M. le président. L'amendement n° 1, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par le paragraphe suivant :
II - Le présent article entre en vigueur le 31 mars 2006.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Favorable.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I - Sans préjudice des dispositions du I de l'article 5 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 précitée, le montant total dû au titre de la contribution au service public de l'électricité par toute société industrielle consommant plus de 7 gigawattheures d'électricité par an est plafonné à 0,5 % de sa valeur ajoutée.
Un décret en Conseil d'État fixe les modalités d'application du présent article, qui entre en vigueur au 1er janvier 2006.
II - Après l'article L. 135 M du livre des procédures fiscales, il est inséré un article L. 135 N ainsi rédigé :
« Art. L. 135 N - Les agents de la commission de régulation de l'énergie, habilités et assermentés en application de l'article 43 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, peuvent recevoir de l'administration fiscale les renseignements nécessaires à l'établissement du plafonnement de la contribution au service public de l'électricité institué par l'article 14 bis A de la loi n° ... du ... de programme fixant les orientations de la politique énergétique. »
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué. J'ai déjà évoqué cette question dans mon intervention liminaire, mais il convient maintenant d'entrer davantage dans les détails.
Le présent amendement a pour objet de consolider les dispositions de l'article 14 bis A visant à prendre en compte la situation particulière, au regard de la CSPE, des sociétés industrielles grandes consommatrices d'électricité.
Il tend à permettre de bien identifier le plafond supplémentaire de 0,5 % de la valeur ajoutée par rapport au plafonnement existant de 500 000 euros, ainsi que ses bénéficiaires, de préciser qu'il s'agit de la valeur ajoutée de la société considérée dans son ensemble et non d'une valeur ajoutée par site qu'il n'est pas possible de calculer, de faciliter les moyens de contrôle de la Commission de régulation de l'énergie en lui permettant d'accéder aux informations sur la valeur ajoutée détenues par les services fiscaux, enfin de prévoir un décret d'application et de fixer au 1er janvier 2006 la date d'entrée en vigueur du dispositif.
Ce sont là des précisions qu'il est indispensable d'apporter pour rendre applicables les dispositions élaborées par la commission mixte paritaire, s'agissant notamment de l'instauration d'un plafonnement de la contribution à 0,5 % de la valeur ajoutée, dont nous approuvons le principe, et pour éviter, conformément aux souhaits exprimés par de nombreux membres de cette assemblée, que les factures d'électricité des entreprises électro-intensives ne soient exagérément alourdies par la CSPE.
Il convient que les services fiscaux puissent procéder aux analyses nécessaires et que la Commission de régulation de l'énergie puisse accéder aux informations
J'ai déjà indiqué tout à l'heure que l'application du dispositif entraînerait une hausse de 0,3 % du montant de la facture acquittée par un consommateur domestique moyen, la dépense supplémentaire évitée pour les entreprises concernées étant estimée à quelque 100 millions d'euros.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Henri Revol, rapporteur. Cet amendement vise à répondre à une préoccupation exprimée par un très grand nombre de nos collègues, qui souhaitaient voir préserver au maximum la compétitivité des entreprises grandes consommatrices d'énergie, notamment d'énergie électrique.
La commission est donc favorable à cet amendement.
M. le président. Le vote est réservé.
J'indique au Sénat que la commission mixte paritaire propose de rédiger comme suit l'intitulé du projet de loi : « Projet de loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique ».
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. Michel Houel, pour explication de vote.
M. Michel Houel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi que nous allons adopter dans quelques instants marque l'aboutissement d'une réflexion et d'une concertation longues et nourries.
Après le débat national de 2003, la parution du Livre blanc sur les énergies, les échanges de vues suscités par ce dernier, les débats parlementaires sur la déclaration du Gouvernement sur l'énergie du 27 avril 2004, le Parlement a commencé, en mai 2004, soit voilà une année, l'examen du texte qui nous est à nouveau présenté aujourd'hui, à la suite de l'accord intervenu en commission mixte paritaire.
Il va sans dire que, au cours de ces discussions, le texte initial a été très substantiellement enrichi : partis de treize articles, nous en sommes maintenant parvenus à une centaine.
Nous disposons donc de nombreuses mesures pour organiser notre politique énergétique. Les grandes orientations de cette politique sont établies, et une stratégie à long terme est mise en place, qui se décline selon quatre objectifs : sécurité de l'approvisionnement, préservation de l'environnement, mise à disposition d'une énergie à un prix compétitif, garantie pour tous de l'accès à l'énergie.
Ces quatre objectifs seront atteints grâce à la mise en oeuvre de plusieurs dispositifs permettant la maîtrise de la demande, la diversification de notre bouquet énergétique, la sécurisation de nos approvisionnements et, surtout, le développement de la recherche.
De façon complémentaire, nous avons également adopté de nombreuses dispositions tendant à garantir le bon fonctionnement du marché de l'énergie. Je ne les détaillerai pas ici, mais si l'attention s'est un temps focalisée sur l'avenir de l'énergie éolienne, je tiens à souligner que le texte que nous allons adopter est largement plus complet.
Il doit ainsi permettre de disposer d'un arsenal législatif adapté à une politique énergétique équilibrée car diversifiée, intégrée dans des marchés de plus en plus internationalisés et plus respectueuse de l'environnement.
A cet instant, je tiens à féliciter notre collègue rapporteur, Henri Revol, pour le travail très précis qu'il a accompli tout au long des débats parlementaires. Je regrette simplement que l'architecture globale du texte qu'il proposait n'ait pas été adoptée in fine, car elle me paraissait mieux traduire la cohérence générale de toutes les dispositions de ce projet de loi.
Malgré cette réserve, le groupe de l'UMP votera en faveur de l'adoption de ce texte.
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Je me rallie bien évidemment à la position qu'a fort bien exposée M. Courteau, notre líder máximo sur ce texte. (Sourires.)
Cela étant précisé, je voudrais relever que le Sénat a tenu bon sur deux points qui me semblent importants, concernant l'un un secteur émergent de l'économie, à savoir l'énergie éolienne, l'autre le secteur des industries électro-intensives, séculairement présentes sur notre territoire national au travers de grandes entreprises comme Alcan ou Péchiney Electro-métallurgie.
Certes, on a beaucoup plus parlé dans la presse de l'éolien que des industries électro-intensives, qui représentent pourtant une dizaine de milliers d'emplois dans notre pays, raison pour laquelle, sans doute, la commission des affaires économiques du Sénat a tenu à les défendre, y compris en commission mixte paritaire. Je me réjouis que cette opiniâtreté ait finalement débouché, ces derniers jours sinon hier seulement, sur une avancée du Gouvernement que nous approuvons.
Comme je l'ai indiqué, on parle très peu de ce secteur de l'économie, parce que la production d'aluminium, de potasse ou de chlore est moins attrayante, pour les médias, que les nouvelles technologies de l'information ou de la communication. Il revêt pourtant une importance essentielle, car il offre, dans certaines régions de notre beau pays, des emplois à des salariés qui ne rejoindront jamais les secteurs des technologies nouvelles et qui souhaitent travailler à proximité de leur domicile.
Les entreprises concernées par le dispositif de l'article 14 bis A s'étaient initialement implantées près de sites de production d'électricité, celle-ci étant leur matière première principale. Cela leur permettait de bénéficier de contrats dérogatoires au droit commun, en quelque sorte, de tarifs de proximité ayant été mis à mal, d'une part, par l'ouverture du marché de l'électricité, qui, contrairement à ce que l'on pouvait penser, s'est traduite par un alourdissement des factures acquittées par ces entreprises, d'autre part par une loi, que nous n'avions pas votée, faisant reposer la charge de la contribution au service public de l'électricité non plus sur le producteur, mais sur le consommateur.
Dans ces conditions, il était d'autant plus important, aux yeux des parlementaires ayant défendu la mise en place d'un dispositif spécifique aux industries électro-intensives, que l'on aide au rétablissement de l'équilibre économique d'entreprises qui, dès lors, se trouveront moins menacées par des délocalisations - sujet dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines - ...
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Thierry Repentin. ... dans des pays de l'Union européenne ayant éprouvé moins de scrupules que nous à exonérer, parfois totalement, de CSPE les entreprises électro-intensives. Je pense ici à certains pays amis, néanmoins concurrents du nôtre sur le plan économique, par exemple l'Allemagne.
