des professions et de la société civile de notre pays.
A ce titre, je salue la présence de M. Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social et jeune agriculteur - il sait donc de quoi il parle ! -, qui a réalisé un travail de fond sur ce texte, alors qu'il ne disposait que de peu de temps.
Le Conseil national du développement durable a également examiné le projet de loi. Depuis le 18 mai dernier, date de l'adoption de ce texte en conseil des ministres, les discussions se sont poursuivies : les propositions formulées par de nombreux parlementaires, en particulier des parlementaires en mission - je pense notamment à M. Jacques Le Guen, député du Finistère -, ont permis de renforcer le projet de loi initialement transmis, s'agissant notamment de l'emploi. Par ailleurs, concernant le volet foncier, le texte qui vous est présenté a également bénéficié des avancées issues du rapport de M. Boisson pour le Conseil économique et social.
Enfin, le travail très approfondi et constructif réalisé non seulement par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale et son rapporteur Antoine Herth, mais aussi par le Sénat, plus particulièrement sa commission des affaires économiques et du Plan, présidée par M. Jean-Paul Emorine, ont contribué à intégrer de très utiles améliorations. Je salue par ailleurs l'engagement personnel de M. le rapporteur Gérard César, dont le travail particulièrement efficace et pertinent a permis d'apporter au projet de loi des améliorations très utiles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) C'est aussi un jeune agriculteur (Sourires), qui vient à peine de finir ses vendanges !
M. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. C'est juste !
M. Dominique Bussereau, ministre. Vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, ne manquerez certainement pas d'enrichir encore ce texte.
Au cours du débat à l'Assemblée nationale, qui s'est déroulé du 5 au 17 octobre dernier, plus de mille amendements ont été déposés. Cet examen s'est conclu par l'adoption, sans modification majeure, de quatorze articles, par la suppression de l'article 30 relatif à l'organisation du ministère, lequel sera repris dans le cadre d'un projet de loi d'habilitation à la simplification, et, enfin, par la modification de dix-neuf articles.
La discussion au Palais-Bourbon s'est traduite par un ajout important d'articles, qui pourront naturellement, monsieur le rapporteur, être réorganisés grâce à la création d'articles thématiques accueillant, par alinéas, les dispositions nouvelles. Nous conserverons ainsi à la loi, si vous le voulez bien, son format, certes légèrement étoffé, de quelques dizaines d'articles. Je sais que le Sénat est très attaché à la bonne présentation des textes législatifs.
Sur l'initiative du Gouvernement, le champ général des ordonnances a été fortement restreint dès le début de la discussion, afin de répondre aux demandes exprimées par les parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent. Les ordonnances proposées n'ont désormais d'autre objectif que de simplifier le texte, en supprimant certaines dispositions obsolètes ou techniques. Je veillerai bien sûr à ce que les parlementaires puissent disposer, durant le débat, d'un descriptif complet de chaque ordonnance.
Au total, concernant la présentation du projet de loi, une ordonnance a été supprimée, quatre ordonnances sont intégrées totalement ou partiellement, deux d'entre elles ont vu leur champ d'habilitation précisé, et, enfin, trois articles habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance restent en l'état.
Ces précisions font ressortir l'intérêt qui a été porté au texte soumis à votre approbation. Elles témoignent non seulement du travail fourni par les députés, mais aussi de l'écoute attentive, par le Gouvernement, des suggestions du Parlement. Pour autant, je tiens à souligner que l'économie générale de ce projet de loi n'a pas varié, la structure - chapitres et titres - n'ayant pas été modifiée globalement.
Quelle fut la genèse de ce texte ? Mesdames, messieurs les sénateurs, l'agriculture française a besoin de perspectives, d'une orientation. Le monde agricole attend donc cette loi d'orientation. Pour répondre aux changements de l'environnement international, aux évolutions récentes de la Politique agricole commune, la PAC, aux défis sociaux qui leur sont posés, les agriculteurs français souhaitent un cadre législatif et des perspectives claires.
Ils ont besoin d'un statut modernisé, qui favorise leur capacité à entreprendre. Ils attendent des relations mieux structurées entre la production agricole, sa transformation et sa mise en marché. Ils souhaitent plus de simplification administrative - ils ont bien raison -, de confiance, de reconnaissance pour ce qu'ils apportent à nos concitoyens. L'agriculture, qui est parfois désorientée, a besoin d'orientations, si vous m'autorisez cette formule.
Pour autant, le projet de loi d'orientation ne répond pas aux seules attentes du monde agricole. Il vise à renouveler le lien profond qui, depuis tant d'années, unit nos concitoyens à leur agriculture. Il reconnaît les nouvelles missions et les nouveaux enjeux de l'activité agricole dans une société moderne. Je pense non seulement aux enjeux de production et de développement d'une filière agroalimentaire compétitive, mais aussi aux défis relatifs à l'énergie, à l'environnement et à la sécurité sanitaire des aliments.
Il est de notre devoir d'affirmer ces nouvelles perspectives pour l'agriculture française. En effet, il existe une exception agricole comme il existe une exception culturelle. D'ailleurs, qui d'entre vous soutiendrait que l'agriculture se réduit au monde des exploitants ? Nos espaces, nos paysages, nos aliments façonnent notre identité. La France jouit d'atouts naturels, mais nos champs de blé, nos vignes, les vergers, les prairies, les forêts sont aussi le fruit du travail des hommes et des femmes. Que seraient nos arts de la table sans la qualité des produits de notre agriculture ? Qui plus est, que serait notre indépendance politique sans l'autosuffisance acquise au cours des années de forte croissance ?
Un sénateur de l'UMP. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. Vous le savez, en quarante ans, l'agriculture française a opéré une mutation sans précédent, sans doute beaucoup plus marquée que dans la plupart des autres secteurs professionnels. Nous disposons d'un immense atout : notre agriculture évolue, innove, s'adapte. Le progrès technique permet de répondre pleinement aux défis d'une agriculture propre. C'est aussi ce contrat entre agriculture et recherche qu'il faut renouveler.
Pour répondre à ces défis, le Président de la République a fixé un cap, à Murat, le 21 octobre 2004, « celui d'une agriculture économiquement forte et écologiquement responsable, une agriculture fidèle à ses traditions, confiante dans sa capacité à se moderniser et à se renouveler ». Cette formule résume bien ce que doit être notre agriculture.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà pourquoi le Gouvernement vous soumet ce projet de loi d'orientation. Nous savons quel avenir nous souhaitons pour la France en matière agricole, pour les exploitants et pour nos concitoyens. Nous voulons à la fois « une agriculture économiquement forte », qui assure aux exploitants des conditions de vie et de travail satisfaisantes, et une agriculture qui maintienne un niveau élevé de confiance de nos compatriotes dans la qualité de ses aliments et respecte la nature. C'est en effet notre cadre de vie commun. La nature cultivée est une nature respectée.
Nous pouvons envisager ces orientations en toute confiance. Notre agriculture et notre industrie alimentaire jouissent d'atouts incontestables que M. le Premier ministre a rappelés le 13 septembre dernier à Rennes.
D'abord, l'agriculture est un secteur essentiel pour notre pays.
On parle toujours de la baisse du nombre d'agriculteurs, mais il ne faut pas oublier que le monde agricole et agroalimentaire représente 2,5 millions d'emplois dans notre pays ! Il nous faut conforter ces emplois non seulement parce qu'ils représentent près d'un actif sur dix, mais aussi - c'est la force de l'agriculture - parce qu'ils couvrent l'ensemble du territoire, y compris les zones les plus difficiles, comme la montagne.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. De ce fait, le monde agricole et agroalimentaire crée d'autres activités et d'autres emplois, partout en France. Aussi l'agriculture contribue-t-elle à la cohésion de notre nation.
Le secteur agricole et alimentaire est aussi un moteur essentiel de notre dynamisme économique. Deuxième secteur industriel en termes de chiffres d'affaires, il génère un excédent commercial de plus de 8 milliards d'euros et constitue, à ce titre, le deuxième poste de la balance commerciale. Nous le savons, notre industrie agroalimentaire est puissante et dynamique parce qu'elle s'appuie en grande partie sur un approvisionnement en productions nationales, à la fois stables et de qualité, lesquelles ne sont pas - pardonnez-moi de le répéter - délocalisables.
Ensuite, l'agriculture est un secteur stratégique.
D'une part, les besoins alimentaires sont croissants du fait de l'évolution de la démographie mondiale. Notre pays entend assumer sa responsabilité envers le monde, y compris pour permettre le décollage agricole des pays en développement.
D'autre part, l'autosuffisance alimentaire garantit notre capacité à fixer nos propres normes sanitaires et à contrôler la traçabilité des biens alimentaires. Dans les périodes de crise sanitaire, toujours plus fréquentes, cette exigence de sécurité constitue un enjeu essentiel pour l'avenir.
Il n'est qu'à voir ce qui vient de se passer avec les lots de steaks hachés avariés et les effets que leur consommation a pu provoquer. En quelques jours, en quelques heures même, l'abattoir et les animaux en cause ont été retrouvés et l'ensemble des lots concernés identifiés. Cela n'a été possible que parce que nous possédons un système de traçabilité extrêmement bien organisé.
Notre modèle agricole correspond donc à un choix de société clair : le produit agricole n'est pas un produit comme les autres.
Enfin, l'agriculture est un secteur d'avenir.
Parmi les pôles de compétitivité retenus par le Gouvernement - la Haute Assemblée y est très attentive -, quinze sont d'origine agricole et agroalimentaire. La nouvelle Agence nationale de la recherche, l'ANR, a retenu en première sélection des projets touchant l'agriculture. Dans le domaine des sciences du vivant, l'Institut national de la recherche agronomique, l'INRA, apparaît comme l'un des établissements de recherche leaders dans le monde.
L'avenir réside également dans la diversité des sources d'énergie. Je sais l'intérêt que le Sénat porte au développement des bioénergies. L'agriculture française, à travers les bioénergies, offre une alternative forte aux énergies fossiles. Première productrice de cette « énergie verte », elle doit valoriser fortement ces perspectives. Les mesures prises par les gouvernements de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin en faveur de l'incorporation de biocarburants concrétisent déjà cette alternative, qui constituera une orientation de plus en plus marquée du fait du renchérissement et de l'épuisement des énergies fossiles dans le monde.
Au-delà de l'énergie, la chimie verte, la thérapie génique sont autant de domaines ouverts qui apporteront des réponses sur des enjeux essentiels pour l'avenir de notre société.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quel est l'esprit de ce projet de loi d'orientation ? Dans un contexte international et communautaire en évolution, il faut que l'Etat accompagne l'agriculture française et complète ainsi, à l'échelon national, l'action engagée hors de nos frontières.
