compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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saisine du conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel une lettre par laquelle il informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, le 30 novembre 2004, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, par plus de soixante sénateurs, d'une demande d'examen de la conformité à la Constitution de la loi portant diverses dispositions relatives au sport professionnel.
Acte est donné de cette communication.
Le texte de cette saisine du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
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DÉPÔT D'UN RAPPORT du gouvernement
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport annuel sur les activités du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale pour 2003-2004, établi en application de l'article 44 de la loi de finances rectificative pour 1998.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
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Loi de finances pour 2005
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 2005, adopté par l'Assemblée nationale (n°s 73 et 74).
Participation de la France au budget des Communautés européennes
M. le président. Nous allons examiner l'article 43 relatif à l'évaluation du prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des communautés européennes.
Article 43
Le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes est évalué pour l'exercice 2005 à 16,57 milliards d'euros.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 43 du projet de loi de finances évalue à 16 570 millions d'euros le prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France pour 2005 au budget des Communauté européennes.
L'enjeu financier est important, puisque cela représente 6 % de nos recettes nettes fiscales.
Cette évaluation fixe le prélèvement pour 2005 à peu près au même niveau que celui qui avait été prévu, voilà un an, dans la loi de finances pour 2004. Tout va bien, me direz-vous ; cela n'évolue que très peu. Mais, à y regarder de plus près, on s'aperçoit que la prévision d'exécution du prélèvement pour 2004 sera de 8 % inférieure à ce qui figurait dans le projet de loi de finances.
C'est une bonne chose s'agissant de l'exécution de notre loi de finances pour 2004, mais cela signifie que l'évaluation reste très imprécise, et c'est fâcheux. En 2004, le prélèvement a été surévalué de 1 milliard d'euros ; en 2003, il a été sous-évalué de 500 millions d'euros ; en 2002, il a été surévalué de 2 milliards d'euros. Il s'agit quand même de sommes importantes et cela doit nous faire réfléchir.
L'objet du débat est donc de savoir si nous sommes d'accord pour inscrire dans le projet de loi de finances pour 2005 une évaluation de 16 570 millions d'euros pour définir notre prélèvement. Si nous disons oui, nous sommes en règle ; si nous disons non, nous ouvrons une crise européenne, et c'est bien regrettable.
Nous sommes enfermés dans un débat complexe et je vais essayer de l'éclairer en allant un peu plus avant.
Le budget européen continue à ne pas être un vrai budget au sens de la démocratie, qui est fondée sur le principe du consentement à l'impôt. En effet, les recettes de ce budget sont votées par les Parlements nationaux - ce sont les cotisations que nous votons aujourd'hui - et les dépenses sont votées par le Parlement européen. Je ne vois pas très bien comment le citoyen européen peut s'y reconnaître ! L'Europe doit se doter d'un vrai budget pour que les Européens s'approprient l'Union européenne.
J'aurais aimé que la Convention traitât de cette question. Nous devrons y revenir très vite ! Pour progresser, il faut commencer par consolider l'acquis et par appliquer la Constitution telle qu'elle a été préparée. C'est essentiel pour l'avenir de l'Union européenne.
Le budget de l'Union européenne doit être lisible, sincère et contrôlable. A cet égard, le débat sur le plafond du pourcentage du PNB encadrant les contributions des Etats membres en est une illustration : il démontre que les pays continuent de faire passer les intérêts nationaux avant l'intérêt commun. Or l'intérêt commun est l'intérêt de chacun ; ce n'est pas l'intérêt d'une abstraction bruxelloise. Et c'est souvent un intérêt beaucoup plus fort que les intérêts nationaux particuliers.
Ne l'oublions jamais et relativisons ce débat sur la part du PNB qui nourrit le budget européen.
Je souhaite insister par ailleurs sur le caractère très anti-communautaire de la discussion sur le retour net. C'est l'aspect pervers de la structure et du principe de notre budget. Je vais développer ce point.
Tout d'abord, globalement, la question du retour net est biaisée, car nous comparons des choses qui ne sont pas comparables : 90 % des recettes du budget européen sont localisables - il s'agit des cotisations des Etat membres - alors que 75 % seulement des dépenses le sont, puisqu'un certain nombre d'entre elles ne sont pas affectées à un Etat membre. Il en est ainsi, par exemple, des crédits de politique extérieure.
Allons un peu plus loin dans cette analyse : dire que nous sommes contributeurs nets donne à penser que nous payons pour les autres et non pour l'Union européenne. Cela accrédite l'idée que l'Europe ne serait pas bonne pour nous, et c'est vraiment détestable : nous développons un sentiment antieuropéen que nous paierons un jour très cher.
Ce débat sous-estime le rôle des politiques extérieures : lorsque nous affectons des fonds structurels à des pays qui rejoignent l'Europe au titre de l'élargissement, ce sont souvent des entreprises de nos pays qui les mettent en oeuvre, ce qui n'est pas inintéressant pour nous.
Ce débat sous-estime le fait que les réseaux transeuropéens permettent de relier les différents Etats de l'Union : c'est profitable à tout le monde et pas seulement au pays où se construit un aéroport ou une gare.
Ce débat sous-estime le fait que la politique agricole commune est destinée non pas simplement aux agriculteurs français, mais à tous les consommateurs européens.
Ce débat sous-estime tous ces invisibles ! La libre circulation et l'harmonisation dans tous les domaines sont intéressantes pour l'ensemble des Européens.
Tout cela donne du poids à l'Europe, ce qui nous permet de parler plus fort, par exemple à L'Organisation mondiale du commerce, et il faudra le faire de plus en plus, avec des dossiers de mieux en mieux ficelés.
Surtout, les invisibles fondamentaux, ce sont la démocratie et la paix qui se développent sur notre continent. Cela n'a pas de prix !
Par conséquent, mettons fin à ce débat sur le retour net, qui est détestable. Il a été ouvert avec la règle I want my money back, mais nous risquons de continuer à le payer pendant longtemps et, tout d'abord, au travers du chèque britannique : cette affaire est de nouveau d'actualité avec la discussion sur les corrections généralisées des contributions des Etats membres.
L'enjeu n'est pas mineur : il s'agit de 5 100 millions d'euros - c'est la valeur du chèque britannique -, et la contribution de la France pour payer ces 5 100 millions d'euros à la Grande-Bretagne est de 1 400 millions d'euros. Je rappelle que le budget de l'écologie et du développement durable s'élève à 800 millions d'euros. Cela représente donc près de deux fois le montant dudit budget. Ce n'est pas du tout marginal !
Ce chèque va passer à 7 milliards d'euros dans deux ans. Cela vaut la peine qu'on s'y arrête, mais le sujet est complexe, car nous sommes enfermés dans le principe de l'unanimité : nous ne pouvons revenir sur ce point qu'avec l'accord des Britanniques.
La construction européenne ne pourra se poursuivre qu'en trouvant une issue par le haut, c'est-à-dire en obtenant un consensus politique sur la primauté à redonner à l'intérêt commun sur les intérêts nationaux. C'est l'idée que nous devons faire triompher dans le débat qui s'ouvre sur les perspectives financières. Ce débat sera capital pour fixer l'encadrement de nos budgets pour les années 2007 à 2013.
S'agissant de l'élargissement, lorsque l'Irlande a rejoint l'Union en 1973, son PIB était de l'ordre de 60 % du PIB moyen des Etats membres. Lorsque le Portugal a rejoint l'Union en 1985, son PIB s'élevait à 40 % du PIB des Etats membres. Les PIB des pays de l'Europe centrale et orientale qui ont adhéré à l'Union voilà maintenant huit mois sont plutôt à 20 %.
Les élargissements successifs posent donc de plus en plus de problèmes, parce que les écarts s'accroissent entre le niveau de développement des pays qui rejoignent l'Union et ceux des Etats membres. Par ailleurs, les nouveaux Etats membres sont de plus en plus nombreux et de plus en plus peuplés : dix pays, 80 millions d'habitants. C'est considérable !
Mais, là aussi, il ne faut pas se laisser enfermer dans l'idée que cela peut coûter cher. Cela coûte cher, mais cela rapporte gros !
Pour l'histoire, c'est incontournable. Nous devons construire notre continent. Par ailleurs, sur le plan économique, il est préférable de partager la croissance de ces pays, laquelle est beaucoup plus forte que la nôtre, et de les aider à se développer, ce qui leur permettra de rejoindre notre standard de développement et ce qui donnera du travail à nos entreprises. Ainsi, notre marché pourra s'élargir et l'espace de paix et de démocratie que nous construisons pourra être de plus en plus contagieux sur la planète.
Il n'y a pas photo ! Du reste, les Etats Unis ne se sont pas si mal trouvés du plan Marshall. Ils l'ont fait par solidarité, bien sûr, à l'égard des pays qui avaient été détruits, mais ils ont également fondé leur prospérité sur l'après-guerre et noué un certain nombre de liens politiques et économiques durables, tout à fait intéressants pour eux.
Il nous faut donc réussir l'élargissement.
S'agissant du budget lui-même, le Parlement européen l'a fixé à un peu plus de 117 milliards d'euros pour 2005, ce qui est supérieur aux 116 milliards d'euros arrêtés par le Conseil et inférieur aux 117 milliards d'euros prévus par la Commission à la fin du printemps.
Cela représente une progression de 5 % pour les crédits d'évaluation et de 10 % pour les crédits de paiement, ce qui est normal puisque ce budget sera le premier à prendre en compte l'élargissement.
L'année dernière, nous n'avions que sept mois d'élargissement. Quand on sait que la réforme de la politique agricole commune est mise en oeuvre complètement et que les fonds structurels connaissent progressivement un meilleur niveau de consommation, tout cela peut s'expliquer.
Notre base était un peu inflationniste et nous la conservons. Nous dérivons de façon explicable par rapport à une base qui l'est peut-être un peu moins et sur laquelle davantage de rigueur serait souhaitable.
Je formulerai quelques observations sectorielles sur la PAC, qui, je le répète, est à bout de souffle. Nous devrions avoir un vrai débat sur ce sujet.
A force de vouloir rapiécer la PAC, on perd de vue les principes sur lesquels elle reposait à l'origine. Si la PAC devait être réinventée aujourd'hui - il faudrait le faire pour traiter les problèmes des pays qui nous rejoignent -, elle le serait exactement comme elle a été conçue il y a cinquante ans chez nous.
La préférence communautaire est un excellent principe, principe politique et pas simplement d'administration technique. Il faut y revenir pour recréer une vraie PAC. A force de mettre rustines sur rustines sur une PAC qui n'en est plus une, on va droit dans le mur et cela nous coûte très cher. A force de voir la France arc-boutée sur la défense de cette PAC qui n'en est plus une, on paie très cher. Il n'y a qu'à voir ce qui s'est passé au Sommet de Berlin où l'on a payé très cher, notamment par l'augmentation du chèque britannique et par de nouvelles compensations, la survie, pendant quelques mois supplémentaires, d'une PAC qui doit être complètement revue.
J'aborderai maintenant la question des délocalisations, qui est au centre de toutes nos discussions depuis plusieurs jours.
J'ai dit lors de la discussion générale que nous ne pourrions traiter ce problème qu'en aidant les pays en voie développement, en construisant plus fortement et plus rapidement l'Union européenne, en harmonisant ce qui peut l'être, notamment les niveaux de prélèvements obligatoires de ces différents Etats, et en nous donnant les moyens d'être compétitifs par rapport à notre grand concurrent américain.
J'ai aussi affirmé que nous ne devrons notre salut qu'à l'Europe. Ainsi, nous trouverons notre place dans le monde et nous préparerons un avenir pour les Européens, qui accéderont sans difficultés à un emploi et pourront vivre dans des conditions leur convenant.
Un tel objectif exige que nous mettions très vite en place une politique européenne de formation favorisant l'innovation et permettant d'adapter nos compétences et notre économie. Tout cela repose sur une politique de progrès scientifiques.
Nous y parviendrons si nous sommes capables, à l'échelon européen, de transformer nos mentalités dans ce domaine, de favoriser toutes les synergies qui peuvent exister entre les budgets civils de recherche et de développement technologique, les BCRD - le nôtre et l'équivalent dans les autres Etats membres - et le programme-cadre de recherche et développement, le PCRD, de l'Union européenne. Il y a beaucoup à faire en ce domaine.
A l'échelon national, la question des pôles de compétitivité va dans le bon sens. Au niveau européen, il faudra développer cette façon de voir, construire une véritable politique scientifique européenne nous permettant de traiter à égalité avec les Américains et de faire en sorte que les meilleurs mathématiciens du monde après les Français - les Indiens -retrouvent leurs collègues français non pas à Boston, mais plutôt en France ou au moins en Europe.
En conclusion, nous devrions être admiratifs - je ne cesse de l'être moi-même - du chemin parcouru depuis cinquante ans. Mais il nous faut aussi être conscients que c'est en cherchant à construire plus d'Europe que nous arriverons à progresser.
Nous sommes au milieu du guet - peut-être même n'y sommes-nous pas encore parvenus -, mais nous devons avancer en étant lucides face à l'ampleur de la tâche et au parcours semé d'embûches.
Pour cela, il nous faut un budget plus rigoureux. Nous devons adopter à Bruxelles la même rigueur que celle que l'Union impose aux Etats membres à travers le pacte de stabilité, qui est parfaitement légitime. Mais c'est un autre débat.
Nous devons opérer un changement complet des structures budgétaires. A cet égard, je vous renvoie à mon rapport, qui formule un certain nombre de propositions. Pour ma part, je ne veux pas voir l'Union européenne s'essouffler. Je souhaite au contraire que, à l'occasion de son élargissement, elle retrouve un nouveau souffle dans la perspective de la définition d'un nouveau cadrage budgétaire pour les années à venir. Cela est possible si nous en avons la volonté ensemble et si la France joue son rôle dans la nécessaire relance de la construction européenne.
Mes chers collègues, si je vous demande de voter l'article 43 du projet de loi de finances, ce n'est pas parce que je nourris de grandes espérances concernant l'actualité de notre budget. Je souhaite simplement que nous puissions fonder notre ambition commune pour l'avenir de l'Europe sur une base qui existe.
Je vous incite donc à voter cet article 43 sans état d'âme, avec lucidité. J'ai essayé de vous démontrer tous les progrès qui restaient à faire. Nous ne pourrons pas les accomplir si nous commençons par ne pas voter cet article. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais intervenir, d'une part, sur la question du chèque britannique, et, d'autre part, de façon plus générale, sur l'état des négociations sur la programmation budgétaire européenne.
Je rappellerai tout d'abord que la France est aujourd'hui, de loin, le premier contributeur à la correction britannique. Nous assumons 29 % du financement avec 1,5 milliard d'euros au titre du budget pour 2004. Nos excellents amis britanniques participent à hauteur de 13 % au financement de l'Union à 25, alors que leur produit national brut en représente 18 %. Selon les règles préétablies, mes chers collègues, la ristourne augmenterait encore sur le long terme. Elle s'établirait par exemple à 7,5 milliards d'euros en 2007.
Mais, à l'inverse, si le Royaume-Uni ne bénéficiait pas de ce règlement, il deviendrait le principal contributeur net de l'Union à l'horizon 2013. La question est donc tout à fait cruciale.
Madame la ministre, quasiment tous les Etats membres sont favorables à la suppression de ce règlement spécifique, qui était dû à la remarquable pugnacité de Mme Margaret Thatcher. Mais tous n'approuvent pas les propositions de la Commission européenne. Celle-ci a ainsi présenté, le 14 juillet dernier, un mécanisme complexe, dit « d'écrêtement des soldes nets » destiné à se substituer progressivement au chèque britannique. Le financement de ce dispositif serait assuré par l'ensemble des Etats membres et chacun d'entre eux bénéficierait d'un certain remboursement selon une formule complexe.
Le Gouvernement français a fait part de ses réserves sur l'approche proposée par la Commission, tout en étant opposé au maintien du système actuel.
Madame la ministre, je souhaiterais que vous puissiez éclairer la Haute Assemblée. Quelle est la position réelle de notre pays en la matière ? Quels sont nos objectifs ? Le rabais britannique ne peut pas durer. Les propositions de la Commission ne sont sans doute qu'un premier stade d'examen du problème. Il faudrait que vous puissiez nous en dire plus pour que nous comprenions où nous allons.
Plus généralement, vous vous souvenez, mes chers collègues, que les six principaux contributeurs de l'Europe - la France, l'Allemagne, l'Autriche, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède - ont adressé il y a un an une lettre solennelle de leurs chefs d'Etat et de gouvernement à la Commission, dans laquelle ils traçaient leurs propres perspectives financières pour l'Union.
Alors que la Commission prévoyait pour 2007-2013 une enveloppe de 1,15 % de la richesse nationale globale en crédits de paiement et de 1,17 % en crédits d'engagement, les six chefs d'Etat et de gouvernement que j'ai cités se situent, eux, sous un plafond de 1 %. Evidemment, à l'intérieur des décimales figurent des sommes importantes.
La négociation sera particulièrement difficile et se situera sur plusieurs plans. Sans doute devra-t-on aboutir à une synthèse des approches, dossier par dossier.
Madame la ministre, le pire serait que l'on n'exerce pas de contrainte budgétaire sur l'Europe et la Commission, car nos Etats connaissent des situations économiques et conjoncturelles difficiles. On ne peut pas se serrer la ceinture partout, sauf à la Commission. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un message fort que le Gouvernement français relaie ces derniers mois avec énergie.
Le pire serait que l'on accepte le dérapage budgétaire, que l'on soit conduit en même temps à accepter le maintien de l'exception britannique, et que l'on ne sache pas tirer toutes les conséquences positives du Sommet de Lisbonne.
Si l'on veut que l'Europe joue le rôle le plus utile et que nos concitoyens l'envisagent de façon encore plus positive, il convient que la stratégie de Lisbonne ait un prolongement concret en matière de croissance économique, de développement des entreprises, de libération des énergies.
Nous sommes confrontés à de nombreux enjeux et nous savons bien que l'extension de l'Europe à 25 Etats transforme la nature du problème de la cohésion et que le devenir des fonds structurels est aussi un sujet essentiel de l'agenda.
Dans le nouveau système institutionnel, la France va devoir se trouver des alliés, sujet par sujet. Le cheminement sera nécessairement complexe. En effet, sur certains sujets, il faudra compter sur le soutien ou l'approche amicale des Etats dits « de la cohésion », c'est-à-dire l'Espagne, le Portugal et la Grèce ; en revanche, sur d'autres dossiers, il faudra parler et faire un bout de chemin avec les nouveaux Etats membres.
Madame la ministre, tout cela représente un ensemble complexe de potentialités. Vous vous trouvez sur un chemin semé d'embûches, et la conjoncture est assurément intéressante pour les deux chambres du Parlement, en particulier pour le Sénat.
En matière de construction européenne, nous sommes très attachés à la cohérence et au respect de principes raisonnables de gestion budgétaire.