Cette mesure sera très appréciée sur des sites historiques, notamment dans la Somme, en Alsace-Lorraine, à Plombière Saint-Marcel, en Savoie, ou à Loos, dans le Pas-de-Calais, cher à notre collègue Yves Coquelle. (M. Yves Coquelle opine.) Les employés de ces entreprises séculairement installées sur notre territoire y verront comme une certaine reconnaissance, non seulement des difficultés que rencontre ce secteur d'activité, mais également de son importance pour l'économie de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà parvenus au terme d'un processus législatif qui aura duré plus d'un an.
Au cours de l'année écoulée, le protocole de Kyoto est entré en vigueur, posant ainsi le problème de la maîtrise de la consommation d'énergie sous un autre angle.
Dans le même temps, les cours du pétrole s'envolaient pour atteindre des niveaux inédits - le baril frise aujourd'hui les soixante dollars -, et ce sans doute durablement, comme nous le savons tous, ce qui rend encore plus impérieuse la question de nos choix énergétiques.
Pour toutes ces raisons, ce projet de loi est fondamental. Même si certaines problématiques liées à notre stratégie industrielle ont déjà été actées avant même ce vote final - je pense notamment au programme nucléaire EPR -, les enjeux énergétiques sont encore nombreux.
J'évoquerai en premier lieu les principaux points sur lesquels l'Assemblée nationale et le Sénat étaient en désaccord.
Au terme de longues semaines de négociation avec leurs homologues de l'Assemblée nationale, le président de notre commission des affaires économiques et notre rapporteur ont largement obtenu gain de cause, puisque la version résultant des travaux de la commission mixte paritaire est très proche du texte voté par le Sénat à l'issue de la deuxième lecture. Monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, je tiens à vous en féliciter.
En ce qui concerne tout d'abord la forme même du texte, les députés souhaitaient que l'ensemble du projet de loi ait valeur normative. Au contraire, notre rapporteur préférait un texte clarifié incluant une annexe à un projet de loi qui, empiétant largement sur le domaine réglementaire, faisait courir le risque d'une censure, par le Conseil constitutionnel, du quart des dispositions, ce qui aurait considérablement décrédibilisé le travail du Parlement. C'est pourquoi, le groupe UC-UDF se félicite du maintien de l'annexe.
En ce qui concerne les biocarburants, qui ont été évoqués, tout comme l'énergie éolienne, lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, il est inadmissible de revenir sur les mesures contenues dans la loi de finances pour 2005, en favorisant la filière biodiesel au détriment de l'éthanol. Le développement équilibré des deux types de biocarburants s'inscrit dans le cadre du plan national pour le développement des biocarburants lancé par le Premier ministre en septembre 2004, qui se traduit par des volumes d'agrément proches dans les deux filières.
Il serait irrationnel de condamner la filière bioéthanol alors que celle-ci comporte de nombreux atouts légitimant, au-delà de considérations économiques et sociales par ailleurs essentielles, son existence au même titre que la filière biodiesel.
Ainsi, la productivité agricole de la filière éthanol est particulièrement élevée et ses produits bénéficient au surplus d'une marge de progression substantielle en termes d'efficacité énergétique. Enfin, la multiplicité des ressources utilisables telles que les céréales, la pomme de terre, la betterave, le maïs, ou encore la biomasse, permettrait de constituer, pour ces produits dont certains connaissent souvent des périodes de surproduction, des débouchés appréciables. C'est pourquoi le groupe UC-UDF se réjouit de la suppression de l'article 1er octies acquise au Sénat.
Quant à l'énergie éolienne, les deux rapporteurs ont proposé un compromis global reflétant la préoccupation d'organiser un développement de ces installations qui soit harmonieux et respectueux des paysages. Le dispositif mis en place permet de répondre aux nombreux problèmes que doivent gérer les maires des communes concernées, tels que la question des tarifs, la définition des zones de développement de l'éolien, les conditions d'implantation de ces installations et, enfin, la répartition de la taxe professionnelle due au titre de ces installations.
Je vous félicite, monsieur le rapporteur, d'avoir su préserver l'essentiel du dispositif voté à l'unanimité par la Haute Assemblée.
En second lieu, je souhaite revenir sur les orientations majeures de la politique énergétique que ce texte fixe pour les prochaines années et même, il n'est pas trop audacieux de le penser, pour les trois prochaines décennies.
S'il est un point qui me paraît essentiel, c'est celui de la maîtrise de la consommation d'énergie et de la réduction des émissions des gaz à effet de serre. En effet, pour lutter efficacement contre l'effet de serre, une véritable rupture est nécessaire dans nos comportements.
Pourtant, s'agissant des émissions de gaz à effet de serre, la France n'est pas mal placée puisque, grâce à l'importance de son parc nucléaire, elle émet 40 % de moins de CO2 que l'Allemagne, qui utilise beaucoup le charbon, et 35 % de moins que la Grande-Bretagne, qui a plutôt recours au gaz. A cet égard, donc, et sans tomber dans un excès d'autosatisfaction, on peut dire que la France est un pays vertueux, qui jouit d'une certaine avance par rapport à ses partenaires.
L'un des mérites de ce projet de loi est de prendre en compte, et pour la première fois, les considérations liées à la santé et de lier cette problématique à la politique énergétique.
Toutefois, la seule innovation majeure apportée par ce texte en la matière réside dans la création des certificats d'économies d'énergie. Ce dispositif s'inspire d'expériences étrangères, notamment du programme anglais Energy Efficiency Commitment, lequel est cependant dépourvu d'un marché des certificats comparable à celui que prévoit ce projet de loi d'orientation.
Je m'interroge sur la forme de ces certificats, qui peuvent être assimilés à un prélèvement obligatoire affecté, et qui seront distribués, sous forme d'aides à l'investissement, par les grands offreurs d'énergie. Ce dispositif administré pourra encourager certains investissements, mais, à mon sens, il ne pourra pas aisément induire des comportements susceptibles de représenter des gisements d'économies considérables à coûts faibles, voire nuls.
De plus, ce dispositif ne concerne absolument pas le secteur d'activité le plus polluant : les transports.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean Boyer. L'industrie n'est que le troisième secteur en termes d'émission de gaz à effet de serre, les deux premiers étant les transports et les bâtiments.
Les transports sont donc exclus de ce projet de loi.
Je ne reviendrai pas sur cette lacune, ô combien dramatique ! que mon collègue Marcel Deneux a déjà dénoncée. Je me contenterai de rappeler que, pour ce secteur, le développement des biocarburants peut constituer un embryon de réponse.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la première fois que les parlementaires étaient appelés à s'exprimer sur les orientations de la politique énergétique du pays. Avec mes collègues du groupe de l'UC - UDF, je m'en félicite, tout comme je me félicite de la qualité de nos débats.
Vous l'aurez tous compris, le groupe de l'UC-UDF votera ce texte qui, même s'il est encore incomplet, va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l'article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par les amendements du Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires économiques.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 188 :
Nombre de votants | 323 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 158 |
Pour l'adoption | 195 |
Contre | 120 |
Le Sénat a adopté.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. François Loos, ministre délégué. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l'issue d'un débat majeur pour le pays et ouvert il y a maintenant deux ans et demi, je souhaite formuler un regret : certains sénateurs ont en effet préféré parler de Gaz de France, et uniquement de Gaz de France, plutôt que du contenu du projet de loi. Cela dit, je suis à leur disposition pour leur apporter toutes les précisions nécessaires sur l'ouverture du capital de Gaz de France. Nous pensons que cette opération est absolument nécessaire et qu'elle permettra à l'entreprise de faire face aux enjeux actuels du marché du gaz.
Gaz de France est une entreprise de taille moyenne dans son activité comme dans sa place à l'international, et je souhaite que l'ensemble de la représentation parlementaire se rende compte que l'ouverture du capital, loin d'être dictée par l'idéologie, est l'aboutissement d'une longue réflexion sur les enjeux à moyen et à long terme de l'approvisionnement gazier de la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
6
Audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité
Suite de la discussion et adoption des conclusions du rapport d'une commission
M. le président. Nous reprenons la discussion des conclusions du rapport de la commission des lois sur la proposition de loi de M. Laurent Béteille précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Badinter, Collombat, Sueur, Peyronnet, Frimat, Sutour et Dreyfus-Schmidt, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevables les conclusions de la commission des lois (n° 409, 2004-2005) sur la proposition de loi précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise, et dont on a quelque peine à croire qu'elle n'a pas été « inspirée », traduit et trahit une forme peu commune d'acharnement, une volonté peu commune non pas de ne pas comprendre - car, bien sûr, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues de la majorité, vous comprenez fort bien de quoi il s'agit - mais de ne pas entendre : un acharnement, donc, que je considère extrêmement préjudiciable au fonctionnement de nos institutions.
