PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
M. le président. La séance est reprise.
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Droits des malades et fin de vie
Adoption définitive d'une proposition de loi
(Ordre du jour réservé)
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits des malades et à la fin de vie (nos 90, 281).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis l'origine du monde, la naissance est considérée comme un événement heureux, entourée de mille attentions. A l'inverse, dans l'inconscient collectif, la mort est considérée comme un scandale absolu - pour reprendre l'expression du philosophe Vladimir Jankélévitch -, que l'on arrive difficilement à apprivoiser.
La fin de vie nous pose des difficultés, elle nous dérange. Nous méditons sur elle. Il est temps que la société française comprenne et accepte qu'elle doit la même considération à celui qui va mourir et à celui qui va naître. C'est le respect de la dignité de la personne, de toute la personne, à tous les âges de la vie, qui est ici en jeu.
De la même façon que nous assurons à celui qui naît les conditions de son développement, nous devons à celui qui s'en va un accompagnement éclairé, dans le respect de ses convictions.
Ainsi, il ne devrait pas y avoir, d'un côté, des soins curatifs et, de l'autre, des soins palliatifs. C'est une même médecine qui est à l'oeuvre, pour la satisfaction de l'ensemble des besoins de la personne, à tous les âges de la vie et à tous les stades de la maladie. Les soins palliatifs et l'accompagnement donnent un sens à cette phase terminale de notre vie.
Je suis heureux de défendre aujourd'hui devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, un texte de loi d'origine parlementaire. La représentation nationale s'est mise unanimement d'accord pour légiférer sur le droit des malades en fin de vie. C'est à l'unanimité que l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, le 30 novembre 2004, la proposition de loi relative aux droits des malades et à la fin de vie.
Cette proposition de loi, fruit du travail d'une commission spéciale présidée par le député Gaëtan Gorce et animée par le député Jean Leonetti, s'appuyait sur le rapport remarquable de Marie de Hennezel, réalisé à la demande du ministère. Permettez-moi tout d'abord de les remercier tous les trois.
Cette proposition de loi honore notre démocratie. Les parlementaires ont su proposer une loi qui dépasse tous les clivages politiques, car elle met l'homme au coeur du sujet. Le législateur, dans le courage et la persévérance du juste, a su parfaitement exprimer ce que la société attendait de lui.
La mort n'est pas un sujet auquel nous pensons avec facilité. Pourtant, si nous l'avons apprivoisée, elle finit toujours par imposer sa volonté. C'est l'un des paradoxes les plus troublants de notre existence et probablement la réalité la plus révoltante qui soit.
C'est une question que nos sociétés modernes se plaisent parfois à oublier. Car, aujourd'hui, la responsabilité du politique est engagée : le mourant du siècle dernier entouré par ses proches, dans le silence du recueillement, laisse parfois place à un excès de médicalisation de la mort. Avec le progrès de la médecine et le recul de la pensée religieuse, deux Français sur trois meurent désormais à l'hôpital, laissant croire incidemment que la médecine devrait en être tenue pour seule responsable.
Mais ce que l'on accordait à Dieu, dans la soumission, est difficilement acceptable d'un corps social, fût-il médical.
Nous avons voulu que cette loi sur la fin de vie garantisse aux personnes le droit de mourir dans la dignité en refusant l'obstination déraisonnable qu'autorise pourtant le progrès médical. La fin de vie en est devenue plus complexe. Le médecin peut prolonger la vie par toutes sortes de moyens, dans des conditions que les malades et les familles jugent parfois indignes. Il est devenu nécessaire de corriger les excès de la médecine, de permettre aux médecins d'arrêter ou de limiter des traitements devenus pénibles ou inutiles, quand le patient le demande et lorsqu'on sait que tout est fini.
En théorie, le code de déontologie des médecins, la loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs et celle du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé interdisent aux médecins l' « obstination déraisonnable ».
Mais un article du code pénal sur la non-assistance à personne en danger peut être opposé à un médecin qui décide d'arrêter un traitement. C'est cette dysharmonie entre les textes, mesdames, messieurs les sénateurs, que la proposition de loi qui vous est soumise aujourd'hui tend à corriger.
Certaines voix se sont élevées en France pour que ce texte ouvre la porte à une autre loi, qui dépénaliserait l'euthanasie. Il faut prendre garde aux décisions hâtives et aux amalgames faciles.
La première erreur serait de dépénaliser l'interdit de tuer. Sur ce point, ne nous trompons pas : le « tu ne tueras point » du décalogue n'est pas seulement un principe religieux, il est aussi un fondement de notre organisation sociale. Les Françaises et les Français n'attendent pas de nous que nous légalisions le droit de donner la mort. La proposition de loi traduit cette volonté et elle répondra à leurs attentes dans l'immense majorité des cas.
Exceptionnellement, lorsqu'un malade qui n'est pas en fin de vie souhaite abréger ses souffrances et que l'un de ses proches effectue un geste de compassion, nos institutions laissent aux juges le soin de décider de la tolérance que la société est prête à leur accorder. Ne confondons pas le rôle de la politique et celui de la justice.
