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Rectification de la nomination de membres d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi relatif au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale actuellement en cours d'examen.

La liste rectifiée des candidats établie par la commission des affaires sociales a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.

Je n'ai reçu aucune opposition.

En conséquence, cette liste rectifiée est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :

Titulaires : MM. Nicolas About, Dominique Leclerc, Alain Gournac, Mme Catherine Procaccia, M. Louis Souvet, Mme Michèle San Vicente, M. Roland Muzeau.

Suppléants : MM. Michel Esneu, Guy Fischer, Jean-Pierre Godefroy, Jean-Marc Juilhard, Mme Valérie Létard, MM. Georges Mouly, Mme Janine Rozier.

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NOMINATION DUN MEMBRE D'UNE COMMISSION

Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que le groupe du Rassemblement démocratique et social européen a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales.

Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.

La présidence n'a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. François Vendasi, membre de la commission des affaires sociales à la place laissée vacante.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M Philippe Richert.)

PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert

vice-président

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Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Discussion générale (suite)

Sauvegarde des entreprises

Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Exception d'irrecevabilité

M. le président. La séance est reprise.

Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, de sauvegarde des entreprises.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, lorsqu'on regarde les chiffres relatifs aux défaillances des entreprises, que l'on constate qu'environ 90 % des procédures collectives se terminent par une liquidation judiciaire et que 150 000 salariés sont licenciés chaque année du fait de la défaillance de leur entreprise, on se dit qu'il faut tout faire pour limiter ce gâchis économique et social. Le toilettage de notre législation est donc bienvenu.

Le projet de loi qui nous est soumis est nécessaire, notamment par ses dispositions renforçant la prévention et permettant ainsi d'anticiper sur une mise en redressement judiciaire qui arrive souvent trop tard pour sauver l'entreprise et l'emploi.

On ne peut, par exemple, contester l'intérêt des mesures qui favorisent l'information, comme le pouvoir d'injonction conféré au président du tribunal à l'égard des dirigeants des sociétés qui ne déposent pas leurs comptes dans les délais réglementaires, ou les modifications apportées à la procédure du mandat ad hoc, dont l'efficacité est prouvée mais qui est malheureusement trop peu utilisée.

On ne peut également contester l'intérêt de la procédure de conciliation, qui se substituerait au règlement amiable et serait ouverte à l'ensemble des entreprises commerciales et artisanales, indépendamment de leur inscription au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. En effet, cette procédure, qui permettrait de saisir le juge dès qu'une difficulté juridique, économique ou financière serait prévisible, augmenterait les chances du conciliateur nommé par le tribunal d'aboutir à un accord entre le débiteur et le créancier et d'assurer, ainsi, la pérennité de l'entreprise.

La création de la procédure de sauvegarde, permettant à une entreprise qui rencontre des difficultés, sans être pour autant en cessation de paiements, de bénéficier d'une procédure collective, est également intéressante.

Ce mécanisme, ouvert sur l'initiative du débiteur, qui entraîne la suspension provisoire des poursuites et maintient le chef d'entreprise à son poste, donnera lieu à un plan élaboré avec les créanciers de l'entreprise réunis en comités et arrêté par le tribunal. Tout en ayant un caractère judiciaire, il apparaît comme un instrument au service d'une logique de continuation de l'activité de l'entreprise et de traitement de ses difficultés par voie contractuelle.

Je voudrais également souligner l'intérêt d'un texte qui vise à réformer les sanctions prises à l'égard des chefs d'entreprise. Ceux dont l'entreprise est en situation d'échec ne doivent plus être systématiquement regardés comme des délinquants économiques ; ils doivent au contraire pouvoir bénéficier d'une « présomption de bonne foi ».

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Tout à fait !

M. Yves Détraigne. Il est important de rappeler qu'en dehors de quelques cas malheureusement trop médiatiques, pour la majorité d'entre eux, les chefs d'entreprises sont des hommes et des femmes pour qui une cessation d'activité constitue un drame, autant que pour leurs salariés.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vrai !

M. Yves Détraigne. C'est la raison pour laquelle il est essentiel de donner une seconde chance à l'entrepreneur et de ne pas étouffer, au premier échec, la volonté d'entreprendre et l'esprit d'initiative dont notre pays a bien besoin à l'heure actuelle.

Les nouvelles dispositions introduites par le projet de loi vont donc dans le bon sens. Mais je crains que la modification des textes et des procédures ne suffise pas, à elle seule, à réduire le nombre d'échecs constatés dans le redressement des entreprises en difficulté.

N'étant ni un spécialiste ni un praticien du droit des entreprises, je suis frappé par la complexité des règles applicables non seulement à la création et à la gestion des entreprises, mais aussi au traitement de leurs difficultés, et je doute que ce projet de loi apporte une simplification. Face à une nouvelle procédure de sauvegarde, qui s'ajoute aux quatre autres déjà existantes, et que le projet de loi améliore, le chef d'entreprise ne risque-t-il pas d'avoir plus de problèmes à déterminer celle qu'il doit suivre en cas de besoin ?

Si nous disposons, avec ce texte, d'une panoplie relativement complète d'outils pour traiter les difficultés des entreprises aux divers stades où elles se situent, en revanche, il faudra beaucoup communiquer pour permettre aux chefs d'entreprises de distinguer ces outils plus nettement, de les comprendre et de les utiliser à bon escient.

A ce titre, je souhaiterais, monsieur le garde des sceaux, que vous nous indiquiez les mesures que vous entendez prendre pour accompagner et faciliter la mise en oeuvre concrète de cette loi.

Je voudrais enfin vous faire part de mes interrogations au sujet de l'écart frappant qui existe entre les 120 administrateurs judiciaires reconnus dans notre pays et les quelque 15 000 procédures de redressement qui sont ouvertes chaque année. Comment ces administrateurs peuvent-ils, dès le début de la procédure, consacrer tout le temps et toute l'énergie indispensables afin d'explorer toutes les solutions possibles et de donner à l'entreprise les meilleures chances de poursuivre durablement son activité ? Ne trouvez-vous pas qu'il y a là matière à réflexion ?

Je sais bien que cette question n'est pas à l'ordre du jour, mais notre pays n'aurait-il pas intérêt à voir augmenter le nombre de ces professionnels, dont le rôle est particulièrement important ?

Telles sont, monsieur le garde des sceaux, les quelques remarques que je souhaitais formuler sur ce texte dont j'ai pu apprécier tout l'intérêt, notamment au travers des travaux de nos rapporteurs, Jean-Jacques Hyest, Philippe Marini et Christian Gaudin.

Vous l'aurez compris, le groupe de l'Union centriste-UDF soutient ce projet de loi relatif à la sauvegarde des entreprises, ainsi que la double ambition économique et sociale qu'il affiche. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.

M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord rappeler que ce texte a été examiné en conseil des ministres le 12 mai 2004, soit voilà plus d'un an. Il a ensuite été discuté en séance publique à l'Assemblée nationale les 1er, 2, 3, et 8 mars 2005. A cette occasion, l'urgence a été déclarée.

Je m'interroge sur le sens de cette déclaration d'urgence. S'il a fallu un an au Gouvernement pour s'apercevoir de l'intérêt de cette réforme, pourquoi celle-ci est-elle devenue si soudainement une priorité ? En fait, cette accélération de la procédure n'est pas justifiée. En l'absence de deuxième lecture, les prérogatives du Parlement sont une fois de plus bafouées. Il est vrai que la méthode du nouveau gouvernement privilégie plutôt les ordonnances : tout va donc se passer en catimini.

Ne s'agit-il pas d'un stratagème supplémentaire pour détricoter la protection sociale des salariés et satisfaire discrètement les intérêts du MEDEF ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Arrêtez ! Vous n'avez pas lu le texte !

M. Charles Gautier. Un document du MEDEF se trouve être encore une fois -  ce n'est pas une surprise ! - la source de la pensée de la majorité. Des pans entiers de ce texte sont repris dans le projet de loi, tout cela enrobé dans un discours pompeux sur la protection de l'emploi et la sauvegarde des entreprises gérées par des entrepreneurs honnêtes et courageux.

C'est le rôle du MEDEF de travailler pour le compte des entrepreneurs ; on ne le blâmera pas sur ce point ! Mais le Gouvernement reprend mot à mot les propositions du MEDEF, devenant ainsi une véritable courroie de transmission.

Ce texte s'inscrit donc dans la logique de votre majorité. Il continue de casser le modèle social français. Il demande toujours plus aux salariés. Après leur avoir déjà ajouté un jour de travail non rémunéré, voilà qu'il protège à nouveau les privilégiés.

Il est évident qu'une réforme du droit de la faillite était nécessaire car, depuis dix ans, rien n'avait évolué. Il était donc important de moderniser la législation, de sorte qu'elle accompagne l'économie et ne devienne pas un carcan. Les textes doivent guider l'évolution de la vie économique.

Nous travaillons ici à la réforme d'une loi de 1985 du gouvernement Fabius, initiée par notre collègue Robert Badinter. Or cette loi et le texte qui nous est soumis aujourd'hui ne sont pas du tout de la même veine.

En 1985, il s'agissait d'instaurer une protection des entreprises confrontées à des difficultés financières, afin de conserver la structure, donc les emplois qui lui étaient attachés. Cette loi, éminemment sociale, prenait en compte le lien qui existe entre l'économie et l'emploi. C'était un texte moderne et réformateur.

Dans le projet de loi qui nous est soumis, aucune mesure ne prend en compte les emplois et les salariés. Nous sommes face à une philosophie complètement différente : il s'agit de protéger l'entrepreneur, sans considération pour ceux qu'il emploie. Certains ont tendance à oublier qu'un entrepreneur est aussi un employeur : il a des droits, mais aussi des devoirs.