Ce projet de loi d'orientation marque une nouvelle étape de l'action des pouvoirs publics. Les grandes lois fondatrices Debré et Pisani des années soixante ont accompagné, chacun le sait, la construction communautaire qui s'amorçait en définissant un cadre stable pour l'exercice de l'activité agricole. Elles ont donné un statut fiscal, social et économique à l'exploitation agricole. Elles ont organisé le statut du fermage et favorisé le progrès technique en agriculture. Elles intervenaient dans une Europe à six en construction, dans une France encore très rurale en voie d'industrialisation rapide.
Ce projet de loi d'orientation s'inscrit modestement dans la continuité de cette action, mais prend en compte un contexte international qui a bien changé et la réforme de la PAC intervenue en 2003.
Ce texte reconnaît la diversification accrue des formes d'exploitation depuis quarante ans, ainsi que l'émergence des exigences nouvelles de nos concitoyens à l'égard des activités agricoles, notamment au cours des quinze dernières années. Il a pour ambition de contribuer à maintenir une agriculture et une industrie alimentaire françaises efficaces et performantes, répondant aux besoins de notre société et concourant à la richesse de notre économie. Agir pour l'agriculture, c'est agir pour la croissance et pour l'emploi. C'est aussi agir, au-delà du monde agricole et rural, pour l'avenir de notre pays, de son dynamisme économique et de l'attrait de ses régions.
Ce projet de loi d'orientation se veut en cohérence avec les actions que nous menons en faveur de l'agriculture à l'échelon tant international que communautaire. Notre action vise d'abord à réaffirmer - c'est l'actualité la plus immédiate - le contenu du mandat qui a été assigné par les vingt-cinq Etats membres à la Commission dans le cadre des négociations à l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC.
Un sénateur de l'UMP. Oui !
M. Dominique Bussereau, ministre. Je vous rappelle les propos qu'a réaffirmés M. le Président de la République, la semaine dernière, lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens : « Nous avons une position simple et claire qui est le respect intégral de la politique agricole commune telle qu'elle a été modifiée en 2003. » Cette « ligne rouge » figure explicitement dans le mandat de la Commission : elle signifie très clairement que l'enjeu prioritaire de ces négociations, sur le volet agricole, est le maintien de la préférence européenne. Si cette ligne rouge était franchie, la France - M. le Président de la République l'a indiqué à nouveau - poserait son veto à l'accord final. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Le Cam. Chiche !
M. Dominique Bussereau, ministre. Nous étudions actuellement la dernière proposition qu'a formulée, vendredi 28 octobre, la Commission européenne et qui semble, vous le savez, aller bien au-delà du mandat confié à cette institution. C'est donc avec quelque inquiétude quant au contenu que nous nous livrons à cet examen.
Cet accord à l'OMC exige un rééquilibrage des négociations, d'abord en ce qui concerne le dossier agricole. Nos partenaires, notamment les Etats-Unis, doivent faire les mêmes efforts que ceux qu'ils exigent de nous : il leur faut réformer réellement leur loi agricole et accepter - ils s'y refusent pour l'instant - des disciplines sur leurs subventions, directes ou indirectes, aux exportations.
En outre, rien ne justifie que l'agriculture soit la variable d'ajustement de ces négociations. Il faut un rééquilibrage entre d'éventuelles concessions sur le dossier agricole et celles, significatives, que nous attendons dans les secteurs des biens et des services, en particulier de la part des grands pays émergents.
Il serait tout de même paradoxal que ce cycle consacré au développement, au service des pays les plus pauvres, se transforme en cycle d'ultralibéralisation, dont seuls les grands pays émergents, déjà développés, profiteraient, alors que les pays les plus pauvres, qu'ils soient d'Afrique ou d'ailleurs, n'en retireraient aucun bénéfice ! C'est la raison pour laquelle la France sera à la fois très attentive et très ferme, dans les semaines qui nous séparent de la conférence de Hong Kong, au mois de décembre prochain. Pour l'instant, les propositions avancées ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux.
Si les négociations à l'OMC constituent un dossier important, celui de la politique agricole commune est tout aussi stratégique.
La France a fait, voilà quarante ans, le choix de la PAC, et c'est l'honneur des gouvernements successifs de l'avoir confirmé. Nous devons conforter ce choix, car la politique agricole commune s'est construite sur des principes qui sont toujours d'actualité : la création d'un grand marché intérieur unifié, la préférence européenne, la solidarité financière.
Qui peut contester que ce choix a entraîné une modernisation remarquable de notre agriculture et que, sans la PAC, l'agriculture française ne serait pas aujourd'hui ce qu'elle est ? Nous devons donc continuer à appuyer le développement d'une politique agricole commune désormais à vingt-cinq - c'est évidemment plus difficile qu'à six -, en rappelant quelques éléments simples.
Grâce à la politique agricole commune, l'agriculture française bénéficie d'un marché intérieur de plus de 450 millions d'habitants. En d'autres termes, lorsque nous négocions à l'OMC, nous le faisons non pas au nom de 60 millions d'habitants, mais pour un ensemble de 450 millions d'habitants.
En outre, la PAC apporte chaque année 10 milliards d'euros à l'agriculture française. La pérennité des financements est assurée jusqu'en 2013, quoi qu'en disent certains, grâce à l'accord obtenu par le Président de la République en 2002. Un tel accord a été possible, car la France a accepté la réforme de la PAC en 2003, ne serait-ce que pour rendre cette dernière compatible avec les règles de l'OMC.
La politique agricole commune est un choix d'avenir pour notre société. Elle a été - qui peut le nier ? - le véritable ciment de la construction communautaire et a su continuellement s'adapter aux nouvelles exigences de la société. Elle est en phase avec les préoccupations relatives à l'environnement et à la sécurité sanitaire des aliments.
Il s'agit donc d'un cadre pertinent que nous voulons et devons consolider, en particulier dans la perspective des négociations sur l'avenir financier de l'Union européenne. La France défend avec détermination le budget tel qu'il résulte de l'accord de 2002.
Pour autant, nous devons développer une stratégie d'initiative pour préparer l'après 2013. Comme me l'a demandé le Premier ministre, je présenterai à la Commission, avant la fin de l'année, un mémorandum sur les perspectives de la PAC.
Ce mémorandum soulignera les enjeux pour la profession agricole d'une meilleure régulation des marchés et il avancera des propositions.
La régulation des marchés doit passer par des voies nouvelles s'appuyant davantage sur les interprofessions, la contractualisation et des systèmes de péréquation. Elle requiert un examen approfondi, y compris en termes de droit de la concurrence. Cette initiative française aura également pour but de conforter notre vision de l'agriculture en gagnant l'adhésion de nos partenaires les plus proches de notre position.
Dans ce cadre international - OMC, PAC -, le projet de loi d'orientation que j'ai l'honneur de vous présenter fait le choix d'accompagner l'effort nécessaire d'adaptation et de modernisation de l'agriculture française
Il vient compléter l'action menée sur le plan international et communautaire, en essayant de donner à notre agriculture les moyens d'être plus performante et plus efficace
Nous devons baliser un chemin pour les exploitants, en particulier pour les plus jeunes qui veulent savoir où ils vont -et ils ont bien raison de poser cette question -, étant entendu que nous avons l'assurance qu'apporte, jusqu'en 2013, le double accord européen de 2002 et de 2003 pour préparer l'avenir.
Ce projet de loi affiche avec conviction son dessein, qui est de consolider l'activité économique agricole et de conforter la vision positive de la fonction productive de l'agriculture.
Il sort du principe du modèle unique de l'agriculture, que nous avons tous connu, fondé sur l'exploitation familiale à deux unités de travail homme, ou UTH, et propose différentes voies pour l'agriculture. Aux agriculteurs de les choisir.
Ce projet de loi souligne la multifonctionnalité de l'agriculture et sa contribution à des services non marchands en termes d'occupation des espaces et de préservation de l'environnement.
Enfin, il prend en compte les attentes de la société en matière de sécurité sanitaire, d'environnement et de qualité des produits.
Il s'agit de redonner des marges de manoeuvre à notre agriculture pour lui permettre de conserver son efficacité économique, afin qu'elle reste présente sur nos territoires et continue à créer des emplois.
Le présent projet de loi d'orientation agricole est donc fondé sur un triple impératif économique, environnemental et sanitaire. Le Gouvernement est déterminé à aller le plus loin possible.
J'aborderai en premier lieu l'impératif économique. La défense de notre modèle agricole, de nos industries agroalimentaires et de notre indépendance alimentaire nécessite des entreprises efficaces et performantes
Nous voulons des entreprises puissantes fondées sur la valorisation de la démarche d'entreprise
Vous le voyez bien dans vos départements, mesdames, messieurs les sénateurs, les formes d'exploitation se sont diversifiées, en faisant place de plus en plus souvent aux formes sociétaires.
La nécessité se fait sentir, par ailleurs, d'appréhender globalement l'ensemble des facteurs de production, en tant qu'entité économique capable de dégager un revenu. Ce projet de loi vise à encourager la formation d'exploitations organisées autour d'une démarche d'entreprise, en conservant la responsabilité personnelle et la spécificité familiale.
C'est pourquoi il tend à créer un fonds agricole et à introduire la cessibilité du bail rural. Le bail cessible permettra à un exploitant de transmettre globalement une exploitation hors cadre familial. Cette possibilité supposera le libre choix entre les parties ; naturellement, elle ne se substitue pas au bail rural classique.
Le fonds agricole - c'est l'une des innovations de ce texte - permettra, quant à lui, de mieux reconnaître la valeur du travail agricole et de mieux distinguer la valeur patrimoniale de la valeur économique de l'exploitation agricole. Cependant, et j'insiste sur ce point, il ne vise pas à renchérir le coût des cessions. En effet, il ne tend à créer aucune valeur nouvelle, mais identifie les éléments de la valeur économique de l'exploitation existant aujourd'hui sans reconnaissance juridique, tout spécialement dans les exploitations individuelles.
Les députés, par amendement, l'ont rendu optionnel et, sur l'initiative de la commission des finances, lui ont donné une fiscalité favorable : les cessions seront soumises à un droit forfaitaire.
Pour promouvoir la forme sociétaire, le projet de loi permet aux associés d'exploitations agricoles à responsabilité limitée, ou EARL, de conserver leur statut fiscal de type personnel en dehors du cadre familial. Le Premier ministre a annoncé, le 13 septembre, la suppression de la cotisation de solidarité pour les associés non exploitants.
Tenant compte de l'évolution des structures d'exploitation, le projet de loi introduit deux dispositions qui sont à souligner.
