PRÉSIDENCE DE M. Bernard Angels
vice-président
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 111 minutes ;
Groupe socialiste, 59 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 25 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 20 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 16 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les élus locaux sont inquiets. Ils souhaitent être pleinement associés aux décisions concernant les collectivités, comme cela avait été promis, et ils ne sont pas entendus.
Comme le rappelait tout à l'heure notre collègue Michel Mercier qui parlait de confiance, si vous voulez retrouver la confiance, vous devez faire preuve d'écoute et de respect. Il faut connaître les propositions et les attentes des élus locaux. Il est important de le rappeler, car les projets du Gouvernement vont à l'encontre de leurs aspirations.
Veuillez m'excuser si je ne parle pas uniquement des aspects techniques du projet de loi, mais je préfère situer mon propos dans le contexte actuel en évoquant la France d'aujourd'hui, son évolution, ainsi que le travail des élus des collectivités locales.
Les élus demandent un moratoire, notamment sur les projets concernant La Poste et les fermetures de classes. Ils veulent que les hôpitaux de proximité soient préservés. A ce sujet, nous verrons ce que le ministre de la santé compte faire après l'annonce qu'il a faite en ce sens ce week-end.
Les élus locaux veulent également que les finances locales cessent d'être toujours plus sollicitées, comme c'est le cas pour les réseaux téléphoniques, pour le maintien d'une succursale de la Banque de France ou d'une perception, et pour bien d'autres services.
Les élus demandent à l'Etat d'assumer ses missions, de garantir des services publics de qualité sur l'ensemble du territoire et de s'opposer à la privatisation de ces services, qui est commandée par la logique libérale en oeuvre à l'Organisation mondiale du commerce et à Bruxelles.
Mais c'est aussi parce qu'ils assument leurs responsabilités que les élus attendent que l'Etat assume les siennes. C'est en ce sens qu'il faut comprendre l'urgente nécessité d'effectuer une réforme des finances locales.
Ce que vous proposez est contraire à ces aspirations et à ces demandes.
Le texte que nous examinons aujourd'hui en témoigne. Portant sur l'autonomie financière des collectivités, il n'offre aucune garantie en la matière. Il promet des budgets locaux encore plus enserrés et plus contraints, au nom de cette logique libérale, dissimulée derrière une prétendue responsabilité non pas de l'Etat, mais des élus locaux auxquels l'Etat n'accorde même pas un bon statut.
Ce projet de loi est signé par le ministère de l'intérieur. Comme pour justifier ce fait, on nous dit qu'il s'agit d'un débat de spécialistes autour de définitions juridiques. Mais il conviendrait qu'on sache aussi ce que projette le ministère des finances s'agissant des finances locales.
Cela éclaire le débat d'aujourd'hui, car, à Bercy, il n'est nullement question d'autonomie des collectivités, même sous la forme dévoyée que l'on nous propose.
Vu du ministère des finances, le débat sur les ressources des collectivités, sur les compétences à transférer, sur les rapports entre l'Etat et les collectivités, sur les services publics, prend un tout autre relief.
Il n'est en effet question que d'une chose : la mise en place d'un pacte de stabilité interne avec les collectivités locales. Certains disent que ces vingt dernières années auraient été une période privilégiée pour les collectivités locales, que ce temps est révolu et qu'il faut désormais que celles-ci se serrent la ceinture.
C'est méconnaître la situation de la majorité des collectivités. On nous parle sans cesse de leurs excédents, de leur prétendue bonne santé financière, mais rares sont les élus locaux qui ne rencontrent aucune difficulté et disposent de marge.
« Ce n'est pas d'autonomie, c'est de crédits dont a besoin ma commune », m'a dit récemment un maire.
Le coût du recensement, celui des élections, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, la CNRACL, l'aide sociale, les familles de plus en plus nombreuses qui viennent demander de l'aide dans les mairies pour pouvoir manger, se loger, tout simplement vivre, ceux qui cherchent un travail, un système de garde pour leurs enfants, des loisirs accessibles, sortir les anciens de leur isolement : tel est le quotidien des mairies. Il faut gérer des équipements publics et des services pour répondre aux urgences et aux besoins des populations et pour tenter de leur donner une petite part de bonheur.
Le quotidien des mairies, c'est aussi faire face aux délocalisations ; je pense à l'usine Hoya, à Pont-de-l'Arche, où 129 emplois ont été supprimés, à France Champignons, à Châtellerault, bassin d'emplois fragilisé, où l'on compte 140 emplois en moins. Ce sont 300 postes qui vont disparaître chez Sony, à Ribeauvillé dans le Haut-Rhin ; l'usine Nestlé de Saint-Menet va licencier 424 salariés. D'ailleurs, notre collègue Jean-Claude Gaudin a dit à ce sujet que « la ville n'acceptera pas que sa lutte pour l'emploi concernant les Marseillais soit affectée par la recherche maximale de profit ».
Même si notre collègue a une responsabilité dans la politique gouvernementale, je soutiens ses propos, d'autant qu'il a connu une autre catastrophe avec le désengagement de l'Etat concernant le métro et le tramway. Cela met les finances « dans une certaine difficulté », selon les dires de l'un des membres de sa majorité.
Voilà le quotidien des mairies, qu'elles soient petites, moyennes ou grandes, situées en milieu urbain ou en milieu rural. Et que propose le Gouvernement ? Un pacte de stabilité interne !
Quant à la majorité sénatoriale, elle suggère ni plus ni moins que ce pacte se fasse au détriment des collectivités les plus démunies, rompant ainsi un peu plus le pacte républicain.
La question du manque de moyens est donc absente du projet de loi.
Examinons d'abord l'article 1er, qui prévoit une définition des catégories de collectivités mentionnées à l'article 72-2 de la Constitution.
Comme il est question de finances, on est en droit de s'attendre à des ensembles cohérents de ce point de vue. Et voilà que sont regroupés toutes les communes et leurs groupements, puis tous les départements, puis toutes les régions, c'est-à-dire des entités connaissant d'énormes disparités de richesses et de charges.
Quoi de commun entre toutes les communes quand on sait que le potentiel fiscal varie de un à neuf cents ? Quoi de commun entre le département de la Seine-Maritime, dont le réseau de routes nationales est de quatre cents kilomètres, et celui des Hauts-de-Seine, qui n'en possède que 62 kilomètres ? On sait, par ailleurs, que ces deux départements connaissent des écarts de richesse considérables et que le transfert des routes envisagé par l'Etat coûterait au département trois fois plus que ce que l'Etat compte donner.
Nier ces disparités, c'est ignorer la question primordiale de la péréquation, qui devrait pourtant être au coeur d'un débat sur l'autonomie financière. Pis encore : pour le Gouvernement comme pour la majorité sénatoriale, la péréquation assurée par l'Etat va à l'encontre de l'autonomie financière ! C'est absurde.
L'article 2 définit la notion de ressources propres ; il fait l'unanimité contre lui. La majorité sénatoriale prétend y remédier. Nous verrons que ce n'est nullement le cas.
Pour notre part, nous demandons la suppression de cet article parce qu'un tel débat est prématuré. Tout d'abord, nous ne savons pas quel sera l'avenir de la taxe professionnelle. La commission Fouquet, qui est chargée d'y réfléchir, a repoussé la date à laquelle elle doit rendre sa copie. A la fin du mois de juin, nous ne disposerons d'ailleurs que d'un rapport d'étape.
Certains de ses membres parlent de casse-tête. Comment pourrait-il en être autrement vu la composition de cette commission ? N'aurait-il pas fallu ouvrir le débat sur cette question primordiale pour le financement des collectivités ? Cela aurait permis d'envisager d'autres pistes, notamment celle de l'inclusion des actifs financiers dans la base de cet impôt.
Nous ne connaissons pas non plus les conditions dans lesquelles s'effectueront le transfert de la TIPP et celui des droits sur les conventions d'assurance.
Pour ce qui est de la TIPP, le Gouvernement se veut rassurant sur la possibilité pour les collectivités de moduler le taux de cet impôt. Mais quid de son évolution ? Quid de sa répartition face aux besoins ? Quid des contribuables ?
Quant aux conventions d'assurance, les élus locaux aimeraient connaître la répartition de l'assiette.