La réforme du droit de la faillite ne doit pas se faire au détriment des salariés. Elle ne doit pas non plus être l'occasion d'un alignement du Gouvernement sur les désirs des patrons. Elle doit s'évertuer à présenter un équilibre afin de préserver les entreprises qui sont viables, sans conserver artificiellement des structures qui finiraient de toute façon par sombrer.

Le droit des entreprises en difficulté doit aussi permettre aux entrepreneurs qui rencontrent des problèmes de bénéficier d'une nouvelle chance, tout en sanctionnant ceux qui commettent des abus. Comme tout équilibre, celui-ci est fragile.

L'objet du droit de la faillite est aussi de sauvegarder les territoires. En effet, l'existence et la vitalité d'un territoire sont liées à l'emploi qu'il porte. Sauvegarder l'emploi, c'est sauvegarder les entreprises qui sont implantées sur un territoire, donc préserver celui-ci !

Les collectivités locales sont concernées au premier chef par la qualité du tissu économique de leur territoire. Or la fermeture d'une entreprise constitue une faiblesse dans la chaîne économique.

Tout d'abord, cette fermeture a des conséquences financières importantes pour les salariés de l'entreprise, qui sont eux-mêmes clients des autres entreprises du territoire. La baisse de leur pouvoir d'achat aura donc une répercussion sur l'ensemble de l'économie locale.

Par ailleurs, ces salariés licenciés sont aussi des utilisateurs des services publics. La fermeture d'une entreprise entraînera donc une charge plus importante pour les services sociaux, mais aussi pour les services à la personne. L'éventuel départ massif d'habitants représente en effet une perte importante d'usagers : la collectivité locale sera donc obligée de fermer des classes, des centres de loisirs, des services au public, etc.

Enfin, la fermeture d'une entreprise signifie l'arrêt du versement de la taxe professionnelle, ce qui constitue une baisse des revenus de la collectivité locale concernée.

Cela est grave et important, car il s'agit de la défense des collectivités locales, dont nous sommes ici, au Sénat, les représentants ; il s'agit de la sauvegarde de la richesse de nos territoires et du pouvoir d'achat individuel et collectif.

Mes chers collègues, l'objet du droit de la faillite doit être d'abord de sauvegarder l'emploi. Or cela ne semble pas être prioritaire dans le texte qui nous est soumis : le but politique paraît plutôt être la poursuite de la dérégulation du droit du travail, déjà largement entamée.

La seule nouveauté du texte est la création de la procédure de sauvegarde. Son but annoncé est de prévenir les difficultés d'une entreprise. Nous le savons, avec les procédures actuelles, 90% des sociétés qui déposent leur bilan sont placées en liquidation judiciaire. Afin de faire cesser cette hécatombe, le texte crée une procédure qui devra permettre aux chefs d'entreprises d'anticiper leurs difficultés. Trop souvent, ceux-ci donnent l'alerte trop tardivement, et les ennuis s'étant accumulés, plus rien n'est envisageable pour sauver la structure.

Le fond du problème, c'est que la quasi-totalité de ces entreprises en difficulté sont de très petites structures ; le chef d'entreprise est confronté à des obligations juridiques et fiscales qui, souvent, le dépassent. La taille modeste de son entreprise ne lui permet pas d'avoir un conseiller juridique au quotidien. Il cherche donc à se débrouiller tout seul, et se persuade que ses ennuis sont passagers.

L'idée est belle d'une procédure d'accompagnement du chef d'entreprise dès les premiers signes de faiblesse de sa structure. Or ce texte ne tente rien d'autre que de permettre au chef d'entreprise de licencier plus facilement et de recourir davantage à l'emprunt. Aucune mesure d'accompagnement, aucun moyen de recevoir des conseils juridiques pour faire face aux demandes de l'administration, des créanciers et des salariés ! (M. le garde des sceaux s'exclame.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout !

M. Charles Gautier. Le texte prévoit, tout d'abord, une mesure pour inciter les créanciers à faire à nouveau confiance à l'entrepreneur. Pourquoi pas ? Mais si ses difficultés proviennent d'une erreur de gestion, il n'en saura pas davantage avant qu'après avoir reçu cet argent frais !

De plus, avec ce superprivilège pour les apporteurs d'argent frais, les salaires passent après. Et les indemnités de licenciement passent encore après. On protège les établissements bancaires avant de protéger les hommes ; on est donc en droit de se poser quelques questions.

M. Jean-Jacques Hyest., rapporteur. C'est faux !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est inexact !

M. Charles Gautier. Il est vrai qu'il existe l'AGS, cette fameuse assurance qui prend le relais dans les cas où les salaires ne peuvent pas être payés. Mais cette inversion des rôles est tout à fait choquante. En effet, l'AGS ne doit pas servir à l'entrepreneur pour se décharger du poids des salaires. Un amendement de la commission prend cette éventualité en compte, et c'est déjà une avancée.

Mais revenons à la procédure de sauvegarde. Finalement, tout le débat porte sur l'assouplissement ou non du droit de licencier. En fait, cette procédure n'est qu'une procédure de redressement judiciaire anticipé. Son ouverture pouvant se produire avant la cessation des paiements, on s'est interrogé sur l'intérêt de l'assouplissement du droit du travail et la possibilité de permettre de licencier pour motif économique.

Lorsque l'entreprise ouvre une telle procédure de sauvegarde, elle subit déjà certaines difficultés économiques, mais elle n'est pas forcément en situation suffisamment grave pour cesser de payer ses créanciers.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Charles Gautier. Cette mesure a été introduite par l'Assemblée nationale. Le groupe socialiste a demandé des précisions sur l'application de la procédure de licenciement économique applicable avec cet article. Le problème n'est pas l'application ou non du dispositif de licenciement économique ; cela peut, hélas ! parfois être utile pour une entreprise en difficulté.

Mais il existe deux procédures différentes de licenciement économique : la première, celle de droit commun, contient un certain nombre de règles et de délais relativement longs, et des conditions d'ouvertures strictes ; la seconde, dérogatoire au droit commun, permet, dès lors qu'il y a cessation de paiement, de licencier plus rapidement puisque l'entreprise est en grande difficulté.

La commission des lois de l'Assemblée nationale voulait l'application de la procédure de droit commun, mais avec un raccourcissement des délais, ce qui aboutissait à une véritable dérégulation du droit du travail. D'ailleurs, c'est face aux protestations de nombreux parlementaires, y compris de la majorité, que la commission a retiré son amendement. En définitive, elle a réussi à appliquer à la sauvegarde le licenciement économique de droit commun, même s'il n'y a pas cessation des paiements.

Nous souhaitons néanmoins que cette possibilité soit encadrée. En effet, l'entrepreneur qui ouvre une procédure de licenciement voit ses poursuites levées. Il est donc normal qu'en contrepartie il n'ait pas la possibilité pleine et entière de licencier. C'est donnant-donnant !

Cette réforme n'est donc pas satisfaisante. C'est mettre du sparadrap sur une fracture ouverte ! Elle ne réussira pas à diminuer le nombre annuel de dépôts de bilans. Elle manque d'ambition et ratera son objectif.

Le contexte de 1985 n'est pas celui de 2005.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est sûr ! 

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Après quinze ans de socialisme, c'est certain !

M. Charles Gautier. Le droit de la faillite, comme plus généralement le droit des entreprises, ne peut pas être rendu plus efficace sans une réforme en profondeur des tribunaux de commerce. Le fonctionnement des tribunaux de commerce pose en effet un certain nombre de problèmes. Il est urgent de réformer ces instances, qui ne permettent pas toujours transparence et impartialité. Mais, surtout, on ne peut plus concevoir de réforme ambitieuse du droit des entreprises sur le seul plan national.

L'Union européenne doit nous permettre d'initier une politique économique et sociale forte et protectrice. Pour ce faire, nous devons uniformiser nos législations, et ce le plus rapidement possible, afin de pallier les désagréments que pourrait entraîner l'entrée des nouveaux pays dans l'Union, qui sont dotés de politiques fiscales très différentes des nôtres. C'est ainsi, et seulement ainsi, que nous protégerons efficacement les salariés contre les délocalisations et les transferts de sièges sociaux sauvages.

Pour toutes ces raisons, notamment les traitements différenciés réservés aux salariés, d'une part, et aux créanciers bancaires, d'autre part, nous ne voterons pas ce projet de loi, qui aurait mérité un meilleur traitement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Paul Girod.

M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne vous étonnerai pas en vous annonçant que je ne suis pas vraiment en accord avec l'orateur précédent.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ah !

M. Paul Girod. Tout d'abord, j'ai joué ici un rôle, modeste, mais dont certains ont bien voulu reconnaître le caractère décisif, dans la défense des tribunaux de commerce.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vrai !

M. Paul Girod. Je ne saurais donc m'associer aux propos caricaturaux que nous venons d'entendre.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Paul Girod. Si nous avons protégé les tribunaux de commerce, c'est parce qu'ils ont au moins le mérite d'être composés de gens qui savent ce qu'est une entreprise, ce qu'est une fin de mois, ce qu'est une échéance, ce qu'est un comité d'entreprise et aussi, malheureusement, ce que sont les difficultés dues, par exemple, à la défaillance d'un client.

Personne n'est mieux placé qu'un chef d'entreprise pour examiner de près, avec une formation juridique appropriée et en présence du parquet, les conditions dans lesquelles on peut essayer de protéger un certain nombre de débiteurs face à la cessation d'activité d'une entreprise.

Le droit français est l'un des plus stricts en la matière. Et j'invite l'orateur qui a lancé un appel à une harmonisation des législations européennes à consulter un petit ouvrage fort intéressant élaboré par la division des études de législation comparée du Sénat et consacré à la sauvegarde des entreprises en difficulté.

