Articles additionnels avant l'article 1er ou après l'article 2 ou avant l'article 3 ou avant l'article 10
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 60, présenté par MM. Dreyfus-Schmidt, Godefroy et Michel, Mmes Alquier et Campion, MM. Cazeau et Madec, Mmes Printz, San Vicente, Schillinger, Cerisier-ben Guiga et Durrieu, M. Lagauche, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1110-2 du code de la santé publique est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, de l'accès à l'assistance médicalisée pour mourir. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cet amendement se justifie par son texte même. Nous nous sommes suffisamment expliqués lors de la discussion générale pour que vous sachiez ce que nous entendons par là. Je ferai donc plaisir à M. le président, je n'en dirai pas plus !
M. le président. L'amendement n° 30, présenté par MM. Autain, Fischer et Muzeau, Mmes Assassi et Beaufils, MM. Biarnès et Billout, Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Bret et Coquelle, Mmes David et Demessine, M. Foucaud, Mme Hoarau, MM. Hue et Le Cam, Mmes Luc et Mathon, MM. Ralite, Renar, Vera et Voguet, est ainsi libellé :
Avant l'article 3, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article L. 1111-4 du même code est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Elle a le droit d'obtenir une aide active à mourir si elle estime que l'altération de sa dignité et de la qualité de sa vie, résultant d'une affection ou d'un handicap grave et incurable, la place dans une situation telle qu'elle ne désire pas poursuivre son existence. Le médecin peut opposer un refus pour motifs médicaux ou personnels à une demande d'aide active à mourir et l'inscrit dans le dossier médical de la personne. »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Tout le monde reconnaît aujourd'hui que, malgré une législation répressive, mais à cause de cette loi, l'euthanasie est pratiquée clandestinement. Elle ne l'est pas toujours par des médecins ; elle est parfois pratiquée dans l'anarchie la plus complète, donc sans contrôle, sans concertation, sans que les proches soient toujours consultés, souvent à l'insu du malade, ce qui peut paraître encore plus grave que l'acte lui-même.
Il existe donc, en France, aussi paradoxal que cela puisse paraître, une dépénalisation de fait de l'euthanasie.
Il est impossible de donner des indications chiffrées sur l'importance de ces pratiques qui sont, par définition, inquantifiables puisque clandestines, mais M. le ministre a mentionné tout à l'heure le cas de 150 000 personnes qui seraient « débranchées ».
On a évoqué, au cours des auditions, le chiffre de 2 500 euthanasies annuelles, mais sans que ces données puissent être sérieusement étayées.
En revanche, on est mieux informé sur la pratique hospitalière.
Chaque année, dans les services de réanimation, une centaine de milliers de patients - 90 000 à 100 000 personnes - meurent après une interruption volontaire de traitement, et 20 % d'entre eux reçoivent ensuite des injections.
Ces actes ne font pas l'objet de poursuites ordinales puisque deux médecins seulement en cinquante ans ont été suspendus par le Conseil national de l'ordre des médecins, alors que chaque médecin avoue avoir pratiqué au moins une fois dans sa carrière une euthanasie. Ils ne font pas non plus l'objet de poursuites judiciaires, car les juridictions ne sont que très rarement saisies et, quand elles le sont, elles font preuve de la plus grande clémence.
A part Christine Malèvre, aucun médecin, aucune infirmière, aucune aide-soignante n'a encore été condamné en France pour des actes d'euthanasie commis en 2000 sur des malades.
Le non-lieu rendu en 2005 dans l'affaire du médecin de Saclay, qui avait été accusé d'euthanasie, a réhabilité le cocktail lytique avec lequel on l'accusait d'avoir empoisonné neuf de ses patients. C'est le même cocktail lytique que le chanoine Vespieren, vingt ans plus tôt, dans un article retentissant, rendait responsable d'euthanasies faites parfois à l'insu du malade et sur la suggestion des familles.
L'affaire du centre hospitalier et universitaire de Besançon, où des euthanasies ont été pratiquées à plusieurs reprises, a éclaté en mai 2002 et n'est toujours pas jugée.
Enfin, le docteur Chaussoy a été mis en examen et attend toujours une décision de justice. Il a moins de chance que son collègue de l'Aveyron, le docteur Duffau, pour qui n'a jamais été ouverte d'information judiciaire, bien que des actes identiques - l'injection chez une femme de 92 ans de cinq ampoules de chlorure de potassium - lui soient reprochés.
Cette loi inappliquée, ou inégalement appliquée selon que l'on habite le Nord ou l'Aveyron, crée une situation hypocrite et malsaine qu'il faut faire cesser de toute urgence.
D'ailleurs, la société y est prête. Depuis vingt ans, les sondages d'opinion montrent que la grande majorité des Français est favorable à l'euthanasie. En octobre 2003, un sondage réalisé par l'institut BVA révélait que 86 % des Français - naturellement pas tous en bonne santé, dirai-je pour répondre à certains détracteurs de ces sondages - étaient favorables à l'euthanasie. Pourtant, cette proposition de loi, qui diabolise l'euthanasie volontaire, recueille un vote unanime des députés.
Ce fossé qui se creuse nous pousse à nous interroger en même temps qu'il nous inquiète.
Le professeur Michel Ducloux, président du Conseil national de l'ordre des médecins, que nous avons auditionné, a été formel : un médecin ne peut pas aider ses malades à mourir. Cependant, il a ajouté aussitôt : « nous trahissons nos malades quand nous ne pouvons pas les aider ». Disant cela, il oubliait, semble-t-il, sa fonction de représentant des médecins, lesquels, en mars 2000, se sont prononcés à 70 % favorablement à l'exception d'euthanasie, dans un sondage paru dans Impact médecin ; 56 % d'entre eux se déclareraient même prêts à pratiquer une euthanasie.