Ils s'interrogent aussi sur l'avenir des dotations de l'Etat. Le Gouvernement ne veut pas ou ne peut pas répondre à ces questions. Il reste évasif et propose une définition très ouverte de la notion des « 'impositions de toutes natures » : l'impôt transféré par l'Etat ferait partie des ressources propres, quand bien même les élus locaux ne disposeraient d'aucun pouvoir sur le taux ou sur l'assiette.
Personne n'est donc convaincu lorsque le Gouvernement tente de démontrer qu'il existe une différence entre cet impôt transféré et les dotations, comme si, d'ailleurs, le débat était là ! L'essentiel, je le redis, est de résoudre la question du manque de moyens, ce que permet, à notre avis, la proposition de loi sur les finances locales que nous avons déposée.
J'en viens maintenant à l'article 3, où l'on explique comment s'effectue le calcul du ratio. Je ne veux pas entrer dans le détail ; je ferai simplement appel au bon sens.
Ne trouvez-vous pas paradoxal qu'une catégorie de collectivités dont les moyens sont en hausse à la suite d'une hausse des dotations voit son autonomie financière diminuer ou, si ses moyens baissent, cette autonomie augmenter ? C'est ce à quoi le calcul de ce ratio peut conduire !
Dans ces conditions, prévoir un mécanisme de correction, comme le prévoit l'article 4, c'est une blague ! Que corrige-t-on ?
Par conséquent, tout cela n'a pas de sens. On est loin, très loin de la réforme des finances locales qu'attendent tous les élus.
Nous espérons que vous voterez la motion tendant à opposer la question préalable que défendra Nicole Borvo. A défaut, nous vous proposerons des amendements de suppression de chacun des articles de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. André Vallet.
M. André Vallet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l'autonomie financière des collectivités territoriales est d'une grande actualité. En effet, depuis presque vingt ans, cette autonomie n'a pas cessé de se dégrader. De 1997 à 2002, ce long mouvement s'est brutalement accéléré.
Ainsi, les débats qui s'engagent sur ce projet de loi organique sont particulièrement importants, car le problème du financement des collectivités territoriales est au coeur de la conception que l'on se fait de la démocratie locale.
Nous sommes désormais confrontés à un dilemme crucial pour l'avenir de nos institutions : soit l'on considère qu'une certaine liberté de fixation de l'assiette et du taux des impôts par les collectivités territoriales est un élément central du fonctionnement de notre démocratie, soit l'on estime qu'il faut limiter au maximum les dépenses publiques locales, en alimentant financièrement les collectivités locales par diverses dotations et compensations financières et le moins possible par des impôts locaux dont le taux ou l'assiette sont fixés par des assemblées délibérantes locales.
Monsieur le ministre, je constate avec regret que votre gouvernement tend à privilégier la seconde voie, celle qui tend à se méfier de la gestion et des initiatives entreprises par les collectivités et qui fait de notre pays un Etat unitaire toujours trop centralisé. Fidèle aux valeurs de liberté et de responsabilité, notre groupe, le Rassemblement démocratique et social européen, est favorable à ce qu'une part prépondérante, et non déterminante, des dépenses locales soit financée par des impôts locaux dont le taux et l'assiette sont fixés par les assemblées locales.
Notre système fiscal local est devenu archaïque, complexe et, malheureusement, trop pesant. J'aurais donc plusieurs critiques fondamentales à émettre.
Tout d'abord, la définition du ratio d'autonomie financière n'est pas conforme au degré d'autonomie financière réelle des collectivités territoriales. La définition des ressources propres donnée par le projet de loi organique est très insuffisante. En quoi le versement aux collectivités locales d'impôts dont l'assiette et les taux sont votés par le Parlement traduirait-il une autonomie financière des collectivités territoriales ?
Cette thèse, proposée par le Gouvernement, ne me semble ni réaliste ni justifiée. Elle porte indirectement atteinte au principe de libre administration des collectivités. A cet égard, ma position rejoint très largement celles de nos rapporteurs. La loi organique faisant l'objet d'un contrôle automatique du Conseil constitutionnel, le Gouvernement, en persistant dans cette voie, peut prendre le risque de se voir reprocher l'inconstitutionnalité de ces dispositions.
En outre, le projet de loi donne une définition des ressources propres qui exclut d'office les dotations versées par l'Etat. Cela signifie que l'Etat ne pourra plus désormais décider la suppression d'une ressource fiscale ou sa diminution et remplacer cette ressource par des compensations fiscales ou des dotations budgétaires. Il devra, dans ce cas, remplacer la ressource fiscale correspondante par un autre impôt. L'enjeu principal réside donc dans le contour que le Sénat va donner à la notion d'« impositions de toute nature ».
Il ressort de la formulation du texte que si la loi organique retient le transfert d'impôts nationaux comme ressource propre, un tel transfert préserverait l'autonomie financière des collectivités, même dans les cas où celles-ci n'ont pas la possibilité d'en moduler le taux. Ce n'est pas l'avis de la grande majorité des élus locaux de notre pays, qui considèrent qu'une ressource constituée du transfert par l'Etat d'un impôt national ne peut être qualifiée de ressource propre dans la mesure où ce dispositif implique que les collectivités locales ne disposent pas de marge de manoeuvre sur cette ressource.
L'autonomie financière doit reposer sur une plus grande autonomie fiscale des collectivités, impliquant une forte responsabilisation fiscale des élus. Là encore, tout comme mes collègues rapporteurs de ce texte, j'estime qu'une ressource propre est une ressource dont l'assemblée délibérante peut faire varier librement le montant ou le taux.
Enfin, mes chers collègues, j'aimerais vous faire part de mon regret que la péréquation financière soit quelque peu ignorée par ce projet de loi.
Il me semble particulièrement opportun de plaider avec conviction la cause des redistributions financières entre les collectivités territoriales.
M. Bernard Frimat. Très bien !
M. André Vallet. Depuis plusieurs mois, le RDSE, sous l'autorité de son président, Jacques Pelletier, a constitué un groupe de travail afin de tenter de trouver des solutions aux difficultés soulevées par la péréquation. En effet, la France est un pays où l'ampleur des inégalités entre collectivités confine le plus souvent à de profondes disparités, sans doute uniques en Europe.
C'est dans cet esprit que le RDSE a élaboré un certain nombre de propositions de réforme afin d'améliorer l'efficacité des actions de péréquation. Comme chacun le sait, l'entreprise est difficile. Tout dépend non pas d'une simple expression de la volonté politique de redistribuer, mais bien du contenu des mesures à prendre pour servir des objectifs clairement identifiés au préalable.
Les expériences en France et à l'étranger ont mis en valeur la nécessité de bien distinguer l'égalisation des capacités fiscales définies par le montant des recettes fiscales par habitant et le rééquilibrage des territoires par le recours à des critères d'ordre géographique ou socioéconomique.
En l'état actuel du système de péréquation française, il semblerait donc raisonnable, d'une part, d'affecter les redistributions fiscales à l'égalisation des capacités fiscales par le recours à une péréquation de type horizontal, c'est-à-dire entre collectivités et, d'autre part, d'affecter les dotations versées par l'Etat au rééquilibrage de nos territoires par une compensation des coûts clairement identifiés.
Bien entendu, les quelque 10 milliards d'euros versés pour la compensation de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle ne devraient plus être intégrés à la DGF, désormais recentrée sur la compensation des charges.
Une période transitoire serait nécessaire pour ne pas perturber brutalement l'alimentation des budgets locaux. Mais l'abondance de la ressource permet précisément d'aménager une échelle dégressive sans rupture de financement.
L'examen du projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales fournit l'occasion d'effectuer une telle clarification. Dès lors, puissent vos réponses, monsieur le ministre, nous éclairer sur un sujet aussi technique qu'incontournable. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons enfin en première lecture le projet de loi organique prévu par la Constitution en application de son article 72-2 relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Je n'ironiserai pas, ou pas trop, sur le fait que la grande victoire constitutionnelle obtenue par la majorité du Sénat et qui visait à faire en sorte que notre assemblée soit saisie en premier des projets de loi concernant les collectivités locales est une nouvelle fois battue en brèche. En réalité, le Gouvernement fait ce qu'il veut et, en l'occurrence, je ne saurais lui reprocher d'avoir saisi en premier l'Assemblée nationale qui, en tout état de cause, et c'est bien ainsi, reste habilitée à fixer la loi, toutes procédures achevées, en dernière analyse. Cette question de forme, qui ne concerne que l'amour propre de la majorité sénatoriale, est de peu d'importance, quoiqu'elle ait été présentée ici comme majeure.
