M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question n° 766, adressée à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Daniel Reiner. Monsieur le ministre, je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur les suites de la tempête de 1999, dont les conséquences se font toujours sentir, même après six ans, et sur l'exercice de la solidarité nationale en faveur des communes les plus touchées à l'époque.
La Meurthe-et-Moselle a été le troisième département le plus touché en volume, après la Gironde et les Vosges. Il a même été le plus affecté en parts de volume de bois sur pied -près de 30 %, toutes espèces confondues - et, sur les deux cents communes les plus sinistrées de France par cet événement climatique, cinquante sont situées dans mon département, notamment dans le sud du Toulois et dans le Piémont vosgien.
Les rentrées financières que certaines de ces communes retiraient de la vente de bois représentaient jusqu'alors les trois quarts de leurs recettes totales.
Dans sa réponse du 7 août 2003 à l'une de mes questions sur ce sujet, le ministre en charge de ce problème m'avait indiqué que le Gouvernement envisageait de resserrer progressivement son dispositif d'aide sur les communes les plus touchées - cela semble cohérent -, ajoutant qu'il lui semblait préférable d'adapter chaque année les dispositifs à la situation réelle des communes plutôt que d'arrêter de façon pérenne des modalités qui se révéleraient peut-être rapidement obsolètes. Une circulaire du 8 mars 2005 a effectivement reconduit une enveloppe de près de 12 millions d'euros pour aider les treize départements concernés.
Cependant, une récente étude, commandée par le conseil général de Meurthe-et-Moselle à un organisme indépendant, montre clairement que cinquante communes vont connaître de très graves difficultés budgétaires et que, sans visibilité à moyen et à long terme sur les aides de l'Etat, elles vont se trouver dans des situations financières inextricables.
Paradoxalement - mais on le comprend bien -, nombre de ces communes n'ont pas été aidées par l'Etat dans un premier temps, du fait des recettes exceptionnelles qu'elles ont retirées de la vente des chablis. Il convient toutefois de reconnaître que la répartition des subventions a été améliorée au fil des années.
Il nous paraît donc essentiel de préserver, sur le long terme, un système d'aides pour les communes les plus touchées. Pourriez-vous nous rassurer sur ce point, monsieur le ministre ? C'est l'objet de ma première question.
Une seconde question essentielle tient à la reconstitution des forêts sinistrées. Cette reconstitution tarde, faute de moyens, et les élus s'inquiètent de la révision à la baisse des barèmes des aides.
Alors qu'il est prioritaire, pour accélérer la régénération des forêts, de trouver de nouveaux débouchés aux produits forestiers, y compris les bois de petite taille, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, semble laisser entendre à plusieurs maires qu'il y aura une réduction des moyens qu'elle consacre au soutien des projets de bois-énergie. En période de pétrole cher, cette perspective nous semble contradictoire.
Je souhaite donc connaître les engagements du Gouvernement en faveur des communes les plus sinistrées, s'agissant aussi bien de la pérennisation des aides budgétaires au-delà de 2006 que du soutien à l'investissement forestier, notamment la reconstitution des forêts.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le président, comme vous l'avez rappelé à juste titre, les ministres ne doivent pas oublier que leur situation est par définition précaire et provisoire : il convient donc de se préoccuper de leur avenir !
Monsieur Reiner, M. Nicolas Sarkozy, ne pouvant être parmi nous aujourd'hui, m'a demandé de répondre aussi précisément que possible à vos interrogations.
Comme vous l'avez rappelé, les tempêtes de décembre 1999 ont fortement déséquilibré la situation budgétaire des communes qui tiraient habituellement des ressources substantielles de l'exploitation des forêts. Elles ont particulièrement touché les communes forestières du département de Meurthe-et-Moselle.
Un dispositif gouvernemental a été mis en place à compter de 2000 pour venir en aide aux communes forestières sinistrées. Ce dispositif s'est appuyé à la fois sur des aides budgétaires, des prêts bonifiés pour le stockage des bois, des aides à la sortie et à la valorisation des chablis, ainsi que sur la possibilité de placer en bons du Trésor les recettes exceptionnelles tirées de la vente des chablis.
Vous vous interrogez en particulier sur l'avenir des aides budgétaires aux communes forestières sinistrées, d'une part, et sur le soutien à l'investissement forestier, d'autre part. Vous souhaitez par ailleurs obtenir des précisions quant au soutien qu'apporte l'ADEME aux petits projets de bois-énergie.