La société peut-elle, d'un seul trait de plume, décider que la vie de personnes souffrant d'un handicap ne vaut pas la peine d'être vécue ? Peut-on leur proposer la mort, alors que l'immense majorité d'entre elles ne souhaitent qu'une chose : vivre, lutter, se faire accepter dans le droit à la différence ? La loi ne doit pas et ne devra pas condamner ces vies à la mort.
Où Jean-Dominique Bauby et Philippe Vigand, enfermés dans leur corps inerte par le locked-in syndrome, dépendant des autres pour le moindre de leurs besoins, ont-ils trouvé la force et l'humour pour les faire vivre sinon dans l'amour qu'ils ont rencontré autour d'eux ? Si Jean-Dominique Bauby nous a quittés, il ne l'a pas vraiment cherché. Il a eu le temps de nous confier dans le Scaphandre et le papillon un émouvant et superbe message de dignité, d'amour et d'espoir. De même, Philippe Vigand continue, chaque jour, à nous donner une leçon de vie, une leçon de dignité et - pourquoi ne pas le dire ? - une leçon de courage.
Ceux qui réclament aujourd'hui une loi sur l'euthanasie vont au-delà de la volonté de nos concitoyens, qui souhaitent avant tout soutenir leurs proches dans la souffrance.
Respecter la vie, c'est aussi accepter la mort.
Je le répète donc : cette loi ne sera pas une loi sur l'euthanasie. Elle ne touche pas au code pénal. L'interdit de donner la mort demeure : laisser mourir, ce n'est pas donner la mort.
Je sais que certains pensent, puisque la mort est inévitable, qu'il est hypocrite de faire une différence entre donner la mort et ne pas l'empêcher. Je ne suis pas de cet avis, et d'ailleurs la grande majorité des professionnels de santé non plus.
La différence est éthique, elle est dans l'intention qui préside à l'acte. Permettre la mort, c'est s'incliner devant une réalité inéluctable, et si le geste d'arrêter un traitement - qui s'accompagne presque toujours d'administration d'antalgiques ou de sédatifs - entraîne la mort, l'intention du geste est de « restituer à la mort son caractère naturel » et de soulager ; elle n'est pas de tuer. C'est particulièrement important pour les soignants, dont le rôle n'est pas de donner la mort. C'est également essentiel pour la confiance qui lie le patient à ceux qui le soignent.
Je ne veux donc ni l'euthanasie ni le statu quo. Ainsi, la proposition de loi, en son article 2, autorise le médecin à augmenter les doses de médicaments antidouleur, même si cela peut entraîner la mort. Elle donne le droit au patient en fin de vie, dans son article 6, de refuser le traitement de trop, sans qu'aucun médecin n'ait le droit de s'y opposer. Elle permet, dans son article 9, à un collège de médecins, en consultant les proches, de laisser « partir » le malade inconscient, artificiellement maintenu en vie.
En modifiant le droit, ces trois avancées législatives majeures changeront la réalité demain.
La philosophie de cette loi, équilibrée et tolérante, n'est ni le dogme, ni la science, ni même la morale : c'est le respect de la personne humaine dans toutes ses dimensions. Le Comité national consultatif d'éthique, la Commission nationale consultative des droits de l'homme, l'Eglise de France, et bien d'autres, ne s'y sont pas trompés en approuvant sans réserve le texte voté par les députés.
Les sociétés savantes travaillent à des recommandations, afin que les décisions prises en fin de vie le soient en toute transparence et collégialement, au terme d'une évaluation de la situation et d'un processus de réflexion partagée entre l'équipe soignante, la famille et, bien sûr, le patient. Ces décisions sont toujours assorties d'un accompagnement des équipes, de la famille et du malade.
Nombre de services de réanimation se sont déjà dotés de tels collèges. Ils associent les soignants ; c'est important, car la collégialité et la transparence favorisent une approche cohérente des modalités de mise en oeuvre de la décision et de l'accompagnement. Mesdames, messieurs les sénateurs, quand on a pris une décision ensemble, on a le sentiment de partager les mêmes valeurs. C'est ainsi que se tisse une culture du travail en équipe.
Cette proposition de loi n'instaure pas de procédure automatique « mort » ou « survie », choix qui a été fait par certains pays européens : elle organise le temps du dialogue entre le patient, ses médecins et ses proches. C'est dans cet échange humain et collectif que le malade atteint d'un cancer peut choisir de passer de la chimiothérapie à la morphine. A l'inverse, privé de ce temps, le médecin peut refuser le choix du malade qui s'opposerait à une transfusion sanguine aux urgences ou à une séance de dialyse.
Le respect de la vie, c'est d'abord le respect du temps de la décision humaine. C'est le modèle français de l'accompagnement en fin de vie, que nous saurons définir ensemble, loin des simplifications et des fausses alternatives.