Le contrôle des structures est maintenu, mais simplifié. A la suite de discussions avec l'ensemble des partenaires du monde agricole, nous avons trouvé - et cela n'a pas été facile -un point d'équilibre entre les différentes parties, en permettant d'exonérer du contrôle uniquement les opérations portant sur des liens de familles et en relevant les seuils d'opérations soumises à contrôle.
Ensuite, un mécanisme fiscal d'incitation à la transmission progressive est instauré, pour faciliter l'installation des jeunes agriculteurs.
Les débats à l'Assemblée nationale ont permis de répondre à certains défis relatifs au foncier, qui ont été soulevés récemment par le rapport du Conseil économique et social.
Les conflits d'usage entre culture et autres activités sont assez vifs - vous les vivez sur le terrain, mesdames, messieurs les sénateurs. Le débat parlementaire a permis de renforcer la prise en compte de l'agriculture dans les documents d'urbanisme.
Enfin, le projet de loi tend à apporter une réponse aux difficultés d'exercice du métier agricole : il favorise par un crédit d'impôt - Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, l'avait annoncé au Mans, lors du Congrès de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, la FNSEA - le remplacement pour congé des agriculteurs dans le cas où leur activité nécessite une présence quotidienne sur l'exploitation, comme c'est le cas des éleveurs.
Le Gouvernement souhaite également que, sur les marchés, l'équilibre entre les producteurs et l'aval soit mieux assuré.
Il s'agit, vous le voyez bien, de sécuriser le revenu des exploitants. C'est une nécessité absolue à un moment où les instruments communautaires de régulation sont profondément modifiés pour répondre aux nouvelles règles du commerce international. A l'intérieur des marges de manoeuvre autorisées par le cadre communautaire, le Gouvernement privilégie dans le texte qui vous est soumis le renforcement de l'offre, la gestion des risques et la baisse des charges.
Sécuriser les revenus, c'est souvent renforcer l'organisation économique des filières.
Ainsi, dans le présent projet de loi d'orientation, les missions des interprofessions sont étendues de manière à leur permettre d'intervenir dans la promotion de nouveaux débouchés ou la gestion des crises.
La contractualisation est encouragée, dans la mesure où elle permet une relation plus équilibrée entre l'amont et l'aval.
Enfin, la coopération agricole - je sais que beaucoup d'entre vous y sont attachés - a un rôle essentiel à jouer et est dotée d'un statut modernisé. Les relations financières avec les adhérents coopérateurs sont améliorées et des responsabilités nouvelles sont confiées à un Haut conseil de la coopération, conformément à l'amendement déposé par le Gouvernement à l'Assemblée nationale et inspiré du rapport de François Guillaume.
Sécuriser les revenus, c'est encore développer les outils de gestion des risques, qu'ils soient climatiques ou conjoncturels. Nous voyons bien la terrible sécheresse qu'ont vécue et que vivent encore un grand nombre de régions de notre pays.
Ce projet de loi favorise le développement de l'assurance récolte - je sais que la commission des affaires économiques du Sénat y est très attachée - et revalorise les plafonds applicables à la déduction pour investissement et à la dotation pour aléas.
Enfin, sécuriser les revenus, c'est baisser les charges. Conformément à la volonté du Président de la République exprimée dans son discours de Murat, le Premier ministre a décidé la diminution progressive de la taxe sur le foncier non bâti pour les exploitants agricoles.
J'indique tout de suite, parce que je sais que le Sénat est très attaché à l'indépendance financière des collectivités territoriales et aux ressources des petites communes, que cette baisse de 20 %, qui vous sera proposée dans le projet de loi de finances pour 2006, sera compensée à l'euro près aux communes par l'Etat.
La commission des finances de l'Assemblée nationale a trouvé un système simple, qu'elle proposera à votre commission des finances ; ce système n'implique pas la mise en oeuvre de dispositifs complexes entre l'Etat et les communes. Il permet également, quand l'agriculteur n'est pas le propriétaire, que cette baisse bénéficie à l'exploitant et que ce dernier puisse la répercuter comme une baisse de charges dans son exploitation.
Enfin, et ce n'est pas à la Haute Assemblée que je l'apprendrai, le monde agricole est trop administré. Nous ajoutons même parfois des règles françaises aux règles communautaires, complexifiant ainsi davantage encore l'environnement administratif de nos exploitations. Il nous faut donc aller vers une simplification.
Simplifier, c'est non pas déréglementer systématiquement, mais faire en sorte que les exploitants se concentrent sur l'essentiel, à savoir sur l'action de production.
A titre d'exemple, le présent projet de loi crée l'agence unique de paiement pour les aides du premier pilier, celles du second pilier étant versées par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles, le CNASEA. Il prévoit la modernisation du dispositif de développement agricole.
M. Gérard César, rapporteur. J'y tiens !
M. Dominique Bussereau, ministre. La performance économique renforcée concourra à créer des emplois pour lesquels des dispositions spécifiques sont également proposées. Nous poursuivons, à cet effet, un triple objectif : alléger le coût total de l'emploi, améliorer la rémunération et donc le pouvoir d'achat, mais aussi accroître la sécurité de l'emploi.
Au cours des débats à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé la création d'un contrat « jeune saisonnier agricole », qui correspond aux besoins en matière de saisonnalité dans le monde agricole, la mise en place d'une incitation à la conversion de contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée et, enfin, une mesure en faveur des groupements d'employeurs.
Plusieurs de ces propositions, directement inspirées du rapport du député Jacques Le Guen, visent à mieux prendre en compte l'importance du travail saisonnier dans certaines productions agricoles.
Je veux maintenant insister sur l'impératif sanitaire. Nous voyons bien les craintes actuelles liées à l'influenza aviaire ou l'épisode malheureux de la fin de cette semaine concernant des produits consommés par de jeunes enfants et ayant entraîné les troubles que vous savez.
Notre agriculture doit répondre à toutes les exigences de la société en termes de sécurité sanitaire des aliments
Il importe de sécuriser l'alimentation, mais aussi de rassurer nos concitoyens. Le projet de loi complète le dispositif français de sécurité sanitaire des aliments, l'un des plus performants au monde, en confiant l'évaluation du risque lié aux fertilisants et aux produits phytosanitaires à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments.
La Haute Assemblée s'est toujours beaucoup intéressée à la qualité des produits et à la connaissance qu'en ont les consommateurs.
Le Gouvernement souhaite améliorer la lisibilité des signes de qualité, auxquels le consommateur, se perdant entre les labels inventés par les producteurs, les appellations d'origine contrôlées, la grande distribution, ne comprend parfois pas grand-chose. A cet effet, le projet de loi crée un institut unique de la qualité, en s'appuyant sur l'Institut national des appellations d'origine, l'INAO, qui a parfaitement réussi dans cette mission.
L'Assemblée nationale a également ajusté le dispositif initial en assouplissant la distinction entre appellation montagne - chère aux élus de la montagne - et AOC. Les débats ont fourni l'occasion d'enrichir le texte de loi par un volet « montagne », qui peut encore être complété. Plusieurs sénateurs, notamment M. Jacques Blanc, souhaitent que nous puissions le faire, même si le texte relatif au développement des territoires ruraux, remarquablement amendé par la Haute Assemblée, avait déjà permis d'introduire des dispositions très importantes relatives à la montagne.
M. le président. Très bien !
M. Dominique Bussereau, ministre. Cela concerne bien sûr également le massif vosgien, monsieur le président ! (Sourires.)
Cette recherche de la qualité, nos compatriotes la demandent et veulent en être informés. Ils réclament une alimentation saine, sûre, équilibrée. Le présent projet de loi vise à participer à la réalisation de cet objectif.
J'en viens au dernier impératif de ce projet de loi, l'impératif environnemental.
Nos compatriotes veulent que les exploitants agricoles respectent l'environnement, mais ils savent que nos paysages n'existeraient pas sans les exploitants agricoles, car ce sont ces derniers qui ont aménagé et entretenu la nature. Nous voulons nous associer à cette attente.
L'agriculture biologique, qui se développe dans notre pays, moins que chez nos voisins cependant, sera encouragée au travers d'un crédit d'impôt.
Le projet de loi instaure la possibilité de conclure un bail comportant des clauses environnementales dans certains territoires à enjeux environnementaux particuliers.
S'agissant des bioénergies, de la biomasse, nous en sommes encore aux débuts, mais ce sujet est un enjeu stratégique. L'agriculture nourrit ; demain, elle produira l'énergie des Français.
Le Gouvernement ouvre la possibilité à la production agricole et forestière de participer aux bilans et mécanismes de marché destinés à mettre en oeuvre nos engagements internationaux en matière de lutte contre l'effet de serre.
Monsieur le président, le texte prévoit également une mesure pour l'utilisation par les collectivités locales du bois.
M. Gérard César, rapporteur. Des Vosges ! (Sourires.)
M. Dominique Bussereau, ministre. Cette mesure incite les collectivités territoriales à utiliser le bois pour chauffer les bâtiments publics et l'ensemble de leur patrimoine
Les députés ont beaucoup travaillé sur un amendement tendant à promouvoir les huiles végétales brutes. Un point d'équilibre intéressant a été trouvé, avec une phase d'observation précédant une ouverture à l'ensemble des acteurs du monde agricole. Le carburant vert participera ainsi au lien unissant l'agriculture à notre société.
Je souhaite revenir brièvement sur le volet spécifique consacré à la montagne, en soulignant qu'un amendement de M. Jacques Blanc permettra de rassembler les diverses mesures dans un seul article leur donnant plus de visibilité. Le Gouvernement souhaite développer ce volet.
S'agissant de l'élevage, la grande loi fondamentale de 1966 organise notre dispositif génétique. Nous avons beaucoup travaillé avec les éleveurs sur la révision de cette loi, car nous souhaitions répondre au mieux à leurs besoins.
Il s'agit d'une grande ambition, car cette réforme doit simplifier et adapter le dispositif au droit communautaire tout en préservant la diversité des ressources génétiques des animaux. Nous devons à présent la finaliser afin que la publication de l'ordonnance intervienne dans les jours qui suivront celle de la loi.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai essayé de vous présenter le mieux et le plus rapidement possible - ce dernier objectif n'a peut-être pas été atteint ! - ...
Un sénateur de l'UMP. Mais si !
M. Dominique Bussereau, ministre. ...le contenu du projet de loi, de retracer le cadre européen et le cadre international. Je crois très sincèrement que ce texte offre des outils importants, des outils nouveaux qui permettront d'accroître la compétitivité des secteurs agricole et agroalimentaire.
