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communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)
PRÉSIDENCE DE M. Serge Vinçon
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Communication de M. le président de l'assemblée nationale
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président de l'Assemblée nationale la lettre suivante :
« Paris, le 25 mai 2004
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'au cours de sa première séance du lundi 24 mai 2004, M. René André a été nommé secrétaire de l'Assemblée nationale, en remplacement de Frédéric de Saint-Sernin, nommé membre du Gouvernement.
« A la suite de cette nomination, le bureau est ainsi composé :
« Président : M. Jean-Louis Debré.
« Vice-présidents : MM. François Baroin, Jean Le Garrec, Yves Bur, Rudy Salles, Mme Hélène Mignon, M. Eric Raoult.
« Questeurs : MM. Claude Gaillard, Guy Drut, Didier Migaud.
« Secrétaires : MM. René André, Jacques Brunhes, François-Michel Gonnot, Jean-Pierre Kucheida, Alain Moyne-Bressand, Germinal Peiro, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, MM. Bernard Perrut, Jean Proriol, Didier Quentin, François Rochebloine, Jean Ueberschlag.
« Je vous prie, monsieur le président, de croire à l'assurance de ma haute considération.
« Signé : Jean-Louis Debré »
Acte est donné de cette communication.
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Autonomie financière des collectivités territoriales
Suite de la discussion d'un projet de loi organique
M. le président. Nous reprenons la suite de la discussion du projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, pris en application de l'article 72-2 de la Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite convaincre le Sénat qu'au-delà de la question de l'autonomie fiscale des collectivités, la péréquation vers les collectivités et entre les collectivités est un préalable nécessaire à leur véritable autonomie financière.
Les inégalités de ressources fiscales sont très fortes dans notre pays. Le Sénat sait bien, par exemple, qu'en 2000 le potentiel fiscal par habitant des communes allait de un à quatorze.
Le Sénat sait également que les nouveaux transferts de compétences envisagés par le Gouvernement ne sont pas aujourd'hui clairement financés. Les nouvelles compétences transférées aux collectivités sans financements adéquats, pérennes et évolutifs, s'accompagneront malheureusement d'un accroissement sensible des inégalités en matière d'accès aux services publics.
Les inégalités entre les collectivités locales seront d'autant plus durement ressenties par les Français que notre pays sera plus décentralisé et que la comparaison des situations sera obligatoirement faite, encore plus que par le passé, d'une région à l'autre, sinon d'un département à l'autre.
Et que dire de la concurrence entre les territoires ainsi officialisée sous le label du libéralisme ?
L'égalité d'accès aux services publics est au coeur du pacte républicain. Il serait regrettable qu'une amplification des inégalités conduise les Français à se détourner de l'idée même de décentralisation, ce qui, me semble-t-il, a, hélas ! déjà commencé : les Français n'y entendent plus grand-chose devant les tergiversations du Gouvernement.
Ils craignent légitimement l'accroissement de la fiscalité locale, induit par le délestage budgétaire de l'Etat sur les collectivités, mené tambour battant par M. Raffarin : transfert aux départements du RMI et du RMA, réforme des assistants maternels, solidarité envers les personnes âgées et handicapées. Qui va payer ? Les collectivités locales, sûrement !
La majorité du Sénat s'y serait-elle trompée ? Je ne le crois pas. Elle ne peut plus soutenir le double langage du Gouvernement à l'égard des collectivités, comme les récents débats au sein de cet hémicycle l'ont prouvé, notamment la semaine dernière. Je ne pense pas que les amendements votés ici même contre l'avis du Gouvernement par la majorité du Sénat, l'aient été pour la forme seulement. Ils ont sans doute une signification réelle.
Ce projet de loi sur l'autonomie financière, sans un mot sur la solidarité entre les territoires, participe de ce brouillage du discours gouvernemental sur la décentralisation.
Où peut être la démocratie locale quand les inégalités entre collectivités conduisent à priver les plus défavorisées de la capacité de déterminer librement une partie au moins de leurs ressources, faute de bases fiscales suffisantes ?
L'objet de ce projet de loi organique est de définir, au terme de la nouvelle rédaction de la Constitution, la « part déterminante » des ressources propres dans l'ensemble de leurs ressources, évaluée pour chaque catégorie de collectivités : communes, départements et régions. La majorité et le Gouvernement sont dans un piège, car ce principe ne résout rien et ne résoudra rien.
Avec ce texte, l'autonomie financière des collectivités demeurera vraisemblablement virtuelle !
La définition proposée ne fait que maintenir les inégalités, dans la mesure où son respect est apprécié de manière globale.
Avec la relance de l'intercommunalité, le gouvernement de Lionel Jospin avait apporté une contribution importante à la réduction des inégalités. Cette politique devrait être poursuivie et étendue, mais la suppression de la taxe professionnelle ne le permet plus, tout du moins pour les communautés de communes à taxe professionnelle unique.
Le Gouvernement ne veut pas entendre parler de tout cela. Les amendements déposés par les députés socialistes pour inscrire les groupements dans l'article 1er du projet de loi organique ont été rejetés sans débat de fond, semble-t-il, sur des arguments constitutionnels plutôt spécieux.
Au-delà de cette parodie de réforme sur l'autonomie financière des collectivités, une refonte complète des dispositifs de péréquation devrait donc être mise en oeuvre.
Il est anormal qu'aujourd'hui la plupart des ressources consacrées à la péréquation ne soient constituées que de parts résiduelles de dotations de l'Etat ; M. François-Poncet a évoqué tout à l'heure le chiffre de 5 %, ce qui est peu.
Le financement de la péréquation devrait ne plus dépendre de ces abondements exceptionnels de l'Etat, dont le caractère facultatif, sinon aléatoire, nous a malheureusement été cruellement rappelé par les budgets de 2003 et de 2004.
L'appréciation de l'autonomie financière des collectivités impliquerait par ailleurs de ne pas s'en tenir à leurs seules ressources, mais de tenir également compte des charges qu'elles ont à supporter. C'est ce que prévoyait le rapport François-Poncet - Belot en raisonnant en termes de points de charges pour les départements. Je rappelle que la commission des finances et la commission des lois ont adopté ce rapport ; il ne reste qu'à le mettre en oeuvre.
Concernant les réformes à envisager en matière de péréquation, j'ajouterai que celle-ci doit s'appuyer sur une refonte des critères d'appréciation de la richesse d'un territoire. Continuer à ne retenir que le potentiel fiscal sans réviser les bases de la fiscalité locale n'est plus possible.
En remontant le temps, je rappellerai qu'il existait une péréquation verticale instaurée sur l'aide sociale, avant la grande décentralisation, par la prise en charge par l'Etat des trois groupes d'aide sociale des conseils généraux en fonction des critères de ressources fiscales de ceux-ci, et une péréquation horizontale effectuée par le fameux « répartement » des bases des centimes additionnels entre communes rurales et urbaines qu'opéraient les conseils généraux, souvent au détriment des communes rurales. Cela remonte non pas aux calendes grecques, mais à mes débuts de conseiller général dans les années soixante.
Je rappellerai également que la dotation de fonctionnement minimal a été instaurée au Sénat par un amendement que j'avais déposé avec M. Chervy, créant au sein de la DGF ce concours particulier, à la suite d'un complot des départements pauvres où l'on retrouvait des personnalités aussi diverses qu'André Chandernagor pour la Creuse, Jacques Barrot pour la Haute-Loire et Raymond Forni pour Belfort.
J'évoquerai aussi la mise en oeuvre du dispositif de la dotation de fonctionnement minimal amélioré pour les départements grâce à Augustin Bonrepaux et pour les régions par l'amendement Savy en 1993.
La réduction des inégalités ne passe pas seulement par la péréquation. Elle peut aussi découler d'une véritable politique d'implantation et de maintien des services publics sur le territoire : le maintien d'un bureau de poste - n'est-ce pas, monsieur Delfau ? - d'une gendarmerie, d'un hôpital, d'une perception, d'une école, est aussi la manifestation de la solidarité nationale.
Vous ne serez pas étonné, monsieur le ministre, si j'indique que le groupe socialiste n'est pas satisfait des orientations du Gouvernement en la matière, car elles ne contribuent pas à réduire la fracture territoriale, alors que tous les Français ont droit à la culture, à la santé, à la sécurité, aux transports, à l'énergie, où qu'ils résident en France. Ce n'est pas ce que nous ressentons dans l'analyse des dispositions de la décentralisation Raffarin dans tous ses volets et dans le sort réservé récemment à La Poste et, dans un avenir proche, à EDF.
Ce projet de loi sur l'autonomie financière se révélera être une supercherie s'il ne répond pas aux attentes des élus de l'Association des maires de France, dont je salue le président, de l'Assemblée des départements de France et de l'Association des régions de France ; il ne correspond guère à une vision solidaire de la décentralisation.
La véritable autonomie financière est celle qui offre aux collectivités des ressources propres garanties et adaptées à leurs besoins avec l'assurance d'une indispensable péréquation financière et non pas un gel des ressources annoncé par le texte qui n'aboutirait qu'à gommer l'autonomie de moyens de nos collectivités au travers d'un pacte de stabilité et non plus de solidarité et de croissance.
Les dotations de péréquation verticale, qui sont attribuées sur le budget de l'Etat et non au terme d'une distribution de ressources entre collectivités comme la péréquation horizontale, ne doivent pas être intégrées dans le calcul du taux d'autonomie financière. La question de la péréquation verticale est primordiale. On risque de voir toute dotation de ce type rendue impossible s'il était considéré qu'elle conduise à une dégradation du taux d'autonomie financière.
La référence très succincte faite par la loi constitutionnelle à la péréquation ne s'oppose pas à ce que la loi organique s'y consacre quelque peu.
Chacun m'accordera que la combinaison de la définition des ressources propres - les dotations de péréquation issues de l'Etat n'en faisant pas partie - et du taux d'autonomie financière défini comme le rapport des ressources propres sur l'ensemble des ressources, qui intégrerait alors les dotations de péréquation, risque de freiner, voire de bloquer la mise en oeuvre d'une politique de solidarité, ce qui condamnerait à l'évidence un aménagement du territoire équilibrant, puisque malheureusement toute nouvelle dotation de péréquation dégraderait le taux d'autonomie financière. Ainsi le respect de l'article 3 serait mathématiquement impossible.
Le Gouvernement, la majorité qui le soutient, abandonneraient-ils ainsi la péréquation sans le dire, tacitement ?
L'arithmétique des fractions, je viens de l'évoquer, est tout à fait incontournable : plus le diviseur est grand, plus le produit est modeste.
En conclusion, nous souhaiterions donner une définition ayant valeur organique à la notion de péréquation, ayant pour objectif de donner aux collectivités, d'abord, des capacités égales pour assurer leurs compétences en dépit de leurs différences de ressources et de charges - là encore, j'en appelle pour les départements au rapport de MM. François-Poncet et Belot - ensuite une définition des moyens, qui peut être horizontale lorsqu'elle intervient entre collectivités de même catégorie ou verticale par une action volontariste de l'Etat, accordée sous forme de dotation aux plus modestes.
Le désengagement de l'Etat, notamment en matière de DGE des communes rurales, nous incite à inscrire le principe de la péréquation dans la loi organique, et nous demandons à la majorité du Sénat de le faire, ce qui, vous me l'accorderez, serait une preuve de bonne foi, contrairement à l'affirmation véhiculée jusqu'alors selon laquelle la péréquation n'a rien à faire dans la discussion d'aujourd'hui.
Je ne le crois pas. Pour nous, il ne convient pas de renvoyer la discussion sur la péréquation à demain, lors de l'examen d'une loi ordinaire, ainsi que l'a démontré tout à l'heure excellemment mon collègue Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Fréville.
M. Yves Fréville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la première fois, me semble-t-il, mais je ne suis pas juriste, que l'on ose graver dans le bloc de constitutionnalité une norme financière. Il faut le faire avec discernement. Elle garantit certes aux collectivités locales une part déterminante de leurs ressources propres, mais nous n'avons pas osé le faire lorsque nous avons réformé la loi organique relative aux lois de finances, et le précédent des critères de Maastricht montre très bien le caractère parfois périlleux de l'exercice.
Quels sont nos objectifs ? Nous ne devons pas seulement empêcher, pour rétablir la confiance dans la décentralisation, le retour de mesures irréfléchies par lesquelles des impôts locaux comme la vignette ont été supprimés, nous devons penser à l'évolution à long terme des finances locales.
Rien ne serait plus stupide que d'adopter des définitions restrictives inadaptées des « ressources propres » ou de la « part déterminante », qui bloqueraient ou freineraient l'indispensable modernisation de nos finances locales.
En ce domaine, j'ai une conviction forte tirée de l'observation de l'évolution des systèmes fiscaux locaux.
L'évolution économique rend de plus en plus restreint le champ possible des impôts locaux, du moins d'impôts locaux justes, dynamiques et équitables. Ce n'est pas par hasard que l'on réforme si difficilement les impôts locaux existants et que l'on peine à en trouver de nouveaux.
L'impôt local était tout à fait adapté lorsqu'il frappait une assiette immobile. Les seuls bons impôts locaux sont les impôts assis sur la valeur des biens immobiliers ou les redevances perçues sur les usagers.
Au XIXe siècle, cela ne présentait aucune difficulté dans une France agricole et terrienne. L'impôt sur la propriété était adapté.
Mais les impôts modernes à grand rendement, la TVA, l'impôt sur les sociétés et bien d'autres, se laissent mal emprisonner dans les limites de nos petites communes. L'instauration de la TVA a signifié la mort, en 1968, de l'ancienne taxe locale.
De plus, les impôts modernes frappent des flux financiers qui ignorent les frontières et suivent les délocalisations. Les disparités fortes de taux ne sont plus acceptées.
Si nous voulons construire la décentralisation, il faut le faire non seulement en se fondant sur des impôts locaux au sens strict, mais également en organisant le partage des impôts d'Etat : des centimes additionnels à la CSG, par exemple, la TIPP ou un impôt national sur la valeur ajoutée des entreprises.
Tel est le contexte. Il n'est pas agréable à constater, mais il faut aborder de front la difficulté. C'est à partir non seulement d'impôts strictement locaux, mais aussi d'impôts partagés que nous devons garantir aux collectivités locales des ressources propres.
Comment définir ces ressources propres ? A partir de quel moment une imposition de toutes natures devient-elle une ressource propre ?
L'Assemblée nationale a répondu : dans tous les cas de figure. Cette définition est un peu large. Nos rapporteurs estiment - ils sont plus exigeants - que la collectivité locale doit pouvoir fixer, dans certaines limites, l'assiette et surtout le taux de cette imposition. C'est un grand et large débat.
Tout dépend du point de vue où l'on se place. Nous voulons pour nos collectivités locales des ressources dynamiques qui puissent croître.
La première possibilité est de privilégier, c'est le choix des commissions, ce que j'appellerais « l'effet taux ». On augmente, le cas échéant, les impôts. De cette manière, l'élu local possède un pouvoir de décision en agissant sur le taux de l'impôt. Ce qui compte est alors effectivement l'effet taux.
Mais oserais-je dire, monsieur le rapporteur, que le « pouvoir » d'augmenter les taux n'est acceptable que si l'on ne s'en sert pas. Le bon impôt, c'est celui dont le taux n'augmente pas. Fonder la décentralisation sur la possibilité d'augmenter les taux me paraît contre-productif vis-à-vis de l'opinion publique.
La deuxième possibilité est de se demander si l'essentiel ne serait pas d'avoir des ressources dont la base est dynamique. Ce que l'on privilégierait à ce moment-là, ce n'est pas le pouvoir de décision, ce serait tout simplement des impôts localisés qui pourraient augmenter au fur et à mesure que la collectivité développerait ses activités économiques, et elle doit en avoir le juste retour.
La troisième possibilité, qui est celle de l'Etat, et je comprends très bien sa position, est de dire : l'essentiel, c'est que l'on donne aux collectivités locales un produit ; peu importe s'il est calculé avec des taux ou des bases, il faut que ce produit soit garanti et qu'il ne soit plus sous le contrôle de l'Etat. C'est l'optique qui a été choisie lors de l'élaboration de ce projet de loi.
Il faut donc trancher entre ces points de vue.
Pour moi, un seul critère peut fonder économiquement le caractère propre d'une recette fiscale pour une collectivité locale, c'est que son assiette soit localisée, c'est-à-dire que l'évolution de son rendement dépende de la situation de la matière imposable au sein de cette collectivité.
Quelles seraient les conséquences de ce choix ?
