compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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HOMMAGE À HUBERT CURIEN
M. le président. Mes chers collègues, je tiens à vous informer que M. Christian Poncelet, président du Sénat, nous représente aujourd'hui, dans les Vosges, aux obsèques d'Hubert Curien, ancien ministre de la recherche.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, je vous remercie d'avoir, en ce début de séance, évoqué la mémoire d'Hubert Curien.
Hubert Curien, qui occupa les plus hautes fonctions dans des organismes tels que le Centre national de la recherche scientifique, le Centre national d'études spatiales, le Centre européen pour la recherche nucléaire, l'Agence spatiale européenne, qui était président de l'Académie des sciences, et qui fut aussi, pendant sept ans, ministre de la recherche, a été un très grand serviteur de la recherche scientifique ; on peut dire, notamment, qu'il a été le père de l'Europe spatiale et de la fusée Ariane.
Ceux qui ont eu l'occasion de siéger à l'Assemblée nationale ou au Sénat alors qu'il était ministre de la recherche se souviennent de son ouverture d'esprit, de son absolue probité, de son souci de faire de la politique dans le respect d'autrui, ainsi que de son profond attachement à la science, qui en a fait non seulement un grand serviteur de celle-ci, mais aussi un grand serviteur de l'Europe et un grand humaniste.
Le groupe socialiste, comme, j'en suis sûr, l'ensemble de nos collègues, s'associe pleinement à l'hommage rendu aujourd'hui par M. le président du Sénat à la mémoire d'Hubert Curien.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je tiens à m'associer aux propos de notre collègue. Je crois pouvoir dire que le Parlement partage avec toute la communauté scientifique la tristesse que cause la disparition d'Hubert Curien.
M. le président. La parole est à M. François Trucy.
M. François Trucy. Bien entendu, le groupe UMP s'associe à tous les propos qui viennent d'être tenus et tout particulièrement à l'éloge magnifique, et pleinement justifié, qu'a prononcé M. Sueur.
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Le groupe de l'UC-UDF s'associe également de tout coeur à l'hommage qui vient d'être rendu par notre collègue M. Sueur à la mémoire de M. Curien. J'y ajouterai que, au-delà de la science, c'est tout simplement la République qu'a honorée Hubert Curien.
M. le président. Je vous remercie, monsieur Sueur, d'avoir contribué à rappeler quelle grande personnalité fut Hubert Curien.
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CANDIDATURES À DES ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes extraparlementaires.
Les commissions des affaires culturelles, des affaires sociales et des affaires économiques ont fait connaître leurs candidats.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition à l'expiration du délai d'une heure.
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Traitement de la récidive des infractions pénales
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (n°s 127, 171).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui en première lecture traite d'un sujet important et sensible puisqu'il s'agit de la récidive des infractions pénales.
II s'agit d'un sujet important, car, lorsqu'une personne ayant commis une infraction pour laquelle une sanction a été prononcée par l'autorité judiciaire commet une nouvelle infraction, on est forcé de constater que l'intervention de l'institution judiciaire a failli.
Toute « récidive », en prenant ce terme dans son acception la plus large, celle du grand public, conduit nécessairement à s'interroger sur l'efficacité de la justice pénale.
Certes, à peu près les deux tiers des personnes condamnées n'ont plus jamais affaire aux tribunaux. Il convient également de considérer que les récidives sont de nature très différente : certaines ne sont que d'une gravité relative alors que d'autres présentent un caractère dramatique.
Toutefois, qu'il s'agisse du conducteur qui, malgré plusieurs condamnations pour excès de vitesse, continue à ne pas respecter le code de la route, ou du violeur ou de l'assassin qui commet un nouveau crime après sa sortie de prison, la récidive est toujours préoccupante, quand elle n'est pas proprement insupportable.
La lutte contre la récidive constitue ainsi l'une des priorités, voire la principale priorité de la justice répressive.
C'est un sujet complexe qui doit concilier l'exigence d'efficacité et le respect des libertés individuelles. Deux voies sont, à ce titre, possibles.
La première consiste à aggraver la répression de la récidive, la plus grande sévérité des sanctions ayant pour objectif de parvenir à une meilleure dissuasion.
Cette aggravation découle du doublement des peines encourues en cas de récidive légale ainsi que l'existence d'un régime plus sévère d'exécution de la peine. Elle découle également de l'interdiction de prononcer le sursis simple au profit d'une personne qui en a déjà bénéficié.
La seconde voie consiste à prévenir la récidive, ainsi que toute forme de réitération, lors du prononcé et de l'exécution de la sanction.
Il faut ainsi faire en sorte que cette sanction puisse aboutir au reclassement du condamné ou permettre que celui-ci fasse l'objet d'une surveillance de nature à le dissuader de commettre d'autres infractions.
Il importe évidemment d'assurer un juste équilibre entre ces deux objectifs de répression et prévention.
Le respect des libertés individuelles impose enfin que la volonté légitime d'améliorer l'efficacité de la lutte contre la récidive ne mette pas en cause les principes fondamentaux de notre droit pénal et de notre procédure pénale.
Doivent dès lors être respectés les principes de proportionnalité et de nécessité, de même que le principe de l'individualisation de la sanction par l'autorité judiciaire, dans le cadre de procédures permettant le plein exercice des droits de la défense.
Des réformes récentes sont venues améliorer très sensiblement la lutte contre la récidive, en mettant essentiellement l'accent sur la prévention.
Je pense, premièrement, au placement sous surveillance électronique, créé par la loi du 19 décembre 1997, laquelle faisait suite à la proposition déposée par votre ancien collègue Guy Cabanel.
Je pense, deuxièmement, à la création du suivi socio-judiciaire par la loi du 17 juin 1998, applicable aux auteurs d'infractions sexuelles.
Je pense, troisièmement, à la loi du 9 mars 2004, qui, sur l'initiative du Sénat et de son rapporteur, M. Zocchetto, déjà, a créé le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, dont la mise en service est fixée au mois de juin 2005 par son décret d'application, sur lequel la Commission nationale informatique et libertés doit rendre son avis le 17 février prochain.
Je pense, quatrièmement, aux très nombreuses modifications prévues par cette loi de mars 2004, fixant la lutte contre la récidive parmi les principes directeurs de l'application des peines. Cette même loi a, en outre, institué de nombreuses possibilités d'aménagement des peines, destinées notamment à éviter les sorties « sèches », dont on connaît le caractère criminogène.
Je pense enfin, cinquièmement, à quelques modifications de nature réglementaire résultant du décret du 13 décembre 2004, relatif à l'application des peines, qui tire les conséquences de la loi du 9 mars 2004. Ce décret précise le rôle des services pénitentiaires d'insertion et de probation dans le suivi des personnes faisant l'objet d'un suivi socio-judiciaire. II prévoit un régime plus sévère pour l'octroi des permissions de sortir aux récidivistes et clarifie les conditions dans lesquelles pourra être effectué, avant la libération des détenus, un examen de leur dangerosité et des risques de récidive.
Il demeure toutefois possible d'améliorer notre droit et nos pratiques judiciaires afin de renforcer l'efficacité de la lutte contre la récidive, comme l'a montré le rapport d'information présenté en juillet dernier par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Pascal Clément, et son rapporteur, M. Gérard Léonard, rapport qui a donné lieu à la proposition de loi que vous examinez aujourd'hui.
J'exposerai brièvement le contenu de cette proposition de loi, me permettant de commenter au fur et à mesure la position de la commission des lois.
D'une manière générale, je voudrais, à titre liminaire, souligner la qualité du travail de la commission et la clarté du rapport de M. Zocchetto, qui approfondit de façon très significative la réflexion lancée par l'Assemblée nationale.
Je voudrais également mettre en évidence les nombreux points de convergence existant entre l'Assemblé nationale et la commission des lois du Sénat quant aux solutions législatives devant être apportées au problème de la récidive, même s'il existe, sur certaines questions, des différences d'appréciation.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est important !
M. Dominique Perben, garde des sceaux. La présente proposition de loi qui comprend trois séries de dispositions.
Les premiers articles de la proposition de loi sont relatifs à la récidive, à la réitération et au sursis.
L'article 1er, qui est accepté par votre commission, étend les cas dans lesquels certains délits, notamment parce qu'ils sont accompagnés de violences, doivent être assimilés au regard des règles de la récidive.
L'article 2 vise à inscrire dans notre code pénal la notion de réitération, distincte des notions d'« infraction en concours » ou d'« infraction en récidive » et qui n'existe pour l'instant qu'en « creux » dans notre droit, afin d'en préciser les conséquences juridiques.
Votre commission des lois propose d'alléger la rédaction de cet article, certaines phrases lui paraissant ambiguës ou inutiles. Je suis certain qu'une rédaction consensuelle pourra aisément être trouvée lors de la navette parlementaire.
L'article 3 limite le nombre de sursis avec mise à l'épreuve dont peut bénéficier un récidiviste. Il est en effet choquant qu'un multirécidiviste puisse éternellement bénéficier du sursis avec mise à l'épreuve, alors même qu'en matière de sursis simple s'applique la règle « sursis sur sursis ne vaut ».
Je me félicite que cette disposition importante de la proposition de loi recueille l'accord de votre commission.
De même, est très opportun l'article 6, qui permet au tribunal de relever lui-même l'état de récidive, dans le respect du caractère contradictoire des débats et des droits de la défense. Là encore, votre commission des lois est favorable à cette disposition.
L'article 4 prévoit que, pour certains délits de violences ou d'agressions sexuelles commis en récidive, la délivrance d'un mandat de dépôt est obligatoire, sauf décision motivée du tribunal.
Votre commission des lois propose d'étendre cette disposition à tous les cas de récidive délictuelle. Elle prévoit que le tribunal pourra délivrer un tel mandat sans motivation, mais elle ne lui impose plus de motiver l'absence de mandat.
Même si je comprends parfaitement la position de votre commission, il faut reconnaître que l'idée d'une incarcération immédiate - sauf disposition contraire de la juridiction - des récidivistes de faits de violences ou d'agressions sexuelles est en cohérence forte avec la volonté de lutter contre la récidive. C'est pourquoi je ne puis être favorable à l'amendement de votre commission.
L'article 5, qui vise à réduire le crédit de réduction de peine dont peuvent bénéficier les récidivistes, ne recueille pas l'accord de votre commission des lois. Il est pourtant traditionnel que le régime d'exécution de peine d'un récidiviste soit plus sévère. Dès lors, je ne suis pas favorable à la suppression de cet article, et il appartiendra à la navette de trancher ce différend.
La deuxième série des dispositions de la proposition de lois concerne la création du placement sous surveillance électronique mobile.
Réservé aux infractions les plus graves et devant être spécialement prononcé par les juridictions, ce placement paraît sans doute répondre à un besoin.
Toutefois, j'avais indiqué devant l'Assemblée nationale que ces dispositions particulièrement complexes et novatrices devraient être améliorées au cours de la navette afin de renforcer à la fois la cohérence juridique et l'efficacité du dispositif.
C'est dans cet esprit que le Premier ministre a confié, à ma demande, à M. le député Georges Fenech une mission d'information sur le placement sous surveillance électronique mobile, mission qui devra donner lieu au dépôt d'un rapport avant la fin de la présente session.
La commission des lois propose de supprimer les articles de la proposition de loi visant à créer ce placement au motif qu'il lui semble prématuré de les adopter. Sa position doit évidemment être appréciée au vu de l'existence de cette mission, qui permettra au Parlement d'être mieux éclairé au cours des prochains mois.
Au demeurant, ces réticences doivent être relativisées puisque votre commission propose que le placement sous surveillance électronique mobile puisse intervenir dans le cadre de la libération conditionnelle.
C'est pourquoi, s'agissant de ces amendements, je m'en remettrai à la sagesse de la Haute Assemblée.
La troisième série des dispositions de la proposition de loi concerne le suivi socio-judiciaire et les irresponsables pénaux.
Nul ne conteste, me semble-t-il, la nécessité d'améliorer les dispositions relatives au suivi socio-judiciaire, qui est encore insuffisamment mis en oeuvre alors qu'il constitue un outil particulièrement utile pour lutter contre la récidive des criminels sexuels.
Il est notamment justifié, comme le prévoit l'article 13 de la proposition de loi, de permettre à des psychologues de participer au traitement des condamnés.
Je suis, par ailleurs, favorable aux deux propositions de votre commission en la matière. La première vise à étendre le champ du suivi socio-judiciaire aux actes de tortures ou de barbarie, ce qui est très opportun. La seconde prévoit de donner une base légale et réglementaire aux traitements inhibiteurs de la libido dont l'efficacité aura été démontrée, ce qui permettra de prendre en compte les résultats d'une prochaine expérimentation en la matière.
J'en termine par la question complexe des personnes déclarées pénalement irresponsables, en raison d'un trouble mental, alors qu'elles ont commis un crime ou un délit et qu'elles sont susceptibles de présenter une dangerosité potentielle très importante, comme nous le rappelle malheureusement l'actualité la plus récente.
Faut-il inscrire ces personnes dans un fichier, et spécialement dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles ? L'Assemblée nationale a répondu par l'affirmative. Votre commission a un avis différent. Je crois, quant à moi, que la réflexion doit se poursuivre, au vu notamment des conclusions du groupe de travail interministériel présidé par l'ancien procureur général près la Cour de cassation, M. Burgelin.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vous est soumise est, je le crois, pragmatique et équilibrée. Elle accroît la sévérité de notre droit dans les situations qui le justifient tout en respectant les principes et traditions juridiques qui sont les nôtres.
Le message, adressé par le législateur aux juridictions en matière de lutte contre la récidive gagne, me semble-t-il, en clarté. II n'est plus dit que le récidiviste peut être sanctionné plus sévèrement, mais que le récidiviste doit être sanctionné avec une plus grande fermeté.
Toutefois, en fonction des circonstances de l'espèce, c'est au seul juge d'apprécier, dans des limites, à la fois plus précises et suffisamment souples, fixées par la loi, la peine la plus adaptée pour réprimer plus fermement le récidiviste dans les conditions les mieux à même d'éviter une nouvelle récidive.
Il me semble que vous tous ici ne pouvez que partager cet objectif et les moyens proposés pour y parvenir. C'est pourquoi le Gouvernement est favorable à cette proposition de loi, ainsi qu'à de nombreux amendements de votre commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales adoptée par l'Assemblée nationale le 16 décembre dernier.