Le moment est venu de changer la loi. C'est ce que nous proposons par cet amendement.
Nous n'avons pas le droit d'abandonner à son triste sort judiciaire le docteur Chaussoy, qui, comme tous ses confrères le reconnaissent, n'a fait que son devoir ; nous n'avons pas le droit, en mémoire de Vincent Humbert, de laisser sa mère comparaître devant les assises. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 62, présenté par MM. Dreyfus-Schmidt, Godefroy et Michel, Mmes Alquier et Campion, MM. Cazeau et Madec, Mmes Printz, San Vicente, Schillinger, Cerisier-ben Guiga et Durrieu, M. Lagauche, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 2, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article L. 1110-9 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Toute personne majeure capable, atteinte d'une affection reconnue incurable et irréversible ou dont l'état de santé la place dans un état de dépendance qu'elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d'une assistance médicalisée pour mourir. Le bénéfice d'une telle assistance est également accordé, dans les conditions prévues au présent titre, à tout mineur âgé de treize ans au moins ou à tout majeur protégé par la loi ainsi qu'à toute personne dans l'incapacité de s'exprimer qui est, soit maintenue dans un état de survie artificielle permanent, soit atteinte d'une affection incurable et irréversible accompagnée de souffrances insupportables et inextinguibles. »
La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans le droit-fil de ce que nous avons exposé au cours de la discussion générale, cet amendement vise à définir les différentes circonstances permettant à une personne de bénéficier d'une assistance médicalisée à sa propre mort. L'expression « exception d'euthanasie », qui correspond en fait à l'euthanasie active, est malencontreuse ; l'Assemblée nationale, avec votre accord, monsieur le ministre, a déjà retenu l'euthanasie indirecte, l'euthanasie passive.
Il y a le cas de Vincent Humbert, mais il y a également le cas de ceux qui sont inconscients et qui méritent d'être traités de la même manière.
Nous demandons alors que soient prises des précautions multiples : la liberté de conscience des médecins doit être respectée, un médecin pouvant refuser d'apporter une aide médicalisée pour mourir et suggérer au patient de faire appel à l'un de ses confrères.
Nous demandons que soit prise une décision collégiale par trois médecins, dont au moins un occupe des fonctions hospitalières. Nous avons rappelé que tel était déjà le cas avant la loi Veil en matière d'avortement thérapeutique.
Nous demandons également un temps de réflexion obligatoire pour tous. Ainsi, avant de prendre la décision, chacun pourra infirmer ou confirmer sa volonté d'accomplir l'acte.
Un compte rendu devra être soumis à une commission régionale de contrôle. Celle-ci pourra saisir une autorité nationale de contrôle, laquelle examinera la question. Bien entendu, si les conditions de la loi n'ont pas été respectées, l'autorité régionale ou l'autorité nationale pourra transmettre au parquet.
Enfin, nous demandons la tenue d'un registre national automatisé des directives anticipées. Avec Internet, il n'est en effet pas difficile à un médecin d'appuyer sur un bouton pour savoir si, oui ou non, des directives anticipées ont été prises.
Voilà le système que propose notre amendement. Je le répète, il dépasse le seul cas de Vincent Humbert, qui ne serait paradoxalement pas réglé par la proposition de loi, alors que c'est tout de même à la suite de cette affaire que l'Assemblée nationale a créé une mission d'information, puis une commission spéciale. La plupart des députés l'ont d'ailleurs évoqué.
Pour votre part, vous n'en avez pas parlé, monsieur le ministre, et Mme la secrétaire d'Etat aux personnes âgées non plus. Vous avez cependant reçu Mme Humbert, à la différence de la commission des affaires sociales du Sénat.
Toujours est-il que les députés, en évoquant le cas de Vincent Humbert, ont reconnu que la proposition de loi en découlait et ont rendu hommage à l'acte d'amour, de compassion réalisé par Mme Humbert et par le docteur Chaussoy. Il faut donc régler le cas Humbert. C'est ce à quoi vise l'amendement n° 62, en prenant de multiples précautions.
En Belgique, une évaluation a déjà eu lieu. A cette occasion, on s'est rendu compte que cette loi n'a été appliquée à aucune personne âgée et que les dérives tant redoutées ne se sont pas produites.
Si nous devons bien sûr prendre des précautions, il ne faut pas avoir peur de saisir les problèmes à bras-le-corps. En l'occurrence, M. le Premier ministre avait d'abord estimé qu'il ne fallait pas légiférer pour régler ce genre de questions. Mais il a changé d'avis, comme ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cela lui arrive ! Quoi qu'il en soit, vous avez su le convaincre, monsieur le ministre, mais vous n'êtes pas allé assez loin. C'est pourquoi nous proposons d'aller au bout du problème.
M. le président. L'amendement n° 71, présenté par MM. Godefroy, Michel et Dreyfus-Schmidt, Mmes Alquier et Campion, MM. Cazeau et Madec, Mmes Printz, San Vicente, Schillinger, Cerisier-ben Guiga et Durrieu, M. Lagauche, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 1111-9 du même code, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. ... . - Lorsqu'une personne malade subit une souffrance physique ou psychique constante insupportable, non maîtrisable, consécutive à un accident, à une affection pathologique ou une maladie dégénérative, grave et incurable, elle a le droit d'obtenir une assistance médicalisée pour mourir.