Il existe naturellement un continuum entre l'impôt local, dont on contrôle le taux, et la pure dotation. Il faut savoir où se situe le partage.
Dire que l'impôt local, la ressource propre, c'est celle dont on contrôle le taux, est une notion imprécise. Car il y aura nécessairement des plafonds. J'ai entendu dire en commission des finances qu'il suffirait de pouvoir le baisser. Mais les élus locaux pensent-ils que contrôler le taux, cela veut dire pouvoir uniquement le baisser en dessous d'un certain plafond ? Je n'en suis pas certain.
Il est donc beaucoup plus simple, face à cette difficulté, d'admettre que tous les impôts à taux fixe sont des ressources propres.
En ce qui concerne les impôts partagés, je voudrais, monsieur le ministre, que vous nous rassuriez.
Selon votre conception et celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale, l'impôt partagé est une ressource propre dans tous les cas de figure. Pour ma part, j'estime qu'il doit être partagé collectivité par collectivité et non pas simplement par catégorie, autrement on aboutirait à la solution extrême que critiquait notre collègue Joël Bourdin tout à l'heure : lorsque la DGF était alimentée par un prélèvement de 16,5 %, en moyenne, sur le produit net de la TVA, on considérait que c'était une ressource propre des collectivités locales. Non, il faut qu'elle soit localisée, partagée, collectivité par collectivité !
Mais ce partage n'est pas suffisant pour fonder le caractère propre de la ressource fiscale. Il faut prendre en compte les critères du partage.
Si vous partagez la taxe intérieure sur les produits pétroliers en fonction de la consommation dans chaque région, ce sera, bien entendu, une ressource propre. Si, au contraire, vous procédez à un partage en fonction d'autres critères qui n'ont rien à voir avec la localisation de la matière imposable, la compensation de transfert de compétence n'est plus une ressource propre.
Voilà, à mon avis, la solution, qui serait de localiser les impôts partagés.
J'en arrive maintenant au deuxième problème, celui de la part déterminante minimale.
Il existe dans le projet de loi deux critères de la part déterminante, l'un qui est défini par le Conseil, dont la sagesse est indépassable, et suivant lequel la part des ressources propres doit garantir la libre administration, et l'autre qui est une donnée apparemment plus opérationnelle : soit le pourcentage de ressources propres constaté par catégories de collectivités en 2003, soit, comme le proposent les commissions, un pourcentage fixe de 33 %.
Avant de choisir, il faut réfléchir à ce que nous voulons en matière d'évolution des finances locales. Il faut veiller à ce que le choix d'un critère permette à la fois d'assurer la péréquation, la réforme des impôts et le financement de la décentralisation.
D'abord, en ce qui concerne la péréquation, cela a été très bien dit par plusieurs d'entre nous, si nous voulons l'accroître, il est bien certain que nous ne pourrons le faire qu'en donnant plus de dotations aux communes, aux départements et aux régions les plus pauvres. Il n'est pas du tout certain que cela n'aboutisse pas à réduire la part des ressources propres, même définie de façon large comme je l'ai fait, entre les collectivités. Alors, soyons prudents !
Ensuite, en ce qui concerne la réforme fiscale, nous allons devoir réformer la taxe professionnelle et la taxe d'habitation.
Je vous fais part de mon expérience de rapporteur spécial du budget des charges communes du Trésor qui a vu croître et embellir la masse des dégrèvements législatifs pour atteindre 10 milliards d'euros.
Sachez, mes chers collègues, que, dans certaines grandes communes, je pense à l'une d'entre elles en particulier, qui se situe dans le nord de la France, jusqu'à 97 % des habitants sont dégrevés totalement ou partiellement de la taxe d'habitation. En général, la moyenne est de 60 %.
Nous devrons donc essayer, lorsque nous remplacerons les impôts existants par un nouvel impôt, de procéder au financement des adaptations nécessaires. Comment voulez-vous les faire si vous n'arrivez pas à mobiliser les 10 milliards d'euros de dégrèvements pour les transformer en adaptations diverses et variées ?
Il faudra donc absolument, dans la détermination de la part minimale, veiller à ce que ces 10 milliards d'euros de dégrèvements soient, d'une manière ou d'une autre, exclus.
Enfin, la décentralisation de nouvelles compétences pose, nous le savons, une grande difficulté, car il faudra trouver de nouveaux impôts localisables, au moins, pour la part considérée comme déterminante.
Cela ne posera sans doute pas trop de difficulté pour les régions avec la taxe intérieure sur les produits pétroliers. En revanche, je le reconnais franchement, cela sera très difficile pour les départements. Car, dans l'état actuel des réflexions, nous ne savons pas très bien comment leur assurer, même en mobilisant la taxe sur les conventions d'assurance, la part déterminante de leurs ressources. C'est une question qui vient en arrière-plan de toutes nos discussions.
Dès lors, que choisir en ce qui concerne la part déterminante ?
La fixation d'un taux unique a priori de 33 % est une mauvaise solution. Cela me fait penser aux 60 % de dette publique et aux 3 % de déficit budgétaire dans d'autres domaines.
Quelles en sont les raisons ?
Nous ne savons pas aujourd'hui réellement quelles sont les parts actuelles des ressources propres.
Le rapport de l'Assemblée nationale oublie même le versement transport qui représente 4 milliards d'euros.
M. Gérard Delfau. Ils ne sont pas bons les députés !
M. Yves Fréville. Il faudrait donc donner un peu de mou, soit en admettant un pourcentage de réduction par rapport au taux observé en 2003, soit en éliminant les dégrèvements.
Voilà, mes chers collègues, ce que je pense devoir être une politique en faveur de la réforme des finances locales.
La décentralisation et la libre administration des collectivités locales ne fonctionneront correctement que si les élus sont responsables devant les contribuables électeurs et pas devant l'Etat.
Les impôts locaux doivent envoyer de bons signaux, c'est-à-dire qu'ils doivent croître lorsque la dépense augmente et diminuer lorsque la dépense diminue. Ce n'est plus le cas actuellement.
Ce que nous devons faire avec ce projet de loi organique, c'est permettre la création d'un système fiscal local pour les vingt ans à venir qui devra reposer sur trois piliers.
Premièrement, il faut un pourcentage d'impôts locaux rénovés, justes et bien répartis. Si c'est pour maintenir des impôts aussi mal répartis qu'actuellement, je préfère ne pas en avoir.
Deuxièmement, il faut un partage d'impôts modernes assurant à chaque collectivité locale un retour sur son investissement pour son dynamisme.
Troisièmement, il faut un ensemble de dotations de péréquation.
Ne bloquons pas par des mesures inadaptées cette évolution. Je pense que c'est l'objectif commun au Gouvernement et à la majorité sénatoriale et je suis sûr qu'un accord pourra être trouvé dans cette ligne pour que la décentralisation soit la réussite de cette mandature. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, faut-il, à cette heure, redire une conviction ? Nous sommes favorables à la décentralisation.
Mais faut-il redire notre opposition à la méthode utilisée, à commencer par le jeu d'ambiguïté sur les adjectifs « part prépondérante », « part déterminante » ?
De la révision constitutionnelle, où vous avez significativement refusé mon amendement en application duquel L'Etat était le garant de la solidarité nationale, jusqu'à la loi sur les responsabilités locales, où fut renvoyée au lendemain la garantie des moyens de faire, nous voici toujours aussi démunis avec ce projet de loi relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Le texte n'apporte pas les réponses attendues : rien sur les péréquations, pas de méthode pour les transferts, pas de perspectives pour des ressources locales modernisées.
La décentralisation doit accroître l'adéquation des choix publics au territoire et qualifier l'action par le dialogue avec les citoyens. Or que nous disent ceux-ci ?
Ils veulent des emplois, un cadre de vie harmonieux, la sécurité climatique, sanitaire, alimentaire, civile. Peut-on parler d'autonomie des collectivités pour répondre à ces justes attentes quand les moyens qu'on leur donne ou qu'on leur laisse se procurer ne sont pas à la hauteur des enjeux ?
Par exemple, peut-on parler d'autonomie des collectivités quand, d'une main, l'Etat sollicite un juste engagement pour soutenir la culture et que, de l'autre, il détruit le dispositif spécifique de l'intermittence des artistes et des techniciens qui garantissaient la création et la diffusion ?
Sommes-nous financièrement autonomes quand nous ne récoltons des flux qui traversent notre région que le bruit et les pollutions d'une irresponsable politique routière qui finira par fragiliser le secteur ferroviaire, secteur que nous avons soutenu en pionnier ?
Sommes-nous financièrement autonomes quand des choix originaux, comme les économies d'énergie ou les dispositifs d'économie solidaire, sont mal cofinancés, objets de toutes les tracasseries administratives, alors que ces pistes sont précisément porteuses d'emplois non délocalisables, de coûts réduits dans la durée, d'absence de séquelles environnementales et sociales, bref porteuses d'autonomie ?
Sommes-nous dans un climat de confiance quand l'Etat profite des aides européennes pour réduire ou supprimer son cofinancement, bafouant ainsi les règles de l'additionnalité ?
Peut-on parler d'autonomie financière quand on appelle les collectivités à la responsabilité ici, mais que l'on accepte en même temps à Bruxelles de fragiliser les services publics ou au sein de l'OMC de libéraliser tous les échanges ?
Mon regard est pragmatique : j'ai vu le maïs remplacer et détruire le bocage dans le Nord, parce que la France a ratifié une PAC productiviste ; j'ai vu les déménagements d'entreprises et les licenciements, parce que l'Etat se pliait à l'OMC ; j'ai vu la colère des gens privés de perspectives pour eux, pour leurs enfants, se tournant vers les élus locaux, démunis.
La liberté de faire sans moyens dans un monde sans règles ni solidarité est meurtrière. Alors ne reproduisez pas, entre les collectivités, la mise en concurrence sans garantir aux citoyens les mêmes accès aux services publics et aux politiques publiques.
L'autonomie financière des collectivités ne peut se payer avec des mots ou des promesses.
Le pouvoir de faire passe par l'aide à la levée des handicaps, j'y reviendrai avec un amendement-test sur l'injustice des contaminations.
Il passe par la solidarité. Sans péréquation, l'autonomie n'existera que pour quelques privilégiés.
Il passe par la responsabilité de l'Etat qui décide de notre sort tant par les décisions prises avec son accord à l'échelon international que par les lois aux impacts locaux décisifs dont il prend l'initiative.
Il passe par la méthode, il ne s'octroie pas, il se partage, il se débat. Nous serons attentifs à l'écoute dont vous ferez preuve lors de l'examen de nos amendements.
En attendant, ce texte doit être considéré comme dangereux à cause de son contraste saisissant, contraste entre l'ambition du titre, « l'autonomie financière », et la vacuité du contenu, pauvre paraphrase de la loi constitutionnelle appuyée sur d'hypothétiques ratios virtuels. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux pas oublier qu'il y a près de vingt-six ans je franchissais, pour la première fois, le seuil de cet hémicycle...
M. Louis de Broissia. Cela s'arrose !
M. Paul Girod. ...et que peu après je me trouvais plonger dans un débat sur ce qu'on allait appeler ultérieurement la décentralisation.
A l'époque, nous débattions de la dotation globale de fonctionnement, de la globalisation des emprunts et de la liberté de fixation des taux, c'est-à-dire de la transformation des impôts de répartition en impôts de quotité. On a ainsi pu commencer à parler de changements dans la gestion des collectivités territoriales.
Ces réformes majeures sont les fondements financiers des textes dont nous discutons aujourd'hui.
Pour être tout à fait franc, j'ai le sentiment que, depuis cette époque, la République hésite entre deux thèses aussi valables l'une que l'autre : celle de l'augmentation des responsabilités des collectivités territoriales, c'était d'ailleurs l'intitulé du texte proposé par le gouvernement de M. Barre et soutenu par M. Bonnet devant nous ; et celle des droits et libertés des collectivités territoriales, qui a prévalu après 1981.
Mais, entre ces deux options, celle d'une responsabilité plus ou moins encadrée et celle de droits et de libertés librement assumés, la République n'a jamais vraiment tranché. Elle passe son temps à faire des allers-retours.
Quand j'entends parler d'impôts partagés, je ne peux que me rappeler la thèse de départ de la DGF, qui était un impôt partagé. On prenait une part de la TVA et on la partageait avec une forte idée de péréquation. L'idée n'est plus la même dans la mesure où l'évolution de la DGF s'est faite au profit d'une idée de récompense à la politique acceptée par les collectivités territoriales, encouragée par l'Etat, peut-être à bon escient d'ailleurs.
Quand on voit l'utilité de la coopération intercommunale, de la taxe professionnelle unique, la TPU, on peut se dire que cette thèse avait sa valeur, mais ce n'était pas tout à fait la thèse de départ. Là encore, on a hésité, on a évolué.
Peut-être avons-nous, avec stupéfaction, vu, au nom de ces idées de décentralisation, arriver « au profit » des collectivités territoriales, un certain nombre de cadeaux, qui ont laissé dans les esprits de leurs responsables quelques traces de perplexité. Je pense à l'allocation personnalisée d'autonomie, à la prestation spécifique dépendance, au service départemental d'incendie et de secours, au développement non compensé. Tout cela a créé une atmosphère dont aujourd'hui les fruits ne sont pas tous bons à déguster. Le plat est amer.
La réponse qui nous a tous intéressés fut celle de la réforme constitutionnelle, qui tendait à empêcher, pour l'avenir, un certain nombre d'erreurs que nous avions connues dans le passé, à savoir la suppression de quelques impôts, la restriction de la liberté des collectivités territoriales qui allait de pair et les cadeaux dont je viens de parler.
Nous avions à nouveau penché, au moment de la réforme constitutionnelle, vers la thèse de la liberté. Y avait-il une part d'illusion ? Ce n'est pas impossible pour les raisons suivantes. Nous pensions aller vers une période de gestion des finances publiques plus facile, nous espérions une croissance que nous n'avons peut-être pas eue. En même temps que nous lancions une grande idée, nous n'avons pas assez puisé dans notre imagination.
Notre ami Yves Fréville, il y a quelques instants, traçait quelques pistes sur la question : centimes additionnels, CSG, etc. Ce sont peut-être des idées que nous n'avons pas assez fouillées au moment où nous avons lancé l'idée de liberté lors de la réforme constitutionnelle de l'article 72-2.
Alors que nous abordons la concrétisation de tout cela, nous pourrions peut-être revenir tout simplement à notre devise républicaine : « Liberté, Egalité, Fraternité ».
La liberté, c'est la capacité de prendre ses responsabilités. En cette matière, l'Assemblée nationale a été, semble-t-il, courte en imagination. D'une certaine manière, la thèse de nos deux commissions essaie de remettre les pendules à l'heure, en disant qu'il faut faire attention, car la liberté c'est la responsabilité et la responsabilité c'est la liberté, donc la capacité de s'expliquer sur les décisions que l'on prend. De ce point de vue, les suggestions de nos commissions me semblent bienvenues.
L'égalité et la fraternité, c'est la péréquation. Cela est-il possible si nous avons une vue trop étroite de la liberté ? Je ne le pense pas et, sans aller jusqu'à adopter les yeux fermés la clause des 33 %, nous allons sans doute nous interroger sur la stabilisation de l'existant et sur une évolution plus prudente de la notion de liberté face à la notion d'égalité et de fraternité. C'est pourquoi j'aurais tendance à penser qu'il y a sans doute un moyen terme à trouver et que nous avons essayé d'imaginer avec mon collègue Yves Fréville.
Mme Nicole Borvo. Un juste milieu !
M. Paul Girod. Est-ce la bonne solution ? Je n'en sais rien. Mais il est impossible que, lors du débat actuel, nous fassions l'impasse sur cette dualité péréquation-liberté.
La liberté, c'est bien ! Mais, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, si la liberté consiste à considérer qu'une ressource devient propre parce que la collectivité territoriale a son mot à dire sur son assiette et si nous regardons l'histoire de nos rapports avec l'assiette, en tant qu'ancien et actuel responsable de collectivité territoriale, je m'interroge. Nos rapports avec l'assiette sont des rapports à la baisse et non des rapports à la liberté. Alors si une ressource devient propre parce qu'on a le droit de la baisser, cette vue me semble être limitée vis-à-vis de la notion de liberté.
Le seuil de 33 %, est probablement excessif, mais je viens d'en parler en évoquant les relations entre la liberté, l'égalité et la fraternité.