Qui peut juger que le plaisir de vivre a totalement disparu chez un être humain ? Aujourd'hui, des milliers de personnes confrontées à leur vie finissante souhaitent vivre leurs derniers moments le plus dignement et le plus humainement possible. Ces personnes veulent mourir sans douleur, sans angoisse excessive, sans acharnement thérapeutique, recevoir les soins de fin de vie adaptés, ne pas être seules au moment de leur mort.
La personne très âgée qui a beaucoup souffert et qui continue de souffrir est en droit de se préparer à mourir. Paul Claudel l'explique admirablement dans son Journal quand il écrit : « Je suis en pourparlers avec la mort ; je pèse ses propositions ».
Ce qui est essentiel, c'est de rendre la vie supportable dans ses derniers moments, même si le médecin, en soulageant la douleur, peut hâter la mort, voire l'avancer de quelques jours. Comme le rappelle si justement le pasteur Alain Houziaux : « Respecter la vie, c'est aussi respecter le fait que nous ayons à mourir lorsque la vie elle-même nous quitte ».
Pour conclure, j'aimerais rappeler à tous ceux qui semblent l'oublier ce que la vie, même malade, même diminué, même différent, peut avoir de sacré.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, notre responsabilité est grande. Si la Haute Assemblée adopte le texte qui lui est proposé, notre pays sera doté de la législation la mieux équilibrée dont disposeront les pays développés. Ne nous y trompons pas : ce n'est pas la situation particulière qui n'entre pas parfaitement dans le cadre de la loi qui est en jeu ; c'est une vision de la société, de nos sociétés, de notre évolution éthique et morale.
Si la Haute Assemblée vote ce texte dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale, c'est un signal fort que nous donnerons à nos concitoyens, celui d'une représentation nationale rassemblée autour des grands, des vrais enjeux de société : les conditions de la vie, les conditions de la mort.
Désormais, avec la nouvelle loi que vous allez examiner aujourd'hui, la fin de vie en France aura un autre visage : elle sera un moment de choix et non plus de soumission.
Enfin, je tiens à rendre hommage à toutes celles et tous ceux qui, personnellement ou au travers d'associations caritatives, oeuvrent pour rendre la mort un peu plus humaine en accompagnant chaque jour l'autre dans ce passage difficile. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Dériot, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce n'est pas un débat tout à fait comme les autres que nous ouvrons aujourd'hui. Au-delà du dispositif législatif, technique dirais-je, qu'il nous faudra définir ensemble, nous allons entreprendre une réflexion infiniment plus large, qui touche au mystère de la vie et de la mort, au sacré, à l'intime, à la souffrance et à la peur, à l'espoir et à la paix. Je dois vous dire ma profonde émotion et ma grande humilité face à cette si lourde charge.
M. le ministre a rappelé le parcours très particulier du texte que nous examinons. Il émane d'une initiative parlementaire, ce qui me paraît un symbole fort. A cet égard, je voudrais saluer l'implication remarquable de Jean Leonetti qui, à l'Assemblée nationale, a conduit pendant plus d'un an une longue réflexion sur cette difficile problématique.
A partir de ce travail considérable, la commission a souhaité, à son tour, aborder le sujet de la fin de vie sans presse ni excès. Elle a organisé une trentaine d'auditions autour des grands thèmes qu'il évoque : celui de la conscience, en écoutant les religieux et les grands courants de pensée ; celui de la médecine, en consultant le milieu médical confronté directement, et parfois journellement, à l'accompagnement des patients en fin de vie ; celui de la justice, en étudiant le point de vue des juristes, pour réfléchir ensemble aux conséquences pénales qui peuvent résulter de la décision d'abréger la vie d'autrui, fût-ce avec des intentions remplies de compassion.
Nous savons combien nos sociétés modernes, en même temps qu'elles ont permis l'allongement de la vie et l'amélioration des soins médicaux, ont désormais du mal à vivre avec la mort et même à accepter le handicap ou à affronter la maladie.
Aujourd'hui, le plus souvent, on meurt à l'hôpital. Que celui-ci offre, en principe, le meilleur accompagnement en termes de prise en charge de la douleur n'empêche pas qu'il symbolise aussi souvent la mort solitaire et surmédicalisée que redoutent nos concitoyens. Cette considération ainsi que la survenance de cas individuels particulièrement douloureux ou la dénonciation de pratiques scandaleuses qui révoltent l'opinion publique justifient pleinement, à mon sens, l'intervention du législateur.
La solution qui nous a été proposée par l'Assemblée nationale me paraît équilibrée et raisonnable. Elle n'est certainement pas parfaite ; il est probable qu'elle ne résoudra pas la grande diversité des situations qui peuvent se présenter. Mais elle permet au moins d'affirmer que le malade est au centre du dispositif et qu'il a des droits jusqu'aux ultimes moments de sa vie : celui de gérer sa maladie, de décider des traitements qui lui seront appliqués ou de ceux qui seront limités ou interrompus, qu'il soit conscient ou hors d'état d'exprimer lui-même sa volonté.