« Cette aide active à mourir ne peut être prodiguée que par un médecin après avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et uniquement si la personne a pu en exprimer la volonté claire et réitérée dans les conditions fixées par l'article L. 1111-4. »
La parole est à M. Roger Madec.
M. Roger Madec. Les amendements défendus à l'instant par MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Guy Fischer consacrent le droit de la personne à obtenir une aide active à mourir en l'associant étroitement à la notion de dignité.
Je connais les réticences d'un certain nombre d'entre vous, mes chers collègues, quant à l'acceptation du droit à mourir dans la dignité et à la liberté qu'elle confère à l'homme de décider de sa mort.
Ainsi, monsieur le rapporteur, vous refusez - vous l'avez dit hier matin en commission - la reconnaissance du droit à bénéficier d'une euthanasie, considérant qu'« une reconnaissance de l'euthanasie ne refléterait pas nos valeurs sociales fondamentales ». Faut-il encore s'entendre sur ce que l'on met derrière le terme « euthanasie ».
Néanmoins, sur des sujets aussi sensibles - on pourrait même dire aussi intimes -, les certitudes, les croyances des uns et des autres sont respectables et méritent l'attention. Nous transportons tous notre part de vécu et d'expérience personnels lorsque nous sommes confrontés à des questions éthiques. C'est pourquoi, dans le respect des convictions de chacun, nous proposons, par cet amendement, une voie médiane.
Cet amendement n'en est pas moins fondamental. Il est même indispensable, car il répond à la situation qui fait que nous sommes ici aujourd'hui.
Nous l'avons déjà dit, ce texte a cela de paradoxal qu'il résulte de la survenance de l'affaire Vincent Humbert, mais qu'il n'aurait pas permis à ce dernier, comme vient de le dire M. Michel Dreyfus-Schmidt, de voir son souhait exaucer. La proposition de loi ne permet en effet pas de résoudre le cas des grands handicapés qui manifestent la volonté d'abréger leur vie sans pouvoir y parvenir par eux-mêmes.
Par cette proposition de loi, la société leur concède qu'elle ne s'acharnera pas à les faire survivre coûte que coûte avec un attirail de machines à vivre et de thérapeutiques et qu'elle les laissera mourir. Cependant, derrière le « laisser mourir », que vous jugez acceptable, à la différence du « faire mourir », auquel on jette l'anathème, on oublie souvent de dire - ou peut-être ne veut-on pas l'entendre - que les êtres ne sont pas égaux face à la mort et à la souffrance, d'autant que mourir prend du temps.
Dans le cas de Vincent Humbert, le « laisser mourir » aurait signifié lui retirer sa sonde gastrique, c'est-à-dire le laisser mourir de faim, lui proposer - comme si lui et sa mère ne vivaient pas suffisamment de détresses, de souffrances - de prendre encore « son mal en patience ». Mais Vincent Humbert ne voulait plus souffrir ; il ne voulait pas imposer une détresse et une angoisse supplémentaires à sa mère.
L'attente et le temps : imaginez-vous, mes chers collègues, ce que cela représente pour les familles, les hommes et les femmes qui sont confrontés à ce type de situation ? Savez-vous combien de temps aurait duré l'agonie du jeune Vincent ? Pour Terry Schiavo, cela a duré quatorze jours ! Alors, que l'on cesse de nous mentir ! Dans le cas de Vincent, un jeune homme de vingt-deux ans dans la pleine force de l'âge, cela aurait pu durer de nombreux jours, voire plusieurs semaines.
Le respect de la volonté de la personne, cette dernière liberté, ce choix intime, pourquoi et comment la société peut-elle continuer de les nier et, dans une grande hypocrisie, accepter que ses citoyens obtiennent ce qu'ils souhaitent dans des pays voisins du nôtre, notamment en Belgique, voire leur proposer une telle solution ?
C'est pourquoi notre amendement offre la possibilité à certains malades de choisir cet accompagnement ultime et en confie la responsabilité au médecin.
Notre amendement vise donc à ajouter aux quatre cas exonérant les médecins de poursuites pénales prévus dans cette proposition de loi - refus de l'obstination déraisonnable, principe du « double effet », limitation ou arrêt de traitement pour les personnes conscientes en fin de vie ou non, limitation ou arrêt de traitement pour les personnes inconscientes en fin de vie ou non - un cinquième cas : l'aide médicalisée pour mourir.
Il n'est pas question ici de « dépénaliser l'euthanasie » ; il s'agit d'encadrer dans le code de la santé publique, pour certaines situations - souffrance physique ou psychique constante insupportable, non maîtrisable ... -, et dans des circonstances précises, une aide à mourir soumise à des conditions strictes. Cette aide ne peut être prodiguée que par un médecin et dans le respect d'une procédure collégiale. Elle ne peut être apportée que lorsque la volonté et le consentement de la personne sont clairs, libres et réitérés.
Ce que nous vous proposons, c'est de ne pas se contenter du « laisser mourir », et de permettre à la « compassion et à la sollicitude » de s'exprimer à travers un geste humaniste : la délivrance de la souffrance.
J'anticipe sur le débat qui se déroulera sans doute entre vous, en précisant que, considérant que l'aide active à mourir ne relève pas d'un principe général, mais découle plutôt de l'expression de la volonté du malade, nous avons fait le choix, par cet amendement, d'insérer un nouvel article dans la section 2 du code de la santé publique, créée par cette proposition de loi. Nous concevons le droit que confère cet amendement comme une possibilité exceptionnelle mais minimale.