Car enfin, cette proposition de loi est d'abord contraire à la décision du Conseil constitutionnel.
En effet, s'il est un point sur lequel le Conseil constitutionnel a été particulièrement clair, c'est le suivant : « Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles VI, VIII, IX et XVI de la Déclaration de 1789 que le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l'objet d'une audience publique.
« Considérant que constitue une décision juridictionnelle l'homologation ou le refus d'homologation par le président du tribunal de grande instance de la peine prononcée par le parquet et acceptée par la personne concernée,... »
Comme l'a exposé ce matin avec beaucoup de force M. Robert Badinter, dès lors qu'il s'agit d'une décision juridictionnelle, donc d'une juridiction, il faut nécessairement que toutes les caractéristiques qui définissent le bon fonctionnement d'une juridiction se retrouvent ; il faut, par conséquent, que le ministère public soit présent.
Cette proposition de loi est donc contraire à la décision du Conseil constitutionnel.
Elle est aussi contraire à l'avis de la Cour de cassation selon laquelle : « Lorsqu'il saisit le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué par lui d'une requête en homologation de la ou des peines qu'il a proposées dans le cadre de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur de la République est, conformément aux termes de l'article 32 du code de procédure pénale, tenu d'assister aux débats de cette audience de jugement, la décision devant être prononcée en sa présence. »
Quoi de plus clair, mes chers collègues ?
Cette proposition de loi est donc également contraire à l'avis de la Cour de cassation.
Cette proposition est aussi, subsidiairement, contraire à l'une des circulaires de M. Dominique Perben, alors garde des sceaux. Celui-ci a, en effet, pris le 19 avril 2005 une circulaire qui contredisait en quelque sorte la précédente circulaire du 2 septembre 2004, qui stipulait : « Rien n'interdit toutefois à ce magistrat » - sous-entendu, le procureur de la République - « à titre exceptionnel et s'il l'estime indispensable d'être présent pour indiquer oralement au juge du siège les raisons pour lesquelles il a recouru à cette procédure et le bien-fondé des peines proposées ».
Le 19 avril 2005, on assiste à un changement de décor. M. le garde des sceaux Dominique Perben nous dit que sa circulaire ne doit finalement ne pas être appliquée - ce qui, soit dit en passant, est assez singulier - mais du moins a-t-il entendu la voix de la Cour de cassation. D'ailleurs, il écrit : « Seule la décision d'homologation présente un caractère véritablement juridictionnel puisqu'elle est seule susceptible d'appel. Il s'ensuit qu'en cas d'homologation, à la différence de la circulaire du 2 septembre 2004 » - et dont l'auteur n'est autre, je le rappelle, que M. Dominique Perben lui-même -« l'ordonnance devra être lue à une audience publique à laquelle le ministère public doit assister en application de l'article 32 ».
Cette proposition de loi n'est donc même pas en accord avec la position de repli de M. Dominique Perben, adoptée à la suite de l'avis de la Cour de cassation.
Enfin, comme l'a très brillamment montré, ce matin, M. Robert Badinter, cette proposition de loi est contraire à la position du Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat a en effet jugé que « les autres articles applicables à la procédure du "plaider coupable", ainsi que les réserves d'interprétations émises par le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée et s'imposant, pour leur part, à toutes les autorités, distinguaient, certes, l'audience d'homologation des audiences correctionnelles ordinaires, mais tendaient toutefois à lui conférer dans une très large mesure le caractère d'audience préalable à la prise d'une décision juridictionnelle au sens des dispositions générales du code de procédure pénale, dès lors notamment qu'ils impliquaient l'information de la victime sur la tenue de cette audience, ainsi que l'examen par le juge du siège de la justification de la peine au regard des circonstances de l'infraction - elles-mêmes éclairées, le cas échéant, par les déclarations de la victime - et de la personnalité de l'auteur des faits.
« Or, l'article 32 du code de procédure pénal, que la loi du 9 mars 2004 a laissé inchangé, prévoit que "le ministère public" (...) assiste aux débats des juridictions de jugement » et que "toutes les décisions sont prononcées en sa présence". Dans ces conditions, le juge des référés a estimé contestable la position du garde des sceaux selon laquelle les dispositions particulières du deuxième alinéa de l'article 495-9 devaient être regardées comme dérogeant, implicitement mais nécessairement, à ces prévisions générales. »
En conséquence, le Conseil d'Etat a jugé que même la position de repli de M. Dominique Perben était contraire à la loi.
Tout cela explique notre étonnement devant le contenu de cette proposition de loi. Nous ne comprenons pas cet acharnement à n'entendre ni la Cour de cassation, ni le Conseil constitutionnel, ni le Conseil d'Etat.
Il fallait le faire, monsieur le président de la commission des lois ! Personnellement, je nourrissais l'espoir que la commission des lois du Sénat, dans sa majorité, mue par une sorte de révélation nocturne, s'élèverait pour dire : « Mais enfin, écoutons la Cour de cassation, entendons le Conseil constitutionnel, soyons attentifs à ce que dit le Conseil d'Etat ». Hélas, ce fut un rêve !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur Sueur ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous en prie !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En défendant cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité, vous avez, monsieur Sueur, évoqué une décision du Conseil constitutionnel.
Certes, l'interprétation que j'en fais est différente de la vôtre. En revanche, permettez-moi de vous rappeler que, jusqu'à preuve du contraire, la voix du législateur est bien plus forte que celle des hautes juridictions, d'autant que l'on ne pas parler en l'espèce réellement de jurisprudence : pour ce qui est de la Cour de cassation, il s'agit d'un avis, et, en ce qui concerne le Conseil d'Etat, son jugement revêt pour le moins un caractère provisoire puisqu'il s'agit d'une procédure en référé.
Il est tout à fait dans les prérogatives du législateur, considérant qu'il est nécessaire de clarifier certaines dispositions de la loi - ce que nous faisons d'ailleurs en ce moment - de ne pas tenir compte des avis émanant de hautes juridictions.
En cas de difficulté, le Parlement a le droit, je dirais même le devoir d'intervenir, quitte à préciser la rédaction d'un article qui, devenu ambigu à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel, ne serait finalement plus parfaitement conforme à la volonté du législateur.
Je tenais à faire cette mise au point, car il faut qu'il soit bien clair pour tous que, si la commission des lois du Sénat est très attachée à ses devoirs, elle l'est aussi à ses droits.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous en donne acte, monsieur le président de la commission des lois, ce que vous nous proposez est conforme à la loi.
M. Laurent Béteille. A la loi fondamentale !
M. Jean-Pierre Sueur. C'est d'ailleurs bien évident, puisque nous sommes le législateur.
Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas suivi nos requêtes concernant bien des effets de la loi Perben II, mais, s'il est un point sur lequel sa position est claire, c'est que l'homologation est une décision juridictionnelle.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous étions d'accord !
M. Jean-Pierre Sueur. Et une décision juridictionnelle suppose une juridiction. Or une juridiction, dans notre droit,...
M. Laurent Béteille. Le procureur de la République n'en fait pas partie !
M. Jean-Pierre Sueur. ... fonctionne dans des conditions précisément définies par les textes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Lesquels ?
M. Jean-Pierre Sueur. Par ailleurs, il existe un avis de la Cour de cassation. Bien sûr, vous avez tout à fait le droit, monsieur le président de la commission des lois, de dire que, compte tenu de votre statut de législateur, vous êtes supérieur à la Cour de cassation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez parfaitement le droit de le dire comme vous avez le droit de dire que, s'agissant du Conseil d'Etat, il s'agit d'un référé.
Pour ce qui nous concerne, nous pensons qu'il est très intéressant d'entendre ces hautes instances. Nous avons la faiblesse de penser qu'il faut quelquefois avoir la modestie d'entendre et d'écouter. D'ailleurs, au sein de nos commissions, nous procédons à de nombreuses auditions...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. ...et nous avons tout à fait raison de le faire.
En bref, nous pensons, pour notre part, que les avis précités ont quelque titre à être entendus.
J'en viens aux cinq raisons que je voudrais succinctement exposer et qui fondent la présente motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Premièrement, ce texte pose de réels problèmes quant aux prérogatives du juge du siège. Il est évident que ce dernier voit ses pouvoirs très limités en raison de ce qui fait l'essence même de la procédure, ainsi que l'a exposé M. Robert Badinter.
Le texte reste très en deçà des exigences constitutionnelles relatives au pouvoir de contrôle du juge, puisque, si les choses restent en l'état dans la proposition de loi, le président du tribunal de grande instance n'est pas dans la situation d'interroger le procureur sur le dossier et sur les éléments qui fondent sa proposition de peine.