La commission a très largement soutenu l'idée de n'intervenir que dans le cadre du code de la santé publique, sans apporter de modifications au code pénal. A l'instar de l'Assemblée nationale, elle juge préférable d'écarter du débat le terme « euthanasie », avec toutes les approximations sémantiques qu'il comporte et les confusions qu'il peut susciter dans les esprits. Ce mot recouvre en effet, dans l'opinion publique, des situations très diverses : le crime commis par compassion, le suicide assisté, l'abstention médicale ou l'interruption des traitements dès lors qu'on les juge comme étant devenus inutiles.
Dans tous ces cas de figure, on trouverait comme point commun l'intention de la personne qui fait le choix de donner la mort. Faut-il pour autant considérer, comme l'a fait malencontreusement le Comité national d'éthique, une « exception d'euthanasie » ? Nous ne l'avons pas souhaité, au nom de l'interdit de tuer, qui constitue le fondement de notre société.
Pour ce motif, certains ont considéré que le texte restait insuffisant et qu'il esquivait le vrai problème en ne réglant pas le cas des personnes qui, sans être médicalement parlant en situation de fin de vie, souhaitent pourtant y mettre un terme. Cette analyse n'est pas exacte.
D'abord, pour tous les malades, y compris ceux qui ne sont pas en fin de vie, la proposition de loi affirme pour la première fois l'interdiction de l'obstination déraisonnable, ce que l'opinion publique traduira par l'acharnement thérapeutique. L'objectif est d'autoriser la suspension d'un traitement, ou de ne pas l'entreprendre, si ses résultats escomptés sont inopportuns, c'est-à-dire inutiles, disproportionnés ou se limitant à permettre la survie artificielle du malade.
Reconnaître clairement les limites à respecter avant d'entreprendre un traitement permettra d'alléger la pression qui pèse sur les médecins, notamment sur les médecins réanimateurs, qui peuvent être aujourd'hui poursuivis pour non-assistance à personne en danger s'ils renoncent à intervenir, même pour de bonnes raisons.
Ensuite, deux articles - les articles 4 et 5 - concernent précisément le cas du malade qui n'est pas en fin de vie. S'il est conscient, il pourra demander la limitation ou l'interruption de tout traitement. S'il est hors d'état d'exprimer sa volonté, ces traitements pourront être limités ou interrompus après consultation des consignes qu'il aurait pu laisser, de la personne de confiance qu'il aurait pu désigner, et de son entourage - famille ou proches -, dans le respect d'une procédure collégiale.
Le deuxième point qui me semble devoir être mis au crédit du texte est celui de la recherche d'un équilibre, équilibre entre les droits du malade et la responsabilité du médecin, d'abord.
Ce texte prévoit l'information la plus complète du malade, directement s'il est conscient ou indirectement s'il ne l'est plus. Ce souci se retrouve pour la prescription des médicaments à « double effet » - la morphine, notamment - qui, en même temps qu'ils adoucissent les souffrances, peuvent aussi abréger la vie ; on le retrouve également dans le cas où le malade, conscient, refuse un traitement et met ainsi ses jours en danger, afin qu'il prenne sa décision en parfaite connaissance de cause ; on le retrouve enfin lorsque le malade est précisément en fin de vie et qu'il demande l'interruption des traitements pour maîtriser ses derniers instants.
La proposition de loi recentre par ailleurs la responsabilité du médecin sur ses véritables bases : celle de choisir le traitement approprié, avec le consentement de son malade ; celle de l'interrompre parfois, dans le respect des procédures prévues dans le texte - car il ne faut en aucun cas que cette charge repose sur la famille ou sur l'entourage du malade - ; celle, enfin, d'accompagner son patient dans ses derniers instants, grâce aux soins palliatifs appropriés à son état.
C'est d'ailleurs le troisième point que je voulais aborder. A ce texte - et ce n'est pas sa moindre vertu - a été adjoint un volet spécifique destiné à confirmer l'importance qu'il convient d'accorder aux soins palliatifs, qui sont indissociables de la fin de vie. La proposition de loi envisage non pas tant la création de services hospitaliers spécifiquement dédiés à ces traitements que la participation à cette démarche des différents services susceptibles d'accueillir des patients en fin de vie. On pense, bien sûr, à la cancérologie et à la gériatrie, mais n'oublions pas la pédiatrie et la maternité, car, parfois, donner la vie à un enfant, c'est lui donner la mort trop vite, et ces situations humainement dramatiques appellent aussi soutien et accompagnement.
Monsieur le ministre, il sera sans doute nécessaire de prévoir, au sein des facultés de médecine, la création de chaires pour l'enseignement de ces soins palliatifs.
Je ne voudrais pas achever mon propos sans évoquer trois questions, qui, je le sais, feront l'objet de débats lorsque nous examinerons plus précisément le contenu des articles.
Premièrement, le texte renforce le rôle de la personne de confiance. Celle-ci existe déjà dans la loi actuelle, mais son rôle est reconnu et renforcé lorsque le malade qui l'a désignée est hors d'état d'exprimer sa volonté. Je crois très utile l'intervention de ce tiers, qui peut permettre d'éviter certains conflits familiaux si l'entourage du malade est divisé sur la conduite à tenir.