A la lecture de ce rapport, il apparaît que, ces dernières années, l'évolution va dans le même sens dans tous les pays : avant d'avoir recours aux procédures collectives de liquidation, au redressement judiciaire, dans les conditions généralement acrobatiques que nous connaissons en France, on applique au préalable ce que les Américains appellent la procédure de Chapter 11, et que d'autres nomment différemment. Autrement dit, on permet au chef d'entreprise de se mettre à l'abri de la législation pour essayer, avec des conseillers avisés, de résoudre les difficultés qu'il pressent quand celles-ci sont encore probablement solubles.

C'est exactement ce que j'ai trouvé dans le projet de loi ! Et je crois que c'est un fantastique progrès, tant il est vrai qu'à ne pouvoir faire démarrer une procédure qu'au moment de la cessation des paiements cela revient à n'intervenir que lorsque tout est déjà terminé. Et, sauf miracle, il est impensable que l'entreprise puisse trouver une solution viable.

Tout à l'heure, j'ai fait l'éloge des tribunaux de commerce et j'ai oublié de dire ma réticence eu égard à la carte telle qu'elle existe aujourd'hui : un certain nombre de moyens doivent être rassemblés. Mais c'est un autre problème !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est vrai ! C'est au garde des sceaux de s'en occuper.

M. Paul Girod. J'en reviens au Chapter 11 et à l'assouplissement de la procédure qu'il permet.

Il faut savoir que, neuf fois sur dix, quand une entreprise est en difficulté, c'est parce que sa structure n'est plus adaptée à son véritable patron. Et le patron, contrairement à ce que pensent certains de nos collègues, ce n'est ni le manager ni le capitaliste qui est à la tête de l'entreprise : c'est le client ! Si le client se détourne de l'entreprise, à terme, celle-ci disparaît.

L'objectif est de pouvoir procéder à temps à une adéquation entre la clientèle et l'entreprise, afin de donner des chances de survie de cette dernière.

Personnellement, je ne suis pas certain que le donnant-donnant, en tout cas celui dont on vient de parler, puisse être invoqué. On a l'impression que l'on fait un cadeau au chef d'entreprise en parlant de système de sauvegarde. En réalité, ce qu'il faudrait faire, c'est laisser une certaine souplesse d'adaptation à l'entrepreneur en difficulté, en lui dispensant des conseils.

Procéder à un contrôle judiciaire avant de recourir au système simplifié de licenciements collectifs est peut-être souhaitable. Mais refuser, dans la phase de sauvegarde, le système simplifié - j'ai bien dit le système simplifié, et non pas le système de droit commun - me semble une erreur. Je regrette que cette question n'ait pas été traitée dans le texte qui nous est soumis.

Je pense que l'on enrichirait le projet de loi et la réflexion en trouvant, à un moment quelconque, un moyen de faciliter les licenciements dans cette période difficile. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Dans quelques jours, nous aurons à débattre du projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises et du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance des mesures d'urgence pour l'emploi, qui concerne notamment le contrat de nouvelle embauche. Je ne nie pas qu'il y ait une certaine cohérence entre ces trois textes et, pour ma part, je la trouve heureuse.

Monsieur Gautier, tout à l'heure, vous avez dit que le droit de la faillite devait d'abord avoir pour objet de conserver l'emploi. Non, le but de l'entreprise est non pas de sauvegarder l'emploi, mais de donner satisfaction au client ! Si l'on veut que l'entreprise poursuive son activité, il faut qu'elle puisse satisfaire son client dans des conditions économiquement acceptables pour tout le monde.

Il me vient à l'idée un certain Ugolin, qui mangeait ses enfants pour leur conserver un père... Eh bien ! je crains qu'à vouloir se cramponner exagérément à un certain nombre de règles, nous finissions, pour protéger une conception fausse de l'entreprise, par envoyer nos entreprises dans le mur !

Je ne suis pas de ceux qui se réjouissent du fait que les entreprises doivent trouver, à un moment ou à un autre, des possibilités pour se redresser quand elles sont en difficulté. Je préférerais que l'expansion soit telle que la difficulté ne soit pas même pensable.

On sauvera davantage d'emplois en accordant plus de souplesse aux entreprises dès qu'elles commencent à rencontrer des difficultés plutôt qu'en ajoutant tous les jours des rigidités supplémentaires.

C'est la raison pour laquelle, comme les membres de mon groupe, je voterai ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Serge Dassault.

M. Serge Dassault. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j'ai été heureux d'entendre M. Paul Girod, dont je reprendrai, peut-être en les précisant, quelques-uns des propos. Je suis tout à fait d'accord avec lui : une entreprise, c'est une entreprise, ce n'est pas n'importe quoi !

Mme Eliane Assassi. Ben voyons !

M. Serge Dassault. Le projet de loi de sauvegarde des entreprises a pour objet de mettre en place des dispositifs devant permettre de préserver l'activité des entreprises et de maintenir le plus d'emplois possible.

Cependant, je regrette que, dans ce texte, rien ne semble prévu pour aider les entreprises rencontrant des difficultés de paiement à se restructurer à temps afin d'éviter le dépôt de bilan et la disparition de tous les emplois.

A cet égard, je voudrais dire des choses simples qui correspondent à la réalité du fonctionnement d'une entreprise et que je connais bien, comme tous les chefs d'entreprise.

Si, pour des raisons diverses, une entreprise en difficulté ne licencie pas une partie de son personnel, elle disparaîtra, et la totalité des emplois avec elle.

En effet, pourquoi une entreprise est-elle en difficulté sur le plan financier ? Ce n'est pas par hasard, ce n'est pas volontaire, ce n'est pas pour complaire au MEDEF ou aux actionnaires ; c'est parce qu'elle a trop de dépenses et pas assez de recettes.

Pour la sauver, que faut-il faire ? Augmenter ses recettes ? Mais non, c'est impossible, car il faudrait pour cela accroître ses ventes, donc ses ressources. Or c'est précisément parce que ses ventes sont insuffisantes, pour diverses raisons - perte de contrats, non-compétitivité, concurrence internationale, etc. -, qu'elle est en difficulté.

L'entreprise doit donc réduire ses dépenses. Mais comment ? La seule façon est de réduire un personnel surabondant, n'ayant pas assez de travail. Cela signifie que, pour éviter de déposer son bilan, il faudrait que l'entreprise puisse licencier une partie de son personnel,...

Mme Eliane Assassi. Tout est dit !

M. Serge Dassault. ... et pas seulement étaler ses dépenses. Si on le lui refuse, ce sera tout son personnel qu'elle devra licencier quand elle aura fait faillite.

C'est une règle fondamentale, qu'il faut prendre en compte : les entreprises n'embaucheront que si elles peuvent licencier en cas de baisse de charge. Si l'on refuse cette règle qui s'impose à toute activité, à tout chef d'entreprise, il n'y aura plus d'embauche en France, notre budget ne sera pas équilibré et le chômage, c'est automatique, continuera à s'aggraver.

Mme Eliane Assassi. Parce qu'il n'y a pas de croissance du chômage, aujourd'hui, en France ?

M. Serge Dassault. La rigidité de l'emploi ne constitue pas du tout une protection de celui-ci. Bien au contraire, elle est la cause principale du chômage en France. Elle n'existe d'ailleurs ni au Royaume-Uni, ni au Danemark, ni aux Etats-Unis, où le taux de chômage est de 5 %, ce qui n'est pas un hasard.

C'est pourquoi il faudrait permettre aux entreprises menacées de cessation des paiements d'utiliser les procédures simplifiées de licenciement prévues en cas de redressement judiciaire. Ce n'est pas très compliqué et c'est ce qu'a proposé Xavier de Roux à l'Assemblée nationale, au nom de l'UMP. Malheureusement, M. Perben a opposé un refus. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Eliane Assassi. Vous avez du mal à vous entendre, en ce moment !

M. Serge Dassault. Je trouve cela regrettable, car si l'on s'interdit d'utiliser le seul moyen susceptible de sauver une entreprise menacée de faillite, qui consiste à l'autoriser à licencier une partie de son personnel, on ne parviendra jamais à sauvegarder les entreprises et à réduire le chômage.

M. Charles Gautier. C'est donc cela le sujet de la loi !

M. Serge Dassault. La prise en charge des salariés menacés de chômage ne peut pas être assurée par l'entreprise seule, surtout quand elle est en difficulté ; elle doit l'être par la collectivité. C'est l'objet des maisons de l'emploi mises en place par M. Borloo, ainsi que de l'application, au Danemark, de ce que l'on appelle la « flexsécurité ».

La sauvegarde des entreprises et des emplois passe non seulement par des mesures financières et juridiques, mais également par des dispositions permettant à l'entreprise de réduire ses dépenses en réduisant son personnel.

Voilà, monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce que je voulais dire au sujet de ce projet de loi, par ailleurs excellent, que je voterai. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Gautier. Au moins, ce n'est pas de la langue de bois ! C'est direct !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je voudrais tout d'abord remercier les membres de la Haute Assemblée qui ont bien voulu participer à ce débat, chacun avec son expérience et, bien entendu, ses convictions.

Je commencerai par répondre à M. Hyest, président de la commission des lois et rapporteur du texte, qui a insisté pour que la réforme entre pleinement en vigueur au 1er janvier 2006. Je m'y engage solennellement !

Cela m'amène d'ailleurs à indiquer à M. Gautier que nous n'avons pu inscrire ce projet de loi plus précocement à l'ordre du jour du Parlement. Nous avons pris beaucoup de retard, puisque le texte aurait dû être examiné et voté par le Sénat voilà au moins neuf mois.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est vraiment l'encombrement de l'ordre du jour qui explique que la Haute Assemblée n'ait pu s'en saisir plus tôt.

Quoi qu'il en soit, je m'engage solennellement, je le répète, à ce que la loi entre en vigueur au 1er janvier 2006. Les décrets d'application seront préparés en trois mois et soumis au Conseil d'Etat à l'automne, pour une publication et une entrée en application au 1er janvier 2006.