Le texte s'en rapporte à la souveraine appréciation du ministère public qui peut ou non être présent à l'audience d'homologation.
Or il s'agit, pour le magistrat du siège, de prononcer une peine qui peut être une peine d'emprisonnement. Il en portera, en toute conscience, la responsabilité.
Si le magistrat estime qu'il a des précisions, des éclaircissements à demander au ministère public qui lui a communiqué la proposition de peine, après lecture du dossier et audition de l'intéressé et de son avocat, nous considérons qu'il doit pouvoir le faire pour statuer en pleine connaissance de cause.
Le ministère public doit donc être présent à l'audience, pour répondre à toute question du président, voire aux observations de l'intéressé et de son avocat.
L'audience correctionnelle aboutissant au prononcé d'une peine ne peut se concevoir hors la présence du ministère public, prêt à intervenir à tout moment.
Subsidiairement, même si l'on acceptait que la présence du ministère public soit facultative, il devrait être précisé qu'il doit assister à tout ou partie de l'audience d'homologation si le président le demande.
A défaut, l'exigence que le président prononce la peine en pleine connaissance de cause est méconnue. C'est pourquoi nous considérons qu'il s'agit là d'une disposition contraire aux principes constitutionnels.
En deuxième lieu, je veux évoquer les droits de défense.
Les droits de la défense, vous le savez, ont valeur constitutionnelle depuis la décision du Conseil constitutionnel du 21 décembre 1972.
Ces droits ne sont pas, ne peuvent pas être respectés, selon nous, si le procureur est absent de la phase d'homologation.
Alors que le prononcé de la peine - peine parfois d'emprisonnement - est le fait du juge de l'homologation, l'accusé n'aurait pas le droit, devant lui, de discuter de façon contradictoire les faits qui lui sont reprochés par le procureur ? Ce serait contraire à l'essence même de la juridiction et du contradictoire ; ce serait contraire aux principes constitutionnels.
En troisième lieu, je veux indiquer que ce texte, pour nous, pose de très réels problèmes en ce qui concerne les libertés individuelles.
Le juge du siège se voit affaibli, dans son rôle de gardien de la liberté individuelle. Ce principe fondamental, énoncé à l'article 66 de la Constitution, n'est plus garanti si le juge peut prononcer des peines privatives de liberté sans que le jugement se soit déroulé dans les conditions d'impartialité et d'indépendance nécessaires au bon fonctionnement de la justice. Or ces conditions ne sont pas réunies dans le cadre de la procédure d'homologation.
Mes chers collègues, si vous adoptiez ce régime d'exception en matière de justice pénale, vous iriez à l'encontre des prérogatives des juges en matière de défense des droits civiques et des garanties fondamentales accordées aux citoyens visés à l'article 34 de la Constitution : les magistrats sont constitutionnellement les garants de la liberté individuelle.
Le magistrat du siège est appelé à homologuer une proposition de peine qui peut aller jusqu'à un an d'emprisonnement ferme.
Il n'est pas concevable qu'un magistrat du siège prononce une peine attentatoire au premier chef à la liberté individuelle sans que le ministère public ait justifié sa proposition au regard des faits reconnus, de la personnalité de l'intéressé et de l'intérêt de la société et de la victime.
Il s'agit, là encore, d'une forme d'inconstitutionnalité, et nous ne saurions l'accepter.
Je note, en quatrième lieu, que les dispositions constitutionnelles propres au déroulement d'un procès ne sont pas garanties en ce qui concerne la procédure même d'homologation du « plaider coupable », ou de ce que l'on appelle ainsi.
Doit-on en conclure qu'il ne s'agit pas d'un véritable procès, mais d'une procédure sui generis, pour reprendre les termes de la circulaire du 2 septembre 2004 de M. Dominique Perben, circulaire déjà évoquée ?
Avec la procédure d'homologation telle qu'elle est précisée par la proposition de loi de M. Béteille, il ne s'agit non plus d'un procès, mais de l'enregistrement des décisions du parquet.
Cela nous paraît absolument contraire aux dispositions de l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui prévoit que seule une juridiction a le pouvoir de déclarer une personne coupable.
Cinquièmement enfin, si ce texte était adopté en l'état, il serait, à l'évidence, source de graves ruptures d'égalité dans le traitement pénal des mêmes infractions.
Pour juger d'affaires identiques, dans tel tribunal, en effet, le parquet serait présent à l'audience d'homologation, dans tel autre il ne le serait pas, selon les obligations, les choix du ministère public.
Or il est un principe constant en matière constitutionnelle : l'égalité de traitement des justiciables. C'est un principe auquel on ne peut déroger et qui a valeur constitutionnelle.
Voilà, mes chers collègues, les cinq arguments que je voulais présenter devant vous.
Pourquoi cet acharnement ? Pourquoi cette proposition de loi qui, si elle est appliquée, déséquilibrera un peu plus encore le procès pénal ? Pourquoi rompre avec l'équité ? Pourquoi tenir si peu compte des déclarations du Conseil d'Etat, du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation ? Nous ne comprenons pas.
Nous avons le sentiment que le seul objectif est, en définitive, de « faire du chiffre », d'atteindre un certain rendement.
Il nous semble que l'on ne peut rendre la justice au mépris des principes fondamentaux qui fondent l'équité du procès pénal.
Monsieur le garde des sceaux, au nom de notre groupe, je vous dis cela avec une certaine gravité, en ce jour où nous apprenons que tel de vos collègues du Gouvernement a cru devoir aborder un sujet qui ressortit à votre compétence, et dans des termes qui posent véritablement problème, ...
M. Michel Houel. Ce n'est pas le problème !
M. Jean-Pierre Sueur. ... c'est le moins que l'on puisse dire, eu égard à l'indépendance de la justice en particulier.
Quant à nous, nous affirmons qu'il est nécessaire d'être attentif, vigilant.
Un procès équitable suppose que soit présents tout à la fois la personne et son avocat, car les droits de la défense doivent être respectés, mais aussi le ministère public. Quant au juge, il doit juger conformément aux prérogatives inscrites dans la constitution.
Nous n'acceptons pas ce que vous proposez : cela nous semble poser de très graves problèmes quant aux principes qui fondent notre droit.
C'est pourquoi, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous demander, au nom du groupe socialiste, de voter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Nous ne pouvons manquer d'être surpris que, pour les besoins de la démonstration, les auteurs de la motion n'hésitent pas à opérer une évidente confusion quant à la hiérarchie des normes.
Le Conseil d'Etat s'est certes prononcé, mais les référés portaient sur des circulaires. Le législateur est parfaitement en droit d'apporter des précisions sur un texte, quand bien même ces précisions iraient à l'encontre de décisions des juridictions se référant à des circulaires. Et même la position du Conseil d'Etat est circonstanciée, le législateur peut avoir une autre approche de la question.
Quant à la Cour de cassation, elle aura rarement été si souvent évoquée dans une enceinte législative. Que l'on évoque le Conseil constitutionnel, que l'on se réfère en permanence à ses décisions ou à celles de la Cour européenne des droits de l'homme, cela est certainement nécessaire, car elles doivent guider notre action, mais la Cour de cassation, quant à elle, et je le dis avec tout le respect que le législateur lui doit, n'a ici rendu qu'un avis.
Dans cet avis, la Cour de cassation est claire et nette, je le concède. L'avis du rapporteur de la Cour, qui a également été publié, était pourtant beaucoup moins précis. Le rapporteur, M. Lemoine, lui-même magistrat de la Cour de cassation, concluait dans un sens contraire de celui qui a été finalement retenu par la Cour. Vous en conviendrez, les choses ne sont donc pas si tranchées que vous le dites.
Au surplus, la Cour de cassation ne s'est prononcée que par rapport à la législation existante, et elle a mis en évidence les incertitudes dont elle était la source. Sans l'écrire bien sûr, la Cour appelait presque le législateur à clarifier la situation. D'ailleurs, en vertu de la hiérarchie des normes, le législateur peut décider d'une disposition que la Cour de cassation n'aurait pas elle-même imaginé.
M. Béteille, comme moi-même, pensait à ces problèmes depuis plusieurs mois : nous n'avons pas découvert cette situation il y a quinze jours ou trois semaines, comme vous semblez l'imaginer, monsieur Sueur. Je ne puis parler à la place de M. Béteille, mais ce n'est certainement pas l'inspiration d'une nuit qui l'a conduit à produire ce texte !