Deuxièmement, le texte prévoit une innovation : les directives anticipées, par lesquelles une personne pourra faire connaître à l'avance ses consignes pour la fin de sa vie si elle se trouvait empêchée de s'exprimer elle-même. Je sais que ces dispositions seront largement discutées et qu'elles entraîneront des réactions diverses.
Troisièmement, nous allons parler des traitements qui peuvent être interrompus, de ce qu'ils recouvrent, et du fait que les travaux de l'Assemblée nationale y incluent l'alimentation artificielle. Je comprends les problèmes que cette conception peut poser lorsque l'interruption de ce traitement s'appliquera à une personne inconsciente. Je maintiens toutefois que l'alimentation artificielle doit vraiment être considérée comme un traitement, en se fondant notamment sur les avis médicaux.
Tels sont les premiers commentaires que m'a inspirés ce texte. Je suis très conscient des inquiétudes ou des regrets qu'il peut susciter. Je crois néanmoins qu'il prévoit la solution la plus raisonnable et la plus équilibrée que nous pouvions espérer aujourd'hui.
C'est la raison pour laquelle la commission n'a pas déposé d'amendements sur ce texte. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle estime n'avoir rien à apporter à ce dossier si difficile, et je suis persuadé que nos débats témoigneront de la profondeur des réflexions que cette proposition de loi nous a inspirées.
Permettez-moi d'espérer que ce travail collectif, auquel chacun apportera sa sensibilité, nous conduise aussi à changer le regard que nous portons sur la fin de la vie, celle des autres et la nôtre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous livrer quelques réflexions.
Tout d'abord, 75 % des Français désirent mourir chez eux, mais 70 % à 85 % d'entre eux, selon les régions, meurent seuls dans un univers médicalisé, voire surmédicalisé.
Le savoir médical, quand il ne s'adresse qu'au corps, ne peut être à même d'apaiser la souffrance d'une fin de vie. Au contraire, il peut provoquer une mort psychique qui viendrait précéder la mort physique.
Les droits du malade comprennent aussi le droit à l'ignorance, le droit à l'illusion, le droit de changer d'avis, le droit de refuser des actes disproportionnés, mais aussi le droit de refuser l'interruption d'un traitement et d'exiger du médecin qu'il fasse tout pour le sauver ou le maintenir en vie le plus longtemps et dans les meilleures conditions possibles.
Plus du quart des décès en Europe surviennent à la suite d'une décision prise par un médecin. Plus de la moitié de ces décès concernent des personnes de plus de quatre-vingts ans.
Enfin, dernière réflexion, les soins palliatifs exigent l'abandon de l'idée de productivité dans les services, dans les lits qui en relèvent, ou dans les moyens mis en place pour leur déploiement à domicile.
Ces données doivent nous amener non seulement à respecter la volonté de la personne malade, mais aussi à repenser la place qui doit être réservée à la famille et aux soins palliatifs dans la fin de vie des Français, que celle-ci se passe à la maison ou à l'hôpital.
Je veux en cet instant remercier et féliciter notre collègue député Jean Leonetti pour son engagement, son travail et celui de sa commission, sans oublier celui de l'Assemblée nationale, qui nous a transmis ce texte adopté à l'unanimité.
Je veux également saluer et remercier notre rapporteur, Gérard Dériot, qui a accepté de prendre en charge l'une des plus difficiles et délicates propositions soumises à notre commission et au Sénat.
De nombreuses auditions organisées par notre rapporteur, dont plusieurs étaient ouvertes à l'ensemble des sénateurs, nous ont convaincus que si ce texte ne bouleversait pas les pratiques en vigueur il contribuerait à mieux éclairer le rôle de chacun et les procédures à suivre, pour ne pas dire les bonnes pratiques à respecter dans les situations de fin de vie.
Nous ressentons tous la force que l'unanimité de l'Assemblée nationale confère à la rédaction du texte qui nous est soumis.
Si la commission des affaires sociales a fait sienne l'idée d'un vote conforme, comme nous l'a proposé notre rapporteur, c'est parce que ce dernier a su nous faire cette proposition avec sagesse, en nous assurant de porter la plus grande attention aux amendements qui apparaîtraient nécessaires.
Comme son rapporteur, la commission est restée ouverte à toutes les réflexions et propositions des sénateurs. Et cette journée devrait nous permettre de parfaire le travail remarquable de l'Assemblée nationale.
A quelles questions tente de répondre le texte qui nous est soumis ?
Doit-on, en toutes circonstances, refuser l'obstination déraisonnable ?
Comment respecter la volonté de la personne malade, « qu'elle soit consciente ou inconsciente » ou, pour être plus précis, « qu'elle soit ou non en état de donner un consentement ou un refus libre et éclairé » ?
Quelle importance accorder à la famille ?
Quelle place réserver à la personne de confiance ?
Quelle autorité reconnaître aux directives anticipées ?
Qui décide de la conduite à tenir quand le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté ?
Notre organisation des soins palliatifs est-elle satisfaisante ?
Doit-on former des référents en soins palliatifs, et combien ?