Voilà dix ans, notre ancien collègue M. Guy-Pierre Cabanel remettait au Gouvernement un rapport intitulé « Pour une meilleure prévention de la récidive », qui comportait vingt propositions et préconisait plus particulièrement l'institution d'un placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des courtes peines privatives de liberté.
Ce bracelet électronique « première manière » a été consacré dans la loi du 19 décembre 1997, qui a résulté d'une initiative sénatoriale.
Le 4 mars 2004, la commission des lois de l'Assemblée nationale constituait une mission d'information - son président et son rapporteur étaient respectivement MM. Pascal Clément et Gérard Léonard - qui était consacrée au traitement de la récidive des infractions pénales. En juillet dernier, cette mission a présenté vingt propositions. La présente proposition de loi reprend les recommandations qui revêtent un caractère législatif, notamment la plus novatrice d'entre elles, à savoir le placement sous surveillance électronique mobile, à titre de mesure de sûreté, pour les auteurs des infractions sexuelles les plus graves.
Ce parallèle entre deux initiatives parlementaires permet de souligner la volonté commune de la représentation nationale de mieux lutter contre la récidive, même si les approches des deux chambres ne se confondent pas.
En 1994, soucieux de prévenir les conséquences criminogènes de l'incarcération, le Sénat avait privilégié un dispositif destiné à s'assurer du contrôle du condamné, tout en évitant la rupture des liens familiaux ou la perte d'un emploi.
Le placement sous surveillance électronique mobile tel qu'il est aujourd'hui proposé par l'Assemblée nationale se distingue, à deux titres, de l'actuel bracelet électronique fixe que nous connaissons déjà : il s'appliquerait d'abord aux condamnés qui ont purgé leur peine ; il reposerait ensuite sur la technique du GPS, susceptible d'assurer un contrôle « en continu » du délinquant.
Si la commission des lois souscrit à l'objectif d'une répression plus rigoureuse des récidives, elle s'est néanmoins interrogée sur plusieurs des dispositions adoptées par les députés et elle vous proposera, en conséquence, de modifier pour une part importante le texte qui vous est soumis.
Avant de présenter la position de la commission, il me semble nécessaire de rappeler et la réalité que recouvre la notion de récidive en matière pénale.
Les principes qui régissent la récidive dans notre droit s'inspirent de l'adage latin bien connu errare humanum est, perseverare diabolicum. La récidive ne se confond pas avec toute répétition d'infractions. Elle répond à des conditions précises, définies aux articles 132-8 et suivants du code pénal.
L'état de récidive légale suppose, d'une part, une condamnation définitive - c'est le premier terme de la récidive - et, d'autre part, une infraction commise ultérieurement - c'est le second terme de la récidive.
La première condamnation doit être pénale, définitive, toujours existante et, enfin, prononcée par un tribunal français.
Le second terme de la récidive, constitué par la nouvelle infraction, répond à des conditions différentes selon qu'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement ou d'un délit puni d'une peine d'emprisonnement inférieure à dix ans.
Dans ce dernier cas, pour qu'il y ait récidive légale, le délit doit avoir été commis dans un délai inférieur à cinq ans et être identique ou assimilé par la loi à la première infraction commise.
Lorsque la récidive légale est constatée, l'auteur de l'infraction encourt le doublement de la peine prévue par le code pénal.
Ainsi définie, la récidive se distingue du concours d'infractions, qui vise plusieurs infractions entre lesquelles n'est pas intervenu un jugement définitif ; dans ce cas, les peines peuvent se cumuler dans la limite du maximum légal de la peine la plus sévère.
La récidive se distingue également de la réitération d'infractions, qui concerne des infractions ayant fait l'objet de condamnations définitives sans que les conditions de la récidive légale soient réunies. Dans cette hypothèse, chaque infraction est traitée individuellement, sans aggravation du plafond de la peine.
Il est essentiel de bien faire la distinction entre récidive, d'une part, et réitération et concours d'infractions, d'autre part, de manière à éviter que certains jugements soient mal compris dans l'opinion publique.
L'aggravation de la peine encourue pour la récidive légale se traduit dans la pratique judiciaire moins par un allongement de la peine prononcée que par la condamnation à une peine d'emprisonnement ferme. Le juge n'est d'ailleurs pas toujours en mesure de relever l'état de récidive légale, faute de disposer des informations nécessaires dans le casier judiciaire, compte tenu du délai de dix mois existant en moyenne entre le prononcé d'un jugement et son inscription dans le casier.
Les données issues du casier judiciaire font apparaître un taux de récidive légale limité pour les condamnations délictuelles. Je vous surprendrai peut-être, mes chers collègues, mais ce taux était, en 2002, de 5,3 % en matière délictuelle et de 2,6 % en matière criminelle.
Cependant, la notion statistique de « recondamnation », qui concerne le nombre de personnes faisant l'objet d'une nouvelle condamnation dans un délai déterminé, permet une approche moins juridique et beaucoup plus réaliste de ce phénomène.
Ainsi, sur la base d'une étude qui a permis de suivre jusqu'en 2000 des personnes qui ont été condamnées en 1996, il est possible de dresser quatre constats.
Premièrement, la probabilité d'une nouvelle condamnation apparaît élevée : un tiers des personnes condamnées en 1996 ont fait l'objet d'une nouvelle condamnation dans les cinq années qui ont suivi. Et cette proportion atteint 45 % pour les mineurs, ce qui ne manque pas de retenir l'attention.
Deuxièmement, la nouvelle infraction présente souvent des similitudes avec la précédente : 41 % des personnes condamnées reproduisent une infraction de même nature. La part des nouvelles condamnations pour une deuxième infraction à caractère sexuel n'apparaît, en revanche, pas particulièrement élevée puisqu'elle n'est que de 1,3 % ; ce pourcentage va donc à l'encontre d'une idée reçue.
Troisièmement, le délai qui sépare le prononcé d'une condamnation et la commission de la nouvelle infraction est en moyenne de quinze mois, ce qui signifie que la récidive se fait assez rapidement.
Enfin, quatrièmement, le taux de retour devant la justice des personnes qui ont déjà été condamnées à une peine d'emprisonnement ferme dépasse 55 %. En d'autres termes, lorsqu'on a fait l'objet d'un emprisonnement, on risque malheureusement beaucoup plus de commettre de nouvelles infractions et d'être à nouveau condamné.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est un sérieux problème !
M. François Zocchetto, rapporteur. Hélas, il n'existe pas d'explications simples à un phénomène qui est d'une grande complexité.
Le fait de persévérer dans la délinquance peut être associé à certains troubles de comportement, s'agissant notamment des auteurs d'infractions sexuelles, qui représentent désormais entre 20 % et 25 % de la population pénitentiaire. La commission regrette que, à l'issue de leur détention, ces personnes ne fassent pas l'objet, faute de moyens suffisants, du suivi nécessaire. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet.
En outre, le caractère dissuasif du système répressif souffre des difficultés d'exécution de la sanction pénale. Cette situation trouve en particulier son illustration dans le fait que les obligations du sursis avec mise à l'épreuve apparaissent parfois comme assez théoriques. En effet, de nombreux magistrats nous ont expliqué qu'ils prononçaient des sursis avec mise à l'épreuve, mais qu'ils ne se préoccupaient pas de l'obligation ; ainsi le sursis avec mise à l'épreuve se transforme en un sursis simple et l'objectif tendant à assurer un suivi du condamné après sa condamnation n'est pas atteint.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale comporte trois titres : le premier est consacré à la répression de la récidive, le deuxième, à la surveillance électronique mobile, le troisième, au suivi socio-judiciaire.
Le titre Ier de la proposition de loi prévoit une série de dispositions destinées à renforcer la répression de la récidive.
Il s'agit tout d'abord de l'extension des catégories de délits assimilés, au sens de la récidive légale, permettant le doublement des sanctions encourues.
Ainsi, la traite des êtres humains et le proxénétisme constitueraient une même infraction au regard de la récidive. J'aurais tendance à dire : comment n'y a-t-on pas pensé plus tôt ? En effet, de telles infractions méritent sans aucun doute une attention particulière au regard de la récidive. Or, aujourd'hui, le code pénal ne prévoit rien de ce point de vue !
De même, les infractions de violences volontaires aux personnes ou commises avec la circonstance aggravante de violence seraient assimilées et tomberaient ainsi dans le champ de la récidive légale.
L'article 2 de la proposition de loi tend à définir, à droit constant, la notion de réitération, dont l'interprétation est aujourd'hui parfois source de confusion.
L'article 3 prévoit de limiter à deux le nombre de sursis avec mise à l'épreuve susceptibles d'être prononcés à l'égard d'un prévenu en situation de récidive et à un seul sursis avec mise à l'épreuve lorsque la récidive concerne les crimes les plus graves.
L'article 4 permet l'incarcération dès le prononcé de la peine des condamnés en situation de récidive légale pour des infractions sexuelles ou des faits de violence volontaire ou commis avec la circonstance aggravante de violences, le tribunal conservant la faculté de ne pas délivrer le mandat de dépôt par une décision spécialement motivée.
L'article 5 limite le crédit de réductions de peine annuelles et mensuelles pour les détenus récidivistes.
Enfin, dans l'article 6, l'Assemblée nationale propose que le tribunal correctionnel puisse relever d'initiative l'état de récidive légale, sans l'accord du prévenu.
Le titre II de la proposition de loi aborde le thème du placement électronique mobile à titre de mesure de sûreté pour les auteurs des infractions sexuelles qui ont été punis à une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Rappelons que, à la différence de l'actuel bracelet électronique fixe, qui constitue une mesure alternative à l'incarcération, ce dispositif tend à s'appliquer à des personnes ayant déjà purgé la totalité de leur peine.
Selon la proposition de loi, le placement serait décidé par la juridiction de jugement, mais il appartiendrait à la juridiction de l'application des peines de le mettre en oeuvre, après évaluation de la dangerosité de l'intéressé par une commission des mesures de sûreté.
Le placement sous surveillance électronique mobile pourrait être ordonné pour une durée de trois ans renouvelable en matière correctionnelle et de cinq ans renouvelable en matière criminelle. La durée totale du placement ne pourrait excéder vingt ans pour un délit et trente ans pour un crime.
J'ajoute que, selon l'article 16 de la proposition de loi, ce placement pourrait s'appliquer de manière rétroactive aux personnes déjà condamnées au moment de l'entrée en vigueur de la loi.
Enfin, dans son titre III, la proposition de loi prévoit plusieurs mesures nouvelles relatives au suivi socio-judiciaire.
Les mesures proposées à cet égard tendent d'abord à donner aux psychologues la possibilité de participer au dispositif de l'injonction de soins, dans le cadre du suivi socio-judiciaire. Est également prévu l'élargissement du fichier des auteurs d'infractions sexuelles - fichier que nous avons créé ici, au Sénat, par la loi du 9 mars 2004 - aux personnes déclarées pénalement irresponsables en raison de l'abolition de leur discernement, et ce quelle que soit par ailleurs l'infraction qu'elles seraient supposées avoir commise.
Quelle est la position de la commission des lois sur ce texte ? En cet instant, je la résumerai en disant qu'elle partage la volonté des députés de lutter plus efficacement contre la récidive, mais qu'elle a souhaité tenir compte des critiques formulées contre plusieurs des dispositions de la proposition de loi par un très grand nombre d'acteurs de l'institution judiciaire entendus au cours des auditions.
Tout d'abord, la commission souscrit à l'objectif d'une répression rigoureuse des récidivistes et elle approuve ainsi trois des articles adoptés par les députés, qu'elle vous propose d'entériner sans modification.
Il s'agit : de l'extension des délits assimilés au regard de l'application des règles de la récidive, à savoir la traite des êtres humains et le proxénétisme, d'une part, les violences volontaires, d'autre part ; de la limitation du nombre de condamnations assorties d'un sursis avec mise à l'épreuve, ce qui consacre d'ailleurs complètement la pratique actuelle des magistrats ; de la faculté, pour la juridiction de jugement de relever l'état de récidive à l'audience, et il s'agit là, tout simplement, d'inscrire dans le code pénal la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
En revanche, la commission des lois s'est longuement interrogée sur le placement sous surveillance électronique mobile, sur la réalisation duquel pèsent plusieurs incertitudes.
Les premières sont d'ordre technique et financier.
Il convient tout d'abord de relever que la technique du GPS, sur laquelle reposerait ce système, dépend aujourd'hui du système satellitaire américain. Elle présente, à ce titre, des limites au regard des principes de confidentialité et d'indépendance dans le traitement des données concernant les personnes condamnées. Cela a été souligné par certains membres de la commission des lois, notamment par notre collègue président de la CNIL.
Par ailleurs, le coût de ce dispositif reste une inconnue, étant entendu, toutefois, que le projet devrait mobiliser des moyens humains importants, en particulier si le principe d'une surveillance continue devait être retenu. On dit souvent qu'il faudrait trois personnes à temps plein pour en surveiller une autre avec le système du GPS.
D'autres incertitudes, non moindres, sont d'ordre juridique.
Les procédures retenues par l'Assemblée nationale semblent très lourdes et très complexes. En tout état de cause, il aurait été préférable d'inscrire le placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre du suivi socio-judiciaire.
Plus généralement, c'est la finalité du dispositif qui a suscité notre perplexité. L'effet préventif du bracelet électronique mobile demeure controversé. Selon certains psychiatres, il serait vraiment dissuasif. Pour d'autres, aucun dispositif, quel qu'il soit, ne saurait empêcher un déséquilibré de commettre une nouvelle infraction. Il serait donc utile d'évaluer l'impact possible de ce bracelet sur le comportement des délinquants sexuels.
En effet, nous avons affaire, en matière de crimes sexuels, d'actes de torture ou de barbarie, de meurtres particulièrement horribles, à des comportements par nature imprévisibles, caractérisés par des pulsions. Beaucoup de spécialistes, notamment des psychiatres, s'accordent à dire que ce n'est pas le port d'un bracelet qui empêchera la récidive.
En fait, la commission des lois considère que cette technique pourrait surtout être utilisée dans le cadre d'une enquête policière afin d'identifier, grâce à l'émetteur, l'auteur d'une infraction. Ce n'est pas rien ! Aussi une réflexion plus approfondie sur le placement sous surveillance électronique mobile demeure-t-elle nécessaire.