En outre, nous préparons également le nécessaire décret tarifaire. Là aussi, je voudrais prendre un engagement devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs : ce texte paraîtra avant le 1er janvier 2006. La rémunération des administrateurs sera étroitement liée aux résultats, comme je l'ai indiqué tout à l'heure dans mon propos liminaire. Elle sera consacrée et encadrée par la loi.

Dans ces conditions, nous constaterons rapidement de premiers effets sur l'emploi et nous pourrons éviter, du moins l'espérons-nous, une partie des 150 000 licenciements économiques enregistrés chaque année.

M. Hyest a aussi mis l'accent sur la nécessité de donner moins d'importance à la date de la cessation des paiements : c'est tout le sens de la création des procédures de conciliation et de sauvegarde. Il ne faut en effet plus attendre pour agir que les difficultés de l'entreprise soient devenues trop importantes, sous peine de ne plus pouvoir y remédier. C'est le principe de la sauvegarde, le mot étant d'ailleurs bien choisi.

Je tiens à vous dire, monsieur Hyest, que j'ai été sensible à vos propos sur l'amendement adopté à l'Assemblée nationale tendant à instituer une nouvelle option en matière de conciliation. A l'origine, en effet, cette dernière n'existait dans le projet de loi que sous une forme unique, débouchant sur une information du parquet et opposable aux tiers. La commission des lois de l'Assemblée nationale a donc proposé, avec l'accord du Gouvernement, d'instaurer, à côté de celle qui figurait dans la rédaction initiale du texte, une seconde option, plus discrète, afin d'éviter que les premières difficultés d'un chef d'entreprise ne soient connues sur la place publique.

Enfin, vous avez salué une seconde initiative de l'Assemblée nationale, monsieur Hyest, ayant trait au rétablissement de la possibilité de cession de l'entreprise au cours de la procédure de redressement judiciaire. A l'époque de l'examen du texte à l'Assemblée nationale, la crainte de la Chancellerie était qu'une entreprise cédée dans de telles circonstances ne fût bradée, mais on ne peut pas non plus interdire de saisir une occasion si elle se présente. Cela n'entraînera, pour autant, aucune obligation.

M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques s'est interrogé, quant à lui, sur la représentation spécifique des membres des chambres de métiers.

Je reconnais volontiers le caractère particulier de l'artisanat et l'importance de ce secteur économique. Néanmoins, il importe de préserver une liberté dans la désignation des administrateurs ad hoc ou des conciliateurs. De même, il ne faut pas créer de nouveaux comités qui susciteraient des lenteurs supplémentaires dans la résolution des difficultés des artisans.

En revanche, je vous rejoins s'agissant de la nécessité, pour l'administration, notamment l'administration fiscale, de prêter une grande attention à la situation des artisans. D'une manière générale, vous pouvez compter sur la pleine mobilisation de l'administration autour de cette réforme des procédures collectives.

Pour sa part, M. Marini a abordé la question de la définition du soutien abusif. (M. le rapporteur sourit.) Vous me voyez venir, monsieur Hyest !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Certes, je partage avec M. Marini l'idée qu'il est nécessaire d'établir un équilibre entre les intérêts des différents créanciers, mais je constate qu'aujourd'hui cet équilibre n'est pas totalement satisfaisant. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a modifié sur ce point le texte présenté par le Gouvernement.

En effet, les établissements de crédit, y compris au niveau de leurs chefs d'agence, doivent pouvoir accorder davantage de prêts aux entreprises sans craindre une mise en jeu excessive de leur responsabilité.

On fait trop souvent observer que les contentieux en matière de soutien abusif ne débouchent pas sur des condamnations. Cela est certes vrai, mais le risque de contentieux constitue néanmoins un redoutable frein psychologique pour le banquier quand il s'agit de prendre une décision en vue d'aider une entreprise.

J'avoue donc ne pas comprendre que le rapporteur général de la Haute Assemblée ne puisse reprendre à son compte la définition du soutien abusif qu'a donnée l'Assemblée nationale et qui permettra, à mon sens, d'éviter les excès dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. La responsabilité des établissements de crédit doit demeurer, mais elle doit être encadrée, au bénéfice du dynamisme de notre économie.

En revanche, je rejoins tout à fait M. Marini lorsqu'il affirme que les métiers d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire sont profondément différents. Je me félicite, à cet égard, du dépôt d'un amendement de la commission des lois du Sénat visant à prolonger l'action de l'Assemblée nationale en distinguant encore mieux les rôles respectifs des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

Par ailleurs, il est nécessaire, comme je l'ai dit tout à l'heure, d'encadrer davantage la rémunération des intéressés. La réforme tarifaire que je me suis engagé à mettre en oeuvre pourra être rapide, puisqu'elle relève d'un décret, qui instituera un mode de rémunération « vertueux », c'est-à-dire fondé non pas sur les actes, mais sur les résultats. A l'issue de cette réforme, la situation sera certainement plus satisfaisante qu'elle ne l'est actuellement.

En ce qui la concerne, Mme Mathon a souligné que la procédure de sauvegarde ne devra pas être utilisée pour procéder à de simples restructurations d'entreprises. Je partage sa préoccupation : il est nécessaire que le droit de licenciement, dans le cadre de la procédure de sauvegarde, soit celui du droit commun. Vous vous souvenez d'ailleurs sans doute, madame la sénatrice, que ce problème a été posé assez bruyamment à l'Assemblée nationale, et qu'il a été tranché dans le sens que vous souhaitez !

J'approuve par ailleurs, sur le fond, les amendements de la commission des lois du Sénat relatifs à l'encadrement de l'intervention de l'AGS au cours de la procédure de sauvegarde.

Je ferai observer à Mme Mathon et à M. Gautier que, pour l'AGS, il sera moins coûteux d'intervenir lors de la procédure de sauvegarde, avant qu'il ne soit trop tard et que tous les personnels de l'entreprise aient perdu leur emploi.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Par conséquent, il me semble incompréhensible de critiquer le fait que l'AGS puisse déclencher son action en amont, alors que cela peut permettre à la fois de sauver des emplois et d'économiser beaucoup d'argent. J'ajoute d'ailleurs que si l'entreprise fait retour à meilleure fortune, l'AGS sera remboursée.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il n'y a donc aucune raison de ne pas approuver le principe de l'intervention de l'AGS au moment de la procédure de sauvegarde.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C'est évident !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je tiens à le dire, car cela relève du bon sens, et non pas d'une option idéologique.

Enfin, vous avez raison, madame Mathon, de demander une définition plus stricte de la sauvegarde. Là encore, M. Hyest présentera un excellent amendement répondant à votre préoccupation.

S'agissant toujours de l'AGS, monsieur de Montesquiou, un amendement de la commission des lois du Sénat tend effectivement à empêcher toute mise en cause systématique de cet organisme dans le cadre des contentieux prud'homaux en cours lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde.

Vous avez également évoqué un autre amendement intéressant que défendra M. Hyest, visant à l'institution d'un droit de recours pour l'AGS lorsqu'elle estimera son intervention infondée du fait de l'existence d'une trésorerie disponible. C'est une question de bon sens !

M. Robert Badinter a rappelé le but de la loi de 1985. Il est vrai qu'à l'époque il exerçait quelque responsabilité. Il s'agissait, nous a-t-il dit, d'assurer la survie des entreprises viables. Je lui en donne volontiers acte, nous partageons tous cet objectif, qui n'est cependant pas exactement le même vingt plus tard.

Quelle est la différence ?

C'est essentiellement sur les moyens que le nouveau projet de loi innove. Il vise à traiter les difficultés très en amont de la cessation des paiements, et non pas quand il est déjà trop tard. D'ailleurs, je n'ai pas compris que ceux qui ont critiqué le projet de loi n'aient pas au moins souligné cet avantage.

Pour ce qui est de l'inspiration, elle ne vient pas simplement du Chapter 11, pour parler comme Robert Badinter, mais de toutes les législations européennes relatives aux procédures collectives. Nos voisins européens n'ont en effet pas attendu pour adopter des dispositifs permettant d'intervenir avant qu'il ne soit trop tard.

Il est possible d'éviter la cessation des paiements lorsque ces difficultés sont prises en compte très tôt. Si on ne le fait pas, il est alors trop tard dans 95 % des cas, et cela aboutit à la liquidation.

Désormais, les procédures de conciliation et de sauvegarde permettront une action anticipée. C'est le coeur du nouveau dispositif, dont la mise en oeuvre devra s'accompagner d'une évolution des mentalités. J'insiste sur ce point, car c'est toute la difficulté du texte.

Si d'aventure le projet de loi ne rencontrait pas le succès escompté, cela signifierait que la culture des chefs d'entreprise français n'est pas au diapason du texte : ils n'oseraient pas aller voir le président du tribunal de commerce pour lui signaler qu'ils ont un incident de paiement et que l'inquiétude les gagne. Or la politique de l'autruche est la pire des politiques, notamment quand il s'agit de gérer une entreprise.

Voilà pourquoi j'appelle de mes voeux ce changement de culture, cette évolution des esprits, que ce texte va précisément permettre et dont les résultats pourront être très rapidement mesurés dans l'économie française.

M. Robert Badinter voit dans cette réforme un simple changement d'étiquette, le contenu de la bouteille restant le même. Honnêtement, ce n'est pas exact. En ce qui concerne la conciliation, par exemple, il y aura désormais une nouvelle sécurité juridique, sans la remise en cause des actes de la période suspecte ; c'est un point important. De même, la sauvegarde est une procédure totalement nouvelle, avec une suspension des poursuites avant la cessation des paiements.

Ce n'est donc pas un simple changement d'étiquette.

Cette procédure sera organisée de manière très novatrice, avec les comités de créanciers, comme a bien voulu le souligner Mme Procaccia, et je l'en remercie.