Madame la ministre, quelles concessions notre pays sera-t-il amené à faire ? Quel compromis raisonnable peut se dessiner entre les différentes approches et les différents sujets possibles ? En un mot, à l'occasion de ce débat européen, pouvez-vous dissiper une partie des ambiguïtés du sujet et lever le voile sur la stratégie à venir concernant la programmation financière européenne ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme chaque année, nous sommes appelés à autoriser la contribution de la France au budget des Communautés européennes. En dépit du caractère convenu de l'exercice, c'est un moment de notre vie parlementaire que je crois important. Les interventions du rapporteur spécial, Denis Badré, ainsi que celles du rapporteur général, Philippe Marini, viennent encore de le prouver, si besoin était.
Comme chaque année, également, le budget communautaire, qui justifie le montant de la contribution française, est présenté en nette augmentation. Sa progression est même plus rapide que celle du budget national. En effet, le projet de budget communautaire résultant de la première lecture par le Conseil s'établit à 105 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 5,4 %. Néanmoins, le Parlement européen a souhaité, à l'issue de sa première lecture, accroître encore leur montant, pour les porter à 111 milliards d'euros, soit une hausse de 11,7 %.
Le budget pour 2005 est le premier budget de plein exercice pour l'Union européenne élargie à vingt-cinq. Les crédits consacrés aux dix nouveaux Etats membres s'élèvent à 3,6 milliards d'euros pour les dépenses agricoles et à 7,7 milliards d'euros pour les dépenses structurelles. Ces montants sont raisonnables et conformes aux prévisions. Il n'y a pas, pour l'instant, de dérapage des dépenses liées à l'élargissement.
L'augmentation du budget communautaire se retrouve logiquement dans l'accroissement de la contribution française. Avec un montant de 16,6 milliards d'euros, la contribution de la France au budget communautaire pour 2005 accuse une hausse considérable de 8 % par rapport à la prévision d'exécution pour 2004 qui, il est vrai, est exceptionnellement basse.
La contribution de la France devient donc tout à fait substantielle. Il convient de se féliciter du fait que, pour l'instant, l'opinion publique française ne semble pas mettre en question le principe même de cette contribution. Encore faut-il s'assurer que le consentement des Français ne résulte pas d'une simple ignorance.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Absolument !
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Tel est l'enjeu du débat d'aujourd'hui. Nous jouons pleinement notre rôle de parlementaires en cherchant à éclairer nos concitoyens sur l'usage que l'Union européenne fait des ressources qui lui sont apportées par la France.
Je voudrais en profiter pour évoquer maintenant les progrès apportés à la procédure budgétaire européenne par le projet de traité constitutionnel signé le 18 juin 2004.
D'une part, le projet de Constitution prévoit d'inscrire dans le traité le mécanisme des perspectives financières, rebaptisé « cadre financier pluriannuel ». Cela permettrait de pérenniser une pratique qui s'est développée en marge des traités, sous la forme d'accords interinstitutionnels, mais qui a fait la preuve de son efficacité pour assurer un financement régulier aux grandes politiques communautaires.
D'autre part, le projet de Constitution simplifie la procédure annuelle d'adoption du budget communautaire en la ramenant à une seule lecture au Conseil et au Parlement et en supprimant la distinction entre dépenses obligatoires et dépenses non obligatoires.
L'an dernier, sur la foi du texte issu de la Convention, je m'étais inquiété d'un déséquilibre institutionnel au profit du Parlement européen, qui aurait eu le dernier mot sur toutes les dépenses. Heureusement, le texte issu des travaux de la conférence intergouvernementale est plus équilibré. Il donne le premier rôle, en cas de désaccord, à un comité de conciliation, qui réunit les représentants du Conseil et ceux du Parlement européen, sans qu'aucune des deux institutions ne puisse imposer sa volonté à l'autre.
On peut regretter, il est vrai, que le projet de Constitution maintienne le principe de l'unanimité pour l'adoption du cadre financier pluriannuel, alors que le texte issu de la Convention proposait une majorité qualifiée. On peut également regretter que l'occasion n'ait pas été saisie d'associer, d'une manière ou d'une autre, les parlements nationaux à la discussion budgétaire européenne.
Quoi qu'il en soit, le projet de Constitution apporte des progrès indéniables à la procédure budgétaire communautaire et c'est là, pour ceux qui en douteraient, un motif supplémentaire de le ratifier.
Je voudrais enfin évoquer la négociation des perspectives financières pour l'après 2006. Je me permets d'insister sur cette question, pour deux raisons essentielles : tout d'abord, parce que cette négociation comporte des enjeux importants pour la France, qu'il nous faut affronter avec la plus grande lucidité ; ensuite, parce que cette négociation nous contraindra à opérer des choix décisifs sur le contenu des politiques que l'Union souhaite conduire au cours des prochaines années ainsi que sur le niveau de solidarité financière qu'elle souhaite mettre en place.
Cette négociation représente un véritable défi en termes de calendrier. La discussion s'est engagée à partir de la présentation par la Commission de sa communication du 10 février 2004. L'objectif est de parvenir à un accord politique à la fin du premier semestre 2005, sous présidence luxembourgeoise, qui commence, comme on le sait, le 1er janvier prochain. On ne peut toutefois exclure une prolongation des débats au second semestre 2005, sous présidence britannique, voire au premier semestre 2006, sous présidence autrichienne.
Une telle prolongation compliquerait fortement les débuts des prochaines perspectives financières, compte tenu des délais nécessaires à un démarrage effectif de la nouvelle programmation des fonds structurels au 1er janvier 2007. Il serait malheureux de renouveler pour la période 2007-2013 l'erreur rencontrée lors de la période 2000-2006, pour laquelle les perspectives financières ont été adoptées trop tard. Cela a différé d'autant la mise en place des programmes et explique, en partie, certaines sous-consommations de crédits que nous observons aujourd'hui.
La question essentielle posée lors de cette négociation est de savoir à quel niveau doit être fixé le budget de l'Union. Les positions sont tranchées, pour l'instant.
D'un côté, un groupe de six pays contributeurs nets, dont la France, s'est prononcé pour le refus de toute augmentation du budget communautaire par rapport à son niveau actuel, soit 1 % du PIB communautaire. Ces pays considèrent que leur facture est suffisamment lourde et que la croissance économique permettra de financer de manière satisfaisante l'ensemble des priorités et, au premier rang, celle de l'élargissement.
De l'autre côté, la Commission s'est prononcée en faveur d'un accroissement significatif du budget de l'Union pour atteindre, en 2013, 1,27 % du PIB communautaire en crédits d'engagement et 1,15 % en crédits de paiement, soit des augmentations respectives en volume, par rapport à 2006, de 31 % et de 25 %. Cette proposition recueille le soutien des pays traditionnellement bénéficiaires de la politique de cohésion et, bien entendu, des nouveaux Etats membres.
Il est probable que le résultat final sera intermédiaire entre le niveau actuel de 1 % et le plafond de 1,27 % du PIB communautaire. Des efforts d'économie seront néanmoins nécessaires par rapport aux propositions de la Commission. Or, je vous rappelle que 45 % du budget consacré à la PAC se trouve « sanctuarisé » jusqu'en 2013. Le risque est donc grand que la politique régionale, qui représente aujourd'hui 35 % du budget, serve de variable d'ajustement. La France, en particulier risque de se retrouver très isolée dans la défense d'un objectif 2 significatif.
Enfin, la discussion des perspectives financières pose la question du financement du budget communautaire. La Commission a présenté, le 14 juillet 2004, un rapport sur les ressources propres dans lequel elle propose de mettre fin progressivement au « chèque britannique », pour instaurer un mécanisme de correction généralisée bénéficiant à tous les pays dont le solde net excède un certain niveau.
On pourrait se féliciter d'une telle proposition tendant à mettre fin au régime dérogatoire britannique. En effet, ce dernier n'a plus aucune raison d'être, dans la mesure où le Royaume-Uni ne souffre plus du tout d'une « moindre prospérité relative », comme c'était le cas en 1984. Toutefois, il paraît difficile de surmonter l'opposition du Royaume-Uni à toute remise en cause, car il dispose en l'occurrence, ne l'oublions pas, d'un droit de veto.
Le danger est donc grand que la discussion aboutisse à une solution où le « chèque britannique », maintenu, viendrait s'ajouter à un mécanisme de correction généralisée au profit des autres gros contributeurs. Ce serait le cas de figure le plus défavorable à la France, contributeur modeste, mais qui finance déjà 30 % du « chèque britannique ».
Nous devons donc refuser d'entrer dans un tel débat sur les soldes nets, qui demeure très éloigné des principes de solidarité financière fondant le financement des politiques communes.
Voilà les quelques observations que je souhaitais formuler à propos de ce budget. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 35 minutes ;
Groupe socialiste, 22 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 5 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 5 minutes.
Je vous rappelle qu'en application des décisions de la conférence des présidents aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.
Par ailleurs, le temps programmé pour le Gouvernement est prévu au maximum pour vingt-cinq minutes.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remplace au pied levé M. Yves Pozzo di Borgo.
Contrairement aux orateurs qui viennent de s'exprimer, je ne suis pas un spécialiste des questions européennes. Mais après tout, ce n'est peut-être pas plus mal qu'un non-spécialiste en débatte si l'on veut que, en cette journée probablement très importante pour l'avenir de l'Europe, nos concitoyens se sentent concernés.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est une chance !
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Il s'agit d'un Européen de base !
M. Michel Mercier. J'aurais souhaité m'exprimer aussi bien que M. Denis Badré sur le budget de l'Europe et ses perspectives; mais je le ferai avec mes propres mots.
Madame la ministre, je ne comprends pas pourquoi le Gouvernement nous a refusé un débat sur l'Europe et son extension. Nous n'avons déjà pas beaucoup de pouvoir, accordez-nous au moins celui de la parole ! Nous en priver encore une fois, c'est vouloir confiner le thème de l'Europe à des discussions de spécialistes, qui écartent nos concitoyens de cette question pourtant essentielle.
Comme M. Badinter l'a excellemment indiqué dans l'avant-propos de l'essai de Mme Sylvie Goulard, intitulé Le Grand Turc et la République de Venise, la démocratie contemporaine est, d'abord, une démocratie d'opinion, c'est-à-dire un espace organisé pour la discussion publique.
Nous ne devons pas avoir peur de parler de l'Europe. Il appartient à chacun, en fonction des dispositions de la Constitution, de prendre ses responsabilités. Loin de moi l'idée de vouloir bouleverser l'ordonnancement constitutionnel ! Toutefois, il me semble normal que nous parlions enfin, au moins une fois, de l'Europe et que nous ne l'évoquions pas seulement à l'occasion des questions budgétaires !
Grâce à l'amendement déposé par M. Bruno Retailleau, nous pourrons discuter de l'élargissement de l'Europe à la Turquie.
Alors que se joue peut-être, dans notre pays, le sort du Traité constitutionnel, je souhaite, aujourd'hui, dire de quelle Europe j'ai envie en tant que Français qui veut vivre son destin de citoyen dans une Europe organisée.
On nous propose plusieurs voies.
Une Europe de la prospérité ? Pour ce faire, il est question d'une Europe sans frontière, où le libéralisme économique est la seule règle et le seul fondement. Peut-être arriverons-nous ainsi à obtenir une Europe prospère... Mais laquelle ? Où s'arrêtera-t-elle ? Cette Europe sans rivage sera-t-elle celle dont avaient rêvée ses pères fondateurs, démocrates chrétiens, une Europe pour l'homme, où l'humanisme plénier trouverait son foyer ?
Une Europe de la paix ? L'un des apports de l'Europe, comme l'a très justement indiqué Denis Badré, c'est d'avoir apporté la paix. L'Europe est devenue en quelque sorte un conservatoire des droits de l'homme. C'est très bien ! On ne peut pas y être défavorable. Lorsque l'on a créé l'Europe, la préservation des droits de l'homme, l'un des moteurs de sa construction, était un objectif essentiel et il doit le rester !
Depuis l'effondrement de l'empire soviétique, des pays frappent à la porte de l'Europe parce qu'on y trouve la paix, la liberté et les droits de l'homme.
Mais aujourd'hui, est-ce suffisant ? L'Europe est-elle la seule nation à respecter les droits de l'homme ? N'y a-t-il pas d'autres continents où la philosophie des droits de l'homme conduit à l'organisation de la nation ? Si, bien évidemment !
On ne peut limiter l'Europe à être la patrie des droits de l'homme. Sinon, comme le déclarait le père Madelin voilà quelques jours, elle apparaîtrait comme un sous-ensemble de l'ONU, une grande Suisse, havre de paix dans un monde dévoré par les ambitions belliqueuses. Elle n'aurait pas la maîtrise de son destin au milieu des antagonismes renaissants faute de s'en donner les moyens.
Or, au moment où l'on s'apprête à voter le montant de la participation de la France au budget des Communautés européennes - tout budget, je le rappelle, sous-tend une politique - et alors que se décide, d'une certaine façon, l'avenir du Traité constitutionnel européen, je tiens à réaffirmer notre volonté de vivre dans une Europe organisée, marquée par des bornes limitant son territoire, dans une Europe puissante, entreprenante et généreuse.
Pour créer cette Europe, mieux vaut s'attacher à effacer les frontières intérieures plutôt que de vouloir sans cesse aller plus loin, sans savoir où l'on va.
Je souhaite que les mesures budgétaires que nous allons voter tout à l'heure nous permettent de construire enfin une Europe organisée et puissante dont nous pourrons être fiers, et qui, demain, sera notre patrie ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret.
M. Robert Bret. La discussion relative au prélèvement opéré sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des Communautés européennes pour 2005 revêt cette année une dimension toute particulière.
Cet exercice budgétaire intervient alors que l'Europe semble désormais à la croisée des chemins. Après l'élargissement historique, le 1er mai dernier, à dix nouveaux membres, la signature de la Constitution européenne à Rome, le 29 octobre 2004, et l'éventuelle ouverture de négociations d'adhésion avec la Turquie - nous y reviendrons lors de la discussion de l'amendement déposé par M. Retailleau -, l'Union européenne est plus que jamais sur le devant de la scène politique.
En dépit de ces étapes, historiques pour la construction européenne, le projet de budget pour 2005 s'inscrit dans la continuité des précédents. En effet, la contribution de la France au budget des Communautés européennes s'élève à 16,6 milliards d'euros pour 2005, contre 16,4 milliards d'euros en 2004 et 16,388 milliards d'euros en 2003.
Il faut aussi rappeler l'imprécision du prélèvement, qu'a d'ailleurs souligné M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, le débat formel imposé à notre Parlement et le peu de pouvoir dont il dispose pour intervenir sur le choix et sur l'avenir de l'Union européenne.
Comme les années précédentes, les deux principaux postes de dépenses sont la politique agricole commune et la politique régionale.
Quant à l'action extérieure de l'Union, qui consiste, pour l'essentiel, dans des programmes d'aide humanitaire, d'aide alimentaire, d'assistance technique et d'aide au développement, elle a été revue à la baisse par le Conseil dans un souci de rigueur budgétaire.
La diminution de l'engagement financier européen est alarmante, madame la ministre, car elle est en contradiction avec le rôle que l'Europe doit jouer sur la scène internationale. Elle soulève une question de fond : le projet européen n'a de sens que s'il propose une alternative à la politique unilatérale, dominatrice et dangereuse des dirigeants des Etats-Unis. A cet égard, l'Europe doit relever un défi historique.
Ce projet de budget exprime, par ailleurs, la volonté de « maîtriser » les dépenses liées à l'élargissement, alors qu'il conviendrait, au contraire, d'affirmer notre solidarité envers les dix nouveaux Etats membres de l'Union qui sont tous, nous le savons, beaucoup moins riches que les quinze anciens.
En fait, le projet de budget pour 2005 atteste que la Commission et le Conseil font peu de cas de la situation exceptionnelle que nous vivons. Ce budget ne comporte aucune trace d'une quelconque politique de relance digne de ce nom. Il consacre une vision du monde que nous ne pouvons accepter. L'esprit qui l'anime est celui de la priorité donnée à la loi du marché et à une offensive contre les services publics, autrement dit, à une Europe où les normes sociales sont a minima.
Loin de dessiner un projet de société fondé sur la solidarité et sur la justice sociale, le budget que vous défendez, madame la ministre, s'inscrit dans la continuité du projet de société libérale que l'on nous propose.
A cet égard, avec le Traité établissant une Constitution pour l'Europe, que l'on nous demande d'adopter, ce n'est pas seulement la légitimation du Traité de Rome qui nous est proposée : c'est le Traité de Rome aggravé par l'Acte unique, par les traités de Maastricht et d'Amsterdam ; c'est l'Europe libérale et antidémocratique avec la libéralisation totale des mouvements de capitaux, l'ouverture obligatoire de tous les services publics et de toutes les entreprises publiques à la concurrence, une Banque centrale européenne indépendante du pouvoir politique et ayant pour seule mission de rendre crédible la « zone euro » aux marchés financiers, la marchandisation de toutes les activités humaines, des critères de convergence visant à réduire les dépenses sociales et publiques.
Or, nous ne connaissons que trop bien les conséquences sociales de cette logique libérale : développement du chômage - 15 millions de chômeurs aujourd'hui -, de la précarité, de la flexibilité, des délocalisations.
Au moment où nous discutons, le comité central de l'entreprise Nestlé France est réuni à son siège social, dans la Seine-et-Marne, pour débattre de la situation de l'usine de Saint-Menet, près de Marseille, usine des plus performantes dont les activités devraient être délocalisées en Russie en 2005. Les logiques financières dominent au détriment de l'emploi et des intérêts des économies locales et nationales.
Madame la ministre, cette Europe libérale, que l'on nous propose de graver dans le marbre, constitue une véritable consécration de l'injustice sociale.
Pour le groupe communiste républicain et citoyen, il faut un autre projet pour l'Europe, un projet fondé sur les valeurs de la démocratie, sur des politiques publiques actives, sur le développement durable, sur l'établissement de nouveaux rapports avec les pays du Sud, sur le progrès social, la coopération et la paix.
Malheureusement, le souci premier de la Commission et du Conseil demeure inlassablement le marché et la généralisation de la concurrence, ce qui apparaît en totale inadéquation avec l'actuel enjeu historique.
Madame la ministre, mes chers collègues, l'Europe a les moyens de défendre un autre modèle social et politique. L'Europe a besoin de transparence pour résorber son déficit démocratique. Cela suppose notamment que la Commission soit en mesure de fournir la liste détaillée des dépenses administratives engagées afin qu'il soit possible de contrôler leur évolution.
Le groupe communiste républicain et citoyen récuse donc l'esprit qui anime ce projet de budget et souhaite affirmer sa volonté de construire une autre Europe.