Au reste, le rapport de la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale s'achevait par le souhait d'un « vaste débat national » sur le placement sous surveillance électronique mobile. L'Assemblée avait donc bien conscience qu'il était un peu prématuré d'envisager un tel dispositif.
Par ailleurs, notre collègue député M. Georges Fenech s'est vu confier par le Premier ministre une mission temporaire auprès du garde des sceaux afin d'étudier « la définition d'une procédure juridique organisant ce placement et précisant les modalités de son suivi ». Cette mission vise également à s'assurer de « la faisabilité et de la fiabilité technique du dispositif », à évaluer son coût dès à présent et à voir si des dispositifs analogues ont été mis en oeuvre à l'étranger.
La technique du bracelet électronique mobile existe, mais seulement à l'état d'expérimentation : dans l'Etat de Floride, aux Etats-Unis, et dans la région de Manchester, au Royaume Uni. Il serait sans doute très utile de tirer les leçons de telles expériences.
En outre, il convient de mentionner les travaux, actuellement en cours, de la commission santé-justice, présidée par M. Jean-François Burgelin, ancien procureur général près la Cour de cassation. Ils apporteront également, d'ici un mois et demi ou deux, des éclairages très intéressants, en particulier sur les moyens de mieux prévenir le risque de récidive des personnes reconnues irresponsables sur le fondement de l'article 122-1 du code pénal.
Nombreux sont donc les travaux qui sont actuellement menés sur les sujets que nous abordons aujourd'hui.
Dans ces conditions, après un large échange de vues, la commission des lois a estimé à l'unanimité qu'il était prématuré de retenir le régime juridique prévu par les députés pour le placement sous surveillance électronique mobile. C'est pourquoi elle a déposé des amendements tendant à la suppression des articles 7 et 8, qui tendent à instituer le dispositif, ainsi que l'article 16, qui en prévoit la rétroactivité. Sur ce dernier point, tout le monde s'est accordé à considérer que ne pouvait subsister dans le texte une disposition qui est, par nature, anticonstitutionnelle.
A ce stade, l'intérêt éventuel de cette nouvelle technique pourrait être validé dans le cadre de la libération conditionnelle, étant rappelé que cela suppose l'accord du condamné. Nous ferions ainsi oeuvre utile puisque, je l'ai rappelé, les conditions de la récidive se trouvent plus facilement réunies lorsque la personne condamnée se retrouve, du jour au lendemain, dehors, sans logement, sans famille, sans environnement, c'est-à-dire en cas de sortie « sèche ». Permettons que, dans le cadre de ce que nous appelons le « sas de sortie », on puisse utiliser ce bracelet électronique mobile.
Je conclurai mes propos en évoquant les autres amendements de la commission.
Ils répondent à trois séries de considérations.
Tout d'abord, il convient de lever certaines ambiguïtés relatives à la notion de réitération, en simplifiant considérablement le texte de l'Assemblée.
Je vous proposerai par ailleurs, mes chers collègues, de préserver le principe de l'individualisation de la peine, en particulier dans la décision de décerner un mandat de dépôt à l'audience.
Enfin, je vous demanderai d'étendre le champ d'application du suivi socio-judiciaire et de renforcer l'efficacité de l'injonction de soins.
Sous réserve de ces modifications, qui transforment, certes, la physionomie du texte, la commission des lois vous invite à adopter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF, de l'UMP et du RDSE, ainsi que sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;
Groupe socialiste, 32 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui n'est pas le fruit du hasard. En effet, elle puise sa source dans une proposition de loi qui, déposée il y a un an à l'Assemblée nationale, inspirée par le précédent locataire de la place Beauvau et signée par MM. Christian Estrosi et Pascal Clément, tendait à instaurer des peines minimales en matière de récidive.
Pour tenter d'atténuer la cacophonie suscitée par ce texte, une mission d'information fut mise en place par M. le garde des sceaux, dont l'aboutissement est donc cette proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales. C'est pour moi l'occasion de constater que la pertinence des peines minimales fait débat au sein du Parlement, mais aussi en dehors.
La mission d'information a formulé vingt propositions ; le groupe CRC peut en approuver certaines, telles que l'abandon des peines automatiques, le souci d'éviter les sorties « sèches », ou encore le renforcement des moyens en matière d'application des peines.
Force est cependant de constater que les auteurs de l'actuelle proposition de loi, loin de retenir ces dispositions, ont privilégié des mesures dont on peut craindre qu'elles ne soient inefficaces pour lutter contre la récidive, mais très efficaces sur le plan de l'affichage politique ! Dans cette logique, le moindre fait divers pourrait justifier le dépôt de textes renforçant notre arsenal pénal !
La proposition de loi est en totale contradiction avec la réalité, c'est le moins que l'on puisse dire. Les chiffres sont là, chers collègues, et chacun sait que nos prisons explosent, que la surpopulation carcérale est alarmante et que la prison est criminogène. Pourtant, on ne nous propose ici que des mesures qui n'auront d'autre effet, il faut en être conscient, que d'accroître mécaniquement le nombre des détenus. Je pense évidemment à l'exécution automatique des peines de prison, à la limitation du nombre des sursis avec mise à l'épreuve qui pourront être prononcés à l'encontre de la même personne, à la limitation des réductions de peine ainsi qu'à la modification des conditions de la récidive.
Ces dispositions posent évidemment un problème, de ce pont de vue, mais, malheureusement, ce ne sont pas les seules.
L'article 2 prévoit d'introduire dans notre législation pénale une notion que l'on n'utilisait jusqu'à aujourd'hui qu'en criminologie : la réitération. Les auteurs de la proposition de loi ont fait le choix d'introduire cette notion dans le code pénal pour une raison simple : il est très difficile de savoir si un prévenu est ou non en état de récidive légale, car la mise à jour du casier judiciaire est très longue. Les juges ne sont donc pas forcément informés des antécédents judiciaires de la personne qu'ils ont à juger.
Au lieu de s'attaquer au problème de fond, le choix a été fait d'introduire une notion juridique supplémentaire, aux contours plutôt flous. Je pense au contraire qu'il faut régler les problèmes à leur source.
Il est exact que le casier judiciaire est aujourd'hui une machine qui tourne au ralenti, ce qui n'est pas satisfaisant. Il est donc indispensable de mettre en oeuvre un plan d'urgence pour que notre casier judiciaire soit performant et notre outil statistique, efficace. Si cela n'est pas fait, le problème se renouvellera inéluctablement. En effet, en ce qui concerne l'application de la notion de « réitération », la mise en place d'un fichier sera nécessaire. Sinon, où le juge pourra-t-il trouver les informations relatives au prévenu ?
Il est urgent d'arrêter de créer des fichiers en dehors du casier judiciaire, qui est le seul, selon nous, à offrir les garanties nécessaires pour une utilisation judiciaire de la notion de « réitération ».
Il faudrait donc donner au casier judiciaire et aux juridictions les moyens de travailler en temps réel, les possibilités offertes aujourd'hui par l'informatique rendant un tel schéma possible. De surcroît, l'expérience de tous les autres fichiers existant actuellement montre que non seulement leur exploitation est source de nombreuses erreurs outre les nombreuses erreurs, mais qu'ils donnent lieu à certains abus.
Concernant la limitation du nombre de sursis avec mise à l'épreuve que les juridictions pourront prononcer à l'encontre des récidivistes - deux, voire un seul pour certaines infractions -, nous pensons que cette mesure, prévue à l'article 3, va à l'encontre de l'individualisation de la peine.
Or l'individualisation de la peine est l'un des principes fondateurs de notre droit pénal. En vertu de ce principe, déjà connu du droit pénal romain, les circonstances de l'infraction et la personne de l'accusé doivent toujours être prises en compte dans le prononcé de la peine par le juge.
Je sais bien qu'il existe à l'heure actuelle une pression forte pour revenir sur ce principe et introduire dans notre droit des notions qui ont cours ailleurs, notamment là où le droit romain n'est plus d'actualité, s'il l'a jamais été, mais je persiste à penser que notre conception de la peine est meilleure. C'est d'ailleurs pourquoi l'idée même d'instaurer des peines automatiques va à l'encontre de notre philosophie juridique.
Dois-je également rappeler que la peine doit aussi permettre, outre la réparation de l'infraction, la réinsertion de son auteur ? Limiter le nombre de sursis avec mise à l'épreuve entraînera inévitablement une augmentation du recours à l'emprisonnement ferme.
Vraiment, alors que tous, dans les deux assemblées et sur toutes les travées, s'accordent pour reconnaître l'état catastrophique dans lequel se trouvent nos prisons aujourd'hui, il semble incroyable que vous souhaitiez augmenter le recours à l'emprisonnement ferme !
Le sursis avec mise à l'épreuve est un bon moyen de lutter contre la récidive, à condition qu'il soit suivi de manière stricte par les services d'insertion et de probation. Le problème tient au fait que ces derniers n'ont pas les moyens nécessaires pour assurer un réel suivi de tous les sursis avec mise à l'épreuve. Si l'on veut que le suivi de toutes les personnes condamnées à ce type de peine soit réel, monsieur les garde des sceaux, il faut renforcer considérablement les services pénitentiaires d'insertion et de probation et accroître le nombre d'éducateurs. C'est à ce niveau qu'il convient d'agir : à défaut, la mise en oeuvre de tous les dispositifs que nous votons, y compris ceux qui existent déjà, restera dérisoire.
Le problème de la surpopulation carcérale se pose également quand vous prévoyez, à l'article 4, la détention automatique de certains récidivistes si le tribunal correctionnel prononce une peine d'emprisonnement sans sursis.
Une fois encore, vous entendez faire voter une disposition qui est peut-être efficace en termes d'affichage, mais qui ne prend malheureusement pas en compte la réalité.
Par ailleurs, cette disposition pose un problème en cas d'appel du jugement prononcé. Quelles seront les garanties du condamné en la matière ? Rien n'est prévu dans ce texte, preuve qu'il a été rédigé un peu à la va-vite.
J'en viens maintenant aux dispositions relatives à la surveillance électronique mobile.
Je veux rappeler ici que, lors de l'examen de la proposition de loi de notre ancien collègue Guy Cabanel, texte qui consacrait, en 1997, le placement sous surveillance électronique comme modalité d'exécution des peines, notre groupe avait manifesté le plus grand scepticisme. Non que nous soyons par principe hostiles aux alternatives à la prison ou à des dispositifs de réduction de peines assortis de mesures de surveillance, bien au contraire, comme nous n'avons jamais manqué une occasion d'en apporter la preuve. Si nous étions sceptiques, c'était plutôt sur l'utilisation du bracelet électronique, tant il est clair que la technique ne saurait remplacer le suivi, encore moins la prévention.
D'ailleurs, quel est le bilan aujourd'hui ? On nous dit que trois cents personnes auraient été placées sous surveillance électronique : le chiffre est dérisoire si on le compare au nombre des condamnations prononcées dans la même période. Et qui sont ces trois cents personnes ? Pourquoi elles et pas d'autres ? Il serait intéressant que nous disposions d'un bilan plus « qualitatif » des placements sous surveillance électronique.
Aujourd'hui, nous doutons d'autant plus de la pertinence du dispositif proposé qu'il est complètement disproportionné, au point que, sous l'égide de la commission des lois - mais l'initiative a fait l'unanimité -, il nous sera proposé de modifier sur ce point la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale et de ne pas faire du placement sous surveillance électronique mobile une peine supplémentaire. Car, il faut le dire, il s'agit ni plus ni moins, dans le titre II de cette proposition de loi, de créer une « double peine », c'est-à-dire une peine après la fin de la peine, ce qui rappellera quelques souvenirs à ceux qui ont bien voulu, avec nous, remettre en question la fameuse « double peine » qui concernait, elle, les étrangers.
D'emblée, on peut dire que cette disposition est contraire à nos principes les plus fondamentaux, notamment à celui qui prévoit qu'une seconde peine ne peut être appliquée alors qu'une première peine vient d'être exécutée sans qu'une nouvelle décision d'une juridiction habilitée à prononcer un jugement soit intervenue.
En effet, ce placement sous « bracelet GPS » est bien une seconde peine. Une personne qui a été condamnée et qui a purgé sa peine est considérée comme ayant payé sa dette envers la société. Ici, il n'en est rien : le condamné le reste quasiment à perpétuité puisque la durée du placement sous surveillance électronique mobile peut atteindre vingt ou trente ans.
Par ailleurs, le fait que le juge prononce, dès la condamnation à une peine d'emprisonnement, le placement sous surveillance électronique avec effet à la sortie de prison signifie que le comportement du détenu durant sa détention ne sera jamais pris en compte avant le placement sous surveillance. Cela s'apparente à une peine automatique, ce qui n'est pas admissible au regard des principes qui fondent notre droit pénal.
Au-delà de son principe même, le dispositif de placement sous surveillance électronique mobile comporte également d'autres mesures contestables. Je pense tout d'abord à l'évaluation, par le juge de l'application des peines, de la dangerosité de la personne condamnée.
Cela constitue un renversement du sens de l'intervention du juge de l'application des peines. Alors que ce juge a été créé pour permettre un aménagement progressif de la peine, dans le sens d'un assouplissement, en cours ou avant la mise à exécution, il lui sera demandé de procéder à une évaluation de la dangerosité d'un individu et de mettre à exécution une mesure de sûreté venant s'ajouter à la peine en quelque sorte a priori. Voilà donc le juge de l'application des peines investi d'une double responsabilité !
Il est évident que le magistrat préférera dire, afin de ne pas voir sa responsabilité engagée en cas de récidive, ce qui est humain, qu'un condamné continue d'être dangereux même après l'exécution de sa peine. La justice n'en sortira pas grandie !
Par ailleurs, l'intervention d'une commission des mesures de sûreté chargée de donner un avis sur le placement sous surveillance électronique semble parfaitement inopportune. L'Assemblée nationale a au moins eu l'intelligence de faire disparaître la composition de cette commission du corps du texte et de renvoyer à un décret. En effet, en quoi le préfet ou encore le général commandant de la région de gendarmerie seraient-ils qualifiés pour évaluer la dangerosité d'un détenu ? Espérons cependant que nous ne reverrons pas apparaître une telle composition dans le décret d'application prévu par le nouvel article 723-35 du code de procédure pénale.
Permettez-moi une dernière remarque sur cette commission : la création d'une commission purement administrative nous paraît introduire une totale confusion entre les sphères administrative et judiciaire.