Monsieur Détraigne, vous fort avez justement souligné la réforme des sanctions qu'opère la loi. Je partage avec vous, monsieur le sénateur, l'idée qu'il est nécessaire d'offrir une seconde chance aux chefs d'entreprise. A cet égard, j'ai été sensible au fait que nombre d'entre vous ont relevé les qualités des hommes et des femmes qui dirigent les entreprises. Ce n'est pas être malhonnête ou incompétent que de connaître parfois des difficultés, il suffit simplement d'être malchanceux.

Ce dispositif ne sera performant que s'il est bien connu, nous allons nous employer à le faire connaître.

Monsieur Gautier, vous avez critiqué la réforme, estimant qu'elle était trop favorable aux entrepreneurs. Mais pourra-t-on un jour, en France, cesser d'opérer cette fausse distinction entre l'entreprise, l'entrepreneur, les salariés, le produit ? S'il n'y avait pas de produit, il n'y aurait pas d'entreprise ; s'il n'y avait pas de salariés, il n'y aurait pas d'entreprise ; s'il n'y avait pas d'entrepreneurs, il n'y aurait pas d'entreprise. Et s'il n'y a pas d'entreprise, il n'y a rien de tout cela !

Dire que cette réforme est trop favorable à l'un, c'est se tromper de question. En effet, si l'on sauve l'entreprise, on sauve tout, y compris le personnel. Et si, sous l'empire de la loi de 1985, on a abouti à 95 % d'échecs, c'est que toute la philosophie du texte de M. Badinter était dans la priorité accordée à la sauvegarde des salariés. Voilà comment on arrive à vingt ans d'échecs !

Aujourd'hui, nous faisons amende honorable, certes bien tardivement. Mais, en France, on a besoin de temps pour comprendre. En l'occurrence, il était temps de cesser de se demander si l'on commençait par les uns ou par les autres, pour enfin réaliser que, en sauvant l'ensemble des acteurs de l'entreprise, on a une grande chance de sauver les salariés.

Monsieur le sénateur, vous méconnaissez la diversité du monde économique, les intérêts des entreprises et ceux des banques, qui sont souvent contradictoires.

De plus, il est inexact de dire que ce texte permet une dérégulation sociale. Il a même été critiqué par ceux qui appelaient à un assouplissement du droit de licenciement en sauvegarde, j'en ai parlé tout à l'heure en répondant à Mme Mathon.

Enfin, il est faux d'affirmer que l'argent frais apporté en conciliation serait remboursé le cas échéant avant les salaires : le superprivilège n'existe que pour les salaires, qui passent avant l'argent frais. Viennent donc d'abord les salaires et ensuite l'argent frais, avant le fisc et avant les ASSEDIC.

Si vous critiquez cet ordre, allez dans votre département, monsieur Gautier, réunissez des chefs d'entreprise et osez leur dire que l'argent frais doit être payé après le fisc, après les ASSEDIC : vous verrez leur réponse.

Autrement dit, ce discours, monsieur le sénateur, vous ne pourriez pas le tenir dans votre département !

M. Charles Gautier. Je ne l'ai pas tenu !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Si, mais peut-être sans vous en rendre compte.

M. Paul Girod a, dans une magnifique intervention, résumé parfaitement la philosophie du projet de loi.

Il s'agit bien évidemment non pas de mettre à bas les règles protectrices des salariés ou des créanciers, mais d'introduire de la liberté, de la souplesse dans un droit des procédures collectives qui est obsolète et rigide.

Je tiens à souligner à quel point vous avez su, monsieur le sénateur, mettre en lumière l'esprit de ce projet de loi et ainsi oeuvrer dans l'intérêt de tous. Ce sont en effet des propos comme les vôtres qui peuvent faire connaître la loi aux chefs d'entreprise français et permettre de mieux faire comprendre l'entreprise aux uns et aux autres.

M. Serge Dassault partage cette philosophie du projet de loi - cela ne surprend pas, son passé et son présent plaident pour lui -, et je l'en remercie. Il souhaite également une simplification du droit du travail.

Ce n'est pas pour botter en touche, mais, franchement, monsieur le sénateur, tel n'est pas l'objet de ce projet de loi. J'ai déjà dit qu'il fallait écarter de nos débats la perspective d'un droit de licenciement qui serait plus souple au moment de la sauvegarde, car cela donnerait une fausse idée du projet de loi.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que m'inspirent vos interventions, dont je vous remercie d'autant plus qu'elles ne manqueront pas d'enrichir la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi,  Mathon,  Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 393, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de sauvegarde des entreprises (n° 235, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Eliane Assassi, auteur de la motion.

Mme Eliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le droit des procédures collectives en France est revisité en moyenne tous les dix ans, - ce fut le cas en 1985, en 1994 et en 2005 - et force est de constater que les réformes ainsi proposées interviennent le plus souvent à l'occasion des périodes basses des cycles économiques.

De fait, il n'est donc pas étonnant d'assister à une nouvelle réforme des procédures collectives à un moment où notre pays connaît une conjoncture économique et sociale difficile, avec une accumulation des faillites, la multiplication des délocalisations d'entreprises, et un taux de chômage qui dépasse la barre fatidique des 10 %.

Au regard d'un tel contexte, nous étions en droit d'attendre une réforme beaucoup plus ambitieuse dans laquelle les mots « maintien de l'emploi » et « sauvegarde de l'entreprise » auraient pris tout leur sens. Tel n'est pas le cas avec le présent projet de loi.

En effet, si l'intention affichée, à savoir tenter de soigner dès les premiers symptômes une entreprise avant qu'elle ne tombe vraiment malade, est louable, en revanche, les moyens pour y parvenir nous semblent contestables à plus d'un titre.

Le texte prévoit que le chef d'entreprise, dès qu'il rencontre des difficultés, peut demander de sa propre initiative à bénéficier de la procédure de sauvegarde ou de conciliation.

Ces procédures vont lui permettre de rester à la tête de son entreprise, de réorganiser celle-ci y compris en licenciant, de négocier ses dettes avec les créanciers de manière confidentielle, et sans en informer les partenaires sociaux, d'obtenir de l'argent frais de la part des banques en échange de quoi elles obtiendront un « superprivilège », enfin d'obtenir de l'Etat, des organismes de sécurité sociale et de l' UNEDIC, des abandons de dettes.

Non seulement je suis loin d'être convaincue de l'efficacité du dispositif que vous nous proposez en termes de sauvetage d'emplois et d'entreprises, mais, de plus, j'estime que celui-ci heurte plusieurs principes fondamentaux de notre droit, notamment ceux qui sont contenus dans le préambule de la Constitution de 1946, motivant ainsi la présente exception d'irrecevabilité.

Tout d'abord, le texte contredit le principe du droit au travail tel qu'il est inscrit dans le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, dont je rappelle les termes : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi ».

Plusieurs aspects du texte relèguent, en effet, l'emploi au second plan, au bénéfice des créanciers, singulièrement au bénéfice des banques.

Les premiers pénalisés par les difficultés des entreprises resteront donc les salariés et leur famille, dans leur emploi et dans leur pouvoir d'achat.

Le spectre des licenciements a plané tout au long des débats à l'Assemblée nationale avec l'amendement d'un député UMP, fort heureusement rejeté, permettant à un chef d'entreprise qui déclencherait la procédure de sauvegarde de recourir à la procédure de licenciement simplifiée, réservée jusqu'alors aux liquidations judiciaires.

On le voit, la tentation est grande de faire en sorte que la loi devienne un moyen de gérer l'entreprise en permettant de contourner la législation, notamment en matière de plans sociaux.

Cette tentation a été présente tout au long des auditions réalisées par la commission des lois du Sénat : la question de l'allègement des procédures de licenciement y a été abordée de façon récurrente.

Or, cela a déjà été dit mais je le redis avec force : il faut cesser de considérer les salariés comme de simples « variables d'ajustement », et les voir plutôt comme des acteurs à part entière de leur entreprise !

C'est loin d'être le cas dans votre texte, monsieur le garde des sceaux. J'en veux pour preuve la référence à la « réorganisation » de l'entreprise figurant à l'article 12 du projet de loi, là où il était précédemment question de « continuation ».

Il va sans dire que derrière le terme de « réorganisation » figure la possibilité de licencier.

Les propos tenus par M. Houillon à l'Assemblée nationale sur cette question sont assez clairs : « La sauvegarde des entreprises est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise, laquelle peut nécessiter un ajustement rapide de la masse salariale ... ».

La sauvegarde des entreprises ne peut-elle vraiment passer que par la diminution de la masse salariale ?

N'y a-t-il vraiment pas d'autres solutions ?

Je pense pour ma part que le risque existe vraiment que certaines entreprises en bonne santé utilisent cette procédure pour procéder à des restructurations de compétitivité au bénéfice de leurs actionnaires ou de créanciers bancaires, en faisant supporter le coût aux fournisseurs, aux salariés, aux créanciers publics, à l'AGS.

Ce risque est d'autant plus grand que le critère d'ouverture de la procédure, à savoir « des difficultés susceptibles de conduire le débiteur à la cessation des paiements » est on ne peut plus subjectif, au contraire du constat d'une cessation des paiements, notion comptable, emblématique du droit des procédures collectives, qui se définit comme étant, pour le chef d'entreprise, « l'impossibilité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible ».

Ce nouveau critère des « difficultés susceptibles de » inséré dans votre texte concerne, en effet, la quasi-totalité des entreprises, puisque celles-ci sont susceptibles d'éprouver des difficultés dès leur création : 36 % des « jeunes pousses » disparaissent au bout de cinq ans, 42 %, au bout de sept ans.

Un tel usage, habituellement qualifié de « dépôt de bilan technique », pourrait être lourd de conséquences pour des entreprises sous-traitantes et entraîner ainsi des faillites en chaîne.

Alors que les licenciements ont un coût, votre projet de loi ne prend aucunement en considération les conséquences de la fermeture d'une entreprise pour l'ensemble de la collectivité.

