compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Dépôt DE rapportS du Gouvernement
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre, en application de l'article 48, premier alinéa, de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, le rapport sur l'évolution de l'économie nationale et des finances publiques, accompagné du rapport pour le débat d'orientation budgétaire.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
3
CHARTE DE L'ENVIRonnement
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle
M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 329, 2003-2004), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la charte de l'environnement. [Rapports n° 352 (2003-2004) et avis n° 353 (2003-2004).]
Article 2 (suite)
M. le président. Hier, nous avons entamé la discussion de l'article 2.
J'en rappelle les termes :
« La Charte de l'environnement de 2004 est ainsi rédigée :
« Le peuple français,
« Considérant,
« Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;
« Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;
« Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;
« Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;
« Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;
« Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;
« Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ;
« Proclame :
« Art. 1er. - Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.
« Art. 2. - Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.
« Art. 3. - Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
« Art. 4. - Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.
« Art. 5. - Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
« Art. 6. - Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.
« Art. 7. - Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
« Art. 8. - L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.
« Art. 9. - La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.
« Art. 10. - La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France. »
Nous poursuivons la présentation des amendements déposés sur cet article.
L'amendement n° 12, présenté par MM. Fauchon, Zocchetto et les membres du groupe de l'Union Centriste, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement de 2004.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Cet amendement étant un amendement de conséquence de l'amendement n° 10, si ce dernier n'était pas adopté, nous le retirerions.
M. le président. L'amendement n° 46, présenté par MM. Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement :
« Art. 5. - En application du principe de précaution, quand un risque de dommage à l'environnement, grave et irréversible a été identifié, sans qu'il puisse être établi avec certitude en l'état des connaissances scientifiques, l'Etat ainsi que les autres personnes morales de droit public mettent en oeuvre, selon leurs compétences, des procédures d'évaluation et prennent les mesures appropriées, dans les conditions définies par la loi.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous reprenons cette discussion ce matin dans l'état où nous étions hier soir, c'est-à-dire assez dépités de constater que, sur un texte aussi important et décisif, nous nous heurtons constamment, amendement après amendement, article après article, au mur du vote conforme.
En effet, il semble que le vote conforme soit une obligation, alors que ce texte pose de graves problèmes, que certains points de rédaction mériteraient - c'est le moins que l'on puisse dire - d'être modifiés et que, sur de nombreuses travées de cette assemblée, nous avons senti le malaise, les interrogations, les incertitudes, les doutes que suscitaient un certain nombre de formulations. Or nous voici béatement, benoîtement confrontés au vote conforme !
Franchement, sur un sujet tel que l'environnement, qui concerne l'avenir de la planète, l'avenir de l'espèce humaine, nous ne comprenons pas ce qui empêcherait que nous travaillions quelques jours, voire quelques semaines de plus, avec une navette complémentaire s'il le fallait, de manière à améliorer ce texte. A cet égard, nous n'avons obtenu aucune réponse, ce dont nous sommes aujourd'hui tout à fait désolés.
Dès lors, vous ne serez pas étonnés, monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, que nous persistions à présenter une nouvelle rédaction de l'article 5 de la charte relatif au principe de précaution.
En effet, il est indispensable que les conditions d'application de ce principe soient définies par la loi à l'égard de laquelle nous ne voyons pas pourquoi nous devrions avoir des peurs ou des réticences. Nous pensons que le maintien du principe de précaution d'application directe donnera lieu à de très nombreux contentieux et que, finalement, cela reviendra à refuser de donner à la loi le rôle, la mission, l'office qui lui reviennent. Il y a là quelque chose que nous ne pouvons accepter.
C'est la raison pour laquelle nous proposons cet amendement n° 46 qui, je tiens à le faire remarquer, est rédigé de la même manière que celui qui tendait à insérer un article additionnel en vue de l'inscription de ce texte dans la Constitution et non dans une charte .
M. le président. L'amendement n° 56, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le début du texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement :
Lorsqu'une action, susceptible de porter atteinte à l'environnement, pourrait affecter de manière grave et irréversible celui-ci, les autorités publiques veillent...
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 57 rectifié, présenté par M. Vasselle, est ainsi libellé :
I. - Rédiger comme suit le début du texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement :
Lorsqu'une action est susceptible de réaliser un dommage pouvant affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, bien que celui-ci soit incertain en l'état des connaissances scientifiques, par application du principe de précaution...
II. - Compléter le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement par un alinéa ainsi rédigé :
Toute augmentation de charges des collectivités territoriales résultant de l'application du principe de précaution est compensée par des ressources déterminées par la loi.
.
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 55, présenté par Mme Beaudeau, est ainsi libellé :
Après le mot :
grave
rédiger comme suit la fin du texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement :
ou irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation du dommage ainsi qu'à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques encourus.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je serai brève, car j'ai déjà détaillé sur le fond l'ensemble des raisons qui m'ont amenée à proposer le retour au texte initial prévu pour l'article 5 de la charte de l'environnement.
Je crois toutefois utile de répéter combien l'actuelle formulation de cet article ne tient aucun compte des erreurs et des catastrophes du passé, pas plus que de celles qui se profilent.
En n'empêchant pas la concrétisation des risques qui menacent l'environnement, nous n'appliquerons pas le principe de précaution, puisque ce dernier vise précisément à éviter des dommages potentiels avant qu'il ne soit procédé, le danger de survenance étant écarté, à des évaluations.
Sans la modification proposée à travers cet amendement n° 55, la gestion des risques par les pouvoirs publics ne changera absolument pas. Alors que salariés et syndicats attirent l'attention depuis de nombreuses années sur la dangerosité de nombreux produits que les salariés manipulent et inhalent quotidiennement au travail, les pouvoirs publics répondent que des études sont en cours, qui permettront de prendre ensuite les mesures qui s'imposeront. C'est ainsi que des commissions sont créées, des programmes de recherche et des campagnes d'information lancés, des rapports prévus. Or, pendant ce temps, des décennies durant, des salariés développent des maladies professionnelles.
J'évoquerai en terminant la question de la nature des dommages fixés par l'article 5 de la charte. L'actuelle rédaction prévoit une condition cumulative : un dommage à la fois grave et irréversible. Or, nous le savons tous, il est important que le principe de précaution s'applique également aux dommages qui, pour être graves, n'en seraient pas pour autant irréversibles ou, à l'inverse, aux dommages irréversibles qui ne seraient pas forcément d'une gravité importante.
C'est la raison pour laquelle je propose, à travers cet amendement, outre un retour au texte initial pour ce qui concerne l'action des pouvoirs publics en matière d'application du principe de précaution, une qualification alternative du dommage, à savoir ou grave ou irréversible, ou, bien sûr, les deux à la fois.
Ces deux modifications visent, vous l'aurez compris, mes chers collègues, à ne pas cantonner le principe de précaution dans des limites qui le rendraient inopérant, donc inutile.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 33 est présenté par Mme Blandin.
L'amendement n° 34 est présenté par Mmes Didier, Mathon et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement, après les mots :
de manière grave
remplacer le mot :
et
par le mot :
ou
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l'amendement n° 33.
Mme Marie-Christine Blandin. L'un de nos collègues nordiste évoquait la pollution d'une rivière, la Marque, au point que ses vases étaient toxiques et sa surface inflammable. On la disait condamnée ; or les poissons aujourd'hui y vivent ! Le dommage n'était donc pas irréversible, même s'il était grave. Le principe de précaution consistant à réfléchir et à évaluer les risques avant de laisser n'importe quoi se déverser dans la rivière aurait donc été justifié.