Ensuite, se pose le problème du secret médical. En effet, le juge de l'application des peines pourra demander l'avis de tout médecin ou médecin psychiatre ayant eu à connaître la personne condamnée.
Enfin, il convient de s'interroger sur l'utilité d'une localisation en permanence d'un individu et sur les problèmes d'ordre éthique que pose une telle pratique.
Comment croire que la possibilité de localiser un individu 24 heures sur 24 l'empêchera de commettre une nouvelle infraction ? On manipule l'opinion grâce à une illusion technologique. Le bracelet électronique, ou le « bracelet GPS », quel que soit son degré de fiabilité, n'est qu'un moyen technique de contrôle ; il n'est ni un éducateur ni un psychologue. Pourquoi pas, demain, le suivi psychiatrique électronique ?
Le bracelet ne permettra ni un suivi socio-éducatif ni une réinsertion dans l'intérêt de la société et des victimes. Pourquoi le suivi socio-judiciaire prévu par la loi de 1998 n'est-il pas pleinement appliqué ? Faute de moyens ? Faute de volonté ? Interrogeons-nous et donnons-nous déjà les moyens d'appliquer ce texte-là.
Il serait bien plus efficace d'améliorer l'accompagnement à la sortie dans le cadre du dispositif de libération conditionnelle ainsi que le suivi socio-judiciaire, en renforçant notamment les effectifs des psychiatres publics. Evidemment, nous n'en sommes pas là, et personne ne parle du problème bien que tout le monde constate le naufrage de la psychiatrie publique.
La mise en place du bracelet électronique engendrera sans doute des coûts considérables - nous pouvons le supposer, mais nous ne disposons d'aucun élément pour les apprécier -, des coûts qui, soit dit en passant, n'ont pas été chiffrés dans la loi de finances pour 2005. En tout cas, les sommes qu'on y consacrerait auraient été bien plus utilement dépensées en renforçant les mesures préventives que je viens d'énoncer.
Enfin, l'inscription, sans limitation de durée, des irresponsables pénaux dans le fichier des auteurs d'infractions sexuelles nous paraît extrêmement dangereuse puisque, par définition, un irresponsable pénal ne peut pas se rendre compte des conséquences de son acte. En revanche, prévoir un suivi médical continu permettra sans doute d'éviter la récidive. Pour cela, il faudrait que nos hôpitaux publics - mais c'est également vrai de nos juridictions judiciaires - disposent de d'avantage de moyens !
Je ne m'attarderai pas sur l'article 16, qui doit susciter la désapprobation unanime du Sénat. Il s'agit en effet de prévoir que la loi qui sera issue de nos travaux pourra être appliquée à des personnes condamnées antérieurement à son entrée en vigueur. En d'autres termes, il s'agirait d'un cas d'application rétroactive de la loi pénale. Qui, ici, pourrait voter l'application rétroactive de la loi pénale ? Que l'on puisse même le proposer est incroyable !
Monsieur le garde des sceaux, la justice souffre cruellement d'une absence de moyens, ces moyens qui lui sont indispensables pour faire exécuter les courtes peines d'emprisonnement, pour traiter les longues peines autrement que par l'incarcération « sèche » ou la sortie « sèche » et pour mettre en oeuvre des peines alternatives à l'emprisonnement. C'est bien cette carence qui est le principal facteur de récidive !
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec cette proposition de loi, nos collègues députés Pascal Clément et Gérard Léonard nous invitent à partager leurs certitudes.
Je ne ferai aucun procès d'intention et ne prétendrai pas que ce texte n'est motivé que par une volonté d'affichage. En effet, la situation actuelle est telle - je pense à l'émotion que suscitent en permanence dans l'opinion des crimes et des délits non sanctionnés - que nous pouvons comprendre leur démarche et, d'une certaine façon, y souscrire.
Le problème est réel : 20 % des peines ne sont pas exécutées ; on dénombre 30 % de récidivistes ; les travaux d'intérêt général ne sont souvent accomplis que très longtemps après le prononcé de la sanction.
Mais, à ces certitudes, il est possible d'opposer quelques réserves.
Le droit pénal est extrêmement délicat à manier : nous touchons là une matière très sensible, qui met en jeu des principes fondamentaux, notamment la liberté. Aussi mon approche sera-t-elle très nuancée : le groupe auquel j'appartiens cultive cette vertu, même si cela ne constitue toutefois pas un critère d'adhésion !
La nature des problèmes que pose ce texte diffère selon qu'il est question de l'aggravation des sanctions, du bracelet électronique - notre groupe a d'ailleurs été précurseur en la matière - ou du dispositif socio-judicaire.
Sur l'aggravation des peines, c'est-à-dire les délits assimilés, la commission des lois a adopté le dispositif proposé, auquel nous sommes à notre tour favorables. J'en profite pour rendre hommage à la qualité du travail accompli par la commission des lois, qui - et c'est bien là le rôle du Sénat - a tempéré l'ardeur quelque peu intempestive de l'Assemblée nationale, en apportant sérénité et calme au débat.
La commission des lois a clarifié la notion de réitération : dans sa rédaction initiale, si ma mémoire n'est pas défaillante, le texte contenait le mot « antécédents », qui pouvait prêter à interprétation. Il est apparu en outre que la réitération permettrait de prononcer des peines beaucoup plus lourdes que le concours réel d'infractions, qui entraîne une confusion des peines.
J'en viens au sursis avec mise à l'épreuve. Les différentes personnes entendues sur la question se sont accordées à reconnaître que cette mesure était peu efficace dans les faits : faute de moyens de contrôle, elle se réduit à un sursis simple. Il nous est proposé qu'après deux sursis avec mise à l'épreuve une condamnation ferme soit prononcée. Nous sommes favorables à ce dispositif et approuvons les observations formulées par la commission des lois à ce sujet.
Nous n'avons pas la même position à l'égard du mandat de dépôt obligatoire à l'audience, qui conduit en fait, si je puis dire, à renverser la charge de la preuve. En effet, il reviendrait désormais au magistrat de justifier l'absence de dépôt. Cette mesure troublerait, selon moi, l'ordre pénal. Je ne pense pas qu'il faille aller si loin car nous sommes dans l'improvisation complète.
Le procureur général de Paris, M. Jean-Louis Nadal, ne déclarait-il pas que la meilleure sanction est celle qui est le mieux adaptée à la gravité des faits et surtout à la personnalité du prévenu ? Le principe de l'individualisation de la peine doit donc être maintenu. Or, s'il était adopté, ce texte rétrécirait considérablement le champ d'action du juge en la matière.
Les orateurs précédents ont largement évoqué le problème du bracelet électronique, je ne m'y attarderai donc pas. Quelle est la situation actuelle ? Qu'apporte le nouveau bracelet électronique par rapport à l'ancien dispositif ? Ne risque-t-on pas de susciter des conflits entre la juridiction de jugement et la juridiction de l'application des peines ?
Des expériences ont actuellement lieu en Floride et à Manchester, ville que l'on salue d'habitude pour d'autres raisons ! (Sourires.) Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, notre collègue Georges Fenech vient de se voir confier une mission dont nous attendons les conclusions. Dans sa sagesse, la commission des lois a préconisé de suspendre toute initiative. C'est une excellente décision.
En effet, les experts eux-mêmes le disent : le bracelet électronique, mesure de sûreté s'il en est, même s'il est porté durant vingt ans, ne constituera en rien une garantie ! Ne peut-on imaginer qu'un délinquant sexuel multipliera les provocations, du fait même qu'il porte un tel bracelet ? Cette question est réelle et, sur ce point également, il ne peut être question d'improviser.
En réalité, il faudrait aller beaucoup plus loin en matière budgétaire. Certes, vos efforts sont réels, monsieur le ministre, mais la justice a besoin de moyens supplémentaires. Elle manque par exemple de psychiatres. Robert Badinter avait souligné, à l'occasion de l'examen du budget de votre ministère, la gravité de la situation sanitaire à l'intérieur des prisons : 10 % des détenus seraient atteints de schizophrénie. Ce chiffre me paraît un peu excessif, mais il recouvre sans doute une réalité.
Dans la recherche permanente de l'équilibre - et l'exercice est délicat - entre le pouvoir d'appréciation laissé au juge, d'une part, et les mesures contraignantes, d'autre part, renforcer la répression n'a rien de scandaleux ; Montesquieu l'a bien admis. Nous sommes prêts à vous suivre sur ce point, monsieur le ministre, à condition que les moyens soient au rendez-vous.
Au demeurant, il ne me semble pas opportun que nous nous engagions plus avant dans cette voie avant qu'aient été rendues les conclusions de la mission Fenech et celles de la mission Burgelin sur le suivi socio-judiciaire.
La position de notre groupe est, je le répète, très nuancée. Mais l'hommage, certes un peu tardif, qui est rendu à notre collègue Guy-Pierre Cabanel, ainsi que la sagesse dont a fait preuve la commission des lois en apportant des modifications à l'ensemble du dispositif nous invitent à y être favorables.
Quant à moi, j'aurai, à l'instar de quelques collègues, une position un peu plus réservée.
Je conclurai par une remarque, qui n'est peut-être pas totalement hors sujet. Le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, lors de la présentation de ses voeux au Président de la République, a dénoncé l'inflation législative : trop de lois tue la loi. Nous ne sommes pas loin de partager ce point de vue.
En 2001 a été votée la loi relative à la sécurité quotidienne - certes, vous n'étiez pas aux affaires, monsieur le ministre ! -, mais, en 2002, lors de l'élaboration de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, dite « Perben I », vous étiez bien là ; en 2003, ce fut la loi pour la sécurité intérieure - nous nous rappelons tous le débat qui a eu lieu dans cette enceinte sur les halls des immeubles : tout cela était assez stérile - ; puis vint, en 2004, la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, dite « Perben II ».
Je vous pose une question à cent sous, monsieur le ministre : le législateur n'est-il pas finalement le premier récidiviste ? (Sourires. - Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est au moins de la réitération ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par rappeler quelques faits.
Au cours de l'été 2003, plusieurs crimes sexuels sont commis. Au mois de novembre de la même année, Nicolas Sarkozy provoque un véritable tollé au sein de son propre parti en exprimant, au cours d'une émission de télévision, son souhait d'instaurer des peines minimales pour les récidivistes.
Cette déclaration suscite une série de réactions émanant des syndicats de magistrats, et de bien d'autres. Le principe de la peine minimale automatique fait l'objet d'une condamnation unanime du monde judiciaire.
Malgré tout, le 4 février 2004 est déposé à l'Assemblée nationale un texte signé par une centaine de députés tendant à instaurer des peines minimales en matière de récidive.
Toutefois, l'opposition à l'instauration de cette mesure est telle que le texte est abandonné ; la commission des lois de l'Assemblée nationale crée alors une mission d'information relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Cette mission se donne deux objectifs : « établir un tableau précis de la récidive en France » et « examiner, le cas échéant, les réponses qu'appelle la prise en compte par la justice d'un phénomène que les Français ne peuvent accepter ».
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est donc issue des travaux de cette commission. Elle présente deux défauts majeurs.
Premier défaut : il s'agit typiquement d'un texte de circonstance qui répond à l'émotion suscitée par d'horribles affaires. Or, chacun le sait, nous devons, en tant que législateurs, toujours refuser de céder aux sirènes de l'actualité. Elles ne peuvent qu'être mauvaises conseillères, laissant de côté les questions de fond.
Mes chers collègues, si nous en sommes arrivés là, c'est sans doute parce que, aujourd'hui, certains citoyens considèrent que la justice prête plus d'attention aux délinquants qu'aux victimes ! C'est sans doute aussi parce qu'un ministre de la République traite les défenseurs des droits de l'homme de « droits-de-l'hommistes » ou de « bons penseurs intellectuels mondains » ! C'est sans doute encore parce que certains de nos concitoyens considèrent que nous faisons trop référence aux droits de l'homme, qu'eux-mêmes ne considèrent plus comme une priorité.
Ce résultat est dû aussi en partie au fonctionnement même de la justice. Nous n'en serions pas là si les peines étaient vraiment exécutées, si chaque délinquant était poursuivi et jugé et si chaque victime voyait son cas traité par la justice.
Selon les chiffres du ministère de l'intérieur, alors que près de 4 millions de crimes et délits ont été constatés en 2004, ne sont poursuivies en moyenne par an que 600 000 personnes. Et parmi elles, combien sont condamnées ? Combien exécutent leur peine et dans quelle proportion ?
Un tiers des peines ne sont pas exécutées aujourd'hui. La remise de peine automatique a donc un effet pervers sur le système judiciaire, tant pour les victimes que pour les condamnés.
En fait, les auteurs de la proposition de loi veulent imputer aux juges l'échec de la politique contre l'insécurité, en laissant entendre qu'ils seraient trop laxistes. La droite instrumentalise ainsi la procédure législative pour « afficher » son volontarisme politique.
Second défaut : ce texte constitue une réponse démagogique à la détresse des victimes. Les auteurs de cette proposition de loi affichent l'ambition de lutter contre la récidive, laquelle, c'est vrai, constitue l'une des plaies de notre société, et ce depuis toujours. Malheureusement, les dispositions avancées ne règlent rien.
En effet, il est faux d'affirmer que la justice pénale ne prend pas en considération la récidive : cette notion existe déjà dans le code pénal ! Les magistrats tiennent compte des antécédents judiciaires du prévenu, lorsque les conditions de la récidive légale ne sont pas réunies. En général, ils condamnent à des peines de prison ferme, et non à des peines de prison avec sursis.
Ce texte ne touche pas à ces mesures, mais, à l'article 2, il définit la réitération. Cette disposition est inutile dans son ensemble, car les juges tiennent déjà compte du passé judiciaire du condamné. Même si la réitération ne figure pas en ces termes dans le code pénal, elle est donc déjà prise en considération par le juge.
De plus, il me paraît inutile de reprendre le principe d'individualisation des peines, déjà présent dans le code pénal.
Enfin, selon la rédaction actuelle du texte, la réitération empêche la limitation du quantum et la confusion des peines. Le prononcé de la peine pourra alors être plus sévère en cas de réitération qu'en cas de récidive.
Mes chers collègues, l'inefficacité de ces mesures est prouvée par les chiffres même de la récidive, chiffres que M. le rapporteur a rappelés : en effet, si 31 % des personnes condamnées pour des délits récidivent, il n'y en a plus que 5 % lorsqu'il s'agit de crimes. Or ce texte ne contient que des mesures répressives pour l'ensemble des récidivistes.