L'augmentation du taux de chômage représente également des pertes importantes pour les ASSEDIC, pour les caisses de retraite comme pour les caisses de sécurité sociale.

De plus, votre texte est en contradiction avec le principe reconnaissant la participation du salarié à la gestion de l'entreprise, inscrit au huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».

Le traitement des entreprises en difficulté, notamment la mise en place d'une procédure de redressement, fait partie de la gestion des entreprises. Pourtant, ce principe est loin d'être observé dans votre projet de loi, puisque les salariés sont considérés non pas comme des acteurs de premier plan, mais plutôt comme de simples spectateurs, le rôle principal revenant au chef d'entreprise, qui est le seul à décider.

En effet, on ne parle pas de la consultation des salariés ni même de celle du conseil d'administration. Pourtant, les salariés - condamnés dans votre texte à assister de la manière la plus passive qui soit à la dégradation de la situation de leur entreprise - ne sont pas des irresponsables. Il faut cesser de les considérer comme des obstacles au redressement des entreprises et les associer pleinement à sa gestion, y compris en cas de difficulté. En général, ils connaissent bien leur entreprise et peuvent, dans certains cas, jouer un véritable rôle d'alerte en amont, c'est-à-dire avant que la situation de l'entreprise devienne trop critique.

Alors que la loi relative au dialogue social préconise de consulter les salariés lorsqu'un projet de loi les concerne, le présent texte n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour du dialogue social.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Comment ça ?

Mme Eliane Assassi. Si l'on peut concevoir que, après plus de dix ans d'application de la loi de 1994, il était nécessaire de modifier la législation, encore eût-il fallu faire un bilan de cette loi et consulter les personnes directement concernées, à savoir toutes les organisations syndicales, les comités d'entreprise, les délégués du personnel, les élus, et tenir compte de leur avis.

A la place, on nous propose une réforme qui donne aux banques le pouvoir de vie et de mort sur une entreprise. En effet, avec ce texte, celles-ci obtiennent des « superprivilèges », tandis que les salariés, eux, n'ont que le droit d'être licenciés.

Ce projet de loi déséquilibre l'architecture actuelle du droit des procédures collectives, puisque l'arbitrage se fait en faveur des établissements financiers, avec inversion de l'ordre traditionnel des créances bancaires. Ce qui me conduit à affirmer que ce texte porte atteinte au principe d'égalité, élément clé de notre droit constitutionnel.

Je tiens à le rappeler, la loi de 1994, modifiant la loi de 1985, avait renforcé les garanties des organismes bancaires, lesquels ont déjà des sûretés importantes, grâce aux hypothèques, aux cautions et à l'abandon des petits créanciers à leur sort, avec impossibilité de récupérer tout ou partie de la dette.

Aujourd'hui, vous franchissez une étape supplémentaire avec le système du « privilège de l'argent frais », qui permet à un créancier privé, singulièrement bancaire, qui consent une avance, d'être payé par priorité par rapport aux autres créanciers, notamment publics, hormis les créances salariales.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est très bien !

Mme Eliane Assassi. C'est bel et bien un « superprivilège » qui se met en place essentiellement au bénéfice des établissements financiers et au mépris des créanciers publics, donc, de l'intérêt général, puisqu'il s'agit là des deniers des contribuables et des cotisants sociaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Mais c'est pour sauver l'entreprise !

Mme Eliane Assassi. Faire primer les créances bancaires sur les dettes publiques représente un coût pour la société. Ce coût a-t-il été estimé ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'est l'intérêt des salariés !

Mme Eliane Assassi. De plus, en accordant un « privilège d'argent frais » aux établissements de crédit, qui sont pratiquement les seuls à pouvoir consentir de nouveaux prêts, le projet de loi les place en position de force par rapport à l'entreprise, mais également par rapport aux autres créanciers, dont les salariés.

Par ailleurs, leur position est renforcée par la possibilité désormais offerte aux administrations fiscales et aux organismes sociaux d'abandonner leurs créances dans le cadre de la procédure de conciliation. Ceux-ci pourraient se voir ainsi contraints d'assumer des pertes à la place des établissements de crédit, dont le métier est justement de prendre des risques, en échange de paiements d'intérêts.

N'y a-t-il pas là une forme déguisée de subvention ?

L'abandon de créances par les organismes publics et parapublics est d'autant plus critiquable que les grandes banques nationales engrangent depuis plusieurs années des bénéfices record. En outre, les créanciers publics et parapublics pâtissent déjà financièrement du manque à gagner lié aux exonérations de charges consenties par les pouvoirs publics, habituellement pour favoriser, au nom de l'emploi, la compétitivité des entreprises et donc leur survie.

La plupart des firmes françaises bénéficiant de ces exonérations, on peut considérer que les créanciers publics et parapublics sont mis deux fois à contribution.

A cette rupture du principe d'égalité s'ajoute celle du principe de responsabilité, puisque les banques vont désormais voir leur responsabilité atténuée en cas de soutien abusif.

Cette disposition, qui organise l'irresponsabilité bancaire, est contraire aux principes généraux du droit, qui interdisent toute limitation de responsabilité. Elle est de surcroît injustifiée, puisque le nombre de procédures ayant abouti à l'engagement de la responsabilité d'une banque pour soutien abusif est, d'une part, réduit par le montant des indemnités versées après condamnation et, d'autre part, limité, en particulier au regard des bénéfices record des banques.

De plus, le risque encouru par les créanciers privés - y compris les banques - se trouve réduit par la possibilité qui leur est désormais offerte de déduire de leur résultat « les abandons de créances consentis ou supportés dans le cadre d'un plan de sauvegarde ou de redressement. »

En réalité, votre texte aurait dû s'intituler « projet de loi de sauvegarde des intérêts bancaires » !

Toutes ces observations me conduisent donc à douter sérieusement de l'efficacité de votre réforme.

Alors que les défaillances, liées en grande partie à l'organisation économique largement favorable aux grandes entreprises, concernent essentiellement les TPE et les PME, je doute fort que votre dispositif concerne effectivement ces dernières. Je pense, au contraire, que ce sont les grandes entreprises qui vont en bénéficier, comme c'est le cas outre-Atlantique, votre source d'inspiration, monsieur le garde des sceaux.

Or rappelons que les grands groupes industriels ne sont rien sans les PMI sous-traitantes. D'ailleurs, certaines régions seraient désertes sans elles.

Alors que ce sont les TPE et les PME qui ont le plus besoin d'aide pour faire face à leurs problèmes et développer leur activité et l'emploi, et qui devraient par conséquent être les premières concernées par ce projet de réforme du droit des procédures collectives, je crains que la procédure de sauvegarde prévue ne conduise à favoriser les restructurations de compétitivité et donc à nourrir l'« économie-casino ».

Or cette loi ne doit pas devenir un mode de gestion normal de l'entreprise. La situation que connaît notre pays méritait mieux qu'une énième adaptation du droit des procédures collectives allant toujours dans le même sens, à savoir la protection des intérêts bancaires.

En effet, ce n'est pas à coup de réformes législatives comme celle-ci que vous allez améliorer la situation des PMI et des PME, qui participent au maillage économique de la France.

Ce n'est pas non plus le projet de loi de votre collègue M. Jacob qui permettra de remédier à la situation économique et sociale des PME, qui, insérées dans les réseaux de sous-traitance, subissent de plein fouet les politiques des groupes et l'étreinte financière des banques.

Et ce n'est pas non plus le texte de M. Breton pour la confiance et la modernisation de l'économie, qui conforte la mainmise des marchés financiers et des actionnaires sur la gestion des entreprises, qui permettra aux PME de connaître un nouveau développement de leur activité.

Les groupes du CAC 40 ne reportent-ils pas déjà en permanence leurs risques et leurs charges sur les PME sous-traitantes ? De telles pratiques se trouvent amplifiées par une construction européenne qui fait de la concurrence son modèle économique.

Les PME sont directement victimes de cette politique sacrifiant l'emploi et l'industrie, qui constituent pourtant la vie et la force d'une nation.

Il ne faut pas nier la responsabilité des grandes entreprises dans cette situation pour ne retenir que le ralentissement de la croissance et la crise. Un changement radical de politique en matière économique et sociale, fondé sur le choix de l'industrie et de l'emploi contre celui de la finance et de la spéculation, est donc indispensable.

Pour conclure, je dirai que nous en sommes en présence d'un texte idéologique, qui s'inscrit à la perfection dans la continuité de la politique de casse du droit du travail et de remise en cause systématique des lois votées sous la gauche que vous menez depuis 2002. Je veux parler de l'abrogation du volet anti-licenciements de la loi de modernisation sociale, obtenu par les parlementaires communistes, du volet « Larcher » sur les licenciements introduit à la dernière minute dans la loi dite de cohésion sociale, du retour en arrière concernant les 35 heures, de la suppression des emplois-jeunes, et j'en passe.

Par ailleurs, un tel texte ne peut que nous faire regretter l'absence de réforme des tribunaux de commerce - rejetée ici même par la majorité sénatoriale de droite -, réforme sans laquelle toute tentative pour améliorer la législation en matière de traitement des entreprises en difficulté est vaine.

Vous l'aurez compris, mes chers collègues, nous sommes opposés à ce texte. Il ne réglera en rien la question des difficultés des entreprises et, au surplus, il remet en cause des principes à valeur constitutionnelle inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946, tel le droit au travail, auxquels nous sommes profondément attachés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame Assassi, j'aurais beaucoup de choses à dire, mais je m'en tiendrai aux arguments touchant à l'inconstitutionnalité que vous invoquée, singulièrement aux atteintes que le projet de loi porterait à un droit constitutionnellement protégé, le droit au travail.

Rien dans le texte présenté n'autorise une telle affirmation!