Je prendrai un autre exemple : à Metaleurop, les sols regorgent de sels de métaux lourds, le sang des enfants regorge de plomb ; sincèrement, nous espérons que cela n'est pas définitif et nous ferons résolument tout en ce sens.
Le principe de précaution tiendra-t-il compte du fait que la non-certitude de la double condition « irréversible et grave » justifie que les pouvoirs publics ne se posent pas la question de ce principe ? Il est clair que la conjonction de coordination « et » entre les mots « irréversible » et « grave » affaiblit le projet de loi constitutionnelle et réduit considérablement sa portée.
C'est la raison pour laquelle l'amendement n° 33 vise à remplacer la conjonction de coordination « et » par « ou ».
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Didier, pour présenter l'amendement n° 34.
Mme Evelyne Didier. Il s'agit là d'un amendement de repli par rapport à celui qu'a présenté tout à l'heure ma collègue Marie-Claude Beaudeau. Il est, en outre, tout à fait identique à celui que vient de défendre Mme Blandin, qui a cité des exemples tout à fait pertinents sur lesquels je ne reviendrai pas.
L'amendement n° 34 tend à élargir le champ d'application du principe de précaution aux dommages irréversibles mais pas forcément très graves ou aux dommages graves mais pas obligatoirement irréversibles. La formulation que nous proposons ne diffère d'ailleurs en rien de celle qui figurait dans le principe 15 de la déclaration de Rio de 1992, ni de celle qui avait été retenue par la commission Coppens.
L'article 5 de la charte mentionne expressément le principe de précaution. Pourtant, il apparaît plutôt comme une procédure de précaution, puisqu'il énonce et déclenche un ensemble de mesures. Il est plus pertinent d'examiner le champ d'application et les conditions qui vont mettre en oeuvre ses effets.
La condition qui repose sur une incertitude scientifique liée exclusivement à l'environnement, donc avec des effets dommageables sur la faune, la flore, l'eau, l'air, etc., exclut la santé, bien que celle-ci, d'une manière indirecte - dans la chaîne alimentaire, par exemple -, puisse être affectée. Toutefois, ce n'est pas ce trouble suspecté qui déclenche le processus.
La mise en oeuvre de cette procédure de précaution s'attache à une double caractéristique - grave et irréversible -du dommage, caractéristique exorbitante, d'ailleurs très en retrait par rapport aux conventions internationales et dont l'application devient improbable.
L'amendement n° 34 vise donc à donner plus d'efficacité à cette procédure à travers l'unicité des qualificatifs du dommage, à savoir l'un ou l'autre, c'est-à-dire grave ou irréversible.
On intensifie ainsi la précaution, on lui donne une plus large amplitude et l'on peut prévenir et empêcher réellement l'irréversibilité du dommage.
Je souligne que cette procédure de précaution est liée à la recherche et aux études scientifiques, car leurs interventions se feront au début du processus, avec peut-être un moratoire lorsque c'est nécessaire.
Ainsi, monsieur le ministre, si vous êtes réellement attaché à une véritable protection de l'environnement et, d'une manière indissociable, à la protection de l'humain dans une société qui, par son système économique et libéral extrême est responsable des dégâts déjà irréversibles causés, je vous invite à accepter cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 32, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement, après les mots :
l'environnement
insérer les mots :
et les êtres humains qui en dépendent
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Plusieurs orateurs et de nombreux observateurs extérieurs ont noté l'absence de la notion de santé dans le texte proposé pour l'article 5 de la charte de l'environnement.
Dans sa réponse, le ministre de l'écologie et du développement durable a justifié cette omission en précisant qu'il s'agissait d'un texte sur l'environnement et non d'un texte sur la santé, et qu'il avait paru souhaitable d'exclure les actions thérapeutiques du champ de cet article. Mais il a reconnu que l'état de l'environnement, en particulier la dégradation de ce dernier, pouvait avoir des effets sur la santé de l'homme. C'est d'ailleurs ce qui nous fonde tous à défendre l'environnement, faute de quoi nous défendrions les pâquerettes pour les pâquerettes !
Mon amendement, qui vise à ajouter à l'environnement les êtres humains qui en dépendent, donne sens à ce principe de précaution, met en perspective la victime potentielle présente ou à venir qui justifie l'action, sans inclure ce que vous ne vouliez pas : l'action thérapeutique.
Le ministre de la justice faisait hier référence à une écologie humaniste. Je propose donc de la rendre effective par cet ajout.
M. le président. J'ai été saisi par M. Sueur d'un sous-amendement à l'amendement n° 32 que vient de nous présenter Mme Blandin. Mon cher collègue, je vous rappelle que vous ne pouvez pas sous-amender un amendement dont vous êtes cosignataire. Je vous suggère donc de rectifier cet amendement, si Mme Blandin en est d'accord.
Mme Marie-Christine Blandin. Je l'accepte tout à fait.
M. le président. La parole est donc à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite en effet ajouter dans cet amendement, et je remercie Mme Blandin d'avoir accepté que je le rectifie, une précision qui n'est pas anodine sur le plan de la philosophie générale de l'environnement.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Tiens, la philosophie apparaît !
M. Jean-Pierre Sueur. Je souhaite donc rectifier cet amendement de manière à écrire « et les êtres humains qui y ont partie liée » plutôt que « et les êtres humains qui en dépendent ».
Cette modification n'est nullement anodine et renvoie à une question philosophique centrale. Y a-t-il deux essences : premièrement, l'humanité, et, deuxièmement, l'environnement, constitué de tout ce qui est autour de l'humanité, ce qui laisse sous-entendre qu'il y aurait l'homme d'un côté et la nature de l'autre ?
Or on ne peut présenter les choses de cette façon. La nature sans l'homme, cela n'existe pas. L'homme fait partie de la nature. S'il n'y avait pas d'humanité, on ne pourrait pas concevoir la nature, car la nature sans l'homme est une notion abstraite.
Donc, plutôt que de dire que l'espèce humaine dépend de l'environnement, il me paraît plus juste de dire que l'espèce humaine a partie liée avec l'environnement, car si l'environnement peut porter atteinte à l'espèce humaine - et, à cet égard, l'espèce humaine dépend de l'environnement -, l'inverse est tout aussi vrai. On voit bien qu'un certain nombre d'actions conduites par l'espèce humaine peuvent détruire l'environnement, y porter atteinte de manière irréversible.
Il est donc plus juste de dire que les êtres humains et l'environnement ont partie liée, qu'il y a interaction, solidarité, et non que les uns dépendent de l'autre et vice-versa. D'une certaine façon, on ne peut pas les dissocier : un dommage à l'environnement est un dommage à l'espèce humaine et, très souvent, un dommage à l'espèce humaine est aussi un dommage à l'environnement.
M. le président. Je suis donc saisi d'un amendement n° 32 rectifié, présenté par Mme Blandin et les membres du groupe Socialiste et apparenté, et ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement, après les mots :
l'environnement
insérer les mots :
et les êtres humains qui y ont partie liée
L'amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Laffitte, de Montesquiou, Demilly, Vallet, Fortassin et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement, supprimer les mots :
application du principe de
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Zocchetto, Fauchon et les membres du groupe de l'Union Centriste, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article 5 de la Charte de l'environnement, remplacer les mots :
et dans leurs domaines d'attributions
par les mots :
, dans leurs domaines d'attributions et dans les conditions définies par la Loi
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Même si je ne me fais pas trop d'illusions sur le sort qui sera réservé à cet amendement, vous me permettrez d'y insister.
Mme Marie-Claude Beaudeau. L'espoir fait vivre !