Madame la ministre, mes chers collègues, en refusant ce projet de budget, nous refusons aussi un simulacre de démocratie. Car, si notre assemblée votait contre, comme elle en a théoriquement le droit, nous serions purement et simplement condamnés par la Cour européenne de justice à verser le montant des sommes fixées, ce qui montre les limites du présent exercice. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. « Une année historique », l'expression est souvent galvaudée ! Elle prend néanmoins ici tout son sens, car l'Europe vient de franchir trois étapes majeures : l'élargissement le plus important qu'elle ait jamais connu et qui pose la question de sa nature et de son projet ; la signature du traité constitutionnel, le 29 octobre 2004, qui permet le lancement du processus de ratification ; enfin, l'affirmation du contrôle démocratique des institutions communautaires, le Parlement nouvellement élu ayant su peser sur la composition de la nouvelle Commission.
Deuxième contributeur net et deuxième bénéficiaire net du budget de l'Union, la France a une légitimité forte pour émettre des avis, qu'ils soient budgétaires ou relatifs aux politiques communes. Cette année, il me semble qu'elle retrouve sa légitimité, et ce pour deux raisons : d'une part, notre pays devrait présenter en 2005 un déficit en dessous de la barre des 3% du PIB, démontrant ainsi sa volonté de respecter les règles du jeu ; d'autre part, alors que la France était en dernière position en matière de transposition des directives, elle vient d'effectuer de réels progrès en transposant tout récemment une quarantaine de directives. Il faut en rendre acte à l'action efficace de son ministre des affaires européennes.
La France demeure circonspecte quant à l'utilisation des 16,6 milliards d'euros de sa contribution, qui représentent environ 16,5% du budget communautaire, et elle doit rester attentive à au moins deux sujets : l'élargissement et son impact budgétaire, surtout sur les fonds structurels et sur les aides de pré-adhésion, les perspectives financières et l'avenir du « chèque britannique ».
Le surcoût de l'élargissement en année pleine est évalué à 3,9 milliards d'euros. L'élargissement de l'Union à dix nouveaux pays disposant d'un PIB inférieur à ceux des anciens Etats membres a par ailleurs entraîné une réorientation massive des fonds structurels et une baisse mécanique des montants disponibles pour les actuels Etats membres.
Les montants de la politique de cohésion ont, je le rappelle, augmenté de 3,3% en raison de l'élargissement, alors même qu'ils représentent le deuxième poste de dépenses de l'Union, avec 36,5% des dépenses totales !
Je souhaite que le Gouvernement fasse preuve de bon sens, d'une part, en ne surestimant pas la capacité d'absorption de ces crédits par les nouveaux Etats membres et, d'autre part, en mettant ces montants en perspective avec le niveau de l'impôt sur les sociétés dans ces pays. En effet, plusieurs nouveaux Etats membres pratiquant le dumping fiscal, avec des taux d'impôt sur les sociétés oscillant entre 0 et 20 %, on ne peut accepter qu'ils attirent fortement des capitaux privés grâce à cette pratique déloyale, au risque d'accroître encore les délocalisations vers l'Est alors qu'ils drainent par ailleurs d'importants fonds publics communautaires.
Madame la ministre, le Gouvernement semble prêt à défendre l'idée d'une coopération renforcée en matière fiscale auprès de la nouvelle Commission européenne, mais avec quels alliés et selon quel calendrier ?
En ce qui concerne les fonds de pré-adhésion disponibles au titre de la rubrique 7, je souhaite exprimer ma surprise sur les conditions d'octroi de ces aides à deux des quatre pays candidats, la Croatie et la Turquie.
Autant il me semble normal que ces aides accompagnent le statut des pays candidats, autant il me semble particulièrement curieux qu'il n'y ait aucune différence de conditionnalité dans leur octroi entre les pays actuellement en négociation - la Roumanie et la Bulgarie - et ceux qui n'en sont pas encore à ce stade. Serait-il incongru de demander à la Croatie de coopérer plus activement avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, alors que l'Union européenne lui verse plus de 60 millions d'euros par an ? Serait-il anormal de demander à la Turquie de reconnaître enfin Chypre, aujourd'hui Etat membre de l'Union européenne, ainsi que le génocide arménien, alors qu'elle se voit octroyer près de 300 millions d'euros par an ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. Ce serait la raison même de le leur demander !
M. Aymeri de Montesquiou. Je vous remercie de ce soutien, monsieur le rapporteur général.
L'élargissement pèse également sur les perspectives financières qui seront prévues pour « l'Agenda 2007 ». Avec 0,99% du revenu national brut communautaire, le budget de l'Union pour 2005 reste sous contrôle, et je soutiens pleinement le voeu exprimé par six contributeurs nets, dont la France, pour que le futur cadre budgétaire soit stabilisé à son niveau actuel, quitte à accepter la fixation de ce niveau pour les crédits de paiement et non pour les crédits d'engagement, option plus restrictive. En effet, une augmentation du budget total ferait augmenter mécaniquement le montant de notre contribution. Une réflexion de fond sur la nature de l'Union demeure un préalable nécessaire.
Pour compenser cette augmentation, la Commission songe sérieusement à étendre un mécanisme comparable à ce qu'on nomme par commodité le « chèque britannique » à d'autres Etats membres, fortement contributeurs nets.
En 2004, le montant de la correction britannique a été révisé à la hausse de 732 millions d'euros par rapport au budget initial. Pourquoi ? Et jusqu'où ira-t-on ?
Ce système, créé il y a juste vingt ans dans un contexte politique et économique révolu, doit être totalement remis en cause à l'occasion des prochaines perspectives financières, et non pas étendu à quelques contributeurs nets. Nous devons penser au-delà de l'aspect purement budgétaire, car c'est l'esprit même de la construction européenne qui est en jeu : elle transcende heureusement le simple calcul du « taux de retour ».
La totalité des membres du groupe du Rassemblement démocratique et social européen votera ce prélèvement de 16,4 milliards d'euros pour que la France continue de marquer concrètement son attachement au projet européen : l'ambition d'un marché intérieur pleinement réalisé, d'un espace de sécurité et de progrès social, et d'une Europe-puissance capable d'imposer une gestion multilatérale des conflits.
Les Jeux olympiques d'Athènes ont montré que, à vingt-cinq, l'Union européenne obtenait la première place. Ce résultat nous donne toute la mesure de nos autres potentialités. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les hasards du calendrier ont fixé au 1er décembre la discussion sur l'article 43 du projet de loi de finances pour 2005. Il m'est donc ainsi possible, dès ce matin, de répondre une première fois « oui » à la construction européenne,...
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. Bernard Frimat. ...puisque les sénateurs socialistes, comme les années précédentes, approuveront cet article du projet de loi de finances dont la spécificité est le respect des engagements souscrits par la France.
Le rapporteur spécial, M. Denis Badré, présente avec une très grande précision le contenu du budget européen et fournit suffisamment de données chiffrées pour que je puisse alléger au maximum mon propos de cette dimension.
Le budget de l'Union Européenne n'atteint pas 1 % de son PNB. Il est donc très largement inférieur au plafond fixé à l'unanimité à Berlin.
Le solde net, c'est-à-dire le coût réel comptable de la contribution de la France à l'Union européenne, était en 2002 inférieur à 2 milliards d'euros, ce qui situe notre pays à la cinquième place en volume, derrière l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Italie et les Pays-Bas, et à la septième place en pourcentage du revenu national brut. Il est facile d'apprécier ce coût par rapport au budget global de la France, voire par rapport à son déficit. La conclusion s'impose : l'Europe pèse peu sur nos engagements.
Le surcoût de l'élargissement est de même nature : M. le rapporteur spécial l'estime, pour la période 2004-2006, à 22,50 euros par habitant et par an. C'est très modéré au regard de l'enjeu que représentent la paix et la liberté.
S'il est indispensable de connaître le coût comptable de nos engagements, il me semble regrettable de faire de celui-ci l'élément essentiel du jugement porté sur le budget de l'Union. Or c'est ce qui se produit avec la sacralisation de la théorie du « juste retour ». Cette théorie, sans doute agréable pour les comptables, est détestable pour les partisans de la construction de l'Europe, car elle sert d'alibi pour réduire l'ambition européenne.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Très bien !
M. Bernard Frimat. Le célèbre « I want my money back » de Margaret Thatcher a fait depuis vingt ans nombre d'adeptes. Or, cette position symbolise la négation même d'une construction commune. Elle ignore les avantages nés de l'adhésion à l'Union et privilégie une perception étriquée de son action, écartant toute réflexion stratégique sur son devenir pour s'en tenir à une surveillance quasi obsessionnelle du taux de retour.
Si nous poussons ce raisonnement au bout de sa logique - ou de son absurdité -, l'optimum budgétaire serait atteint si chaque pays recevait de l'Europe des crédits d'un montant équivalant à celui de sa contribution nationale. Si la finalité du budget de l'Europe se réduit ainsi à un jeu individuel à somme nulle, où est l'intérêt de l'entreprise originale que constitue la construction européenne ? (M. le rapporteur spécial et Mme la ministre déléguée approuvent.)
Au moment de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal, et en dépit des vives craintes qui s'exprimaient alors, Jacques Delors avait su faire partager une ambition forte : la perspective du marché unique s'accompagnait d'une politique volontariste de cohésion.
Au lendemain de l'élargissement à vingt-cinq, et à la veille d'arrêter le cadre financier pluriannuel, l'Europe se trouve face à un enjeu : le développement de nouvelles politiques en faveur de la croissance et de l'emploi. La définition des priorités et des projets de l'Union européenne, l'affirmation des solidarités vis-à-vis des nouveaux membres doivent inspirer le cadre budgétaire. Or le risque existe que des engagements financiers insuffisants conduisent à la renationalisation de certaines politiques aujourd'hui communes.
On est en droit de s'interroger, madame la ministre, sur les conséquences de la position prise par le groupe des six pays signataires, en l'occurrence les six contributeurs nets les plus importants, dont la France, demandant la stabilisation du budget de l'Union à 1 %. Cette position n'a-t-elle pas une double conséquence inévitable, à savoir compromettre la réussite de l'initiative européenne de croissance et empêcher le développement des pays qui viennent de rejoindre l'Europe ?
M. Philippe Marini. Les socialistes veulent toujours payer plus !
M. Bernard Frimat. Monsieur Marini, il ne me semble pas que vous soyez privé de parole pendant l'examen du budget ; j'ai pour ma part dix malheureuses minutes, je souhaiterais ne pas être interrompu, même par des commentaires supposés être intelligents.
M. Philippe Marini. Ils sont inspirés par l'expérience !
M. Bernard Frimat. Peut-être, mais votre expérience me gêne !
Si le budget de l'Union européenne est stabilisé à 1 %, c'est-à-dire à un niveau considérablement inférieur à celui qui avait été retenu dans le cheminement de Berlin, et si dans le même temps est mis en oeuvre le respect des accords de Bruxelles et de Copenhague sur la PAC, la principale variable d'ajustement devient la politique de cohésion économique et sociale. Il n'est pas possible de démontrer le contraire !
Le risque a été particulièrement mis en évidence dans le rapport de nos collègues Yann Gaillard et Simon Sutour sur les fonds structurels, qui écrivaient : « La politique de cohésion participe à l'idée que l'Union ne se résume pas à une simple zone de liberté commerciale et de règles de concurrence, et qu'elle soude anciens et nouveaux membres dans un projet commun. »
Si nous voulons à la fois permettre aux nouveaux entrants de rattraper leur retard économique et aux zones de l'ancienne Europe à quinze dont les caractéristiques économiques l'exigent de bénéficier de la solidarité européenne, il est nécessaire de maintenir une politique ambitieuse de cohésion. Ce sera impossible avec un budget limité à 1 %.
Accepter un tel plafond de dépenses, c'est programmer la disparition en 2007 de l'actuel « objectif 2 », dont nos collectivités éprouvent le rôle moteur dans nos politiques d'investissement.
Certes, cette question ne se pose pas à l'occasion du budget pour 2005, mais elle sera présente tout au long des négociations du cadre financier pluriannuel.
Si la construction européenne ne peut réussir sans une ambition forte, celle-ci n'est pas pour autant synonyme d'une augmentation systématique du budget sans remise en cause de certaines situations existantes et sans contrôle. Mais les gains de bonne gestion ont leurs limites, et il est illusoire de croire que l'on peut demander plus à l'Europe et moins à ses Etats membres. Or, les ressources propres de l'Europe ne sont en réalité que des contributions nationales déguisées et sont en tout état de cause, quelle que soit leur nature juridique, perçues comme telles.
Un des moyens de sortir de la logique des contributions nationales, dont on mesure à quel point elles facilitent la référence au juste retour, ne serait-il pas de poser la question du financement de l'Union par chaque citoyen ? Est-il possible, en respectant le principe de neutralité, de substituer pour tout ou partie un impôt européen au système des contributions nationales ? Cette perspective, pour le moins difficile, rencontre de la part de certains Etats membres une franche hostilité. Faut-il pour autant renoncer à faire progresser la réflexion ? La France peut-elle, madame la ministre, prendre une initiative en ce sens ?
Cela m'apparaîtrait d'autant plus judicieux que l'Union européenne s'engage dans la recherche de mécanismes complexes de correction des contributions nationales, mécanismes qui viendraient modifier ceux qui existent déjà, notamment le « chèque britannique ».
Si les mécanismes sont complexes, la finalité est en revanche très simple : il s'agit de diminuer la charge des contributeurs nets les plus importants.
Le chèque britannique, qui, en 1984, avait sa justification, est aujourd'hui devenu une rente, et les raisons qui ont conduit à sa création ont en grande partie disparu. Il est souhaitable que la discussion du cadre financier pluriannuel permette de trouver un système de financement de l'Union plus juste et plus acceptable.
Cela n'impliquera pas automatiquement une amélioration de la situation de la France, qui jusqu'ici, reconnaissons-le, a été un contributeur net modeste de l'Union européenne. Notons toutefois que le statu quo ne la protège pas, puisque le maintien des mécanismes actuels sera de plus en plus coûteux pour la France : elle assurera en 2004 près de 30 % du financement du chèque britannique et, en 2005, le Royaume-Uni lui coûtera plus cher que les dix nouveaux Etats membres. (M. Robert Del Picchia opine.)
M. Philippe Marini. Sur ce point, nous sommes d'accord !
M. Bernard Frimat. Méditons ce point ! En tout état de cause, même si une révision du système de financement est souhaitable, elle ne peut - et je ne sais là si nous serons d'accord - incarner à elle seule l'ambition européenne.
Si l'ambition européenne de la France est à la fois de développer l'initiative de croissance et l'emploi ; de renforcer les politiques de recherche, d'innovation et de formation ; de promouvoir le développement durable ; de maintenir une politique de cohésion économique et sociale favorable aux nouveaux entrants, mais n'ignorant pas dans l'ancienne Europe des Quinze les zones touchées par la disparition des industries et par le chômage ; de préserver une politique agricole rénovée ; de soutenir une politique européenne de défense et de sécurité ; si telle est l'ambition européenne de la France, madame la ministre, elle ne se réalisera pas avec des perspectives financières 2007-2013 anémiées.
Le choix qu'impliquent les prochaines perspectives financières ne peut se limiter à une simple question d'argent. Il importe de déterminer les actions les plus porteuses d'avenir pour les citoyens européens et de trouver les moyens pour les entreprendre.
Sans volonté politique, l'utopie européenne est en danger. Ne lui refusons pas les moyens de se réaliser ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur plusieurs travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur un aspect particulier lié à ce budget, à savoir sur une éventuelle adhésion de la Turquie.
Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas le sujet !
M. Bruno Retailleau. Je le ferai pour deux raisons : la première, c'est que cette adhésion a déjà une implication budgétaire ; la seconde, c'est que l'accession de la Turquie à l'Union serait sans précédent en matière d'extension du territoire et en termes de conséquences financières et budgétaires. Comme l'a souligné tout à l'heure M. Mercier, ce serait non seulement une modification de taille ou de degré, mais un changement de nature extrêmement profond.
Evoquer la Turquie ce matin, à l'occasion du débat sur la participation de la France au budget des Communautés européennes, c'est, bien entendu, évoquer les crédits de pré-adhésion, qui, à mon sens, soulèvent trois questions : une question d'opportunité, une question de méthode, mais aussi une question de cohérence.
Pour ce qui est de l'opportunité, je dois dire que le fait de poser à la Turquie des conditions de critères afin de pouvoir bénéficier de ces crédits de pré-adhésion revient à accepter l'idée que l'extension de l'Union se fera sur la base de ces seuls critères, alors que, à mon sens, elle est d'abord, et éminemment, une question de principe.
La Turquie n'est européenne ni par son histoire, ni par sa géographie, ni même, bien entendu, par sa culture. (M. Philippe Marini opine.)
Mme Nicole Bricq. Cela se discute !
M. Bruno Retailleau. L'adhésion de la Turquie à l'Union me paraît incompatible avec les trois types de modèle, de projet européen qui existent. Elle est incompatible avec l'idée d'Europe-puissance, puisque ce modèle repose sur une intégration poussée supposant une forte homogénéité. Elle est également incompatible avec l'Europe des nations des souverainistes. Elle l'est aussi, à peu de chose près, avec l'Europe-espace, modèle dans lequel elle serait inutile puisqu'une union douanière simple suffirait.
Les crédits de pré-adhésion soulèvent aussi une question de méthode : la méthode, comme toujours, est celle de l'engrenage, de l'irréversibilité.
Je voudrais d'abord souligner trois points. En premier lieu, l'entrée de la Turquie dans l'Union n'est pas un droit acquis découlant, par exemple, de l'accord de 1963.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Bruno Retailleau. En effet, l'accord de 1963 ne crée pas de droits acquis et cette promesse a en quelque sorte reçu sa complétude, si j'ose dire, lors de la création, en 1995, avec la Turquie, de l'union douanière. Il n'y a donc pas de droits acquis, pas plus qu'il n'y a pas de droits de tirage budgétaires.
En deuxième lieu, les crédits de pré-adhésion que l'on nous propose aujourd'hui reposent, me semble-t-il, sur une base juridique erronée. L'article 49 du traité consolidé de l'Union européenne stipule que tout Etat peut demander à devenir membre de l'Union européenne, à condition, toutefois, qu'il s'agisse d'un Etat européen. Or, objectivement, la Turquie n'est pas européenne, puisque 95 % de son territoire, voire plus, n'appartiennent pas à notre continent. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
En troisième lieu, concernant toujours la méthode, il est un peu bizarre d'accorder des crédits de pré-adhésion alors que, le 17 décembre prochain, s'ouvrira la discussion sur une éventuelle ouverture de négociations : c'est mettre la charrue avant les boeufs !
C'est aussi une question de cohérence, car, vous l'avez compris, mes chers collègues, se pose, avec la Turquie, un problème de masse critique.