Pour conclure, je tiens à saluer, au nom du groupe socialiste, Mme Humbert, qui assiste à cette séance dans nos tribunes. Elle nous regarde, elle vous regarde ! Devant elle, vous n'avez pas à être fiers de la tournure que vous donnez à ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Mon cher collègue, chacun aura l'occasion de juger. Je ne pense pas que des interpellations de cette nature rehaussent l'image du Sénat.
M. Roger Madec. Assumez !
M. le président. Monsieur Madec, je vous ai écouté jusqu'au bout, et personne ne vous a interrompu. Dans l'hémicycle d'une assemblée parlementaire, où siège la représentation nationale, le fait de s'écouter fait partie des convenances minimales des uns envers les autres, surtout sur un tel sujet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous ne nous écoutez pas beaucoup !
M. le président. Nous saluons, bien évidemment, toutes les personnes qui assistent à nos travaux ; elles savent combien elles-mêmes et d'autres souffrent aujourd'hui, et à quel point ce débat est difficile.
Quel est l'avis de la commission sur ces quatre amendements ?
M. Gérard Dériot, rapporteur. Ces quatre amendements vont dans le même sens, puisqu'ils visent à donner accès à l'assistance médicalisée ou à l'aide active pour mourir. L'acte de donner la mort, l'euthanasie, est contraire à la philosophie qui a toujours été celle de la commission. C'est une décision trop grave, trop difficile.
La proposition de loi est claire : il s'agit d'accompagner jusqu'à la fin de sa vie la personne victime d'une maladie incurable en évitant, bien évidemment, les souffrances.
L'acte de donner la mort est totalement contraire à l'activité d'un médecin et à son éthique. On ne peut absolument pas aller dans ce sens. C'est pourquoi, après avoir écouté les auteurs de ces amendements avec beaucoup d'attention, la commission émet un avis défavorable. C'est en effet une démarche philosophique que nous ne pouvons retenir.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Je ferai deux remarques.
Tout d'abord, monsieur Dreyfus-Schmidt, j'ai déjà eu l'occasion de parler de Vincent Humbert, de sa mère, et de dire qu'elle avait accompli un geste d'amour. J'ai également déjà indiqué que ce texte vise à résoudre non pas un tel problème, mais plutôt celui des personnes en fin de vie. Ce que vous proposez peut être l'occasion d'un autre débat, mais ce n'est pas l'objet de la proposition de loi.
Ensuite, tant que je serai ministre de la santé, je n'accepterai jamais qu'un médecin utilise une ampoule de cocktail lithique pour tuer quelqu'un. Telles sont mes convictions. Je les assume ! Je refuserai toujours l'euthanasie, car j'y suis hostile.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. L'euthanasie active !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Les mots « euthanasie active » et « euthanasie passive » sont d'un autre âge.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. L'important est d'éviter que quelqu'un ait mal. Dès l'instant où vous voulez faire passer la douleur en luttant contre une métastase osseuse d'un cancer primitif pulmonaire, vous prescrivez de la morphine et vous injectez deux, trois, voire six ampoules. Mais nous le savons tous, à la septième ampoule, une dépression du centre de la respiration peut se produire. Oui, il est possible d'accepter l'idée de donner cette septième ampoule de morphine, même s'il existe un risque de dépression du centre pneumotaxique !
Vous allez me rétorquer que cette démarche est hypocrite. Non, elle ne l'est pas !
M. Roger Madec. Si !
M. Philippe Douste-Blazy, ministre. Pour moi, il s'agit d'empêcher quelqu'un de souffrir grâce aux soins palliatifs de la pompe à morphine. Cela fait partie de la dignité et des droits de la personne. Avec ce texte, il n'est donc pas question d'euthanasie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, accepter la vie, c'est, par définition, la respecter. Cet aspect est majeur pour un médecin. Vous ne pouvez pas, par la loi, permettre à un médecin de donner la mort. Ce geste ne fait pas partie de mes convictions. Il est absolument fondamental que vous le sachiez si vous voulez que l'on parle le même langage ce soir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote sur l'amendement n°60.
M. Gérard Delfau. Mes chers collègues, nous voilà effectivement arrivés à un moment de vérité.
Monsieur le ministre, vous avez dit, avec beaucoup de conviction et beaucoup de sincérité, m'a-t-il semblé, quelle était votre position. Je la respecte. Toutefois, je vous ferai observer que cette position est aujourd'hui démentie dans les faits, et que là est bien le problème. Pour ma part, je ne peux y adhérer, et ce pour deux raisons.
Tout d'abord, et nous le savons tous, vous mieux que personne, monsieur le ministre, puisque vous êtes médecin, des actes d'euthanasie sont pratiqués quotidiennement par compassion ou en raison d'une certaine conception de l'activité de médecin. Par conséquent, votre position tend à nous condamner collectivement à faire comme si de tels actes n'avaient pas lieu et à continuer à vivre dans le faux-semblant. Sur un sujet aussi grave, ce ne peut être qu'un élément de démoralisation de la société !
Par ailleurs, au-delà de la fin de vie dont nous parlons, il y a un certain nombre d'autres situations. On a beaucoup parlé du cas de Vincent Humbert, mais il y en a d'autres ; et toutes ces personnes attendent qu'on les sorte de l'illégalité, qu'on reconnaisse leur demande. Pour autant, nous ne souhaitons pas qu'une telle pratique se généralise. Là encore, monsieur le ministre, votre position nous place devant une situation très difficile.
D'entrée de jeu, j'avais indiqué que, après avoir beaucoup réfléchi, comme chacun d'entre nous, je voterai le texte en l'état. Toutefois, indépendamment des problèmes de fond que je viens d'évoquer, tout le déroulement de cette discussion - je le dis non pas au ministre, mais à la majorité du Sénat - me fait douter !