Nous accompagnerons l'agriculture dans la recherche de nouveaux débouchés, notamment de débouchés non alimentaires, et nous soutiendrons le renouvellement des générations pour maintenir vivante notre tradition agricole et dynamiser l'ensemble de nos territoires. L'agriculture marquera ainsi notre engagement en faveur du développement équilibré, d'une croissance agricole soucieuse des équilibres écologiques, d'une répartition équitable des fruits de la richesse créée et de territoires intégrés.
Enfin, nous entreprendrons la simplification des procédures et de l'organisation administratives, ô combien nécessaire dans le monde agricole.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous soumettant ce projet de loi d'orientation agricole, le Gouvernement affirme donc sa confiance dans les atouts de notre agriculture et notre détermination commune à bâtir, selon la formule que j'ai déjà citée, une « agriculture économiquement efficace et écologiquement responsable ». C'est notre ambition, et je crois qu'elle peut être partagée sur toutes les travées.
Parce que l'agriculture est notre patrimoine et notre identité, je conclurai en citant la célèbre fable Le laboureur et ses enfants, autre élément de notre patrimoine : « Un trésor est caché dedans. » (Sourires.)
Mme Hélène Luc. Pour ceux qui travailleront encore !
M. Dominique Bussereau, ministre. Ce trésor, c'est le travail de tous les exploitants, madame le sénateur, et nous pouvons, ensemble, essayer de les aider.
Je voudrais par avance affirmer ma confiance dans la poursuite des débats. L'Assemblée nationale a réalisé un remarquable travail d'enrichissement, et je sais d'ores et déjà que le Sénat participera à la poursuite de l'amélioration de ce texte.
Je reste naturellement très ouvert au travail parlementaire, à la discussion des amendements, qui, avec l'aide de MM. les rapporteurs, permettront à la Haute Assemblée de faire progresser le texte. Ce dernier est maintenant soumis à votre appréciation politique. Je suis persuadé que vous en ferez le meilleur usage. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur du Conseil économique et social.
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je préciserai tout d'abord trois éléments.
Premièrement, le Conseil économique et social a été saisi par le Gouvernement et s'est exprimé sur l'exposé des motifs ainsi que sur une trentaine de mesures contenues dans le projet de loi d'orientation agricole présenté le 6 avril dernier.
Deuxièmement, le Conseil économique et social n'a pu débattre de l'avenir de notre agriculture que durant un seul petit mois, bien trop court à notre goût.
Troisièmement, en tant que conseiller au sein du Conseil économique et social, je n'oublie pas que je suis un jeune agriculteur soucieux de son avenir, mais aussi de celui de sa profession.
Le Conseil économique et social s'est tout d'abord interrogé sur le champ de cette loi. Il est apparu rapidement que des thématiques telles que la place du foncier agricole ou du salariat dans le développement de l'agriculture avaient été ignorées.
J'évoquerai donc tout d'abord les sujets que le Conseil économique et social a tenu à enrichir.
En matière de foncier, le Conseil économique et social préconise que les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, deviennent l'interlocuteur privilégié en matière d'aménagement foncier des espaces naturels et ruraux, en partenariat avec les collectivités territoriales.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. C'est ainsi que leur droit de préemption doit être plus que jamais réaffirmé et protégé.
M. Gérard Le Cam. C'est tout le contraire que prépare le texte !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Ayons également à l'esprit le fait que le développement des entreprises agricoles passe obligatoirement par une meilleure attractivité des métiers en agriculture ainsi que par une amélioration des conditions de vie, de travail, d'emploi et de revenus.
Le Conseil économique et social s'est également interrogé sur la portée de cette loi ; en effet, légiférer, c'est prendre véritablement une orientation pour l'avenir.
L'examen du projet de loi d'orientation agricole s'inscrit dans un contexte international et européen en pleine mutation. La mondialisation des échanges a renforcé le décalage entre la notion de production - prix de revient du produit - et celle de revenu - prix de vente du produit. Or le maintien d'activités agricoles sources de revenus est vital pour l'avenir de notre planète : ne l'oublions pas, la première mission de l'agriculture est de nourrir les hommes.
L'agriculture française est déstabilisée au sein même de l'Europe, qui est à l'origine de son développement. Les différences, dans chaque pays, de coût de production, de réglementation fiscale et sociale, environnementale et sanitaire, les exigences diverses des consommateurs en termes de sécurité alimentaire, de traçabilité, de qualité et de diversité des produits, influent sur le nombre d'agriculteurs européens et sur la rentabilité économique des exploitations. Le Conseil économique et social ne veut pas d'une Europe au rabais qui nierait les spécificités agricoles de chacun des Etats membres.
Vous le voyez, les enjeux sont importants : ils concernent notre souveraineté alimentaire, la sécurité de nos approvisionnements, le maintien d'une activité économique sur l'ensemble du territoire, la création et l'entretien de paysages variés qui font de la France la première destination touristique mondiale.
Le maintien de régulations économiques efficaces est l'un des préalables pour répondre à ces enjeux. Les politiques agricoles doivent maintenir ou renforcer ces systèmes de régulation. J'en citerai plusieurs exemples.
En matière de contrôle des structures, la consultation de la commission départementale d'orientation de l'agriculture, la CDOA, pour les demandes d'autorisation d'exploiter doit être maintenue.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Quant à la simplification envisagée du contrôle des structures, elle ne doit en aucun cas être synonyme de démantèlement de la réglementation : ce serait préjudiciable non seulement à l'installation, mais aussi à l'approche économique confortée par le fonds agricole.
La fin du monopole du dispositif de sélection animale ne doit pas non plus conduire à la baisse du nombre de races animales ni à un appauvrissement génétique, qui seraient fortement dommageables.
M. Gérard Le Cam. Très bien !
Mme Hélène Luc. Oui, mais ce n'est pas ce qui se fait !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. De même, le nouveau mode de gestion et de contrôle des aides à l'agriculture ainsi que la restructuration des offices agricoles ne doivent pas faire perdre de vue que de nombreux emplois sont concernés et que la réflexion sur ces restructurations doit être globale.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Par ailleurs, la France se doit d'afficher de vraies ambitions en matière de formation, d'innovation, de recherche et de développement agricole, et créer des synergies dans l'ensemble de ces domaines. Le non-alimentaire doit devenir l'une des grandes priorités pour promouvoir de nouveaux débouchés et faire de la biomasse une ressource incontournable. Les biocarburants devraient permettre de créer au moins 6 000 emplois. Quant au développement des huiles végétales brutes, c'est du bon sens paysan au service de l'économie d'énergie ! (Très bien ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Nos politiques agricoles doivent aussi être plus lisibles : la modernisation du dispositif des signes officiels de qualité et d'origine devrait permettre de mieux segmenter les marchés et de les rendre plus compréhensibles pour le consommateur.
Encourager le développement de l'agriculture biologique par le biais d'un crédit d'impôt est une idée pertinente si, parallèlement, est réalisée une véritable structuration des filières biologiques.
Le projet de loi d'orientation agricole doit également accompagner l'organisation collective au sein des filières de production : le renforcement des organisations de producteurs et des interprofessions doit être encouragé, en liaison avec la commercialisation et la contractualisation des productions. Allons même jusqu'à attribuer les aides publiques en priorité aux organisations de producteurs en ayant à l'esprit la désorganisation des marchés induite, notamment, par la réforme de la PAC.
La coopération agricole a un rôle tout particulier à jouer en matière d'organisation économique. Pour favoriser l'engagement collectif d'adhérents autour d'un projet économiquement viable, elle doit rester ciblée sur ce qui fait le coeur de son métier : c'est là le gage de son efficacité.
Le transfert de propriété vers les organisations de producteurs afin d'améliorer la commercialisation des produits est une véritable orientation pour l'agriculture de demain et ouvre une réelle possibilité de faire évoluer les comportements en faveur de l'organisation collective. Nous ne devons plus hésiter !
Les agriculteurs souhaitent également sécuriser leurs revenus. La mise en place d'outils d'assurance efficaces, soutenus par les pouvoirs publics, couvrant toute l'exploitation et accessibles à tous sur l'ensemble du territoire doit être accélérée. La question du caractère obligatoire de ces outils reste bien évidemment d'actualité.
Vous l'avez compris, l'organisation de la profession agricole s'avère cruciale si les agriculteurs veulent vivre de l'acte de production.
Le projet de loi d'orientation agricole vise à cet égard à faire de l'exploitation agricole une entité économique pérenne et transmissible. Plusieurs mesures structurantes accompagnent cette ambition.
Tout d'abord, la création du fonds agricole vise à faire de l'exploitation une unité juridique cohérente en officialisant, dans un souci de transmission et de renouvellement des générations, la séparation entre le patrimoine professionnel et les biens personnels. Le risque de démembrement de l'exploitation est ainsi écarté.
L'idée est simple : il s'agit de mieux identifier le revenu de l'exploitation, d'évaluer l'entreprise à reprendre et, par là même, d'encourager le financement et le dynamisme de l'agriculture. Toutefois, la réalisation de cette grande ambition suppose la mise en oeuvre de modalités techniques qui ne doivent pas dénaturer le concept de fonds agricole.
Le fonds n'aura de raison d'exister que si le foncier est pleinement intégré dans sa composition. Rappelons que 60 % des terres agricoles françaises sont exploitées en faire-valoir indirect et en multipropriété : la cessibilité du bail hors du cadre familial, vous l'aurez compris, devient le corollaire indispensable de la mise en place de ce fonds.
Mais il ne peut y avoir cessibilité du bail sans l'accord préalable du propriétaire. Les intérêts de chacun ont donc été pris en considération. Les garde-fous juridiques, qui ont été largement éprouvés au sein du statut du fermage, doivent être conservés.
Une autre innovation contenue dans le projet de loi d'orientation agricole, complémentaire au fonds agricole, consiste dans la mise en place du plan « crédit transmission ». A l'heure actuelle, le principal frein à la transmission des exploitations se trouve être le prix du foncier agricole. Le plan « crédit transmission » doit permettre au jeune de s'installer sans délai, grâce à une transmission progressive des parts du cédant, tout en évitant le démembrement de l'exploitation.
Si le projet de loi d'orientation agricole, comme vous avez pu le constater, tend à renouveler le statut des exploitations agricoles, les femmes et les hommes qui sont les pièces maîtresses de l'avenir de notre agriculture ne doivent surtout pas y être oubliés. Le Conseil économique et social a considéré que le renouvellement des générations en agriculture était le premier défi à relever si l'on souhaitait véritablement envisager l'avenir.
Mme Hélène Luc. Le projet de loi le permettra-t-il ?