S'agissant des aides budgétaires, de 2000 à 2004, une enveloppe globale cumulée de plus de 53 millions d'euros a été dégagée sur les crédits du ministère de l'intérieur. Pour 2005, près de 8,9 millions d'euros ont de nouveau été délégués dans les départements où subsistent des communes forestières en difficulté.
Ces crédits sont destinés aux communes dont les recettes forestières représentaient au moins 10 % des recettes de fonctionnement totales, en moyenne, sur la période 1996-1998, et qui, du fait de la baisse de leurs recettes forestières, connaissent un déséquilibre budgétaire.
Cette aide temporaire est attribuée sous la forme d'une contribution à l'équilibre budgétaire des collectivités. Elle ne constitue pas une indemnisation pour perte de recettes - cette précision est utile - et elle n'est donc pas destinée à compenser l'intégralité des pertes de recettes forestières des collectivités bénéficiaires.
Bien entendu, le département de Meurthe-et-Moselle est particulièrement concerné par ce dispositif. Ainsi, le montant des crédits délégués pour 2005 s'élève à 1,35 million d'euros, soit 15% de l'enveloppe totale. Cette enveloppe permettra d'aider une centaine de communes de votre département, monsieur Reiner. Je vous précise d'ailleurs que, s'agissant de la Meurthe-et-Moselle, le montant des crédits a été maintenu au niveau de l'année 2004.
Vous avez souligné, monsieur le sénateur, que la situation de certaines communes reste malgré tout particulièrement fragile. Le Gouvernement en est conscient et c'est pourquoi, dans une circulaire du 8 mars dernier, il a été demandé aux préfets d'accorder une priorité aux communes dont le volume de chablis représente au moins cinq années de production.
Cette orientation suit exactement les conclusions de la mission interministérielle d'évaluation et de prospective sur la situation des communes forestières sinistrées lors des tempêtes de décembre 1999 : un resserrement progressif du dispositif sur les communes les plus touchées par les tempêtes est préconisé.
Enfin, vous m'interrogez sur la pérennisation du dispositif. Sur la base de l'analyse de la mission interministérielle, le Gouvernement a estimé qu'il était préférable d'adapter chaque année le dispositif d'aides budgétaires plutôt que de le fixer de façon pérenne. Ce pilotage au plus fin permettra à l'avenir de s'adapter à la situation réelle des communes qui connaissent les plus grandes difficultés, contrairement à un dispositif pluriannuel qui se révélerait sans doute assez rapidement obsolète. Je peux d'ores et déjà vous annoncer - et c'est une information importante - que ce dispositif d'aides sera reconduit pour 2006.
La politique du soutien à l'investissement forestier relève de la compétence du ministre de l'agriculture et de la pêche, qui a d'ailleurs fait une communication en conseil des ministres sur ce sujet. Il a ainsi rappelé l'engagement pris par l'Etat d'affecter 915 millions d'euros, sur une période de dix ans, au nettoyage et à la reconstitution des parcelles forestières sinistrées.
Nous sommes actuellement à mi-parcours du plan qui a été établi. Celui-ci restera une priorité de l'action de l'Etat. Ainsi, malgré un contexte budgétaire contraint, chacun le reconnaît, les crédits destinés à la reconstitution des forêts ont été concrètement préservés en 2005.
En outre, je vous précise que la création du fonds d'épargne forestière permettra aux communes de constituer une épargne mobilisable pour les investissements forestiers. Selon les termes du décret du 13 avril dernier, relatif au fonds d'épargne forestière, les investissements forestiers réalisés dans le cadre du fonds par les collectivités territoriales pourront bénéficier d'une prime d'épargne versée par le ministre chargé des forêts. M. le ministre de l'agriculture et de la pêche pourra vous apporter plus de précisions sur ce sujet.
Enfin, monsieur le sénateur, vous faites état d'une éventuelle baisse des crédits de l'ADEME au profit des petits projets de bois-énergie. Sachez que la filière bois-énergie n'est pas du tout délaissée par le Gouvernement. En effet, depuis le 1er janvier 2005, les dépenses pour les équipements de production d'énergies renouvelables peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt de 40% dans l'ancien comme dans le neuf, sous réserve de respecter des critères de performance énergétique et environnementale.
Ainsi, le total de crédits consacrés à la forêt et au bois reste aujourd'hui largement supérieur à celui des crédits mis en place avant 1999.