Nous avions des discussions à ce sujet depuis plusieurs mois, nous en avions également avec vous. Nous avions acquis la conviction d'être dans l'obligation d'apporter cette précision, si nous voulions que la CRPC perdure.
Certes, étant donné que vous refusez la CRPC, nous comprenons votre logique, monsieur Sueur.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. François Zocchetto, rapporteur. Admettez donc la nôtre également : nous affirmons que la CRPC, qui a été votée par le Parlement, est une bonne chose, qu'elle est bien entrée en application. Nous souhaitons que l'on ne s'en tienne pas là, et c'est pourquoi nous voulons apporter cette précision.
La décision du Conseil d'Etat est respectable, mais elle ne nous concerne pas. L'avis de la Cour de cassation est tout aussi respectable, mais lui non plus ne concerne pas le législateur.
Que dit le Conseil constitutionnel sur la loi du 9 mars 2004 ?
Dans une décision très détaillée, d'une cinquantaine de pages, le Conseil constitutionnel ne s'est préoccupé que du caractère public ou non public de l'audience : « doivent être déclarés contraires à la Constitution les mots "en chambre du conseil" ».
Nous n'avons pas été choqués de cette décision, à laquelle nous nous attendions. Mais il n'a jamais été question dans cette décision de la présence ou de l'absence du procureur. Vous le savez, même en chambre du conseil, un procureur peut être présent ou non : cela dépend des procédures.
Vous invoquez les droits de la défense, érigés en principe constitutionnel, et c'est très judicieux.
En quoi pourtant les droits de la défense seraient-ils amoindris par le fait que la présence du procureur à l'audience d'homologation ne serait pas obligatoire ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au contraire !
M. François Zocchetto, rapporteur. En effet, c'est bien plutôt le contraire, et il me semble que les droits de la défense en seraient renforcés, mais il est difficile de le préjuger. En tout état de cause, les droits de la défense ne peuvent pas être limités du seul fait de l'absence du procureur.
Enfin, ce que nous proposons au Sénat ne constitue pas une nouveauté, cela existe déjà et le Conseil constitutionnel ne s'y est jamais opposé : d'une part, quand le juge des libertés et de la détention prononce une mesure de détention provisoire sur requête du procureur, dans le cadre de la procédure de comparution immédiate ; d'autre part, en application de l'ordonnance du 2 février 1945, quand le juge des enfants statue à l'encontre de mineurs. La présence du procureur n'est pas obligatoire.
Je sais, monsieur Sueur, que vous saisirez le Conseil constitutionnel. Nous prendrons connaissance de la décision du Conseil avec attention. Si elle s'avérait conforme à vos souhaits, il faudrait alors en tirer toutes les conséquences et modifier aussi d'autres textes de loi, en vigueur, eux, depuis plusieurs années.
La commission des lois émet donc un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je répondrai brièvement à M. Jean-Pierre Sueur, qui a tenté avec éloquence, sans doute pour se convaincre lui-même, de montrer au Sénat que l'exception d'irrecevabilité était fondée.
Sans revenir sur les excellents propos du rapporteur, je voudrais rappeler ce qui me paraît essentiel.
Le Conseil constitutionnel a insisté sur une notion, une seule : la publicité de l'audience- ce sont les termes employés par le secrétaire général du Conseil constitutionnel, M. Jean-Eric Schoettl - et non sur celle d'« audience publique », monsieur Sueur. Autrement dit, le terme important est non celui d'audience ou de séance, mais bien celui de « publique ».
Le Conseil constitutionnel considère en effet qu'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit en principe faire l'objet d'une audience publique et non pas être jugée en catimini. Tel est, selon moi, le fond de la décision du Conseil constitutionnel ; le reste en découle.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Quant à l'avis de la Cour de cassation, il commence par ces mots : « Dans l'état actuel du droit... ». On ne peut pas être plus éloquent pour dire aux parlementaires qu'ils sont libres de faire évoluer le droit !
Voilà le point qui, à mes yeux, répond à l'objection fondamentale que vous formulez et qui a été soulevé très légitimement par le Conseil constitutionnel, avec, pour suite logique, l'avis de la Cour de cassation et la suspension de l'exécution des deux circulaires gouvernementales par le Conseil d'Etat statuant en référé.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, avec l'autorisation de M. le garde des sceaux.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le garde des sceaux, vous dites que l'avis de la Cour de cassation commence par : « Dans l'état actuel du droit... ». Or cet avis, que j'ai en main, commence par : « Lorsqu'il saisit le président du tribunal de grande instance ou le juge délégué... ».
M. Jean-Pierre Sueur. Non, pas du tout. Je crois qu'il est important...
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Ce qui est important, c'est que le juge de cassation l'ait dit ! Peu importe que ce soit au début, au milieu ou à la fin de l'avis. Je vous donne acte du fait que ces mots ne figurent pas en tête du document.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous ne pouvons induire pour autant qu'il nous a incités à légiférer, car ce n'est pas écrit !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. « Dans l'état actuel du droit » signifie bien que l'on peut toujours changer le droit. On est au moins d'accord sur ce point.
M. Jean-Pierre Sueur. On peut toujours !
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je ne dis pas que le juge de cassation incite à le faire, mais il ne peut empêcher le Parlement de modifier le droit.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le garde des sceaux.
M. Pascal Clément, garde des sceaux. S'agissant du juge du siège, il occupe une place fondamentale dans la procédure de la CRPC. D'ailleurs, à mes yeux, vous n'avez pas assez insisté sur ce point.
Je rappelle que le juge doit remplir quatre missions.
La première est de vérifier que la culpabilité de la personne est établie et que la qualification juridique des faits est exacte.
La deuxième mission est de vérifier que l'intéressé, en présence de son avocat, a reconnu librement et sincèrement être l'auteur des faits et a accepté en connaissance de cause la peine ou les peines proposées.
La troisième mission du juge est de s'assurer que la peine ou les peines proposées sont justifiées au regard des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur.
Enfin, la quatrième mission est, pour le juge, de vérifier que la nature des faits, la personnalité de leur auteur, la situation de la victime et les intérêts de la société ne justifient pas une audience correctionnelle ordinaire.
Il n'y a donc ici aucun amoindrissement des fonctions du juge du siège, mais bien création d'une autre fonction, liée à la spécificité de la procédure de la CRPC.
Tels sont les arguments que je souhaitais vous apporter pour répondre à l'objection d'inconstitutionnalité du groupe socialiste.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote.
M. Laurent Béteille. Je ne voudrais pas allonger le débat, mais il y a un certain nombre de points sur lesquels je pense utile de réagir.
Tout d'abord, il faut bien comprendre que la proposition de loi dont je suis l'auteur va au-delà de ce qui était demandé par le Conseil constitutionnel. La seule exigence figurant dans sa décision du 2 mars 2004 était que l'ordonnance d'homologation soit lue en audience publique. Le Conseil constitutionnel n'impose nullement que la phase de l'homologation qui consiste à entendre l'intéressé ainsi que son avocat et à vérifier la réalité des faits ait lieu en audience publique. Mieux, il est précisé que cette lecture n'a lieu qu'en cas d'homologation. A contrario, en cas de refus de l'homologation, nul besoin de lire l'ordonnance en audience publique !
La proposition de loi que j'ai déposée va beaucoup plus loin, puisqu'elle prévoit qu'ont lieu en audience publique toutes les formalités prévues, non seulement la lecture de l'ordonnance, mais aussi l'audition de la personne intéressée, l'audition de son avocat, la vérification de la culpabilité et de la qualification des faits. Alors ne nous dites pas que nous sommes en contradiction avec la décision du Conseil constitutionnel !
Un autre point m'a fait réagir dans le propos de M. Sueur, qui s'est sans doute laissé emporté par son sujet ! Il nous a dit que le procureur de la République faisait partie de la juridiction.
M. Jean-Pierre Sueur. Je me suis mal exprimé !
M. Laurent Béteille. Voilà qui serait sans aucun doute déclaré inconstitutionnel, croyez-moi, car le procureur ne fait évidemment pas partie de la juridiction.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous en donne acte !
M. Laurent Béteille. Le problème s'est posé pour la Cour de cassation, car il fut un temps où les avocats généraux participaient au délibéré. Comme l'a souligné le président de la commission des lois, c'est la Cour européenne des droits de l'homme qui a dénoncé cette pratique comme étant contraire aux droits de la défense.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. Laurent Béteille. Il y a des choses qu'il vaut mieux éviter de dire ! Le procureur de la République ne fait pas partie de la juridiction et, par conséquent, sa présence ne répond à aucune obligation, contrairement à ce que vous venez de soutenir.