M. Charles Gautier. Ce n'est pas ce que dit Dassault !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. M. Dassault dit ce qu'il veut.

M. Charles Gautier. Il dit tout haut ce que vous pensez tout bas !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Gautier, en tant rapporteur de la commission des lois, je pense ce que pense la commission. Et rien ne vous permet de dire que je ne fais pas honnêtement mon travail. Je n'accepte pas ces attaques personnelles !

Pour en revenir à cette motion, encore une fois, mais il faudra le répéter jusqu'à la fin, ...

Mme Eliane Assassi. Il faudra convaincre !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... rien dans le projet de loi présenté n'autorise une telle affirmation.

Le droit du licenciement reste inchangé en matière de sauvegarde, de redressement ou de liquidation ainsi que de superprivilège des salariés. Ces derniers ne sont pas écartés de la gestion de l'entreprise en difficulté. L'intervention des représentants des salariés est assurée, comme dans la loi de 1985, aux phases les plus importantes de la procédure.

Madame Assassi, vous avez également évoqué la concertation avec les organisations syndicales. Vous le savez, je leur ai proposé, et à toutes, d'être entendues par la commission. Aucune n'est venue, sauf une ! Soit elles ne voulaient pas dialoguer avec les représentants du Parlement - ce qui me surprendrait, car nous nous réunissons sur d'autres textes -, soit il ne leur a pas paru nécessaire de nous rencontrer sur ce sujet. J'aurais pourtant souhaité connaître le point de vue des organisations syndicales de salariés au sujet de ce projet de loi, qui concerne aussi les salariés.

Les auteurs de la motion mettent également en avant le privilège de l'argent frais. Encore une fois, puisqu'il faut faire preuve de pédagogie, le bénéfice de ce privilège sera ouvert à toute personne qui apportera des fonds nouveaux au débiteur, lui permettant de poursuivre son activité. Faut-il le rappeler, c'est de l'activité de l'entreprise que dépend le sort des emplois.

Madame Assassi, on parle beaucoup des banquiers. Mais, dans une petite entreprise, l'argent frais vient quelquefois d'un parent ou d'un proche qui veut essayer de sauver les emplois.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce ne sont pas forcément les banquiers qui prêtent l'argent.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Et même rarement !

Mme Eliane Assassi. Ce sont aussi les banquiers !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, mais, si une personne apporte de l'argent pour sauver une entreprise en difficulté, n'est-il pas normal, puisqu'elle prend un risque bien plus important, de lui accorder, après les salariés, un privilège ? Ce serait une erreur de contester ce privilège dit de l'argent frais.

L'octroi d'un privilège spécifique devrait au contraire inciter davantage des personnes - privées et publiques -à contribuer au sauvetage de l'entreprise en lui apportant les fonds dont elle a très vite besoin. La situation des salariés serait-elle vraiment améliorée si l'entreprise, faute de fonds, venait à disparaître, induisant des licenciements plus massifs ?

Le texte semble parvenir à un réel équilibre, qui devrait être d'ailleurs sensiblement amélioré par les amendements présentés par la commission des lois.

Il convient donc de rejeter cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, que rien ne justifie objectivement.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Défavorable.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 393, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi de sauvegarde des entreprises
Art. additionnel avant l'art. 1er

M. le président. Je suis saisi, par M. Yung et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 286, tendant à opposer la question préalable.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de sauvegarde des entreprises (n° 235, 2004-2005).

Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. Richard Yung, auteur de la motion.

M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avant d'engager l'examen du projet de loi de sauvegarde des entreprises, permettez-moi de soulever au préalable un certain nombre de questions qui me paraissent importantes et nécessaires pour éclairer la suite de nos débats.

Le projet de loi trouve son origine dans la nécessité de moderniser le droit applicable aux entreprises en difficultés - fin de vie des entreprises, faillite, règlement judiciaire. Aujourd'hui peut-être plus encore que dans le passé, la création d'une entreprise représente un acte de courage, d'ambition, un pari sur l'avenir, car nul ne peut prédire ce qu'il adviendra. En effet, le carnet de commandes peut se vider, les produits devenir obsolètes, un concurrent plus fort envahir le marché.

Faire vivre et prospérer l'entreprise relève souvent de la course d'obstacles. Il s'agit sans conteste d'une suite d'actes de foi, de courage et de persévérance, car l'entrepreneur doit faire face aux banquiers, aux fournisseurs, aux financiers et, naturellement, aux clients. L'entreprise doit se développer et évoluer en maintenant un niveau de technique et d'innovation élevé, sous peine d'être dépassée par la concurrence. L'entrepreneur doit également parier sur la croissance externe en exportant ses produits ou ses services si le marché national est insuffisant.

Il nous faut donc soutenir l'effort des créateurs d'entreprises et de ceux qui ont la lourde charge de faire fonctionner celles-ci. Dans une économie de marché, c'est l'une des fonctions sociales les plus importantes, comme l'avait bien compris et souligné le grand économiste autrichien Schumpeter.

Mais il y a plus difficile encore pour le chef d'entreprise que ce que je viens d'évoquer. De nombreux entrepreneurs doivent gravir une roche tarpéienne, et sans aucun espoir d'atteindre le Capitole. En effet, s'il leur est difficile d'avouer les difficultés économiques et financières de leur entreprise, en France, de surcroît, le fait d'aller devant le tribunal de commerce ajoute le supplice à la honte.

Pour quelle raison, en France, les entrepreneurs sont-ils plus réticents que dans les pays de culture anglo-saxonne lorsqu'il s'agit de demander l'intervention de la justice ? Sans doute notre rapport à l'argent, si fortement marqué par le poids de la religion, est-il à l'origine de cette situation. Ainsi, contrairement au protestantisme - et Max Weber l'avait bien remarqué - la culture catholique fait de la faillite ou de la cessation des paiements un véritable acte moralement condamnable et, de fait, socialement condamné.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce n'est plus vrai !

M. Richard Yung. Mais la véritable cause de cette frilosité réside surtout dans le fait que les chefs d'entreprise français n'ont absolument pas confiance dans la justice commerciale de leur pays.

Or, vous l'avez bien dit, monsieur le garde des sceaux, 150 000 emplois sont perdus chaque année de la sorte. Il est donc urgent de se pencher sur cette question et de voir dans quelle mesure nous pourrions sauver, au moins en partie, ces emplois.

Je me dois ici de faire un constat grave : le fonctionnement des tribunaux de commerce contrevient gravement aux principes d'impartialité et d'indépendance énoncés à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La justice commerciale est d'autant plus inéquitable que ses juges ne sont pas toujours des professionnels compétents et ne peuvent pas non plus se consacrer pleinement à leurs fonctions juridictionnelles, dans la mesure où ils doivent consacrer une partie importante de leur temps à gérer leur propre entreprise. Ainsi la justice commerciale française mêle-t-elle élection et cooptation, deux principes radicalement contraires à notre culture juridique.

Quant aux administrateurs judiciaires, ils sont au nombre de 140, ce qui est peu pour gérer 20 000 ou 30 000 cas. Chaque administrateur judiciaire peut-il sérieusement traiter quelque 150 à 200 dossiers ? On peut se le demander. Et, de fait, ils ne font pas toujours leur travail efficacement, travail qui consiste, je le rappelle, à gérer au mieux et à remettre sur pied l'entreprise, « comme s'ils étaient eux-mêmes chefs d'entreprise » - ce sont, je crois, vos propres termes, monsieur le garde des sceaux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tout à fait !

M. Richard Yung. Bien au contraire, grâce au discret décret du 10 juin 2004, ils continuent le plus souvent à se servir des émoluments stupéfiants.

Je vous rappelle qu'il est alloué à l'administrateur un droit proportionnel calculé sur le chiffre d'affaires hors taxes de l'entreprise qu'il administre. Je vous ferai grâce des calculs, mais cela aboutit souvent à des sommes tout à fait extraordinaires qui, de fait, assèchent le peu de trésorerie qui restait dans l'entreprise.

Pourquoi ne pas avoir mis en place plutôt un système de rémunération sur une base forfaitaire ? Il serait intéressant d'en débattre ; nous en aurons d'ailleurs l'occasion puisqu'une série d'amendements a été déposée sur ce point.

Ne croyez-vous pas, monsieur le garde des sceaux, que l'encadrement des honoraires et la moralisation de la profession d'administrateur judiciaire amélioreraient quelque peu une image bien ternie auprès des débiteurs ? Il est en tout cas urgent que le droit commun s'applique à ces quelques administrateurs qui, malheureusement, commencent par se servir au lieu de servir l'entreprise, ses salariés et la société, ce pourquoi ils sont mandatés.

Pour toutes ces raisons, je me permets de vous indiquer, monsieur le garde des sceaux, que votre approche n'est pas la bonne. Au lieu de proposer de nouvelles procédures, dont nous aurions pu discuter, il aurait fallu, pour redonner confiance aux « utilisateurs » du système des procédures collectives, réformer préalablement les structures afin de restaurer la confiance dont la justice commerciale doit être dépositaire.

C'est précisément cette tâche que le gouvernement de Lionel Jospin se proposait d'accomplir avant le changement de majorité.

Pour ce faire, le projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce, initié par Elisabeth Guigou en l'an 2000 et défendu par Marylise Lebranchu jusqu'en 2002, s'articulait autour de trois axes principaux : la mise en place de chambres mixtes dans les juridictions commerciales ; la modification des pouvoirs du président du tribunal ; enfin, la modification du statut des juges élus, avec une réforme du processus électoral, l'institution d'un code de déontologie, le renforcement des règles disciplinaires, ainsi que la mise en place d'une formation obligatoire organisée à l'Ecole nationale de la magistrature.

C'est autour de ces idées-là que nous aurions d'abord souhaité débattre et consacrer notre temps ce soir. Monsieur le garde des sceaux, nous nous demandons pourquoi vous avez enterré cette réforme fondamentale engagée par le gouvernement de Lionel Jospin.