Tels sont les éléments qu'au nom du ministre d'Etat je souhaitais vous apporter en matière d'aide aux communes forestières touchées par les tempêtes de 1999. J'espère avoir répondu à votre préoccupation. Sachez, monsieur le sénateur, que le Gouvernement reste pleinement et solidairement mobilisé.
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. J'espère que votre réponse, dont je vous remercie, rassurera les maires des communes les plus touchées par les tempêtes de 1999. L'une des questions essentielles est, vous l'avez bien compris, monsieur le ministre, la visibilité des budgets sur plusieurs années.
J'entends bien qu'il faut adapter chaque année le dispositif à la situation réelle des communes, et qu'un dispositif pluriannuel d'aides deviendrait rapidement obsolète. Mais, pour être en mesure de préparer leurs projets d'investissement, les maires souhaiteraient y voir clair au moins sur quelques années, afin d'établir raisonnablement des budgets ; or une subvention en cours d'année ne leur permet pas cela, et c'est bien là toute la difficulté !
Enfin, s'agissant du bois-énergie, j'ai cru comprendre que le crédit d'impôt ne s'adressait qu'aux particuliers. Mais il s'agit également de projets communaux. Or, en la circonstance, l'aide de l'ADEME semble faire défaut aux projets communaux dans ce domaine.
avenir des communes
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer, auteur de la question n° 798, adressée à M. le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, je me permets d'attirer votre attention sur l'avenir de nos communes face au développement des structures de coopération intercommunale. Nos maires ont pourtant la chance de bénéficier d'une écoute attentive, grâce à la présence au sein du Gouvernement - je le dis sincèrement - d'un brillant ministre délégué aux collectivités territoriales, donc à nos communes. (Marques d'approbation sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Mais, dans notre paysage institutionnel, la commune s'efface peu à peu devant des structures juridiques multiples et variées, parfois complexes. Je veux évoquer les communautés de communes, les pays, sans oublier les communautés d'agglomération ou les syndicats à vocation multiple, les schémas de cohérence territoriale, les agences locales de tourisme. Vous connaissez bien cela en Auvergne, monsieur le ministre !
Ces structures sont certes nécessaires, mais toutes leurs actions empiètent sur les actions communales ! Les maires sont inquiets car, ils le savent, l'Europe compte 98 508 communes, et la France seulement 36 000, soit quelque 32 % du nombre des communes européennes.
La commune pourra-t-elle continuer de jouer un rôle et apporter des réponses de proximité à nos concitoyens ?
La commune s'appuie sur une vie fédératrice, génératrice de solidarité humaine et de relation permanente. Non seulement elle est le creuset de la démocratie, mais elle apporte également une vitalité différente des autres échelons, certes mieux organisés, plus structurés, mais souvent plus éloignés des réalités et des besoins.
Oui, une commune symbolise l'expression d'une certaine liberté locale, mais aussi celle d'une véritable citoyenneté. Or l'évolution intercommunale éloigne de plus en plus les décisions des hommes et des femmes qui vivent « au pays ».
Si l'action communautaire s'inscrit dans une certaine rationalité, une nécessaire optimisation des moyens, il n'en reste pas moins que la commune demeure et continuera de demeurer un repère fondamental dans l'esprit de nos concitoyens.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, la mairie est le lieu naturel et privilégié des relations humaines, vous le savez tous, mais c'est aussi un lieu d'expression facilement identifiable, où chacun peut aisément venir s'exprimer ou tout simplement trouver une porte ouverte.
Je souhaite savoir comment le Gouvernement entend maintenir cet échelon de proximité et lui donner les moyens de remplir ses missions essentielles au service de toutes nos populations.
Oui, serviteurs de l'ombre, prompts à remplir souvent une tâche désintéressée et imprévue, particulièrement dans le monde rural, les maires incarnent la pleine dimension humaine et sociale de l'élu de proximité prêt à répondre à toutes les attentes.
Ils sont inquiets, monsieur le ministre, car les investissements réalisés sur leurs communes dépendront de plus en plus de décisions centralisées en amont. Ils sont inquiets, car ils redoutent de devenir des officiers d'état civil, des policiers ou même simplement des présidents d'association... Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
Un sénateur de l'UMP. Vous avez raison !