M. Jean-Pierre Sueur. Mais il doit être présent !
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Une confusion est en train de se glisser sur la portée de la décision du Conseil constitutionnel, raison pour laquelle, monsieur Béteille, je vous propose que nous reprenions le texte ensemble.
Je rappelle que le Conseil, en dehors de cas exceptionnels, ne statue dans ce domaine que sur les griefs soulevés. Le grief retenu en l'occurrence est celui « tiré de la méconnaissance du principe de publicité des débats » ; c'est le considérant 117, que je relis :
« Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles VI, VIII, IX et XVI de la Déclaration de 1789 que le jugement d'une affaire pénale pouvant conduire à une privation de liberté doit, sauf circonstances particulières nécessitant le huis clos, faire l'objet d'une audience publique ; ». Par conséquent, c'est l'audience qui doit être publique.
Je lis maintenant le considérant 118 : « Considérant que constitue une décision juridictionnelle l'homologation ou le refus d'homologation par le président du tribunal de grande instance de la peine proposée par le parquet et acceptée par la personne concernée ; que cette homologation est susceptible de conduire à une privation de liberté d'un an ; » - j'en arrive à l'essentiel - « que, par suite, le caractère non public de l'audience au cours de laquelle le président du tribunal de grande instance se prononce sur la proposition du parquet, même lorsqu'aucune circonstance particulière ne nécessite le huis clos, méconnaît les exigences constitutionnelles... ». Une audience, c'est une totalité, cela ne se résume pas à la lecture de la décision, monsieur Béteille !
La publicité visait donc l'audience entière, et non la seule lecture de la décision, ainsi que le caractère juridictionnel de la décision. Le fait qu'il s'agisse d'une audience publique commande non pas la composition du tribunal - c'est un magistrat du siège -, mais, comme l'a rappelé la Cour de cassation, et sans dire « En l'état du droit », que le ministère public assiste aux débats.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 5, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des lois sur la proposition de loi précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (n° 409, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je considère que l'exception d'irrecevabilité se justifiait complètement !
Mais j'en viens à cette motion tendant à opposer la question préalable.
Le champ d'application de la justice correctionnelle « classique », notamment sous sa forme collégiale, est en rétrécissement continu. Dans le cadre du plaider coupable - il faut bien l'appeler ainsi -, le remplacement de l'audience de fond par une audience d'homologation est un pas supplémentaire en ce sens.
Cette nouvelle procédure a été uniquement conçue comme une solution de gestion des flux de la justice pénale. Elle procède, tout comme l'extension de la composition pénale, d'un mouvement général tendant à réduire le débat devant le juge.
L'opinion publique, dites-vous, veut une justice rapide. Or la justice de la République a pour fondement une justice équitable. C'est d'ailleurs ce que veut aussi l'opinion publique, et c'est d'ailleurs ce qu'exige le respect des droits de la personne, des prévenus comme des victimes. Il est vrai que l'on peut être inquiet sur la justice de la République quand le ministre de l'intérieur, également président du parti de la majorité, donne des instructions par voie de presse aux magistrats.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quoi qu'il en soit, en ce qui nous concerne, il nous appartient, nous, législateur, de faire respecter cette exigence de justice, ainsi que son corollaire, celui du délai raisonnable. Si les délais sont trop longs, nous devons nous interroger sur le pourquoi de l'encombrement des tribunaux, qui en est la cause.
La première cause réside dans l'inflation législative en matière pénale à laquelle nous assistons depuis bientôt dix ans. Le nombre d'infractions augmente, ce qui entraîne une augmentation des audiences et donc un encombrement des tribunaux. Voilà des questions qui méritent réflexion : la judiciarisation de la société ou encore les moyens de la justice pour répondre à l'encombrement des tribunaux.
Vous préférez vous intéresser à une seule question : l'accélération des procédures.
Cette tendance avait débuté en 1993, avec l'introduction, dans l'article 41 du code de procédure pénale, de la médiation pénale, mais s'était ralentie en 1995, lorsque le gouvernement de l'époque avait échoué dans sa tentative d'instauration d'une procédure d'injonction pénale.
Je rappelle que l'on avait proposé de reconnaître au procureur de la République le pouvoir, sous certaines conditions tenant à la nature des faits, à l'absence d'antécédents et à l'acceptation de la personne concernée, d'enjoindre à cette dernière de verser une certaine somme au profit du Trésor public, d'effectuer un travail rémunéré ou encore de réparer le préjudice causé à la victime.
Ce dispositif a été censuré par le Conseil constitutionnel, au motif que ces mesures s'apparentaient à des peines et nécessitaient donc l'intervention du juge du siège.
Puis, en 1999, fut introduite la composition pénale, inspirée de l'ancienne injonction pénale, mais avec validation par un juge du siège. Son champ d'application a été élargi ensuite, en 2002 et en 2004, par la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
La procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité constitue le point culminant des procédures accélérées de jugement puisque, à la différence de la composition pénale, qui constitue une alternative aux poursuites et dont les mesures n'ont pas de caractère exécutoire, cette nouvelle procédure permet le prononcé de peines d'emprisonnement ferme, immédiatement exécutoires.
Là est tout le problème. Nous sommes devant une procédure de jugement tronquée qui peut néanmoins aboutir à une peine privative de liberté. Nous avons atteint le summum en termes de rapidité de traitement des affaires pénales !
En l'espace d'une dizaine d'années, notre procédure pénale a changé de nature, et cela uniquement, dit-on, pour des raisons de gestion des flux. D'inquisitoire, elle devient progressivement accusatoire.
En effet, la nature inquisitoire de la procédure pénale signifie que les poursuites auront lieu sur la base d'une enquête qui aura révélé ou non des faits constitutifs d'une infraction, faits qui motiveront ou non ces poursuites.
Avec le plaider coupable, il n'y a plus d'enquête, plus de recherche de la vérité, l'aveu du prévenu devient la seule motivation des poursuites par le procureur ; sans compter que le prévenu préférera céder devant le procureur et négocier une peine avec lui plutôt que d'attendre d'être jugé dans une audience correctionnelle à l'issue de laquelle il risque, ainsi qu'on le lui aura fait comprendre, d'être condamné à une plus lourde peine de prison.
Nous tombons donc dans le travers que je dénonçais en introduction, à savoir qu'avec le plaider coupable la rapidité de jugement nuit gravement à la qualité de la justice.
Pour nous, il s'agit d'une justice au rabais.
Justice au rabais, car ce n'est pas un magistrat du siège qui va rendre un jugement sur la base d'éléments de preuve permettant d'éclairer et de justifier celui-ci.
Justice au rabais, car le plaider coupable rend caduc le principe de présomption d'innocence. En effet, la personne reconnaît sa culpabilité et cet aveu est la seule base juridique de la procédure. La recherche de preuves devient alors inutile.
Justice au rabais, enfin, car cet aveu n'est pas à l'abri de pressions quand le prévenu est en garde à vue, éventuellement seul : s'il n'y pas d'avocat présent, le choix de la personne déférée devant le procureur ne sera pas libre ; soit, en avouant immédiatement sa culpabilité, elle bénéficiera d'une réduction de peine, soit elle prendra le risque - car, désormais, cela s'apparente à un risque - d'avoir un procès équitable devant un magistrat du siège, où, lui dira-t-on, elle risque une peine beaucoup plus lourde.
Nous le voyons, cette « négociation » - c'est bien de cela qu'il s'agit - est loin d'offrir toutes les garanties suffisantes aux justiciables qui pourraient se la voir appliquer.
Lors de l'examen du projet de loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, nous jugions cette réforme de notre procédure pénale non seulement dangereuse pour les libertés individuelles, mais également inefficace et source probable d'erreurs judiciaires, d'inégalités et de vices de forme. Ce n'est pas parce que les tribunaux l'appliquent que nous avons changé d'avis !
D'ailleurs, aussi bien le Conseil constitutionnel que la Cour de cassation et le Conseil d'Etat ont émis des avis sur cette procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Mais le législateur n'est pas du tout tenu de respecter, cela va sans dire...
C'est tout d'abord la non-publicité des débats qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. C'est ensuite la présence du procureur lors de l'audience d'homologation qui a été exigée aussi bien par la Cour de cassation que par le Conseil d'Etat. Eh bien, tout cela, il n'est pas obligatoire de le respecter !
L'obstination dont le Gouvernement fait preuve aujourd'hui en maintenant, malgré les décisions claires et motivées de ces juridictions, sa position quant à la présence facultative du procureur à l'audience d'homologation ne peut que nous inquiéter au regard du sort des principes fondamentaux de notre procédure pénale et des droits des justiciables qui en découlent.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il convient, alors que notre justice pénale est confrontée à un tournant décisif face à la tentation anglo-saxonne, de s'interroger sur le sens que nous voulons lui donner.