M. Yves Détraigne. Cet amendement, qui a pour objet d'encadrer par la loi les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution, est en effet véritablement au coeur du problème qui se noue autour de cette charte de l'environnement.
Ainsi, aux articles 3, 4 et 7, il est prévu que les dispositions qui y figurent vont être mises en oeuvre dans les conditions définies par la loi. Or, à l'article 5, qui porte sur le principe de précaution, qui est le principe le moins bien encadré, le plus aléatoire, celui sur lequel, comme on nous l'a expliqué lors des auditions en commission, le risque est difficile à évaluer et fonction de l'état des connaissances scientifiques et techniques, on s'en remettra au juge pour définir les conditions et les limites dans lesquelles seront mises en oeuvre les dispositions qui figurent dans cet article.
Est-il digne de la représentation nationale de s'en remettre au juge sur un point aussi crucial, aussi déterminant pour l'avenir de l'humanité, pour reprendre des expressions que l'on trouve dans la charte qui nous est soumise ?
M. Jean-Pierre Sueur. Non !
M. Yves Détraigne. Je crois, comme beaucoup de mes collègues, pour ne pas dire la totalité d'entre eux, que la représentation nationale ne peut pas se dessaisir, pour la laisser au juge, de cette tâche ô combien importante.
On est vraiment au coeur du problème. Peut-on se satisfaire du vote qui va avoir lieu, dont on sait d'avance qu'il sera un vote conforme ?
On nous a dit que le vote conforme n'était pas anti-démocratique. C'est vrai, mais on a néanmoins l'impression de parler dans le vide alors que sont abordées des notions aussi fondamentales.
Il nous a également été dit que ce n'est pas parce que la charte ne le prévoit pas qu'il nous est interdit d'encadrer le principe par la loi. J'ai envie de retourner l'argument : si l'on peut effectivement le faire, pourquoi ne pas l'inscrire noir sur blanc dans la charte ? On a bien prévu cet encadrement par loi ailleurs, alors qu'il n'y avait pas de problème.
Si l'on acceptait cet amendement et d'autres qui vont dans le même sens, je crois que l'on réglerait bien des difficultés, et que cette charte, au bout du compte, serait non pas une charte dictée à la représentation nationale mais celle qui est véritablement souhaitée par cette dernière. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par MM. Fauchon, Zocchetto et les membres du groupe de l'Union Centriste, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 6 de la Charte de l'environnement de 2004.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Comme les amendements nos 11 et 12, cet amendement est un amendement de conséquence de l'amendement n° 10.
M. le président. L'amendement n° 47, présenté par MM. Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté , est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 6 de la Charte de l'environnement :
« Art. 6 - Les politiques publiques contribuent au développement durable.
La parole est à M. Claude Saunier.
M. Claude Saunier. Cet amendement s'inscrit dans la logique des amendements que nous avons déjà présentés.
Nous avons clairement indiqué notre accord avec l'esprit de la charte. Mais nous avons considéré que le caractère philosophique, littéraire, scientifique et sans doute intéressant de ce texte n'était pas en adéquation avec le rôle constitutionnel qui lui est assigné. C'est la raison pour laquelle, sur l'article 6 de la charte en particulier, la rédaction qui nous est proposée nous semble inadaptée à la fonction que l'on attend de ce texte.
Cet article 6 établit une sorte de hiérarchie en matière de développement durable entre la nature et un certain nombre de considérants de caractère économique, de caractère social, de caractère environnemental. Nous considérons qu'un texte constitutionnel doit être plus concis. C'est pourquoi nous proposons pour cet article une formulation plus ramassée qui serait : « les politiques publiques contribuent au développement durable ». Cela nous semble plus conforme à la rédaction d'un texte constitutionnel.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par MM. Fauchon, Zocchetto et les membres du groupe de l'Union Centriste, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 7 de la Charte de l'environnement de 2004.
La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Je vous renvoie aux commentaires que j'ai fait pour les amendements nos 11, 12 et 13.
M. le président. L'amendement n° 48, présenté par MM. Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit le texte proposé par cet article pour l'article 7 de la Charte de l'environnement :
« Art. 7 - En application du principe de participation, la loi détermine le droit pour toute personne d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par l'Etat et les personnes morales de droit public et de concourir à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit toujours d'introduire dans la charte les différents alinéas que nous avons proposé hier d'inscrire dans la Constitution. Après les autres principes, nous traitons ici du principe de participation.
M. le président. L'amendement n° 36, présenté par MM. Laffitte, Demilly, Vallet, de Montesquiou et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, est ainsi libellé :
Compléter le texte proposé par cet article pour l'article 7 de la Charte de l'environnement par une phrase ainsi rédigée :
L'accès aux données environnementales ne peut être facturé à un prix dépassant les frais de mise à disposition.
Cet amendement n'est pas soutenu.
M. le président. L'amendement n° 49, présenté par MM. Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 8 de la charte de l'environnement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous pensons que l'article 8 de la charte n'a pas de portée juridique véritable. Il est une invitation du constituant à promouvoir l'éducation et la formation à l'environnement. Là encore, nous ne sommes opposés ni à la formation ni à l'éducation sur les questions d'environnement. Mais cela revient à poser de nouveau la question qui a été excellemment formulée par M. Badinter hier : qu'est-ce qu'un texte constitutionnel ? A partir du moment où l'on considère que c'est un catalogue de voeux, nous considérons pour notre part que nous ne sommes pas dans notre rôle de législateur constituant.
M. le président. L'amendement n° 50, présenté par MM. Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 9 de la charte de l'environnement.
La parole est à M. Claude Saunier.
M. Claude Saunier. L'esprit de cet amendement est le même que celui des précédents amendements. Voilà quelques instants, nous avions une illustration de l'incohérence consistant à proposer un texte constitutionnel qui, en réalité, relèverait plutôt du Bulletin officiel de l'éducation nationale et de la définition des programmes de l'éducation. Cet article 8 de la charte nous invite au même genre de démarches. Il y a confusion des genres et nous nous y opposons.
M. le président. L'amendement n° 51, présenté par MM. Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Supprimer le texte proposé par cet article pour l'article 10 de la charte de l'environnement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Avec le texte proposé pour l'article 10 de la charte de l'environnement, nous atteignons un sommet dans le registre des déclarations qui n'ont aucune portée.
Permettez-moi de vous lire cet article qu'il nous est proposé d'inscrire dans la charte qui doit être gravée dans le marbre du vote conforme : « La présente charte inspire l'action européenne et internationale de la France. » Mais cela va de soi ! Comment pourrait-on imaginer que la Constitution, les chartes à caractère constitutionnel, la loi elle-même, n'inspirent pas l'action européenne et internationale de la France ?
Il est clair que le pouvoir exécutif comme le pouvoir législatif, dans le cadre de leur action internationale, s'inspirent - du moins peut-on l'espérer ! - des textes de la République.
Dire dans la Constitution ou dans la loi que l'action nationale, internationale, mondiale et européenne de la France s'inspire de la loi et de la Constitution revient donc à énoncer une platitude, voire une lapalissade. J'aimerais que quelqu'un m'explique, si cela est possible, pourquoi on nous demande de voter cela !
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 52, présenté par MM. Charasse, Badinter, Saunier, Sueur, Marc, Miquel, Dreyfus-Schmidt et Roujas, Mme M. André et les membres du groupe Socialiste et apparenté, est ainsi libellé :
Après le texte proposé par cet article pour l'article 10 de la Charte de l'environnement, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - La loi organique fixe les modalités d'application de la présente Charte. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Il s'agit par cet amendement de réaffirmer notre position constante, en vertu de laquelle les grands principes qui, selon nous, devraient être fixés dans la Constitution, et non dans la charte, sont appliqués dans les conditions prévues par la loi.