Les mesures censées prévenir la récidive, quant à elles, ne s'appliquent qu'aux délinquants sexuels. Or ceux-ci ne représentent qu'un taux de récidive de 1,3 %, cela a été dit.
Les mesures préventives prévues dans ce texte ne s'appliqueront donc qu'à une partie extrêmement réduite de la population. On nous annonce un texte général sur la récidive, lequel, en définitive, ne touchera qu'une dizaine de personnes, à savoir les auteurs de viols !
Toutes ces mesures, qui ne toucheront que quelques individus, sont donc profondément injustes et inefficaces.
Les auteurs de la proposition de loi avancent que la surveillance électronique mobile impliquera une pression telle sur les délinquants sexuels potentiels qu'ils ne récidiveront pas. Toutefois, comment croire à une telle affirmation si, déjà, la pression de la prison n'a pas joué le rôle qu'elle devait jouer avant que le crime ne soit commis ? Il est en effet certain, aujourd'hui, que la prison ne joue pas son rôle dissuasif pour le récidiviste. Bien au contraire ! La fonction criminogène de la prison n'est plus à démontrer.
Dans ce cas, comment une surveillance par GPS pourrait-elle dissuader de quoi que ce soit ?
En réalité, le placement sous surveillance électronique mobile n'empêchera pas la récidive : ce n'est en fait qu'un instrument visant à faciliter l'enquête policière.
Cela ne suscite pas en soi notre opposition, mais l'utilisation de cet outil doit être limitée par deux conditions strictes : le respect de la dignité humaine et la connaissance suffisante des conséquences qu'entraîne l'utilisation de cette nouvelle technologie.
Or ces deux conditions ne sont pas remplies.
En effet, l'instrument qui est proposé aujourd'hui n'est pas le bracelet électronique que l'on connaît. Ce dernier, type bracelet-montre, oblige la personne qui le porte à rester dans un lieu défini par la justice, en général son domicile, avec des permissions de s'en éloigner pendant quelques heures, ce qui équivaut à une assignation à résidence et permet la reprise d'une activité professionnelle et de la vie de famille.
Le système prévu dans la proposition de loi que nous examinons est tout autre : le condamné devra porter un émetteur à la cheville, relié à une ceinture qu'il pourra dissimuler sous ses vêtements. Cet instrument permettra à la justice de savoir à tout moment l'endroit où il se trouve et, éventuellement, de lui interdire la fréquentation de certains lieux.
On ne peut que constater l'indignité de ce système, qui ne permettra à personne de dissimuler qu'il est sous surveillance permanente. En effet, comment cacher une telle entrave ?
Ce système, qui, je le rappelle, concernera des personnes ayant fini de purger leur peine, empêchera d'envisager toute vie privée. Le respect de la personne humaine semble être ignoré. Que faites-vous donc de vos objectifs de réinsertion, monsieur le garde des sceaux ?
Aujourd'hui, ce système de surveillance est, nous dit-on, au stade de l'expérimentation en Grande-Bretagne. Aucun pays n'a encore envisagé toutes les conséquences de son utilisation.
Au-delà des répercussions sur la vie personnelle du condamné, sa mise en place pose beaucoup de problèmes techniques et financiers. En effet, puisqu'il induira une surveillance des condamnés par GPS vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, il faudra prévoir, dans chaque ville, une cellule de veille, avec surveillants et matériels adéquats.
En outre, le placement sous surveillance électronique mobile est fondé sur une bien étrange contradiction.
En effet, le postulat sur lequel repose le texte est qu'un délinquant sexuel est un récidiviste potentiel - et nous n'entendons pas revenir sur cette affirmation - mais il suppose que le délinquant sexuel est un malade et qu'il ne peut donc pas réfréner ses pulsions. Or la justice le déclare responsable de ses actes lors de son procès pénal. N'est-ce pas contradictoire ?
Dès lors, mes chers collègues, il devient impossible de considérer que le placement sous surveillance électronique mobile soit une mesure de sûreté. En fait, il s'agit bien d'une peine après la peine, d'une double peine en quelque sorte.
Enfin, mes chers collègues, si les auteurs de la proposition de loi affichent un objectif d'équilibre entre répression et prévention, on constate en fait que les mesures qu'ils considèrent comme préventives ne sont que répressives ! En effet, comment peut-on sérieusement considérer que le placement sous surveillance électronique mobile soit une mesure favorisant la réinsertion ?
A l'instar du placement sous surveillance électronique mobile, l'élargissement du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles aux irresponsables pénaux est considéré comme une mesure de prévention. Or il ne s'agit également que d'une mesure facilitant les enquêtes policières, qui ne saurait être envisagée que comme cela.
Là non plus, il n'y a pas respect de la dignité humaine.
Les sursis avec mise à l'épreuve, quant à eux, permettent un retour progressif dans la société. Magistrats et travailleurs sociaux s'accordent à dire que ce système est largement perfectible, car la mise en oeuvre en est très délicate. Le manque de moyens matériels et humains auquel doit actuellement faire face la justice est largement en cause.
Or les auteurs de la proposition de loi ne cherchent pas de solution aux difficultés rencontrées par la justice ; ils se contentent de limiter les possibilités de sursis avec mise à l'épreuve pour les récidivistes.
Par cette mesure, ils remettent en cause le principe de l'individualisation des peines et réduisent le pouvoir d'appréciation par le juge de la capacité du prévenu à se réinsérer, alors que les sursis avec mises à l'épreuve ont justement cet objet.
Dès lors, nous espérons que M. le rapporteur soutiendra l'amendement de suppression que nous avons déposé sur ce point.
En conclusion, j'estime que ce texte ne contient que des mesures de désocialisation. La prévention en est totalement absente. Ses auteurs s'évertuent à trouver des moyens pour mettre de côté, stigmatiser, marquer au fer rouge l'individu qui, un jour, a été délinquant. Ce texte va à l'encontre de la philosophie générale de notre société, qui n'est pas d'exclure mais d'intégrer. C'est sur cette base que la justice doit aussi prévoir la réinsertion de ceux qu'elle isole.
Le monde judiciaire est saturé de réformes qu'il a du mal à mettre en oeuvre. Ce texte vient y ajouter des mesures aussi inutiles qu'inapplicables.
Nous tenons toutefois à saluer la patience et la diplomatie de M. le rapporteur et des membres de la commission des lois, qui, par leur travail, ont proposé de modifier ce texte en profondeur. Nous nous félicitons du dépôt des amendements de suppression des mesures de placement sous surveillance électronique mobile, ainsi que de ceux de suppression des mesures limitant les possibilités de réductions de peine pour les récidivistes.
Les propositions de la commission en matière de suivi socio-judiciaire vont dans le bon sens. Cependant, le placement sous surveillance électronique mobile, même dans le cas d'une libération conditionnelle, doit en être exclu pour que nous puissions voter l'amendement qu'elle a déposé, tout à fait acceptable sans cela.
Quant aux mesures concernant les injonctions de soin, qui sont intéressantes, il faudra voir dans la durée ce qu'elles permettront d'entreprendre, car les moyens mis à la disposition de la justice pour l'application de telles dispositions sont souvent largement insuffisants.
Nous compléterons les propositions de M. le rapporteur par une suggestion simple reprenant une idée du président de la commission des lois. Face à la situation alarmante des conditions de vie en prison, il est urgent de réagir : c'est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à la création d'un contrôle général des prisons. Cet amendement constituerait le volet « prévention » de cette proposition de loi.
Sur ce point comme sur l'ensemble du texte, nous serons très attentifs aux évolutions qui auront lieu au cours de la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, si, comme nous tous, en cette enceinte, j'approuve l'objet de cette proposition de loi, qui est de lutter efficacement contre la récidive en la sanctionnant plus sévèrement et en la prévenant, j'ai souhaité intervenir pour deux raisons : plaider en faveur de la conservation de certaines dispositions relatives au placement sous surveillance électronique et proposer de compléter ce texte par deux dispositions pénales visant à mieux lutter contre le terrorisme.
L'historique du bracelet électronique ayant été fait, je n'y reviendrai pas, mais certaines des critiques qui ont été formulées me semblent, de toute évidence, injustes.
En effet, ce bracelet permet en tout cas de localiser les prévenus et les condamnés en liberté conditionnelle ou les récidivistes potentiels.
Plusieurs orateurs ont souligné leur hostilité à une condamnation ou à une libération sèche. Or ce bracelet électronique permet, justement, de donner de la souplesse à notre arsenal répressif.
L'essentiel de mon intervention portera sur la nécessité, en matière pénale et de lutte contre le terrorisme, de renforcer notre arsenal législatif pour mieux protéger nos concitoyens. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous proposerons deux amendements visant à ajouter deux articles additionnels.
Nous souhaitons, d'une part, rendre imprescriptibles les crimes de terrorisme et, d'autre part, rendre incompressibles les peines prononcées pour lesdits crimes.
Le terroriste est, par nature, un criminel récidiviste. Il est quasiment impossible de le détourner de son fanatisme et de sa fuite en avant vers toujours plus de violence et de haine, quelles soient politiques ou religieuses.
Les actes de terrorisme sont des crimes d'une nature particulièrement révoltante. Action inacceptable, déni du dialogue et de la démocratie, le terrorisme aboutit à la négation des principes fondamentaux du modèle politique de la démocratie libérale. Je pense, en particulier, à la pacification des oppositions et des différends par la médiation procédurale et l'établissement d'un socle de valeurs fondamentales.
Aux terroristes, nous devons affirmer que, quelles que soient leurs motivations, leurs complicités pour fuir la justice, quel que soit leur âge le jour de leur arrestation, ils devront répondre de leurs actes.
Aux victimes, nous pourrons dire que, quels que soient leur douleur, leur découragement et leur incompréhension, nous punirons les coupables.
Nos consciences ne peuvent plus accepter que puissent demeurer impunis des hommes et des femmes qui nient de la manière la plus barbare nos règles fondamentales.
Tout terroriste en puissance doit savoir qu'il ne tombera jamais dans l'oubli légal. Un terroriste ne doit jamais être libéré avant d'avoir intégralement purgé sa peine. Tel ne fut pas le cas d'un terroriste, membre d'Action directe, qui, à peine libéré, a affirmé publiquement, au mépris de ses victimes et de la société, ne rien regretter.
Mes chers collègues, l'incompressibilité des peines me semble être la meilleure réplique judiciaire : elle est plus pertinente et autrement acceptable que le rétablissement de la peine de mort pour les auteurs de crimes terroristes. La peine capitale est d'un autre âge et présente un caractère barbare. C'est une mauvaise réponse aux actes terroristes, barbares eux aussi. Et pourtant, mes chers collègues, au sein même du Parlement, certains préconisent le rétablissement de la peine capitale : cette suggestion inacceptable réapparaît chaque fois qu'un nouvel attentat endeuille notre pays ou un pays proche.
La présente proposition de loi est utile et efficace pour lutter contre la récidive des infractions pénales. A mon sens, les dispositions initiales concernant le bracelet électronique doivent être conservées. Elles ne doivent pas disparaître pour des raisons plus polémiques que de fond.
Ce texte constitue en outre, mes chers collègues, l'occasion de renforcer au plus vite notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme et les terroristes. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par les députés Pascal Clément et Gérard Léonard, à la suite du rapport d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur le traitement de la récidive des infractions pénales, a pour objectif, selon l'un de ses auteurs, de « placer la lutte contre la récidive au coeur de la politique pénale ».
Deux grandes pistes sont proposées : d'une part, réprimer plus sévèrement les récidivistes, d'autre part, prévenir plus efficacement la récidive grâce à un meilleur suivi des condamnés les plus dangereux.
Qui refuserait de souscrire à de telles intentions ?
Récemment, les affaires Fourniret, Bodein ou le procès du meurtrier d'une jeune fille qui vient de se dérouler devant les assises de la Somme, ont été l'occasion de percevoir, s'il en était encore besoin, l'extrême sensibilité de nos concitoyens au problème de la récidive. La population a notamment du mal à comprendre que l'on ait pu « relâcher dans la nature » des personnes qui s'étaient pourtant déjà tristement illustrées et dont la dangerosité était avérée.
Certes, les taux de récidive sont relativement faibles. Par exemple, comme l'indique M. le rapporteur dans son rapport, pour 2002 le taux de récidive s'établit à 5 % pour l'ensemble des crimes et délits et à 2,6 % en matière criminelle.
Nombre de ces récidives marquent d'autant plus l'opinion qu'elles sont le fait d'anciens détenus qui ont été soit libérés avant l'exécution de la totalité de leur peine, soit libérés sans aucun suivi socio-judiciaire, alors que leur état de dangerosité restait avéré. Il convient donc de s'interroger sur ces questions et de tenter d'y apporter des réponses concrètes.
Doit-on pour autant traiter du problème de la récidive en portant atteinte à certains des grands principes du droit pénal français ? Le groupe UC-UDF y est tout à fait opposé et, de ce point de vue, le texte voté par l'Assemblée nationale ne manque pas de l'inquiéter quelque peu.
Arrêtons-nous, par exemple, sur l'article 4 de la proposition de loi. Il fait obligation au tribunal correctionnel qui vient de prononcer une peine d'emprisonnement à l'encontre d'une personne en situation de récidive de délivrer un mandat de dépôt à l'audience, quel que soit le quantum de la peine prononcée. On peut légitimement se demander s'il n'y a pas là une remise en cause du principe de l'individualisation des peines au profit de l'automaticité de la peine et, par voie de conséquence, une remise en cause du pouvoir d'appréciation des juges.
Limiter les pouvoirs des juges, comme l'a décidé l'Assemblée nationale à travers certaines des dispositions qu'elle a votées, notamment celle que prévoit l'article 4, ne nous paraît pas être la meilleure solution. Nous ne pensons pas en effet que ce soit le bon message à adresser aux magistrats, qui, dans le contexte actuel, attendent plutôt que nous leur adressions un signe fort de confiance et de reconnaissance du rôle qu'ils jouent dans notre société.
De même, l'article 7 prévoit la possibilité pour la juridiction qui condamne une personne à une peine d'emprisonnement ferme d'une durée minimale de cinq ans de prononcer également son placement sous surveillance électronique mobile à l'issue de sa période de détention. On peut se demander si l'on ne s'engage pas ainsi dans la voie de la double peine.