Lui donner le rôle de sanction automatique pour répondre à l'inflation législative en matière pénale serait singulièrement léger !
Cette inflation législative masque un grave problème. On essaie, en ayant recours à la multiplication des infractions, de répondre aux insuffisances de la politique économique et sociale par la criminalisation de certains comportements qui n'étaient pas punissables auparavant.
En réalité, la réponse pénale est bien souvent inadaptée aux problèmes qu'elle est censée résoudre. On crée des infractions afin de justifier la répression.
Avec le plaider coupable, c'est un maximum d'infractions que l'on veut désormais voir réprimées le plus rapidement possible, quels que soient les moyens employés pour y parvenir.
On tente de la faire passer pour une procédure de traitement rapide de la petite délinquance. Mais n'oublions pas qu'elle peut aussi concerner des personnes accusées d'avoir commis des délits pour lesquels la peine encourue va jusqu'à cinq ans d'emprisonnement. A ce niveau, on ne peut plus parler de traitement limité à la petite délinquance, mais bien d'un changement profond dans la réponse apportée à un nombre croissant de délits qui faisaient jusque-là l'objet d'une procédure pénale de droit commun.
En raison des nombreux dangers de la procédure du plaider coupable pour les justiciables et parce que nous sommes attachés à la préservation d'un modèle pénal offrant toutes les garanties définies par le droit à un procès équitable, nous ne pouvons accepter qu'une telle procédure devienne, sinon la règle, du moins un modèle pour notre justice pénale à venir.
Nous ne pouvons que rejeter la proposition de loi qui nous est soumise, non seulement parce que nous sommes contre cette procédure pénale, mais aussi parce que vous prétendez l'imposer par une pirouette législative.
En effet, vous savez bien que, sur le fond, elle fait l'objet de critiques de la part des professionnels et, plus généralement, de la part de citoyens qui se soucient des droits de la défense et tout simplement des droits de la personne.
Sur la forme, c'est une proposition de loi qui émane en fait du Gouvernement. D'ailleurs, monsieur le garde des sceaux, vous êtes venu la défendre en commission des lois comme s'il s'agissait d'un projet du Gouvernement.
Nous demandons donc le rejet de cette proposition et un réexamen au fond de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Mme Borvo a rappelé la position constante de son groupe concernant les procédures accélérées de jugement en matière pénale, notamment la CRPC. Cette motion est donc parfaitement logique.
La commission ne s'inscrit évidemment pas dans la même perspective et émet un avis défavorable sur cette motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On avait compris !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. L'intervention de Mme Borvo tend à montrer qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Or il y a bien lieu de délibérer, ainsi que je l'ai expliqué en m'exprimant sur l'exception d'irrecevabilité.
Une procédure qui, pour être critiquée par des professionnels, n'en remporte pas moins un vif succès - en moins d'une année, plus de 10 000 justiciables l'ont choisie - et avec laquelle, pour la première fois, un justiciable admet avoir commis un délit et accepte d'emblée le principe d'une réparation relève d'une justice extraordinairement moderne ! Ne pas insister sur cet aspect relève, à mes yeux, d'un certain conservatisme.
M. Pascal Clément, ministre. Bien sûr, sur le plan procédural, il s'agit évidemment d'une nouveauté ; or, devant une nouveauté, on a tendance à se raccrocher à ce que l'on connaît. Mais il faut aussi évoluer avec la société, et cette dernière a tout de suite adhéré à cette nouvelle procédure, dont le succès en a étonné beaucoup. Je me rappelle d'ailleurs un éditorial d'un quotidien au nom cosmique paraissant l'après-midi qui était consacré à ce thème et où il était dit, en gros : on n'en revient pas, mais ça marche !
Eh bien oui, cela marche très bien !
L'initiative de cette proposition de loi revient à un sénateur, M. Béteille. Il est vrai que je l'en ai remercié. Il est non moins vrai que j'ai été auditionné par la commission des lois, mais c'était à la demande du président Hyest et l'audition portait sur l'ensemble de procédures, et non simplement sur la CRPC.
J'ajoute que le Gouvernement ne peut que se réjouir qu'il soit répondu à l'objection tout à fait fondée du Conseil constitutionnel en restant dans les limites de la loi et surtout dans celles des principes que nous devons respecter, même si nous modernisons la procédure.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Badinter, Collombat, Sueur, Peyronnet, Frimat, Sutour et Dreyfus-Schmidt, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 2, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelle, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, ses conclusions sur la proposition de loi précisant le déroulement de l'audience d'homologation de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (n° 409, 2004-2005).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce matin, Robert Badinter a soulevé toutes les interrogations juridiques et, à l'instant, Jean-Pierre Sueur relevait les nombreuses incertitudes constitutionnelles qui, à elles seules, suffiraient à justifier notre demande de renvoi en commission de la proposition de loi de notre collègue Laurent Béteille, laquelle mérite en effet, à nos yeux, un examen moins expéditif compte tenu de ses implications.
Les raisons d'un renvoi en commission ne sont pas seulement d'ordre juridique, au sens technique du terme. Il est d'autres raisons, d'un ordre différent, mais tout aussi fondamental, qu'il s'agisse de la méthode employée pour obtenir son « enregistrement » - c'est le terme qui me paraît convenir - par le Sénat ou des présupposés de son contenu, car, bien que très court, ce texte pose plus de questions qu'il n'est censé en résoudre.
J'évoquerai d'abord la méthode.
Une mission d'information sénatoriale sur les procédures accélérées de jugement a été constituée il y a quelques mois. Présidée par Laurent Béteille, elle a pour rapporteur François Zocchetto, respectivement auteur et rapporteur de la présente proposition.
Membre de ladite mission, j'avais cru comprendre - visiblement, je me suis trompé ! - que l'objet de celle-ci était d'examiner l'application sur le terrain d'un ensemble de procédures pour la plupart relativement nouvelles, voire atypiques, sui generis a-t-on dit à plusieurs reprises tout à l'heure, s'agissant de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, afin d'en tirer des enseignements et éventuellement des propositions législatives d'amélioration.
La mission n'a pas encore rendu ses conclusions et voilà que tombe du ciel, pour un examen séance tenante, de toute urgence, une proposition de loi de Laurent Béteille, rapportée par François Zocchetto, visant à contourner rien de moins qu'un avis de la Cour de cassation et une ordonnance du Conseil d'Etat relatifs à la plus controversée des procédures « turbo » : la CRPC.
Pourquoi donc traiter en priorité et de manière aussi cavalière une question controversée - les saisines du Syndicat des avocats de France et du tribunal de grande instance de Nanterre le montrent bien - et qui ne concerne actuellement qu'un volume restreint de procédures - quelque 8 000 depuis l'entrée en vigueur de la loi, avec, semble-t-il, une stabilisation, selon le rapport Warsmann, 10 000 selon notre rapporteur - à travers un texte sur lequel il faudra très probablement revenir à l'usage ?
En effet, la façade de satisfaction - 84 % d'homologations et plus de 90 % si l'on tient compte des refus pour absence des intéressés à l'audience, nombre restreint des appels, satisfaction manifeste des procureurs -, masque les interrogations des avocats et des juges, placés à leur corps défendant devant le dilemme du tout ou rien : valider un accord qui a pris du temps à l'institution et aux avocats, même s'ils ne sont pas complètement d'accord, ou refuser de le faire, avec retour à la case départ pour tout le monde.
Pourquoi, sur un tel sujet, ne pas se donner le temps de la réflexion ? J'avoue ma perplexité !
D'autant que, à en croire le rapport Warsmann, le principal problème auquel est confronté l'appareil judiciaire est plus l'exécution des peines que l'augmentation de leur nombre. Par exemple, le taux moyen de recouvrement des amendes correctionnelles est de 18 %, et de 7 % en Seine-Saint-Denis : cela devrait faire naître quelques interrogations ! Mais il est vrai qu'il est plus facile et moins coûteux de faire une loi que de régler ce genre de détails.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas nouveau !
M. Pierre-Yves Collombat. Constatons donc qu'une nouvelle technique de neutralisation de la représentation nationale, avec la complicité active de celle-ci, vient d'être inventée : les missions d'information sur connaissance préalable des résultats !
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà qui est très bien dit !