Je n'ironiserai pas trop non plus sur l'inanité des deux lois organiques qui ont déjà été examinées l'an passé par le Parlement, que leur contenu législatif soit inopérant ou que les circonstances politiques les aient, dès le départ, réduites à une inefficacité totale.
Après ce qui s'est passé en Corse et outre-mer, quelle collectivité osera encore utiliser la consultation populaire pour déroger aux lois ou pour faire évoluer son statut ? On sait, par ailleurs - ce que vous avez toujours voulu ignorer - que le referendum décisionnel, principalement intéressant pour les communes, est quasi inapplicable, puisqu'il ne peut légitimement concerner que leurs compétences, lesquelles ont été transférées massivement aux groupements de communes, qui ne se sont pas vu reconnaître une existence suffisante pour avoir le droit d'organiser des référendums. Nous votons ainsi des dispositions établissant des procédures mort-nées que l'on nous présente comme de petites révolutions.
Toutes choses égales, le texte relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales que nous examinons aujourd'hui risque d'être très décevant et sans portée par rapport à son objet. Ce ne sera pas une surprise, en tout cas, pour les socialistes, qui, dès la révision constitutionnelle de l'an dernier, ont dénoncé le flou de l'article 72-2 de la Constitution sur deux dispositions majeures : les ressources propres et la part déterminante de celles-ci.
Plus tard, lorsque nous avons examiné, à marche forcée, de jour et de nuit, les compétences à transférer dans le projet de loi relatif aux responsabilités locales, nous n'avons eu de cesse de réclamer des précisions sur les financements, leur méthode, leur nature et leur montant. Finalement, ces précisions ne venant pas et le Gouvernement se crispant, longtemps, dans son obstination à vouloir examiner les transferts avant leur financement, nous nous sommes convaincus que le Gouvernement voulait transférer d'abord les déficits et l'impopularité qui va avec et non les compétences pour l'efficacité de leur exercice. (M. Jean-Jacques Hyest s'exclame.)
Nous ne sommes pas déçus et nous sommes même intellectuellement satisfaits d'avoir dénoncé les premiers le piège de la Constitution qui se referme avec cette loi organique.
Sans vouloir parler au nom des autres, je pense à ceux qui, dans la majorité, ont voté la révision constitutionnelle - et plus tard, en première lecture, les transferts -, qui l'ont votée par devoir comme il arrive à toute majorité, en faisant confiance au Gouvernement pour une compensation effective des charges transférées. Comme nous, ils étaient bien sûr inquiets, car ils entendaient le questionnement lancinant des élus locaux, communaux, qui dénonçaient les transferts de charges de l'Etat vers les collectivités, sachant bien que, si les départements et les régions étaient directement touchés, cela aurait mécaniquement des répercussions budgétaires sur les recettes locales. Le texte d'application, de principes constitutionnels incertains, ne peut lever les craintes d'une opération mal engagée dès le départ.
Mais je pense surtout à ceux qui ont voté le texte avec la meilleure foi du monde pensant que le principe de compensation intégrale inscrit dans les articles était une garantie tout risque et qui constatent maintenant que ce n'est pas le cas, puisque les impositions de toutes natures visant à compenser les charges nouvelles issues de l'Etat peuvent être aussi bien des impôts territoriaux modulables que des impôts d'Etat ramenés à de simples compensations non modulables.
Bien entendu, je vais revenir sur ces points majeurs. Mais je me tourne vers les centristes, qu'ils se soient ralliés au grand parti majoritaire ou qu'ils aient gardé leur autonomie : « n'avez-vous pas le sentiment d'avoir été floués ? ». Et vous, monsieur le rapporteur de la commission des lois, par ailleurs président de l'Association des maires de France, que tout le monde respecte dans cette assemblée, pensiez-vous, lors du vote de la révision constitutionnelle, que vous seriez obligé de menacer de démissionner de votre mission de rapporteur du projet de loi organique pour obtenir satisfaction, et une satisfaction apparente ? Car nous avons vu ce qui s'est passé en commission des lois ! La commission a voté à l'unanimité votre amendement établissant l'obligation de modulation des bases et des taux dans la fiscalité transférée intégrée aux ressources propres, mais je ne suis pas du tout sûr que cette garantie d'autonomie passera tous les obstacles parlementaires.
Monsieur le rapporteur, ne craignez-vous pas que le dialogue parlementaire n'en décide autrement et que ce soit peut-être le cas dès cette première lecture dans notre assemblée ?
Je dénonce par avance une manoeuvre qui consisterait, par exemple, à réserver l'examen du contenu des ressources propres jusqu'à la fin de la discussion avec un vote hostile à vos propositions, mais qui vous permettrait de garder jusqu'au bout votre fonction de rapporteur, de sauver la face et votre position de défenseur des intérêts des quarante cinq mille communes et groupements de France. Je sais bien que tel n'est pas votre souhait, mais il n'est pas inconcevable que d'autres aient imaginé un scénario de ce type.
Sur l'ensemble des travées, nous avons un point d'accord sur ce projet de loi organique : c'est un texte court, simple et clair dans son architecture.
L'article 1er fixe les catégories de collectivités ; on remarquera qu'elles sont différentes de celles qui sont retenues par la Constitution. S'agissant d'une loi organique, il en ressort une interrogation sur laquelle mon collègue Bernard Frimat devrait vous questionner, monsieur le ministre.
L'article 2 définit les ressources propres des collectivités.
L'article 3 s'attache à mettre en oeuvre cette part déterminante prévue par la Constitution, avec l'objectif de garantir la libre administration des collectivités territoriales.
Enfin, l'article 4 permet au Parlement d'exercer son contrôle sur la réalité de cette part déterminante des ressources propres de chaque catégorie. II s'agit d'une disposition qui aurait pu être intéressante, mais qui est vidée de son contenu par l'extrême lenteur de la procédure ainsi créée, comme par le fait que nous sommes toujours dans des ratios moyens qui négligent les cas particuliers.
On le comprend aisément, l'essentiel des dispositions sont contenues dans les articles 2 et 3 : définition des ressources propres, fixation de la part déterminante de celles-ci dans les ressources totales.
Monsieur le rapporteur, je soupçonne que, malgré sa simplicité, ce texte vous a donné bien du souci.
Comme nous tous, vous savez pourtant que, si on l'avait bien voulu, il aurait été possible de reprendre purement et simplement deux courts alinéas d'une proposition de loi rédigée par des esprits brillants et dont la pensée législative s'est exprimée clairement et simplement.
Premier alinéa : « La libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi.
Second alinéa : « Les ressources fiscales représentent la part prépondérante des ressources des collectivités territoriales. »
Avouez que c'est d'une grande clarté et sans aucune ambiguïté : « prépondérante », cela signifie au moins la moitié ! Pour peu que l'on y eût ajouté, comme c'était notre souhait, un zeste de péréquation - et même plus qu'un zeste : sur ce point, je suis d'accord avec M. François-Poncet -, ce texte aurait vraiment été garant de la libre administration des collectivités territoriales.
La proposition de loi a été votée le 26 octobre 2000, et ses auteurs étaient notre président, M. Christian Poncelet, le président du comité des finances locales, M. Fourcade, et les présidents des trois grandes associations d'élus, dont l'actuel Premier ministre, qui était alors membre de notre assemblée. C'était, en quelque sorte, avant Raffarin I, II ou III, le temps béni de Raffarin moins I ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)
M. Louis de Broissia. C'est mieux que zéro !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je n'ai pas dit zéro ! Ce n'était pas méchant ! C'était juste une façon de dire que c'était avant qu'il ne devienne Premier ministre ; il était comme nous !
Quant à l'exposé des motifs, il était tout aussi limpide et d'une rigueur extrême : les auteurs réclamaient la « compensation intégrale et concomitante des charges » transférées par l'Etat aux collectivités locales ; ils dénonçaient la baisse du pourcentage de la fiscalité modulable dans les ressources propres des collectivités, y voyant « un processus de recentralisation », une « atteinte à la substance même du principe constitutionnel de libre administration », une « décentralisation assistée et dépendante » et une « véritable tutelle budgétaire » exercée par l'Etat sur les collectivités.