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Nous voulons des paysans nombreux sur l'ensemble du territoire pour répondre aux exigences de la société civile et des citoyens : pas d'agriculture de qualité en même temps que de proximité, pas d'agriculture diversifiée, valorisant nos terroirs et nos savoir-faire sans agriculture à visage humain.
Pour y parvenir, nous devons attirer encore et toujours des jeunes dans l'agriculture, non par tradition, mais par nécessité. Nous devons à cet effet répondre à leurs nouvelles attentes en matière de conditions de vie et de travail : je pense notamment à la mesure de remplacement pour aménagement du temps de travail et aux dispositifs qui accompagnent l'installation sociétaire. Pour favoriser cette dernière, le Conseil économique et social a ouvert de nouvelles pistes de propositions, telle la mise en place d'un statut de salarié provisoire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez pu le constater, le Conseil économique et social a fait le choix des hommes plutôt que des hectares, ...
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. ...des outils de régulation plutôt que de la libéralisation. C'est un choix ambitieux.
Lors de vos débats, vous aussi serez amenés à faire des choix. Les agriculteurs vous regardent : doivent-ils préparer leur reconversion, ou peuvent-ils encore croire en l'avenir de leur noble métier que les citoyens plébiscitent ?
Nous devons graver dans le marbre la direction que doit prendre notre agriculture. Cela engagera aussi bien les pouvoirs publics que les élus, les agriculteurs et les citoyens. La loi d'orientation doit être porteuse d'espoir et d'optimisme pour un monde agricole en manque de repères et en pleine mutation.
Mme Hélène Luc. C'est certain !
M. Gaël Grosmaire, rapporteur de la section de l'agriculture et de l'alimentation du Conseil économique et social. Si cette loi ne devait porter qu'un seul message, ce devrait être celui-ci : « Engagez-vous dans l'agriculture ! »
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez l'avenir de l'agriculture, de ses femmes et de ses hommes, entre les mains. Pensez-y lors des débats ! Je vous souhaite un bon travail. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le second volet de la vaste réforme législative que ce gouvernement et celui qui l'a précédé ont entreprise pour conforter et développer notre agriculture. Il y a moins d'un an, nous avons adopté l'importante loi relative au développement des territoires ruraux. Nous abordons aujourd'hui les aspects économiques et sociaux de la production agricole.
Le projet de loi initial comportait trente-cinq articles. A l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, il en compte maintenant quatre-vingt-cinq. Je tiens à cet égard à saluer le travail mené par les députés, en particulier l'action de M. Antoine Herth, rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale.
Bien sûr, nous avons quelques divergences d'analyse avec nos collègues députés, et la commission des affaires économiques du Sénat vous proposera de supprimer certains ajouts de l'Assemblée nationale.
Je souhaite aborder ici quelques grands points sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir et qui me paraissent particulièrement importants.
Sans revenir sur la présentation que vient d'en faire M. le ministre de l'agriculture, je rappelle que le titre Ier du projet de loi doit permettre aux exploitations agricoles d'intégrer une véritable démarche d'entreprise, qui leur permettra de mieux répondre aux évolutions des marchés agricoles. Cette évolution est liée au contexte international des négociations à l'OMC et à la réforme de la PAC, qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain.
Je saisis cette occasion pour me féliciter de ce que le Gouvernement et son ministre de l'agriculture aient fait en sorte que nous puissions examiner et - si vous en décidez ainsi - adopter ce projet de loi avant la fin de l'année. Je crois qu'il s'agit là d'un signe tangible adressé à l'ensemble du monde agricole.
Les principaux éléments de cette nouvelle démarche économique sont la création du fonds agricole, à l'article 1er, et celle du bail cessible, à l'article 2. L'Assemblée nationale a précisé que le fonds agricole était optionnel, précision utile que la commission des affaires économiques vous propose de conserver. Concernant le bail cessible, il convient de rappeler que celui-ci s'ajoute au statut du fermage mais qu'il ne supprime absolument pas le bail à ferme classique.
Nos collègues députés ont proposé que le bailleur puisse choisir le repreneur en cas de cession du bail. Il s'agit là d'un ajout critiquable car, dans la mesure où un fermier a en moyenne huit bailleurs, cette disposition compromettrait la cession d'un fonds agricole cohérent, c'est-à-dire une exploitation viable avec son foncier et son cheptel mort et vif.
Je voudrais également dire quelques mots de l'article 5, relatif au contrôle des structures. Il s'agit de simplifier ce contrôle, mais certainement pas de le supprimer. Il y a eu une confusion sur ce point chez certains députés, parce que le projet de loi supprime une référence législative aux CDOA. Mais il faut bien voir qu'il s'agit d'une mesure de coordination juridique, car les CDOA ont, depuis l'ordonnance du 1er juillet 2004, un statut réglementaire, ce qui est normal pour des commissions qui ne rendent que des avis consultatifs, que l'administration n'est pas obligée de suivre. Il faut rappeler, du reste, que nous avions déjà abordé cette question au début de l'année lors de l'examen de la loi relative au développement des territoires ruraux, dont le rapporteur était M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.
Une seconde mesure contenue dans cet article 5 suscite des interrogations. Ainsi, certains de nos collègues ont cru que cet article prévoyait la fin du contrôle des structures sur les formes sociétaires. Je les rassure, il n'en est rien : le contrôle des formes sociétaires demeure, et notre commission y reste très attachée.
Monsieur le ministre, il faudra que nous soyons très clairs sur ce point lorsque nous aborderons l'examen de l'article 5, car nous souhaitons obtenir une confirmation de votre part sur cette question.
Nous aurons également un vaste débat sur le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER. Je tiens à préciser que les amendements les concernant ont été renvoyés après l'article 10 sexies, afin que nous puissions les aborder tous en même temps.
Mais j'en reviens au présent projet de loi.
Le métier d'agriculteur est soumis à de multiples risques et aléas, qu'ils soient de nature économique ou climatique. Afin de prévenir leurs conséquences, le titre II du projet de loi tend à consolider le revenu agricole et à favoriser l'emploi. Pour cela, il explore trois grands axes.
Le premier concerne la recherche de nouveaux débouchés de nature non alimentaire. L'agriculture constitue un formidable réservoir d'énergies renouvelables, que ce soit à travers l'utilisation de la biomasse ou la production de biocarburants. Nous aurons à cet égard, à n'en pas douter, un débat très fourni sur deux points : l'interdiction des sacs en plastique non biodégradable à l'horizon 2010, mesure que je vous proposerai d'amender, et la possibilité pour les agriculteurs d'utiliser les huiles qu'ils ont produites.
Le deuxième axe a trait à l'organisation de l'offre. L'agriculture souffre en effet de sa grande dispersion face à une distribution concentrée autour de quelques centrales d'achat. Le projet de loi favorise le regroupement des producteurs au sein de différentes structures, tout en tenant compte des contraintes communautaires. Je vous proposerai, sur ce point, quelques amendements simplifiant, voire enrichissant le dispositif.
Le troisième axe a pour objet la maîtrise des aléas. Sans supprimer le Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA, les articles 18 et 19 le réaménagent et tendent à stimuler le développement de l'assurance récolte, qui sécurise et responsabilise davantage les agriculteurs. Le président de notre commission, M. Jean-Paul Emorine, présentera à cet égard un amendement important que j'ai cosigné avec notre collègue Dominique Mortemousque. Il vise à rendre progressivement obligatoire le recours à l'assurance récolte par les exploitants. C'est là un véritable sujet de fond, et il faudra prendre le temps nécessaire pour en débattre car il est très important.
Le constat est clair, monsieur le ministre : l'agriculture a considérablement évolué ces dernières années. Après ne s'être longtemps préoccupée que de productivité et de rendement, elle s'ouvre aujourd'hui à de nouvelles préoccupations. Le titre III du projet de loi les prend en considération, en cherchant à répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs.
Plusieurs pistes sont suivies.
La première concerne la garantie de la sécurité sanitaire. L'article 21 confie ainsi à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, l'évaluation du risque lié aux fertilisants et aux produits phytosanitaires en agriculture. Nous discuterons sur le point de savoir s'il convient également de lui transférer la décision d'autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. J'indique qu'à titre personnel j'y suis favorable.
La deuxième piste a trait à la réforme du dispositif des signes de qualité. Notre pays élabore d'excellents produits, dont la qualité et la provenance sont renommées dans le monde entier. Mais la surabondance de signes de qualité entraîne souvent une confusion dans l'esprit du consommateur. Aussi, l'article 23 les regroupe autour de trois grandes catégories et élargit les compétences de l'Institut national des appellations d'origine, l'INAO, à la qualité. Si les grandes lignes en sont bien tracées, il conviendra de débattre de points qui, s'ils peuvent paraître accessoires, ont en réalité une grande portée symbolique.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Gérard César, rapporteur. Je pense, par exemple, à la dénomination même de cet organisme.
La troisième piste concerne le respect de l'environnement. Des efforts considérables - que l'on ne souligne jamais assez - ont été consentis par le monde agricole en la matière ces dernières années, et il convient de les encourager. A cet effet, l'article 24 soutient l'agriculture biologique, tandis que l'article 25 permet l'insertion de clauses environnementales dans les baux ruraux.
Je vous proposerai de compléter le dispositif en créant un chapitre spécialement consacré au développement durable de l'agriculture de montagne,...
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Gérard César, rapporteur. ... chapitre qui regroupe certaines des dispositions introduites par l'Assemblée nationale ainsi que d'autres, nouvelles, résultant des travaux du groupe d'études sur la montagne.
J'aborderai maintenant la question de l'agriculture outre-mer.
Je rappelle que, lorsque nous avions examiné la loi relative au développement des territoires ruraux, le Gouvernement s'était engagé à présenter un volet consacré à l'outre-mer dans le projet de loi d'orientation agricole, ce qu'il a fait. Je m'en félicite !
Naturellement, l'agriculture d'outre-mer a ses particularités, comme je l'ai exposé dans mon rapport écrit. Je rappellerai donc quelques points du titre V du projet de loi d'orientation agricole, relatif à l'agriculture d'outre-mer.
Les conditions du fermage domien sont alignées sur celles du fermage métropolitain, notamment en matière de baux cessibles et de clauses environnementales.
Les droits du métayer, lequel se voit reconnaître la conduite de l'exploitation ainsi qu'un droit de préemption en cas de cession de la parcelle qu'il exploite, sont également renforcés.
Afin de tenir compte de la spécificité, dans les DOM, des relations entre métayers et bailleurs, il est enfin prévu que la conversion des baux à colonat, c'est-à-dire des baux de métayage en baux à fermage, devienne automatique.