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, vous évoquez à juste titre le rôle fondamental que jouent les communes dans la vie démocratique de notre pays, contribuant notamment à la formation d'une véritable citoyenneté. Leur rôle dans la vie quotidienne de nos concitoyens, par les services de proximité qu'elles assurent et que le Gouvernement s'efforce de défendre, fait également d'elles un niveau irremplaçable de notre organisation administrative.
Le Gouvernement partage votre analyse, et rien dans ses projets ne se fera qui mettrait en cause cette cellule de base de notre vie administrative et démocratique que constituent les 36 000 communes françaises.
Le nombre de communes que vous avez cité est celui de la répartition d'ensemble sur l'Europe. Mais il existe une image sans doute encore plus parlante : c'est la référence à l'Europe des Quinze avant l'élargissement au 1er mai 2004, qui comptait autant de communes que la France en recensait à elle seule !
Pour autant, monsieur le sénateur, avec l'acte II de la décentralisation, et surtout le développement rapide de l'intercommunalité, l'évolution de notre paysage institutionnel impose effectivement de veiller à ce que nos communes ne soient pas « délégitimées », voire « déstabilisées ».
L'intercommunalité ne saurait être remise en cause, comme vous l'indiquez vous-même, car elle constitue une réponse adaptée à la mise en oeuvre rationnelle et optimisée de certaines compétences pour lesquelles l'échelon communal peut s'avérer trop étroit. N'en doutez pas une seule seconde, monsieur le sénateur, à la suite des rapports parlementaires qui ont été rendus publics et dans l'attente du rapport de la Cour des comptes, nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet et de le développer.
Toutefois, pour que le partage des rôles entre les communes et leurs groupements ne se fasse pas au détriment des premières, pour que nos concitoyens continuent d'identifier clairement les différents niveaux de décision, car c'est finalement ce qui importe et ce qui est essentiel à leurs yeux, une rationalisation progressive du paysage intercommunal est nécessaire.
Les instruments juridiques existent depuis la loi du 13 août 2004 : des procédures de fusion simplifiées, par exemple, et surtout - c'est sans doute là l'élément principal, en tout cas celui auquel je crois le plus - l'obligation de définir, dans un délai de deux ans, l'intérêt communautaire au sein de chaque compétence, c'est-à-dire la ligne de partage entre ce qui incombe à la communauté et ce qui continue de relever de l'échelon communal. La définition de l'intérêt communautaire permet non seulement de clarifier les responsabilités respectives des EPCI et de leurs communes membres, mais aussi de conforter ces dernières dans la conduite des politiques de proximité qu'elles sont seules à pouvoir décider de façon pertinente. Il a été demandé aux préfets, en partenariat avec les élus, qui restent naturellement les principaux acteurs en dernier ressort, de mettre en oeuvre de façon active ces démarches pour simplifier et rationaliser notre paysage administratif local.
Vous l'avez observé, le fait que le Gouvernement ait décidé d'accorder jusqu'au 18 août la possibilité de définir l'intérêt communautaire s'inscrit précisément dans cette perspective. Quelle que soit la décision concernant l'intérêt communautaire, soyez certain que les communes se verront réaffirmées dans leur rôle pivot de cellule de base de la vie démocratique. Leur capacité de contrôle des groupements auxquels elles appartiennent, que la loi a prévu par des dispositions instaurant des comptes rendus obligatoires, doit également être confortée.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement entend être attentif au maintien des communes actives et pleinement capables d'assumer le rôle qu'elles jouent dans notre démocratie depuis toujours. Cela s'étend bien sûr aux moyens financiers dont elles pourront disposer, dont le maintien fait partie du pacte entre l'Etat et les collectivités territoriales.
Pour ma part, monsieur le sénateur, une citation d'Alexis de Tocqueville dicte ma conviction concernant le rôle des collectivités locales, tout particulièrement des communes : « Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. »
La commune, là où bat le coeur des hommes ! Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir rappelé, avec votre question, qu'il doit battre durablement et fortement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le ministre, merci de votre réponse, dont la conclusion était particulièrement belle. Je sais que, en Auvergne, vous êtes un homme de proximité. Je l'ai été aussi et je pense le demeurer. C'est quand on est maire que l'on est vraiment en communication avec ses citoyens. Je sais que vous l'avez compris, et vous avez d'ailleurs remarquablement traduit cette analyse collective : l'attachement des communes à leur maire et du maire à leur commune.