La façon dont le président About, après avoir conduit sa commission à déposer ses amendements, a trouvé légitime de s'absenter du débat a placé l'ensemble de la Haute assemblée devant une situation impossible, d'autant que nous traitons d'une question qui n'est ni banale ni technique : il ne s'agit ni du logement, ni du gaz, ni d'un autre point moins important ; c'est un sujet de fond d'une extrême gravité.
De telles erreurs gouvernementales et majoritaires coûtent cher, et elles placent les élus minoritaires que nous sommes, que je suis en tout cas, dans une situation encore plus complexe.
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il conviendrait, au stade où nous en sommes, que vous fassiez personnellement un signe, un geste. Je ne vous demande pas de nous dire que vous allez bouleverser ce texte de loi ! J'ai bien compris, même si je ne partage pas ce point de vue, que, pour vous, le « compromis » auquel vous êtes arrivé ne peut guère être dépassé. Toutefois, vous savez que les problèmes que nous posons existent. Par conséquent, reconnaissez-le au moins !
Dites-nous, enfin, comment nous pourrions, ensemble, comme cela s'est fait à l'Assemblée nationale, recommencer à discuter, ne pas nous séparer en laissant tout le monde dans le désespoir, et le Sénat quelque peu déconsidéré ! Faites un geste et faites-le maintenant, car, ensuite, il sera trop tard et vous n'aurez, pour voter votre texte, que les muets du sérail qui sont à ma gauche ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux, pour explication de vote.
M. André Lardeux. L'invective est très facile et il faudrait que, dans cette assemblée, nous en sortions. Il ne s'agit pas de jeter l'anathème sur qui que ce soit ; chacun a ses opinions, ses convictions.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Vous n'êtes pas muet !
M. André Lardeux. M. Delfau pourrait retirer les mots « muets du sérail »,...
M. Gérard Delfau. C'est la vérité !
M. André Lardeux. ... car tel n'a jamais été le cas, vous le savez bien !
Cela étant, les quatre amendements en discussion ont un point commun : ils tendent à légaliser l'euthanasie. Ne tournons pas autour du pot !
M. François Autain. Mais, nous ne tournons pas autour du pot !
M. André Lardeux. Or, il s'agit bien du clivage essentiel qui nous oppose les uns et les autres. Il s'agit bien - il faut appeler un chat, un chat - de faire mourir, d'aider à mourir ou de tuer.
Mes chers collègues, je considère - vous n'êtes pas obligés de partager cette opinion ; quant à moi, j'approuve parfaitement les réponses de M. le ministre et de M. le rapporteur -, je considère, disais-je, que le décalogue constituait un progrès considérable de l'humanité. Si nous n'y prenons pas garde, nous allons le remettre en cause.
Cela ne suppose pas que nous éprouvions du mépris ou de l'indifférence à l'égard des personnes qui souffrent. Certaines situations ultramédiatisées ont été évoquées. J'ai de la considération pour les personnes qui les ont vécues. Cela dit, je me garderai bien de porter sur elles un jugement, car je n'y étais pas.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il faut juger, tout de même !
M. André Lardeux. Que ce soit en France ou outre-Atlantique, il faut rester modeste, se contenter d'essayer de comprendre et peut-être éviter que de tels faits ne se reproduisent.
Cela étant, la loi, quelle qu'elle soit, ne résoudra jamais les problèmes de conscience.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et la libre conscience ?
M. André Lardeux. Même si un texte devait exister, les médecins comme les familles devront toujours faire face à leur conscience. Ce n'est pas une loi civile, quelle qu'elle soit, qui pourra, en la circonstance, suppléer la loi morale.
Par ailleurs, nous ne traiterons pas de situations particulières par une loi. Chaque cas est différent, chaque difficulté se présente dans des circonstances bien particulières. Par conséquent, si nous votons une loi, nous créerons tout simplement d'autres problèmes.
Certains évoquent l'attachement de l'opinion, faisant référence à des sondages. Permettez-moi de m'interroger sur la validité scientifique de ces derniers : 86 % des Français souhaiteraient l'euthanasie ; pourtant, face aux situations concrètes, très rares sont les demandes réelles de mort. Tout le monde en est bien conscient, me semble-t-il.
Si, malgré tout, cela s'avérait, je répondrais que Michel Debré déclarait qu'il avait été élu pour défendre non pas les idées de ses électeurs, mais les idées qu'il leur avait présentées.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour la guerre d'Algérie ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. André Lardeux. Je ne vois pas ce que la guerre d'Algérie vient faire là-dedans ! Nous ne sommes pas là pour refaire l'histoire !
Etant catholique pratiquant - je ne vais pas prendre mes ordres à Rome, contrairement à ce que suggérait malicieusement un collègue tout à l'heure -, j'ai le devoir d'exprimer mes convictions, que mes électeurs connaissent. S'ils estiment un jour que ces convictions ne correspondent plus à leurs attentes, ils prendront les décisions qui s'imposent.
Telles sont les raisons pour lesquelles j'apporte tout mon soutien au Gouvernement et à la commission sur ce point. Ne mettons pas le doigt dans l'engrenage ! En effet, si nous allons dans ce sens, si le concept de qualité de la vie est poussé à un point tel que l'on peut affirmer tranquillement qu'une vie humaine diminuée par la maladie ou le handicap ne vaut plus la peine d'être vécue, il y aura lieu de beaucoup s'inquiéter. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Permettez-moi de réagir aux propos que vient de tenir M. le ministre, alors qu'il nous présentait la méthode du double effet - c'est ainsi qu'il faut l'appeler -, prétendant qu'il était possible de se passer d'une dépénalisation de l'euthanasie.