Ils concluaient par une sorte d'appel à la résistance, puisque, expliquaient-ils, la situation qui mesure l'autonomie des collectivités par une réduction de leur fiscalité modulable « serait dangereuse pour la démocratie locale et, partant, pour notre République ». Excusez du peu, fermez le ban !
Lorsqu'on dit que le texte que nous examinons aujourd'hui est directement inspiré de cette proposition de loi, il y a tout de même là un réel abus de langage ; car si le thème est bien le même, le détail des mots conduit des principes simples à être absolument dénaturés.
S'il existe un texte qui a été directement inspiré de cette proposition de loi, c'est seulement la proposition initiale formulée par la commission des lois du Sénat lors de l'examen de l'article 6 du projet de loi de révision constitutionnelle et qui, après avoir précisé que les ressources propres devaient constituer une part prépondérante de l'ensemble de celles-ci, précisait que tout transfert de compétence et toute charge imposée par l'Etat « sont accompagnés du transfert concomitant de ressources garantissant la compensation intégrale et permanente de ces charges ». Quel beau texte, monsieur le président de la commission des lois, et quel dommage que de fortes pressions vous aient obligé à l'abandonner !
En tous les cas, M. Raffarin, au gré de ses fonctions successives, a bien évolué. L'enveloppe est la même, mais le contenu est radicalement différent. Il s'agit toujours, en apparence, de garantir l'autonomie des collectivités, donc leur libre administration. Mais une véritable manipulation permet de contourner le piège dans lequel la majorité s'est placée avec cette idée de la part déterminante - laquelle, je le signale en passant, n'est pas réellement définie, puisque l'article 3 dispose : « la part des ressources propres est déterminante [...] lorsqu'elle garantit la libre administration des collectivités ». C'est un raisonnement circulaire - il revient à son point de départ ! -, c'est un pléonasme, une tautologie ou, pour parler simplement, c'est le serpent qui se mord la queue ! Quoi qu'il en soit, cela ne fait pas avancer les choses.
Cette manipulation consiste à définir les ressources propres de manière très extensive, puisque sont visées les ressources fiscales de « toutes natures » - c'est inscrit dans la Constitution. Bien sûr - et c'est pour cette raison que je pense que nombreux sont les parlementaires qui, au moins dans l'esprit, ont été trompés lorsqu'ils ont voté le texte de révision constitutionnelle -, il s'agissait d'une fiscalité modulable qui excluait les dotations et les parts de fiscalité nationale, non modulables, qui ne sont rien d'autres que des dotations. Ainsi, si les départements perçoivent une fraction de la TIPP, sans possible modulation, cette fraction n'en fait pas moins partie des ressources propres concourant à l'autonomie et à la libre administration des collectivités.
Pourtant, les départements ne fixeront aucunement le taux, l'assiette ou les bases. Qui ne voit qu'il ne s'agira dès lors que d'un nouveau prélèvement sur recettes qui, de fait, devrait être comptabilisé comme tel et qui aura pour effet de réduire le ratio des ressources propres sur les ressources totales, alors que selon votre définition, monsieur le ministre, il augmenterait ce ratio ! Il nous faut être d'autant plus vigilants que le Conseil constitutionnel s'est dit très attentif à ce que cette dotation ne puisse baisser.
On est loin - je parlais de la déception des parlementaires - de ce que M. Méhaignerie croyait avoir compris lorsqu'il rapportait pour avis, à l'Assemblée nationale, sur le projet de loi constitutionnelle : « Les ressources propres paraissent devoir se limiter à celles dont les collectivités disposent d'une certaine maîtrise. »
Eh bien, non ! Si la République. était en danger en 2000, selon les bons auteurs sénatoriaux cités plus haut, que devrait-on dire aujourd'hui, alors que la part de la fiscalité modulable dans les ressources totales des collectivités est encore plus réduite ? Nous n'irons pas jusqu'à cet excès de langage et, plus prosaïquement, nous proposerons un amendement semblable à celui de l'AMF, défendu par notre rapporteur, désormais au nom de la commission unanime ! Car il n'est pas possible de ne pas réagir à cette définition aux termes de laquelle, à l'extrême, une collectivité qui ne recevrait que des dotations d'Etat, sans impôt modulable, serait le parangon de la libre administration alors qu'elle serait en fait sous tutelle !
Ce n'est pas que nous pensions que seule la possibilité de gérer bases et taux soit suffisante en elle-même pour assurer l'autonomie et la libre administration : quand une commune n'a pas de ressources, peu lui importe, bien sûr, de pouvoir fixer les taux de ses contributions ! Aussi pensons-nous, nous aussi, que la péréquation horizontale, mais surtout verticale - et c'est là que nous retrouvons un vieux clivage entre nous sur le rôle nécessaire de l'Etat -, fait partie intégrante de cette libre administration. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
Reste la question de la part déterminante. Je la traiterai rapidement, l'ayant abordée en même temps que la définition des ressources propres.
Nous dénonçons la méthode qui consiste à traiter toutes les collectivités d'une même catégorie de la même manière en se fondant uniquement sur des moyennes. Ainsi, la moyenne augmenterait, mécaniquement, si les ressources propres des seules collectivités les plus riches augmentaient, alors même que l'écart se creuserait entre collectivités ! Nous vous proposons donc des sous-catégories par tranches démographiques afin de limiter les effets trompeurs de ces moyennes.
Nous dénonçons le fait que votre texte, monsieur le ministre, n'est pas évolutif. Il ne considère pas que l'accroissement de l'autonomie financière des collectivités doive être un objectif. Aussi en reste-t-il à une photographie à un moment donné - en l'occurrence en 2003 - ce qui, par exemple, aboutit à geler la situation des régions à un plancher ridiculement bas qui les place quasiment sous la tutelle d'autres financeurs.
Nous rallierons-nous pour autant à la proposition de MM. les rapporteurs de retenir le seuil de 33 % ? Certes non, puisque cela reviendrait à fixer un plancher uniforme pour toutes les catégories, plancher inférieur à la réalité actuelle pour les régions et très inférieur pour les autres collectivités, départements et communes.
Je voudrais bien que l'on m'explique comment, pour la catégorie des départements, la réduction de la part de leurs ressources propres de plus de 55 % à 33% renforce leur liberté d'administration ! J'ai même beaucoup de mal à comprendre comment une telle réduction pourrait faciliter une future réforme fiscale, réforme que, pour notre part, nous aurions souhaitée préalable à toutes les lois, constitutionnelles, organiques et simples, portant sur la décentralisation !
M. le Premier ministre a fait de la décentralisation l'un des objectifs essentiels de son action gouvernementale ; il l'a conceptualisée, de façon dogmatique, pour en faire le moteur essentiel, et peut-être premier, du dynamisme de la société française ; il a cru que ce thème était populaire : sur tous ces points, il s'est trompé.
Je veux bien croire que les élections régionales et cantonales ont été pour les Français un moyen de contester la politique nationale du Gouvernement. Certes ! Mais notre vieille démocratie peut compter sur un corps électoral particulièrement intelligent. Et le message que celui-ci a passé, confirmé par les sondages, c'est oui à la décentralisation, mais pas de façon systématique et dogmatique. Oui, quand c'est nécessaire et justifié par une plus grande efficacité de l'action publique ; non, s'il s'agit de favoriser la compétition débridée et l'inégalité entre les territoires, au profit, bien sûr, des plus forts.
On aurait pu déduire des nombreuses déclarations du type : « Je vous ai compris » qu'un nouveau calendrier serait établi, qu'une nouvelle réflexion serait lancée sur les compétences à décentraliser, sur les méthodes, sur les moyens que l'Etat laisserait aux collectivités...
Or, à ce stade - et, monsieur le ministre, vous l'avez confirmé -, on a l'impression que rien n'est changé, que le calendrier est le même et que les objectifs ne sont infléchis qu'à la marge. Les présidents de région de toutes couleurs - il y a deux couleurs ! (Sourires.) - demandent avec obstination à être reçus pour évoquer, précisément, tous les thèmes que je viens de citer. Jusque-là, ils se sont heurtés à un silence méprisant. Or, pour ne prendre que l'exemple des personnels techniciens, ouvriers et de service de l'éducation nationale, les TOS, comment pouvez-vous imaginer imposer leur transfert alors que les agents y sont hostiles et que les collectivités qui devraient les accueillir - départements et régions - ne souhaitent pas le faire ?