Mais, monsieur le ministre, un maire ne sera-t-il pas quelque peu démobilisé s'il ne peut, au cours de son mandat, marquer son passage - c'est fondamental, nous le savons tous - par un projet d'assainissement ou encore une construction ? Je sais que vous avez bien perçu ce sentiment.
M. le président. Je vous remercie, monsieur Jean Boyer, vous qui associez volontiers les élus de la France rurale et ceux qui sont issus du bitume ! (Sourires.)
situation du tribunal du contentieux de l'incapacité de strasbourg
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert, auteur de la question n° 787, adressée à M. le garde des Sceaux, ministre de la justice.
M. Philippe Richert. Monsieur le garde des sceaux, je souhaite attirer votre attention sur la situation du tribunal du contentieux de l'incapacité, ou TCI, de Strasbourg, qui rencontre actuellement un très grand retard dans le traitement des dossiers qui lui sont soumis, en raison d'une sous-dotation en effectif administratif.
Actuellement, il reste plus de 4 500 affaires à traiter, ce qui représente une charge de travail de trente-six mois, pour un flux d'entrée nul, au rythme actuel de sa production.
La situation n'est pas près de s'améliorer, au contraire ! En effet, la moyenne mensuelle des entrées se situe à deux cent vingt dossiers pour cent dix-sept sorties. En clair, la liste continue par conséquent de s'allonger !
Une réponse doit être apportée de toute urgence à cette situation, qui rend impossible l'application du délai raisonnable de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Il convient par ailleurs de souligner la lourdeur du fonctionnement des audiences en raison de la présence obligatoire de quatre assesseurs. Ne pourrait-on prévoir un fonctionnement en formation restreinte ?
Le secret médical opposé aux TCI complique leur tâche et rend difficile la manifestation de la vérité, notamment en ce qui concerne les recours introduits par les employeurs.
C'est de la théorie, mais c'est surtout, vous l'avez compris, beaucoup de pratique. Je pense à toutes ces personnes, femmes et hommes, pour qui le passage de leur dossier en TCI représente l'espoir d'obtenir réparation.
Permettez-moi de vous citer l'exemple d'un salarié du conseil général, dont l'état de santé après passage en COTOREP s'est considérablement aggravé en raison d'un accident vasculaire cérébral, dont vous imaginez les conséquences. Or, après cet accident, son nouveau passage en COTOREP s'est traduit par un taux d'incapacité moindre ! Il a fait un recours devant le TCI. Malheureusement, on connaît les délais d'attente : trois ans, quatre peut-être, seront nécessaires pour que son dossier puisse être examiné !
Monsieur le garde des sceaux, je vous remercie de bien vouloir nous faire connaître votre avis sur cette question. J'espère que les dispositions que vous entendez prendre pour améliorer les conditions de fonctionnement et les moyens du TCI de Strasbourg seront de nature à nous rassurer. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, le témoignage que vous venez de nous apporter nous émeut, bien évidemment, et nous avons du mal à comprendre certaines situations.
Vous avez bien voulu attirer mon attention sur la situation du tribunal du contentieux de l'incapacité de Strasbourg et sur le retard dans le traitement des dossiers qui lui sont soumis.
De manière générale, la juridictionnalisation du contentieux technique de la sécurité sociale a effectivement entraîné un allongement de la durée des procédures.
Conformément aux articles L. 144-5, R. 143-36 et R.144-10 du code de la sécurité sociale, le fonctionnement des tribunaux du contentieux de l'incapacité, dans leurs modalités matérielles, relève, pour le régime général, de la compétence du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité ainsi que du ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées et, pour le régime agricole, de la compétence du ministère de l'agriculture et de la pêche, et non de celle du ministère de la justice.
Par une note en date du 18 avril 2005, j'ai attiré l'attention du directeur de la sécurité sociale sur la situation de certains tribunaux du contentieux de l'incapacité, dont celui de Strasbourg.
Par ailleurs, un arrêté, modifiant l'arrêté du 14 août 2003, qui fixait le nombre de formations du tribunal du contentieux de l'incapacité de Strasbourg à huit, dont une formation agricole, est en cours d'élaboration. Ce nouveau texte, qui a reçu un avis positif du ministère de l'agriculture et de la pêche et qui reste dans l'attente de l'avis du directeur de la sécurité sociale, porterait le nombre de formations à dix, afin de faire face au stock d'affaires à résorber.