D'autres mesures spécifiques à l'agriculture ultramarine sont également prévues, sur lesquelles nous reviendrons lorsque nous aborderons l'examen de ce titre V du projet de loi d'orientation.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais vous faire part de ma conviction que ce projet de loi d'orientation agricole donne de nouvelles perspectives à notre agriculture et à nos agriculteurs. Je suis convaincu que ce texte contribuera à rapprocher le monde agricole du reste de la société française, ce qui est le préalable à son développement.
A l'issue de son examen par l'Assemblée nationale, le texte a été très significativement enrichi, mais parfois trop lourdement. Les amendements que vous présentera la commission permettent donc à la fois de simplifier certains dispositifs, mais aussi d'en compléter utilement d'autres. Au total, je suis persuadé que le débat sera riche et fructueux.
Je voudrais enfin saluer le travail de mon collègue Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, avec lequel j'ai eu des échanges fructueux qui ont révélé, je le crois, une pleine convergence d'analyse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation agricole, tel qu'il a été présenté en conseil des ministres le 18 mai 2005, comportait trente-cinq articles. Après son examen à l'Assemblée nationale, le texte transmis au Sénat en contient quatre-vingt-cinq, soit plus du double. C'est dire à quel point ce sujet intéresse la représentation nationale !
Il faut reconnaître que l'avenir de l'agriculture française cristallise des interrogations qui ont un retentissement dans l'ensemble de la société française. En effet, depuis les grandes lois fondatrices de 1960 et 1962, notre agriculture a connu des évolutions importantes, tant internes qu'externes, qui se sont traduites par un bouleversement radical de son environnement économique et sociologique.
Si le développement de notre agriculture au cours des cinquante dernières années a permis de placer la France au premier rang mondial des pays exportateurs de produits agricoles et de lui assurer l'indépendance alimentaire, force est de constater que le modèle agricole promu par le cadre législatif défini au début des années soixante ne répond plus que partiellement aux attentes actuelles des agriculteurs et de la société dans son ensemble.
En effet, ce modèle était celui de l'exploitation agricole familiale, dont la taille permettait d'assurer la rémunération de deux unités de travail. Au fil du temps, ce modèle a dû faire place à plus de diversité pour répondre à la multiplicité des formes d'exploitation, tandis qu'avec l'affirmation de nouvelles attentes de la société, notamment en matière environnementale, les pouvoirs publics ont envisagé sous un jour nouveau les autres missions de l'agriculture, telles que l'aménagement de l'espace rural ou des paysages et la préservation de l'environnement.
Ainsi, les évolutions liées au progrès technique, l'évolution socio-économique du monde agricole ainsi que les modifications des règles communautaires et internationales de régulation des marchés et de soutien des productions ont rendu nécessaire une redéfinition de la place de l'agriculture dans la société française afin de lui redonner une ambition, des perspectives et une légitimité renouvelée.
Dès lors, le projet de loi d'orientation agricole qui nous est transmis par l'Assemblée nationale s'efforce de relever les défis auxquels est aujourd'hui confrontée notre agriculture.
Ces défis sont de trois ordres : économique, social et environnemental. L'objectif principal de ce texte est de permettre l'adaptation du monde agricole aux évolutions du contexte international et communautaire, marqué par la poursuite des négociations internationales dans le cadre de l'OMC et par la réforme de la PAC, issue des accords de Luxembourg du 26 juin. 2003.
Ce projet de loi est structuré autour de cinq titres principaux.
Trois d'entre eux ont pour objet de redonner des marges de manoeuvre à l'agriculture française afin de la rendre plus efficace sur le plan économique et d'offrir davantage de liberté d'initiative aux exploitants agricoles.
Le titre Ier s'intéresse à l'entité fondamentale qu'est l'exploitation agricole et vise à favoriser la démarche d'entreprise.
Le titre II tend à conforter le revenu agricole en intervenant au niveau des filières, tandis que le titre IV simplifie l'environnement administratif de l'agriculture.
Le titre III vise à rapprocher l'agriculture des préoccupations sociales actuelles en matière de qualité alimentaire et d'environnement.
Enfin, le titre V a pour objet d'apporter des réponses adaptées à la situation foncière particulière de l'outre-mer.
La commission des finances du Sénat a choisi de se saisir pour avis de ce texte en raison des nombreuses dispositions fiscales qu'il contient et de l'éventuel impact budgétaire de certaines de ses mesures : au total, le coût fiscal des dispositions contenues dans ce projet de loi s'élève à quelque 80 millions d'euros par an.
Au-delà de ces critères techniques, la commission des finances ne pouvait s'exonérer de donner son avis sur un texte fondateur pour l'agriculture moderne dont les mesures phares, telle la création du fonds agricole, ont pour objectif de changer radicalement le modèle agricole qui prévaut actuellement.
Afin de relever le défi économique en modernisant l'exploitation agricole et en favorisant l'avènement de l'entreprise agricole, la création du fonds agricole, unité économique autonome, constitue une donnée essentielle.
Dans le contexte économique actuel, le principal enjeu consiste à aider les exploitations agricoles à se transformer en entités économiques autonomes, c'est-à-dire en de véritables entreprises.
Ainsi, la création du fonds agricole par l'article 1er du projet de loi, rendue optionnelle par l'Assemblée nationale, a pour objet de faire évoluer le statut de l'exploitation agricole traditionnelle vers celui d'entreprise agricole et de permettre d'appréhender dans une même unité économique l'ensemble des facteurs de production liés à l'activité agricole, qu'ils soient corporels ou incorporels.
Les objectifs visés par la création du fonds agricole sont les suivants : dépasser l'approche patrimoniale des exploitations, transmettre l'exploitation agricole, évaluer l'entreprise à reprendre en fonction de sa capacité à dégager des revenus et, plus globalement, encourager le financement et le dynamisme de l'agriculture.
Il ne faut toutefois pas passer sous silence les interrogations légitimes suscitées par la mise en place de ce nouvel outil juridique.
Parmi ces interrogations, je souhaite évoquer le risque d'un renchérissement du coût fiscal des transmissions, et par conséquent du prix du foncier agricole, ainsi que la question de l'opportunité de l'incorporation des droits incorporels cessibles dans le fonds agricole, au premier rang desquels les droits à paiement unique, les DPU, issus de la réforme de la PAC.
En effet, la valeur des éléments incorporels du fonds agricole, tels les droits à paiement unique ou les droits à produire cessibles, sera variable dans le temps, mais l'important est de pouvoir les évaluer au moment de la cession du fonds.
La commission des finances estime qu'il est nécessaire d'accepter l'idée d'un fonds agricole évolutif en fonction, notamment, de la valeur des droits incorporels cessibles, comme cela existe pour les fonds de commerce ou pour les entreprises, avec les marques ou les modèles.
Parallèlement à l'introduction de la possibilité pour l'exploitant de constituer un fonds agricole, l'article 2 du projet de loi prévoit la création d'un nouveau type de bail rural, cessible en dehors du cadre familial.
Depuis sa promulgation en 1946, le statut du fermage s'est caractérisé par l'encadrement strict des libertés et des droits du bailleur et par la protection de l'exploitant. Après avoir été longtemps considérée comme un atout, aujourd'hui, sa rigidité apparaît plus comme un obstacle au développement de l'activité agricole et de la pluriactivité rurale, particulièrement touchées par les difficultés de transmission des exploitations.
Dans ces conditions, la création d'une nouvelle catégorie de bail, soumis au statut mais dérogatoire à certaines de ses dispositions, représente un espoir pour de nombreux propriétaires ruraux ou exploitants à la recherche d'un repreneur.
Pour relever le défi économique en modernisant l'exploitation agricole et en favorisant l'avènement de l'entreprise agricole, la seconde donnée essentielle tient à la facilitation des transmissions agricoles.
L'agriculture française est aujourd'hui confrontée à un enjeu crucial de renouvellement de ses générations. On compte aujourd'hui en France métropolitaine un peu moins de 600 000 exploitations agricoles, dont 60 % sont dites professionnelles compte tenu de leur dimension économique. Le nombre de ces exploitations professionnelles est en diminution constante, de l'ordre de 2,3 % par an.
A l'horizon 2020, du fait de la pyramide des âges, 250 000 exploitants devraient quitter l'agriculture pour prendre leur retraite. De même, plus de 200 000 salariés de la production et 150 000 salariés travaillant dans les différentes organisations professionnelles agricoles partiront à la retraite pendant la même période.
Afin de favoriser ce renouvellement, donc d'inciter à l'installation en agriculture, le projet de loi prévoit différents types de mesures visant à encourager l'installation sociétaire ou à permettre la transmission progressive d'exploitations individuelles.
Ainsi, l'article 6 vise à instaurer une réduction d'impôt de 50 % des intérêts perçus au titre du différé de paiement accordé à un jeune agriculteur par un contribuable cédant son exploitation, dans le cadre d'un contrat de vente progressive. Il s'agit d'un nouvel instrument fiscal qui devrait favoriser l'installation des jeunes agriculteurs, et qui est d'ailleurs très bien accueilli par les représentants de cette catégorie d'exploitants.
Le projet de loi d'orientation agricole vise également à relever le défi social en améliorant les conditions de vie des exploitants et en sécurisant leurs revenus.
A cette fin, il contient diverses mesures de nature à améliorer le quotidien des agriculteurs. On peut citer notamment les dispositions de l'article 9, qui s'adressent aux exploitants agricoles soumis à de fortes contraintes en termes de présence sur l'exploitation - je pense aux éleveurs laitiers - et constituent une incitation fiscale intéressante au remplacement pour congé par un tiers. En effet, cet article introduit un crédit d'impôt destiné à prendre en charge la moitié des coûts liés à l'emploi d'un salarié en cas de remplacement.
Cette mesure fiscale devrait permettre aux exploitants qui sont soumis à une astreinte quotidienne sur leur exploitation de bénéficier de meilleures conditions de vie et de travail. Elle devrait aussi constituer une incitation à l'installation des jeunes agriculteurs, parfois rebutés par l'intensité du rythme de travail sur les exploitations.
L'amélioration des conditions de vie des agriculteurs passe aussi par la sécurisation de leur revenu, et plus globalement par le développement des outils de gestion des risques et des aléas en agriculture.
Un des enjeux cruciaux pour l'agriculture moderne est en effet de parvenir à développer une assurance propre à ce secteur qui soit économiquement viable.
Dans un contexte d'essor de l'assurance récolte face à une augmentation des risques, les articles 18 et 19 du projet de loi visent à permettre une réorientation du Fonds national de garantie des calamités agricoles vers un nouveau partage des responsabilités entre les exploitants agricoles, les entreprises d'assurance et l'Etat.