La Turquie, de par son extension à l'Union européenne, est sans équivalent. Elle représente un quantum d'élargissement qui représente celui des dix pays de l'Est que nous avons à « digérer » depuis le mois de mai dernier. Or la Turquie, si elle était intégrée, serait à la fois le premier débiteur, en tout cas le premier demandeur de fonds - M. le rapporteur spécial a avancé le chiffre, que personne d'ailleurs ne peut vérifier, de 25 milliards d'euros, ce qui est considérable puisque cela représente un quart du budget européen - alors qu'elle se trouverait en situation de décideur de premier rang à travers la nouvelle architecture institutionnelle contenue dans le traité constitutionnel de l'Union.
Dans le même temps, M. Jacques Chirac, Président de la République, a adressé, avec cinq autres chefs d'Etat, une lettre au président de la Commission pour limiter à 1 % du PIB de l'Union la contribution de l'ensemble au budget de la communauté.
Très honnêtement, comment souhaiter, aujourd'hui, l'adhésion de la Turquie et en refuser, pour demain, les conséquences financières, alors que, comme l'indiquait notre excellent rapporteur général, nous sommes en période de vaches maigres et que nous devons nous serrer la ceinture ?
Comment voter aujourd'hui des crédits de pré-adhésion, alors que nous savons déjà que nous sommes incapables de faire face, demain, à l'adhésion de la Turquie ?
M. Philippe Darniche. Très juste !
M. Philippe Marini. Bonne question !
M. Bruno Retailleau. Tout cela n'est pas raisonnable. Il convient d'en tirer toutes les conséquences. C'est, mes chers collègues, ce que je vous proposerai de faire tout à l'heure grâce à l'amendement que je présenterai. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Robert Del Picchia.
M. Robert Del Picchia. Il semble que nous ayons entamé un débat sur la Turquie, j'y reviendrai dans quelques instants.
Madame la ministre, en acceptant ce poste ministériel, vous avez relevé un défi commun au Président de la République, au Premier ministre, à M. Michel Barnier, bien sûr, et au Gouvernement dans son ensemble, mais aussi à un très grand nombre de nos compatriotes : celui de réussir la transformation de l'Europe des pères fondateurs qui a amené la paix - chacun en est d'accord - en une Europe moderne, toujours aussi pacifique, mais plus large, solidaire, généreuse, prospère, sûre et capable de tenir sa place économique et politique dans un monde en mouvement au même niveau que les grands ensembles américains ou asiatiques, tels que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et, vraisemblablement demain, l'Inde et le Brésil.
On ne peut donc, en tant qu'Européens, que vous féliciter pour votre courage et votre engagement dont nous sommes les témoins, mais aussi vous encourager, car, à bien des égards, l'année 2005 sera une année déterminante pour l'Union européenne.
Tout d'abord, 2005 sera la première année d'exercice, en année pleine, de l'Europe à vingt-cinq, une année qui, on le sait, promet de difficiles négociations sur le cadre financier pluriannuel de « l'Agenda 2007 ».
Mais 2005 sera aussi une année historique - mon collègue Aymeri de Montesquiou a fort justement employé cet adjectif - sur le plan institutionnel, avec le grand rendez-vous du référendum en France, comme dans d'autres pays, sur la ratification du traité constitutionnel pour cette Europe moderne que nous attendons.
Dans cette nouvelle Europe, la participation de la France au budget européen que vous nous présentez aujourd'hui, madame la ministre, est particulièrement importante, puisqu'elle s'élève - M le rapporteur général et M. Badré l'ont rappelé - à 16,57 milliards d'euros.
Soulignons que si la France demeure contributeur net au budget communautaire, en occupant la deuxième place des Etats membres avec une part de 16,4 %, elle est aussi le deuxième pays bénéficiaire des dépenses opérationnelles de l'Union, avec 16,9 % des versements, qui proviennent essentiellement de la politique agricole.
Je voudrais insister aujourd'hui non seulement sur les conséquences financières des élargissements mais aussi sur les perspectives qu'ouvriraient le traité constitutionnel et sa problématique de ratification par référendum.
Tout d'abord, les questions relatives aux implications financières des élargissements, comme l'a dit M. Hubert Haenel, ne sont pas à l'origine des augmentations.
Je mets le mot « élargissement » au pluriel, à dessein, car nous sommes face à plusieurs élargissements successifs, en quelques années seulement.
A cet égard, je ferai quelques rappels utiles.
Avec le cinquième élargissement, ce sont dix pays qui nous ont rejoints au ler mai de cette année. On sait déjà que la Bulgarie et la Roumanie devraient achever les négociations d'adhésion en 2007. En outre, la Croatie pourrait intégrer l'Union en 2007 également. Sans oublier que le Conseil européen affirme, depuis 2000, la vocation des Etats des Balkans occidentaux à intégrer l'Union européenne.
Par ailleurs, dans quelques jours, les vingt-cinq vont devoir se prononcer sur le principe d'ouverture des négociations pour l'adhésion de la Turquie.
L'Union va donc se retrouver, dès le mois prochain, avec une nouvelle architecture qui rend nécessaire une redéfinition des priorités communautaires. Leur impact financier, sur la période 2007-2013, est bien difficile à chiffrer.
Nous savons que, sur la période 2004-2006, la France devrait contribuer pour 20 % aux dépenses d'élargissement, ce qui représente un peu plus de 22 euros par habitant et par an. C'est moins que ce que coûte le « chèque britannique » qui, décidément, est un chèque sans illusion !
Pour la période 2007-2013, les experts avancent un montant supérieur, mais les prévisions sont très aléatoires.
Au cours du débat, j'ai entendu plusieurs fois parler de l'adhésion de la Turquie, l'orateur qui m'a précédé ayant même donné sa position sur ce point. Il semble bien que le suspense quant à la décision du Conseil sur l'ouverture des négociations d'adhésion avec la Turquie ne soit plus aussi intense depuis que la Commission a rendu son rapport. On s'attend, d'une façon générale, à un oui des vingt-cinq. Mais, il convient de le préciser, ce oui concerne l'ouverture des négociations. En effet, il y a souvent une confusion entre ouverture des négociations et adhésion.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Robert Del Picchia. Pourriez-vous, madame la ministre, nous donner quelques indications sur la décision que va rendre le Conseil européen du 17 décembre prochain ?
Il nous semble que les chefs d'Etat et de gouvernement devront rester prudents dans la formulation et annoncer des décisions qui ne préjugent pas de l'issue de ces négociations. Je rappelle que le sujet qui est inscrit à l'ordre du jour du 17 décembre concerne l'ouverture des négociations d'adhésion, et non l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Ces négociations, si elles débutent l'an prochain, pourraient durer, selon les spécialistes, entre douze et quinze ans.
C'est seulement après toutes ces années que les Françaises et les Français décideront par référendum, en toute liberté, de l'adhésion ou non de la Turquie à l'Union européenne. La Turquie ne sera pas la même que celle d'aujourd'hui et l'Union européenne sera peut-être totalement différente de celle que nous connaissons actuellement.
Mes chers collègues, personnellement, je ne souhaite pas prendre position sur ce point, mais si vous faites ce que les cinéastes appellent un flash-back, vous vous apercevrez qu'en quinze ans, de fin 1989 à mai 2004, nous sommes passés de pays de l'Est de l'Europe ancrés dans le communisme, dans le pacte de Varsovie et dans leurs liens avec ce qui avait été l'Union soviétique en pays membres de l'Otan et, cette année, de l'Union européenne élargie.
M. Philippe Marini. Ce sont des pays européens !
M. Robert Del Picchia. Quinze ans auparavant, aucun politique, aucun expert n'aurait pu prévoir un tel changement.
M. Philippe Marini. Le général de Gaulle l'avait prévu !
M. Robert Del Picchia. Par conséquent, personne aujourd'hui ne peut dire ce qui se passera avec la Turquie et l'Europe. Il est toujours difficile de faire des prévisions.
Mes chers collègues, j'ai bien écouté ce qu'ont dit M. Aymeri de Montesquiou et M le rapporteur général sur ce qui devrait être demandé à la Turquie en contrepartie du préfinancement. J'approuve, bien sûr, leurs propos.
Sur le plan financier, il est difficile de définir les conséquences de l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne. Des chiffres sont avancés et je suis très curieux de voir s'ils se révéleront exacts. Il est encore plus difficile de définir les conséquences financières de la non-intégration. Madame la ministre, je vous demande, si possible, de nous donner quelques indications sur ce point.
Mes chers collègues, la grande question institutionnelle de l'année 2005 sera la ratification, par les vingt-cinq Etats membres, du traité constitutionnel pour l'Europe, signé à Rome le 29 octobre dernier par les chefs d'Etat et de gouvernement des vingt-cinq. J'utilise à dessein le mot « traité » car il s'agit non pas d'une constitution au sens des constitutions nationales, mais bien d'un traité international de même nature juridique que le traité de Nice ou le traité d'Amsterdam, mais avec l'ambition politique nouvelle de construire une Europe reposant sur des valeurs et des règles partagées. D'ailleurs, je note que l'on utilise trop souvent le mot « constitution », ce qui est de nature à fausser les résultats du référendum.
Ce traité répond à trois objectifs : plus d'efficacité, plus de démocratie, plus de transparence, en remplaçant par un texte unique l'ensemble des traités en vigueur.
Je ne vous ferai pas l'injure, mes chers collègues, de rappeler toutes les propositions contenues dans ce traité, vous les connaissez par coeur, en tout cas je l'espère.
Certains ont critiqué le rôle du Parlement européen. Or le fait que les représentants des citoyens européens puissent se prononcer sur le choix de ceux qui vont les gouverner constitue, à mes yeux, une avancée positive. On veut rapprocher le citoyen de l'Europe ; le Parlement européen est l'un des moyens de le faire.
En outre, les parlements nationaux voient leur rôle renforcé grâce à une meilleure information et une réelle capacité de contrôle, en particulier grâce aux « mécanismes d'alerte précoce », la Haute Assemblée ne peut que s'en réjouir.
Pour que toutes ces avancées institutionnelles puissent être mises au service des 453 millions de citoyens européens, il faut que le traité soit ratifié.
La France a choisi la voie du référendum.
Chacun est conscient du fait que l'entrée en vigueur du traité requiert l'unanimité des Etats membres. Rappelons qu'en cas d'échec de sa ratification, ce serait le traité de Nice, avec toutes ses insuffisances, qui s'appliquerait.
Convaincu du oui nécessaire à ce traité et pour mobiliser les abstentionnistes de tout poil, j'ai déposé, madame la ministre, une proposition de loi tendant à introduire le vote par Internet pour les référendums. Or, l'agenda parlementaire et le calendrier de l'élection ne le permettront vraisemblablement pas. C'est bien dommage, car les jeunes, qui, souvent, ne votent pas mais utilisent Internet, seraient, par ce moyen, bien plus nombreux à s'exprimer lors de ce référendum.
Toutefois, j'insiste, madame la ministre, pour que cette possibilité soit au moins offerte aux Français établis hors de France, dont je suis un des représentants dans cette assemblée.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et l'un des plus éminents !
M. Robert Del Picchia. Je suis aussi l'auteur d'une proposition de loi qui leur est spécifique. Le vote par Internet existant déjà pour les élections à l'assemblée des Français de l'étranger, je pense qu'il pourrait être étendu au référendum.
Aussi, madame la ministre, je fais appel à vous pour nous aider et « pousser » ce projet afin que les électeurs, parmi les 2 millions de Français de l'étranger, dont plus de la moitié résident en Europe, puissent voter par Internet.
Madame la ministre, chargée de coordonner l'action du Gouvernement pour la campagne d'information des Françaises et des Français sur le déroulement de ce référendum, vous devrez expliquer de façon objective le contenu du traité. Pouvez-vous nous dire également comment vous envisagez votre propre action dans ce domaine ?
L'adoption de ce référendum sera plus que décisive pour l'avenir de l'Europe, car un non de la France serait le catalyseur, qui bloquerait les décisions des autres membres de l'Union. En effet, comme l'affirmait du haut de cette tribune Victor Hugo, le visionnaire, père spirituel de l'Union européenne, « pour l'Europe, la France est d'utilité publique ».
Madame la ministre, je voterai sans réserve votre budget, non seulement parce que je le crois nécessaire, voire indispensable à l'avenir de nos enfants, qui sont des Européens, mais aussi pour vous montrer notre confiance quant à votre engagement et à l'élégance intellectuelle avec laquelle vous abordez ces grandes questions européennes ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme d'un débat particulièrement riche, qui, chaque année, nous permet de nous exprimer sur le devenir de l'Europe.
Il s'agit pour nous d'accomplir un geste solennel et d'assumer une obligation qui résulte des traités.
Ce matin, notre rapporteur spécial, M. Denis Badré, s'est exprimé avec enthousiasme et conviction, il a parfaitement cadré les contours de ce débat. La commission des finances invitera le Sénat à voter ce prélèvement sur les recettes de l'Etat au titre de la participation de la France au budget des communautés européennes. C'est une obligation et l'adoption d'un amendement poserait un vrai problème institutionnel. On est pour ou on est contre, mais il ne saurait être question...
M. Michel Mercier. De retailler !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ...de retailler, en effet.
Cela étant dit, madame la ministre, je salue votre engagement personnel et je me réjouis que le ministre de la recherche que vous avez été se soit vu confier la responsabilité des affaires européennes, car c'est peut-être dans la recherche que l'Europe peut s'épanouir.
Chacun a présent à l'esprit les grands succès de l'Europe : la paix, bien sûr, mais aussi les grands succès industriels, je pense à Airbus.
Airbus est une des réalisations les plus accomplies de ce que peut faire l'Europe lorsque chaque partenaire accepte de se spécialiser.
Je souhaite vivement que, dans le domaine de la recherche, il puisse en être ainsi, et je ne doute pas que votre diplomatie et votre autorité y feront merveille.
Je voudrais un instant évoquer la situation économique en Europe.
L'OCDE vient de livrer ses dernières prévisions pour 2005. Elles sont préoccupantes. L'Europe apparaît, comparativement aux Etats-Unis d'Amérique et au Japon, en petite forme. Si l'on en croit les prévisionnistes de l'OCDE, la croissance en France pourrait se limiter à 2 % en 2005. Cependant, la commission des finances du Sénat fait confiance au Gouvernement pour faire en sorte que la prévision de 2,5 % soit respectée.
Nous avons à faire face à une flambée de l'euro par rapport au dollar. Hier, la monnaie unique a battu un nouveau record historique, avec 1,333 dollar pour un euro. C'est un aléa très important en dépit de la chute du dollar. Le prix du baril de pétrole est un autre aléa important, qui affecte, lui aussi, l'Europe. Nous avons donc besoin d'une politique économique robuste, qui engage totalement les partenaires européens. L'Europe va moins bien que les autres grands espaces économiques. Force est de s'interroger sur les moyens dont elle dispose pour coordonner sa politique économique. Nous avons besoin d'une gouvernance économique.
Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, s'est battu pour qu'un Conseil de l'euro soit créé et que son président cesse de subir le mandat éphémère de six mois coïncidant avec la présidence de l'Union. C'est un progrès incontestable. Mais serons-nous capables de faire entendre notre voix s'agissant de l'ambition industrielle, de la nécessité de doter l'Europe de régulations commerciales, de régulations de concurrence adaptées pour prévenir et réduire les risques de délocalisation d'activités hors du territoire européen, pour doter l'Europe de régulations environnementales qui ne soient pas des encouragements supplémentaires à aller produire ailleurs, parce que les contraintes y sont moindres ?
Il est bien que l'Europe se donne des contraintes fortes, mais peut-elle pour autant accepter que des produits viennent d'ailleurs, dès lors que ceux qui les produisent n'ont pas eu à faire face aux mêmes exigences ?
Ce sont là autant de questions qui mettent en cause l'autorité de l'Europe et la gouvernance économique.
Pour que la France soit entendue, il faut qu'elle soit le bon élève de l'Europe. C'est dire si je souhaite, madame la ministre, que vous exerciez une pression forte sur tous vos collègues du Gouvernement pour qu'ils contiennent leurs tentations de demander des crédits supplémentaires pour dépenser plus d'argent public. C'est parce que la France respectera les contraintes du pacte de stabilité et de croissance qu'elle retrouvera son autorité au sein de l'Union européenne.
M. Philippe Marini. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la ministre, votre meilleur allié est sans doute la commission des finances et le Sénat tout entier dans le combat qu'il mène pour contenir la dépense publique et ramener progressivement le déficit public vers l'équilibre. Nous serons donc à vos côtés pour mener ce combat.
Par ailleurs, on peut s'interroger sur la signification du budget de l'Europe en se demandant si ce mouvement parallèle de fonds sortant du budget de l'Etat et de fonds revenant pour financer la politique agricole commune ou les programmes structurels pour l'aménagement du territoire n'est pas quelque peu artificiel.
Quoi qu'il en soit, nous invitons le Sénat à voter cette contribution, telle qu'elle est puisque, en tout état de cause, nous n'avons pas les moyens d'y apporter le moindre amendement. Telle est la position adoptée par la commission des finances.
Madame la ministre, je souhaite que l'Europe manifeste une volonté forte, que la Banque centrale européenne et les gouvernements définissent les mesures appropriées pour que la flambée de l'euro par rapport au dollar et, au-delà du dollar, par rapport aux monnaies des pays d'Asie n'apparaisse pas comme une fatalité.
J'attends que l'Europe se ressaisisse afin de se donner les moyens de mener une politique économique qui contribue à la croissance, à l'emploi et à la cohésion sociale. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette séance, très complète, nous donne l'occasion de débattre non seulement du projet de budget communautaire pour 2005 et de l'évolution de la contribution française, mais aussi de tous les grands dossiers de l'actualité européenne.
Je connais l'implication de chacun d'entre vous sur ces sujets. Je tiens, à ce titre, à saluer tout particulièrement M. Denis Badré, rapporteur spécial de la commission des finances, M. Philippe Marini, rapporteur général du budget et M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne.
Depuis le débat qui a eu lieu ici même il y a un an lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2004, l'Union européenne a franchi en effet deux étapes historiques. Elle a mis un terme définitif à la division de l'Europe en accueillant en son sein, le 1er mai 2004, dix nouveaux Etats membres ; comme l'a rappelé M. Aymeri de Montesquiou, il nous faut maintenant réussir cet élargissement. Elle a préparé l'avenir en proposant aux citoyens européens de refonder, sur un nouveau projet de traité, le contrat qui les unit.
Le projet de budget pour 2005 a été adopté par le Conseil de l'Union européenne en première lecture le 16 juillet dernier - je reprends les procédures actuelles qui sont complexes, mais M. Haenel a souligné tout à l'heure que le nouveau traité constitutionnel comportait des mesures de simplification -, par le Parlement européen en première lecture le 28 octobre ; le 25 novembre, le Conseil, en seconde lecture, a définitivement adopté ce projet, qui est marqué par deux caractéristiques principales.