Je puis vous informer que l'ordonnance du 8 juin 2005 relative aux règles de fonctionnement des juridictions de l'incapacité a, d'une part, modifié l'article L. 143-2 du code de la sécurité sociale, en diminuant de quatre à deux le nombre des assesseurs des tribunaux du contentieux de l'incapacité, et, d'autre part, ajouté un article L. 143-2-3 à ce code, qui permet au président, après renvoi, de statuer seul, en cas d'absence des assesseurs régulièrement convoqués.
De plus, le décret du 29 septembre 2005 a modifié l'article R. 143-5 du code de la sécurité sociale, en autorisant le président de la juridiction à changer en cours d'année judiciaire l'ordonnance de roulement, pour assurer notamment le traitement du contentieux dans un délai raisonnable. L'ensemble de ces nouvelles dispositions va donc dans le sens d'une amélioration du délai de traitement des affaires.
Enfin, s'agissant du secret médical, celui-ci est institué en faveur de la personne qui est concernée par les informations médicales.
C'est la raison pour laquelle l'article 104 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale indique que le médecin chargé du contrôle ne doit fournir à l'organisme qui fait appel à ses services que ses conclusions sur le plan administratif. Si le tribunal du contentieux de l'incapacité ne s'estime pas suffisamment informé par ces conclusions, il conserve la faculté d'ordonner une expertise judiciaire. Le médecin chargé de réaliser cette mesure d'instruction doit alors procéder à toutes les recherches utiles pour connaître exactement l'état de santé de l'intéressé. Ainsi sont conciliées, d'une part, l'exigence de secret, qui évite des divulgations prématurées et sans doute préjudiciables, et, d'autre part, l'exigence d'efficacité, qui permet au tribunal de statuer en connaissance de cause.
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Je tiens tout d'abord et avant tout à remercier M. le garde des sceaux de l'attention qu'il porte à ce dossier.
Certes, nous le savons, ce dossier n'est qu'un dossier parmi tant d'autres mais, lorsque des personnes fragilisées sont en cause, il importe que nous apportions rapidement des réponses à leur situation.
Au travers de vos propos, vous avez montré, monsieur le garde des sceaux, votre intention - tout comme celle du Gouvernement - de faire en sorte que le dossier avance. J'espère qu'il en sera ainsi.
Par ailleurs, je me félicite de la possibilité que nous avons de poser au Gouvernement des questions orales. En effet, j'avais déjà envoyé un courrier à ce sujet aux services de votre ministère et la seule réponse que j'aie obtenue a été un accusé de réception... La réponse à ma question orale est nettement plus complète ! (Sourires.)
enquête sur l'attentat de karachi du 8 mai 2002
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, auteur de la question n° 802, transmise à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Godefroy. Avant de poser ma question, je tiens d'abord à rappeler l'hommage rendu dans cet hémicycle par M. le président du Sénat et l'ensemble des sénateurs, le 11 octobre dernier, aux 40 000 victimes du séisme qui s'est produit au Pakistan, et j'assure la délégation pakistanaise présente à Cherbourg de notre profonde tristesse et de notre totale solidarité. Souhaitons que la solidarité internationale se manifeste et soit à la hauteur du drame vécu et, malheureusement, des autres drames à venir dans cette partie du monde.
Monsieur le garde des sceaux, ma question concerne un autre drame qui a eu lieu, le 8 mai 2002 : je veux parler de l'attentat qui a coûté la vie à onze salariés ou sous-traitants de la Direction des constructions navales, la DCN, et en a blessé douze autres, dans l'explosion de leur bus, à Karachi, la capitale de ce pays.
Trois ans et demi se sont écoulés depuis. Le chef de l'Etat et le Gouvernement ont toujours su exprimer leur solidarité et leur soutien aux familles touchées. Des efforts importants ont été réalisés pour couvrir les besoins de ces dernières et répondre à leurs inquiétudes quant à l'avenir, même si leur situation s'est fragilisée après l'annonce du désengagement du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme, l'entreprise DCN ayant été reconnue coupable d'avoir commis une faute inexcusable.
Si ce dossier semble évoluer positivement depuis quelques jours, j'espère qu'il pourra aboutir rapidement dans les meilleures conditions possibles pour les victimes. De plus, comme il en est fait obligation en matière d'accident du travail, je souhaite qu'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail extraordinaire soit convoqué et qu'une enquête interne soit diligentée.