Comme nous nous heurtons au mur du vote conforme lorsque nous évoquons le principe de précaution, ainsi que les autres principes, et comme nous sommes d'infatigables idéalistes, nous avons pensé que nous aurions peut-être plus de succès en proposant une loi organique globale sur l'ensemble du dispositif.
Mais notre espoir est très faible, ce qui n'enlève rien à notre conviction, qui est grande !
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements ?
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, permettez-moi, avant d'aborder chacun des amendements, d'expliciter un certain nombre d'éléments qui concernent l'ensemble de ce projet de loi constitutionnelle.
Tout d'abord, et c'est ma première remarque, j'ai eu au début les mêmes hésitations et les mêmes scrupules que nos collègues de l'Union centriste. M. le ministre peut d'ailleurs en témoigner puisque je lui avais proposé un amendement qui allait dans le même sens que ceux que nos collègues centristes.
Mais à force d'étudier et de réexaminer ce texte, je me suis rendu compte que tous les amendements que je pourrais proposer ne feraient que dénaturer le but recherché et n'aboutiraient qu'au résultat exactement contraire. A partir de là, les questions posées par nos collègues du groupe socialiste et du groupe de l'Union centriste apparaissent sous un tout autre éclairage.
Il est tout d'abord hors de question d'intégrer au texte même de la Constitution, comme cela est proposé dans une première série d'amendements, l'ensemble de la charte de l'environnement. En effet, l'architecture de notre Constitution ne le permet pas : celle-ci veut au contraire que les droits et les libertés figurent dans des documents annexes et non pas à l'intérieur du texte constitutionnel.
Ensuite, et c'est ma deuxième remarque, aucune des rédactions qui nous sont proposées n'améliore en réalité le texte. Au contraire, elles le dénaturent et aboutissent même à un résultat exactement inverse à celui qui est recherché par leurs auteurs.
Je reviens à cet égard sur l'article 5 de la charte de l'environnement, qui concerne le problème de l'applicabilité directe du principe de précaution, évoqué dans certains amendements déposés par le groupe CRC, et donc la séparation entre ce qui est grave et ce qui est irréversible.
Je vous rappelle que le principe de précaution est d'ores et déjà d'application directe du fait des traités internationaux, notamment du traité de Maastricht, que nous avons signés et auxquels nous adhérons. Par conséquent, vouloir à tout prix prévoir ce principe dans une loi risque d'aboutir au résultat exactement inverse à celui qui est recherché.
Or toute la jurisprudence en la matière est claire : lorsqu'une loi est contraire à un traité international, c'est le traité international qui s'applique et non la loi.
MM. Josselin de Rohan et François Trucy. Tout à fait !
M. Patrice Gélard, rapporteur. En revanche, une disposition constitutionnelle s'applique toujours, même si elle est contraire à une disposition prévue dans un traité que nous avons ratifié.
En d'autres termes, la rédaction de l'article 5 est beaucoup plus sécurisante que celle qui prévoirait de définir le principe de précaution par des lois ultérieures, qu'elles soient organiques ou ordinaires. En effet, si ces lois étaient contraires aux traités internationaux, elles seraient annulées par le juge puisque le traité international l'emporte sur la loi, et puisque la disposition constitutionnelle ne serait qu'une disposition souple que la loi ainsi que le traité peuvent interpréter.
M. Charles Revet. Il est important de le souligner !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Dès lors, on ne peut pas accepter l'argument selon lequel le principe de précaution ne devrait pas être d'applicabilité directe et devrait être déterminé par une loi, car, si tel était le cas, on retirerait en réalité à ce principe toute efficience. On aboutirait au résultat inverse de celui qui est recherché : faire en sorte que le principe de précaution soit un principe exceptionnel, ne pouvant être appliqué que dans des cas rarissimes et dont le seul but est d'obliger les autorités publiques, et elles seules, à prendre les mesures, notamment en matière de recherche, pour éviter que d'éventuels périls s'abattent sur nous.
J'en viens à la conclusion de cet exposé général.
On a dit qu'une philosophie pontifiante, sortant d'on ne sait où, émergeait de cet article 5. Permettez-moi de vous dire, avec tout le respect que j'ai pour la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et pour la Constitution de 1946, que leurs préambules respectifs contiennent eux aussi une philosophie. Il est normal que, s'agissant de l'avenir de l'humanité, de ceux qui vont nous succéder, des jeunes, nous ayons une philosophie !
Cette philosophie n'est pas globale. Elle n'explique pas tout, contrairement aux propos qui ont été tenus et selon lesquels nous serions essentiellement des darwinistes refusant d'accepter toute autre théorie. Non ! Il faut comparer les différents éléments entre eux !
Je tiens à relativiser à cet égard toutes les peurs et tous les épouvantails que l'on a agités devant nous.
Soyons sérieux ! C'est vrai : des règles dans notre corpus constitutionnel sont parfois en concurrence les unes avec les autres. Mais, selon les principes de 1789, de même que la liberté s'arrête là où commence celle des autres, un principe juridique s'arrête là où commence un autre.
Par conséquent, il faudra lier et équilibrer en permanence les données issues de la charte, de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946, s'agissant notamment du droit de la santé.
Mes chers collègues, je tiens à vous expliquer notre cheminement avant de donner l'avis de la commission sur ces amendements, puis je laisserai la parole à mon collègue Jean Bizet, rapporteur pour avis, qui a réfléchi de la même manière.
Lorsque nous avons étudié cet article, nous avons eu dans un premier temps les mêmes réactions que vous. Nous nous sommes dit qu'il fallait changer les virgules, prévoir de compléter ses dispositions par l'intervention de la loi, faire en sorte que ce soit plus lisible et plus clair. Puis nous nous sommes aperçus que tout ce que nous proposerions allait en réalité rendre ce texte moins lisible et moins clair.
Ce texte mérite d'être étudié en profondeur. Et au cours des auditions que nous avons menées - je ne parle pas de celles qui nous ont ramenés au Moyen Âge, car elles étaient un peu ridicules ! -, toutes les personnalités que nous avons reçues, qu'elles soient issues de la communauté juridique ou de la communauté scientifique, nous ont dit tout le bien qu'elles pensaient de ce texte. Certaines, parmi elles, nous ont proposé des amendements, tout en doutant de leur pertinence.
Telle a été la logique de notre réflexion, qui nous a fait aboutir à ce résultat. Ce texte n'est certainement pas parfait, mais toute amélioration que l'on voudrait lui apporter aboutirait en réalité à l'inverse du but recherché.
C'est la raison pour laquelle, tout en considérant avec beaucoup d'attention et d'intérêt la démarche de nos collègues de l'Union centriste, qui est compréhensible, justifiable et intéressante au niveau des travaux préparatoires et servira à éclairer les uns et les autres, je ne donnerai pas un avis défavorable sur l'ensemble de leurs amendements, car j'ai trop d'estime pour leurs auteurs, mais je demanderai plutôt à ces derniers de les retirer, surtout à partir de l'amendement n° 10.
Après ces considérations d'ordre général, je laisse la parole à M. le rapporteur pour avis pour compléter mes propos. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean Bizet, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après l'exposé de M. le rapporteur, qui a très bien explicité cette problématique, je voudrais à mon tour m'adresser à nos collègues de l'Union centriste. En effet, l'ambiguïté qui porte sur les domaines d'intervention respectifs du principe de précaution et du principe de prévention demeure.
J'en suis d'autant plus désolé que nous avons eu un large débat à ce sujet en commission. Nous avons également, lors de l'audition du président du MEDEF, essayé de clarifier les choses.