La disposition prévue dans cet article permettrait en effet de condamner par avance un individu qui purgerait pourtant complètement sa peine d'emprisonnement à subir ensuite en quelque sorte une seconde peine en le soumettant à un contrôle permanent par surveillance électronique mobile. Il est difficile, nous semble-t-il, d'accepter une telle perspective.
L'article 16 prévoit, lui, la possibilité pour le tribunal de l'application des peines de prononcer, à l'encontre d'une personne qui aurait été définitivement condamnée avant l'entrée en vigueur de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui, une mesure de placement sous surveillance électronique mobile à sa sortie de prison. Il est évident que l'on porte là atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi. Je serais curieux, comme un certain nombre de mes collègues, de savoir ce que le Conseil constitutionnel penserait d'une telle disposition !
Finalement, avant de compléter le dispositif existant par certaines des mesures proposées, qui posent parfois plus de questions qu'elles n'en résolvent, ne devrait-on pas s'interroger sur la manière dont sont appliquées les dispositions actuelles du code pénal ?
Ne devrait-on pas d'abord contrôler l'effectivité de la peine ? Cela ferait peut-être réfléchir certains délinquants, qui hésiteraient à récidiver s'ils purgeaient leur peine jusqu'à son terme. Et je ne parle pas de ceux qui n'effectuent pas les peines d'emprisonnement auxquelles ils ont été condamnés, faute de place suffisante dans les établissements pénitentiaires.
Je sais que tout le monde ne partage pas cet avis. Pourtant, ne dit-on pas qu'un tiers des cent mille peines de prison qui sont prononcées en France ne sont pas exécutées. N'est-ce pas là un premier problème auquel il conviendrait de remédier, même si cela, j'en suis conscient, monsieur le garde des sceaux, demandera du temps et de l'argent ?
Ne devrait-on pas ensuite faire en sorte que ne soit accordée aucune remise de peine ou de libération conditionnelle sans qu'ait été préalablement pris en compte l'état de dangerosité du condamné ?
En ce qui concerne Pierre Bodein, les experts avaient conclu à sa dangerosité au moment de sa mise en liberté conditionnelle. Il a pourtant été relâché sans suivi particulier. On a vu ce qu'il est advenu !
Ne devrait-on pas enfin s'interroger sur les moyens qui sont consacrés au suivi et à la réinsertion des détenus ? A-t-on les moyens d'assurer en prison le suivi médical dont auraient besoin certains détenus, notamment ceux qui sont condamnés pour infractions sexuelles ? A-t-on les moyens d'éviter qu'un détenu fraîchement libéré ne soit livré à lui-même lors de sa réinsertion dans la société ?
Comme l'a dit notre collègue député Michel Hunault, au cours du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale, « la vacance de 3 000 postes de psychiatres est (...) symptomatique de l'abandon d'une partie de la chaîne pénale ».
Je pense donc que, avant de vouloir étendre à grande échelle le placement sous surveillance électronique mobile ? système dont la fiabilité n'est, au demeurant, pas démontrée aujourd'hui ?, notre pays aurait intérêt à se donner les moyens d'une véritable politique d'application des peines et de suivi des détenus.
Si la commission des lois n'a pas exploré plus avant les pistes que je viens d'évoquer, elle a cependant déposé des amendements qui visent à corriger les excès du texte qui nous est soumis et à éviter les atteintes aux grands principes du droit pénal que je viens de citer.
Aussi le groupe UC-UDF se félicite-t-il du travail qui a été accompli sous la houlette du président et du rapporteur de la commission des lois, nos collègues Jean-Jacques Hyest et François Zocchetto.
Considérant que le texte issu de l'Assemblée nationale n'est pas conforme à sa conception de la justice, le groupe UC-UDF ne peut qu'approuver les amendements proposés par la commission des lois ; je citerai parmi eux : l'amendement qui tend à rendre facultative, et non plus automatique, la délivrance d'un mandat de dépôt à l'audience ; celui qui vise à supprimer l'article 16 prévoyant la rétroactivité des dispositions relatives au placement sous surveillance électronique mobile ; celui qui a pour objet de supprimer l'article 14 étendant aux personnes reconnues pénalement irresponsables l'inscription dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles.
Concernant le placement sous surveillance électronique mobile, je voudrais insister sur la nécessité de supprimer les articles s'y rapportant et saluer le dispositif de substitution proposé par M. le rapporteur : dans le système qu'il suggère, le placement sous surveillance électronique mobile ne pourrait être prononcé que dans l'hypothèse où une personne soumise aux obligations de suivi socio-judiciaire ferait l'objet d'une libération conditionnelle. Ce dispositif est plus conforme aux principes qui commandent notre droit pénal et permettra de juger de la fiabilité et des limites du procédé.
En tout état de cause, la mise sous surveillance électronique ne doit pas être utilisée comme une double peine, ainsi que le proposait l'Assemblée nationale.
Pour toutes ces raisons, le groupe UC-UDF sera très attentif, au cours de l'examen des articles, à l'adoption des amendements proposés par la commission des lois, qui, dans la mesure où ils respectent l'autorité des magistrats et les principes fondamentaux de notre droit pénal, sont conformes à sa propre conception de la justice. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui nous est aujourd'hui soumis traite d'un problème très sérieux auquel est confrontée notre société et auquel nous n'avons pas su, jusqu'à présent, apporter de réponse satisfaisante. La triste actualité de ces derniers mois nous l'a malheureusement rappelé.
Il existe en effet des personnes que notre droit pénal actuel ne dissuade pas de commettre de nouveau un délit ou un crime, alors qu'elles ont déjà été condamnées et qu'elles ont effectué une peine pour ce même type d'acte.
La récidive est sans doute le problème essentiel en matière de délinquance. C'est à son niveau que l'on mesure la gravité des problèmes de sécurité.
Il peut arriver à n'importe qui de commettre une infraction, laquelle s'apparente quelquefois plus à une erreur de parcours qu'à une volonté délibérée de nuire, mais la récidive, qui intervient une fois que la justice s'est exprimée, que la sanction est tombée, que le délinquant a été mis face à sa responsabilité, pose des problèmes infiniment plus graves.
Elle pose d'abord un problème au niveau de l'individu. Elle peut s'expliquer de deux manières essentielles : par la pulsion, par des troubles du comportement, d'une part, par la volonté délibérée de s'affranchir des règles de la société, d'autre part.
La récidive pose ensuite un problème pour la collectivité, incapable de faire respecter la légitime aspiration des citoyens à vivre en sécurité.
Ce phénomène touchant un délinquant ou un criminel sur trois et suscitant chez nos concitoyens une inquiétude légitime, il était de notre devoir de législateur de répondre aux attentes des Français en la matière et de ne pas pratiquer la politique de l'autruche.
C'est pourquoi il faut approuver nos collègues députés d'avoir saisi le Parlement en déposant cette proposition de loi, après qu'une mission d'information a travaillé plusieurs mois sur ce sujet.
N'oublions pas cependant, vous l'avez d'ailleurs vous-même rappelé, monsieur le garde des sceaux, qu'un grand nombre de mesures permettant de traiter la récidive relèvent non pas du domaine de la loi, mais du domaine réglementaire ou de décisions du Gouvernement. Je pense notamment à l'augmentation du nombre de juges de l'application des peines ou de médecins psychiatres, ces derniers devant d'ailleurs être mieux formés afin d'assurer un suivi socio-judiciaire aujourd'hui insuffisant.
Pour autant, si cette question de la récidive mérite de votre part, monsieur le garde des sceaux, et de la nôtre une attention toute particulière, il nous incombe, en tant que parlementaires responsables, de ne point rédiger ou voter ce qu'il serait pertinent d'appeler une « loi d'émotion ».
Sénèque considérait que « le bon juge condamne le crime sans haïr le criminel ». Une bonne justice ne peut pas être rendue dans la passion et l'émotion. Cette règle s'applique de même à ceux qui élaborent et votent les textes sur lesquels sera appelée à se fonder la justice.
Pour autant, il ne saurait être question d'interdire au législateur de répondre aux problèmes de son temps, et l'on en saurait prétendre, sous prétexte qu'une loi est d'actualité, qu'elle est automatiquement d'émotion. Des difficultés existent et il convient que le législateur les résolve.
L'intention des députés était justifiée et nous y souscrivons.
Pour autant, nous avons cherché une juste voie, l'objectif ultime étant plus de lutter contre le phénomène de récidive, aussi bien en amont qu'en aval, que d'augmenter uniquement la répression. C'est forts de ces principes que nous avons mené notre réflexion pour améliorer ce texte.
Si notre arsenal juridique doit être renforcé afin de nous prémunir face à des cas de récidive parfois très graves, il convient de rester réalistes et de ne remettre en cause ni les principes essentiels de notre droit ni les principes constitutionnels comme celui de la non-rétroactivité de la loi.
Si la proposition de loi qui nous vient de l'Assemblée nationale est un texte nécessaire et attendu depuis longtemps, elle doit, par ailleurs, correspondre à une démarche pragmatique et être en adéquation avec la réalité.
A ce propos, nous ne pouvons pas ignorer, par exemple, le problème de la surpopulation carcérale, qui perdure malgré les efforts importants et louables réalisés par la Chancellerie en matière de constructions immobilières.
L'idée que j'ai du rôle d'un parlementaire, soucieux à la fois de répondre aux inquiétudes de nos concitoyens et de veiller au respect des principes de notre loi fondamentale, ainsi que l'exercice pendant une trentaine d'années de la profession d'avocat me conduisent tout naturellement à adopter une position prudente et réfléchie vis-à-vis du contenu de ce texte, qui, s'il contient des avancées, peut être amélioré par les travaux de notre Haute Assemblée.
Je me félicite des propositions de la commission des lois, qui, me semble-t-il, vont dans le sens souhaité. Elles sont l'illustration de la raison qui caractérise notre assemblée, dont les propositions, en matière pénale, sont souvent justes et équilibrées.
La fermeté à l'égard des récidivistes est, je le crois, une nécessité. Gardons nous de tout angélisme, qui serait, à raison, incompris par nos concitoyens !
Ainsi, il me paraît opportun de garantir le caractère certain de la sanction pour les cas de récidive les plus graves.
Grâce aux dispositions de la présente proposition de loi, le cumul des peines assorties de sursis avec mise à l'épreuve ne pourra plus s'appliquer pour un récidiviste, comme cela avait lieu parfois, ce qui empêchait tout suivi réel du condamné. Il faut bien reconnaître qu'il était assez irrationnel que soit limité le cumul de peines avec sursis simple et non celui de peines assorties de sursis avec mise à l'épreuve.
Ainsi, un récidiviste déjà condamné à une peine faisant l'objet de sursis avec mise à l'épreuve pour un crime ou pour un délit sexuel ou commis avec des violences ne pourra plus bénéficier d'un second sursis, comme c'était le cas auparavant. Il s'agit d'une mesure de bon sens au regard de la gravité des infractions commises en état de récidive.
Pour les infractions moins graves, le nombre de sursis avec mise à l'épreuve sera limité à deux.
Il est important de noter que cela ne signifie pas que ces condamnés seront automatiquement mis en détention. En effet, s'ils ne pourront pas cumuler les sursis avec mise à l'épreuve, ils pourront toujours n'être condamnés qu'à de simples peines d'amende ou d'intérêt général.
Il faut aussi se féliciter, me semble-t-il, de l'extension des catégories de délits assimilés qui définissent le cadre de la récidive légale. Il me semble tout à fait pertinent de prendre en compte tous les délits commis avec violence, qu'ils portent atteinte aux biens ou aux personnes.
Il était par ailleurs impensable de dissocier la traite des êtres humains du proxénétisme. Nous savons très bien que ces délits, qui avilissent de manière similaire et tout aussi inhumaine l'être humain, sont de plus en plus indissociables. Les victimes de proxénétisme et de traite d'êtres humains sont souvent les mêmes personnes, proies des mêmes réseaux et des mêmes filières mafieuses. De surcroît, le respect de la personne humaine ne se divise pas.
Néanmoins, en dehors de ces quelques exemples d'avancées notables, d'autres points semblent plus discutables, moins peut-être sur le fond que sur la forme, soit parce qu'ils soulèvent des problèmes d'inconstitutionnalité, soit parce qu'ils pourraient être redondants avec d'autres dispositifs récemment mis en place et qu'il convient d'expérimenter.
Ainsi, proposer que le placement sous surveillance électronique mobile puisse concerner des infractions commises avant l'entrée en vigueur de la loi ou s'appliquer à des personnes déjà condamnées va à l'encontre du principe intouchable de non-rétroactivité de la loi, défini par l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui fait partie du bloc de constitutionnalité.
Au-delà de l'aspect moral du problème, en conservant cette disposition, nous nous exposerions indéniablement à une censure du Conseil constitutionnel. Aussi, je soutiendrai la position de la commission des lois en la matière.
Sur le fond, l'obligation coercitive de placement sous surveillance électronique mobile des délinquants et criminels sexuels libérés qui auront purgé une peine d'au moins cinq ans de détention, dans la forme prévue par nos collègues de l'Assemblée nationale, ne me paraît pas opportune dans l'immédiat.
Cette proposition de loi traite des problèmes de la récidive et des moyens qui permettent d'y faire face. Elle n'a pas pour vocation de fournir à la police judiciaire un outil pour démasquer un criminel. Il s'agit de mettre en place un dispositif susceptible de dissuader le renouvellement d'une infraction.
Le port d'un bracelet électronique est-il de nature à éviter à l'individu de céder à une pulsion par peur de la sanction inéluctable ? Je n'en suis pas certain.
En revanche, dans le cadre d'une obligation de soins, une telle mesure pourrait peut-être éviter que la personne ne se soustraie à ladite obligation. Elle pourrait permettre de reprendre contact avec elle avant qu'il soit trop tard. Elle pourrait alors être intéressante en matière de prévention de la récidive.
Mais chacun comprendra qu'une telle mesure ne s'improvise pas. Le détail de ses modalités et leur impact sur le respect de la vie privée de l'individu sont déterminants pour la mise en oeuvre d'une expérimentation en la matière.
Selon moi, une surveillance électronique de trente ans n'est pas envisageable alors que le dispositif n'est même pas expérimenté, même si ma principale préoccupation concerne les éventuelles nouvelles victimes.
Je reviens un instant sur les moyens offerts à la police judiciaire en matière de recherche des criminels.