D'abord, il s'agit du premier budget qui concernera, sur l'ensemble de l'année, l'Union élargie à vingt-cinq membres. Ensuite, il vise, vous l'avez reconnu, à trouver un juste équilibre entre nos ambitions pour les politiques communes et notre souci de rigueur budgétaire.
Le budget final sera adopté le 14 décembre en deuxième lecture par le Parlement européen, qui déterminera le niveau définitif des crédits d'engagement.
Au cours de la réunion de concertation du 25 novembre, un accord est intervenu sur un montant de 106,3 milliards d'euros. Ce compromis entre les Etats membres et le Parlement européen représente une hausse de 6,5 % des crédits de paiement par rapport à 2004.
Cette progression s'explique par la mise en oeuvre des décisions des Conseils européens de 2002 sur l'élargissement - Monsieur Badré, le coût de cet élargissement est limité et comme l'a rappelé M. Haenel, il a été bien contrôlé et il n'y a pas de dérapage -, et plus spécifiquement par la montée en puissance des aides agricoles et des fonds structurels en faveur des nouveaux adhérents.
Ce budget, qui équivaut à 1 % du revenu national brut de l'Union, reste en dessous du plafond des ressources propres qui s'élève à 1,24 %. Il s'inscrit donc dans le cadre des perspectives financières qui avaient été adoptées par le Conseil européen de Berlin en 1999. Cela constitue un motif de satisfaction à l'heure où s'engagent des discussions pour élaborer les perspectives financières à venir dans le cadre financier 2007-2013.
L'agriculture représente encore le premier poste du budget communautaire, avec 43 % du montant total des dépenses. C'est un niveau qui reste stable par rapport à 2004. Vous savez que le Conseil européen de Bruxelles prévoit jusqu'en 2013 un budget agricole stable pour l'Europe à vingt-cinq, et donc un maintien des enveloppes consacrées à l'agriculture. Ce cadre budgétaire, avec la réforme de la politique agricole commune adoptée en juin 2003, assure ainsi aux quatorze millions d'agriculteurs européens des perspectives claires pour les années à venir. Le Gouvernement veillera à ce que ce cadre soit strictement respecté.
J'en viens aux autres rubriques car elles ont été évoquées au cours de ce débat.
La rubrique 2, celle qui concerne la politique de cohésion, connaît une hausse 3,3 %, soit une augmentation beaucoup plus modérée que l'année précédente, à cause des transferts liés à l'adhésion des nouveaux Etats membres. C'est le deuxième poste du budget, avec 36,5 % des dépenses.
La politique de cohésion, évoquée par MM. Badré, Bret et de Montesquiou, ne peut ignorer le défi des délocalisations. Face à l'inquiétude qui croît aujourd'hui pour l'avenir de nos emplois, le Gouvernement privilégiera deux objectifs. Il s'agit, d'une part, de renforcer la vigilance exercée par les institutions de l'Union sur la capacité des Etats membres à financer le complément national des aides communautaires. Cela permet une plus grande transparence par rapport à des accusations ou des préoccupations qui auraient pu se faire jour. M. Aymeri de Montesquiou a évoqué des coopérations renforcées. Il s'agit, d'autre part, d'harmoniser l'assiette de l'impôt sur les sociétés et, si possible, ses taux minimaux.
Les autres politiques, la rubrique 3 du budget communautaire, représentent 7,7 % du budget total.
Pour 2005, vous l'aurez remarqué, les dépenses relatives à la recherche confirment leur prédominance, avec une dotation d'environ 3,7 milliards, devant le domaine de l'énergie et des transports ; MM. Jean Arthuis et Robert Bret ont insisté sur ce point. Cette dotation tient compte, de façon lucide, de l'importance qu'il y a à renforcer notre action à cet égard. Le projet de budget adopté par le Conseil prévoit des dotations significatives pour des domaines jugés prioritaires par le Gouvernement, en particulier en matière d'éducation et, bien sûr, de sécurité intérieure au sein de cette Union européenne élargie.
La rubrique 4, relative aux actions extérieures de l'Union européenne, ne comporte pas, dans ce budget, de réductions par rapport au budget 2004, monsieur Bret. Le financement de ces actions s'établit à 5,1 milliards d'euros en crédits d'engagement. Cette rubrique se caractérise par une poursuite de l'effort en direction de nos partenaires dans les différents continents. Je le redis devant vous : l'Europe confirme, en faveur de l'Irak, son effort particulier, en augmentant de 25 % sa contribution, qui passe à 190 millions d'euros. Cela montre la préoccupation que l'Europe a d'être présente s'agissant des grands enjeux de politique extérieure.
Il convient de relever que la progression de la rubrique 5, relative aux dépenses administratives, est très maîtrisée.
La rubrique 7 concerne les aides de pré-adhésion. Elle avait connu une très forte diminution en 2004, à l'occasion du transfert, dans les autres rubriques du budget communautaire, des dépenses en faveur des dix nouveaux membres. Ce poste de dépenses augmentera d'environ 7 %, et s'élèvera à 1,8 milliard d'euros en crédits d'engagement. Il concernera en 2005 quatre pays.
Les deux premiers, la Roumanie et la Bulgarie, sont candidats à l'entrée dans l'Union et devraient, s'ils sont prêts, adhérer dès janvier 2007. Leur adhésion sera l'un des éléments de discussion du Conseil européen du mois de décembre.
Le troisième pays est la Croatie, à laquelle le Conseil européen des 17 et 18 juin dernier a accordé le statut de candidat. Je veux rassurer M. Aymeri de Montesquiou sur notre vigilance concernant la coopération de la Croatie avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, le TPIY. Les négociations d'adhésion avec la Croatie devraient être ouvertes au début de l'année 2005.
Enfin, le quatrième pays est la Turquie. Permettez-moi de souligner, en réponse à l'intervention de M. Retailleau, que l'octroi d'aides de pré-adhésion n'est que la conséquence de la reconnaissance du statut de pays candidat à la Turquie, reconnaissance décidée lors du Conseil européen d'Helsinki en 1999 et réaffirmée lors du Conseil européen de Copenhague de 2002. Cela ne préjuge pas une éventuelle adhésion.
La recommandation formulée par la Commission le 6 octobre dernier, que vous avez tous en tête, constitue, bien sûr, un élément essentiel d'analyse, mais c'est au Conseil européen du 17 décembre prochain, et à lui seul, qu'il appartiendra de décider de l'ouverture éventuelle de négociations d'adhésion avec la Turquie.
Si des négociations sont ouvertes, nous devons garder à l'esprit qu'il s'agira - cela a été redit encore tout récemment - d'un processus ouvert, dont les résultats ne peuvent être garantis à l'avance. Ce processus ne préjuge en rien l'issue de ces négociations, comme le disait M. Robert Del Picchia.
J'ai noté également les remarques de M. Aymeri de Montesquiou sur la reconnaissance de Chypre par la Turquie et le devoir de mémoire que doit avoir ce pays à l'égard de son passé. Tout cela, bien sûr, devra être discuté. A tout moment, la France, comme les autres Etats membres, pourra faire entendre sa voix.
Si ce processus aboutit à long terme, il appartiendra alors aux Français de se prononcer par référendum sur la question de l'adhésion éventuelle de la Turquie à l'Union européenne, comme l'a souhaité le Président de la République. La possibilité sera donnée à ce pays de prouver aux Etats membres de l'Union et à leur population, les citoyens européens, par les efforts qu'il aura accomplis, que, un jour, il sera capable de partager le projet européen. Nous avons le temps d'en discuter, d'avancer sur ce chemin de l'adhésion.
Dans le respect de notre Constitution, le Parlement sera, bien sûr, régulièrement informé des évolutions sur cette question, et je réponds là au souci exprimé par M. Michel Mercier. Je remercie les orateurs qui sont intervenus d'avoir mis en lumière le fait que le nouveau traité constitutionnel donnera la possibilité aux parlements nationaux d'être de plus en plus impliqués dans les décisions, les échanges d'informations, les suggestions et propositions, avec des pouvoirs renforcés. Nous aurons de multiples occasions de débats dans les semaines et les mois à venir, qu'il s'agisse de la révision de la Constitution, au début de l'année 2005, ou de votre implication, de notre implication, dans les débats sur le référendum.
Permettez-moi de vous donner, très brièvement, quelques chiffres.
Comme cela a été rappelé, la France devrait demeurer, en 2005, le deuxième contributeur brut au budget communautaire, derrière l'Allemagne, et environ 5,9 % de nos recettes fiscales seront allouées à l'Union. La France en restera aussi le deuxième bénéficiaire, derrière l'Espagne.
MM. Denis Badré et Bernard Frimat l'ont dit, l'arithmétique des soldes nets ne doit pas constituer le critère absolu de notre engagement européen. En effet, les soldes budgétaires ne rendent que très imparfaitement compte de l'étendue des bénéfices que nous avons tirés, et que nous tirons, de la construction européenne : un continent pacifié - un continent de paix et de démocratie, comme cela a été rappelé -, un marché intérieur, plus large, d'un demi milliard d'habitants, des réseaux transeuropéens et une politique agricole qui profitent à l'ensemble des consommateurs, enfin, une monnaie qui, même si nous devons nous poser des questions, s'impose comme l'une des toutes premières du monde.
Voilà pour la participation de la France au budget des Communautés européennes.
En cette période charnière de la construction européenne, nous devons également préparer l'avenir à plus long terme.
Je remercie MM. Robert Del Picchia et Aymeri de Montesquiou d'avoir rappelé que préparer l'avenir, c'est bien sûr réussir la ratification de la Constitution européenne. Ce texte est important pour l'Union européenne car il adapte son fonctionnement à l'élargissement. Il l'est aussi pour chacun de nos vingt-cinq pays, chacun de nos citoyens, dans les domaines de la sécurité et de la justice, de l'action extérieure ou de la gouvernance économique, comme vous l'avez rappelé, monsieur Arthuis.
Nous devons préparer cette échéance.
La première étape consiste à procéder à la révision préalable de la Constitution, conformément à la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 19 novembre dernier. Votre assemblée sera saisie très rapidement, au début de l'année.
La seconde étape consiste à mener, auprès des Français, un véritable travail de présentation et d'explication sur le traité constitutionnel, comme l'a rappelé M. Robert Del Picchia.
Tel est l'enjeu important de la période qui s'ouvre. J'ai amené avec moi quelques documents (Mme la ministre montre les documents) qui sont les premiers outils permettant à chacun d'effectuer un travail de réflexion.
Vous avez tous en main, ou en poche, celui-ci : Constitution pour l'Europe : mode d'emploi. Il a été largement diffusé aux parlementaires, aux élus locaux, aux associations, aux décideurs.
D'autres instruments sont d'ores et déjà disponibles. J'ai en main le texte du « Traité établissant une Constitution pour l'Europe », édité par La documentation française. On a très envie de le lire et je peux vous dire que la partie I et la partie II sont tout à fait accessibles.
M. Michel Mercier. C'est vrai !
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Le travail accompli par les conventionnels a produit beaucoup d'effet. Ce livre sera disponible dans les mairies, les bureaux de poste, les écoles, les universités, à partir du 10 décembre.
M. Michel Mercier. Il faudra en donner à tous les sénateurs ! (Sourires.)
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Bien évidemment ! Il sera diffusé à chaque citoyen français un peu plus tard, au moment où l'on s'engagera sur le référendum.
Le texte du traité permet de constater que certains des éléments qui ont été évoqués par M. Bret sur les services publics sont parfois quelque peu inexacts. Il convient par conséquent de relire précisément le texte.
Nous serons, Michel Barnier et moi-même, bien sûr très présents dans le débat afin, comme le disait M. Mercier, de proposer un regard sur une Europe puissante, entreprenante et généreuse.
M. Denis Badré, rapporteur spécial. Très bien !
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Préparer l'avenir, c'est également faire des choix pour le budget européen et assurer sur le long terme un financement durable, efficace et transparent pour l'Union. Les discussions sur les prochaines perspectives financières - sujet que vous avez tous abordé - viennent de s'engager et se prolongeront sans doute jusqu'en 2006, même si la présidence luxembourgeoise a la volonté d'aller un peu plus vite. Ce sont des enjeux majeurs.
Des mots importants ont été prononcés par le rapporteur général, M. Philippe Marini : « nos alliés », « les alliances », « les préoccupations diverses pour avancer ». Comme le disait M. Hubert Haenel, le budget de l'Union après 2006 devra pouvoir porter nos ambitions pour l'Europe.
Il s'agira d'abord de financer notre effort de solidarité pour les nouveaux Etats membres. Pour autant, la politique de cohésion - nous serons très vigilants sur ce point, monsieur Bernard Frimat - devrait comporter un instrument financier permettant sa mise en oeuvre sur tout le territoire européen et continuant ainsi à bénéficier aux régions françaises. Nos régions et nos bassins d'emploi devront continuer à s'adapter à de profondes mutations économiques.
De tels enjeux justifient un partenariat auquel l'Union européenne et l'Etat contribuent financièrement. Que ce soit pour renforcer des pôles de compétitivité, pour permettre à des territoires ruraux d'accroître leur attractivité ou pour accompagner la revitalisation de certains territoires urbains, les fonds structurels européens doivent demeurer un témoin concret de la solidarité européenne. Cette solidarité vaut aussi, je tiens à le redire, pour les agriculteurs de toute l'Union.
Le budget de l'Union devra, enfin, être ambitieux et permettre le développement de nouvelles politiques au service de la croissance et de la sécurité, et contribuer à renforcer la présence de l'Europe dans le monde.
Monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission des finances, vous avez rappelé la stratégie de Lisbonne, les ambitions qui doivent être les nôtres dans le domaine de la compétitivité. Cela ne peut se résumer à une équation budgétaire. Mais le budget de l'Union doit refléter l'importance cruciale des politiques communautaires qui concourent à la compétitivité et à la croissance.
Le risque de décrochage européen en matière de recherche et développement - vous en parliez, monsieur Badré - justifie une mobilisation ambitieuse, une synergie, une complémentarité entre les différents outils, avec le septième programme-cadre de recherche et de développement, le PCRD, que vous avez évoqué. Nous devons être très vigilants sur tous ces points.
Pour autant, l'augmentation du budget doit être en harmonie avec les réelles capacités de maîtrise d'ouvrage des programmes communautaires. En proposant un quasi-doublement de l'enveloppe budgétaire par rapport à un budget de référence 2006, la Commission s'écarte de ce principe. L'Union ne doit pas céder à la tentation du seul affichage politique. Il lui faut une base de bonne gestion.
Le travail qui est fait actuellement montre que nous pouvons atteindre tous ces objectifs en dépensant moins que ne le propose la Commission, sans pour autant renationaliser les politiques, comme le craignait M. Bernard Frimat.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. La contrainte financière s'exerce aujourd'hui sur tous les Etats membres : le budget de l'Union ne peut s'y soustraire. Le Président de la République a, avec cinq autres partenaires, pris un engagement fort en faveur de cette discipline budgétaire : notre approche est ainsi celle d'un budget en croissance, dans la limite de 1 % du revenu national brut de l'Union.
Si l'on s'aligne sur la proposition de la Commission, sommes-nous tous conscients que tout dérapage budgétaire de l'Union se ferait à notre détriment ? Pouvons-nous accepter que la contribution française passe de 19 milliards d'euros - le plafond 2006 - à 23 milliards d'euros en 2013 ? Il faut avoir ces chiffres en tête quand on réfléchit aux équations.
Notre responsabilité politique est engagée pour que, dans cette négociation, les efforts soient partagés. Tous les Etats membres devront faire un effort pour financer l'élargissement et les nouvelles politiques dans des conditions équitables et dans un cadre de discipline budgétaire. La position que nous avons est d'agir en amont, par la maîtrise des dépenses, plutôt qu'en aval. A cet égard, le Gouvernement est opposé au principe de la correction a posteriori des soldes, qu'elle soit générale, comme le propose la Commission, ou qu'elle bénéficie spécifiquement à quelques Etats membres.
Cela me permet de terminer sur le « chèque britannique », que vous avez tous évoqué. Je peux témoigner de la volonté de vingt-quatre Etats membres sur vingt-cinq de mettre fin à cette compensation. En effet, les conditions qui ont prévalu, voilà vingt ans, lors de sa mise en place ne se justifient plus aujourd'hui. Je partage le sentiment unanime qui ressort des interventions qui ont eu lieu à cette tribune aujourd'hui.
La contribution française au financement du rabais consenti au Royaume-Uni représente 1,4 milliard d'euros par an. M. Frimat l'a souligné, c'est plus que le coût de l'élargissement, qui s'élève à 1,3 milliard d'euros par an. Ces chiffres montre qu'une remise en cause de ce système s'impose.
En pérennisant et en généralisant de tels dispositifs, via le mécanisme de corrections, nous encouragerions une dérive budgétaire, alors qu'il est de notre intérêt, vous l'avez reconnu vous-mêmes, de poursuivre le travail sérieux d'évaluation des contenus et de la valeur ajoutée des différentes rubriques du budget.
Entrepris par la présidence néerlandaise, ce travail ambitieux demande encore du temps. Pour notre part, nous travaillons intensément avec différents partenaires dans le cadre des alliances prédéfinies. Il nous faut hiérarchiser les priorités et aller au-delà de ce qu'a réalisé la précédente Commission, qui ne s'est pas suffisamment livrée à cet examen précis.
Parachever la rénovation des institutions - c'est le traité -, poursuivre et, surtout, réussir l'élargissement, adapter pour l'avenir les moyens et les politiques de l'Union élargie, voilà les trois grands chantiers que nous avons devant nous pour l'année 2005
J'ai apprécié d'entendre aujourd'hui que la France sera, une fois de plus, au rendez-vous de la construction européenne, avec élan et avec responsabilité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je terminerai mon propos avec la belle phrase de Victor Hugo, que M. Del Picchia a citée tout à l'heure : « Pour l'Europe, la France est d'utilité publique. » (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion de l'article 43.
L'amendement n° I-35, présenté par MM. Retailleau, Lardeux et Darniche et Mme Desmarescaux, est ainsi libellé :
I. A la fin de cet article, remplacer le montant :
16,57 milliards d'euros
par le montant :
16,523 milliards d'euros
II - Compléter cet article par les mots :
, la France ne contribuant pas aux crédits de préadhésion versés à la Turquie
La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Il est toujours très difficile d'aborder les questions européennes. En effet, sur chacune de nos propositions, la réponse est la même : « Vous n'avez pas le choix. Il n'y a pas de démocratie. Vouloir changer est une utopie : tout ira mieux demain, ne tenez donc pas compte des leçons et des faits d'aujourd'hui pour essayer de modifier les trajectoires. »
De ce point de vue, il ne faut pas s'étonner que, lors des élections européennes, de plus en plus de peuples « décrochent » et s'abstiennent.
Par conséquent, cet amendement traduit d'abord une protestation contre le fatalisme et contre l'engrenage dans lequel certains souhaitent nous entraîner, en ce qui concerne notamment l'adhésion de la Turquie.