M. Pierre-Yves Collombat. A la différence des missions classiques, leur but n'est pas de recueillir des informations auprès du terrain, mais de l'« informer », au sens de lui donner forme. Cette nouvelle technique de neutralisation en complète d'autres dont l'usage est devenu courant dans notre assemblée.
Ainsi, l'urgence est maintenant notre ordinaire : désormais, tout est urgent !
Par exemple, nous avons examiné en urgence un projet de loi qui devait révolutionner l'éducation nationale ; il l'a tellement révolutionnée que le successeur de François Fillon a jugé prudent de ne pas l'appliquer tout de suite !
De même, nous examinerons prochainement « en urgence » le projet de loi de sauvegarde des entreprises, texte complexe touchant un domaine pour le moins délicat. Allez savoir pourquoi, il y a urgence !
On peut aussi évoquer le « vote conforme ». Quelle belle invention ! On a pu en apprécier les effets récemment encore, lors de l'examen, dans la confusion la plus totale, de la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Pragmatiques et cohérents, Yves Détraigne et quelques collègues en ont tiré les leçons en forme de proposition de résolution tendant à actualiser le règlement du Sénat. Elle se résume à un article, que je ne peux m'empêcher de vous lire, tant j'en apprécie la saveur : « Lorsqu'il y a accord entre le président du principal groupe de la majorité du Sénat et le Gouvernement, la conférence des présidents, à la demande du président du Sénat, du président du principal groupe de la majorité ou du Gouvernement, peut décider le vote conforme et sans débat d'un projet ou d'une proposition de loi. Elle précise l'interdiction du dépôt d'amendements. » (Mme Eliane Assassi s'esclaffe.)
M. Jean-Pierre Sueur. Bravo ! Toujours plus fort !
M. Pierre-Yves Collombat. C'est là que les problèmes de forme rejoignent la question de fond.
Pourquoi, monsieur le ministre, traiter de manière aussi cavalière les assemblées parlementaires ? Pourquoi multiplier les procédures de jugement accélérées ? Pourquoi, faute d'avoir pu obtenir une homologation en chambre du conseil, rendre facultative la présence du procureur lors de l'audience publique d'homologation de la CRPC ? Parce que, pour vous, les débats des chambres, tout comme la présence des procureurs en audience publique d'homologation, sont du temps perdu, un formalisme, un rituel désuet dont n'ont que faire des gestionnaires modernes, efficaces et assoiffés d'innovation. Nous vivons, comme le disait un humoriste, une époque moderne : le progrès fait rage ! Vous nous l'avez d'ailleurs rappelé encore tout à l'heure.
J'entends déjà les réponses qui vont m'être faites : pourquoi perdre du temps, pourquoi compliquer une proposition aussi anodine que la suppression de l'obligation de la présence d'un muet dans une audience, même publique ?
Si pour vous, monsieur le ministre, si pour vous, monsieur le rapporteur, chers collègues, la justice n'a qu'une fonction de régulation sociale, au même titre et sur le même plan que le ministère dit « de la cohésion sociale » ou que le ministère de l'intérieur - vous l'avez constaté, son actuel titulaire vient de s'autoproclamer juge de l'application des peines en chef -, si pour vous les jugements ne sont qu'un moment dans un processus de re-conditionnement des délinquants - de « renforcement », dirait-on dans le langage mécanicien des behavioristes - et un moyen de réconforter la population, vous avez mille fois raison ! Concentrons-nous donc sur la gestion des flux, économisons le temps et les moyens insuffisants dont nous disposons ! Tel est d'ailleurs le thème récurrent de la plupart des débats sur les procédures accélérées de jugement, telle est la justification régulière des « innovations » passées et telle sera la justification des innovations futures.
Mais est-ce seulement cela, est-ce essentiellement cela, l'oeuvre de justice ?
Comme le souligne Kelsen, nous sommes là dans le domaine non pas du fait, mais du droit, du normatif. Le jugement ne « répond » pas, dans une relation de cause à effet, à l'acte délictueux ou criminel : il rappelle ce qui « doit être ». La conception managériale dominante de la justice veut ignorer que, fondamentalement, c'est de son déploiement dans l'ordre symbolique que le jugement tire l'essentiel de son efficace. D'où l'importance des symboles, du formalisme et des rites.
Même muet, le procureur de la République, par sa présence, rappelle au prévenu - ici, à la personne intéressée - qu'il a porté tort non pas seulement à quelqu'un, mais aussi à l'ordre juridique qui garantit le pacte social et politique.
Plus fondamentalement encore, si l'on suit Pierre Legendre, le procureur porte l'interdit qui fera barrière au phantasme et à la transgression.
L'important, ce n'est pas, contrairement à ce qu'on a pu dire à propos de la CRPC, que la personne intéressée « accepte » mieux sa peine parce qu'elle aura l'impression d'avoir fait une bonne affaire : si elle a fait une bonne affaire une fois, elle pourra en faire une deuxième fois. L'important, c'est qu'elle ait l'impression que, symboliquement, cette peine lui redonne sa place parmi les autres.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est pour cela qu'il y a audience publique !
M. Pierre-Yves Collombat. « Sans la ritualité des procédures, écrit Pierre Legendre, la fonction authentiquement symbolique du juge devient incompréhensible ; les formes sont la sauvegarde du caractère non duel des rapports entre la justice, les experts et l'accusé ; les liturgies d'un procès ont aussi vocation, comme tant d'autres montages des cultures, à désensorceler, si j'ose dire, le sujet inconscient de sa culpabilité en la socialisant. »
La procédure de CRPC, si elle ne prévoit à aucun moment la présence simultanée du juge du siège et du procureur, deviendra précisément la succession de deux situations duelles.
Cette question de la présence obligatoire ou non du procureur à une audience publique dans laquelle il n'intervient pas est donc moins anodine qu'il n'y paraît aux yeux des modernes mécaniciens sociaux de la justice. Elle mérite, à n'en pas douter, un retour en commission.
Vous êtes fiers, chers collègues, de construire un monde où tout se paie : vous ne voulez pas voir que ce sera aussi un monde où l'on n'aura plus aucune raison de vivre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je félicite notre collègue de l'éloge philosophique du procureur de la République. C'était très intéressant !
M. Pierre-Yves Collombat. Eloge du rituel, monsieur le président !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La philosophie du droit nous a toujours passionnés, vous comme moi, et vous avez cité un certain nombre d'écoles... La commission pourrait effectivement en débattre très longuement. Mais ce n'était pas le sujet !
La mission d'information, je le rappelle, a été créée en février 2005, et les avis de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat datent respectivement d'avril et de mai 2005.
Le Conseil constitutionnel ayant censuré des mots mais n'ayant pu récrire la loi, celle-ci était bancale, ce qui a entraîné des interprétations sur la présence ou l'absence du parquet qui pouvaient être divergentes, et on l'a bien senti dans les deux avis, celui de la Cour de cassation comme celui du Conseil d'Etat.
Il était donc urgent, pour que la procédure voulue par le Parlement et validée par le Conseil constitutionnel puisse être sécurisée juridiquement, de répondre aux objections qui avaient été formulées. Tel est bien l'objet de la proposition de loi.
Son auteur s'est rendu dans les juridictions : il est quelquefois utile d'aller sur le terrain, car il est très important de ne pas entendre seulement ceux qui s'autoproclament les représentants de toutes les juridictions, ceux qui, à Paris, parlent pour tout le monde. (M. le garde des sceaux marque son approbation.)
Il s'est rendu compte que, sur le terrain, la procédure fonctionnait à la satisfaction générale, mais qu'il subsistait une incertitude au sujet de la présence du parquet, laquelle, dans l'esprit du législateur, n'était pas une obligation.
Telle est la raison pour laquelle la proposition de loi de Laurent Béteille, rapportée par François Zocchetto, me paraît urgente pour clarifier parfaitement la situation et pour donner à cette procédure toute son efficacité.
Mon cher collègue, son examen vous a fourni l'occasion d'une intervention, que nous avons d'ailleurs appréciée. Cependant, comme la commission, je le crois, a bien fait son travail et vous a par ailleurs laissé le temps d'étudier la proposition de loi, au demeurant très courte, je pense que nous pouvons passer à l'examen du texte. La commission est défavorable à cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Je rappellerai quelques évidences : le Parlement vote la loi, le Conseil constitutionnel vérifie que la loi est conforme à la Constitution, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat interprètent et appliquent la loi ; s'il apparaît que la loi n'est pas assez précise, le Parlement la remet sur le métier et remédie à ces manques de précision.
Par ailleurs, le rapport de M. Zocchetto est particulièrement complet et montre à l'évidence, monsieur le président, l'excellent travail de la commission.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion de l'article unique.