Monsieur le ministre, ressaisissez-vous ! Revenez à une notion plus réaliste et plus juste et, surtout, ne croyez pas qu'une si belle idée puisse être imposée aux Français contre leur avis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « réforme bénéfique, la décentralisation a [...] permis une éclosion des initiatives locales, un rapprochement entre l'élu et le citoyen et une amélioration de l'efficacité de l'action publique.
« Dès l'origine cependant, la décentralisation a été marquée par des manquements au principe, simplement législatif, de compensation intégrale et concomitante des charges résultant du transfert aux collectivités locales de compétences exercées par l'Etat.
« A ces entorses répétées est venue s'ajouter, plus récemment, la réduction régulière du pouvoir fiscal des collectivités locales, comme en témoignent la suppression partielle des droits de mutation à titre onéreux, la mise en extinction de la part salariale de la taxe professionnelle et [...] la disparition de la part régionale de la taxe d'habitation.
« Ce processus de recentralisation des ressources des collectivités territoriales porte, à l'évidence, atteinte à la substance même du principe constitutionnel de libre administration.
« Si cette tendance devait se poursuivre, la décentralisation en serait gravement dénaturée, pour devenir une décentralisation assistée et dépendante où les collectivités locales se trouveraient soumises à une véritable tutelle budgétaire. Une telle dérive, contraire au principe de responsabilité des gestionnaires locaux, serait dangereuse pour la démocratie locale et, partant, pour notre République. »
Ces propos, je n'en suis pas l'auteur : ce sont tout simplement ceux que tenaient, en 2000, le président du Sénat, le président de l'Association des maires de France, le président du Comité des finances locales, le président de l'Assemblée des départements de France et le président de l'Association des régions de France dans l'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle n° 432 relative à la libre administration des collectivités territoriales et à ses implications fiscales et financières, texte qu'ils avaient cosigné et déposé sur le bureau de notre assemblée. Il a déjà été évoqué à plusieurs reprises.
Ils ajoutaient : « La protection constitutionnelle de l'autonomie fiscale des collectivités locales est, plus que jamais, indispensable en raison des menaces qui planent sur l'existence même de l'impôt local. » Ils proposaient donc l'inscription dans la Constitution d'un nouvel article 72-1 visant à préciser que « la libre administration des collectivités territoriales est garantie par la perception de ressources fiscales dont elles votent les taux dans les conditions prévues par la loi ».
Comment pourrions-nous ne pas faire nôtres ces propos de nos éminents collègues ?
Depuis des années, en effet, l'Etat ne cesse d'imposer aux collectivités territoriales des charges nouvelles, alors que, dans le même temps, il ne cesse pas non plus de grignoter leurs marges de manoeuvre fiscale.
Sans vouloir être exhaustif - loin de là ! -, je citerai à titre d'exemple les nouvelles normes imposées ces dernières années aux collectivités locales en matière environnementale concernant la qualité de l'eau distribuée, les performances à atteindre en matière d'assainissement des eaux usées, ou encore les obligations mises à la charge des collectivités locales en matière de tri et de traitement des déchets ménagers, obligations qui, nous le savons, ont fait s'envoler les factures dans ce domaine.
Je citerai aussi l'instauration de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, dont on sait que le financement n'était pas assuré (M. Louis de Broissia applaudit.), ou la mise en place des 35 heures, dont le coût n'a pas été compensé pour les collectivités locales (M. Louis de Broissia applaudit de nouveau.), sans compter, la semaine dernière, le projet de loi sur les assistants maternels, qui ne prévoyait pas la compensation, pour les départements, des charges nouvelles qu'il leur imposait.
M. Louis de Broissia. J'y reviendrai !
M. Yves Détraigne. Du côté des recettes, je me contenterai de citer la suppression de la vignette automobile - qui était pourtant une recette que l'on savait parfaitement localiser et qui était évolutive -, la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, la suppression partielle des droits de mutation à titre onéreux, ou encore la disparition de la part régionale de la taxe d'habitation.
Et tout cela, avec les conséquences que nous connaissons tous et qu'a rappelées notre collègue Joël Bourdin dans son dernier rapport sur les finances des collectivités territoriales, établi au nom de l'Observatoire des finances locales, à savoir des charges de gestion courante qui ont augmenté de près de 40 % entre 1994 et 2002, tandis que, dans le même temps, la part de l'Etat dans les recettes de fiscalité directe locale passait de 22 % à 34 %.
Avec la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, et notamment avec son article 7, qui inscrit dans la Constitution le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales en parallèle à celui de libre administration qui y figurait déjà, nous pensions que ces dérives ne pourraient plus se produire. Malheureusement, ce principe à peine inscrit dans la Constitution, le Président de la République annonçait sans concertation préalable, au mois de janvier dernier, une nouvelle exonération de taxe professionnelle, préfigurant ainsi la mort programmée du principal impôt local. Et tout récemment, recevant les nouveaux présidents de conseils régionaux, le Premier ministre leur a demandé d'instaurer un moratoire fiscal pendant trois ans.
Comment voulez-vous, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, dans ces conditions, les élus locaux fassent encore confiance à l'Etat sur ces questions ?
Avec la prochaine mise en oeuvre du projet de loi relatif aux responsabilités locales, les charges des collectivités territoriales vont encore considérablement augmenter. On parle, à ce sujet, du transfert vers les collectivités de dépenses nouvelles estimées à 13 ou 14 milliards d'euros, dont 8 milliards pour les départements et 4 milliards pour les régions.
Certes, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 précise que tout transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales sera accompagné d'un transfert de ressources équivalentes. Mais de quelles ressources parle-t-on ? De la taxe intérieure sur les produits pétroliers ? Si je suis bien informé, il semblerait que Bruxelles émette de sérieuses réserves sur cette proposition dans la mesure où, aux termes de la directive sur la taxation de l'énergie adoptée par les Quinze en octobre dernier, les taux d'accises sur les carburants doivent être les mêmes au sein d'un Etat membre.
La modulation de la TIPP selon les régions est donc loin d'être acquise. Par ailleurs, un quart de l'assiette de la TIPP, qui correspond au gasoil utilisé pour les transports routiers, devrait être exclu de l'assiette transférée pour des raisons de distorsions de concurrence, ce qui, avouez-le, ne va pas simplifier la détermination des bases et des taux de ce futur impôt local.
Parle-t-on de la taxe sur les convention d'assurance ? Pourquoi alors avoir supprimé la vignette automobile pour recréer aujourd'hui un impôt sur les automobiles ? Et comment va-t-on pouvoir localiser une telle taxe ?
Qu'est-ce qui empêche un habitant du département de la Marne d'aller assurer sa voiture au Luxembourg ? Rien à ma connaissance.
Et que sait-on aujourd'hui de ce que seront devenues dans deux ans la dotation globale de fonctionnement - dont la refonte est actuellement à l'étude -, les dotations d'intercommunalité - dont on constate qu'elles baissent pour un nombre croissant de groupements de communes -, ou encore la taxe professionnelle unique, dont les gouvernements successifs ont voulu, à juste titre, encourager le développement et qui, aujourd'hui, se trouve suspendue aux décisions qui seront prises en matière de taxe professionnelle ?
Autant je me réjouis de voir que le Gouvernement et le Parlement réfléchissent à une modernisation des principales recettes fiscales des collectivités locales, autant il me semble hasardeux de vouloir légiférer sur les ressources propres des collectivités sans connaître préalablement les conclusions de ces réflexions en cours.
Il me paraît donc pour le moins prématuré de vouloir adopter une définition légale des ressources propres des collectivités territoriales à un moment où l'on est dans le flou le plus complet sur ce que seront, dans quelques mois, les recettes dont celles-ci disposeront.
M. Pierre Fauchon. Très juste !
M. Yves Détraigne. C'est la raison pour laquelle, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi qui nous est soumis ne nous satisfait pas. Comme l'a dit mon collègue Charles de Courson, qui s'exprimait au nom de l'UDF à l'Assemblée nationale, ce texte "inclut dans les recettes fiscales des collectivités locales le produit de tout ou partie d'impôts nationaux attribués pour tout ou partie aux collectivités locales sans que celles-ci aient la possibilité d'en moduler le taux ou l'assiette". Cela signifie "qu'un gouvernement pourra un jour substituer aux impôts locaux existants dont le taux ou l'assiette sont modulables par les assemblées locales, une part d'impôt national affectée aux collectivités" tout en considérant qu'il n'y a pas de réduction de leur autonomie financière.