Il nous faut être très clairs : le principe de précaution s'applique en cas de risques potentiels, incertains. Le principe de prévention, quant à lui, concerne des risques avérés.
Le principe de précaution entraîne une mise en oeuvre en deux phases, en deux strates - c'est ce qui se passe avec cet article 5 -, deux procédures : d'une part, l'évaluation des risques et, d'autre part, l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.
L'article 5 est donc un texte cohérent, beaucoup plus rationnel que l'article L.110-1 du code de l'environnement.
Notre collègue Yves Détraigne, en commission des affaires économiques, a lui-même posé la question de l'encéphalopathie spongiforme bovine, qui a représenté un cas d'école. L'interdiction des farines animales - et je m'adresse également à Philippe Nogrix - relevait précisément du principe de prévention, dans la mesure où l'on savait que celles-ci contenaient des prions, à l'origine de la contamination d'autres animaux. Il s'agissait bien d'un risque avéré, quantifié et bien étudié.
L'abattage des animaux relevait, quant à lui, du principe de précaution, car beaucoup d'incertitudes scientifiques subsistaient : on ne savait pas quelle quantité de viande un individu devait consommer pour être atteint par la maladie.
Vous voyez donc qu'à partir d'un même cas, une partie des mesures prises relevait de la prévention et l'autre de la précaution.
Je reconnais que ce cas est assez particulier, mais à chaque époque sa vérité. Au fur et à mesure de l'acquisition des connaissances scientifiques, nous savons beaucoup mieux sérier les problèmes.
Rien ne nous empêchera, à partir du vote de cette charte, d'encadrer le principe de précaution. Il s'appliquera alors à des cas très particuliers. Nous en avons retenu trois : les biotechnologies, c'est-à-dire les OGM, l'effet de serre et les nanotechnologies.
Le Parlement va prochainement examiner la transcription de la directive 2001/18/CE relative à la dissémination d'OGM, c'est-à-dire les essais en plein champ. Nous pourrons à ce moment là légiférer au cas par cas en respectant - je le dis à Mme Marie-Christine Blandin - les agriculteurs biologiques, qui ont le droit à leur identité, leur lisibilité, ainsi que ceux qui feront un autre choix technologique. Mais les mesures d'application seront prévues dans une loi spécifique, car elles ne pouvaient l'être dans un texte constitutionnel.
Je comprends vos hésitations, chers collègues de l'Union centriste : vous appréhendez le principe de précaution en vous référant à ce qu'il était jusqu'à présent, c'est-à-dire une notion relativement floue. Mais je crois que ce nouveau texte apportera beaucoup de cohérence et de rationalisation, à la fois sur le plan national et dans l'articulation d'un certain nombre de traités internationaux.
Enfin, vous êtes préoccupés comme chacun d'entre nous par les difficultés éventuelles que pourraient rencontrer les élus locaux, lorsqu'ils engagent la construction d'une route, d'une autoroute ou d'un pont. Cela relève du principe de prévention. Nous avons évoqué ce sujet en commission des affaires économiques - notre collègue François Fortassin a, à cet égard, émis le souhait de protéger ses crapauds accoucheurs (Sourires.) -, il s'agit d'une problématique qui concerne la biodiversité ; elle est parfaitement connue, cadrée et quantifiée. Cela dépend tout simplement de la compétence des directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, les DRIRE, des directions régionales de l'environnement, les DIREN, et le cahier des charges est tout à fait spécifique.
Je vous propose donc d'élever les débats en ce sens. Surtout, n'imaginez pas, comme a voulu nous le faire croire le président du MEDEF, que les entreprises seront directement alertées. Ce sont les autorités publiques qui mettront en oeuvre les mesures et les procédures d'évaluation en ce sens.
J'en profite pour inciter les entreprises à comprendre qu'à travers cette charte, et grâce à elle, elles sont invitées à faire un saut technologique quantitatif, ce qui leur permettra un meilleur positionnement dans l'environnement international. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Quel est en définitive l'avis de la commission sur l'ensemble des amendements ?
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je n'aborderai pas chacun des amendements. Compte tenu de ce que M. Bizet et moi-même venons de dire, la commission émet un avis défavorable sur l'ensemble des amendements, à l'exception des amendements n°10 et suivants dont elle demande le retrait. S'il n'en allait pas ainsi, elle se verrait contrainte de donner un avis défavorable. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il n'y a pas de détail !
M. Josselin de Rohan. Ça suffit, monsieur Sueur !
Mme Nicole Borvo. La parole est libre !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. L'amendement n° 40 vise à une réécriture de l'article 2, en y apportant des modifications substantielles. J'en évoquerai trois.
Tout d'abord, vous supprimez l'applicabilité directe du principe de précaution. Je voudrais, à la suite de MM. les rapporteurs, m'exprimer sur ce sujet. Comme je l'ai indiqué dans mon intervention préliminaire, il est très important que nous précisions enfin dans un texte constitutionnel la définition du principe de précaution, pour l'encadrer. Actuellement, en effet, la situation est incertaine puisque ce principe est inscrit à la fois dans des traités internationaux et dans une loi ordinaire, mais sans jamais être défini.
Ce principe doit donc impérativement être défini, et ce de manière constitutionnelle ; cela conditionne l'applicabilité de textes internationaux en droit interne et cela limite l'intervention du juge. Aujourd'hui, le juge est confronté à un ensemble de textes peu clairs et assez flous, alors que son intervention sera cadrée, monsieur Nogrix, si ce projet de loi est adopté, car ce dernier définit en particulier les trois conditions cumulatives d'applicabilité du principe de précaution. Le système sera donc juridiquement beaucoup plus sûr.
Par ailleurs, il me paraît essentiel de rappeler, comme vient de le dire en particulier M. Patrice Gélard, la possibilité d'intervention du législateur. Il me semble en effet que l'un des soucis exprimés à travers les amendements et par les différents orateurs au cours du débat est que l'applicabilité directe de l'article 5 retirera son pouvoir au législateur au profit du juge. Non ! Il ne s'agit pas du tout de cela !
Tout d'abord, dans le champ de l'article 5, des textes législatifs sont en vigueur aujourd'hui, et ils ne disparaissent bien entendu pas.
De plus, le législateur est incité à intervenir, et il le fera. Cette incitation à intervenir a été renforcée par l'amendement portant sur l'article 34 de la Constitution, adopté à l'Assemblée nationale ; il précise que l'environnement fait partie du domaine de la loi et non du règlement.
Par ailleurs, nous savons pertinemment, comme vient de le dire le rapporteur pour avis, qu'un certain nombre de sujets conduiront effectivement, très concrètement, le législateur à intervenir. L'exemple des OGM a été évoqué. Bientôt, dans ce domaine qui relève aujourd'hui du principe de précaution, le législateur interviendra. En effet, après les débats à l'échelon européen, à l'échelon national, une certaine décantation s'est produite sur ce sujet complexe des OGM. Un texte sera nécessairement voté pour préciser comment se déroulera l'expérimentation et donc comment pourra être mis en oeuvre le principe de précaution.
Le deuxième point que j'aborderai concernant cet amendement n° 40 - excusez-moi d'intervenir un peu longuement sur cet amendement, mais il touche finalement tous les sujets qui ont été évoqués - a trait au principe pollueur-payeur, et à la manière dont le texte qui vous est proposé évoque l'organisation de la réparation. Comme Serge Lepeltier et moi-même l'avons déjà indiqué, l'article qui vous est proposé sur la réparation a une portée plus large que le principe pollueur-payeur. Il intègre le fait que, dans un certain nombre de cas, le responsable du dommage ne sera sans doute pas suffisamment solvable pour réparer. Il est donc nécessaire de prévoir la possibilité juridique d'autres dispositifs que la réparation par le seul responsable. D'ailleurs ces dispositifs existent d'ores et déjà dans la réalité puisqu'un certain nombre de systèmes de solidarité fonctionnent dès à présent en matière de réparations des dommages à l'environnement.