Faut-il créer dans les facultés de médecine des chaires en soins palliatifs, comme l'évoquait tout à l'heure M. le rapporteur ?
Avant de vous livrer quelques-unes de mes réactions à ces questions, je veux vous faire partager deux expériences.
La première est celle de l'accompagnement remarquable d'une personne malade, en soins palliatifs à l'hôpital Bretonneau, qui a vécu la fin de sa vie traitée, soignée, calmée, nourrie, entourée et respectée par le personnel soignant, même lorsqu'elle était inconsciente. La présence d'accompagnants étant possible, souhaitée, facilitée et gratuite, elle fut veillée la nuit régulièrement par un ami jusqu'à sa mort.
La deuxième expérience concerne le mauvais sort réservé à un malade octogénaire, guéri d'une infection respiratoire dans un hôpital et qui, en raison de son âge et de sa fatigue après trois semaines d'hospitalisation, a été dirigé contre son gré et par surprise vers l'annexe de l'hôpital, servant de maison de retraite. Cet homme, qui n'avait pas assez de force pour rentrer directement dans sa maison à étages située au bord du Cher, est parti en pleurant vers l'annexe de l'hôpital, « le mouroir », comme il disait. Absence de prise en charge, pas de kinésithérapie, pas de marche quotidienne...
Si vous ne buvez pas, c'est que vous n'avez pas soif ! Si vous ne mangez pas, c'est que vous n'avez pas faim ! Personne ne se demande si le malade peut aisément saisir son verre ou couper ses aliments.
Au bout de trois semaines, l'homme convalescent s'enfonce dans sa fatigue, son sentiment d'abandon et sa tristesse. Insuffisant respiratoire, il s'infecte à nouveau. Le personnel commence alors à parler de fin de vie. Le médecin évoque même un cancer inexistant pour expliquer à la famille qu'il ne s'acharnera pas si la situation se dégrade. On réclame à son épouse un costume propre, qui est immédiatement placé en bas de son placard, bien en vue de tous, avec la mention : « à mettre après le décès ». La famille ayant osé se plaindre, la personne « convalescente » se levant encore un peu, le costume est mis sur un cintre.
Deux semaines plus tard, le convalescent se plaint du dos. Il a mal aux reins, car il ne s'est pas levé depuis plusieurs semaines, personne n'ayant pris soin de lui. En se plaignant, il ignore qu'il vient de signer son arrêt de mort. Pour le calmer, la morphine lui est d'emblée dispensée à des doses le plongeant immédiatement dans une semi-conscience, et il est exécuté en quelques jours par administration de morphine à des doses doublées quotidiennement.
Ces deux histoires, mes chers collègues, n'ont rien de commun.
Dans le premier cas, des soins palliatifs sont mis en oeuvre par du personnel qualifié et formé à la prise en charge d'une personne malade en réelle fin de vie.
Dans le second exemple, la personne guérie est exécutée non parce qu'elle est en fin de vie, mais parce qu'elle est trop avancée dans la vie, pour avoir déjà trop vécu.
Réclamant trop de soins et de prise en charge, occupant trop longtemps un lit, ces malades sont abandonnés par les hommes et un certain système d'absence de soins, triste miroir de notre société.
La personne plus jeune, agonisante, a vécu la fin de sa vie dans la dignité. La personne âgée, quant à elle, a été maltraitée, sa volonté non respectée, ses droits violés, sa vie tranchée.
Il faut rappeler dans tous nos hôpitaux, nos résidences médicalisées et nos maisons de retraite que la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé s'applique aussi aux convalescents et à tous les bien-portants, même âgés de plus de quatre-vingts ans !
Je vais maintenant tenter de compléter les réponses qui nous sont proposées.
Oui, il faut refuser l'obstination déraisonnable en toutes circonstances, sauf une : lorsque le malade conscient le réclame ou que, par une directive anticipée, il l'a clairement réclamée. Le droit à tenter de rester en vie le plus longtemps possible ne saurait être transgressé par quiconque, même lorsque le demandeur a plus de quatre-vingts ans.
Dans tous les autres cas, l'obstination déraisonnable doit être refusée et la décision appartient au médecin, dans le respect des procédures décrites.
Quant à l'état d'aptitude ou non à exprimer sa volonté, la situation est claire si la personne est dans le coma, ou y a été opportunément placée. Mais pour les autres, qui peut certifier qu'ils se prononcent de façon libre et éclairée, comme l'exige notre loi ?
Le niveau d'information reçue, la capacité ou le souhait de percevoir la réalité de son état, le trouble lié à la douleur et à l'angoisse, la volonté réelle de partager les informations de la part de ceux qui les détiennent, et bien d'autres facteurs, relativisent la réelle capacité d'une personne malade à donner un consentement libre et éclairé.
Pourtant, cette solution, comme la démocratie, est la plus mauvaise des solutions en dehors de toutes les autres ; il importe donc de s'y accrocher de toutes nos forces : il faut recueillir le consentement du malade !