Mes chers collègues, nous sommes en présence d'un texte à propos duquel il ne faut pas se tromper. C'est un texte difficile devant lequel il ne faut pas fuir nos responsabilités parce qu'il nous faut trancher, j'allais presque dire, au tiers du chemin,
Mme Nicole Borvo. C'est sûr !
M. Paul Girod. ...vers une réforme globale des finances des collectivités territoriales qui comprendra aussi bien une réforme qui vient de la DGF et à propos de laquelle un certain nombre d'idées sont actuellement énoncées sur les capacités financières et non plus simplement sur le potentiel fiscal des collectivités territoriales, qu'une réforme de nos impôts locaux dont les bases, nous le savons tous, même si l'on nous donne un peu de liberté sur l'assiette, mais pas dans le bon sens, sont obsolètes et la philosophie ancienne.
Il faut franchir une étape. Je pense que les suggestions de nos commissions vont aider le Parlement et le Gouvernement à avancer dans le sens de la conjonction difficile entre liberté, responsabilité et fraternité. Je pense également que le débat qui s'ouvre ressurgira à un moment ou à un autre.
Ce qui a présidé à notre débat constitutionnel reste extrêmement important : on ne pourra pas faire demain sans les collectivités territoriales comme on l'a fait hier, parce que, en définitive, c'est l'adhésion de notre population à l'idée même de République qui passe par son adhésion à la gestion de ce qu'elle connaît le mieux, la collectivité locale avec laquelle elle est en contact permanent. C'est donc une mission essentielle : elle incombe au Parlement, elle incombe au Gouvernement, cela veut dire qu'elle incombe à la nation.
Je pense qu'ensemble nous essaierons d'avancer sur un dossier difficile, mais essentiel. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia.
M. Louis de Broissia. Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce soir, le Sénat est dans son exercice naturel, celui de gardien de l'équilibre de la République décentralisée chère à notre coeur, mais aussi, et nous l'avons tous exprimé, de l'équilibre financier de nos institutions décentralisées.
Il est important de le rappeler, mes chers collègues, l'initiative de tout cela revient à notre assemblée. Par le vote d'une loi importante et opportune, la modification constitutionnelle, voulue par le président Christian Poncelet, soutenue et encouragée par le Président de la République, par le Gouvernement et par les associations d'élus, a permis d'inscrire dans notre loi fondamentale la garantie des ressources correspondant à des compétences transférées. Cette avancée majeure que tous les élus locaux attendaient depuis maintenant des siècles, c'est le fameux article 72-2 de la Constitution.
Je ne suis pas un orfèvre de la commission des lois ni de la commission des finances. Mais nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à être aussi des élus de base et, quelles que soient d'ailleurs les travées sur lesquelles nous siégeons, nous encourageons le Gouvernement, monsieur le ministre, à donner des signes forts et clairs, afin de se rendre crédible avant même d'engager l'acte II de la décentralisation. C'est un choix voulu par le Premier ministre. C'est donc une oeuvre pie, une oeuvre nécessaire, mais pas suffisante, et nous aurons l'occasion de le redire.
Je ne reviendrai pas aux temps héroïques de 1982 et des premières lois de décentralisation. Même si j'étais jeune à l'époque, je n'omettrai pas 1969, année au cours de laquelle un précurseur de la décentralisation, le général de Gaulle, a proposé une vraie décentralisation, refusée par le peuple français, ce qui l'a contraint à se retirer dans sa campagne de la HauteMarne.
En tout état de cause, le mouvement de décentralisation est amorcé maintenant depuis 1982. A cette époque, mes chers collègues, je ne siégeais dans aucune assemblée. Les verrous financiers n'existaient pas, l'enthousiasme et la confiance étaient les notions qui l'emportaient. Si l'on avait prévu des verrous financiers, peut-être n'aurait-on pas été aussi loin. Certains le regrettent d'ailleurs sans doute aujourd'hui.
Au risque de ne pas partager tous les points de vue exprimés à gauche comme au centre cet après-midi, j'aimerais aussi rappeler que certains impôts ont été supprimés, car j'entendais dire tout à l'heure qu'il n'existait pas de nouvelles formes d'impôt.
Personnellement, j'ai vécu très agréablement, en tant que propriétaire d'un véhicule automobile, la période de la « vignette », la taxe différentielle sur les véhicules à moteur. C'était un impôt modulable, affecté, d'abord aux personnes âgées selon le voeu de Paul Ramadier, puis à l'entretien de nos routes départementales. Cet impôt fut supprimé par une décision souveraine d'un gouvernement souverain, avec évidemment, à la clef, un traumatisme des élus territoriaux qu'il faut mesurer. Mes chers collègues, ce traumatisme s'explique très bien, puisque fut brutalement retiré un impôt qui avait l'avantage, ou peut-être l'inconvénient, d'être vertueux.
Ainsi, la Marne avait décidé, comme on dit, de faire du dumping et d'être un département attractif en fixant des montants très faibles pour la vignette. D'autres départements tels que la Corse, suite à un libre choix de l'assemblée territoriale, avaient décidé de fixer des montants élevés. Que devinez-vous qu'il arrivât ? Ce fut le vertueux qui fut puni ! En effet, le département qui pratiquait l'impôt le plus élevé était remboursé sur la base la plus élevée et celui qui avait la vignette la plus attractive, car la plus basse, était remboursé sur le tarif le plus bas. Puisqu'il s'agit du débat d'aujourd'hui, cherchez, mes chers collègues, l'encouragement à l'autonomie financière !
A cet égard, cher collègue Yves Fréville, pour faire suite à vos propos que j'ai écoutés avec beaucoup d'intérêt tout à l'heure, que dire, dans ces cas-là, aux citoyens contribuables ? Le département qui a assumé un impôt modéré prend effectivement le risque, avec une espèce de « rafle fiscale », car c'est bien l'expression qui convient, d'être puni pour sa vertu ou d'être encouragé à augmenter les impôts.
Le principe fixé par le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales est un principe louable, car il corrige des « déviances » antérieures graves ; le mot « déviances » me semble d'ailleurs tout à fait adapté en l'espèce.
Lors de la réunion des représentants des cent deux départements de France, nous avons été un certain nombre, toutes tendances politiques confondues, à le dire très clairement au Premier ministre : pour être crédible dans la durée, le présent projet de loi organique ne sera pas suffisant, et il faudra permettre de compenser très vite, c'est-à-dire dans les lois de finances à venir, le « solde du passé ».
En ce qui concerne la RTT, la réduction du temps de travail, on peut considérer que la question de son financement est close. La Haute Assemblée a beaucoup travaillé à l'époque sur le FOREC, le Fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, qui avait prévu des « canalisations » dans tous les sens, mais aucune pour les collectivités locales.
Une telle situation est regrettable, les contribuables locaux ayant dû payer, par leurs impôts locaux, ce qu'un système, pourtant déjà compliqué à comprendre, n'a pas pu financer. La RTT a été financée pour les entreprises, mais pas pour les collectivités territoriales, dont certaines sont des gros employeurs de main-d'oeuvre.
Considérons donc que le « solde du passé » est déjà enregistré. Pour le département de la Côte-d'Or, cela a entraîné, au niveau des impôts locaux, une augmentation définitive, ou « récurrente » pour employer un langage moderne, de l'ordre de 5 % à 6 %.
Le « solde du passé » concerne également l'affectation du financement des services départementaux d'incendie et de secours, mais nous en avons déjà beaucoup parlé.
En outre, le lancement vertueux de l'allocation personnalisée d'autonomie, sans ressource affectée, incite effectivement nos collègues de l'opposition, avec beaucoup d'intelligence et sans doute avec certains échos dans l'opinion, ce que je souhaite d'ailleurs, à plaider ce soir contre l'insuffisance des moyens. Ceux-ci soulignent la disparité entre collectivités, dissèquent l'aspect « péréquateur » et évoquent l'évolution des dotations. Leurs réactions sont d'autant plus légitimes qu'elles sont tardives !
M. Gérard Delfau. Pas toutes !
M. Louis de Broissia. Au demeurant, la constance que l'on peut avoir ici, à cette tribune, est de reconnaître les mérites des uns et des autres.
L'opposition fait son travail d'opposition, même si elle a des remords, des états d'âme, voire des repentances...
M. Paul Raoult. Rappelez-vous comment vous avez voté en 1981 ! Vous avez des remords aujourd'hui d'avoir voté contre les lois de décentralisation !
M. Louis de Broissia. Pour la majorité, monsieur le ministre, ce qui comptera, ce seront les preuves de l'amour qui marquent la vie des couples. On parle beaucoup du couple Etat-région, du couple département-commune. Ce sont ces deux couples qui vont, me semble-t-il, réussir la décentralisation.
A cet égard, il existe de nombreuses pistes à rechercher, que je vais résumer, car mes collègues m'en ont suggéré un grand nombre.
Tout d'abord, il y a évidemment la piste légitime concernant la péréquation. Comme le disait mon collègue de la Haute-Marne, je vous invite à étudier la péréquation adoptée pour le lancement des communautés d'agglomération, des communautés de communes ou des communautés urbaines : s'agit-il d'une péréquation d'émulation ou d'une péréquation de stabilisation ?
Le gouvernement précédent a décidé de lancer une dotation globale forte pour les agglomérations et beaucoup plus faible pour les communautés de communes rurales. Il faudra y revenir, car toute péréquation n'est pas gravée dans le marbre.
M. Gérard Delfau. Tout à fait !
M. Louis de Broissia. Nous y serons évidemment très attentifs.
La deuxième piste possible, que j'ai évoquée avec le Premier ministre, concerne les normes. Méfions-nous, puisque nous sommes législateurs, des normes très coûteuses et qui contribuent à démolir l'autonomie financière. Dès qu'une norme est dangereuse, j'entends dire qu'elle vient de l'Europe. Sur ce point, je citerai en effet les normes concernant les strapontins ou la ceinture obligatoire dans les cars scolaires. (Sourires.)
Voyez-vous, ce n'est pas compliqué : pour la vingtaine de départements vertueux qui ont décidé, par principe d'autonomie financière, de proposer un transport gratuit, cela augmente la charge de 20 % à 30 % tous les ans. Où est l'autonomie financière, s'il n'y a pas un contrôle demandé au Premier ministre et effectué par un comité d'évaluation et de suivi des normes permanent ? En effet, l'autonomie financière est assurée, non pas seulement par les textes de loi, mais par l'observation stricte des normes.
En outre, la piste sur la réforme fiscale a été évoquée avec beaucoup d'intelligence par nombre de mes prédécesseurs à cette tribune. Pour ma part, monsieur le ministre, je préfère l'impôt d'usage à l'impôt global.
Du temps de la vignette automobile, l'automobiliste était conscient qu'il paierait cher s'il possédait une Jaguar et moins cher s'il possédait une Clio, et même pratiquement rien si la Clio était très vieille ! C'était un impôt d'usage intelligent.
Au demeurant, je sais que les impôts d'usage n'ont pas bonne presse. Certains veulent supprimer la redevance audiovisuelle, alors qu'elle permet de financer l'audiovisuel public. Par ailleurs, en tant que gestionnaires de collectivités locales, nous percevons des redevances sur les ordures ménagères qui passent très bien dans l'opinion, car nous expliquons à nos concitoyens les raisons pour lesquelles nous prélevons ce type de redevances. Dans cette optique, je serais personnellement favorable à ce qu'une réforme fiscale permette en particulier à ceux qui adoptent un système d'assurance de savoir que la présence des pompiers leur sera garantie.
Jean-Paul Emin a également évoqué la piste concernant la recherche d'une meilleure gestion. Mes chers collègues, l'autonomie, c'est la recherche d'une responsabilité plus visible sur le terrain, c'est la recherche de l'efficacité dans l'action publique. Tel doit être notre objectif.
Pour conclure, ce projet de loi organique n'est pas une fin en soi. Il constitue une marche nécessaire vers la « confiance retrouvée », comme j'ai cru entendre Mme Blandin le dire. Le peuple des élus locaux est devenu extrêmement méfiant, et nous le comprenons fort bien. Il a été soumis à tant de douches écossaises au fil des ans. Il nous jugera, non pas sur ce projet de loi organique, mais sur l'ensemble des textes que nous voterons ensuite. Monsieur le ministre, j'espère que nous prenons ce soir avec vous le bon cap. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un grand honneur de m'exprimer devant vous ce soir à l'occasion de la discussion d'un projet de loi organique, texte important s'il en est.
J'ai écouté très attentivement les différents orateurs depuis le début de l'après-midi. J'ai assisté à une discussion générale passionnante. Bien qu'il soit un peu tard, mais votre présence assez nombreuse me laisse à penser que le sujet dont nous débattons préoccupe la Haute Assemblée, je souhaite consacrer un peu de temps pour répondre à chacun et à chacune d'entre vous.
Je voudrais tout d'abord remercier MM. les rapporteurs, Daniel Hoeffel, pour la commission des lois, et Michel Mercier, pour la commission des finances, qui ont réalisé un travail important sur ce texte, et leurs rapports ont été un élément précieux dans la qualité de notre réflexion commune.
Avec Dominique de Villepin, nous avons la volonté de vous présenter, à travers ce texte, des éléments essentiels pour ce qui concerne notre droit et l'avenir des relations entre l'Etat et les collectivités locales.
Nous l'avons dit à plusieurs reprises, le présent projet de loi organique a pour ambition de rompre avec des pratiques passées peu transparentes, peu loyales, qui ont mis à mal l'autonomie des collectivités territoriales et qui ont surtout créé une relation de défiance entre ces collectivités et l'Etat.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en vous écoutant les uns et les autres tout au long de cette discussion générale, c'est sans doute là que j'ai mesuré l'une des principales difficultés de ce texte. En réalité, ce que certains ont exprimé, avec des termes plus ou moins « feutrés » selon les cas, cela revient finalement à dire : « Ah quoi bon ? Nous, sénateurs, représentants s'il en est des élus locaux de ce pays, nous ne vous croyons plus. Ce n'est pas vous qui êtes en cause, c'est tout ce qui s'est passé avant. Au fil des années, nous avons vu des choses qui ne correspondaient pas à des relations transparentes, claires et loyales. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux vous dire que, si le Gouvernement ne devait avoir qu'un seul objectif avec ce texte, c'est de vous proposer pour l'avenir, à travers l'édifice constitutionnel mis en place, une véritable garantie, un cadre loyal pour les relations financières entre l'Etat et les collectivités locales.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est raté !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Tout l'objet de mon propos ce soir est de commencer à vous le démontrer, sachant naturellement que nous reviendrons sur les différents points tout au long de la discussion des articles.
Ce projet de loi organique doit nous permettre de continuer, dans un climat de confiance absolument vital, le chantier de la décentralisation que nous avons ouvert ensemble depuis deux ans.
De ce point de vue, je me réjouis de la qualité de ce débat parce qu'il y avait de la sincérité dans les propos qui ont été exprimés. Cela illustre une nouvelle fois, s'il en était besoin, le rôle spécifique que joue le Sénat dans nos institutions pour la défense et la préservation des intérêts des collectivités locales. Ne connaissant pas la langue de bois, je répondrai très précisément, mesdames, messieurs les sénateurs, aux questions que vous avez soulevées.
Sans détour, j'axerai, d'abord, mon propos sur le point essentiel des préoccupations que vous avez exprimées. Un partage d'impôt national sans vote de taux ni possibilité de modulation de l'assiette par les collectivités locales est-il ou non une ressource propre au sens de l'article 72-2 de la Constitution ?
Cette question, messieurs les rapporteurs, est au coeur de vos réflexions et de celles de vos commissions. Elle a été soulevée sur toutes les travées de cette assemblée. Mon devoir est de vous apporter des réponses très claires et précises, car cette question est capitale et, à mon sens, elle détermine la qualité de nos débats futurs sur la décentralisation.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Elle est même « déterminante » ! (Sourires.)
M. Robert Bret. Prépondérante !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. D'abord, de quoi parlons-nous ? Nous parlons d'une loi organique qui vise à mettre en oeuvre une avancée historique dans l'histoire des relations financières entre l'Etat et les collectivités locales, qui vise à définir le contenu d'une notion désormais constitutionnelle qu'est l'autonomie financière, et qui a pour objectif de mettre en place un verrou pour que, à l'avenir, plus personne ne puisse supprimer des pans entiers de la fiscalité locale d'un simple trait de plume.