En clair, si l'on adopte ce texte tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale et sans avoir préalablement rebâti l'architecture des finances locales, on inscrira dans la loi organique la possibilité pour l'Etat de continuer à remplacer de sa propre autorité des recettes librement déterminées par les collectivités locales par des recettes que lui-même leur attribuera.
Or c'est précisément cette fâcheuse tendance de l'Etat qui avait justifié, en 2000, le dépôt de la proposition de loi constitutionnelle dont je vous parlais au début de mon propos, et c'est aussi pour mettre un terme à cette mauvaise habitude que nous avons inscrit dans la Constitution, en mars 2003, le principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales.
Tel qu'il est rédigé, le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd'hui vide donc d'une partie de son contenu la notion d'autonomie financière des collectivités locales. Aussi, l'ensemble du groupe de l'Union centriste, notamment ma collègue Jacqueline Gourault, avec laquelle je suivrai plus particulièrement ce texte, souhaite que le Gouvernement entende les arguments développés par Daniel Hoeffel, rapporteur de la commission des lois, et Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des finances, dont personne ne conteste la fine connaissance de la gestion des collectivités territoriales, et que vous adoptiez, mes chers collègues, les amendements qu'ils ont déposés.
A défaut, notre groupe ne pourrait pas voter en faveur d'un tel texte, car le Sénat ne pourrait plus être considéré comme le défenseur des collectivités locales, qu'il s'honore pourtant d'être. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il nous appartient de donner une traduction, sinon une interprétation, par ce projet de loi organique, de l'article 72-2 de la Constitution. Ce n'est pas si simple que cela !
Je rappelle que la modification constitutionnelle que nous avons adoptée ne correspond pas exactement au texte de la proposition de loi constitutionnelle que le Sénat s'était honoré de voter, afin de définir les orientations qu'il souhaitait. Malgré les subtiles argumentations de Michel Mercier et de Daniel Hoeffel, tous deux éminents juristes, qui se référaient aux travaux préparatoires du Sénat sur la proposition de loi constitutionnelle, pour ma part, je m'en tiendrai au texte de la Constitution.
M. Yves Fréville. Très bien !
M. Jean-Jacques Hyest. Il est vrai que ces dispositions ont été largement inspirées par les travaux de notre assemblée : des phrases entières subsistent, mais elles ne sont pas placées dans le même ordre.
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. On les a mises dans le bon ordre !
M. Jean-Jacques Hyest. Et ce sans doute pour de bonnes raisons : les ressources propres des collectivités locales ont été, et de façon de plus en plus accélérée, remplacées par des dotations de l'Etat. De ce point de vue, la période de 1998 à 2002 a connu une évolution extrêmement rapide, ainsi que le relèvent les rapports de nos excellents rapporteurs.
La suppression, même justifiée, de la part salaire de la taxe professionnelle, la vignette évoquée par le sénateur de la Marne, ont été les exemples les plus caractéristiques, par leur ampleur, de cette tendance à restreindre l'autonomie des collectivités locales.
Si l'Etat prend des mesures pour des raisons sociales et économiques, que celles-ci prennent au moins la forme de dégrèvements remboursés aux collectivités locales. C'est dans cet esprit que nous sera proposée la modification de la taxe professionnelle pour les investissements nouveaux, en attendant sa réforme. Mais, bien entendu, la limite de cet exercice, c'est la suppression d'un impôt.
D'une manière générale - mais je sais que ce point de vue n'est pas partagé - la décentralisation n'est pas forcément synonyme d'affectation de ressources fiscales propres aux collectivités locales. Ce qui importe, c'est la libre administration des collectivités locales.
M. Pierre Fauchon. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. Et notre débat plongerait dans des abymes de perplexité l'élu d'un land allemand ou un parlementaire québécois.
Mme Nicole Borvo. Ça, c'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est peut-être parce que, dans ces pays, la décentralisation n'a jamais été octroyée : elle constitue la norme et ils disposent sans doute d'une fiscalité beaucoup moins complexe que la nôtre. Monsieur le ministre, le code général des impôts est un monument inégalé dans le monde !
M. Michel Mercier, rapporteur pour avis. Et inégalable !
M. Jean-Jacques Hyest. Bien entendu, mais on le perfectionne souvent !
Cela permet surtout d'effectuer dans ces pays une péréquation en amont, et pas en aval, comme nous le faisons. Les innombrables mécanismes de péréquation - la DGF, le FNTP et le FDTP, la DSU, la DSR, la dotation de solidarité des communes d'Ile-de-France, et je dois en oublier -mériteraient une simplification. C'est le texte de l'article 72-2 de la Constitution qui m'incite à évoquer ce point, car il s'agit d'une donnée très importante de la réussite d'une véritable décentralisation ; nous l'avons constaté récemment, lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux !
Quoiqu'il en soit, l'article 72-2 trouve sa justification dans la crainte des collectivités locales de se voir transférer des compétences, parfois lourdes, sans que soit opéré un transfert de ressources. Nous avons tous en mémoire, en particulier nos collègues socialistes, la création de l'allocation personnalisée d'autonomie...
M. Louis de Broissia. Hélas !
M. Jean-Jacques Hyest. ...largement improvisée et partiellement financée par une dotation qui ne saurait en aucun cas constituer une ressource propre.
C'est pourquoi il nous appartient de fixer les conditions de mise en oeuvre de la règle selon laquelle les recettes fiscales et les autres ressources propres représentent, pour les collectivités territoriales, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. Je ne vous renverrai pas à la définition de la part déterminante par le Conseil constitutionnel : c'est celle qui permet la libre administration des collectivités territoriales. Cela ne nous avance pas beaucoup !
Le projet de loi déposé à l'Assemblée nationale ne visait que le produit des impositions de toutes natures, qui englobe à la fois celles dont la loi autorise à fixer l'assiette ou le taux et le transfert d'impositions d'Etat.
L'Assemblée nationale a voulu compléter cet article en se référant au deuxième alinéa de l'article 72-2, qui vise le produit des impositions de toutes natures dont les collectivités sont autorisées à fixer l'assiette et le taux dans la limite déterminée par la loi.
Nos excellents rapporteurs de la commission des lois et de la commission des finances nous proposent, en fait, de remplacer le mot : « peut » par le mot : « doit ». Cela n'implique d'ailleurs pas que les transferts d'impôts d'Etat aux collectivités ne soient pas utiles ou souhaitables. En tout état de cause, entre un impôt d'Etat transféré et une dotation, je préfère l'impôt d'Etat transféré.
Parallèlement - et cela reflète un léger doute dans leur argumentation - le seuil en dessous duquel l'autonomie financière des collectivités locales serait en péril correspondrait au tiers des ressources propres, alors que le projet de loi prévoit que ce seuil ne serait jamais inférieur à celui qui a été constaté en 2003.
A l'évidence, la fixation d'un seuil nous est imposée par la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2003, qui précise que la loi organique doit définir « pour chaque catégorie de collectivités locales, la part minimale que doivent représenter les recettes fiscales et les autres ressources propres dans l'ensemble de leurs ressources ».
Bien entendu, ce seuil dépend de l'inclusion ou non des impôts d'Etat transférés, sans que les collectivités locales puissent en fixer le taux ou l'assiette. Car, à bien y regarder, sauf pour les régions, la part des ressources propres dans le total des recettes des départements - 51,6 % - et des communes - 54,7 % en 2002 - est bien supérieure à ce que nos collègues nous proposent. C'est donc une position parfaitement cohérente, mais qui risque, à terme, de susciter de nombreux obstacles dans la poursuite de la décentralisation. Cela voudrait dire, en effet, que seules des impositions locales, dont les collectivités fixeraient le taux et l'assiette, seraient possibles.
Pour caricaturer, au yeux de certains, l'autonomie financière serait l'autonomie fiscale, ce qui n'est même pas le cas aujourd'hui, ne serait-ce d'ailleurs que pour des raisons de péréquation.