Enfin, cet amendement n° 40 supprime toute référence à l'éducation et à la formation, et aussi à l'action européenne de la France. D'autres amendements présentés plus tard proposent la suppression de ces différents articles, mais je préfère aborder ce sujet maintenant.
Je suis, d'une part, tout à fait hostile à leur suppression, et, d'autre part, je ne vois pas ce qu'il y a de critiquable à inscrire dans le préambule de la Constitution des objectifs de cette nature que nous trouvons d'ailleurs déjà pour d'autres sujets aujourd'hui. Dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 inscrit dans le préambule de la Constitution de 1958, il y a des formules de cette nature, en terme d'objectifs. Il n'y a rien de contestable à reprendre pour notre compte, dans ce texte, des objectifs en matière d'éducation ou d'action européenne de la France.
S'agissant de l'amendement n° 7, je voudrais dire à M. Fauchon qui est intervenu hier soir avec beaucoup de passion sur ce sujet, qu'il ne s'agit pas, par le quatrième alinéa de cet article, de trancher des débats à caractère philosophique ou religieux. Nous n'avons ni cette prétention ni la volonté de commettre une telle erreur. Il s'agit de rappeler une notion qui se limite à l'affirmation selon laquelle il y a une interaction entre l'homme et son environnement. Jusque-là, il peut y avoir un consensus. Je ne pense pas que se cachent derrière cette affirmation des choix philosophiques ou religieux susceptibles de nous diviser.
L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Laffitte, vise à ajouter les mots « accompagner l'émergence du phénomène humain ». Très sincèrement, je ne vois pas ce que les mots « phénomène humain » apportent à la clarté du texte. Je suis donc défavorable à cet amendement.
L'amendement n° 8 conteste l'accélération de l'influence de l'homme sur l'environnement. Le sujet peut être débattu, mais il me paraît assez évident qu'il y a un phénomène d'accélération de l'effet de l'activité humaine sur l'environnement. C'est bien d'ailleurs cette accélération qui nous amène aujourd'hui à une prise de conscience et à un débat sur ce sujet. En outre, c'est bien en raison de cette accélération qu'il y a manifestement un risque majeur de déstabilisation de l'ensemble du système écologique.
L'amendement n° 41, présenté par M. Badinter et ses amis, change profondément l'esprit du texte en explicitant le rôle de la République. La charte vise au contraire à prévoir que chacun est responsable en matière d'environnement. Son article 1er est fondé sur l'idée de responsabilité. La charte représente également un ensemble d'affirmations de droits et de devoirs à l'égard de l'environnement. Sa philosophie diffère donc de celle de votre amendement n° 41, monsieur Badinter. C'est la raison pour laquelle je suis défavorable à ce dernier.
L'amendement n° 9 de MM. Fauchon et Zocchetto vise à modifier l'article 1er de la charte de l'environnement et à évoquer les questions de santé publique. Sa rédaction supprime la notion d'environnement équilibré ; je pense que c'est une erreur. Je suis donc défavorable à cet amendement.
L'amendement n° 42, présenté par M. Badinter et les sénateurs du groupe socialiste, revient sur la rédaction proposée par l'Assemblée nationale, qui a remplacé les mots « favorable à sa santé » par les mots « respectueux de la santé ». Il nous renvoie au débat santé-environnement que l'on retrouve dans plusieurs parties du texte. Soyons clairs ! Le souci du Gouvernement n'est évidemment pas d'éviter que les questions de santé soient concernées. Cependant nous ne voulons pas que les questions de santé en tant que telles - ce que vous avez appelé, madame la sénatrice, la thérapeutique - soient concernées par ce texte.
En revanche, la relation de l'environnement avec la santé de l'homme est bien évidemment au coeur de notre projet. C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a fait une proposition pertinente quand elle a remplacé « sa » par « la » pour indiquer qu'il s'agissait non pas d'une vision subjective de la santé, liée à chacune de nos personnes, avec ses spécificités en matière de santé, ses fragilités particulières, ses allergies etc., mais de la santé de l'homme en tant que tel dans sa relation à l'environnement. Voilà pourquoi je suis hostile au retour à la rédaction du Gouvernement. L'Assemblée nationale a procédé à une amélioration, et surtout à une clarification du débat sur l'environnement et la santé. Je suis donc défavorable à l'amendement n°42.
L'amendement n° 43 vise à supprimer le texte proposé par un article de la charte de l'environnement. Vous comprendrez que je sois évidemment hostile à cette suppression.
J'en viens à l'amendement n° 10, proposé par MM. Fauchon et Zocchetto. J'ai déjà longuement évoqué tout à l'heure l'article 5, et je ne répéterai donc pas les propos que j'ai tenus à l'occasion du premier amendement.
Je voudrais simplement vous redire avec toute la force de ma conviction ma certitude que la proposition qui vous est faite apporte une sécurité juridique qui n'existe pas aujourd'hui. Le fait qu'il y ait application directe n'enlève rien aux pouvoirs du législateur et, par ailleurs, nous permet de cadrer l'intervention du juge, ce qui constitue vraiment un élément très important. L'amélioration du texte, en précisant que les autorités publiques sont concernées bien entendu en fonction de leur compétence, nous permet de disposer de cette sécurité juridique que vous souhaitez les uns et les autres, en particulier pour les élus locaux. C'est la raison pour laquelle, si j'ai pu vous convaincre, je souhaite que le groupe de l'Union centriste retire l'amendement n° 10.
S'agissant de l'amendement n° 44, qui a pour objet de qualifier de principe le devoir de prévention, je rappellerai que l'article 3 est consacré à la prévention des atteintes à l'environnement. Le devoir de prévention étant un objectif de valeur constitutionnelle, il me semble que le qualifier dans le texte de principe, à l'instar du principe de précaution, créerait un risque d'ambiguïté juridique.
En ce qui concerne l'amendement n° 11, qui vise à supprimer l'article 4 de la charte en conséquence de l'amendement n° 10, j'y suis défavorable.
L'amendement n° 45, présenté par M. Badinter, tend à inscrire le principe pollueur-payeur dans la charte. J'ai évoqué ce point tout à l'heure : je crois vraiment que la rédaction actuelle du texte, qui englobe le principe pollueur-payeur, est plus large et plus pérenne.
En ce qui concerne l'amendement n° 35 de Mme Blandin, je voudrais rappeler que l'article 4 de la charte consacre le principe de réparation des dommages à l'environnement. Il prévoit la réparation du dommage écologique « pur », alors même qu'aucune personne ni aucun bien ne serait concerné.
Les auteurs de l'amendement reconnaissent ce progrès permis par la charte, mais souhaitent constitutionnaliser une règle selon laquelle toute personne doit réparer les dommages qu'elle a causés aux personnes et aux biens : il s'agit là de l'article 1382 du code civil, et constitutionnaliser cette règle interdirait au législateur de retenir par exception d'autres mécanismes de réparation que la mise en jeu du principe de responsabilité.
C'est la raison pour laquelle je suis opposé à cet amendement tendant à compléter l'article 4 de la charte.
S'agissant de l'amendement n° 12, le Gouvernement y est défavorable en conséquence de la position qu'il a adoptée sur l'amendement n° 10 de M. Fauchon.