Ainsi, la feuille de route qui est dévolue à ce projet de loi organique ne s'étend pas sur un champ illimité. J'ai entendu ici et là certains s'interroger sur les raisons pour lesquelles ce projet de loi organique ne répondait pas à telle ou telle question relative, par exemple, à la péréquation. C'est tout simplement parce que cette feuille de route est précisément circonscrite à l'application de l'alinéa 3 de l'article 72-2 de la Constitution. Rien de plus, rien de moins. Mais ce qui sera décidé sera déterminant pour l'application de la décentralisation dans l'avenir. Il n'est donc pas inutile d'y consacrer un peu de temps ce soir et dans les jours qui viennent.
Je veux le dire ici clairement : aucun gouvernement, à ma connaissance, ne s'est engagé avec autant de détermination dans une démarche de transparence et de loyauté aussi totale à l'égard des collectivité territoriales françaises. Je le dis avec le plus grand respect pour ce qui a été accompli voilà une vingtaine d'années, sur l'initiative de Pierre Mauroy, lors du premier mouvement de décentralisation.
A cette époque, nous n'avions pas le même recul. Ce soir, nous nous posons des questions à la lumière des expériences que nous avons vécues, en qualité d'élus locaux, durant ces vingt années de décentralisation.
Je veux également dire ici, sans ambiguïté, que la définition des ressources propres prévue dans le projet du Gouvernement inclut des impositions de toutes natures, donc des impositions dont les collectivités ne fixent pas nécessairement le taux ou l'assiette.
En cela, j'ai la conviction que cette définition est conforme à l'esprit de la Constitution.
M. Jean-Pierre Sueur. Au moins, c'est clair !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je veux ici déployer toute l'énergie dont je suis capable pour en convaincre votre assemblée, car ce point est absolument essentiel.
Contrairement à ce qui a pu être dit ou écrit ici ou là ces dernières semaines, la Constitution ne restreint pas la notion de « produit d'imposition de toutes natures » aux seules ressources dont le taux ou l'assiette sont fixés par les collectivités. C'est sans doute d'ailleurs, monsieur le rapporteur, l'une des différences majeures avec la proposition de loi constitutionnelle, déjà si en avance sur son temps, présentée par M. Christian Poncelet en 2000.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Nous sommes toujours en avance !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. En effet, le deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution est sans équivoque sur ce point. Il s'agit d'un élément très important sur lequel je me permets d'insister.
Cet alinéa indique que les collectivités « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans des limites qu'elle détermine ».
Voilà : tout est dit et tout est là. Il n'y a pas d'obligation constitutionnelle à ce que les collectivités locales fixent le taux de leurs recettes fiscales pour que ces dernières soient des ressources propres.
Cette lecture a d'ailleurs été confirmée par le Conseil d'Etat lorsqu'il a examiné le projet de loi organique.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n'est pas sûr !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Vous imaginez bien que, sur des sujets aussi sensibles, l'avis du Conseil d'Etat revêt une importance toute particulière. Si, lorsqu'il a examiné le projet de loi organique il avait alerté le Gouvernement, nous en aurions bien évidemment tenu le plus grand compte.
De plus, vous le savez, un partage d'impôt national, même sans vote de taux, constitue de vraies ressources, évolutives, dynamiques, qui se distinguent par leur nature des dotations.
Cette différence a d'ailleurs été soulignée avec beaucoup de précision par M. Hoeffel dans le rapport duquel il est indiqué : « Il est vrai que de telles recettes ne sauraient être assimilées à des dotations de l'Etat [...] alors que la modification des modalités de calcul peut permettre à l'Etat d'alléger sa charge financière en diminuant le montant des sommes versées aux collectivités territoriales, toute modification de l'assiette ou du taux d'un impôt partagé entraînerait une diminution de ses propres recettes. »
C'est en effet, mesdames, messieurs les sénateurs, une garantie supplémentaire qui a été soulignée par M. le rapporteur : l'Etat n'a aucun intérêt à modifier à la baisse, sans concertation, le taux des impôts qu'il partagera à l'avenir avec les collectivités.
J'ajoute qu'il existe une autre garantie que le Sénat ne saurait oublier. L'article 34 de la Constitution donne au Parlement le pouvoir de voter le taux et l'assiette des impôts nationaux. Cela concerne aussi les impôts qui seront partagés entre l'Etat et les collectivités territoriales.
En résumé, la lecture de l'article 72-2 de la Constitution est claire : les impôts partagés avec les collectivités sont des ressources propres.
De plus, le Gouvernement ne peut pas agir sur le taux de ces impôts sans le Parlement. Il est difficile de donner une plus grande garantie aux collectivités territoriales. Voilà pour les arguments de droit ; ils me paraissent extrêmement solides.
Je veux maintenant vous emmener avec moi sur un autre argument, non pas de droit, mais de fait, lié à l'application de ce que l'on pourrait appeler, avec un sourire, le principe de réalité.
Réfléchissons ensemble un instant, mesdames, messieurs les sénateurs, à ce qui se passera concrètement si la définition proposée par le Gouvernement n'est pas retenue.
Sur ce sujet, nous sommes à la croisée des chemins. Sur toutes les travées de cet hémicycle siègent des parlementaires engagés dans le mouvement de décentralisation. J'ai eu l'occasion de les rencontrer durant ces dernières années dans des colloques, dans des réunions de travail, dans des groupes de réflexion sur l'avenir de la décentralisation. Chacun exprimait ses regrets sur les blocages, les avancées trop lentes, les ambiguïtés, bref, sur tout ce qui faisait que l'on ne parvenait pas à passer à la vitesse supérieure.
Sur tous ces sujets, nous avons évoqué des arguments de fait. Je vous invite à réfléchir à ce qu'il adviendrait si la définition proposée par le Gouvernement n'était pas retenue.
Oublions un instant les divergences politiques qui nous opposent et faisons, de manière aussi objective que possible, preuve de bon sens et d'esprit de responsabilité.
D'abord, il y a l'Europe. Nous sommes tous des Européens convaincus. Nous savons tous que la Commission, à la demande des Etats membres, s'est engagée dans un important travail - que nous approuvons - d'harmonisation des taux de fiscalité. Admettons, même discrètement, que c'est un peu contradictoire avec une modulation systématique au niveau des collectivités locales.
Et puis, il y a la situation du paysage fiscal français. Nous avons trois jours de débat. Cela nous donne suffisamment de temps pour réfléchir ensemble à la liste des impôts d'Etat qui pourraient être transférés avec possibilité de vote de taux.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cela ira très vite. La liste est courte : la TIPP pour les régions, la taxe sur les assurances pour les départements. Et après ? Je n'en ai pas trouvé beaucoup d'autres !
En résumé, si l'on n'accepte pas que le transfert d'un impôt sans pouvoir de fixer les taux soit une ressource propre, cela veut dire que l'on se condamne à ne plus avoir de marge de manoeuvre financière et à avoir de grandes difficultés pour que nos successeurs, quelle que soit leur sensibilité, puissent proposer de nouvelles étapes dans la décentralisation.
Je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des autres points que nous serons amenés à traiter, à réfléchir ce soir et demain à cette question essentielle. Un argument de droit, un argument de fait : deux éléments qui me paraissent essentiels si l'on veut regarder vers l'avenir tout en gardant présentes à l'esprit les difficultés que nous avons connues dans le passé pour établir des relations de confiance entre l'Etat et les collectivités locales.
J'ai bien compris, notamment en vous écoutant, messieurs les rapporteurs, que le Sénat a conscience de cette dernière difficulté. C'est sans doute la raison pour laquelle vous proposez d'abandonner la référence à l'année 2003 pour fixer le taux d'autonomie en dessous duquel il ne sera pas possible de descendre. Je rends hommage, messieurs les rapporteurs, au-delà de votre grande compétence, à votre remarquable habileté.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Et à notre cohérence !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Les deux rapporteurs proposent de fixer le taux d'autonomie financière uniforme à 33 %. Je comprends bien leur motivation - louable, je l'ai dit tout à l'heure - liée au constat d'une impossibilité de maintenir le taux de 2003 si on retient leur définition des ressources propres. Vous touchez là, en effet, monsieur Mercier, le point absolu du principe de cohérence !
Mais je ne peux pas adhérer avec enthousiasme à cette proposition. Pour être tout à fait honnête, je ne peux pas y adhérer du tout. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. C'est encore pire !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je ne peux pas y adhérer, car elle revient à faire avaliser l'idée que seuls les impôts dont les collectivités fixent le taux sont des ressources propres. Or, j'ai expliqué tout à l'heure pourquoi je ne partageais pas cette analyse. Si vous n'êtes pas convaincus, je suis prêt à recommencer.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Demain !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je ne peux pas y adhérer non plus parce que fixer un taux unique revient forcément à fixer un taux beaucoup plus bas que celui de 2003. Dominique de Villepin l'a d'ailleurs évoqué dans son intervention, au début de ce débat. C'est notamment vrai pour les communes et pour les départements.
Nous avons fait procéder à une estimation qui recoupe globalement celle qui a été réalisée par la commission des finances de l'Assemblée nationale, mais également la vôtre, messieurs les rapporteurs.
Le taux qui sera constaté en 2003 sera de l'ordre de 53 % pour les communes et pour les groupements, de 51 % pour les départements et de 35 % pour les régions. Or, comme je vous l'ai dit en toute franchise tout à l'heure, nous devrons à l'avenir transférer des impôts sans pouvoir de taux aux collectivités territoriales pour compenser les transferts de compétences, à l'euro près. C'est essentiel.
Autant dire que les taux de 2003 ne pourront être garantis durablement par le Gouvernement si nous adoptons ce nouveau système.
Je ne peux enfin adhérer à votre proposition, messieurs les rapporteurs. Car, même si elle est fondée sur de bons sentiments - et on sait que vous en avez, monsieur le rapporteur pour avis (M. le rapporteur pour avis sourit.) - je crains qu'elle ne porte en fait atteinte à l'autonomie financière des collectivités territoriales en fixant ce taux de manière uniforme.
Comment garantir, en effet, aux collectivités que de futurs gouvernements ne céderont pas à la tentation de supprimer de la fiscalité locale qu'elles perçoivent actuellement. Pour les communes et pour les départements, la marge de manoeuvre est très grande entre 33 % et 50 %, cela ne vous a pas échappé. En d'autres termes, cette solution me semble aboutir à un résultat inverse de celui que nous recherchions ensemble avec la modification de la Constitution.
J'ajoute, et ce n'est pas de l'acharnement, que fixer un taux unique pour les trois grandes catégories de collectivités présenterait de nombreux autres inconvénients que les élus locaux ne manqueraient pas de souligner à juste titre.
En effet, on ne tiendrait compte ni de l'hétérogénéité actuelle des niveaux d'autonomie financière des catégories de collectivités locales, ni des types de compétences exercées par chacune de ces collectivités - qu'y a-t-il de commun entre la structure d'un budget communal et celle d'un budget régional ? - ni du fait que chaque niveau de collectivité supporte des charges de natures différentes, avec des structures budgétaires différentes.
C'est pour toutes ces raisons que le projet du Gouvernement me semble plus protecteur des collectivités territoriales et que je propose de retenir comme seuil plancher de l'autonomie financière l'année 2003 avec la définition des ressources propres incluant les partages d'impôts entre l'Etat et les collectivités locales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous constatons, à travers ce débat et les réflexions passionnantes qui sont les nôtres ce soir, qu'il nous faut trancher cette question difficile. Il n'est pas de solution pure et parfaite. Sinon nous n'aurions pas attendu l'année 2004 pour en parler. Il y a bien longtemps que l'on aurait trouvé des solutions et que mes illustres prédécesseurs auraient fait probablement avancer le débat plus vite.
Si le sujet est complexe, c'est bien parce que nous sommes obligés d'arbitrer entre différentes difficultés et, il faut bien le dire, de choisir entre plusieurs inconvénients.
Je considère que le seuil plancher que nous vous proposons de retenir, celui de l'année 2003, même s'il peut faire l'objet de débats, a l'avantage de rassembler des critères essentiels et est à l'évidence l'une des avancées les plus significatives de cette réforme constitutionnelle.
Elle donne un contenu très concret à la notion d'autonomie financière et, je veux le dire ici, cette étape majeure de la loi organique, une fois franchie, donnera tout son sens au travail que nous allons accomplir ensemble pour aborder la deuxième lecture du projet de loi de décentralisation, que le Gouvernement souhaite faire examiner par le Sénat dès que possible et, en tout état de cause, avant la fin de l'été... avant l'été. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Avant l'été ou avant la fin de l'été ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je vous laisse, pour cette soirée, réfléchir à la manière d'interpréter tout cela. (Nouveaux sourires.). Pour ce qui me concerne, après deux années passées en tant que porte-parole du Gouvernement, je commence à me rôder aux formulations qu'il convient d'utiliser. En tout cas, je souhaite, au nom du Gouvernement, que ce débat puisse se tenir en prenant le temps nécessaire à la réflexion, à l'écoute et à la discussion, mais aussi à la mise en oeuvre, de manière que tout soit applicable à compter du 1er janvier 2005.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur Mercier, vous avez proposé de chercher l'intention du constituant et en même temps l'effet utile du projet de loi organique. J'ai bien aimé cette formule d'effet utile.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. C'est une vieille formule !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Si l'on vous suivait, monsieur Mercier, mais que le juge constitutionnel vous donne tort, l'effet utile recherché serait alors réduit à néant.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Non !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Mais je vous sais très sensible à cette question et je suis persuadé qu'ensemble nous allons faire progresser ce débat. Je sais également combien M. Hoeffel est, lui aussi, attaché à ces questions difficiles.
M. Jean François-Poncet a posé trois questions qui sont bien sûr principalement inspirées par un souci que nous lui connaissons bien, la péréquation.
D'abord, monsieur le sénateur, concilier autonomie financière et péréquation n'a rien d'impossible. Nous avons vocation à trouver un juste équilibre, et il est vrai que c'est à travers les dotations que ce travail de péréquation va se faire. Nous aurons bien entendu l'occasion d'en débattre.
Ensuite, la compensation des charges transférées est désormais un principe constitutionnel. C'est là un élément majeur de garantie et de loyauté de l'Etat vis-à-vis des collectivités locales, et Dieu sait si, dans ce domaine, toutes tendances confondues, nous avions besoin d'être rassurés face à la capacité que pouvait avoir l'Etat, avant la révision constitutionnelle, de modifier quelque peu de manière unilatérale les règles du jeu.
Enfin, les critères de charges généraux peuvent être utilisés pour la répartition de la DGF, de façon à prendre en compte les situations particulières, notamment, bien sûr, dans les départements ruraux, mais aussi dans les départements urbains.
Monsieur Thierry Foucaud, vous avez soulevé de multiples questions, dont certaines, il faut bien le dire, étaient un peu éloignées de la loi organique.
Mme Nicole Borvo. Oh non !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je tiens à vous dire, monsieur le sénateur, que, tout autant que vous, nous avons le souci de l'écoute, du dialogue pour répondre aux attentes des élus et des populations. J'ai été un peu choqué par votre volonté d'opposer, d'un côté les gentils qui savent écouter et, de l'autre les méchants qui n'écoutent personne. La démocratie est suffisamment riche et diversifiée pour que l'on puisse, chacun, avoir sa part de vérité et pour pouvoir l'exprimer dans le respect de celle des autres.
Monsieur Vallet, je vous ai trouvé un peu excessif lorsque vous avez attribué au Gouvernement, à ce Gouvernement, la responsabilité d'avoir fait de notre pays un « Etat unitaire toujours trop centralisé ». Moi, je gardais, de mes cours d'histoire, le souvenir que l'Etat centralisé datait de plusieurs siècles et j'avais l'impression que c'était plutôt pour y remédier que nous étions là, pour travailler ensemble.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, depuis deux ans, ce Gouvernement, quitte à ce qu'on puisse le critiquer d'ailleurs, s'est engagé de manière très volontariste et dans la déconcentration et dans la décentralisation.
Monsieur Vallet, nous ne nous méfions ni des élus locaux ni des collectivités territoriales, sinon nous n'aurions rien fait de tout cela. Vous connaissez l'état d'esprit de Jean-Pierre Raffarin à cet égard. Nous voulons simplement être clairs, simples, prudents et pragmatiques, car il s'agit d'un projet de loi organique, et, vous l'avez dit vous-même, on n'en change pas tous les matins.
Il s'agit donc pour nous de veiller scrupuleusement à ce que les choses soient faites avec précision. C'est la raison pour laquelle, en ce qui concerne la péréquation, la Constitution renvoie à une loi simple. Nous aurons l'occasion d'en reparler, puisque, vous le savez, dans le domaine de la péréquation, à la suite de l'excellent travail accompli par le Comité des finances locales, nous aurons un débat passionnant à l'automne sur l'avenir de la réforme des dotations.