Il a, me semble-t-il, cité un procédé pour lequel il est presque impossible de faire la différence entre ce qui relève de l'aide délibérée à mourir et ce qui relève du soulagement de la souffrance.
En outre, il ne faut pas oublier qu'il existe des souffrances réfractaires, des souffrances qui ne peuvent pas céder aux doses morphiniques, aussi importantes soient-elles. Rappelons, à ce titre, que ce qui est mortel, c'est non pas le produit en soi, mais la dose que l'on l'injecte. Chaque patient, calmé par une dose de morphine qui peut varier du simple au décuple, a son propre seuil de douleur, vous le savez !
Enfin, il n'existe pas de trace écrite d'une prescription de morphine. C'est l'intention qui est déterminante pour affranchir le médecin de toute accusation de vouloir tuer le malade.
Il ne s'agit de donner ni l'autorisation ni l'obligation de tuer aux médecins. Il existe une clause de conscience que la loi a instituée, en d'autres circonstances. Il s'agit simplement de ne pas interdire à un médecin qui le souhaite d'apporter à une personne qui le demande une aide à mourir.
Blaise Pascal en connaissait un rayon en matière de casuistique et savait interpréter Saint-Thomas d'Aquin. Il disait que la méthode du double effet donnait le pouvoir de tuer, si l'on dirigeait bien son intention. Je me permettrai d'ajouter que, de surcroît, elle offre au médecin la possibilité de dégager sa responsabilité.
C'est une méthode très confortable, rassurante ! Toutefois, on ne peut pas dire qu'elle se distingue radicalement d'une technique qui aurait pour objectif d'aider un malade à satisfaire la volonté qu'il aurait de mourir. Cette technique est plutôt comparable à une pratique d'euthanasie. Elle n'est jamais utilisée pour répondre à la demande d'aide à mourir de la part de la personne en fin de vie.
J'aurais souhaité qu'une telle lacune puisse être comblée ! C'est pourquoi j'avais déposé un amendement qui, malheureusement, ne pourra pas être discuté, car vous n'êtes pas - c'est le moins que l'on puisse dire - très ouvert au débat !
Grâce à la méthode que vous prônez, certes le malade peut mourir, mais seulement lorsque le médecin lui en donne l'autorisation, en violation des droits de la personne à la libre disposition de la vie. C'est la raison pour laquelle votre argumentation n'est absolument pas recevable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote sur l'amendement n° 30.
Mme Annie David. Avant de cosigner cet amendement, j'ai beaucoup réfléchi. Ma signature n'était d'ailleurs pas acquise voilà quelques mois, comme je l'avais signalé à François Autain. Je ne m'étais d'ailleurs pas associée à la proposition de loi présentée par plusieurs des membres de mon groupe. Depuis, je l'avoue, j'ai évolué dans ma façon d'appréhender ces questions. J'ai beaucoup écouté et lu, j'ai étudié les situations qui se présentent de plus en plus fréquemment dans notre pays et au-delà de nos frontières.
Quelques-uns d'entre nous ont fait part de leurs opinions religieuses. Pour ma part, je suis athée, ce qui est tout aussi respectable. Quoi qu'il en soit, chacun, dans cet hémicycle, qu'il soit croyant, pratiquant ou non croyant, a le droit d'avoir sa vie et sa propre philosophie.
Avec cet amendement, nous faisons entrer la possibilité de l'euthanasie dans la loi, mais, évidemment - et heureusement ! -, nous n'obligeons personne à en faire la demande.
J'ai donc cosigné cet amendement pour que celles et ceux qui estiment qu'ils ont le droit de choisir leur fin de vie puissent le faire. Certains, au sein de notre assemblée, pensent que nous ne pouvons mettre fin à nos jours, qu'il faut attendre le moment venu pour mourir. Je pense au contraire que, lorsqu'une personne est dans des souffrances telles qu'elle souhaite choisir le moment de sa mort, nous ne devons pas lui refuser ce droit.
C'est pour cette raison que j'ai accepté de signer cet amendement, ce qui, je le répète, n'était pas acquis voilà seulement quelques semaines. Mais, après mûre réflexion, je crois vraiment que nous ne pouvons refuser ce droit. C'est la raison pour laquelle je vous invite vivement à voter cet amendement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Je ne reviendrai pas sur les critiques formulées par mon collègue et ami Guy Fischer à l'égard de la législation sur l'euthanasie, qui est archaïque, absurde et incohérente.
La question que je me pose, et que je vous pose, est la suivante : pourquoi protéger la vie d'une personne grabataire ou polyhandicapée qui demande à mourir de façon lucide et réitérée, qui supplie qu'on l'y aide, quelquefois en écrivant au Président de la République, et, dans le même temps, accepter que soit sacrifiée la vie intacte et pleine de promesses d'un embryon qui ne demandait qu'à naître et à se développer - s'il pouvait, évidemment, demander quelque chose ?
Loin de moi l'idée de remettre en cause cette liberté. Au nom de la liberté des femmes, il n'y a pas à le regretter, bien au contraire. Mais alors, pourquoi cette liberté vaudrait-elle quand il s'agit d'un embryon que la femme porte, mais qui n'est pas elle, davantage que plus tard, quand il s'agira d'elle-même, de son propre corps, de sa propre vie qu'elle ne supportera plus ?