L'amendement n° 46 de M. Badinter a pour objet de proposer une autre rédaction pour l'article 5 de la charte. J'ai longuement évoqué ce sujet tout à l'heure, à propos de l'amendement n° 40. Je suis, en particulier, tout à fait hostile à la suppression de l'applicabilité directe de cet article 5.
Mme Beaudeau, par son amendement n° 55, souhaite remplacer, dans la rédaction présentée pour l'article 5 de la charte, les mots : « de manière grave et irréversible » par les mots : « de manière grave ou irréversible ».
Le débat sur ce point est parfaitement légitime, et il est exact que, dans certains textes, dans certaines conventions internationales, on trouve la formulation proposée par Mme Beaudeau. Il nous est cependant apparu que retenir cette rédaction engendrerait des risques trop importants sur le plan juridique et susciterait un flou quant à l'applicabilité du principe. C'est la raison pour laquelle il nous semble plus raisonnable de maintenir la conjonction de coordination « et ».
Je formulerai la même observation s'agissant des amendements identiques nos 33 et 34.
Par ailleurs, je suis défavorable à l'amendement n° 32 rectifié, sous-tendu par l'idée suivante, que je fais mienne : la protection de l'environnement ne peut être séparée de l'existence de l'humanité. Cela va de soi. C'est bien de cela dont nous débattons depuis hier, mais cet amendement va bien au-delà, puisque son adoption aurait pour conséquence d'étendre l'application de l'article 5 de la charte à la santé, dans des conditions qui excéderaient, me semble-t-il, le cadre que j'ai défini tout à l'heure.
En ce qui concerne l'amendement n° 1 rectifié, j'y suis défavorable. Je crois que nous avons déjà largement traité la question de l'applicabilité directe de l'article 5, que cet amendement vise à supprimer.
S'agissant de l'amendement n° 13, j'y suis également défavorable, puisqu'il est une conséquence de l'amendement n° 10.
Quant à l'amendement n° 47, j'ai très sincèrement du mal à comprendre les motivations de ses auteurs, car il tend à vider le texte de son contenu. Nulle part il n'y est expliqué ce que recouvre une politique publique de développement durable ; or l'objet du texte est précisément d'expliciter cette expression. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur l'amendement n° 47.
L'amendement n° 14 est un amendement de conséquence de l'amendement n° 10. J'y suis défavorable.
L'amendement n° 48 tend à mentionner explicitement le principe de participation. Je ferai la même réflexion qu'à propos de la prévention : ne mélangeons pas les terminologies, car cela ne peut que susciter des confusions.
S'agissant de l'amendement n° 49, il n'est nullement choquant d'inscrire, à l'article 8 de la charte, un objectif en matière d'éducation et de formation à l'environnement. Comme je l'ai déjà indiqué, ce type d'objectif figure dans le préambule de la Constitution. C'est également une manière de cadrer l'intervention du législateur dans ce domaine.
Je formulerai la même observation s'agissant des amendements n°s 50 et 51, qui visent à supprimer respectivement les articles 9 et 10 de la charte. J'y suis bien entendu défavorable.
Enfin, en ce qui concerne l'amendement n° 52, j'ai déjà eu l'occasion de dire ce que je pensais de l'idée de mettre en place un dispositif nouveau par le biais de la loi organique. A mon sens, ce n'est pas le bon véhicule juridique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, mon rappel au règlement se fonde sur l'article 42 du règlement du Sénat.
Je voudrais tout d'abord remercier M. le garde des sceaux d'avoir bien voulu répondre, ce qui est la logique même, sur chacun des trente-deux amendements affectant l'article 2.
Tout à l'heure, M. de Rohan a tenu à notre endroit des propos peu amènes, alors que je faisais observer qu'il était tout à fait anormal que, sur un sujet tel que celui qui nous occupe, M. le rapporteur ait cru devoir balayer d'une phrase les trente-deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune, sans exprimer la position de la commission des lois sur chacun d'entre eux.
D'une phrase, trente-deux amendements ont été renvoyés au néant : cela reflète une conception du travail parlementaire que notre groupe ne partage pas.
M. le président. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Les propos que j'ai tenus sur les amendements venaient compléter ceux de M. Bizet, rapporteur pour avis, qui s'était exprimé avant moi. En outre, j'avais déjà exposé auparavant la position de la commission. Devais-je me répéter ? Il me semble que la remarque qui vient d'être faite n'est pas bienvenue et que notre collègue aurait dû s'en abstenir.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote sur l'amendement n° 40.
M. Robert Badinter. A l'amendement n° 40, nous avons mentionné, s'agissant de la préservation de l'environnement, toutes les dispositions qui devraient figurer dans un titre spécifique de la Constitution.
Je ne reprendrai pas ici ce que j'ai dit hier sur la mauvaise approche consistant à élaborer un texte autonome, dit « charte de l'environnement », en l'adossant - l'expression est singulière ! - à la Constitution. C'est dans la Constitution même que l'on doit consacrer le principe de sauvegarde de l'environnement ; puisqu'il ne s'agit ici que de ce principe, il trouverait naturellement sa place à l'article 1er de la Constitution. Au-delà, on doit en dégager les conséquences dans un ensemble d'articles s'inscrivant aisément dans le corps de la Constitution.
J'ai fait observer, je le rappelle encore une fois, que, lorsqu'il s'agit d'un ensemble de déclarations de droits, comme ce fut le cas pour la grande Déclaration de 1789 ou pour le préambule de la Constitution de 1946 - ensemble de droits civils et politiques dans un cas, ensemble de droits économiques et surtout sociaux dans l'autre -, leur mention dans le préambule de la Constitution devient alors obligatoire.
Il n'en va pas du tout de même lorsqu'il ne s'agit, en définitive, que de la protection de l'environnement. Il existe aujourd'hui, dans la théorie des droits de l'homme, ce que l'on appelle les droits de l'homme de la troisième génération. Si nous réglions dans cette enceinte l'ensemble de la question des droits de l'homme de la troisième génération - cela recouvre notamment, outre la défense de l'environnement, les problèmes très importants de respect de la personne humaine liés aux progrès de la bioéthique -, l'approche serait alors différente ; mais, dans la mesure où l'on s'en tient à la protection de l'environnement proprement dite, le principe ne devrait trouver place que dans le corps de la Constitution.
En ce qui concerne maintenant les différents points que nous avons exposés, je me bornerai à évoquer l'article 5 de la charte, sur lequel M. Gélard a tant insisté.
Cet article est en effet au coeur du problème, car on est en voie de commettre une erreur juridique de première grandeur, et j'attire encore une fois l'attention de nos collègues sur ce point.
Quel est le problème ? Ce n'est pas la reconnaissance du principe de précaution, car celui-ci existe sur le plan international et nous savons qu'il est lui-même susceptible d'être défini - mais en l'occurrence il ne l'est pas dans ce texte, où l'on se contente de le mettre en oeuvre. Le problème, c'est qu'en le déclarant applicable directement sans référence à la loi, on donne à ce principe une valeur supérieure non seulement aux lois, mais aussi aux conventions internationales.
Or c'est de là que surgira inévitablement la difficulté, car, comme ce principe sera d'application immédiate et emportera des dispositions permettant une action judiciaire, les associations concernées se saisiront du texte en soulignant qu'il n'y a pas de loi-écran ni de définition par le législateur des conditions possibles d'intervention, mais seulement un principe constitutionnel général dont elles demanderont l'application, quelles que soient les lois, quelles que soient les dispositions internationales en vigueur.