M. Peyronnet, quant à lui, s'est inquiété du caractère imprécis, voire flou, des définitions des « ressources propres » et de la « part déterminante ».
Sur ce sujet, vous avez, monsieur le sénateur, qualifié le plancher à 33 % pour les régions de « ridiculement bas ». Je veux simplement rappeler que c'est tout de même le gouvernement que vous avez soutenu qui est responsable de cette chute spectaculaire. En effet, avec la réforme des DMTO des régions, la part salariale de la taxe professionnelle, la suppression de la part régionale de la taxe d'habitation, le moins que l'on puisse dire c'est que la dégringolade a été brutale. Je ne suis pas là pour polémiquer, mais il est vrai que, lorsque l'on me cherche, je fais en sorte que l'on me trouve. En fait, il m'a semblé qu'il y avait dans les propos de M. Peyronnet comme une sorte d'aveu. J'en prends note (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.) et je saurai, le cas échéant, y faire à nouveau allusion dans nos débats.
Enfin, monsieur le sénateur, vous avez critiqué le Premier ministre dans son pilotage de l'acte II de la décentralisation, et vous avez même signalé que le Gouvernement refuserait de recevoir la nouvelle délégation de l'ARF. Sur ce point, je suis obligé de vous dire : « mauvaise pioche ! ».
En effet, le moins que l'on puisse dire, c'est que le problème est venu non pas de nous-mêmes, mais de nos interlocuteurs, avec lesquels nous essayons désespérément de fixer une date pour une rencontre. Je crois d'ailleurs que, depuis aujourd'hui, les choses progressent. Pour ma part, comme Dominique de Villepin, je n'ai jamais ménagé mon temps pour écouter, dialoguer, comprendre, respecter ; c'est ainsi que nous ferons progresser les choses dans le domaine de la décentralisation. Vous me trouverez donc toujours à la disposition de ceux qui le souhaiteront, et j'espère bien que le président Rousset sera au rendez-vous et que nous trouverons rapidement une date pour nous rencontrer.
M. Détraigne a exprimé des inquiétudes quant aux transferts de la fiscalité d'Etat et aux risques éventuels que ceux-ci comportent. Je veux simplement lui dire que nous sommes là au coeur du problème, qu'il est question non pas de créer des impôts nouveaux, mais d'imaginer des ressources aisément identifiables et localisables. Nous aurons naturellement tout loisir d'en reparler durant ces deux journées de débat.
Monsieur Jean-Jacques Hyest, je voudrais d'abord vous remercier d'avoir fait l'exercice qui consiste, en toute sincérité, à rappeler les coups qui ont été portés par le gouvernement précédent aux finances des collectivités locales et d'avoir rappelé, parce que, de temps en temps, il n'est pas inutile de le faire, le poids imposé par l'allocation personnalisée d'autonomie sur l'autonomie financière des collectivités départementales.
Ce comportement, qui, à l'époque, avait été à juste titre dénoncé par l'opposition, n'est pas étranger à cette lente et insidieuse crise de confiance que vous avez évoquée et sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir.
Monsieur Hyest, en rappelant que les collectivités locales doivent disposer de ressources sûres et garanties, vous avez rappelé l'importance de pouvoir demain construire des finances locales qui soient suffisamment lisibles et claires pour tous et qui permettent - car c'est bien cela l'essentiel - aux décideurs locaux de maîtriser leurs budgets pour l'année en cours et pour les années à venir, afin de présenter à leurs administrés une politique publique lisible, claire et cohérente au regard des engagements pris devant le suffrage universel. (M. Michel Dreyfus-Schmidt s'exclame.)
M. Loridant a rappelé l'engagement du Gouvernement de garantir intégralement les transferts de compétences par des ressources propres et dynamiques. C'est un objectif très innovant que le Gouvernement va mettre en place grâce à la loi organique, puis à la deuxième lecture du projet de loi sur les responsabilités locales. Je veux lui dire que le Gouvernement fera preuve d'écoute afin, bien sûr, de voir comment ce texte peut être amélioré.
Par ailleurs, monsieur Loridant, je vous donne rendez-vous à la fin de l'année 2004 car il y a une inversion de courbe avec la reprise de la croissance et de la TIPP pour le seul premier trimestre, avec une progression de près de 3 %. Et si je le dis, c'est parce qu'il est bon de rappeler que le produit de la TIPP, s'il n'a pas toujours été aussi dynamique qu'escompté en période de conjoncture difficile, peut donner des ressources fortes en période de croissance importante, et cela aussi doit être intégré à notre débat.
Monsieur Delfau, vous avez longuement évoqué les sujets essentiels de redistribution et de péréquation. Je ne reprendrai pas le détail technique de votre exposé car cela mériterait à lui seul un débat, et nous l'aurons dans quelques mois lorsque nous parlerons de ces éléments de péréquation, qui ne relèvent pas expressément de la loi organique dont nous débattons aujourd'hui. Je veux néanmoins vous dire que ce sujet est essentiel, qu'il est, à nos yeux, au coeur de la décentralisation et que, désormais inscrit dans la Constitution, il exigera des gouvernements successifs, présent et à venir, une implication extrêmement forte.
M. Gérard Delfau. Me permettez-vous de vous interrompre, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. Delfau, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Gérard Delfau. Monsieur le ministre, je voudrais une nouvelle fois, et après beaucoup d'autres, attirer votre attention sur ce point très précis : nous examinons un projet de loi organique, situé donc très haut dans la hiérarchie des textes de loi, au-dessous évidemment du texte constitutionnel. La loi concernant la péréquation sera une loi ordinaire. La difficulté que j'ai voulu souligner, après d'autres de nos collègues, est la suivante : nous craignons que, une fois voté, ce texte de loi organique, qui va consacrer le principe d'autonomie financière des collectivités territoriales, il n'y ait plus de marges, y compris du point de vue de l'examen devant le Conseil constitutionnel, pour des dispositifs significatifs de péréquation.
Voilà un problème fondamental, monsieur le ministre, que vous ne pouvez pas éluder et sur lequel vous devez vous exprimer pour que, le moment venu, le Conseil constitutionnel, informé de nos débats par le Journal officiel, puisse tenir compte de ce que vous aurez dit, au nom du Gouvernement que vous représentez.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Monsieur le sénateur, nous aurons peut-être l'occasion, lors de la discussion des articles, d'évoquer cet aspect de la péréquation, puisque je sais que quelques amendements portent sur cette question. Je serai alors en mesure de vous donner un certain nombre d'éclairages supplémentaires.
Je veux, à ce stade de notre débat, vous dire deux choses.
D'abord, si je reçois pleinement votre objection, je veux tout de même rappeler que ma mission, dans le cadre de la discussion de cette loi organique, est d'aborder son contenu, et son contenu seul. Cela ne signifie pas qu'il y ait des sujets tabous, mais je veux insister sur le fait que le débat que nous avons aujourd'hui est suffisamment dense et important pour que nous puissions y consacrer l'essentiel de notre discussion.
Cela étant, il est vrai que le constituant a prévu que, pour ce qui concerne la péréquation, c'est bien d'une loi simple qu'il s'agit ; toutefois, pour être une loi simple, elle n'en devra pas moins être suffisamment significative.
M. Jean-Pierre Sueur. Déterminante !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Et je puis vous affirmer que le concept même d'autonomie financière n'est en rien incompatible avec l'exigence de péréquation. L'autonomie financière, c'est une chose ; la péréquation, c'en est une autre.
La péréquation, c'est d'abord un problème de dotations de l'Etat, d'organisation, à l'intérieur de ces dotations de l'Etat, d'une meilleure égalité, d'une meilleure équité entre les différentes situations des collectivités locales. C'est le devoir de l'Etat de l'assurer, d'en assumer la responsabilité, et c'est bien pour cela qu'il faut la dissocier de ce qui concerne l'autonomie financière des collectivités locales. Nous aurons peut-être déjà l'occasion d'entrer dans le détail de tout cela lors de la discussion des articles de cette loi organique.
Monsieur Frimat, je vous ai écouté attentivement et, je vous le disais en aparté tout à l'heure, votre sévérité m'a un peu touché, pour ne pas dire peiné. Etes-vous donc si fier du travail accompli par M. Jospin dans le domaine de la décentralisation pour être aussi certain d'accabler le présent Gouvernement en la matière ? (Exclamations sur les travées socialistes.) Je vous ai trouvé bien dur. Moi, je n'ai pas le souvenir que, sous le Gouvernement Jospin, on ait tellement progressé en matière de décentralisation.
M. Jean-Pierre Sueur. La loi de 1999 !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je me souviens de ces dotations qui se sont accumulées, de ces réformes qui venaient un peu de partout. Je ne me souviens pas qu'elles aient, à quelque moment que ce soit, fait progresser le débat sur la libre administration. (Protestations sur les mêmes travées.) Pardonnez-moi, mais je vous vois un peu sensible à ma réponse.
M. Bernard Frimat. Oh non !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je vous ai écouté avec beaucoup d'attention, j'ai même, à certains moments, un peu souffert de la dureté de vos propos. Permettez-moi donc de vous dire très respectueusement que je vous ai trouvé sévère. Comme je vous sais par ailleurs homme d'équilibre et de modération, je ne vous ai pas complètement retrouvé, monsieur Frimat, dans ces attaques. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Vous vous inquiétez d'un objectif caché de ce texte qui viserait à faciliter la suppression du pouvoir fiscal des collectivités locales. Notre objectif est exactement à l'opposé. Comment être plus transparent qu'en modifiant la Constitution ? Comment être plus clair qu'en se posant dans une logique de rupture complète avec les pratiques en cours sous la législature précédente, qui ont réduit comme une peau de chagrin, il faut bien le dire, les capacités fiscales des collectivités locales, notamment régionales ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Il est vrai que, dans ce domaine, le pragmatisme qui caractérise ce gouvernement l'incite à distinguer les taux d'autonomie selon les niveaux de collectivités territoriales parce que les missions et les structures budgétaires ne sont pas les mêmes. Nous retenons bien sûr une approche juridique et non pas statistique des collectivités locales. C'est la raison pour laquelle nous proposons que ce projet de loi organique évoque la notion de ce seuil retenu à travers les indicateurs de 2003. Dans ce domaine, une avancée très significative est réalisée, me semble-t-il.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Par catégorie !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Eh oui, par catégories !
Monsieur Bourdin, j'ai écouté vos propos avec une grande attention. Vous êtes un bon connaisseur des finances locales, comme nombre d'autres orateurs dans cet hémicycle. Vous avez démontré à travers la maîtrise des mécanismes qui touchent aux collectivités et aux finances locales combien nous avons à avancer dans ce domaine en tenant compte des arbitrages nécessaires qu'il nous faut rendre.
C'est pour cette raison que je vous demande de poursuivre notre réflexion à travers le débat que nous aurons durant ces jours. Je souhaiterais qu'un certain nombre d'entre vous participent d'autant plus activement à ce débat qu'il est difficile et exige que les uns et les autres se prononcent en conscience, notamment à travers la réflexion que j'ai soumise au début de ce débat en réponse aux rapporteurs.
Monsieur Moreigne, vous avez considéré à juste titre que la décentralisation, engagée dans sa seconde phase, ne doit pas oublier la nécessaire réduction des inégalités entre les territoires. Vous avez bien raison. Je partage tout à fait ces préoccupations sur la valorisation des mécanismes de péréquation. Le principe de libre administration des collectivités locales qui va être consolidé par la reconnaissance de l'autonomie financière doit être accompagné d'une authentique péréquation. Le constituant l'a inscrit en toutes lettres dans la loi fondamentale. Nous aurons l'occasion d'en reparler. Il est vrai qu'il y a beaucoup à dire et à faire pour la rendre plus lisible et plus efficace.
Monsieur Fréville, par la rigueur de votre raisonnement, vous avez rappelé les grands enjeux qui sont les nôtres et souligné avec beaucoup d'esprit et de précision les difficultés concernant les choix que nous avons à assumer.
Je veux aussi saluer le caractère pragmatique d'un certain nombre des remarques que vous avez formulées. Je crois qu'il ne faut pas se mettre dans la « seringue », comme l'on dit vulgairement, en inscrivant dans le projet de loi organique des concepts trop précis qui paralyseraient tout mouvement futur de décentralisation.
De ce point de vue, vous avez fait un pas supplémentaire dans la démarche qui est la nôtre depuis le début de cette discussion en proposant de prendre en compte la notion de localisation de la ressource fiscale. Il s'agit d'un point intéressant qui vient utilement compléter la première réflexion des rapporteurs concernant le vote de taux. Il est vrai que la localisation de l'assiette ou du produit est un progrès dans la précision à donner à la notion d'autonomie financière et de recettes propres.
Dans ce domaine, il y a des choses intéressantes même si l'on constate une fragilité dans la notion même de localisation de l'assiette ou du produit. Sur le plan statistique, on sait de quoi il s'agit. Mais quand est-il de l'aspect strictement juridique, dans la mesure où il sera difficile de localiser l'assiette de la TIPP au niveau du département ? De ce point de vue, il faudra veiller à ne pas bloquer complètement le dispositif.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Surtout aux frontières !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Madame Blandin, vous avez rappelé votre attachement à la décentralisation. Je suis très heureux de vous retrouver dans le club de ceux - ils sont très nombreux - qui considèrent que l'efficacité publique passe par une plus grande décentralisation, même si celle-ci doit être tempérée, équilibrée, dans laquelle chacun doit accomplir clairement ses missions avec un souci de résultat et d'évaluation.
Au demeurant, lorsque je vous ai vu passer avec aisance de l'autonomie des collectivités territoriales et de leurs moyens aux intermittents du spectacle, il m'a semblé que cela relevait d'un talent qui vous était propre et que j'étais bien incapable d'imiter !
M. Jean-Pierre Sueur. Un grand talent !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Quoi qu'il en soit, lorsque vous parlez, après un détour par Bruxelles et l'OMC, de la nécessité d'assurer à nos concitoyens une équité de traitement et à nos collectivités territoriales une juste répartition des ressources, nous pouvons recommencer à débattre sérieusement.
L'enjeu est bien là : il s'agit de répartir une ressource rare qui est l'argent public, d'assurer une collecte réaliste assise sur des bases sûres et valides et de faire en sorte que les inégalités constatées puissent être amorties par des dispositifs de compensation et de péréquation. Voilà une belle ambition ! Eh bien, madame Blandin, je vous le dis ce soir, nous la partageons. Attendons de voir la suite du débat, mais au moins sur ce point, il m'a semblé qu'à certains moments nous pouvions nous retrouver.
Monsieur Girod, vous avez rappelé avec beaucoup d'humour, de précision et de talent que le balancement dans l'histoire récente entre les pôles de la libre administration des collectivités locales et de l'égalité entre les territoires a été très pertinent et révélateur d'un grand sens d'équilibre.
Je suis d'accord avec vos suggestions. Oui, il faut franchir une nouvelle étape dans la voie de la libre administration des collectivités locales. Oui, l'autonomie financière définie par ce texte après tant d'années de débats, d'hésitations, de réflexions, de colloques ou de bouts de décrets est une avancée tout à fait significative. Je veux dire ici à celles et ceux qui, parmi vous, sur quelque travée qu'ils siègent, travaillent sur ces questions depuis de nombreuses années, qu'il y a là un rendez-vous absolument majeur pour le progrès et la modernisation de notre démocratie.
Monsieur de Broissia, vous avez « conclu la marche ». Avec beaucoup de précision, vous avez rappelé à votre tour, à la lumière de votre expérience d'élu, combien nous avions besoin d'améliorer la protection de notre fiscalité locale et de mettre un coup d'arrêt à des pratiques unilatérales qui ne sont plus de notre temps.
Aujourd'hui, la société de confiance que nous voulons bâtir exige que les uns et les autres se comprennent et se respectent et que, dans cette assemblée, les débats concernant les collectivités locales puissent se tenir dans un climat de confiance et de transparence.
Monsieur de Broissia, je veux le redire ici, car ce point est essentiel, la compensation des transferts sera effectuée dans le projet de loi relatif aux libertés et responsabilités locales. L'Etat s'engage à le faire à l'euro près, et nous serons les garants, ensemble, du respect de la loi et de la Constitution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour conclure cette série de réponses que je tenais à faire de manière précise, je voudrais évoquer trois points d'ordre général.