Quelle place accorder à la famille et à la personne de confiance ? Celles-ci, parce qu'elles contribuent à introduire du subjectif, du mouvement, du rêve, ont une place importante dans l'équilibre du malade, même au coeur des soins palliatifs.
Un proche est souvent le premier à percevoir que la personne malade a compris sa situation et à savoir que derrière des propos parfois ambigus se cache l'indicible. Le lien de confiance, l'intelligence du coeur et de l'esprit, l'écoute silencieuse des cris de l'âme de celui qui est au-dessus du gouffre donnent le droit de plaider le cas de celui qui s'éteint face au savoir objectif et encombrant du soignant.
Enfin, seules des directives anticipées peuvent surpasser la parole de celui qui a su réellement partager la souffrance.
Et qu'en est-il des soins palliatifs ?
Un jour, le médecin ne parvient plus à guérir. Ce n'est pas surprenant ! C'est un médecin qui vous parle.
Tout vivant est un mourant qui s'ignore. Mais tout mourant est malheureusement trop souvent un vivant qu'on ignore. Il reste alors au médecin à remplir une autre de ses missions, certainement la plus noble : soigner ! Le combat est plus difficile : le soignant est face à une personne malade qui lui renvoie avec violence le dur constat de son incompétence scientifique, qui l'agresse en lui transférant son angoisse du gouffre, celle qui broie les âmes et les coeurs.
Cette mission n'est plus à la hauteur de n'importe quel médecin ou professionnel de soins, pas plus qu'elle n'est à la portée d'un proche isolé : c'est un travail pour une équipe pluridisciplinaire et mobile. C'est la grandeur des services de soins palliatifs. Chacun y a sa place et y reste le bienvenu. C'est un monde de modestie et de respect face à l'essentiel, très loin des certitudes et des glorioles que procurent les choses aisées.
La famille, les bénévoles, qu'il ne faut pas oublier, les amis, l'ensemble du réseau de soins vont réussir à donner un sens à ce temps entre la mort annoncée et la mort réelle.
Les soins palliatifs demandent beaucoup d'énergie et de temps. Ils réclament aussi une formation des acteurs bénévoles et professionnels. Monsieur le ministre, quand enseignera-t-on la plus difficile des missions des soignants : apporter leurs soins à une personne qui va subir l'autre épreuve de son existence, après la naissance, la fin de sa vie ?
Notre société laïque ne se débarrassera jamais de la mort ; elle doit donc savoir y préparer ses citoyens dans la dignité. Mes chers collègues, le texte qui nous est présenté devrait, si vous l'amendez dans le bon sens, faire écho à cette exigence qu'aimait rappeler le plus grand des Polonais : « L'essentiel, c'est la dignité de l'Homme. » (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Bernard Cazeau s'exclame.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 76 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Sylvie Desmarescaux.
Mme Sylvie Desmarescaux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fallait-il légiférer ? J'avoue m'être posée cette question, mais je sais que je ne suis pas la seule. En effet, le code de déontologie médicale prévoit déjà, dans ses articles 36 et 37, que le médecin doit respecter la volonté du patient qui refuse « les investigations ou le traitement proposés. » Il dispose également que le « médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de son malade, l'assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique », et ce en toutes circonstances.
Toutefois, le drame qu'ont vécu la famille Humbert et le personnel soignant a suscité un grand nombre de réactions. Le débat méritait d'être clarifié, le législateur se devait se prendre position.
Je remercie le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, d'avoir permis à nos collègues députés d'effectuer leur travail dans la sérénité et le sérieux qui s'imposaient. Malgré la pression médiatique, ils ont su prendre le recul nécessaire et ne pas légiférer à la va-vite sur l'euthanasie. D'autant que, selon les sondages, les Français seraient, dans leur très grande majorité, favorables à l'euthanasie.
Evidemment, à une question du genre : « En cas de maladie grave et incurable et si vous souffrez de douleurs insupportables, souhaiteriez-vous que l'on vous aide à mourir ? », il est difficile de répondre que l'on veut vivre jusqu'au bout en supportant d'atroces douleurs.
En réalité, je pense sincèrement que le problème concerne non pas la dépénalisation de l'euthanasie, mais la prise en charge de la souffrance.
Nous assistons à une dérive douce de la société qui cite en exemple les Pays-Bas, où l'on prône la mort plutôt que la vie et où l'on banalise l'euthanasie. C'est pourquoi cette loi est nécessaire pour rappeler la position de la France à ce sujet. Le patient en fin de vie est au centre des préoccupations de ce texte, sa volonté est respectée, et les médecins sont protégés par une décision prise collégialement.
Mais quelle est réellement la volonté des personnes en fin de vie ? C'est non pas tant de mourir au plus vite, que de ne pas souffrir et de rester dignes. Les demandes d'euthanasie ne sont pas si nombreuses. Elles proviennent principalement de personnes seules ; cela a été rappelé tout à l'heure. Un accompagnement adapté, une écoute suffisent, dans la très grande majorité des cas, à les faire changer d'avis. L'entourage familial, le personnel soignant, mais aussi les bénévoles des associations, jouent un rôle primordial.