M. Gérard Delfau. C'est affligeant !
M. François Autain. Enfin, dépénaliser l'aide à mourir serait une sécurité pour les malades. La loi mettrait un terme aux euthanasies abusives. On ne précipiterait plus la fin d'un patient par impuissance ou pour récupérer son lit, comme cela arrive encore.
Les personnes seules, vulnérables, marginalisées, handicapées, aliénées, jugées indignes de vivre, coûtant trop cher à la sécurité sociale ou subissant les pressions d'un entourage qui veut en finir pour des raisons plus ou moins avouables, toutes ces victimes potentielles de l'euthanasie sauvage, telle qu'elle se pratique aujourd'hui sans principe, dans l'opacité et sans contrôle, auraient tout à gagner d'un changement de la loi. Elles seraient mieux protégées.
La mission d'information de l'Assemblée nationale l'a d'ailleurs explicitement écrit dans son rapport : « le statu quo n'est pas possible ». Malheureusement, elle s'est arrêtée en chemin et le blocage auquel le débat donne lieu au Sénat ne laisse guère présager que la voie se dégage de sitôt.
Il est absolument nécessaire d'aller plus loin, ne serait-ce que pour exercer un contrôle strict, éviter les abus, combler le fossé qui s'est instauré entre le droit et le fait, assurer la transparence des pratiques, mais aussi parce que, entre le fort et le faible, il est bon de le répéter, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Enfin, il convient de mettre un terme à la discrimination entre les personnes qui peuvent se donner la mort seules et celles qui ont besoin d'une aide pour y parvenir.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 30.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 168 :
Nombre de votants | 296 |
Nombre de suffrages exprimés | 295 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 148 |
Pour l'adoption | 120 |
Contre | 175 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 62.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote sur l'amendement n° 71.
M. Jean-Pierre Godefroy. L'amendement n° 71, vous l'avez compris, est un amendement de repli par rapport à l'amendement n° 60 initialement présenté par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt. Il vise à trouver une solution médiane afin que les personnes qui le souhaitent puissent abréger leur existence dans les circonstances les plus heureuses possibles.
Vous noterez, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que, conformément aux souhaits de l'Assemblée nationale et de beaucoup de nos collègues, nous ne touchons pas au code pénal. Il n'est pas pour nous question d'accepter l'euthanasie dans le code pénal ; il n'y a pas de changement à l'interdit éthique « tu ne tueras pas », qui concerne la mort imposée à une personne qui ne la souhaite pas. Nous défendons simplement la possibilité d'assister les personnes qui souhaitent abréger leur existence pour des raisons tout à fait justifiées de souffrances intolérables.
Justement, pour respecter cette éthique - tu ne tueras pas - qui est la nôtre, nous proposons d'ajouter dans le code de la santé publique une cinquième exception exonérant les médecins de poursuites pénales - refus de l'obstination déraisonnable ; principe du « double effet », dont tout le monde sait que le résultat est euthanasique ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes conscientes en fin de vie ou non ; limitation ou arrêt de traitement pour les personnes inconscientes en fin de vie ou non -, à savoir l'aide médicalisée pour mourir, dans des cas très précis qui, vous le reconnaissez, restent aujourd'hui sans solution.
Alors, vous ne l'acceptez pas ! Vous laissez à la justice le soin de décider des cas d'exception tels que celui de Vincent Humbert ! Mes chers collègues, la justice a pourtant pour fonction non pas de se substituer au législateur, mais d'appliquer la loi. Nous ne saurions reporter sur les magistrats notre responsabilité.
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. Ceux-ci n'ont en effet que deux solutions : soit ils appliquent la loi actuelle et poursuivent le médecin pour assassinat ou empoisonnement avec des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à la perpétuité - le problème n'est alors aucunement réglé - ; soit ils se substituent à nous en reconnaissant des circonstances atténuantes, mais la jurisprudence variera selon les juridictions - mon collègue Jean-Pierre Michel évoquait précédemment celle d'Ivry.
Par conséquent, le problème sera occulté et l'épée de Damoclès sera en permanence suspendue au-dessus des médecins. Monsieur le ministre, il ne me semble pas possible de laisser la seule responsabilité de telles questions aux magistrats. C'est notre devoir !
S'agissant de ces cas d'exception que vous refusez de traiter, monsieur le ministre, ne croyez-vous pas qu'il y a véritablement là un manquement humain ? Prenons le cas d'une personne qui ne peut plus disposer de son corps, ni agir par elle-même, qui dépend impérieusement d'une tierce personne pour tous les actes de la vie quotidienne - boire, manger, se soigner, faire sa toilette, communiquer : cette tierce personne, qui est reconnue par la société, ne pourrait se substituer à elle pour ce qui est du droit fondamental de mettre fin à ses jours !
Dans notre pays, le suicide n'est pas condamnable, et une personne qui manque son suicide n'est pas poursuivie. Et fort heureusement, depuis la Révolution française, on ne brûle plus la maison et on ne confisque plus les biens des personnes qui se suicident !
Pourtant, nous dénions à une personne handicapée, qui ne peut plus se mouvoir, la possibilité de voir sa volonté appliquée par une tierce personne. C'est ajouter une souffrance à une autre souffrance. C'est faire de cette personne dans le malheur un « sous citoyen ». C'est refuser de lui reconnaître, par un moyen quelconque, la même capacité de décision qu'à une personne valide.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Le Sénat a voté une loi sur le handicap, animé de la volonté que les personnes handicapées soient considérées comme les personnes valides. Et aujourd'hui, on leur refuse ce droit. L'esprit qui a présidé au vote de la loi sur le handicap devrait pourtant s'appliquer aux personnes qui ne peuvent plus se mouvoir sans une aide extérieure.