Aujourd'hui, ces familles ont également besoin de connaître les responsables de cet attentat. Or elles n'ont aucune information quant à l'état d'avancement de l'enquête et se sentent tenues à l'écart.
Du côté pakistanais, l'enquête menée par la police locale a conduit à l'arrestation de deux personnes, directement liées à l'attentat, qui auraient été, depuis, remises en liberté - je parle au conditionnel, car les informations parcellaires dont je dispose ne sont pas claires.
Du côté français, il semble que le juge du pôle antiterroriste chargé de l'affaire n'ait toujours pas délivré la commission rogatoire internationale nécessaire au bon déroulement de l'enquête. Les familles n'ont été reçues qu'une seule fois, le 9 mai 2003 et, depuis, elles n'ont plus aucune information.
Tout à fait respectueux du principe de la séparation des pouvoirs, je me permets de vous interroger, monsieur le ministre, car, vous le comprendrez, pour se reconstruire, les victimes et leurs familles ont besoin de voir l'enquête avancer en toute transparence.
Je me permets donc de vous demander comment se déroule aujourd'hui la coopération entre la France et le Pakistan dans la conduite de cette enquête et quels sont les derniers développements de cette dernière.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur, vous avez bien voulu appeler l'attention du Gouvernement sur l'évolution de la procédure judiciaire relative à l'attentat terroriste perpétré à Karachi, au Pakistan, le 8 mai 2002, qui a coûté la vie à onze salariés français de la Direction des constructions navales et en a blessé douze autres.
Je tiens à vous assurer que, à l'instar du chef de l'Etat et du Gouvernement, je partage la douleur des victimes et de leurs familles et reste attaché à ce que les auteurs et les complices de cet attentat soient traduits en justice.
A cet effet, une information judiciaire a été ouverte dès le 27 mai 2002 devant le tribunal de grande instance de Paris, information judiciaire dont le déroulement est depuis lors suivi très attentivement par mes services. Je peux aussi vous informer que de longues et minutieuses investigations sont conduites par les magistrats instructeurs chargés de ce dossier.
Des commissions rogatoires internationales ont notamment été délivrées, afin d'entendre les personnes interpellées dans le cadre de la procédure pakistanaise, de rechercher des témoins de l'attentat et d'identifier les personnes en fuite.
Cependant, ces investigations sont conditionnées à un déplacement des juges d'instruction au Pakistan, afin de se faire remettre les copies de l'ensemble des pièces des investigations diligentées par les autorités pakistanaises, déplacement qui, en l'état, n'a pu avoir lieu, le gouvernement pakistanais n'ayant pas encore donné son accord.
Une fois ce déplacement effectué, ce qui devrait être possible, nous l'espérons, dans les prochaines semaines, les magistrats instructeurs pourront utilement progresser dans leurs investigations et en informer les victimes de ce drame.
Par ailleurs, vous savez, monsieur le sénateur, que trois personnes ont été jugées et condamnées à mort au Pakistan, le 30 juin 2003, pour avoir organisé cet attentat.
Je suis particulièrement attaché à l'élucidation, dans les meilleurs délais, de cette affaire, qui est survenue dans des circonstances dramatiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le garde des sceaux. Toutefois, les personnes concernées ont un peu le sentiment - à tort ou à raison, d'ailleurs - qu'il faudra beaucoup de temps pour connaître les responsables de l'attentat de Karachi, contrairement à ce qui s'est passé pour les attentats du 11 septembre 2001 à New York, et pour ceux de Londres et de Madrid. Or, à mon sens, l'identification des coupables aide beaucoup les familles de victimes à faire leur deuil. Dans l'attente de pouvoir connaître leurs bourreaux, les victimes de Karachi et leurs familles ressentent un profond malaise.
Je veux vous dire, monsieur le ministre - mais je suis certain que vous partagez mon sentiment -, que l'attente est destructrice pour ces familles, et très douloureusement vécue : ces familles doivent savoir qui est responsable de la mort de ceux qui sont revenus dans un cercueil, alors qu'ils étaient au service de la France.
Je comprends certes que cette enquête soit difficile à mener cette enquête dans la mesure où le gouvernement pakistanais doit notamment donner son autorisation.
Quoi qu'il en soit, je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre, de votre réponse, car elle prouve que nous n'oublions pas ces victimes et que tout sera fait pour élucider ce drame qu'elles vivent malheureusement encore dans leur chair.