Il s'agit de répondre aux spécificités de l'assurance récolte. Le risque de survenance des aléas est si élevé que le niveau des primes et cotisations d'assurance s'avérerait dissuasif pour une partie des exploitants, déjà confrontés à un niveau élevé de charges, en l'absence soit d'une incitation par l'Etat en phase initiale de développement de l'assurance agricole, soit d'une aide de la collectivité nationale en cas de calamité agricole.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. Traditionnellement, l'assurance agricole est développée presque exclusivement contre les risques liés à la grêle et à la tempête - ainsi qu'au gel pour les exploitations viticoles - alors que les autres risques, sécheresse, inondation, échaudage, vents de sable, relèvent des calamités agricoles et la solidarité nationale lorsqu'ils ne sont pas pris en charge par les exploitants eux-mêmes.
L'indemnisation des dommages causés par les aléas climatiques aux exploitations agricoles est estimée à un coût annuel moyen de 401 millions d'euros, répartis entre les exploitants, à hauteur de 309 millions d'euros - c'est-à-dire les trois quarts -, et l'Etat, à hauteur de 92 millions d'euros. Les contrats d'assurance récolte couvrent environ 300 000 exploitations.
Dans ce contexte, la prise en charge par le Fonds national de garantie des calamités agricoles d'une partie des primes et cotisations d'assurance proposée par ce projet de loi répond à une réorientation du fonds dans le cadre de l'essor d'une nouvelle assurance multirisques climatiques. Cette prise en charge est apportée par l'Etat en contrepartie d'une extension des risques couverts.
L'article 18 du présent projet de loi crée le cadre nécessaire à cette évolution en modifiant les missions du Fonds national de garantie des calamités agricoles.
L'article 19 tend, quant à lui, à requalifier la Commission nationale des calamités agricoles en « Comité national de l'assurance en agriculture », conformément à la réorientation de l'activité du Fonds national de garantie des calamités agricoles vers l'encouragement à l'essor de l'assurance agricole.
Enfin, l'article 20 modifie les conditions d'utilisation de la déduction pour aléas, outil fiscal de gestion des risques en agriculture, de façon à la rendre plus attractive et à développer son utilisation, encore très en deçà des espérances initiales.
Sur le plan environnemental, le projet de loi d'orientation agricole, qui est un texte riche, tend à répondre aux préoccupations exprimées par la société française en encourageant des démarches écologiques : c'est son troisième objectif majeur.
Ainsi, l'article 12 contient deux mesures visant à supprimer des contraintes pesant sur deux produits de l'exploitation agricole et forestière à usage énergétique : les huiles végétales pures, qui ont été évoquées par M. le rapporteur et sur lesquelles nous aurons l'occasion de revenir au cours des prochains jours,...
M. Gérard César, rapporteur. Tout à fait !
M. Joël Bourdin, rapporteur pour avis. ...et le bois de chauffage.
Le projet de loi rappelle également les objectifs fixés par le Gouvernement en matière de production de biocarburants et d'encouragement à cette production.
En outre, l'article 24 introduit un avantage fiscal sous forme de crédit d'impôt pour les entreprises ayant achevé leur conversion à l'agriculture biologique afin de favoriser le maintien de l'activité de celles qui auront fait l'objet d'une certification en agriculture biologique.
En effet, si la France se situe dans la moyenne européenne pour les aides à la conversion, elle n'accorde en revanche, contrairement à tous les grands pays agricoles européens, aucune aide au maintien des pratiques répondant aux critères de l'agriculture biologique, aide qui devrait prendre le relais des aides à la conversion.
La commission des finances a émis un avis globalement favorable sur ce texte, bien qu'elle ait déposé quelques amendements qui, je l'espère, recueilleront l'approbation du Sénat. Enfin, je me réjouis pour conclure, monsieur le rapporteur, de l'excellente collaboration qui a régné entre la commission des affaires économiques et la commission des finances. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 103 minutes ;
Groupe socialiste, 67 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » (Ah ! sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Ce vers de La Fontaine pourrait fort bien s'appliquer, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aux exploitations agricoles, victimes des crises à répétition, des monopoles de la grande distribution, de la PAC et de l'OMC.
Bien plus qu'une loi d'orientation agricole, ce texte « met le turbo » pour en finir avec tout ce qui a permis à des générations d'agriculteurs d'exister, de vivre ou de survivre parfois, de conquérir leur indépendance foncière, humaine et sociale depuis la Seconde Guerre mondiale. En témoigne ce titre d'Ouest-France du 19 octobre dernier : « Douze jours pour façonner une agriculture libéralisée » et, toujours dans le même article : « Les états d'âme à droite qui s'étaient manifestés lors de la discussion ont été remisés aux vestiaires... »
Le texte donne le coup de grâce à ces centaines de milliers d'agriculteurs et à leurs familles, qui, aux yeux du Gouvernement et de ceux qui le soutiennent, n'ont plus lieu d'exister. La théorie selon laquelle « moins nombreux nous vivrons mieux » n'a pourtant jamais fait ses preuves en France, où, malgré la réduction des effectifs agricoles - de 3 847 000 en 1979 à 1 189 000 en 2003 -, 60 % des ménages ne paient pas l'impôt sur le revenu !
Le texte donne également le coup de grâce à la multifonctionnalité de l'agriculture préconisée par la précédente loi d'orientation agricole de 1999. Après avoir supprimé les CTE et la modulation, il laisse libre champ à l'injuste répartition des aides et conforte le principe selon lequel 80 % des aides vont à 20 % des agriculteurs. De surcroît, il ouvre de nombreuses portes à l'entrée de capitaux extérieurs à l'agriculture qui échappent au pouvoir des agriculteurs.
D'une part, le texte s'inscrit totalement dans la logique de l'OMC, qui préconise des prix agricoles mondiaux extrêmement bas ne permettant pas aux agriculteurs français de survivre. Il laisse penser qu'en augmentant la compétitivité et la productivité il serait possible de se rapprocher de cette aberration économique qu'est le prix mondial.
D'autre part, le texte s'inscrit dans la baisse des prix agricoles, la réduction et la renationalisation des aides. Le 29 mai dernier, 70 % des agriculteurs ont su dire « non » à ces orientations confirmées et amplifiées par la loi d'orientation agricole que nous nous apprêtons à examiner.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Gérard Le Cam. L'amnésie et la cécité des promoteurs de ce texte pourraient conduire à de nouvelles déceptions, mais la ligne de conduite du Gouvernement n'est-elle pas de dire : « Libéralisons, libéralisons, il en restera toujours quelque chose ! »
Venons-en à l'analyse des principales dispositions de ce texte, où le plat de résistance est servi dès l'entrée alors que les amuse-gueules viennent clore le menu !
En 1999 déjà, la majorité de droite du Sénat s'était acharnée à modifier les titres des chapitres et articles de la loi Glavany, en y introduisant systématiquement les mots « entreprise » ou « entrepreneur ». La droite a au moins un mérite, celui d'avoir de la suite dans les idées, même quand elles ne sont pas bonnes ! (Marques d'approbation sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
L'entreprise agricole et ses nouvelles formes sociétaires permettant à des non-agriculteurs d'entreprendre est un pas de plus vers la privatisation capitalistique de l'agriculture.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Gérard Le Cam. Le dispositif de création d'un fonds agricole comparable au fonds de commerce ou artisanal intègre le foncier, le cheptel et le matériel, ce qui est normal, mais se voit grossi par des éléments incorporels tels que les quotas laitiers, les quotas de tabac, de carbone peut-être, les DPU, les marques de producteurs, les accords commerciaux.
Permettez-moi quelques remarques à ce sujet.
Premièrement, le volume financier exorbitant de ces fonds va rendre de moins en moins transmissibles les exploitations agricoles.
Deuxièmement, les éléments incorporels ne vont profiter qu'à une seule génération d'agriculteurs, appât de circonstance pour trouver grâce auprès du monde agricole.
Troisièmement, ces éléments incorporels n'ont pas été achetés par les agriculteurs, ils leur ont été accordés et ne peuvent donc être vendus. Ils sont donc inconstitutionnels au sens de l'égalité de traitement des citoyens.
Quatrièmement, ces fonds ne peuvent être amortissables sur le plan comptable ; ils pénalisent donc les futures générations, à savoir nos enfants et nos petits-enfants.
Cinquièmement, le nantissement du fonds agricole, présenté comme une garantie, risque a contrario d'accroître la dépendance des futurs acquéreurs vis-à-vis des organismes bancaires.
Sixièmement, ce fonds, censé organiser la transparence, régularise de fait les multiples pratiques frauduleuses qui intégraient déjà dans le cadre des transmissions certaines valeurs incorporelles légalement non commercialisables. Il légalise donc la fraude existante, ce qui est peu flatteur dans un texte de loi !
Le fonds agricole optionnel est une fausse bonne idée, monsieur le ministre. Opportunité d'aujourd'hui, handicap de demain et vecteur d'une financiarisation forcenée, nous le combattrons au cours du débat.
La deuxième grande idée de ce texte est le bail rural cessible hors du cadre familial. Cette mesure nous prépare à un débat succulent au sein de cette assemblée, où votre majorité va exiger toujours plus de garanties et de droits pour le bailleur, malgré les larges compensations fiscales et financières que leur accorde le texte. Cela s'appelle « le beurre et l'argent du beurre » !
Il est vrai que ce nouveau type de bail comporte de multiples inconvénients.
Premièrement, il remet en cause le statut du fermage, qui, jusqu'à présent, n'autorisait de transmettre le bail sans autorisation qu'au conjoint ou aux descendants.
Mme Hélène Luc. Cela, c'est très important !
M. Gérard Le Cam. Deuxièmement, ce type de bail s'attaque encore au statut du fermage en permettant au bailleur le non-renouvellement sans motif.
Troisièmement, il engage pour dix-huit au lieu de neuf ans, et fait flamber le loyer des terres jusqu'à 50 % de majoration.
Quatrièmement, il interdit au bailleur, sauf paiement d'une indemnité, de conserver toute maîtrise de l'avenir et du choix de ses locataires, y compris sur ses propres descendants.
Cinquièmement, il supprime le droit de préemption des SAFER.
Enfin, sixièmement, il va créer de sérieuses difficultés aux collectivités locales en matière d'acquisition et de prix pour leur développement. Ainsi, monsieur le ministre, comment pourra-t-on acheter ou exproprier des terrains faisant à la fois partie d'un fonds agricole et d'un bail cessible ? La question mérite d'être posée.
L'article 2 bis, qui autorise la participation de personnes morales aux sociétés agricoles bénéficiant de mises à disposition de biens loués, conforte notre analyse du texte. En effet, l'apport en capitaux de non-exploitants ouvre des brèches insoupçonnables quant à la maîtrise des orientations de demain et à la prise de participation de puissances financières hostiles à notre agriculture.