Pour ma part, je redis que la base juridique de cette adhésion n'est pas du tout fondée. A cet égard, l'article 49 du traité est très clair et ne vise que les Etats européens. En outre, à Helsinki, le Conseil européen n'a pas respecté les conditions de l'article 49 pour prendre sa décision : même si le Conseil a pris sa décision à l'unanimité, il n'y a pas eu consultation de la Commission et surtout pas avis conforme du Parlement européen.
L'ancien président de la République, M. Valéry Giscard d'Estaing, a donné son point de vue il y a quelques jours dans une excellente tribune. Aujourd'hui, personne ne peut, me semble-t-il, affirmer que le caractère européen de l'Etat turc est fondé.
Par conséquent, il faut rejeter les crédits de pré-adhésion prévus pour la Turquie dans le budget qui nous est présenté. (M. Philippe Marini applaudit.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Denis Badré, rapporteur spécial. M. Retailleau a exposé sa thèse avec beaucoup de passion. Néanmoins, nous ne pouvons accepter cet amendement, car nous sortirions alors de nos compétences et du cadre de notre débat.
Nous sommes un peu dans la même situation que lorsque nous sommes appelés à ratifier un traité. En effet, nous n'avons pas la possibilité d'amender un tel texte. Nous ne pouvons qu'exprimer notre accord ou notre désaccord et donner raison ou tort à ceux qui, en notre nom, l'ont négocié.
Par ailleurs, et le dépôt de cet amendement me fournit l'occasion de le répéter, la structure du budget européen n'est pas satisfaisante, puisque nous votons des recettes sans avoir de droit de regard sur les dépenses, lesquelles sont votées par le Parlement européen, en codécision avec le Conseil. Bien que nous soyons représentés dans ces deux instances, ce système n'est pas bon.
Cependant, pour le moment, c'est ainsi que le système fonctionne, et, jusqu'à présent, tout au long de la construction européenne, nous l'avons accepté.
Si le système ne nous paraît pas bon, il faut proposer sa modification. Tant que nous ne l'avons pas modifié, il faut l'accepter. Nous ne pouvons donc retenir cet amendement, quels que soient nos sentiments sur la candidature de la Turquie.
Je n'ai pas évoqué la Turquie dans mon exposé liminaire, car je savais bien que nous allions aborder le sujet par le biais de cet amendement. Au demeurant, je resterai dans mon rôle de rapporteur spécial, et je ne m'exprimerai donc pas au nom de mon groupe ni à titre personnel.
La commission est unanime pour dire qu'il faut réussir l'Europe, et donc l'élargissement en cours, qui est l'un des enjeux fondamentaux du moment. A ce propos, je regrette que les discussions sur la bonne réponse à trouver en la matière soient quelque peu obscurcies par le débat sur la candidature de la Turquie.
Ce débat est, certes, important, et tout le monde souhaite y participer, sans, d'ailleurs, en avoir toujours mesuré tous les enjeux. Il suscite une passion formidable et, du coup, le débat général est parfois instrumentalisé à partir de cette question particulière, qui, si elle est majeure, ne doit pas nous amener à obscurcir l'ensemble.
Si nous considérons, à l'instar de M. Retailleau, que la question de l'adhésion de la Turquie est si essentielle qu'il est plus important de ne pas donner une caution à la poursuite de la négociation avec la Turquie que de confirmer notre adhésion à la démarche générale de la construction européenne, votons contre l'article 43, mais précisions bien que c'est pour cette raison que nous sommes conduits à le faire. Mesurons bien ce que nous sommes en train de faire et ce à quoi nous risquons de renoncer, en provoquant, de surcroît, une crise européenne.
Aujourd'hui, d'autres voies existent. Je préconise de les emprunter pour traiter cette affaire au fond, comme nous devons le faire pour d'autres affaires qui sont, je le répète, beaucoup plus importantes encore. En fait, les enjeux du dossier européen sont tous considérables. Nous devons donc traiter cette affaire avec nos partenaires, là où elle doit l'être, en privilégiant l'écoute de chacun.
Peut-être pourrions-nous, simplement, faire une petite recommandation sur le plan sémantique, qui ne serait pas inutile. Dans la nomenclature des articles et des chapitres du budget européen, au lieu des termes « crédits de pré-adhésion », nous ferions mieux d'utiliser les termes « crédits de partenariat privilégié » avec certains membres, qui sont d'ailleurs également candidats à l'adhésion, sans préjuger de l'avenir de cette candidature, le jour où elle sera examinée, ni de l'avenir des négociations d'adhésion le jour où elles arriveront à leur terme.
Monsieur Retailleau, procéder de cette manière serait, me semble-t-il, moins provoquant pour les parlementaires qui, comme vous, souhaitent réagir vivement sur ce point particulier. De plus, cela permettrait de conserver au débat la sérénité qui doit être la sienne.
Il faut bien mesurer les enjeux géostratégiques : la Turquie est située entre le monde slave, les républiques turcophones, le Caucase, le Proche-Orient, le monde méditerranéen et, bien sûr, l'Union européenne, qui occupe une position privilégiée pouvant nous conduire à faire le pire ou le meilleur.
Il s'avère difficile d'expliquer aux Français les tenants et aboutissants du dossier. Or le pire serait d'organiser aujourd'hui un référendum en France, car, à l'évidence, le « non » l'emporterait. Cela serait alors perçu comme une gifle par le peuple turc, qui considérerait que le peuple de France lui dit non sur tout, alors qu'il s'est engagé sur une voie difficile.
Mes chers collègues, je vous demande de faire preuve, les uns et les autres, d'une grande responsabilité, pour arriver à progresser et à construire cet espace de paix et de démocratie qui est au centre de notre débat ce matin.
Aussi, monsieur Retailleau, fermement, clairement et solennellement, en m'appuyant non seulement sur des raisons juridiques de compétence, mais également sur le fond du problème, je souhaite que notre débat ne soit ni dévoyé ni obscurci par une question particulière qui a, certes, toute son importance, mais qui ne devrait pas être traité de cette manière. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et sur plusieurs travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée. Je me range à l'avis exprimé par M. le rapporteur spécial sur les deux points qu'il a évoqués. Le Gouvernement est donc défavorable à l'amendement n° I-35.
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, pour explication de vote.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, permettez-moi de regretter que nous n'ayons pas encore eu, ici, un débat sur la Turquie, alors que la délégation du Sénat pour l'Union européenne l'a demandé. Je souhaite donc qu'il puisse avoir lieu dès que possible. (M. Pierre Laffitte opine.) Ce débat permettra en effet de traiter le dossier au fond, de faire tomber un certain nombre d'affirmations, souvent erronées, et de dissiper une ignorance, hélas ! trop répandue dans notre pays, à l'égard tant de l'Europe que de la Turquie.
Cette ignorance concerne, d'abord, l'Europe, qui, aujourd'hui, n'est plus un club fermé et homogène.
M. Gérard Delfau. Très bien !
M. Jacques Blanc. L'Europe a évolué : elle est passée d'une communauté à six à une union à vingt-cinq ; il existe des coopérations renforcées ; des initiatives sont prises entre certains membres de l'Union européenne. Par conséquent, n'ayons pas la nostalgie d'une Europe à six, à neuf, à douze, ou même à quinze.
Or, tout à coup, il y a une prise de conscience que l'Europe compte vingt-cinq membres et que sa superficie s'est très largement étendue, ce qui entraîne un certain vertige, si ce n'est des angoisses. Ne cultivons pas ce vertige ni ces angoisses. Faisons en sorte, au contraire, de retrouver une vraie flamme européenne, même si l'Europe va encore évoluer dans les dix ou quinze ans à venir, pour compter trente membres. A cet égard, nous souhaitons que la Constitution permette de faire avancer l'Europe.
Au passage, d'ailleurs, j'insiste sur l'importance de ne pas mêler le débat sur la Turquie et celui sur la Constitution.
M. Philippe Marini. C'est déjà fait !
M. Jacques Blanc. N'accusons pas la Turquie de faiblesses européennes, car ce serait particulièrement injuste.
Il existe, ensuite, une ignorance de la réalité de la Turquie. Certains affirment qu'elle est européenne, d'autres non. Mes chers collègues, depuis quarante ans, l'Europe a reconnu à la Turquie sa vocation européenne. Il est écrit, dans les accords de 1963, que la Communauté européenne, qui comptait six membres, s'engage à apporter son appui pour faciliter ultérieurement l'adhésion de la Turquie. Ainsi, pendant quarante ans, malgré les situations politiques qui ont bloqué le processus - rappelez-vous le coup d'Etat militaire -, personne n'a jamais remis en cause la vocation de la Turquie à adhérer à l'Europe.
L'Europe a donc pris des engagements. La Turquie y a cru et s'est elle-même engagée, en particulier ces dernières années, dans la voie de réformes courageuses et difficiles pour respecter les principes mêmes de la démocratie, pour déboucher sur une vraie démocratie, respectueuse à la fois de la dignité des personnes, des droits de l'homme et de la place des femmes. La Turquie a enclenché un mouvement en profondeur. Aujourd'hui, il s'agit pour l'Europe, non pas de dire oui à l'adhésion, mais de confirmer les engagements pris depuis quarante ans et d'ouvrir des négociations.
Je souhaite que ces négociations, qui ne déboucheront pas avant dix ou quinze ans, puissent aboutir à une situation en Turquie qui permette son adhésion. Je souhaite que l'Europe puisse l'accueillir, mais, aujourd'hui, je le répète, nous décidons, non pas de l'adhésion, mais du respect de l'engagement de l'Europe.
Quels que soient les présidents de la République, quels que soient les gouvernements, la France a participé à l'engagement de l'Europe et a fait entendre sa voix.
Au moment où doivent s'ouvrir les négociations, je souhaite que, dans le respect du peuple turc et des engagements de l'Europe, ces négociations soient légitimes et respectent les positions des uns et des autres. Je souhaite que la Turquie puisse être amenée à enraciner définitivement son mouvement de réformes, à résoudre le problème lié à Chypre et à reconnaître le drame arménien.
Nous pouvons aboutir à une évolution profonde et déboucher ainsi sur une chance supplémentaire pour l'Europe, pour la paix, et pour ce message d'humanisme que l'Europe a toujours porté.
Je souhaite que, dans la sérénité, nous puissions rassurer, pour dissiper le vertige et les angoisses, et, surtout, pour sortir de cette ignorance qui empêche d'avoir des discussions sereines et, je l'espère, très positives pour l'Europe.
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a prévu la tenue d'un débat, fin janvier, sur l'ouverture des négociations pour l'adhésion de la Turquie.
Nous examinons aujourd'hui un texte plus précis. Je vous incite donc à ne pas ouvrir ce débat maintenant, alors que la discussion générale est close.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Monsieur le président, ce n'est pas en qualité de rapporteur général que je voudrais intervenir. Mon explication de vote est celle d'un sénateur « de base ».
M. le président. N'exagérons rien ! (Sourires.)
M. Philippe Marini. Je m'exprime de ma place de sénateur, car, si je partage la position technique de la commission, je voudrais me prévaloir de la clause de conscience.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quel déchirement !
M. Philippe Marini. Il n'y a pas de raison pour que les parlementaires n'en bénéficient pas !
Je souhaite remercier notre collègue Bruno Retailleau d'avoir évoqué ce sujet dans l'hémicycle. S'il est habituel de supporter le politiquement correct, il faut savoir, ici, s'en libérer ! C'est notre honneur et notre devoir. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
A titre personnel, je voterai cet amendement, bien qu'il ne puisse pas être adopté puisqu'il ne serait pas opérant sur le plan technique.
Monsieur le président, madame la ministre, je souhaite ajouter quelques considérations très brèves.
L'affaire de la Turquie, que nous le voulions ou non, est le plus bel exemple du divorce entre la diplomatie et la réalité ! C'est ainsi, ni le peuple français ni le peuple turc ne comprend la situation !
Le peuple français ne comprend pas qu'on ait pris, depuis longtemps, en son nom, des engagements et qu'on l'ait fait entrer, par petits abandons successifs, dans la voie de négociations dont l'objectif aurait été implicitement approuvé.
Le peuple turc, symétriquement, est entretenu depuis très longtemps dans l'espoir d'une adhésion. Or les espoirs déçus des peuples sont, en politique internationale, le risque le plus grave, souvenons-nous en !
Un tel sujet doit être traité dans la clarté et, s'il doit y avoir un débat, mieux vaut que ce soit avant plutôt qu'après les décisions de principe.
De ce point de vue, il me semble que l'on dit beaucoup de choses fausses sur l'histoire des siècles passés. (M. José Balarello acquiesce.) Il est vrai que, au XVIe siècle, François Ier s'est entendu avec le sultan pour protéger les échelles du Levant et les Chrétiens d'Orient. Dans le contexte géopolitique de l'époque, cela relevait d'une grande vision politique. (Sourires sur les travées de l'UMP.)
S'il est vrai que les Turcs sont venus au coeur de l'Europe, il est également vrai que le roi de Pologne Jean Sobieski, à la fin du XVIIe siècle, à la tête des armées européennes de l'époque, a sauvé Vienne de l'invasion.
M. Gérard Longuet. Et Charles V duc de Lorraine !
M. Philippe Marini. Effectivement, mon cher collègue, la Lorraine ne doit pas être oubliée !
Ne revenons pas sur tous ces épisodes. Cependant, quand je lis une Histoire réinventée qui ressemble à de l'eau tiède, je me révolte ! Mais je me révolte gentiment, raisonnablement, vous me connaissez ! (Sourires.)
Enfin, je voudrais insister sur le fait que les Françaises et les Français, qui vont être appelés à se prononcer sur l'Europe dans quelques mois, ont malheureusement l'habitude de ne pas toujours répondre aux questions qu'on leur pose ! Si l'on veut qu'ils répondent à la question qui leur sera posée, mieux vaut que les choses soient claires.
C'est d'ailleurs ce à quoi l'Union pour un mouvement populaire s'est employée, en prenant de la façon la plus solennelle au sein de ses instances politiques une position très claire sur ce sujet. Il convient donc, me semble-t-il, de s'y référer et d'y rester fidèle. (Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. André Lardeux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. Personnellement, je me range à l'avis éclairé de M. le rapporteur spécial et qui est partagé par Mme la ministre. M. le président Gaudin a rappelé que, à la fin du mois de janvier, nous aurons ici même un débat approfondi sur ce problème.
Je ne crois donc pas que, à l'occasion de ce qui est quasiment un « cavalier politique » dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances, nous ayons à prendre une décision de fond.
Par conséquent, la grande majorité du groupe du RDSE votera contre l'amendement n° I-35. Cela ne signifie pas que nous soyons favorables à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Sur ce sujet, je me range à l'opinion éclairée de Valéry Giscard d'Estaing, pour des raisons ponctuelles, et pas forcément pour des raisons historiques, culturelles ou même cultuelles.
En effet, il n'existe pas de problème de religion ni de défiance vis-à-vis du peuple turc. Simplement, nos structures de pensée sont différentes. Or la diversité culturelle a été l'une des priorités de la politique française bien avant 1963.
Si, en 1963, nous avons commis une erreur - c'est du moins mon avis -, sans la remettre en cause par la suite, il est toujours possible de changer d'orientation. De ce point de vue, comme l'a dit M. Marini, le plus tôt sera le mieux. Il faut que nous disions que nous voulons un partenariat privilégié avec la Turquie, cette grande nation qui a une grande histoire. Nous avons d'ailleurs des partenariats privilégiés avec d'autres pays, comme le Maroc ou l'Algérie, qui, tout autant que la Turquie, méritent notre respect et des relations privilégiées.
Il est dans la tradition française de bâtir de tels partenariats. Je pense en particulier aux accords de Lomé, qui concernent toute une partie de l'Afrique. Ainsi, nous pouvons et nous devons définir des opérations et des liaisons particulières. Il en va de même avec la Russie, dont l'histoire et la culture sont communes aux nôtres, ce qui ne constitue pas une raison suffisante pour faire entrer ce pays dans une structure que nous voulons définir plus nettement, notamment dans le cadre d'une Constitution. (M. Philippe Marini applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Je formulerai deux brèves remarques.
La première rejoint celle de M. le rapporteur spécial. L'amendement n° I-35 soulève en effet le problème de l'incompétence du Parlement français pour ce type de problème. Il montre nos limites, que j'ai évoquées lors du débat, s'agissant de la modification de la participation de la France au budget des communautés européennes. Il témoigne également de notre difficulté à intervenir sur le cours de la construction européenne.
La question de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne mérite - c'est ma seconde remarque - un autre débat. En effet, nous avons besoin de prendre notre temps, comme nous l'avons fait dans le cadre de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, où nous avons eu un débat approfondi et de qualité, qui nous a permis d'échanger nos arguments respectifs.
Monsieur Jacques Blanc, un tel débat dans l'hémicycle aurait pu intervenir beaucoup plus tôt, mais la conférence des présidents l'a fixé à la fin janvier. Nous devons donc nous y préparer, pour faire avancer utilement nos idées.
Si nous tardons et si nous nous dérobons par rapport à cette question, nous serons de plus en plus confrontés à un certain nombre d'arguments reposant sur la crainte ou la peur plutôt que sur une analyse approfondie.
M. le président. La parole est à M. Jacques Baudot, pour explication de vote.
M. Jacques Baudot. En attendant ce débat, nous examinons actuellement le projet de budget pour 2005 et on nous demande de voter des crédits, en l'occurrence des crédits de pré-adhésion.
Pour ma part, je me range à l'avis de M. Retailleau, car je suis contre le fait de voter des crédits le 1er décembre alors que l'on ignore ce que décidera le Conseil le 17 décembre. On me rétorquera que l'on sait déjà ce qu'il en est.
Pour l'heure, ne pouvant, en conscience, voter ces crédits, je suis favorable à l'amendement de M. Retailleau.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard. Nous sommes en train d'improviser un débat qui n'était pas prévu.
M. Jean Bizet. Tout à fait !
M. Yann Gaillard. Mais comment l'éviter, alors qu'il se passe aujourd'hui des choses importantes au sein d'un parti représenté dans cet hémicycle ? (M. Yann Gaillard se tourne vers les travées socialistes.)
Il est tout de même difficile de ne pas commencer à évoquer ce sujet ! Quel que soit l'intérêt des discussions que nous avons eues au sein de la délégation - c'était une séance fort intéressante organisée par M. le président Haenel -, elles n'ont pas la même portée que celles qui ont lieu dans l'hémicycle. Il faut donc que nous ayons, pour « vider » l'abcès, ce débat sur la Turquie.
Enfin, je dirai amicalement à notre brillant rapporteur général - il sait à quel point j'admire ses talents ! - que j'ai été un peu étonné de son intervention. En effet, il vient de dire qu'il votera, à titre personnel, un amendement qui, il le sait, est inapplicable. (M. Philippe Marini lève les bras au ciel.) C'est une novation extraordinaire par rapport à l'exigence intellectuelle à laquelle M. Marini nous avait habitués !