D'abord, je voudrais rappeler ce que vous savez tous ici : le pouvoir pour les collectivités de voter le taux des impôts est un pouvoir récent. C'est la loi de janvier 1980 qui a institué, deux ans avant le grand mouvement de décentralisation...
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. C'est M. Barre.
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...le vote direct du taux des impôts directs locaux par les collectivités. C'était effectivement une initiative du Premier ministre Raymond Barre.
Et encore cette liberté était-elle très restreinte et très encadrée par des règles de lien entre les taux. Ce n'est qu'à partir de 2002, et plus encore de 2003, que ces restrictions ont été progressivement assouplies. Chacun se rappelle que ces assouplissements n'ont pas été du goût de tout le monde. Ils n'ont pas eu que des supporters, notamment parmi les acteurs économiques, légitimement inquiets de voir à travers cette modulation possible des taux un frein éventuel à l'attractivité du territoire et à notre compétitivité.
Ensuite, je voudrais rappeler ce que disait M. Pierre Mauroy, président de la commission pour l'avenir de la décentralisation, devant la commission des lois de l'Assemblée nationale le 29 mai 2001.
Il y avait plaidé pour l'instauration « d'impôts nationaux dont le produit servirait à financer les régions et les départements. » Il faisait état, à cette date, de la réticence du ministère des finances face à une telle proposition.
M. Jean-Pierre Sueur. Il y en avait bien d'autres !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Le gouvernement de M. Raffarin a mené cette proposition à son terme. Les impôts nationaux sont dorénavant transférés aux collectivités locales, le ministère des finances s'y est bien volontiers plié. Leur base est évolutive pour fournir les indispensables marges de manoeuvre aux collectivités.
Vous le voyez, dans ce domaine, il y a comme une continuité, une détermination commune. Nous nous sommes inscrits, au moins sur ce point, dans la logique évoquée par Pierre Mauroy. Là où il n'avait pas réussi à convaincre le ministère des finances, nous avons été plus convaincants.
M. Jean-Pierre Sueur. C'est trop facile !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je ne voudrais pas que ce débat un peu technique nous cache les objectifs fondamentaux de ce projet de loi organique.
Comme le Premier ministre l'a dit, ici même, lors de la présentation du projet de loi relatif aux responsabilités locales, le 28 octobre 2003, « le Gouvernement vous a donné la plus belle de toutes les garanties juridiques : la Constitution ». Et il ajoutait : « C'est la meilleure garantie qu'un gouvernement puisse offrir aux assemblées et à l'ensemble des acteurs locaux. »
Cette réforme doit permettre l'expression de la dynamique d'une action publique proche du citoyen. En même temps, on le voit bien, cet objectif de cohérence et de proximité est au coeur de toute la démarche que nous avons décidé d'engager les uns et les autres.
Rappelez-vous ce que nous demandent les Français aux uns comme aux autres, quelles que soient nos sensibilités politiques, quels que soient les mandats que nous exerçons. Ils souhaitent que nous incarnions l'efficacité publique. Il nous appartient donc d'entamer une réflexion constructive sur ce que peut être demain l'amélioration de l'efficacité publique. Il faut éviter que tout se décide de Paris et que la lenteur, la lourdeur et le poids des habitudes empêchent d'être au rendez-vous que les Français attendent de leurs élus.
Telle est l'exigence première de la démocratie. Voilà pourquoi nous travaillons ensemble à une modernisation de nos institutions ! Voilà pourquoi, ce soir, nous voulons en toute transparence mettre les pieds dans le plat pour dire qu'il n'est pas de décentralisation moderne sans une autonomie financière qui garantisse aux collectivités les moyens transparents de mettre en oeuvre leur politique vis-à-vis de leurs électeurs !
D'ailleurs, M. Pierre Mauroy ne disait pas autre chose lorsqu'il affirmait que la décentralisation constitue une réforme essentielle permettant de donner un nouveau souffle aux institutions républicaines. Et croyez-moi, je citerai M. Mauroy durant tout ce débat sur la décentralisation, car il n'y a rien de tel que de se rafraîchir ensemble la mémoire !
Enfin, je terminerai en regardant au-delà de nos frontières. Y compris en cette période de campagne électorale pour l'élection au Parlement européen, il n'y a rien de tel que de regarder de temps en temps ce qui se fait ailleurs. C'est une manière de relativiser la situation.
Dans dix pays de l'Union européenne sur quinze, les dotations représentent la part principale des recettes locales, c'est-à-dire 35 % à 64 % de l'ensemble des recettes.
Prenons le cas de l'Allemagne et de ses puissants Länder : les dotations représentent 51 % des recettes alors que la fiscalité propre n'en représente que 18 %. Qui conteste aujourd'hui l'autonomie des Länder ?
M. Jean-Pierre Sueur. Cela n'a rien à voir. Les systèmes sont différents !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Vous voyez le problème, mesdames, messieurs les sénateurs : quand on a le malheur de s'inspirer des modèles étrangers, on nous dit que cela n'a rien à voir ; quand on ne le fait pas, on nous le reproche. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Il est un moment où l'on a le droit de sortir, de regarder ce qui se passe ailleurs ; c'est ma conviction de citoyen européen. Je considère que, sur de tels sujets, nous avons le devoir de regarder ce qui se fait de mieux en Europe pour en faire bénéficier la France et de faire en sorte que ce qui se fait de mieux en France puisse profiter à toute l'Europe.
Si la plupart des constitutions modernes font référence aux libertés, peu nombreuses sont celles qui mentionnent les finances locales. Cela a été rappelé tout à l'heure, et je tiens à souligner que c'est un point absolument essentiel.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, ce que je voulais vous dire ce soir en réponse à vos interventions à la fois passionnantes et riches.
Dans les jours qui viennent, j'aurai l'occasion de répondre très précisément aux points qui sont évoqués dans les différents amendements que vous avez déposés.
Je veux vous dire ici en conscience que nous devons envisager l'avenir avec sérénité et que nous devons le faire en tenant compte des engagements que nous avons pris. C'est pourquoi j'ai tant insisté tout à l'heure sur la volonté qui est la nôtre d'appliquer pleinement la Constitution, de telle manière que nos successeurs aient la possibilité, s'ils le souhaitent, de poursuivre le mouvement de décentralisation, tout en préservant l'essentiel, à savoir la libre administration des collectivités locales, leur autonomie financière et les moyens accordés à l'ensemble des élus de notre pays pour assumer pleinement leurs responsabilités au service de l'intérêt général et des valeurs de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par M. Sueur et les membres du Groupe Socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique adopté par l'Assemblée nationale, pris en application de l'article 72 2 de la Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (n° 314, 2003-2004). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, je dois dire que j'ai admiré votre discours ! En effet, après vous avoir écouté avec attention, je constate que finalement aucune des propositions de modification émanant soit de nos rapporteurs soit de mes collègues sénateurs, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, ne trouve grâce à vos yeux : pas le plus petit amendement, à cette heure du moins ; c'est remarquable, c'est formidable !
Ce projet de loi a, si je vous ai bien compris, atteint d'emblée un niveau de perfection dont vous vous louez d'ailleurs de manière extrêmement claire, et je me demande vraiment si vous avez perçu l'ampleur du débat qui a eu lieu tant au sein de nos commissions que dans l'opinion publique et auprès des élus.
Franchement, monsieur le ministre, nous nous demandons ce qui se passe : avez-vous décidé de camper sur vos positions ou êtes-vous ouvert à un véritable débat ?
Pour ma part, je vais peut-être vous décevoir un peu, car il me semble que sous certains aspects ce texte pourrait encore être perfectionné !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela va le peiner !
M. Jean-Pierre Sueur. En premier lieu, l'article 72-2 de la Constitution, que nous commençons à connaître par coeur, dispose : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre ».
Or, monsieur le ministre, le troisième alinéa de l'article 3 du projet de loi organique dispose, quant à lui : « Pour chaque catégorie, la part des ressources propres est déterminante, au sens de l'article 72-2 de la Constitution,... ». Chacun peut voir que le raisonnement est parfaitement tautologique et qu'il n'est pas répondu à la question posée.
M. Jean-Jacques Hyest. Il faut lire la suite !
M. Jean-Pierre Sueur. J'y viens, monsieur Hyest : « ...lorsqu'elle garantit la libre administration des collectivités locales ». Ce rappel de l'article 72-3 de la Constitution apporte-t-il quelque chose ? A partir de quel moment décidera-t-on que le degré déterminant atteint garantit la libre administration ?
Connaissez-vous la réponse à cette question, monsieur le ministre ? C'est complètement vague et flou.
Je poursuis ma lecture : «... relevant de cette catégorie, compte tenu des compétences qui leur sont confiées. »
Il est vrai que le deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution fait référence aux compétences, mais l'article 3 du projet de loi n'ajoute strictement rien à cette disposition.
Par conséquent, le premier point que je voudrais souligner - et je pense que cela pourra intéresser le Conseil constitutionnel - est que le projet de loi organique qui nous est soumis ne répond pas à son objet et que- nous l'avons dit lors du débat sur la réforme de la Constitution - l'adjectif « déterminant » conserve son caractère complètement flou. Cela veut-il dire 10 %, 40 %, 75 % ? « Déterminant » est le mot que l'on emploie quand on veut ne rien dire, comme le mot « significatif », d'ailleurs, qui, lui non plus, ne veut rien dire.
Or, quand on glose sur quelque chose qui ne veut rien dire pour dire que cela ne veut effectivement pas dire grand-chose, eh bien, monsieur le ministre, on n'avance pas ! Vous voyez donc que ce texte pourrait atteindre une perfection encore plus grande !
En deuxième lieu, je voudrais reprendre un argument qui a été avancé à l'Assemblée nationale par M. de Courson - j'ai lu de très près les débats de l'Assemblée nationale - et auquel le Gouvernement n'a pas répondu.
Selon M. de Courson, il est impossible de savoir, à la lecture de l'article 2 du projet de loi, si les ressources propres dont il est question renvoient à l'ensemble du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution ou seulement à sa seconde phrase. Or cela est très important car, si l'article 2 du projet de loi s'applique à l'ensemble du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, en vertu duquel les collectivités territoriales « peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures » et la « loi peut les autoriser à fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine », il est alors clair que ce projet de loi organique est contraire au principe de la libre administration des collectivités locales.
En revanche, si l'article 2 du projet de loi se réfère exclusivement à la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, l'on comprend que la loi peut autoriser les collectivités territoriales à fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. Nous sommes alors en présence d'une conception qui rejoint celle qui sous-tend l'amendement déposé par M. Daniel Hoeffel, en vertu de laquelle les ressources propres des collectivités locales sont les ressources sur lesquelles elles peuvent agir, sinon il y a tromperie. Et vous savez que M. Christian Poncelet, président de notre assemblée, a eu l'occasion de rappeler à plusieurs reprises et à très juste titre que le transfert de recettes fiscales non modulables était en fait le transfert d'une dotation de l'Etat.
Il y a donc là quelque chose de tout à fait clair et précis, et je tenais à reprendre cet argument en espérant obtenir de vous une réponse, monsieur le ministre.
En troisième lieu, je voudrais citer l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». Cela est remarquablement bien écrit. En effet, il faut voir comme un élément tout à fait essentiel de la démocratie le lien qui existe entre le vote qui permet de désigner les élus et le fait que ceux-ci, et eux seuls, aient le droit de déterminer précisément le taux et l'assiette des impôts.
Or votre texte, dans son état actuel, monsieur le ministre - et cela va à l'encontre non seulement de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dans son principe mais aussi de toute notre tradition démocratique telle qu'elle a été illustrée en particulier par Tocqueville - pourrait aboutir à un système dans lequel l'ensemble des impôts locaux seraient remplacés de plus en plus par des dotations ou des impôts à caractère national. Rien n'empêche un tel système avec ce projet de loi organique, qui, je suppose, est fait pour durer longtemps. Il y a donc là quelque chose de tout à fait inacceptable et qui est bien évidemment contraire au principe de la libre administration des collectivités locales.
En quatrième lieu, je voudrais revenir sur une décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2003 relative à un transfert de charges très précis, chacun s'en souvient.
Le Conseil constitutionnel écrivait: « Si les recettes départementales provenant de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers venaient à diminuer, il appartiendrait à l'Etat de maintenir un niveau de ressources équivalant à celui qu'il consacrait à l'exercice de cette compétence avant son transfert ;... ». Dès lors que l'objectif est de réduire le nombre des dotations de l'Etat, répondre à cette requête du Conseil constitutionnel par une dotation de l'Etat serait en contradiction avec la démarche même qui sous-tend ce projet de loi.
En conséquence, comment garantir un niveau de ressources équivalentes sans recourir à l'accroissement des dotations de l'Etat si l'on ne transfère pas une part de fiscalité qui soit effectivement modulable ? C'est strictement impossible ! Ainsi, la déclaration du Conseil constitutionnel montre que le texte en l'état ne peut pas être conforme à ce principe auquel nous sommes tellement attachés de la libre administration des collectivités locales.
J'en viens - ce sera le cinquième point - aux amendements présentés par M. Hoeffel.
Il en est un que nous approuvons tout à fait ; je veux bien sûr parler de l'amendement tendant à ne considérer comme ressources propres que les ressources dont on peut faire varier l'assiette, le taux, etc.
Malheureusement, monsieur le rapporteur, vos efforts semblent s'être heurtés à une sorte de désapprobation systématique de la part de M. le ministre.
En revanche, s'agissant de votre amendement portant sur l'établissement à 33 % du seuil d'autonomie fiscale de l'ensemble des collectivités locales, comme vous le savez, nous le contestons. En effet, si le texte était voté en l'état, nous considérerions que la loi serait rendue compatible avec une réduction de la part d'autonomie fiscale des collectivités locales, ce qui serait contraire, d'une part, à l'ambition des auteurs de ce projet de loi et, d'autre part, à ce que prévoit la Constitution à cet égard.
Les chiffres ont été rappelés : le taux d'autonomie fiscale est aujourd'hui de 35 % pour les régions, de 54 % pour les communes et de 51 % pour les départements. Inscrire 33 %, c'est véritablement une solution minimaliste qui présente beaucoup d'inconvénients sans offrir l'avantage d'inciter véritablement à l'accroissement de l'autonomie fiscale des collectivités locales.
Je voudrais maintenant présenter un sixième argument qui tient à la question des catégories de collectivités, car il y a là un point qui mérite d'être précisé.
Dans le troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, nous lisons : « Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. »
Je constate que les termes qui ont été choisis par le constituant sont « leurs ressources » et non pas « ses ressources ». Si l'on avait écrit « ses ressources », cela aurait renvoyé à chaque catégorie de collectivités territoriales. L'expression « leurs ressources » renvoie à l'ensemble des collectivités territoriales.
A cet égard, je souhaite insister sur le caractère tout à fait ambigu que peut avoir le raisonnement par catégories. Si j'étais maire d'une petite commune en difficulté qui n'a pas beaucoup de ressources et ne dispose donc pas d'une grande autonomie fiscale, je serais très intéressé de savoir que la moyenne de la catégorie « communes » est supérieure à celle de la commune que j'ai l'honneur d'administrer, mais cela ne changerait rien aux difficultés auxquelles je serais confronté. Cette remarque est valable pour les départements et pour les régions.
Chacun voit bien que cette moyenne mathématique ne garantit rien, s'agissant de la réalité concrète de chaque collectivité. Nous considérons donc que, même si la Constitution, dont je viens à l'instant de faire une lecture très précise, envisage la situation des « catégories » de collectivités locales, il ne peut y avoir d'équité en la matière que si l'on prend en compte la situation réelle de chaque collectivité locale. C'est pourquoi il nous semble que cette considération pose un véritable problème au regard du principe d'égalité.
Enfin, j'évoquerai un dernier argument qui est lié à la question de la péréquation.
A nos yeux, monsieur le ministre, le principe d'égalité induit nécessairement le fait que l'on ne peut pas parler d'autonomie sans parler de péréquation.
Depuis tout à l'heure, on nous explique que l'on ne peut pas augmenter l'autonomie financière des collectivités locales au-delà du seuil de 33 %, parce que cela réduirait la part de la péréquation. Je suis en désaccord total avec cet argument et j'approuve ce que vous avez dit à ce propos, monsieur le ministre.
En effet, aujourd'hui, la partie des dotations de l'Etat aux collectivités locales qui donne lieu à péréquation représente au maximum 7 % de la totalité de ces dotations.