En conséquence, ces associations demanderont au juge administratif, qui n'en demande pas tant, d'appliquer directement une norme constitutionnelle. C'est le contraire de ce qui doit être fait ! A ceux qui affirment que le principe de précaution a été défini internationalement et que, par conséquent, il n'est pas besoin d'aller plus loin dans la recherche d'une définition par la loi, je rétorquerai que cela est tout aussi vrai pour le principe de prévention ou pour le principe pollueur-payeur, qui figurent dans des conventions internationales et dans le droit européen, et que, dans votre texte, monsieur le garde des sceaux, vous mentionnez l'exigence d'une loi.
Dans ces conditions, pourquoi, s'agissant du principe de précaution, sautez-vous par-dessus la loi, dont l'intervention est pourtant nécessaire ? Je n'emploie pas le terme de « loi-écran », je dis qu'une loi est nécessaire pour que nous définissions précisément, avec minutie, comme il convient, les conditions de mise en oeuvre du principe de précaution s'agissant de l'environnement. Cela relève tout de même de la compétence naturelle du législateur ! A quoi servons-nous, sinon à mettre en oeuvre des principes constitutionnels ? Ce n'est pas le constituant qui doit ouvrir une voie d'action directe, aussi intéressante soit-elle, à ceux que le problème concerne ; c'est le législateur qui doit fixer les modalités de cette action.
La première conséquence de cet état de choses sera la compétence immédiate du juge - en l'occurrence du juge administratif, puisqu'il s'agit du concept nouveau d'autorité publique -, qui interprétera et appliquera la Constitution.
Cela ne se conçoit pas ! On a assez souvent entendu qu'on ne voulait pas que le juge constitutionnel interfère dans la vie judiciaire elle-même, et on ne va donc pas donner au juge judiciaire le pouvoir d'interprétation et d'application de la Constitution !
Deuxièmement, indépendamment de cette multiplication d'actions, dont j'ai cité plusieurs exemples, se posent des problèmes de rapport avec les conventions internationales, surtout le droit européen.
Je rappelle que, dans le domaine de l'environnement, les textes européens prolifèrent de façon inouïe. Le corpus en matière de protection de l'environnement est à ce jour constitué de 230 textes européens, parmi lesquels on dénombre 130 directives !
Je vous renvoie à la dernière décision du Conseil constitutionnel relative à l'applicabilité en droit français des directives sans vérification de la constitutionnalité. Cela relève, selon le Conseil constitutionnel, de l'appréciation exclusive de la Cour de justice des communautés européennes.
Nous disposons donc d'un corpus considérable qui est applicable en France comme ailleurs. L'unification du droit de l'environnement, ne serait-ce qu'au regard des investissements, est de l'intérêt général de tous les européens.
Parce que le texte sera d'applicabilité directe, vous allez ouvrir, d'une part, la possibilité de considérer que le droit européen n'est plus ou pas applicable, ou qu'il l'est insuffisamment, et, d'autre part, la possibilité de demander au juge, quelle que soit la disposition du droit européen, de prendre une décision conforme à votre voeu.
En conséquence, verra le jour une contestation, que précisément le Conseil constitutionnel a souhaité éviter, des dispositions du droit européen en matière de protection de l'environnement, alors qu'elles concernent l'ensemble des Européens, y compris les Français, au profit de l'appréciation par le juge administratif au coup par coup de ce qu'à chaque fois il estimera que le pouvoir qui lui a été délégué d'interprétation constitutionnelle lui permet de faire.
Non seulement cela désordonne la hiérarchie des normes, non seulement cela conduit à la prolifération d'une jurisprudence dont personne ne peut prévoir ce qu'elle sera, mais cela entraîne aussi cette inévitable contradiction que le Conseil constitutionnel a essayé d'éviter entre notre droit et les normes européennes.
Ce n'est pas sérieux ! Je le dis gravement, ce n'est pas ainsi qu'il faut faire ! Nous sommes là pour peser minutieusement dans le texte d'une loi à venir, comme pour le principe de prévention, comme pour le principe de responsabilité pollueur-payeur, les conditions de mise en oeuvre de ce principe de précaution.
Mes chers collègues, voilà pour le Sénat une opportunité d'affirmer une exigence première de bonne législation, l'intérêt majeur qu'il y a à ne pas laisser se multiplier les contentieux, à ne pas donner au juge administratif un pouvoir qui n'est pas le sien, à ne pas permettre la contestation que l'on ne veut pas du droit européen à propos de problèmes qui le concernent directement dans le droit dérivé. Si le Sénat laisse passer cette occasion, alors je vous pose la question : dans le cadre d'une révision constitutionnelle où pour une fois notre assemblée dispose des mêmes pouvoirs que l'Assemblée nationale, à quoi sert le Sénat sinon à faire des paquets cadeaux parce que le Gouvernement les lui demande ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Badinter, j'ai été sensible à votre argumentation, mais je n'y crois pas un seul instant.
Vous avez manié des épouvantails : l'épouvantail des procédures, celui des contentieux du Conseil d'Etat et des tribunaux administratifs ; mais ce ne sont que des épouvantails et rien d'autre !
M. Robert Badinter. Non !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Le juge, à l'heure actuelle, est déjà saisi des problèmes relatifs au principe de précaution.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Depuis 1995 !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Sans loi, sans reconnaissance constitutionnelle expresse, le juge l'applique déjà ! C'est dans ces conditions qu'il fait n'importe quoi ! Grâce au texte que nous allons mettre en oeuvre, le juge ne pourra plus faire n'importe quoi, on ne pourra pas former n'importe quel recours.
Nous sommes en face d'épouvantails, j'insiste ! Il n'y a rien d'autre ! (Très bien ! sur les travées de l'UMP.).
En réalité, la prise en compte du principe de précaution dans la Constitution est le meilleur garant contre tous les débordements qui pourraient arriver par la suite. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. - M. Hubert Durand-Chastel applaudit également.)
M. Robert Badinter. C'est une erreur absolue !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben, garde des sceaux. Répétition n'est pas raison. J'ai bien entendu, monsieur Badinter, ce que vous nous dites depuis hier. Mais ce n'est pas parce que vous le répétez que c'est plus vrai aujourd'hui que cela ne l'était hier.
D'une part, s'agissant de la rédaction de l'article 5 de la charte qui vous est proposée, je tiens à vous rappeler, monsieur le sénateur, que le texte est conforme au droit international actuel ; il n'y a pas de contradictions.
Pour l'avenir, bien entendu, la Constitution nous protégera. Le Sénat est-il vraiment hostile à l'idée que la Constitution protège le corpus juridique français par rapport à une interprétation de textes internationaux ? Je ne le pense pas. Il y a là une démarche qui me paraît assez naturelle de la part du Gouvernement et du Parlement français.
D'autre part, l'article 5, grâce à une clarification du principe de précaution, intervient pour la première fois.
Alors que la situation juridique est aujourd'hui imprécise - vous savez bien, monsieur Badinter, que le juge est en capacité d'interpréter des textes qui ne sont pas précis -, ce texte permettra enfin de définir le principe de précaution. En effet, il n'avait pas été défini jusqu'à présent, par exemple dans la loi Barnier, parce que nous étions dans une construction juridique évolutive et progressive !
Aujourd'hui, il nous paraît possible de définir ce principe, définition qui permettra d'apporter une la sécurité juridique ; c'est la raison pour laquelle je ne crois pas du tout aux inquiétudes que vous avez exprimées. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP - M. Hubert Durand-Chastel applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 40.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 179 :
Nombre de votants | 317 |
Nombre de suffrages exprimés | 292 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 147 |
Pour l | ' | adoption | 91 |
Contre | 201 |
Le Sénat n'a pas adopté.
(M. Bernard Angels remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)