Je citerai un exemple d'actualité : le transfert aux départements, pour le financement des services départementaux d'incendie et de secours, les SDIS, d'une partie de la taxe sur les convention d'assurance sur les véhicules terrestres à moteur se substituant à une part de DGF constitue-t-il une ressource propre. ?
Son caractère évolutif, comme l'était celui de la taxe sur les droits de mutation, taxe fort injuste que l'on a bien fait de réformer, est-il une restriction à l'autonomie des collectivités locales ? On peut en douter, à condition, bien sûr, que l'Etat ne revienne pas sur ses engagements une fois les transferts effectués.
On parle beaucoup d'un transfert de la TIPP aux collectivités locales pour financer les nouvelles compétences. Eh oui ! car, comme l'a bien noté le rapporteur pour avis de la commission des finances, il n'y a plus beaucoup d'impôts à transférer, impôts qui doivent, bien sûr, être localisables.
Or tout le monde sait que cet impôt est difficilement localisable. En outre, chacun se souvient du débat sur la vignette. A l'époque, on nous avait expliqué qu'il fallait supprimer la vignette en raison du dumping qui était pratiqué par certains départements et parce que cet impôt devenait très injuste. Pourtant, c'était la libre expression de l'autonomie des collectivités locales !
Certains s'énervaient beaucoup contre un département que je ne citerai pas.
M. Gérard Delfau. Lequel ?
M. Louis de Broissia. Il fait partie de la région Champagne-Ardenne !
M. Jean-Jacques Hyest. Effectivement ! Du reste, la région en profitait aussi pour d'autres raisons et cela a continué.
Ce qui paraît important pour les collectivités, c'est de disposer de ressources dont l'évolution soit à la mesure de la croissance, comme la taxe sur l'électricité, par exemple Les départements en bénéficient largement, d'autant qu'ils n'assument aucune charge en ce domaine.
Sinon, il est à craindre que nous ne nous retrouvions devant la quadrature du cercle. Est-on plus autonome en disposant de 33 % de ressources fiscales propres ou en se fondant sur les pourcentages de 2003 ? Telle est la question qui nous est posée, mais qui nous renvoie à la définition de la notion de ressources propres.
En définitive, ce qui paraît plus important, c'est que l'on cesse de nous imposer un surcroît de normes, de règles fixées par l'Etat, de charges obligatoires de plus en plus lourdes.
Monsieur le ministre, lorsqu'une commission de sécurité passe dans une école ou dans un collège, nous savons qu'il y aura, à terme, une facture à payer, qui sera souvent très lourde.
Ainsi, les réglementations pullulent ; elles grèvent quotidiennement les budgets des collectivités locales sans qu'aucune compensation ne soit prévue, bien entendu, et, souvent, cela s'applique aussi, hélas ! aux entreprises.
C'est à nous de veiller - et je suis sûr que le Conseil constitutionnel sera, lui aussi, vigilant - à l'honnêteté des transferts de ressources liés à une nouvelle étape de la décentralisation. C'est pourquoi il faut faire une lecture non pas restrictive de l'article 72-2 de la Constitution, mais réaliste : cela correspond, me semble-t-il, à la volonté du constituant. Ne nous enfermons pas dans une impasse.
C'est également très important dans le cadre de la péréquation, qu'il faut reprendre à la base. En effet, la multiplication de péréquations extrêmement complexes aboutit à créer des injustices.
Je comprends les doutes et les inquiétudes de la majorité des élus locaux, échaudés par tant de mauvais coups portés à leur autonomie financière. Mais les garanties constitutionnelles paraissent suffisantes pour faire évoluer la fiscalité locale dans un sens positif et progressif.
C'est ce que nous propose le Gouvernement dans ce projet de loi organique, même si des précisions sont nécessaires. Je pense que nous parviendrons à apporter ces précisions, mais il ne faut pas dénaturer le texte, car ce serait contrarier l'évolution nécessaire des finances locales. Personne ici ne veut s'engager dans une impasse constitutionnelle, ni, surtout, aboutir à un blocage des finances des collectivités locales. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de ce texte portant loi organique, censé assurer l'autonomie financière des collectivités territoriales était très attendu. Il a suscité bien des espoirs, mais il est aussi source d'inquiétudes parmi les élus locaux.
Force est de constater, malgré les déclarations rassurantes du Gouvernement, que ce projet de loi organique, dont la portée est en définitive bien limitée, ne fait que confirmer ces craintes, et surtout celle que la décentralisation ne se traduise, une fois de plus, non pas par un meilleur service, mais par l'escalade des impôts locaux.
Lors du vote du transfert du revenu minimum d'insertion aux départements, puis de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales, le Gouvernement n'a eu de cesse de nous renvoyer à ce texte, censé apporter une solution à toutes les difficultés financières que les transferts de compétences aux collectivités allaient immanquablement entraîner. Il fallait discuter du cadre financier de la réforme avant de débattre de la nature des transferts. Nous comprenons tous maintenant les atermoiements du calendrier, car ce projet de loi organique ne résout rien, ou pas grand-chose.
Tout d'abord, en fixant brutalement trois catégories de collectivités - les communes, les départements et les régions -, ce texte méconnaît gravement les réalités financières locales, qui sont caractérisées par une grande diversité de situations. En effet, on ne peut ignorer que le taux d'autonomie financière varie considérablement entre les collectivités appartenant à une même catégorie. Et, entre les catégories, les situations sont également différentes.
Par ailleurs, ce texte ne prend pas en compte, en tant que catégorie autonome, les intercommunalités à fiscalité propre, alors même que leur nombre ne cesse de croître et au moment où une réflexion sur la suppression de la taxe professionnelle est engagée et que son remplacement est encore pour le moins incertain. A cet égard, je vous renvoie, mes chers collègues, à la commission Fouquet mais aussi à celles qui existent au sein de notre commission des finances sur la question de la réforme de la taxe professionnelle.
A l'article 2 de ce projet de loi, le Gouvernement nous propose une définition - malhonnête, allais-je dire, mais le mot est peut-être trop fort - injustifiée, en tout cas, des ressources propres des collectivités locales, en y incluant la part des impositions transférées par l'Etat, sans vote possible des taux. Ainsi, dans l'optique gouvernementale, la part du produit de la TIPP transférée aux départements pour compenser la décentralisation du RMI et la création du RMA serait mise sur le même plan que les produits de la taxe foncière, par exemple, perçus par les départements et constituerait une « ressource propre ».
Or un impôt partagé ne constitue rien d'autre qu'une dotation, qui plus est non indexée, qui n'évolue donc pas en fonction des ressources et des besoins des collectivités territoriales.
Une récente étude du groupe bancaire DEXIA sur la TIPP a d'ailleurs montré que le rythme annuel de progression des différentes composantes de la TIPP se situait, depuis 1993, autour de 1%, soit évidemment bien moins que l'évolution des charges transférées. Ainsi, en 2003, le produit de la TIPP n'a progressé que de 1,4%, quand les charges liées au RMI augmentaient de 4,6%.Comment les départements pourront-ils faire face à un tel écart ?
Apparemment, cela importe peu au Gouvernement, qui transforme ainsi une part du déficit budgétaire de l'Etat en une augmentation de la fiscalité locale. Monsieur le ministre, c'est une belle manoeuvre, mais elle est un peu grossière ! Le Gouvernement pourra peut-être alors, passant sous les fourches caudines de Bruxelles, présenter une situation budgétaire assainie, mais cela se fera au détriment de la solidarité et de l'égalité des citoyens et des territoires.
Par ailleurs, selon toute vraisemblance, le Gouvernement ne pourra pas permettre la modulation, au niveau régional ou au niveau départemental, des tarifs ou des taux de la TIPP, puisque les règles européennes en matière de distorsion de concurrence semblent empêcher la variation des taux du gazole pour un usage professionnel.
Sur cette question, le Gouvernement n'a jamais répondu, pas plus que sur celle de la taxe sur les convention d'assurance.
En outre, asseoir les ressources propres des collectivités sur un tel impôt, lié à la consommation de carburants, me paraît relativement paradoxal à l'heure où l'on parle de développement durable.
Ainsi, je constate, avec une relative satisfaction, l'adoption par les commissions des lois et des finances de l'amendement des rapporteurs MM. Hoeffel et Mercier, qui tend à considérer comme ressources propres les seules recettes fiscales dont les collectivités territoriales sont autorisées à fixer l'assiette, le taux ou le tarif.