Dans l'hypothèse d'une autonomie financière qui s'élèverait à 50 %, la part des dotations serait encore de 50 %. Dans l'état actuel des choses, 50 % de dotations impliqueraient que la péréquation n'en représente que 3,5 %. Cela montre, à l'évidence, qu'à l'intérieur de ces 50 %, on peut tout à fait augmenter la part de la péréquation.
En conclusion, je dirai que l'autonomie sans la justice, la péréquation et les moyens nécessaires est un leurre. Nous ne sommes pas favorables à l'autonomie pour l'autonomie, mais nous sommes pour une autonomie dont l'objectif soit l'égalité des chances pour l'ensemble des collectivités. Or vous le savez, monsieur le ministre, avec votre texte, on en est très loin ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission émet un avis défavorable sur la motion n° 1, le texte du projet de loi organique étant parfaitement conforme à l'article 72-2 de la Constitution.
Plusieurs sénateurs socialistes. Mais non !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. La commission a pourtant adopté vos amendements !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je serai bref, car nous avons déjà beaucoup parlé aujourd'hui ! Néanmoins, je voudrais répondre à M. Sueur.
Monsieur Sueur, je reprendrai, de façon non exhaustive, différents points que vous avez évoqués.
S'agissant de la péréquation, nous sommes d'accord. C'est un grand chantier difficile, auquel vous vous étiez vous-même attelé quand vous aviez la responsabilité du poste que j'ai l'honneur d'occuper aujourd'hui. A cette époque, à plusieurs reprises, vous aviez évoqué la difficulté de la tâche, la difficulté à trouver des solutions et vous en appeliez à l'indulgence. Dans ce domaine, nous pouvons donc, de générations en générations de ministres, d'avoir quelques raisons de nous retrouver. De la même manière, je pourrais m'adresser à Daniel Hoeffel, qui s'est également trouvé confronté à ces questions au même poste.
Néanmoins, monsieur Sueur, le moins que l'on puisse dire, c'est que, en 2000, lorsque vous aviez fait un rapport sur la péréquation, le Premier ministre de l'époque ne vous avait pas beaucoup entendu : les crédits n'étaient pas arrivés, et tout cela n'avait pas pu être mis en oeuvre. Heureusement, les temps ont changé !
M. Jean-Pierre Sueur. On a voté la DSU et la DSR !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Par ailleurs, vous dites, monsieur le sénateur, que tout le monde est d'accord dans cet hémicycle pour contester l'analyse du Gouvernement.
Il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté entre nous : je ne prétends pas à la perfection. J'ai d'ailleurs pris beaucoup de temps pour expliquer que personne n'avait la vérité révélée, qu'il nous fallait choisir entre plusieurs inconvénients et plusieurs difficultés mais que nous avions le devoir de choisir.
En tout cas, il est un point, monsieur Sueur, sur lequel vous êtes en désaccord total avec la commission des lois, M. Hoeffel l'a rappelé comme moi. Vous ne partagez pas la même analyse sur la différence qui doit être faite entre un partage d'impôts d'Etat et une dotation. La commission des lois a dit et redit que ce n'était pas la même chose.
Pour le reste, ma conviction de la conformité de ce texte à la Constitution est tellement forte qu'il m'est difficile de proposer autre chose que le rejet de cette motion.
M. le président. La parole est à M. Robert Bret, pour explication de vote.
M. Robert Bret. Respect du principe de libre administration des collectivités territoriales, tel est le motif essentiel qui a poussé nos collègues du groupe socialiste à nous proposer de rejeter le présent projet de loi organique pour raison d'inconstitutionnalité.
Il est vrai que le code général des collectivités territoriales énonce en son article 1er : « Les communes, les départements et les régions s'administrent librement par des conseils élus. »
L'article 72 du texte constitutionnel lui-même précise : « Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon.
« Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. »
C'est là le cadre précis dans lequel s'exerce effectivement le principe de libre administration. Or il est évident que celui qui nous est proposé par la présente loi organique s'éloigne singulièrement, monsieur le ministre, de ce principe.
Qu'y a-t-il en effet derrière les intentions en apparence louables du Gouvernement ? Essentiellement un souci, celui de mener à bien une réforme de l'Etat qui vise, entre autres finalités, à procéder au démantèlement du service public dans toutes ses composantes, à libérer l'Etat de la charge d'un certain nombre de compétences aux dépens des collectivités territoriales et à laisser perdurer, en l'aggravant, une situation toujours plus intolérable pour les populations en termes de fiscalité locale, et ce afin de réduire le déficit du budget général comme l'intervention réelle de la puissance publique dans la vie de la nation.
Cette loi organique, monsieur le ministre, se présente donc surtout comme un cadre qui serait fixé à partir du point où nous en sommes rendus en termes de finances locales, en cherchant, en tant que de besoin, à faire passer pour immuables quelques-uns des caractères de la situation.
De quelle liberté et de quelle autonomie jouissent les élus locaux quand la taxe professionnelle est modifiée, non pas en tenant compte de leur avis, mais en écoutant les revendications du patronat français ?
De quelle liberté et de quelle autonomie jouissent les élus locaux quand l'Etat se libère sur leur dos du financement de la dépendance des personnes âgées ou de l'insertion professionnelle et sociale des victimes de l'exclusion ?
De quelle liberté et de quelle autonomie disposent les élus locaux quand des directives européennes, plus ou moins pilotées par de puissants lobbies, imposent ici des normes comptables, là des dépenses d'assainissement des eaux ou d'élimination des déchets, ailleurs des règles de publicité sur les marchés publics ?
Tout laisse donc penser que la présente loi organique ne vise qu'un seul objectif, celui de prolonger, dans le cadre quasi constitutionnel, ce que l'on a engagé dans la loi de mars 2003 et que l'on tente à toute force d'imposer dans le cadre du projet de loi relatif aux responsabilités locales.
L'objectif est clair : Il s'agit non pas du respect de la libre administration des communes, mais de la définition d'un cadre juridique pour une organisation des services publics et de l'action publique dans un cadre le plus étroitement libéral possible.
Pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen votera l'exception d'irrecevabilité présentée par nos collègues du groupe socialiste. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 161 :
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 306 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 154 |
Pour l'adoption | 106 |
Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo, MM. Bret et Foucaud, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du Groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, pris en application de l'article 722 de la Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (n° 314, 2003-2004). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Nicole Borvo, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo. Il est tout à fait regrettable que, de par le règlement de notre assemblée, les motions de procédure, que ce soient la motion d'irrecevabilité ou la question préalable, viennent après la clôture de la discussion générale. Mais tels sont les mystères de notre règlement, que la majorité ne veut pas modifier dans un sens plus démocratique.
Néanmoins, en l'occurrence, je crois que le dépôt d'une question préalable se justifie, et les interventions de ce soir n'ont pas dissuadé mon groupe de poursuivre dans cette démarche.
Revoir totalement la copie du projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui serait faire preuve de sagesse pour de nombreuses raisons.
En ce qui nous concerne, nous en avons une qui n'étonnera personne : ce projet découle de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 que nous avons combattue et dont nous avons, dès le début, dénoncé les multiples pièges.
A l'époque, le gouvernement Raffarin II en faisait une réforme phare de la nouvelle majorité, réforme phare, en effet, vers une politique libérale de désengagement de l'Etat des grands services publics nationaux, de mise en concurrence des collectivités territoriales et de rupture avec les concepts d'égalité et de solidarité nationale qui avaient tant bien que mal prévalu jusque-là.
Vous avez imposé cette pseudo-décentralisation sans grand débat national, contrairement aux engagements du Président de la République, qui avait annoncé un référendum sur cette importante question.
En fait d'autonomie des collectivités territoriales, nous avons vite eu le mode d'emploi : avec le projet de loi relatif aux responsabilités locales ont été annoncés des transferts de compétences massifs.
Votre réforme a suscité diverses réactions. Chacun a en mémoire le refus, dans la communauté éducative, de voir mettre en cause son unité par le transfert des personnels administratifs, techniciens, ouvriers et de service, les ATOS ; vous avez reculé - en partie - mais puni les enseignants en leur faisant payer très chèrement leurs jours de grève !
Les personnels des services publics ont aussi réagi au nom de l'intérêt général. Qui peut croire en effet que les collectivités locales seront en mesure de financer les énormes investissements que nécessitent par exemple les routes ? Vous avez d'ailleurs tout de suite annoncé les péages et les avez retirés, période électorale oblige !
Les élus ont peu à peu pris conscience que, en fait d'autonomie, ils seraient surtout contraints par les énormes charges transférées par l'Etat et qu'ils seraient dans l'obligation de restreindre les services, de les privatiser ou d'augmenter les impôts locaux.
En effet, en matière de compensation financière, le transfert du RMI, devenu RMA, a accéléré la compréhension du problème.
Monsieur le ministre délégué à l'intérieur, vous n'êtes pas à une contradiction près : j'ai lu avec intérêt que vous aviez affirmé à l'Assemblée Nationale et répété aujourd'hui : « Pour nous, il n'était pas concevable qu'un gouvernement puisse continuer à s'attribuer le bénéfice politique de son engagement sans en assumer les conséquences financières et mettre sur le dos des collectivités locales des compétences qui ne seraient pas compensées par des ressources correspondantes ! »
Hélas, le RMI nous prouve le contraire !
Depuis le 1er janvier, le nombre de RMIstes a augmenté de 10 %. On sait pourquoi !
Et quel tour de passe-passe : pour les personnels de l'éducation nationale ou pour le logement : l'Etat a considérablement réduit les moyens avant transfert, modifiant donc considérablement la compensation financière nécessaire !
Tout un chacun peut faire ses calculs. Par exemple, le produit de la TIPP a augmenté de 1,4 % en 2003 et le RMI de 4,4 % ! En outre, l'évolution de la TIPP, dont vous attendez beaucoup aujourd'hui, a été de 1 % par an depuis 1993. Tout un programme !
Monsieur le ministre, ce sont bien les craintes des élus et de la population devant, d'une part, la dégradation probable des services publics et, d'autre part, le déferlement tout aussi probable de nouveaux impôts, qui se sont exprimées, entre autres, aux dernières consultations électorales.
Le Gouvernement semblait avoir entendu la sanction, sur ce point au moins, puisque la deuxième lecture du texte relatif aux responsabilités locales a été reportée.
Il apparaît aujourd'hui nécessaire de rappeler les propos que le Premier Ministre a tenus : il évoquait une discussion « avec l'ensemble des parlementaires, d'une part, mais aussi avec les associations, pour enrichir et éventuellement améliorer le texte, afin de revenir en deuxième lecture avec un projet refondé à la suite des débats eux-mêmes enrichis par la loi organique. Nous aurons alors une vision complète, la loi organique ayant permis d'enrichir le débat sur le texte des transferts de compétences. »
Monsieur le ministre, pouvez-vous aujourd'hui nous confirmer cette refondation du projet de loi relatif aux transferts de compétences ? Il ne semble pas.
Pouvez-vous nous informer de l'ouverture de véritables négociations avec les associations d'élus et de consultations des groupes parlementaires ? Il ne semble pas non plus. Ce n'est d'ailleurs pas l'impression que vous nous avez donnée en disant clairement que vous vouliez conclure, avant l'été, un débat qui n'a pas encore commencé.
Vous comprendrez que nous n'accepterons pas de voter aujourd'hui la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales sans avoir de réponse sur le périmètre des transferts !
C'est la première raison de la question préalable.
Mais il en est une deuxième tenant à la confusion qui règne aujourd'hui dans les perspectives de financement des transferts de compétences.
La majorité se plait à dire que décentralisation et autonomie financière ne vont pas forcément de pair, citant abondamment les exemples de l'Allemagne et d'autres pays européens. Je rappelle que vous avez, jusqu'ici, dit le contraire.
Rappelons-nous M. Raffarin, alors sénateur, qui signait, aux côtés de M. Poncelet, une proposition de loi n° 432 visant à ce que les ressources propres des collectivités s'élèvent à 50 %, ou encore M. le ministre délégué à l'intérieur, qui nous présente le texte actuel comme une clé de voûte de la décentralisation, tout en en étant bien au-dessous des 50 % !
La confusion s'aggrave quand la majorité est divisée sur les ressources considérées comme propres et sur le plancher.
Décidément, le débat entamé lors de la réforme constitutionnelle est loin d'être achevé !
Mais la confusion s'aggrave aussi quand, après le Président de la République, vous annoncez une réforme de la taxe professionnelle - voire sa disparition - alors qu'elle représente 44 % de la fiscalité directe des collectivités territoriales.
Alors non, monsieur le ministre, nous ne pouvons sérieusement débattre de cette petite loi organique sur l'autonomie financière supposée, alors que règne la plus grande incertitude sur la question clé pour les collectivités locales, à savoir les moyens dont elles disposent et dont elles disposeront !
En réalité, la question posée est celle d'une réforme en profondeur des finances locales.
Les impôts locaux sont archaïques et injustes. Taxe foncière et taxe d'habitation ne prennent pas en compte les ressources des contribuables.
La taxe professionnelle, telle qu'elle est, ne prend pas en compte l'évolution financière des entreprises et est à la source des inégalités des moyens des collectivités. Elle représente néanmoins le seul impôt mettant à contribution l'activité économique dans la vie des collectivités locales. Quel dommage s'il fallait s'en séparer !
Au lieu de s'attacher à des réformes progressistes et équitables des impôts locaux, vous envisagez de supprimer la taxe professionnelle et transférez la TIPP, particulièrement inopérante.
Par ailleurs, il faut revoir en profondeur le régime des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales.
Chacun le sait, les dotations de compensation ne constituent aujourd'hui qu'une part mineure des moyens des collectivités locales ; cela a abondamment été dit.
En réalité, les dotations de l'Etat ne font que renforcer les inégalités entre les collectivités.
La conséquence de la péréquation inscrite dans la Constitution, est donc bien centrale. Or le débat est renvoyé à plus tard. Cela est parfaitement inacceptable !
Ainsi, outre le périmètre des transferts qui n'est pas défini, le périmètre des moyens financiers dont les collectivités territoriales disposeront n'est pas non plus déterminé. Il me paraît donc justifié de ne pas débattre du projet actuel tel qu'il est.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, vous n'avez pas manqué d'insister sur le fait que la loi organique était attendue. A l'évidence, ce qui est attendu par les collectivités et, par voie de conséquence, par les populations, c'est d'y voir clair sur les charges et les moyens des collectivités territoriales, d'une part, pour assurer les énormes transferts de charge qui leur sont imposées, d'autre part, pour mettre en oeuvre des politiques locales librement décidées.
Hélas, nous n'en sommes pas là !
Tout d'abord, nous ne considérons pas que la libre administration des collectivités serait assurée du seul fait qu'elles disposent de ressources propres suffisantes. D'ailleurs, le débat engagé à l'intérieur de la majorité - même s'il semble être résolu dans le sens du Gouvernement - sur la définition des ressources propres montre toutes les ambiguïtés de votre propos.
Bien évidemment, le projet initial du Gouvernement, en incluant dans les ressources propres les impôts transférés, est particulièrement nocif puisqu'il réduit à la portion congrue la part des compensations financières de l'Etat.
Mais, en réalité, la libre administration des collectivités implique des marges de manoeuvre importantes pour celles-ci dans les décisions de politiques locales.
Avec votre pseudo-décentralisation, le poids des charges transférées restreint considérablement les possibilités des collectivités, aggravant bien entendu les inégalités régionales et locales.
Enfin, vous réussissez, avec ce projet, le tour de force d'alimenter des querelles techniques sur les rapports entre l'Etat et les collectivités, tandis que la question essentielle, celle de la réforme des finances locales - réforme globale et cohérente - est renvoyée sine die et est d'ailleurs d'ores et déjà brouillée par les décisions annoncées sur telle ou telle taxe existante.
Pour toutes ces raisons, mon groupe souhaite que les craintes et les critiques exprimées fortement à propos de votre décentralisation soient réellement entendues et que la refondation des projets du Gouvernement soit engagée, comme le Premier Ministre semblait l'avoir reconnu nécessaire.
En conséquence, nous ne pouvons que rejeter le projet de loi organique qui nous est présenté aujourd'hui et nous vous incitons à voter cette motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Daniel Hoeffel, rapporteur. La commission est défavorable à cette motion. En effet, dans sa décision du 29 décembre 2003, le Conseil constitutionnel a souligné que la garantie d'une part déterminante de ressources propres dans l'ensemble des ressources de chaque catégorie de collectivités territoriales ne pourra être utilement invoquée tant que la présente loi organique n'aura pas été adoptée.