C'est pourquoi il apparaît que la seule façon de faire reculer les demandes de mourir et les passages à l'acte est de développer les structures de soins palliatifs, à l'hôpital, certes, mais aussi et surtout à domicile. Les équipes doivent intégrer des partenaires médico-psychosociaux et les professionnels doivent être mieux formés.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour saluer l'un de mes amis le Dr Delbecque, de Dunkerque, qui oeuvre d'arrache-pied pour le développement des soins palliatifs et l'accompagnement, dans le département du Nord et, au-delà, à l'échelle nationale.
Au-delà de la peur de mourir dans la souffrance, il y a aussi celle de mourir à l'hôpital. Il semble nécessaire de « décentraliser » les soins palliatifs, de les faire sortir de l'hôpital pour permettre aux personnes, quand cela est possible, de mourir chez elles, entourées de leur famille.
Pour que ce système fonctionne, pour soulager la famille, mais aussi le médecin traitant, il est indispensable que des réseaux d'intervenants se constituent. Cela permet également d'anticiper les aggravations. En effet, au niveau national, entre 15 et 20 % des décès à l'hôpital ont lieu aux urgences.
Il arrive que la famille panique, et on peut la comprendre, lorsque la fin de vie est proche, que l'état de santé du malade se dégrade vite. Ne sachant que faire, elle appelle au secours les urgences. Dans ce cas, il y a de fortes probabilités pour que la personne décède soit au cours du transfert, soit aux urgences. Les derniers moments sont alors particulièrement pénibles. En période de forte activité, les urgences ne peuvent pas toujours accueillir dignement la personne mourante, et les familles sont parfois délaissées. La mise en réseau, qui devrait permettre de limiter fortement ce genre de situation, mérite d'être encouragée.
Mais si l'on veut vraiment permettre aux personnes de mourir chez elles, il faudra également consentir des efforts financiers pour la prise en charge du coût des gardes, des auxiliaires de vie sociale et des soignants.
Je souhaiterais évoquer, en outre, le problème du congé d'accompagnement. La loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs autorise un ascendant, un descendant ou la personne partageant le domicile de la personne en fin de vie, à bénéficier d'un congé d'accompagnement d'une durée maximale de trois mois, mais ce congé n'est pas rémunéré.
Le droit de mourir chez soi ne semble donc pas ouvert à tous pour le moment. Néanmoins, la proposition de loi va dans le bon sens : elle renforce les articles du code de déontologie médicale que je citais tout à l'heure. Si le médecin doit s'efforcer de soulager les souffrances de ses patients, il doit aussi être à l'écoute de leur volonté.
Quand il n'y a plus d'espoir, la prolongation artificielle de la vie n'a pas de sens. Personne ne peut vaincre la mort. Pourquoi, alors, vouloir la faire reculer de quelques heures ou de quelques jours ? Pourquoi continuer à administrer des traitements qui n'ont plus d'effet ?
Il est donc important de renforcer le principe d'interdiction de l'obstination thérapeutique déraisonnable. Il reste à savoir la manière dont cette « déraison » sera interprétée. Ira-t-on jusqu'à dire que l'hospitalisation, en tant que telle, d'une personne qui la refuse constitue une obstination thérapeutique déraisonnable ?
Je conclurai mes propos par un sujet qui a fait débat parmi certains de mes collègues, et qui concerne la volonté du patient hors d'état de s'exprimer ; il s'agit des directives anticipées.
Lors de son audition par la commission des affaires sociales, Jean Leonetti, député, président et rapporteur de la mission d'information, rapporteur de la proposition de loi qui nous est soumise, nous a fait part, à ma demande, de l'esprit de la loi à ce sujet. Selon lui, les directives anticipées ont une « prééminence molle » sur la personne de confiance, et l'objectif du législateur est de « favoriser l'émergence d'un consensus entre l'ensemble des parties concernées. »
Sans mettre en doute les propos de M. Leonetti, je reste assez perplexe, et je m'interroge sur l'utilisation de l'expression « à l'exclusion » qui figure dans l'article 8 de la proposition de loi. A mon sens, mais je peux me tromper, cela crée une hiérarchie, qui ne précise rien de sa « mollesse », entre les personnes susceptibles de donner un avis lorsque le patient lui-même est inconscient. Ses directives anticipées prédomineraient sur l'avis de la personne de confiance, puis de la famille, et, enfin, des proches.
Cela me gêne parce que - et je l'ai vécu - il n'est pas rare qu'une personne mourante change d'avis lorsqu'elle voit la mort approcher. Les directives anticipées sont écrites à un moment où la personne se sait malade, mais où elle est encore en pleine conscience. La situation au moment où les directives anticipées sont écrites et celle où la mort est imminente ne sont pas comparables. Je souhaiterais avoir des garanties sur l'utilisation « raisonnable » des directives anticipées.
En conclusion, je tiens à m'adresser au rapporteur, Gérard Dériot, pour le remercier et le féliciter de la qualité de son travail sur un sujet bien difficile, qui touche à notre vécu, à notre affectif. Je remercie aussi le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)