Il convient d'attendre que le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles soit mis en place et que l'on ait jugé de son efficacité.
Au demeurant, permettre à la police judiciaire d'intervenir immédiatement en cas de récidive est justement l'objectif conjoint des deux fichiers qui ont été instaurés. Le législateur, en créant le fichier national automatisé des empreintes génétiques et le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles a voulu doter notre pays d'un arsenal permettant de confondre immédiatement un récidiviste. C'est une très bonne chose. J'ajoute que les fichiers seront plus efficaces et plus fiables que le bracelet électronique.
Par ailleurs, limiter le placement sous surveillance électronique mobile à la seule libération conditionnelle, comme le propose la commission des lois, me paraît être une première étape très raisonnable.
En revanche, je ne peux décemment pas approuver la limitation des réductions de peine pour les condamnés récidivistes, car ce serait sous-entendre l'impossibilité de la réinsertion, alors que la réinsertion est précisément le but à atteindre, ne l'oublions pas, si l'on veut éviter la récidive.
Pour conclure, je rappellerai que la préoccupation des auteurs de la proposition de loi est justifiée. Avec nos collègues de l'Assemblée nationale, nous devons rechercher des moyens efficaces et réalistes pour lutter sans faiblesse contre ce fléau qu'est la récidive, sans négliger le respect dû aux personnes.
Des missions de réflexion sont à l'oeuvre. Elles ont été confiées à des personnalités qualifiées comme Georges Fenech ou l'ancien procureur général Jean-François Burgelin. Leurs travaux permettront d'enrichir ce texte au cours de sa discussion parlementaire et, ainsi, de parvenir à un dispositif solide et efficace.
Au vu de ces quelques observations, les membres de mon groupe et moi-même soutiendrons la position de la commission des lois et voterons en faveur de ce texte tel qu'amélioré par ses travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui concerne la récidive. Elle trouve son origine dans plusieurs études, dont celle de Jean-Luc Warsmann ou celle qu'a réalisée la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Elle vise à renforcer la répression de la récidive en partant de l'idée selon laquelle plus de sévérité empêchera les auteurs des délits et des crimes de repasser à l'acte.
Elle vise aussi à prévenir la récidive à travers le système de placement sous surveillance électronique mobile.
Je partage complètement ce dernier objectif : comment éviter, limiter ces récidives qui sont toujours un drame terrible pour les victimes et, dans le même temps, la marque d'un échec pour le juge et pour l'auteur de la récidive ?
L'opinion publique s'émeut rapidement, parfois de manière erronée, souvent avec justesse, et notre travail, qui n'est pas facile, est de lui montrer que la voie de la vengeance, le prix du sang, ne sont pas les réponses appropriées dans une société telle que la nôtre, qu'il faut rechercher des solutions adaptées, justes et sans compromis, mais aussi efficaces pour la société.
C'est pourquoi je souscris à la proposition d'étendre la définition des délits assimilés qui constituent la récidive, à savoir la traite d'êtres humains, le proxénétisme, la violence volontaire.
Nous ne pouvons passer outre une interrogation sur les causes et les conditions de la récidive. Qu'est-ce qui pousse une personne qui a déjà commis un premier, voire un deuxième ou un troisième crime, qui a été condamnée à ce titre, qui a purgé sa peine, à recommencer très rapidement ? Cela dépasse le bon sens.
De toute évidence, la peur de la peine encourue, même doublée, telle qu'elle est prévue par le code pénal, n'est pas suffisamment dissuasive. D'ailleurs, je ne crois pas que le cumul des peines sans limitation de quantum, tel que le présent texte le propose soit efficace. Le fait de pouvoir condamner un délinquant à soixante ans, quatre-vingt-dix ans ou cent vingt ans d'emprisonnement ne changera rien sur le fond. Il ne s'agit que d'un effet d'affichage qui correspond à une sorte d'américanisation de la société, comme on peut le voir à la télévision.
Les statistiques relatives au taux de récidive ne sont pas très claires. Celles que cite M. le rapporteur font état de 4 % à 5 % en matière de délits et de 2 % en matière de crimes. Ces taux, même s'ils sont inadmissibles, sont relativement faibles. Selon d'autres sources, la probabilité d'une nouvelle condamnation serait de l'ordre de 30 %.
Si nous avons déjà du mal à saisir et à mesurer l'ampleur de la récidive, comment en expliquer la permanence ? En fait, une partie significative des auteurs de ces actes de récidive souffrent de difficultés psychologiques graves et sont souvent, en même temps, physiquement atteints.
Malheureusement, tout le monde le sait, notre système carcéral surpeuplé, le manque d'unités de soins et de psychologues formés, la difficulté de trouver des psychologues qui acceptent d'assurer le suivi des condamnés libérés font de la prison une sorte de nef des fous pour lesquels l'espoir de guérison est faible.
Je ne crois pas à la mesure de la dangerosité du condamné par le juge de l'application des peines, car nous manquons - ce sont les professionnels qui le disent - de critères pour mesurer celle-ci.
S'il était possible de mesurer de façon exacte la dangerosité d'un condamné, la tâche serait évidemment considérablement facilitée, mais, même si c'était le cas, de nombreux condamnés sont en même temps des pervers ou des débiles et, pour eux, il n'existe pas de thérapies connues.
Alors que faire d'eux ? Nous ne sommes pas complètement démunis puisque nous avons le bracelet électronique et la condamnation avec sursis de mise à l'épreuve assortie de toute une série de conditions.
Je suis donc réservé sur la limitation du nombre des condamnations assorties de ce sursis, qui sont des tentatives de préparer la réinsertion du détenu - réinsertion qui viendra tôt ou tard, sauf à garder ce dernier en prison jusqu'à la fin de ces jours - et qui entrent dans le cadre d'une politique visant à désengorger nos prisons.
Cependant, le plus grave dans la proposition de loi est évidemment, plusieurs orateurs l'ont relevé, l'instauration du placement sous surveillance électronique, système qui soulève de sérieux doutes, que je rappelle seulement puisqu'ils ont déjà été exposés.
D'abord, nous ne disposons pas des connaissances techniques nécessaires sur le fonctionnement du système, sauf ceux d'entre nous qui naviguent en mer et qui utilisent le GPS depuis de nombreuses années ; mais c'est une chose de l'utiliser pour naviguer, c'en est une autre de l'appliquer à des êtres humains !
Ensuite, ce système sera de toute évidence extrêmement coûteux. Au vu du faible nombre de condamnés à qui on fait porter le bracelet électronique, on peut d'ailleurs présumer que le GPS, qui nécessitera une infrastructure et un suivi par des agents de police beaucoup plus lourds, connaîtra encore moins de succès.
Ce système a en outre pour effet d'ajouter une nouvelle peine à celle qui a déjà été purgée.
Enfin, il ne constitue aucunement une aide à la réinsertion.
Il ne sera peut-être pas complètement inutile, mais il permettra tout au plus de savoir que la personne se trouvait tel jour et à telle heure en tel endroit, c'est-à-dire qu'il servira d'auxiliaire de justice si, par hasard, il devait y avoir une enquête sur un délit ou un crime commis à cet endroit.
Il ne s'agit donc ni d'un système d'aide à la réinsertion, ni d'un système qui respecte l'intégrité et la vie privée de la personne.
Dernière observation : autant la proposition tendant à permettre le recours à des psychologues aux côtés des médecins pour la mise en oeuvre de l'injonction de soins me paraît opportune, autant l'inscription des irresponsables pénaux au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles, que prévoit l'article 15, me paraît une mauvaise mesure, tant pour les irresponsables pénaux que pour l'avenir et la crédibilité du fichier.
Je voudrais, pour terminer, rendre hommage au travail important qui a été fait par la commission des lois et par son rapporteur, dont plusieurs des amendements nous semblent aller dans le bon sens.
Pour notre part, nous avons déposé des amendements de suppression de tous les articles qui nous paraissent inutiles ou dangereux et que je viens de mentionner. Nous présenterons par ailleurs plusieurs amendements visant à renforcer à la fois le caractère préventif des mesures proposées et le contrôle sur les prisons. Nous serons très attentifs au sort que connaîtront ces amendements dans la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Goujon.
M. Philippe Goujon. Plusieurs orateurs ont rappelé avant moi ces chiffres : 31 % de récidivistes et 32 % de peines inexécutées.
A elles seules, ces deux données résument les difficultés auxquelles est confronté notre appareil répressif et elles expliquent la préoccupation, voire l'exaspération parfois manifestées par nos concitoyens.
Les multirécidivistes sont insupportables aux Français, car leurs actes fragilisent le lien social : on a peur pour ses enfants, à l'école ou dans la rue ; on craint de se faire cambrioler, de se faire voler sa voiture ou son téléphone portable.
Cependant, ce qui choque le plus est la récidive des délinquants les plus dangereux, parmi lesquels les prédateurs sexuels qu'une première sanction ne calme pas.
Nous avons tous présents à l'esprit les noms des bourreaux de ces enfants, de ces adolescentes qui, en 2004, ont été les victimes innocentes de la récidive. On évoque 1,5 % seulement de récidive à ce titre : 300 individus environ sont donc concernés, ce qui paraît peu, mais pas pour les parents des victimes !
Dès lors, comment ne pas s'interroger sur les causes des dysfonctionnements et ne pas s'inquiéter du sentiment d'impunité que ces dysfonctionnements nourrissent chez les délinquants ?
La situation est d'autant plus paradoxale que, depuis trois ans, grâce à l'action déterminée du Gouvernement, en particulier du garde des sceaux et du ministre de l'intérieur, la délinquance ne cesse de diminuer dans notre pays : on enregistre une diminution de plus de 12 % des crimes et des délits, et une diminution de 10 % de la délinquance de voie publique vient d'être annoncée pour janvier, après une hausse, il faut le rappeler, de 16 % entre 1997 et 2002 ! Souvenez-vous du temps de la naïveté...
Même pour les faits de violence, la courbe commence à s'inverser. Pour ce gouvernement, la lutte contre l'insécurité, ce ne sont pas des mots ; ce sont des actes.
Aborder la question de la récidive des infractions pénales, c'est donc manifester la volonté d'engager le second acte de la lutte contre l'insécurité en s'attaquant au « noyau dur » de la délinquance, en s'attaquant aux individus qui, en dépit de sanctions considérablement renforcées, persistent dans leurs habitudes criminelles.
Aussi, je voudrais rendre hommage à nos collègues députés qui, en créant une mission d'information, ont voulu « placer la récidive au coeur de la politique pénale », ainsi qu'à l'initiative de Christian Estrosi, sans qui nous ne débattrions peut-être pas de ce sujet aujourd'hui.
A son tour, notre commission des lois a examiné la proposition de loi, et je tiens à saluer le travail remarquable de son rapporteur, notre collègue François Zocchetto, qui, procédant à de nombreuses auditions d'un exceptionnel intérêt, a non seulement écouté mais aussi entendu les remarques de nature à permettre d'atteindre un équilibre entre prévention et répression de la récidive.
Ce nécessaire équilibre est difficilement accessible tant le sujet que nous traitons est par nature délicat. Aussi serais-je tenté de dire qu'il convient, en la matière, de ne pas brûler les étapes. C'est la raison pour laquelle je considère, moi aussi, que les modifications proposées par la commission, notamment pour le placement sous surveillance électronique mobile, doivent nous inciter à engager une réflexion, profonde et globale, sur les remises de peines automatiques et sur les libérations conditionnelles au regard de la dangerosité des condamnés.
Le recours au placement sous surveillance électronique mobile tel que l'ont prévu nos collègues de l'Assemblée nationale mérite en effet un complément d'investigation : l'expérience de Floride, même si elle a, semble-t-il, réduit la récidive de 2 %, relève d'une autre culture et l'évaluation de l'expérience de Manchester est encore en cours.
Des psychiatres nous affirment que la surveillance électronique mobile constitue une pression psychologique telle qu'elle dissuadera la plupart des délinquants de récidiver : la certitude d'être repris et condamné une nouvelle fois sera plus forte que la tentation de récidiver.
D'autres thèses sont néanmoins développées et, en tout état de cause, ce dispositif ne saurait, par exemple, remplacer l'administration d'un traitement médical efficace, car ce n'est pas parce que l'on a purgé sa peine que l'on est moins dangereux.
A cet égard, nous ne pouvons qu'approuver la proposition qui vise à permettre au médecin traitant, dans le cadre de l'injonction de soins, de prescrire des médicaments tendant à diminuer la libido.
En ce qui concerne le placement sous surveillance électronique mobile, il me paraît donc tout à fait opportun d'attendre les conclusions de la mission récemment confiée à Georges Fenech.
Cela n'enlève rien, bien sûr, à l'intérêt qui doit s'attacher au placement sous surveillance électronique actuellement en usage et qu'il faut encore développer, et je sais que le garde des sceaux se donne, notamment dans le budget de 2005, les moyens de le faire.
Cela étant, nous savons tous qu'il n'est pas de dispositif plus désastreux en matière de récidive que le système, aujourd'hui quasi généralisé, de la sortie sèche.
C'est pourquoi, en particulier en tant que rapporteur pour avis du budget de l'administration pénitentiaire, j'approuve pleinement la proposition de recourir, dans le cadre de la libération conditionnelle, au placement sous surveillance électronique. Une telle mesure a beaucoup d'avantages : accessoirement, elle est économe des deniers publics et, surtout, elle est plus efficace en matière de réinsertion.
Une politique pénale efficace ne consiste pas forcément à multiplier par sept, à l'exemple des Etats-Unis, le nombre des détenus ; elle vise à garantir l'exécution de la peine et à assurer le suivi des sortants de prison.
Dans cet esprit, il importe de développer les mesures de suivi socio-judiciaire, notamment en favorisant la constitution d'une approche pluridisciplinaire pour le traitement de la délinquance sexuelle.
Tous reconnaissent l'efficacité de la mesure prévoyant de faire appel aux psychologues en attendant que le projet de loi sur la psychiatrie, annoncé récemment, permette sans doute de compléter le dispositif.
Actuellement, seuls 8 % des délinquants sexuels bénéficient d'un suivi socio-judiciaire alors que la délinquance sexuelle est la première cause d'incarcération en France : la part des délinquants sexuels au sein de la population des condamnés a augmenté de 105 % entre 1995 et 2003.