M. Bernard Frimat. Parfait !
M. Philippe Marini. Chacun gère ses contradictions !
M. Yann Gaillard. Je lui suis reconnaissant de reconnaître sa contradiction.
Cet amendement serait inapplicable. Je voterai donc comme nous le recommandent M. le rapporteur spécial et Mme la ministre. (M. Jacques Blanc applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau. Je formulerai de façon lapidaire mes considérations.
Tout d'abord, les radicaux de gauche respectent la pratique constitutionnelle actuelle de l'Union européenne, et donc l'organisation des pouvoirs entre le Parlement français, le Parlement européen, la Commission et le Conseil. Pour cette raison, qui est en soi essentielle et à laquelle on aurait dû avoir la sagesse, mes chers collègues, de se tenir, nous ne pouvons pas voter l'amendement n° I-35.
Cependant, le débat de fond a été engagé, dans de mauvaises conditions.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. Esquissé !
M. Gérard Delfau. Il a été plus qu'esquissé, il a été engagé !
Par conséquent, pour que chaque sensibilité s'exprime, je dirai la chose suivante : la très grande majorité des radicaux de gauche membres de cette assemblée sont favorables à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne, et non à un partenariat privilégié, en respectant toutes les étapes nécessaires.
Notre position se justifie par des raisons historiques, dont nous débattrons, et par des raisons liées à la conception même de l'union politique que nous sommes ensemble en train de bâtir, notamment à cause de notre attachement à une conception laïque de la construction de l'Europe qui nous rassemble.
M. le président. Ce discours fait partir M. Longuet ! (Sourires.)
M. Gérard Longuet. Nous sommes dans une région concordataire, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat, pour explication de vote.
M. Bernard Frimat. Le groupe socialiste votera contre l'amendement présenté par M. Retailleau, pour plusieurs raisons.
D'abord, le débat sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne mérite mieux qu'un pseudo-débat croupion sur un amendement. Nous avions réclamé un vrai débat : il aura lieu et nous aurons alors l'occasion de nous expliquer.
Je ne souhaite donc pas entrer dans une discussion de fond sur la Turquie. D'ailleurs, ma formation politique s'est déjà exprimée sur cette question. Je me contenterai de saluer, à mon tour, M. le rapporteur général qui a indiqué que, à titre personnel, il voterait en faveur de l'amendement, non sans avoir rappelé la position politique de son parti.
L'adhésion de la Turquie est un vrai problème que nous devons examiner avec sérénité et précision. Elle mérite mieux qu'un débat « à la sauvette ». Comme nous sommes dans un débat budgétaire, vous me permettrez de rappeler que l'on a tenté, en son temps, d'abolir la peine de mort en supprimant les crédits du bourreau. Le débat qui a conduit à l'abolition de la peine de mort sur proposition de Robert Badinter était quand même d'une autre tenue que cette espèce d'« escapade budgétaire » qui nous est proposée aujourd'hui.
Ensuite, il s'agit d'une proposition qui est sans objet, puisque, dans le cadre institutionnel actuel, le Parlement français n'a pas compétence à débattre du contenu du budget de l'Europe, qui relève du Conseil des ministres et du Parlement européen.
M. Philippe Marini. Circulez, il n'y a rien à voir !
M. Bernard Frimat. Nous avons, pour ce qui nous concerne, suffisamment à faire pour ne pas sacrifier à ces petites tentatives, au demeurant assez médiocres, de publicité.
M. François Marc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la délégation pour l'Union européenne.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne. La délégation du Sénat pour l'Union européenne a demandé à l'unanimité, en novembre, un débat sur la candidature de la Turquie. Ce débat n'avait pu avoir lieu, pour diverses raisons, notamment parce que nous examinons le projet de loi de finances pour 2005. Hier, la conférence des présidents a décidé, avec l'accord du Gouvernement, que ce débat aurait lieu au cours de la deuxième quinzaine de janvier : Schluss, fertig !
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. Le groupe de l'Union centriste ne votera pas l'amendement de M. Retailleau. En effet, nous ne devons pas nous tromper de cadre, ni d'exercice : ou bien nous votons l'article 43, ou bien nous nous y opposons, mais nous ne pouvons pas l'amender !
Je comprends tout à fait le déchirement de M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini. Il faut savoir enfreindre ses principes ! (M. Yann Gaillard s'esclaffe.)
M. Robert Bret. Surtout, quand cela ne mange pas de pain !
M. Jean Arthuis. Je remercie Yann Gaillard d'avoir rappelé les principes.
Mes chers collègues, en étant obligés de prendre l'examen des crédits affectés par la France au budget des Communautés européennes comme véhicule pour débattre du problème de la Turquie, nous sommes à la limite de la misère parlementaire. Dans quel état se trouve notre Parlement si on ne peut y exercer le pouvoir de la parole ?
Je regrette, pour ma part, que le Gouvernement n'ait pas cru devoir inscrire à l'ordre du jour, avant que les chefs d'Etat et de gouvernement se réunissent, un débat sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne, ne serait-ce que pour permettre aux parlementaires de leur transmettre le sentiment du Parlement. J'ai compris, en effet, que l'UMP avait une position claire sur l'éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne.
Mes chers collègues, le temps est un allié. Il peut être également un adversaire car nous entrons dans un autre débat : celui de la ratification du traité instituant une constitution européenne. Je voudrais être sûr qu'en activant la tenue de ce débat, prévu au mois de janvier, nous ne fournissions pas des arguments aux eurosceptiques, à ceux qui doutent, pour rejeter le projet de constitution.
Peut-être serait-il possible, monsieur le président, de mettre à profit la fenêtre parlementaire du 15 décembre pour avancer la tenue de ce débat ? En tout état de cause, je ne suis pas favorable à un débat trop tardif sur ce sujet au Parlement.
Cela étant dit, je souhaite que nous revenions à l'exercice qui est le nôtre aujourd'hui, à savoir l'examen du projet de loi de finances pour 2005.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° I-35.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 54
Nombre de votants | 321 |
Nombre de suffrages exprimés | 318 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 160 |
Pour l'adoption | 10 |
Contre | 308 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 43.
(L'article 43 est adopté.)
M. le président. Nous avons achevé l'examen de l'article 43 relatif à la participation de la France au budget des communautés européennes.
Recettes des collectivités locales (suite)
M. le président. Nous reprenons la discussion relative aux recettes des collectivités locales.
Nous en sommes parvenus à l'examen des articles 29 à 34 et des amendements tendant à insérer des articles additionnels après l'article 13 et l'article 44.
Je rappelle que, pour la discussion de l'article 29, la conférence des présidents a décidé que serait examiné séparément l'amendement de suppression n° I-139 rectifié bis, présenté par M. Gérard Delfau.
II. - RESSOURCES AFFECTÉES
A. - Dispositions relatives aux collectivités territoriales
Article 29
I. - L'article L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° La deuxième phrase du premier alinéa est ainsi rédigée :
« Il est majoré du montant perçu l'année précédente au titre de la part de la dotation forfaitaire prévue au sixième alinéa (3°) de l'article L. 2334-7. » ;
2° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le potentiel financier d'une commune est égal à son potentiel fiscal, majoré du montant de la dotation forfaitaire perçu par la commune l'année précédente, hors la part prévue au sixième alinéa (3°) de l'article L. 2334-7. Il est minoré le cas échéant des prélèvements sur le produit des impôts directs locaux mentionnés au quatorzième alinéa de l'article L. 2334-7 subis l'année précédente. Pour la commune de Paris, il est minoré du montant de sa contribution au centre communal d'action sociale constaté dans le dernier compte administratif. » ;
3° Au deuxième alinéa, les mots : « de l'alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « du premier alinéa » ;
4° Au sixième alinéa, les mots : « A compter de l'année de promulgation de la loi n° 99-1126 du 28 décembre 1999 modifiant le code général des collectivités territoriales et relative à la prise en compte du recensement général de population de 1999 pour la répartition des dotations de l'Etat aux collectivités locales, pour la détermination du potentiel fiscal » sont remplacés par les mots : « A compter de 2005, pour la détermination du potentiel financier » ;
5° Les septième et huitième alinéas sont ainsi rédigés :
« 1° Les bases de taxe professionnelle constatées dans chaque commune membre l'année précédant son appartenance à un établissement public de coopération intercommunale faisant application du régime fiscal prévu à l'article 1609 nonies C du code général des impôts sont prises en compte dans son potentiel financier, sous réserve des dispositions du dixième alinéa.
« Sont également prises en compte les bases de taxe professionnelle situées sur la zone d'activité économique constatées dans chaque commune membre l'année précédant son appartenance à un établissement public de coopération intercommunale faisant application du régime fiscal prévu au II de l'article 1609 quinquies C du code général des impôts. » ;
6° Le dixième alinéa est ainsi rédigé :
« 2° La différence entre les bases de taxe professionnelle d'un établissement ayant opté pour le régime fiscal prévu à l'article 1609 nonies C du code général des impôts, ou les bases de taxe professionnelle situées sur la zone d'activité économique d'un établissement ayant opté pour le régime fiscal prévu au II de l'article 1609 quinquies C du code général des impôts, d'une part, et la somme des bases de taxe professionnelle ventilées en application du 1°, d'autre part, est répartie entre toutes les communes membres de l'établissement au prorata de leur population. » ;
7° Le douzième alinéa est ainsi rédigé :
« Le potentiel financier mentionné au septième alinéa est majoré d'une partie de la dotation de compensation prévue au premier alinéa de l'article L. 5211-28-1 perçue par l'établissement public de coopération intercommunale l'année précédente. Il est minoré d'une partie du prélèvement sur la fiscalité subi par l'établissement public de coopération intercommunale en application du quinzième alinéa de l'article 29 de la loi de finances pour 2003. La dotation de compensation et le prélèvement sur la fiscalité de l'établissement sont répartis entre les communes membres de l'établissement public de coopération intercommunale au prorata des diminutions de base de taxe professionnelle, dans chacune de ces communes, ayant servi au calcul de la compensation prévue au I du D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999. » ;
8° Au treizième alinéa, l'année : « 2004 » est remplacée par l'année : « 2005 » et le mot : « onzième » est remplacé par le mot : « douzième ».
II. - Dans le code général des collectivités territoriales :
A. - Les mots : « potentiel fiscal » sont remplacés par les mots : « potentiel financier » :
1° Aux cinquième, sixième, treizième, quatorzième et quinzième alinéas de l'article L. 2334-4 ;
2° Aux sixième (2° du III), quatorzième (IV), vingt-et-unième (V) et vingt-deuxième (V) alinéas de l'article L. 2334-14-1 ;
3° Au deuxième alinéa (1°) de l'article L. 2334-17 ;
4° Aux huitième (4°) et treizième (b du 4°) alinéas de l'article L. 2334-21 ;
5° Aux premier, troisième (1°) et sixième (4°) alinéas de l'article L. 2334-22 ;
6° Aux troisième et sixième alinéas de l'article L. 2334-33 ;
7° Au deuxième alinéa de l'article L. 2334-34 ;
8° Au troisième alinéa de l'article L. 2334-40 ;
9° Au premier alinéa de l'article L. 2335-1 ;
10° Aux deuxième (I), quatrième (1° du I), cinquième (2° du I), sixième (3° du I), huitième et douzième alinéas de l'article L. 2531-13 ;
11° Au cinquième (1° du II) alinéa de l'article L. 2531-14 ;
12° Au premier alinéa de l'article L. 5334-16.
B. - Au deuxième alinéa (I) de l'article L. 2531-13, les mots : « potentiels fiscaux » sont remplacés par les mots : « potentiels financiers ».
III. - Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
A. - Les premier et deuxième alinéas de l'article L. 2334-7 sont remplacés par onze alinéas ainsi rédigés :
« A compter de 2005, la dotation forfaitaire comprend :
« 1° Une dotation de base destinée à tenir compte des charges liées à l'importance de sa population.
« Pour 2005, cette dotation de base est égale pour chaque commune au produit de sa population par un montant de 60 € par habitant à 120 € par habitant en fonction croissante de la population de la commune, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat.
« A compter de 2006, la dotation par habitant perçue au titre de la dotation de base augmente selon un taux fixé par le comité des finances locales, égal au plus à 75 % du taux de progression de l'ensemble des ressources de la dotation globale de fonctionnement ;
« 2° Une dotation proportionnelle à la superficie, égale à 3 € par hectare en 2005 et à 5 € par hectare dans les communes situées en zone de montagne. A compter de 2006, ce montant évolue selon le taux d'indexation fixé par le comité des finances locales pour la dotation de base. A partir de 2005, le montant de cette dotation ne peut excéder le montant de la dotation de base ;
« 3° Les montants correspondant aux montants antérieurement perçus au titre du I du D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999 et du 2° bis du II de l'article 1648 B du code général des impôts dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2004. En 2005, ces montants sont indexés pour les communes qui en bénéficient selon un taux de 1 %. A compter de 2006, ces montants progressent selon un taux fixé par le comité des finances locales, égal au plus à 50 % du taux de croissance de l'ensemble des ressources de la dotation globale de fonctionnement ;
« 4° Une garantie. Cette garantie est versée en 2005, le cas échéant, lorsque le montant prévu au a ci-dessous est supérieur aux montants mentionnés au b. Elle est égale en 2005 à la différence entre :
« a. Le montant de dotation forfaitaire perçue en 2004 et indexée selon un taux de 1 % hors montants des compensations mentionnées au 3° ;
« b. Et la somme de la dotation de base et de la dotation proportionnelle à la superficie calculées en application des 1° et 2°.
« A compter de 2006, cette garantie évolue selon un taux égal à 25 % du taux de progression de l'ensemble des ressources de la dotation globale de fonctionnement.
« Le taux de croissance de la dotation forfaitaire est égal au taux d'évolution de la somme des composantes de cette dotation par rapport à la somme des montants versés l'année précédente en application des alinéas précédents, hors les montants prévus au 3°. Pour l'application de cette disposition en 2005, le montant de la dotation forfaitaire pris en compte au titre de 2004 est égal au montant total de la dotation forfaitaire versée en 2004, hors les montants correspondant à la compensation antérieurement perçue en application du I du D de l'article 44 de la loi de finances pour 1999. »
B. - L'article L. 2334-10 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2334-10. - En cas de modification des limites territoriales de communes entraînant des variations de population, les dotations de base revenant à chacune de ces communes sont calculées, conformément à l'article L. 2334-7, en prenant en compte les nouvelles populations. »
C. - L'article L. 2334-11 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2334-11. - En cas de fusion de communes, la dotation de base et la dotation proportionnelle à la superficie de la commune résultant de la fusion sont calculées conformément à l'article L. 2334-7. La population prise en compte est égale à la somme des populations des communes qui fusionnent. La garantie est calculée la première année par addition des montants correspondants versés aux anciennes communes l'année précédant la fusion, et indexés selon le taux d'évolution de la garantie fixé par le comité des finances locales. Le montant mentionné au 3° de l'article L. 2334-7 perçu par la commune fusionnée est égal à l'addition des montants perçus par les anciennes communes à ce titre, indexés selon le taux d'évolution fixé par le comité des finances locales. »
D. - L'article L. 2334-12 est ainsi rédigé :
« Art. L. 2334-12. - En cas de division de communes, la dotation de base et la dotation proportionnelle à la superficie revenant à chaque commune sont calculées conformément à l'article L. 2334-7 en retenant sa nouvelle population et sa superficie. Les montants mentionnés aux 3° et 4° de l'article L. 2334-7 sont calculés au prorata de la population de chaque commune. »
E. - Supprimé.
III bis. - Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Les cinquième à dixième alinéas ainsi que le dernier alinéa de l'article L. 2334-7 sont supprimés ;
2° L'article L. 2334-7-1 est abrogé ;
3° Au deuxième alinéa du III de l'article L. 2334-7-2 les mots : « de l'avant-dernier » sont remplacés par les mots : « du dernier » ;
4° L'article L. 2334-9 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est supprimé ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « Par dérogation à l'alinéa précédent, » sont supprimés ;
5° Le troisième alinéa de l'article L. 2334-13 est supprimé ;
6° Au I de l'article L. 2574-12, les mots : « le premier alinéa de l'article L. 2334-9, » sont supprimés ;
7° Au premier alinéa de l'article L. 5211-28-1, les mots : « comme la dotation forfaitaire prévue à l'article L. 2334-7 » sont remplacés par les mots : « selon le taux fixé par le comité des finances locales en application du 3° de l'article L. 2334-7 » ;
8° Au deuxième alinéa de l'article L. 5211-28-1, les mots : « du taux d'évolution de la dotation forfaitaire » sont remplacés par les mots : « selon le taux fixé par le comité des finances locales en application du 3° de l'article L. 2334-7 » ;
9° Dans le deuxième alinéa de l'article L. 5211-35, les mots : « des articles L. 2334-7 et L. 2334-9 » sont remplacés par les mots : « de l'article L. 2334-7 ».
IV. - La dotation versée en 2005 au Centre national de la fonction publique territoriale en application de l'article L. 2334-29 du code général des collectivités territoriales au titre de la dotation spéciale pour le logement des instituteurs est minorée de l'intégralité du reliquat comptable afférent à l'exercice 2003. La dotation d'aménagement prévue à l'article L. 2334-13 du même code est majorée à due concurrence.
Par dérogation aux dispositions des articles L. 1613-2 et L. 2334-1 du même code, la part revenant aux communes et établissements publics de coopération intercommunale au titre de la régularisation de la dotation globale de fonctionnement pour 2003 vient majorer le montant de la dotation globale de fonctionnement des communes et de leurs groupements mise en répartition en 2005.
V. - Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
A. - L'article L. 2334-14-1 est ainsi modifié :
1° Le 1° du III est ainsi rédigé :
« 1° Le potentiel financier par habitant est inférieur au potentiel financier moyen par habitant majoré de 10 % de l'ensemble des communes appartenant au même groupe démographique ; »
1° bis Dans la dernière phrase de l'avant-dernier alinéa du III, les mots : « fiscal est inférieur du tiers au potentiel fiscal » sont remplacés par les mots : « financier est inférieur de 30 % au potentiel financier » ;
2° Au premier alinéa du III bis, les mots : « visés à » sont remplacés par les mots : « mentionnés à » ;
3° Au deuxième alinéa du V, les mots : « de 20 % » sont remplacés par les mots : « de 15 % » ;
4° Après le V, il est inséré un VI ainsi rédigé :
« VI. - Pour 2005, lorsqu'une commune cesse d'être éligible à la part principale ou à la majoration de la dotation nationale de péréquation, elle perçoit, à titre de garantie, une dotation égale aux deux tiers du montant perçu l'année précédente au titre de la dotation dont elle a perdu l'éligibilité.