L'article 5 atténue le contrôle des structures de la CDOA, tout particulièrement celui des agrandissements. Il va dans le sens du libéralisme et supprime les derniers freins à la concentration en relevant les seuils de contrôle et en soustrayant du champ de l'autorisation préalable la diminution du nombre d'associés - les prises de participation au capital d'une exploitation - le contrôle des élevages hors sol et l'action régulatrice des SAFER.
Quant à l'article 6, nous proposerons de le supprimer dans la mesure où il fait porter tous les risques financiers à l'agriculteur cédant dans le cadre du crédit-transmission.
Le chapitre II a trait à l'amélioration de la protection sociale et des conditions de travail des personnes. Si les mesures d'accès au statut de conjoint collaborateur vont dans le bon sens, elles doivent être rendues obligatoires. Quant au crédit d'impôt relatif au remplacement pour congé de l'exploitant, il risque de se heurter à un déficit de main-d'oeuvre et à une précarisation de celle-ci, dans la mesure où il nécessiterait 16 000 emplois pour seulement 3 900 équivalents temps plein.
La multiplication des exonérations de charges sociales au sein de ce chapitre ne va pas dans le sens que nous préconisons et les contributions sociales des entreprises sont nécessaires au bon fonctionnement de notre modèle social, mis à mal ces dernières années. Réduire le code du travail à une peau de chagrin d'un côté et faire des cadeaux au patronat de l'autre ne relève pas d'une politique responsable.
Le titre II prétend consolider le revenu agricole et favoriser l'emploi. Pourtant, parler de revenu agricole sans évoquer la question centrale des prix agricoles relève d'un tour de passe-passe dont le Gouvernement a le secret ! Certes, la biomasse et les biocarburants peuvent être des sources de revenu non négligeables, mais la frilosité du Gouvernement en matière de défiscalisation est évocatrice du devenir de ces filières : demain, comme pour d'autres productions, ce seront l'Etat et ses taxes, les usines de transformation des matières premières, les exploitations industrielles et l'« agrobusiness » qui se « sucreront » aux dépens des producteurs ordinaires.
Quant à la participation de l'ONF dans des sociétés privées, à savoir les industries de transformation du bois, c'est le début de sa privatisation par effet inversé : le jour où elle possédera un pourcentage suffisant de capitaux dans le secteur privé, elle n'aura plus lieu de demeurer dans le giron public.
L'organisation de l'offre constitue le second volet d'une politique agricole destinée, selon le texte, à consolider le revenu. Ce volet de la loi n'est pas le moins libéral, loin s'en faut ! Sous des aspects techniques et organisationnels, il instille partout les germes d'une agriculture calquée sur le monde industriel.
Aujourd'hui, environ 50 % des producteurs ont choisi de ne pas commercialiser leurs produits par l'intermédiaire des organisations de producteurs. Cette liberté de choix est mise en cause par le mécanisme de la loi, qui privilégie les organisations de producteurs - OP - et le transfert de propriété des produits agricoles. Il s'agit, en fait, de généraliser l'intégration, de faire des agriculteurs les futurs salariés des organisations de producteurs. Nous en avons déjà constaté les dégâts dans le département des Côtes d'Armor, en Bretagne, pour la filière avicole, qui était la plus intégrée.
Dire que le regroupement de l'offre permettra de faire face aux centrales d'achat, c'est tromper le monde agricole. Les centrales achètent où elles veulent, quand elles veulent et au prix qu'elles ont décrété !
Tant que des mesures nationales et communautaires coercitives ou incitatives ne seront pas prises à l'égard des centrales d'achat, il sera vain de parler d'une véritable politique de revenus rémunérateurs pour les producteurs. Ni la loi relative aux nouvelles régulations économiques, ni la loi relative au développement des territoires ruraux, ni le coefficient multiplicateur ne sont parvenus à établir des relations équilibrées entre producteurs et centrales d'achat.
Le troisième et dernier volet de la politique des revenus a trait aux aléas climatiques et à l'assurance récolte. Les mesures préconisées encouragent le recours aux assurances privées, au détriment de mesures de solidarité nationale et de renforcement du Fonds national de garantie des calamités agricoles, le FNGCA.
En ce qui concerne la coopération agricole, le texte tue définitivement l'esprit coopératif en introduisant les parts sociales à avantage particulier pour les coopérateurs les plus argentés et en permettant aux associés non coopérateurs porteurs de capitaux de percevoir des dividendes, à l'image de ce qui se passe dans n'importe quelle société privée.
Le titre III de la loi tente de « répondre aux attentes des citoyens et des consommateurs ». Le Gouvernement se donne ainsi bonne conscience en confiant l'évaluation du risque lié aux intrants agricoles à l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA. Il privatise au passage les contrôles de véhicules transportant des denrées alimentaires en habilitant des agents, via un GIE, à assurer ces contrôles en lieu et place des agents des directions des services vétérinaires, les DSV. Il adapte le régime de signes de qualité à la réglementation communautaire,... le tout par ordonnance, s'il vous plaît !
Enfin, de modestes gages sont jetés en pâture à l'agriculteur biologique, qui se voit attribuer un crédit d'impôt de 2005 à 2007 et la possibilité de conclure un bail environnemental.
Le titre IV a pour objet de simplifier et moderniser l'encadrement de l'agriculture.
La coordination des organismes d'enseignement, de formation, de recherche et de développement agricole, sans doute nécessaire, aboutira-t-elle à la pensée unique du modèle agricole français, voulue par cette loi ?
Le dispositif génétique doit passer sous les fourches caudines du service universel, ce qui veut dire, en français, qu'il est livré à la concurrence du secteur privé !
Enfin, les offices agricoles sont restructurés en un organisme de paiement, l'Agence unique de paiement, qui est concernée par les aides du premier pilier, tandis que le Centre national pour l'aménagement des grandes cultures, CNASEA, sera chargé des aides du second pilier.
Bien que très technique, l'article 29 signe le début de la fin des offices, de leurs fonctionnaires et personnels à statut public. Un signe qui ne trompe pas : l'Agence unique des paiements, l'AUP, pourra employer des personnels sous contrat à durée indéterminée.
Je laisse le soin à notre collègue Gélita Hoarau de traiter des questions spécifiques liées à l'outre-mer, domaine qu'elle connaît beaucoup mieux que moi et qu'elle aura à coeur de défendre dans quelques instants.
Monsieur le ministre, notre groupe estime que votre texte est contraire à l'idée que nous nous faisons d'une agriculture moderne du XXIe siècle.
Nous ne sommes ni des passéistes, ni des archaïques, ni des nostalgiques.
M. Jacques Blanc. Un peu quand même !
M. Gérard Le Cam. La modernité, pour nous, c'est placer l'homme au coeur des défis de notre société et non faire de lui une variable d'ajustement de la rentabilité des capitaux investis, comme le confirment vos orientations libérales et ultralibérales.
Par conséquent, nous combattrons ce projet de loi en sollicitant de nombreuses suppressions d'articles. Mais, parce que nous avons une vision de l'agriculture dont notre pays et notre ruralité ont besoin, nous proposerons aussi un certain nombre d'amendements constructifs.
Dans les dix ans à venir, l'agriculture française ira tout droit, avec cette future loi, vers une diminution spectaculaire du nombre de ses exploitations, qui va être divisé par deux ou trois.
Le modèle agricole dont la France a besoin devrait s'articuler autour d'objectifs clairement définis, qui sont les suivants.
Assurer l'indépendance alimentaire du pays à partir de structures multifonctionnelles, de taille différente, aux productions variées, au sein desquelles exploitants et salariés sont le plus nombreux possible, avec des revenus réguliers et rémunérateurs.
Donner les moyens aux jeunes, diplômés ou non, d'accéder au métier d'agriculteur, en revalorisant la dotation aux jeunes agriculteurs, la DJA, en l'accordant à tous et en assurant les compléments de formation nécessaires tout au long de la carrière.
Favoriser l'accès au sein des exploitations en développant et en modernisant les GAEC et l'achat de parts sociales.
Encourager l'agriculture familiale et multifamiliale.
Accorder les droits à produire au prorata des emplois existants sur l'exploitation et interdire leur commercialisation.
Répartir les aides différemment, en tenant compte des emplois existants et des différences de capacité productive des régions.
Adapter les cotisations sociales au revenu agricole.
Elever de manière significative le montant des retraites agricoles, en mettant à contribution les superprofits de la grande distribution et de l'« agrobusiness ».
Diversifier les modes de commercialisation, en favorisant la vente directe ou collective, les sociétés coopératives d'intérêt collectif, les sociétés coopératives de production, en interdisant la vente à perte, et en contraignant, par la loi, à pratiquer des prix rémunérateurs.
Etablir des coopérations mutuellement avantageuses avec les pays du Sud.
Repenser la PAC et sortir l'agriculture des négociations de l'OMC.
Rassembler agriculteurs, consommateurs et distributeurs autour d'objectifs solidaires tenant à la qualité sanitaire et environnementale, au prix et à la coopération.
Recréer le lien affectif entre agriculteurs et non-agriculteurs au moyen de la reconnaissance du travail et du rôle de chacun.
Conforter le rôle culturel, social et économique de l'agriculture en milieu rural et périurbain.
Mme Hélène Luc. Très bien !
M. Gérard Le Cam. Oui, ces propositions non exhaustives sont aux antipodes du projet de loi qui nous est soumis ! Elles permettraient pourtant de réorienter l'agriculture dans un sens humain et moderne.
Au moment où le ciel s'assombrit puisque la PAC réduit ses soutiens internes et ses subventions aux exportations de l'Europe, baisse son pantalon devant l'OMC en proposant une baisse des tarifs douaniers de 35 % à 60 % selon les produits, et alors que la plupart des productions sont en crise, nous n'avons pas besoin d'une loi qui amplifie les causes de la situation actuelle !
« Nous sommes en guerre. Une guerre sans trêve pour conquérir le marché intérieur et le marché extérieur... », affirme le ministre brésilien de l'agriculture. Oui, le veto du Président de la République était nécessaire à Hong Kong, mais il n'était pas suffisant. Oui, critiquer le comportement du commissaire européen Peter Mandelson, qui brade l'agriculture française, c'est nécessaire, mais ce n'est pas suffisant. Il faudra, demain, réformer la PAC, l'OMC, et, de nouveau, la politique agricole française si nous voulons construire un monde meilleur pour les hommes et non pour le capital. Là est toute la contradiction de la majorité gouvernementale, qui soutient un texte moulé sur mesure pour répondre aux objectifs de la PAC et de l'OMC. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
(M. Adrien Gouteyron remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)