Aussi, sur un plan plus général, je me suis félicité de la création de 200 emplois de personnels d'insertion et de probation dans le budget de l'administration pénitentiaire pour 2005, ce qui constitue un début de rattrapage. Faut-il rappeler que les services pénitentiaires d'insertion et de probation comptaient 1 500 personnes en 2002 ? Les effectifs s'élèvent à plus de 2 000 aujourd'hui.
Voilà qui permettra à ces services de mieux réaliser le travail de préparation à la sortie et de réinsertion des condamnés. Il ne s'agit là que de contribuer à ce que nous voulons tous : une lutte plus efficace contre la récidive.
Les travaux de la commission « santé-justice », présidée par M. Jean-François Burgelin, permettront, on l'a dit, de mieux appréhender les moyens nécessaires à la prévention du risque de récidive des personnes reconnues irresponsables sur le fondement de l'article 122-1 du code pénal.
Il n'est pas possible d'en douter : l'enjeu aujourd'hui est celui de l'application des peines, alors même que la loi du 9 mars 2004 a étendu le recours aux mesures alternatives à la détention.
A ce stade, tout en comprenant l'argumentation du rapporteur en faveur du maintien de l'automaticité des réductions de peines au motif que les peines sont déjà doublées pour les récidivistes, j'estime néanmoins à la fois incohérent et insuffisant de ne pas appliquer, là aussi, le principe de l'individualisation de la peine.
Si l'on refuse les « peines plancher », il ne me paraît pas logique d'admettre le principe des remises de peines automatiques.
Lors de son audition devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le 6 juillet dernier, le ministre de l'intérieur, M. de Villepin, ne déclarait-il pas : « De même, l'octroi automatique des réductions de peines doit être réduit, que ce soit par la prise en compte de la dangerosité des délinquants en matière de libération conditionnelle ou de confusion des peines, par l'exclusion, acceptée, des faits de violence grave de la grâce présidentielle ou par l'impossibilité de réduction des peines pour les cas les plus dangereux » ?
Dès lors, ne faudrait-il pas au moins envisager de supprimer l'automaticité des remises de peines dans le cas des délinquants récidivistes coupables de crimes ?
S'agissant du prononcé des peines, l'enjeu n'est pas moindre, et c'est là tout l'intérêt de l'article 3 de la proposition de loi.
Ainsi le juge ne pourra-t-il pas prononcer de sursis avec mise à l'épreuve pour un crime, un délit de violences volontaires, un délit d'agressions ou d'atteintes sexuelles ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences lorsque cette infraction aura été commise dans les conditions de la récidive par une personne ayant déjà fait l'objet d'une condamnation assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve.
Même si des questions demeurent sans réponse, la présente proposition de loi aboutit à faire converger tous les efforts pour qu'il y ait le moins possible de victimes, surtout lorsque ces victimes s'incarnent dans ce qu'il y a de plus vulnérable : les enfants.
Nous devons être guidés, avant tout, par le souci des victimes. Pour ce faire, il faut rétablir l'effet dissuasif de la sanction pénale. Il est de même indispensable pour la sécurité de nos concitoyens que nous soyons en état de mesurer la dangerosité des détenus ayant commis les actes les plus graves.
Cela est loin d'être simple, mais nous devons poursuivre la réflexion afin de trouver les moyens de mettre les criminels les plus dangereux dans l'impossibilité de récidiver.
Pour l'heure, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous faisons oeuvre de fermeté, de justice et d'humanité à l'égard des victimes avec ce texte ; aussi mérite-t-il d'être largement approuvé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est né après le dépôt de la proposition de loi relative à l'institution des peines minimales en matière de récidive, dans la suite logique du débat lancé par Nicolas Sarkozy réclamant des peines planchers pour les récidivistes.
Pour faire contrepoids à ce texte jugé excessif et pour tenir compte d'une actualité montrant avec frayeur les agissements de criminels récidivistes, la mission parlementaire qui a été mise en place pour tenter de faire le point sur les récidives et les moyens de les prévenir a permis d'identifier les difficultés auxquelles est confronté notre appareil répressif.
Or, la proposition de loi qui nous est présentée à la suite du rapport de cette mission est un texte scandaleux, aberrant sur le plan juridique, inutile dans la plupart des cas et, surtout, contraire à nos libertés publiques fondamentales et aux grands principes de notre droit, comme le principe de l'individualisation de la peine.
Arrêtons-nous un moment sur ce texte tel qu'il résulte de la première lecture à l'Assemblée nationale, afin de souligner ses contradictions avec les constats de la mission parlementaire pour qui « l'emprisonnement sans mesure de réinsertion n'a aucun effet préventif sur la récidive ».
Il est proposé d'étendre les conditions dans lesquelles certaines infractions sont assimilées pour constituer les deux termes d'une récidive légale permettant d'aggraver le seuil de la peine maximale encourue ; de faire figurer dans le code pénal la notion de « réitération » avec toutes ses conséquences d'ordre pénal ; de limiter la possibilité pour le juge de prononcer des peines assorties en totalité du sursis avec mise à l'épreuve en cas de récidive ; de rendre obligatoire le prononcé d'un mandat de dépôt à l'audience lorsqu'une peine d'emprisonnement est requise en cas de récidive ; de réduire le quantum du crédit de peine dont bénéficient les détenus en cas de récidive ; de permettre au tribunal de soulever lui-même la circonstance aggravante de récidive lorsque le ministère public ne l'aura pas retenue.
Enfin, la création d'une nouvelle mesure de sûreté est envisagée en ce qui concerne les personnes condamnées pour des infractions sexuelles à une peine de prison de cinq ans au moins. Ces personnes pourraient être astreintes à une surveillance électronique mobile pendant une durée de trois à cinq ans, suivant la nature délictuelle ou criminelle de la condamnation, renouvelable dans la limite de vingt à trente ans.
Au mépris d'un principe démocratique fondamental qui interdit toute rétroactivité de la loi, il est proposé que cette mesure puisse être appliquée à des personnes condamnées pour des faits commis avant l'entrée en vigueur de la loi.
Ce texte tend à favoriser par diverses voies le prononcé de peines d'emprisonnement fermes plus fréquentes et plus lourdes à l'encontre des délinquants en état de récidive légale.
La circonstance de récidive prévaut sur les éléments qui déterminent le choix de la peine, notamment la personnalité.
Le fait qu'aucune exception ne soit prévue concernant les délinquants mineurs est, à cet égard, révélateur.
Ce choix semble ainsi consommer une rupture dans l'orientation philosophique du droit pénal français, qui était jusqu'à présent favorable à l'idée d'amendement de la part du condamné, plutôt qu'à sa mise au ban de la société.
La création d'une mesure de surveillance pure, aux limites spatio-temporelles extensives, telle que la surveillance par GPS, illustre cette évolution de manière caricaturale !
Je tiens ici à saluer le travail de la commission des lois, notamment de son rapporteur M. Zocchetto. Car certaines des mesures honteuses que je viens d'énoncer ont été heureusement supprimées ou fortement modifiées.
Cependant, je suis convaincue que le texte qui résulte des propositions de notre commission reste un danger pour nos concitoyens. C'est sa nature délétère même qui est à combattre, car il repose sur un refus déterminé de la perfectibilité de l'humain, de sa capacité à amender ses actes, à reconnaître ses fautes, à payer sa dette à la société et à se corriger pour se réinsérer. La condamnation doit être portée à vie, comme un boulet dès la sortie de prison, quand on en sort !
Ce constat est d'autant plus flagrant que le volet des mesures socio-éducatives que l'on est en droit d'attendre, les seules à permettre une réelle réinsertion, est totalement absent.
D'abord, cette proposition de loi vise à instaurer, « à titre de mesure de sûreté », le placement sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à cinq ans d'emprisonnement pour un crime ou un délit sexuel.
La mesure de sûreté, qui vise à faire porter, y compris contre leur consentement, un bracelet électronique aux délinquants et criminels sexuels à leur sortie de prison est, en réalité, comme cela a souvent été dit, une nouvelle peine après la peine, en somme, une nouvelle double peine !
Une telle mesure générale est très dangereuse. Les statistiques du ministère de la justice indiquent que le taux de récidive est de 1,8 % pour les viols et chacun sait que, pour lutter contre la récidive des auteurs d'infractions sexuelles, il est préférable de prévoir des aides psychologiques et psychiatriques et des mesures de suivi socio-judiciaire.
Un placement sous surveillance mobile sans traitement médical ne constitue pas un instrument de lutte efficace contre la récidive, pas plus pour les « victimes potentielles » que pour les délinquants et criminels sexuels.
Non, le bracelet n'empêchera pas la récidive ! Et il ne protégera en rien les citoyens de ces crimes. Tout au plus permettra-t-il aux enquêteurs de savoir si la personne sous surveillance était sur place ! Est-ce suffisant pour le déclarer coupable et le condamner ? En fait, on nous demande de valider dans le droit pénal un outil plus nécessaire à la police qu'à la justice !
De plus, alors qu'il avait été annoncé que le placement sous surveillance mobile se ferait sur la base du volontariat, c'est la juridiction pénale qui ordonne cette mesure et impose au condamné de porter cet émetteur !
Enfin, cette mesure est constitutive d'une atteinte à la vie privée et au libre-arbitre de la personne, y compris de ses proches.
Comment, alors, parler de dignité et de respect de la vie privée ? Une telle atteinte aux libertés ne saurait être justifiée !
Le placement sous surveillance mobile, qu'il soit présenté comme une mesure de sûreté ou comme une mesure de substitution, telle que la liberté conditionnelle, c'est, en réalité, une peine à part entière et, donc, bien une peine après la peine.
Cette mesure nous paraît, non seulement inhumaine, car elle stigmatise les condamnés, mais, en plus, elle ne sert à rien dans la prévention de la récidive.
Il nous semble important de réaffirmer que l'accompagnement socio-éducatif est effectivement le véritable outil de prévention de la récidive.
Si les rares études effectuées pour apprécier les effets de l'aménagement des peines sur la récidive n'ont pu permettre de dégager de réelles certitudes en ce domaine, elles ont, en revanche, démontré que l'emprisonnement n'est pas un outil de prévention de la récidive, bien au contraire !
Il est ainsi intéressant de constater que les délinquants qui ont réellement purgé la plus grande partie de leur peine sans aménagement sont aussi ceux qui sont le plus souvent condamnés à nouveau à des peines d'emprisonnement ferme.
Le choix de privilégier le recours à l'emprisonnement va à l'encontre de toutes les constatations faites ces dernières années, notamment par les rapports Farge et Warsmann sur l'insuffisance des aménagements de peine.
Ces aménagements de peine, notamment le plus important d'entre eux, la libération conditionnelle, ont notablement diminué depuis les années quatre-vingt.
Les améliorations procédurales apportées par la loi du 15 juin 2000 en matière d'application des peines n'ont pas entraîné d'évolution sensible dans ce domaine.
Comme cela a été objectivement souligné, les services pénitentiaires d'insertion et de probation disposent de moyens insuffisants et peinent à mettre en oeuvre les mesures restrictives de liberté dans des conditions permettant un accompagnement socio-éducatif réel.
Mais ce n'est pas au condamné de payer les faibles moyens donnés à la justice ! Le rapport de la mission se fait d'ailleurs l'écho de cette situation.
De même, les premiers bilans relatifs à l'application du placement sous surveillance électronique fixe montraient l'importance du suivi social et son insuffisance.
Le principal effet positif, relevé à l'occasion de l'entrée en vigueur de cette mesure, a même été le renforcement du travail d'accompagnement social qu'elle a entraîné.
La mise en place de cette mesure nécessite également une connaissance bien précise de la situation du condamné.
Les vrais enjeux de la prévention de la récidive se situent, non pas dans un recours accru à l'emprisonnement, mais bien dans un renforcement du contenu des mesures d'accompagnement socio-éducatif en milieu ouvert, et ce tout particulièrement parce que les personnes concernées sont souvent les plus défavorisées socialement. S'il y a bien un choix contre-productif, c'est évidemment celui du recours systématique à l'emprisonnement !
De plus, ce choix est en total décalage avec la réalité de la situation, notamment en matière de surpopulation carcérale. Il est important de rappeler que le postulat d'un « laxisme judiciaire » est erroné.
Le développement d'un discours sur « l'ineffectivité des peines » a probablement contribué à brouiller le débat. Le fait le plus marquant de ces dernières années est l'augmentation particulièrement importante du nombre des détenus, qui a battu des records historiques, que ce soit en 2003 ou en 2004.
Le recours aux procédures rapides ne permettant pas un examen approfondi de leur personnalité s'est accru dans des proportions importantes entre 2001 et 2003.
A cela s'ajoute ce que l'on appelle « les délits mineurs », comme c'est le cas pour les sans-papiers, qui n'ont aucune raison d'être mis en prison, puisque leur seul crime est d'être en situation administrative irrégulière !
Enfin, les peines alternatives à l'emprisonnement sont de moins en moins souvent prononcées, particulièrement le travail d'intérêt général, pour lequel on observe une baisse de 25 % entre 1998 et 2003.
Les conséquences de la multiplication et de l'aggravation des peines de prison sur la situation des prisonniers sont connues. N'oublions pas que les prisons constituent l'humiliation de notre République.
La loi Perben II, dans son volet relatif à l'application des peines, prenait acte de la nécessité de redynamiser les aménagements de peine. La proposition de loi qui nous est aujourd'hui soumise constitue clairement un retour en arrière.
Au lieu de mettre l'accent sur le renforcement des interventions en milieu ouvert, elle encourage le prononcé de plus nombreuses et plus lourdes peines d'emprisonnement ferme. On se moque bien d'entraîner une nouvelle augmentation dramatique du nombre des détenus !
Il s'ensuivra nécessairement une aggravation des conditions de détention, qui mettra une nouvelle fois la France en difficulté au regard de ses engagements internationaux.
Cette priorité aura, évidemment, des effets contre-productifs du point de vue budgétaire en alourdissant le budget de la justice consacré à la prison plutôt qu'à la prise en charge des condamnés en milieu ouvert.
Le rapport Warsmann préconisait la création de 3 000 postes de conseillers d'insertion et de probation. Avec 330 postes de conseillers d'insertion et de probation et 200 postes créés en 2005, on est encore loin du compte.
Nous ne pouvons que nous opposer à une telle proposition de loi, signifiant l'abandon de toute politique ambitieuse de réinsertion. Seule la voie d'une prévention effective de la récidive peut participer à une politique plus générale de cohésion sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.