Il importe donc d'adopter rapidement ce projet de loi organique afin de rendre effective cette garantie.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Le Gouvernement émet le même avis. Naturellement, il préconise le rejet de cette motion. Il y a quelque urgence à adopter ce texte, comme M. le rapporteur Hoeffel l'a rappelé.
Je profite de l' occasion pour rappeler à Mme Borvo, qui prétend que nous n'avons pas consacré le temps nécessaire à la consultation, que, depuis que je suis en charge, je n'ai cessé, chaque fois que cela était possible, de recevoir des élus et des représentants d'associations ; je l'ai fait pour l'AMF ; j'ai reçu, avec le Premier Ministre, une délégation de présidents de conseils généraux et je vais recevoir les exécutifs qui viennent d'être élus ; j'en ferai de même avec l'association des régions de France, l'ARF.
Nous pouvons, bien sûr, avoir des divergences d'opinion, mais sachez que je n'agirai jamais à l'économie en ce qui concerne les rencontres, les concertations et l'écoute nécessaires. C'est indispensable pour une démarche comme celle que nous avons entreprise, soyez donc rassurée sur ce point.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'ai été un peu surpris des déclarations de M. le rapporteur.
En effet, la commission des lois a bien pris la position que vous avez indiquée, monsieur le rapporteur. Mais elle a également adopté les amendements que vous lui avez proposés.
Or, compte tenu des positions qui ont été prises par le Gouvernement, je pensais que les rapporteurs, avant de démissionner - ce qu'ils vont faire tout à l'heure lorsque la majorité sénatoriale aura repoussé leurs amendements (Sourires.) - auraient pu prendre une position contraire et décider de voter la question préalable. Cela aurait été dans la logique de leur position. Je suis peiné de leur décision.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2 tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi organique
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 162 :
Nombre de votants | 312 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 157 |
Pour l | ' | adoption | 106 |
Contre | 206 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Marc et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachée, d'une motion n° 14, tendant au renvoi à la commission du projet de loi organique.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, pris en application de l'article 722 de la Constitution, relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales (n° 314, 20032004). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à M. François Marc, auteur de la motion.
M. François Marc. Mes chers collègues, mes prédécesseurs à cette tribune n'ayant pas eu gain de cause, je vais tenter, malgré l'heure tardive, de vous convaincre d'adopter cette motion de renvoi en commission.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela s'impose !
M. François Marc. La réforme du financement des collectivités locales est un sujet de préoccupation largement partagé. Les « quatre vieilles », la taxe professionnelle, les dégrèvements, la péréquation..., autant de thèmes déjà évoqués maintes fois ici.
On peut se poser la question de savoir si ces sujets préoccupent vraiment le Gouvernement, monsieur le ministre. Depuis deux ans, en effet, le débat proposé aux parlementaires a conduit non pas à la recherche de solutions concrètes aux problèmes soulevés, mais à une tentative ô combien laborieuse pour définir l'autonomie financière, ce qui, on pouvait s'y attendre, a permis de balayer un large spectre d'approximations conceptuelles enrichies, comme cela a déjà été démontré, d'un bricolage constitutionnel peu explicite.
Le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd'hui s'inscrit dans cette démarche purement académique et révèle un fort degré d'impréparation ainsi qu'une profonde contradiction non seulement avec les objectifs initialement visés, mais aussi, et surtout, avec les attentes majeures des élus locaux, que ce texte gouvernemental était censé satisfaire.
L'objet de la motion est donc de faire apparaître que, à l'heure actuelle, aucune analyse sérieuse, aucune simulation financière, aucune anticipation des effets indirects qu'aurait l'application de ce texte n'ont été proposées aux commissions pour qu'elles en débattent - en tout cas au Sénat ; peut-être en est-il allé autrement à l'Assemblée nationale !
Au demeurant, une question simple peut être posée : pourquoi la majorité gouvernementale éprouve-t-elle les plus grandes peines du monde à se « caler » sur une ligne directrice claire et fédératrice ? On a pu constater les divisions qui traversent la majorité sénatoriale sur ce sujet ô combien important !
A nos yeux, la réponse est simple : c'est que la droite a une vision réductrice de ce qu'est l'autonomie financière des collectivités. Le Gouvernement se retranche ainsi derrière une définition de l'autonomie très étriquée, qu'il a présentée à l'Assemblée comme la « seule solution qui soit politiquement acceptable ». Une telle perception des choses ne peut qu'inquiéter !
Le fait, par exemple, de n'envisager que comme « option » l'autorisation donnée aux collectivités locales par le législateur de voter le taux et l'assiette des impôts qui leur sont transférés est, à cet égard, significatif d'une régression par rapport à l'esprit des réformes décentralisatrices successives, en particulier par rapport à la présentation qu'en faisaient récemment encore le Gouvernement et sa majorité.
Le projet de loi organique n'apporte aucune valeur ajoutée au troisième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution ; la tautologie qu'il représente est l'expression manifeste d'un retrait, là où il eût fallu donner des signes forts et ambitieux.
L'examen par le Sénat de la proposition de loi cosignée par son président, M. Poncelet, avait d'ailleurs laissé apparaître une conception plus progressiste et plus ouverte de l'autonomie financière que celle qui nous est proposée aujourd'hui. Cette proposition de loi, qui conférait en particulier une réelle consistance fiscale et financière au principe de libre administration des collectivités territoriales et créait une nouvelle catégorie spécifique de lois, ne trouve pas sa transcription dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui, et l'on peut s'étonner du double langage du Premier ministre, M. Raffarin, qui avait cosigné en 2000 la première version de cette proposition de loi.
Enfin, dans un rapport de la commission des lois, il était affirmé que la notion de « libre administration » apparaissait « plus prometteuse que précise », mais, aujourd'hui que l'ancrage constitutionnel de la décentralisation a été renforcé, le projet de loi organique que vous défendez, monsieur le ministre, permet de soutenir que le principe d'autonomie financière est plus précis que prometteur !
Une autre idée est que la décentralisation est un principe d'intérêt général ; il n'est donc ni de droite ni de gauche, et les majorités qui se sont succédé y ont été fidèles.
Or le projet de loi organique est profondément idéologique dans la mesure, monsieur le ministre, où vous considérez que l'autonomie financière se réduit à l'autonomie fiscale au sens large : celle-ci n'est au contraire qu'une partie de celle-là, notamment au regard de l'autonomie de gestion dont doivent pouvoir bénéficier les collectivités. L'exemple allemand montre bien qu'une grande autonomie de gestion est possible même lorsque l'autonomie fiscale proprement dite est faible.
Mais si l'on veut maintenir une fiscalité locale « déterminante », encore faut-il qu'elle soit juste ! En réalité, l'introduction de votre ratio instaure un effet de cliquet sans retour en arrière possible là où tant d'élus locaux espéraient la possibilité de réorganiser enfin la fiscalité locale et de mettre un terme à l'opacité et à l'injustice qui la caractérisent.
Ici encore, comment ne pas voir la portée idéologique de vos définitions et de votre texte ? Vous diminuez les recettes d'un impôt équitable, l'impôt sur le revenu et, dans le même temps, vous organisez le recours systématique aux « quatre vieilles », qui sont profondément injustes. Voilà bien un choix politique que nous ne pouvons accepter pour l'avenir !
S'agissant du projet gouvernemental de partage des grands impôts productifs, il faut rappeler ici qu'il correspond à un modèle d'extrême dépendance fiscale des collectivités. Telle est par exemple l'analyse de M. Jacques Blanc, spécialiste bien connu au Sénat, pour qui la notion d'autonomie financière s'apprécie au regard de la part relative des seuls impôts locaux dans le total des ressources, à l'exclusion des dotations d'Etat.
C'est d'ailleurs la même définition qui prévaut à l'échelon européen puisque, selon l'étude publiée en 2002 par Dexia, les impôts nationaux dont le produit est réparti entre l'Etat et plusieurs niveaux de collectivités sont considérés comme des transferts financiers. Il n'y a aujourd'hui que le Gouvernement pour prétendre qu'un impôt partagé est un impôt local ! Et il n'est même pas encore certain que les transferts de TIPP et de taxe sur les assurances aux régions et aux départements puissent s'accomplir dans le respect du cadre européen.
Si la ressource fiscale constitue un élément sine qua non de l'autonomie financière, elle n'en est pas pour autant la panacée : pour de nombreuses collectivités, l'autonomie repose avant tout sur la garantie de ressources qui découle des dotations et des péréquations.
Là encore, l'exemple de nos voisins européens atteste que l'autonomie financière peut être assurée dans le cadre d'une fiscalité faible et de dotations élevées, à la condition toutefois que le niveau de celles-ci soit inscrit dans la Constitution ou qu'il résulte d'une négociation nationale entre l'Etat et les collectivités locales.
Or le Gouvernement a confirmé que figurait au coeur de son projet la volonté de mettre un terme au développement des dotations budgétaires et que le système des pays d'Europe du Nord, dans lequel les ressources des collectivités territoriales sont constituées pour 60 % ou 70 % de dotations, ne relevait pas de sa conception de l'autonomie financière. Comment feront donc les collectivités françaises qui n'ont pas le potentiel fiscal suffisant à leur développement et qui, en outre, recevront des dotations moindres ?
Monsieur le ministre, nous notons enfin, après M. Jean-Pierre Sueur, que la péréquation n'apparaît nulle part dans le projet de loi, alors qu'elle est devenue depuis mars 2003 un principe de valeur constitutionnelle. Nous savons pourtant que seule la redistribution verticale permet d'assurer efficacement une répartition équitable des ressources ! A ce jour, la force péréquatrice est véritablement laissée dans l'ombre.
Monsieur le ministre, après cette analyse sans complaisance - mais, je le crois, objective - qui reprend et synthétise les arguments développés par mes collègues, je voudrais préciser les raisons légitimes qui, à nos yeux, justifient le renvoi du projet de loi à la commission.
Un constat s'impose à nous aujourd'hui : le ratio d'autonomie n'a pour l'instant fait l'objet d'aucune analyse dynamique. Des effets pervers sont-ils à attendre, comme de nombreux élus locaux le redoutent ?
Je m'interroge donc sur les évolutions dans le temps des composantes du dénominateur et du numérateur de ce ratio d'autonomie, car chacun a conscience que, lorsque celui-ci aura été défini, la pression s'exercera pour que le numérateur soit majoré et le dénominateur « freiné ». A quels effets faut-il s'attendre ?
Je poserai donc six questions, auxquelles je souhaite que des réponses puissent être apportées, l'objet du renvoi à la commission étant justement la recherche des éclaircissements nécessaires.
Première question : sachant que la préservation du taux d'autonomie devra s'appuyer sur une évolution plus que modérée du dénominateur, et donc des dotations de l'Etat, qu'en sera-t-il du respect des engagements pris par l'Etat à l'égard des collectivités ?
Je prendrai l'exemple du financement de l'APA : à l'heure actuelle, l'Etat en assume 40 %, contre 60 % pour les départements, alors que chacun se souvient que l'objectif fixé était la parité. Ne va-t-on pas utiliser le respect du ratio d'autonomie comme un argument très commode pour justifier le gel, voire l'abandon de certaines dotations aux collectivités - je ne les citerai pas toutes, car nous en avons discuté ici même -, que ce soit le FNDAE ou d'autres, qui, aujourd'hui, posent problème ?
Deuxième question : le respect du ratio ne peut-il en certaines circonstances se révéler un obstacle à la mise en oeuvre sur le plan national d'une politique de relance fondée sur l'interventionnisme économique territorial ? Ne peut-on craindre, monsieur le ministre, une certaine forme de stérilisation du levier keynésien de relance économique, sachant que l'Etat s'interdira désormais toute action ambitieuse d'entraînement qui risquerait de déséquilibrer le ratio d'autonomie ?
Le Gouvernement inscrit certes son action dans une logique libérale, mais cela doit-il pour autant conduire à neutraliser tous les leviers de l'interventionnisme public ? Ce point mérite, me semble-t-il, d'être analysé.
Troisième question : le ratio d'autonomie institue implicitement un frein très important à la solidarité entre collectivités puisque les fonds alloués à la péréquation verticale ne sont pas exclus du dénominateur. Seuls les fonds transférés entre les collectivités d'une même catégorie sont mentionnés dans le texte.
Cette perception a minima de la péréquation est inquiétante. On sait pourtant, grâce aux analyses comparatives conduites au plan international - un groupe de travail fonctionne d'ailleurs au Sénat depuis un an sur la péréquation, mais nous n'avons pas encore eu connaissance de ses conclusions - que la péréquation verticale est véritablement la solution la plus efficace pour compenser les inégalités entre collectivités. Pourquoi le Gouvernement traite-t-il donc a minima la péréquation verticale ? A-t-il déjà tiré un trait sur toute ambition de correction des injustices entre collectivités ?
Quatrième question : quelle sera la répercussion de ce ratio d'autonomie sur les impôts locaux ? La réponse est claire : l'incitation à accroître la fiscalité locale est sous-jacente à la formulation même du ratio d'autonomie. Doit-on rappeler à cet égard que, lors de la dernière discussion du projet de loi constitutionnel en 2002, le ministre du budget avait déclaré sans ambages que « la décentralisation vise à échanger de la liberté contre de l'argent » !
Tout le monde a conscience que la stratégie du Gouvernement consiste à transférer une part de fiscalité nationale sur la fiscalité locale, ce qui inquiète d'ailleurs vivement nombre d'élus locaux.
Cinquième question : la pression créée sur le numérateur du ratio d'autonomie vise en second lieu les taxes et redevances diverses exigibles des usagers des services publics locaux. Chacun a en mémoire à ce sujet le leitmotiv maintes fois entendu dans le discours répétitif des libéraux du Gouvernement : « il faut faire payer l'usager ». Le projet de loi sur les transferts de compétence aux collectivités apporte d'ailleurs une illustration de cette approche purement idéologique clairement affichée par le Gouvernement.
Chacun se souvient ici du débat qui avait agité la Haute Assemblée lors de la discussion de l'article 14 du projet de loi de décentralisation à propos de l'institution de péages sur les voies express : le Gouvernement avait ignoré les critiques fondées du groupe socialiste en la matière. Il a pourtant dû reculer lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale en février dernier, tant la colère était grande dans les territoires excentrés où l'on se demande si l'aménagement du territoire veut encore dire quelque chose dans ce pays.
Une fois sanctuarisé le ratio d'autonomie, ne va-t-on pas assister à une montée inexorable du principe libéral de l'usager payeur au détriment des mécanismes fiscaux de solidarité ?
Enfin, s'agissant de la troisième composante du numérateur, des interrogations légitimes ont été soulevées par l'Assemblée des départements de France au sujet de la dynamique de la TIPP ainsi que de la taxe sur les conventions d'assurances.
L'ADF craint, à cet égard, un effet d'élasticité peu favorable aux collectivités, tant pour les recettes de TIPP qui n'ont augmenté que de 10% depuis 1995 alors que la DGF progressait de 25 %, qu'en ce qui concerne la taxe sur les conventions d'assurance, qui a connu une régression très importante au cours des deux années passées.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, les sujets d'interrogation, on le voit, ne manquent pas quant aux effets attendus du coefficient d'autonomie fiscale et, plus largement, de l'architecture du dispositif fiscal envisagé par ce projet de loi organique. Au sein de la majorité, chacun l'a noté, le scepticisme est assez général : il est d'ailleurs facilement perceptible au Sénat !
Le texte du Gouvernement, produit d'un arbitrage plus que laborieux, sème le doute et pose plus de questions qu'il n'en résout.
Au Sénat, le travail en commission n'a, loin de là, pas vraiment permis à ce jour d'éclairer le débat.
Le véhicule gouvernemental fonce tous feux éteints en direction d'un énorme précipice. Alors, chers collègues, contribuons à l'allumage des projecteurs en adoptant cette motion de renvoi à la commission, de manière à ce qu'un travail sérieux d'auditions, de simulations financières et d'analyse dynamique soit mené avant toute décision précipitée sur un projet de loi d'une telle importance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission n'a pas eu l'occasion d'examiner cette motion, en raison de son dépôt tardif. J'ai demandé à M. Peyronnet s'il souhaitait que la commission se réunisse pour l'examiner. Cependant, je lui ai fait remarquer que les trois motions ayant le même objet, il me semblait que la troisième serait traitée comme les deux premières ; comme il était d'accord avec moi, il ne nous a pas semblé nécessaire de réunir la commission, puisqu'elle aurait émis un avis défavorable. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 14, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 163 :
Nombre de votants | 312 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 153 |
Pour l | ' | adoption | 106 |
Contre | 198 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.