Est-ce en raison de son caractère politiquement sensible ? Pourquoi avez-vous accepté que le Sénat l'ensevelisse dans son inertie volontaire ? (M. le garde des sceaux sourit.) Avez-vous eu peur des pressions exercées par les juges consulaires, bien décidés à défendre leurs privilèges ? Avez-vous craint les réactions de quelques administrateurs et mandataires judiciaires qui ont fait entendre très largement leur voix ? Par ailleurs, en quoi consiste, au fond, ce conseil national des juges consulaires qu'il est proposé de créer, et en quoi constituera-t-il une réponse à nos difficultés et à nos soucis ?

J'évoquerai un dernier point. Nous avons été quelques-uns à être surpris de votre déclaration sur la chaîne parlementaire Public Sénat : le principe qui vous guide dans ce projet de loi serait la simplification. Il nous appartient de vous alerter, monsieur le garde des sceaux : ce projet de loi est, à nos yeux, tout simplement opaque, voire ténébreux !

Non seulement on ajoute un étage à l'architecture du système, mais les renvois incessants et la renumérotation des articles rendent illisibles le projet et, à terme, la loi elle-même, non seulement pour les praticiens, mais aussi, et c'est un comble, pour les conseillers de votre propre ministère ! C'est pourquoi je me permets de suggérer humblement une codification à la suite de l'adoption du texte par le Parlement : elle ne serait pas superflue !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais nous le faisons !

M. Richard Yung. Vous l'avez compris, monsieur le garde des sceaux, les raisons ne manquent pas de voter contre votre projet de loi et d'adopter la question préalable que mon groupe m'a chargé de soumettre aux suffrages de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. A l'appui de la question préalable qu'ils ont déposée, M. Yung et les membres du groupe socialiste font valoir que le texte fragiliserait la position des salariés de l'entreprise en difficulté. M. Yung sait parfaitement que c'est faux. (M. Richard Yung proteste.) Je vous réponds sur l'objet qui figure sur votre motion, monsieur Yung, j'en viendrai ensuite à vos propos, qui sont différents.

Le droit de licenciement n'est pas modifié par le projet de loi : comme à l'heure actuelle, le licenciement simplifié s'appliquera en cas de redressement et de liquidation. En l'espèce, aucune disposition n'a été modifiée. La nouvelle procédure de sauvegarde ne permettra pas le recours au licenciement simplifié ; le droit commun, particulièrement protecteur, s'appliquera.

Nous aurons l'occasion de reparler de l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, l'AGS, mais je peux d'ores et déjà vous indiquer que la commission des lois a proposé un certain nombre de verrous pour faire en sorte qu'il n'y ait ni effet d'aubaine ni détournement de la procédure de sauvegarde.

Monsieur Yung, vous avez essentiellement articulé votre question préalable autour du fait qu'il conviendrait de réformer les tribunaux de commerce avant les procédures collectives. Vous auriez dû le dire en présence de M. Robert Badinter, qui avait également réformé les procédures collectives sans pouvoir réformer les tribunaux de commerce...

Je rappelle tout de même que, si le Sénat s'était opposé au projet de loi portant réforme des tribunaux de commerce, ce n'était pas pour interdire toute évolution de ces juridictions, bien au contraire. D'ailleurs, un certain nombre d'aménagements ont été réalisés depuis. C'est ainsi que la conférence nationale des tribunaux de commerce veillera plus sérieusement à la déontologie.

J'ai toujours dit, monsieur Yung, qu'il ne fallait pas une justice de trop grande proximité en matière de commerce, ce qui pose le problème de la carte judiciaire. Il appartient bien entendu au garde des sceaux, puisque cette carte relève du domaine réglementaire, de prendre les mesures qui s'imposent pour supprimer certains tribunaux trop petits et ne confier les procédures collectives qu'à certaines juridictions techniquement équipées et disposant de juges consulaires en nombre suffisant.

Par ailleurs, la formation obligatoire que nous avions appelée de nos voeux est maintenant effective.

Le Sénat n'était donc pas fermé à toute idée de réforme des tribunaux de commerce, mais il était opposé à une réforme qui prévoyait le recours à des juges professionnels pour les procédures collectives sans prévoir les effectifs correspondants.

M. Paul Girod. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Engager une réforme sans se donner les moyens de l'appliquer n'est pas la meilleure façon de procéder ! C'est l'un des motifs qui nous avait conduits à considérer - et je parle sous le contrôle de M. Paul Girod - que cette réforme n'était pas très sérieuse. Sans compter qu'elle était excessivement stigmatisante pour les juges des tribunaux de commerce.

Je vous le dis franchement, je connais des centaines de juges de tribunaux de commerce qui se dévouent au service de la collectivité, et ce gracieusement, simplement parce qu'ils ont le souci de sauver les entreprises.

Vous avez la chance de ne pas être représentant d'un département, monsieur Yung. Même si quelques affaires malheureuses sont bien à déplorer - et on les ressort toujours ! -, je vous assure que la plupart des tribunaux de commerce accomplissent leur tâche avec beaucoup de conscience professionnelle. Une grande partie d'entre eux ont acquis, dans ce domaine, une compétence réelle que je souhaiterais quelquefois trouver chez certains professionnels !

La meilleure preuve en est que les juridictions commerciales n'enregistrent pas un taux d'appel plus important que les juridictions civiles saisies des affaires commerciales - car vous savez qu'il n'y pas de juridictions commerciales partout.

En ce qui concerne les administrateurs et les mandataires, le garde des sceaux a évoqué le problème de la tarification. Il nous faut avancer sur ce sujet, mais cela ne relève pas du domaine de la loi, c'est d'ordre réglementaire. M. le garde des sceaux pourra peut-être nous apporter de précisions sur ce point.

Je m'étonne également que vous oubliiez la profonde réforme de ces professions introduite pas la loi du 3 janvier 2003.

Quoi qu'il en soit, monsieur Yung, cela me donne l'occasion de vous dire que le concours des administrateurs n'est pas obligatoire. Ils n'interviennent dans les procédures collectives qu'à partir de cinquante salariés ou à partir d'un certain chiffre d'affaires.

Mon souci est que les administrateurs aident également les entreprises plus petites, notamment dans le cadre de la procédure de sauvegarde. Le nombre des administrateurs disponibles peut donc poser problème. Je pense, pour ma part, que, si la profession est bien stabilisée, elle suscitera des vocations. Les administrateurs pourront alors accomplir véritablement leur tâche.

Pour tous ces motifs, il me paraît important de réformer les procédures collectives de manière moderne. Contrairement à ce que vous indiquez, monsieur Yung, un certain nombre de mesures ont été prises, en ce qui concerne tant les tribunaux de commerce que la réforme des professions d'administrateurs et de mandataires judiciaires.

La commission est donc défavorable à cette motion tendant à opposer la question préalable.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Pascal Clément, garde des sceaux. M. le rapporteur a largement traité le sujet.

J'apporterai simplement une réponse à M. Yung sur le problème des tribunaux de commerce.

Je me souviens d'une conversation que j'avais eue avec M. Badinter, alors garde des sceaux ; c'était entre 1982 et 1983, et lui comme moi appelions de nos voeux une réforme des tribunaux de commerce.

Puis, deux parlementaires socialistes - dont l'un est plus connu que l'autre, puisqu'il est resté député - ont lancé une mission d'information sur les tribunaux de commerce, ce qui a eu pour effet de mettre à feu et à sang les élus consulaires. De sorte que l'on désespérait de ne pouvoir jamais plus toucher aux tribunaux de commerce, sinon avant de longues années ! C'était en tout cas l'avis du Premier ministre de l'époque, M. Jospin.

Nous en sommes quasiment là.

En raison du rapport explosif de M. Montebourg, nous ne pouvons plus toucher à rien et nous devons attendre de retrouver un peu de sérénité sur le sujet. Or, à mes yeux, une réforme des tribunaux de commerce est indispensable, mais sans doute pas telle qu'elle a été prévue par M. Montebourg qui, vous le savez, a notamment pour qualité d'être légèrement excessif. (Sourires.)

M. Gérard Longuet. Ce n'est pas l'une de ses qualités, c'est plutôt l'une de ses caractéristiques !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'était une antiphrase, monsieur Longuet ! (Nouveaux sourires.)

M. Richard Yung. Pas d'attaques personnelles !

M. Pascal Clément, garde des sceaux. C'était amical, monsieur Young !

Pour revenir aux tribunaux de commerce, un certain nombre de décisions ont tout de même été prises. Je pense à la réforme de la déontologie des juges consulaires et à l'amélioration de la formation. Ce dernier point est très important, et j'avoue que je suis impressionné par les décisions prises, en particulier au tribunal de commerce de Paris. Je citerai également les sessions de formation, qui sont maintenant ouvertes à tous les élus consulaires de France, et à la création d'un conseil national des tribunaux de commerce.

Enfin, tant du temps de Mme Guigou que du temps de Mme Lebranchu ou de mon prédécesseur, un certain nombre de tribunaux de commerce ont été supprimés, certes avec une relative discrétion, afin de modifier la carte sans pour autant soulever les populations et provoquer de révolution !

En tout état de cause, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion.

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 286, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

(La motion n'est pas adoptée.)

M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes.

M. le président. Mes chers collègues, à la demande de la commission, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt, est reprise à vingt-deux heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

TITRE IER

DISPOSITIONS MODIFIANT LE LIVRE VI DU CODE DE COMMERCE

M. le président. Je vous rappelle que les amendements nos 287 à 339 tendant à insérer des articles additionnels avant l'article 1er ont été réservés jusqu'après l'article 197 et que les amendements nos 343 et 344 tendant également à insérer des articles additionnels avant l'article 1er ont été réservés jusqu'avant le chapitre VII, c'est-à-dire avant l'article 179.