« Pour 2005, lorsque le cumul des attributions au titre de la part principale et de la majoration de la dotation nationale de péréquation revenant à une commune éligible diminue de plus d'un tiers par rapport à l'année précédente, cette commune perçoit une garantie lui permettant de bénéficier des deux tiers du montant perçu l'année précédente. » ;
5° Les VI et VII deviennent respectivement les VII et VIII.
B. - Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° L'article L. 2334-21 est ainsi modifié :
a) Il est inséré, après le c, un d ainsi rédigé :
« d) D'un coefficient multiplicateur égal à 1,15 pour les communes situées en zones de revitalisation rurale telles que définies à l'article 1465 A du code général des impôts. » ;
b) Il est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Pour 2005, lorsqu'une commune cesse d'être éligible en 2005 à cette fraction de la dotation de solidarité rurale, elle perçoit, à titre de garantie, une attribution égale aux deux tiers du montant perçu l'année précédente.
« Pour 2005, lorsque l'attribution d'une commune diminue de plus d'un tiers par rapport à l'année précédente, cette commune perçoit un complément de garantie lui permettant de bénéficier des deux tiers du montant perçu l'année précédente. » ;
2° Au cinquième alinéa (3°) de l'article L. 2334-22, les mots : « au nombre d'élèves relevant de l'enseignement obligatoire et préélémentaire, domiciliés dans la commune » sont remplacés par les mots : « au nombre d'enfants de trois à seize ans domiciliés dans la commune, établi lors du dernier recensement ».
VI. - A. - L'article 29 de la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985 relative à la dotation globale de fonctionnement est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Les communes de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon et les circonscriptions territoriales de Wallis-et-Futuna bénéficient des dispositions des articles L. 2334-1, L. 2334-2, L. 2334-7, L. 2334-8 et L. 2334-10 à L. 2334-12 du code général des collectivités territoriales. Elles reçoivent dans les conditions fixées aux articles L. 2334-13 et L. 2334-14-1 du même code une quote-part de la dotation d'aménagement. » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « territoire ou de chaque collectivité territoriale » sont remplacés par les mots : « collectivité d'outre-mer ou de la Nouvelle-Calédonie » ;
3° Au troisième alinéa, le mot « administratives » est remplacé par le mot : « territoriales ».
B. - Dans le II de l'article L. 2334-14-1 du code général des collectivités territoriales, à trois reprises, après les mots : « des départements d'outre-mer », sont insérés les mots : «, de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, des circonscriptions territoriales de Wallis-et-Futuna ».
C. - Supprimé.
VII. - Aux articles L. 2334-14-1, L. 2563-4 et L. 2574-12 ainsi qu'à l'article 29 de la loi n° 85-1268 du 29 novembre 1985 relative à la dotation globale de fonctionnement, le taux : « 10 % » est remplacé par le taux : « 33 % ».
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, sur l'article.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet article 29 constitue le premier étage de la réforme de la dotation globale de fonctionnement, telle qu'elle est déterminée par le présent projet de loi de finances.
Il s'agit, en effet, de définir les conditions de réforme de la dotation globale de fonctionnement des communes, et notamment de procéder à une modification essentielle : la fusion de la notion de potentiel fiscal dans la notion de potentiel financier.
On peut comprendre une partie des préoccupations qui animent le Gouvernement. En effet, la notion de potentiel fiscal quatre taxes des communes n'a plus guère de sens, dès lors que ces dernières n'interviennent pratiquement plus sur la taxe professionnelle, laquelle est désormais très largement levée au bénéfice des établissements publics de coopération intercommunale.
Des réflexions émises, y compris au sein de l'Association des maires de France, montrent que la notion de richesse de la commune que semble vouloir traduire le potentiel financier aurait pu être plus finement appréciée. C'est d'autant plus vrai que la prise en compte de la DGF forfaitaire peut remettre en cause des décisions particulières comme celles qui découlent de la reconnaissance de communes structurellement déséquilibrées et qui risquent de peser sur les collectivités concernées. Comme la DCTP - dotation de compensation de la taxe professionnelle - diminuera également cette année, la situation de ces collectivités territoriales risque de devenir vraiment très difficile. Pour avoir discuté avec ses élus des incidences que pourraient avoir ces mesures, je pourrais, à titre d'exemple, citer la commune de Saint-Martin-d'Hères.
La notion de potentiel financier constitue donc la première évolution significative de la réforme. Cette modification aura une certaine influence sur l'évolution ultérieure de la DGF des communes, qu'il s'agisse de la dotation forfaitaire ou des dotations de solidarité.
Le dispositif ainsi conçu nous donne l'impression que la notion de potentiel financier va, de manière générale, gommer de façon un peu artificielle une partie des inégalités et des disparités de ressources des collectivités locales, ce qui réduira quelque peu la pertinence de la péréquation mise en place dans le cadre des dotations de solidarité, par exemple.
Au moment où l'on vient de débattre d'une réforme de la dotation de solidarité urbaine, dont le calcul s'appuyait pour une large part sur le potentiel fiscal, on ne peut pas ne pas s'interroger.
Toutes ces modifications auraient mérité, comme l'a rappelé le président de la commission des finances, que nous ayons à notre disposition des simulations permettant de mieux en apprécier les incidences.
Cela étant dit, la situation de la dotation globale de fonctionnement appelle d'autres observations.
La mise en place de la nouvelle architecture de la dotation globale de fonctionnement s'effectue dans une perspective plus ou moins contrainte. Nous voyons reconduit cette année le pacte de croissance et de solidarité qui intègre une progression de la DGF de 50 % du taux de croissance, et de l'enveloppe normée des concours budgétaires de 33 % du PIB.
Nous pouvons nourrir quelques petites inquiétudes pour les années à venir sur ces possibilités de progression d'ensemble de la dotation et des dotations budgétaires, toutes catégories confondues.
Tout le monde sait pertinemment que nombreux sont ceux qui gardent à l'esprit l'objectif d'une simple reconduction en euros constants de ces concours : c'est d'ailleurs ce qu'avait prévu le Gouvernement avec la dotation forfaitaire puisque c'est sur l'initiative de l'Assemblée nationale qu'elle a progressé de 1 %.
L'ensemble des garde-fous et des garanties qu'offre l'article 29 du présent projet de loi de finances quant à la progression de la DGF risque fort de conduire très rapidement à une forme d'étouffement et d'extinction des faibles marges de progression, compte tenu de la volonté de contenir cette contribution de l'Etat à la vie des collectivités territoriales.
Renforcer les garanties sans accroître réellement les moyens, c'est ce à quoi on finit par arriver, comme nous avons pu le constater, par exemple, dans le passé, avant la réforme de 1993.
Malgré les déclarations diverses du Gouvernement, on sait que la DGF va continuer de décroître en valeur relative dans les budgets locaux et que le compensation de ce phénomène se fera par l'accroissement de la pression fiscale locale. Or cette dernière devient de plus en plus incompréhensible et de plus en plus insupportable pour les contribuables locaux, essentiellement les ménages, bien souvent modestes, qui acquittent à la fois la taxe d'habitation et les taxes foncières sur les propriétés bâties.
Telles sont les observations que nous souhaitions globalement formuler sur l'article 29.
M. le président. L'amendement n° I-139 rectifié bis, présenté par MM. Delfau, A. Boyer et Fortassin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. J'ai longuement exposé, dans la discussion générale, les raisons pour lesquelles le texte qui nous est proposé par le Gouvernement et qui nous vient de l'Assemblée nationale, d'une certaine façon, affaiblit la péréquation, pourtant affichée comme objectif.
Comme beaucoup de mes collègues, j'ai noté que la conception du potentiel financier, mise en avant dans ce texte, resserrera artificiellement les écarts entre les ressources des différentes collectivités territoriales ; j'ai également noté l'insuffisante progression de la dotation de péréquation.
En revanche, la disparition - ou l'affaiblissement - des mécanismes de péréquation horizontale c'est-à-dire au niveau du terrain entre les types de collectivités territoriales, qui marque ces dernières années, a été moins relevée.
Mon amendement de suppression visait, madame la ministre, à rappeler cette position de principe au début de l'examen des articles.
L'objectif que je me fixe, c'est bien d'amener le Sénat à prendre conscience qu'un effort de plus, un pas de plus, dans le domaine de la péréquation solidaire entre collectivités est nécessaire. L'amendement qui suit, présenté par notre collègue M. Arnaud, s'inspire de cette philosophie et comporte un mécanisme qui permet de l'atteindre.
C'est pourquoi, après avoir exposé les raisons qui m'ont amené à présenter cet amendement de suppression, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° I-139 est donc retiré.
L'amendement n° I-272 rectifié, présenté par M. Arnaud, Mme Gourault, M. Zocchetto et les membres du groupe de l'union centriste, est ainsi libellé :
Avant le I de cet article, ajouter un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
... - L'article L. 2334-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La progression de la dotation globale de fonctionnement des communes et de leurs groupements est affectée pour la totalité de l'accroissement constaté aux communes dont le potentiel financier est inférieur à un taux fixé par décret en Conseil d'Etat. »
La parole est à M. Philippe Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Je me suis abondamment expliqué sur l'objet de cet amendement, lors du débat sur le projet de loi de programmation de cohésion sociale et ici même, hier, lors de la discussion générale.
En effet, cela vient d'être rappelé, cela a été souligné hier sur toutes les travées par d'éminents collègues, l'objectif d'introduire une péréquation solidaire à l'occasion de la réforme de la DGF n'est pas atteint. Je dirai même qu'un certain nombre d'éléments viennent atténuer une véritable péréquation.
Je ne reviens pas sur la nécessité de mettre en oeuvre des moyens nouveaux pour les communes à très faible potentiel fiscal, nous sommes tous d'accord. Je ne reviens pas non plus sur le fait que l'Etat ne peut pas octroyer de nouveaux crédits. Pour servir les communes à très faible potentiel fiscal, qu'elles soient rurales ou urbaines, il convient donc de faire jouer la péréquation et la solidarité.
Je note qu'un certain nombre de nos collègues éminents, tel l'ancien ministre Alain Lambert, ont clairement rappelé que se servir de la moyenne de DGF par habitant et par catégorie de groupement n'avait strictement aucun sens. Car, à l'intérieur même d'une catégorie, les situations sont très disparates. Il y a des communes à très fort potentiel fiscal et des communes véritablement déshéritées. M. Jean François-Poncet nous a également invité à prendre garde de ne pas nous écarter du principe constitutionnel de péréquation entre communes riches et communes pauvres.
M. Michel Charasse. Il n'existe pas de communes riches, il n'y en a que de pauvres !
M. Philippe Arnaud. Ce débat est une occasion à saisir pour commencer à corriger ces disparités.
Mon amendement ne vise en aucun cas à prendre dans la poche - si je peux m'exprimer ainsi - des communes fortement dotées, des communes riches à fort potentiel. Tout simplement, il cherche à limiter la progression annuelle.
L'Assemblée nationale a voté un amendement qui fixe à 1 % le minimum de progression. Cela signifie, en d'autres termes, que des communes qui, aujourd'hui, ont de très forts potentiels fiscaux et des dotations significatives au titre de la DGF verront leur progression assurée de 1 %.
A l'inverse, les communes très pauvres, sans ressources propres, dont le calcul de la DGF est peut-être même actuellement très faible, connaîtront une progression limitée de leur dotation.
Par conséquent, mon amendement vise à introduire une véritable péréquation solidaire. Vous aurez observé, madame la ministre, que je fais confiance au Gouvernement puisque je renvoie à un décret les modalités d'application de ma proposition.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission est bien sûr favorable aux objectifs poursuivis. Mais elle considère que le moyen n'est pas adapté. En effet, cet amendement utiliserait la dotation forfaitaire comme une dotation de péréquation. Cela ne semble pas conforme aux principes de la réforme.
Nous souhaitons que cette réforme aboutisse à une clarification, c'est l'objectif de l'article 29. Si nous acceptions d'aller dans le sens de notre collègue M. Arnaud et des auteurs des amendements qui, dans la suite du dérouleur, vont adopter la même approche, nous entrerions techniquement en contradiction avec l'architecture de la réforme.
C'est pourquoi la commission sollicite le retrait de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. Je vais d'abord répéter les considérations que Jean-François Copé a développées hier, brillamment reprises par M. le rapporteur.
La conception de la péréquation, qui vous est présentée aujourd'hui, est bel et bien celle qui a été retenue par le Comité des finances locales dans son rapport du 28 avril.
Aujourd'hui, le souhait du Gouvernement est, certes, d'accroître cette péréquation mais également de préserver une forte lisibilité des ressources. Les communes ont besoin de savoir sur quelles ressources elles vont pouvoir compter ; je vous parle ici en tant qu'élue locale. Cela me paraît tout à fait important.
Cet amendement aboutirait à remettre en cause toute la réforme de la péréquation. En réalité, il revient sur l'indexation de 1 % de la dotation forfaitaire. Toute la masse financière qui sert à financer la réforme de la dotation de solidarité urbaine, de la dotation de solidarité rurale et de la dotation nationale de péréquation serait alors dirigée uniquement sur certaines communes et sur le seul critère du potentiel fiscal.
Aussi, le Gouvernement ne peut qu'être défavorable à cet amendement.
M. le président. M. Charasse et M. Darniche souhaitent s'exprimer. Je leur demande d'être bref car si nous dépassons treize heures, nous ne pourrons pas reprendre nos travaux à quinze heures. Monsieur Charasse, il s'agit d'une invitation tout à fait courtoise et amicale.
Vous avez la parole, mon cher collègue.
M. Michel Charasse. N'amputez pas mon bref temps de parole, monsieur le président ! (Rires.) Je vous le dis amicalement, et vous le savez.
Cet amendement est très intéressant car il prévoit un véritable mécanisme de péréquation. Seulement - et je vais très vite, monsieur le président -, la DGF est devenue tellement compliquée que, sans l'ordinateur, on ne sait pas où on va.
En tout état de cause, il est évident que l'amendement de M. Arnaud et de ses collègues entraînerait une forte diminution de la DGF forfaitaire. Or cette solution a été écartée par le Gouvernement, qui voulait que la dotation forfaitaire soit stabilisée. L'Assemblée nationale a demandé sa progression, une progression de 1 %. Il faut avoir à l'esprit ces divers éléments.
Moi, j'ai personnellement une théorie sur la péréquation, et elle est très simple. Tout le monde est pour, pourvu qu'on retienne le raisonnement suivant : ce qui est à moi est à moi, ce que tu me donnes en plus peut se partager. (Sourires.)
Le problème, c'est qu'on ne peut pas faire de péréquation sans marge de manoeuvre. C'est impossible ! Et par conséquent, nous sommes dans cette situation difficile et cruelle. Et nous allons nous retrouver dans cette situation à longueur d'amendement ; nous l'avons dit hier en commission des finances.
Donc, pour me résumer, sans argent, ni ordinateur, comment réformer la DGF ? (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Darniche, pour explication de vote.
M. Philippe Darniche. Pour répondre à votre souhait, monsieur le président, je serai bref.
Je voudrais faire part de ma position sur l'excellent amendement de notre collègue Arnaud.
Nous avons un vrai problème de fond. Depuis des années, nous n'arrivons pas à résoudre cette difficulté. Comment aider les petites communes à satisfaire les engagements qui sont les leurs ? Car les habitants des petites communes, comme ceux des grandes villes, réclament aujourd'hui de plus en plus de services. Ces petites communes ont donc besoin de moyens supplémentaires.
Nous n'avons pas trouvé les moyens nécessaires même si je salue sincèrement les efforts du Gouvernement pour améliorer globalement les dotations aux communes.
Néanmoins, dans un domaine qui ressort de la solidarité et de la justice, il faudrait que nous allions plus loin.
Cet amendement prévoit une technique excellente et simple, qui nous permettra de parvenir très rapidement à un résultat.
Je voudrais que mon collègue Charasse - mais il le fera tout à l'heure en aparté pour ne pas prolonger les débats - m'explique pourquoi cette proposition diminuerait la dotation forfaitaire. Je ne l'ai pas tout à fait compris.
M. Robert Bret. C'est la théorie des vases communicants !
M. Philippe Darniche. Je voudrais simplement dire à mon collègue M. Arnaud que j'ai compris qu'il y avait un problème de forme. Il ouvre un débat et invite le Comité des finances locales et le Gouvernement à réfléchir à des solutions, permettant d'aboutir à un résultat concret et rapide.
Pour ces raisons, je soutiens cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse.
M. Michel Charasse. La progression annuelle de la DGF est utilisée en partie pour augmenter la dotation forfaitaire et en partie pour augmenter les dotations de péréquation.
Dès lors que vous consacrez l'intégralité de la progression à une certaine catégorie de communes, la dotation forfaitaire de tout le monde diminue forcément.
M. Philippe Arnaud. On ne la bloque pas, on la diminue !
M. Michel Charasse. Non, vous prenez la totalité de l'accroissement !
A partir du moment où la totalité de l'accroissement est donnée à certaines catégories de communes, qui le méritent sûrement, cela signifie que l'ensemble de la dotation forfaitaire diminue si l'on veut continuer à assurer les dotations de péréquation qui, elles, obéissent souvent à des règles de progression prévues par la loi. Voilà pourquoi la dotation forfaitaire va diminuer.
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau, pour explication de vote.
M. Gérard Delfau. Je voudrais rappeler à notre collègue Michel Charasse que des gouvernements de gauche qu'il a bien connus, en 1991-1992, dans un contexte budgétaire infiniment plus difficile qu'aujourd'hui, ont eu le courage politique de créer des mécanismes forts de péréquation.
M. le président. La parole est à M. Philippe Arnaud, pour explication de vote.
M. Philippe Arnaud. J'ai écouté avec attention les arguments du Gouvernement et de la commission. Je les avais déjà entendus il y a trois semaines et j'avais alors retiré mon amendement compte tenu de l'engagement pris par le Gouvernement.
Vous avez vous-même, madame la ministre, comme, hier, le ministre délégué au budget, et c'était déjà le cas il y a trois semaines, fait référence en permanence au Comité des finances locales.
Pour ce qui me concerne, je considère que si le Comité des finances locales est une instance intéressante pour émettre un avis il nous appartient, à nous, parlementaires, d'élaborer la loi. S'il existe certaines dissensions ou des différences de point de vue entre le Comité des finances locales et le Parlement, c'est ce dernier qui doit l'emporter.
Sur cette question, je comprends que le Gouvernement soit gêné, peut-être en raison de problèmes techniques à résoudre. Je propose de l'aider, de l'accompagner. Je demande au Sénat de lui donner un signe fort par son vote puisque le Comité des finances locales a donné un avis fort. Je maintiens donc l'amendement. J'espère qu'il sera adopté, pour que vous puissiez ensuite ouvrir le chantier.
M. le président. Mes chers collègues, les explications de vote étant achevées, nous procéderons au vote sur cet amendement à la reprise.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)