Nous avons un devoir impérieux de le faire, sinon, nous ajouterons une souffrance insupportable à une autre souffrance insupportable, nous multiplierons volontairement les souffrances des personnes qui sont dans cette situation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 71.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 169 :
Nombre de votants | 295 |
Nombre de suffrages exprimés | 294 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 148 |
Pour l'adoption | 126 |
Contre | 168 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Rappels au règlement
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, comme nous l'avons indiqué tout à l'heure, nous allons quitter l'hémicycle, à moins que vous daigniez répondre maintenant à la question que nous vous avons posée, en vain, voilà un instant : un amendement présenté par notre groupe a-t-il une chance d'être retenu ?
Plusieurs sénateurs du groupe UMP. Non !
M. Jean-Pierre Godefroy. Le débat est complètement faussé. Nous avons le sentiment - et c'est certainement l'une des raisons pour lesquelles M. About est absent - que, après avoir beaucoup travaillé, après avoir essayé de trouver des solutions consensuelles, la commission des affaires sociales est un peu méprisée.
Nous étions pourtant prêts à faire quelques pas. Comme je l'ai indiqué au cours de la discussion générale, notre vote final dépendait du sort qui serait réservé à nos amendements. Nous n'avions pas une position maximaliste. Nous aurions jugé sur pièce à l'issue du débat. Mais pour l'instant, aucun de nos amendements n'a été retenu.
Les amendements présentés par M. About avaient été adoptés à l'unanimité des membres de la commission. Il aurait été utile qu'ils soient également adoptés en séance publique. Je suppose que si M. About est absent, c'est qu'on l'a prévenu que ses amendements seraient rejetés.
En conséquence, le débat est faussé. Le Sénat ne peut pas s'exprimer. On peut toujours parler, mais sans aucune chance d'être entendu. Il faut voter ce texte conforme. Dès l'instant où cela vient de l'Assemblée nationale, c'est très bien : messieurs les sénateurs, vous n'avez rien à dire ; circulez, il n'y a rien à voir ! Eh bien, comme le disait Maurice Clavel : « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » Le groupe socialiste va donc vous laisser le soin de voter ce texte conforme tout seuls ! (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste quittent l'hémicycle.)
M. Guy Fischer. Monsieur le président, je me suis déjà longuement exprimé tout à l'heure. Nous sommes convaincus que M. le ministre n'accordera aucune attention à nos amendements.
Notre groupe, soucieux d'améliorer la présente proposition de loi, entendait participer à ce débat dans la dignité. De toute évidence, il n'est pas entendu. On constate une volonté de voter ce texte conforme.
Comme l'a rappelé tout à l'heure Mme Borvo Cohen-Seat, tous les membres de notre groupe étaient libres de leur vote. Nous regrettons vivement de ne plus pouvoir accorder de crédit aux amendements qui avaient été adoptés à l'unanimité par la commission des affaires sociales.
Nous comprenons le désenchantement du président About, qui, après trois semaines de travail difficile, s'est exécuté et a retiré ses amendements. C'est une expérience très douloureuse.
Notre groupe a donc décidé, à regret, de quitter l'hémicycle. C'est la première fois que nous le faisons dans de telles conditions, lors de l'examen d'un texte aussi important. Nous considérons avoir déjà tout dit sur ce que devait être ce texte. C'est comme si le Sénat renonçait à sa conception, tout à son honneur, du travail parlementaire qui le conduisait à voter peu de textes conformes et à aiguiser, par des amendements, la justesse des projets et propositions qui lui était soumis.
M. le président. Il ne me revient pas d'exprimer une quelconque observation quant à l'évolution de la séance.
A titre personnel, je regrette que l'hémicycle se vide de cette façon.
M. François Autain. A qui la faute ?
M. le président. Je ne crois pas que l'on puisse m'adresser un quelconque reproche quant à ma façon d'exercer mes responsabilités. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC quittent l'hémicycle.)
La parole est à M. Gérard Delfau, pour un rappel au règlement.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'exprime à titre personnel, mais sans doute ma position aurait-elle été partagée par l'ensemble de la composante de gauche du RDSE. Cette soirée est telle qu'il m'est difficile d'être sûr de la décision qu'auraient prise mes collègues.
Je tiens à dire à M. le ministre et à la majorité du Sénat que nous assistons à un véritable gâchis. De nombreux sénateurs, y compris parmi ceux qui siègent à gauche de cet hémicycle, étaient prêts à faire un pas, à renoncer à une partie de leurs convictions, sans pour autant les trahir, et à voter cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture qui, même si elle est insuffisante, constitue néanmoins un réel progrès.
Toutefois, la façon dont le débat a été mené - il faudrait plutôt dire malmené - les empêche de le faire. Je ne parle pas de votre manière de conduire les débats, monsieur le président, je salue au contraire votre impartialité et votre constant souci d'apaisement. J'ai progressivement acquis la conviction qu'accepter de me prononcer dans ces conditions reviendrait à cautionner ce qui apparaîtra de toute façon comme un réel recul, même si le texte n'est pas modifié.
L'éclairage qui a été donné tout au long de la soirée par la majorité du Sénat, par ses silences, ses interventions, la présence minimale du ministre au cours d'un débat aussi important, feront, n'en doutez pas, penser à l'opinion publique que le Sénat a voté à reculons, à contrecoeur, un texte d'une portée insuffisante.
Placé devant une telle contradiction, je ne prendrai pas part au vote. Toutefois, soucieux de montrer l'importance que notre groupe, comme tous les autres, attache à ce sujet, je resterai dans l'hémicycle jusqu'au terme de ce débat.