En quelque sorte, MM. Hoeffel et Mercier rappellent à l'ordre le Gouvernement. A défaut d'une révolte dans cette maison, c'est une fronde, feutrée comme il en est souvent au Sénat, mais réelle, qui secoue votre majorité, monsieur le ministre.
Cette définition paraît être la seule à même de préserver le principe de libre administration des collectivités locales, ainsi que leur rôle majeur en matière d'investissements publics. Rappelons que les collectivités réalisent 35 milliards d'euros d'investissements publics par an, contre 7 milliards d'euros seulement pour l'Etat. Ces chiffres sont très importants. C'est d'ailleurs ce qui me fait dire que MM. Hoeffel et Mercier sont trop timorés. Les enjeux institutionnels et financiers sont de taille pour les collectivités territoriales.
La majorité sénatoriale, lorsqu'elle a fait voter, dans cette assemblée, en 2000, une proposition de réforme constitutionnelle, avait également pressenti ces enjeux.
Cette même proposition, s'agissant du ratio d'autonomie financière, énonçait également que « les ressources fiscales représentent la part prépondérante » et non déterminante, comme cela est écrit dans le projet de loi organique, « des ressources des collectivités locales ». Le sénateur Raffarin...
M. Joël Bourdin. Ah !
M. Paul Loridant. ...avait voté cette proposition le 26 octobre 2000 ; il paraît l'avoir oubliée aujourd'hui.
M. Gérard Delfau. C'était un homonyme ! (Sourires.)
M. Paul Loridant. Effectivement !
Prévoir que la part est déterminante lorsqu'elle permet la libre administration des collectivités locales relève, si je puis dire, d'une tautologie - mais c'est peut-être l'habitude avec le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin -...
M. Henri de Raincourt. Pas de méchanceté !
M. Paul Loridant. ...qui n'aboutit à aucun résultat.
Par ailleurs, si la part des ressources propres se révèle inférieure au seuil fixé, ce projet de loi organique, dans son article 4, prévoit des mesures correctrices, qui ne sont évidemment pas précisées, pour la rétablir au niveau plancher.
Or il n'y aura que deux manières d'y parvenir, étant donné que les dotations ne font pas partie des ressources propres : soit en diminuant brutalement la part des dotations pour que les recettes fiscales apparaissent proportionnellement plus importantes - on peut s'y attendre, mes chers collègues -, soit en augmentant les recettes fiscales ; cela me paraît irréaliste et dangereux !
Enfin, compte tenu du décalage entre les intentions affichées en matière d'autonomie financière et le contenu du présent projet de loi organique, on ne peut qu'être inquiets quant à l'avenir réservé à ce principe essentiel de solidarité nationale qu'est la péréquation.
Recul et manque d'audace de la majorité sénatoriale aujourd'hui ! En effet, débattre de la question des recettes fiscales, inégalement réparties, implique nécessairement que l'on traite aussi de la péréquation. C'est une exigence impérieuse qui ne peut se satisfaire de déclarations de principe, même gravées dans la Constitution.
Or depuis qu'a été inscrite dans la loi constitutionnelle de 2003 la référence à la péréquation, rien n'a été fait en cette matière, au point qu'une vraie question demeure : y a-t-il une réelle volonté de mettre en place la péréquation ?
En conclusion, ce projet de loi organique révèle, monsieur le ministre, votre vision de la décentralisation, une vision largement ancrée sur une conception libérale de la vie économique.
II ne peut en résulter qu'une insécurité financière pour les collectivités et une rupture d'égalité entre les citoyens. Le spectre d'une explosion de la fiscalité locale se précise, puisque les compétences transférées ne sont pas compensées par des contreparties adéquates.
Pour l'ensemble des ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen participera au débat et, selon toute vraisemblance, sauf s'il avait satisfaction, ne votera pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. Henri de Raincourt. Ce serait dommage !
M. le président. La parole est à M. Gérard Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'entrée dans la Constitution, en 2003, du principe de l'autonomie financière des collectivités territoriales implique le vote du projet de loi organique aujourd'hui soumis à notre examen pour fixer les conditions de la mise en oeuvre de cette règle.
Il s'agit essentiellement de préciser les contours de la définition des « recettes fiscales et des autres ressources propres » appelées à représenter une part déterminante de l'ensemble des ressources des collectivités territoriales.
Je voudrais souligner les limites d'une telle entreprise et, d'une certaine manière, illustrer la vanité d'un tel débat, dont l'objet me semble en réalité esquiver la question autrement plus redoutable de la redistribution des ressources entre collectivités riches et collectivités pauvres.
Je dis bien « plus redoutable » puisque, comme on le sait, 1 % des communes les plus aisées, dans notre pays, ont une richesse fiscale par habitant 44 fois plus élevée que 1 % des communes les plus pauvres ! Bien entendu, l'on ne pourra remédier à cette situation que si l'on fait plus de péréquation que de compensation pour pertes de produits fiscaux : le Commissariat général du Plan vient d'illustrer, par une formule percutante, cette évidence : « Un euro de dotations péréquatrices réduit deux fois plus les inégalités qu'un euro de dotations compensatrices. » Voilà qui éclaire notre discussion !
Afin d'amplifier l'effort de péréquation, j'ai proposé, en 2003, avec quelques-uns de mes collègues du groupe du RDSE, de basculer, en dix ans, les 10 milliards d'euros de compensation pour suppression de la part salariale de la taxe professionnelle sur le fonds de correction des déséquilibres régionaux, doté, comme devait le confirmer un an plus tard le rapport du Plan, du pouvoir péréquateur le plus fort.
Loin de suivre cette voie, monsieur le ministre, vous avez souhaité faire inclure ce fonds dans la nouvelle DGF des régions à l'occasion de la loi de finances de 2004.
Ces 10 milliards d'euros auraient pourtant considérablement amélioré l'indice de progressivité du fonds, déjà élevé compte tenu du barème retenu. L'octroi de ces moyens aurait traduit un choix clair en faveur de la réalisation de la constitutionnalisation de la péréquation. Mais cette occasion n'a pas été saisie.
J'en viens au projet de loi organique.
Le texte vise le « produit des impositions de toutes natures » : il se réfère ainsi à une expression littérale figurant à l'article 34 de la Constitution, rédigé il y a près de cinquante ans, et ce sans doute par souci de facilité ; mais, pour autant, il ne peut prétendre éluder les difficultés du sujet.
Il faut donc dépasser ce stade de raisonnement et opérer un tri entre diverses catégories de recettes.
Que l'on me pardonne si, à l'instar de nombre des intervenants, mon propos paraît technique. En fait, derrière la technicité du débat, il y a des arbitrages politiques de fond.
Le Gouvernement a choisi d'inclure parmi ces recettes les produits à venir d'impôts transférés de l'Etat aux collectivités pour permettre à celles-ci d'exercer de nouvelles compétences. Ces produits, à destination des départements, sont essentiellement constitués par la TIPP, sans aucune possibilité pour les conseils généraux d'en moduler le taux à leur guise.
Ce faisant, le Gouvernement s'est attiré à bon droit les foudres des associations d'élus et de nombreux députés ou sénateurs estimant que ces cessions correspondaient non pas à des recettes fiscales propres, mais bien à des dotations pures et simples.
En fait, tout le monde parle de la même chose, ou plutôt personne ne parle pas de l'essentiel, à l'exception toutefois de François-Poncet dans son intervention sur la péréquation.
Ce débat est en fait irréel, comme le montre la difficulté de nos éminents rapporteurs à se situer face au Gouvernement, alors qu'ils veulent rester fidèles à la doctrine du Sénat.
Pourquoi cette situation ? Pourquoi ce climat ?
Tout d'abord, la révision constitutionnelle a eu des effets pervers, que le Gouvernement n'avait sans doute pas prévus : nous sommes désormais liés par les dispositions de la loi fondamentale, que nous ne savons pas traduire en actes.
Ensuite, la complexité des finances locales ne peut aisément se plier aux exigences, nécessairement d'ordre général, pour ne pas dire laconiques, de l'affirmation d'un principe désincarné.
Je relèverai trois exemples.
Premièrement, les recettes fiscales qui sont indiscutablement les plus locales, c'est-à-dire les taxes directes, ont toutes une assiette fixée par le législateur, dont c'est la compétence exclusive, comme nous l'a rappelé tout à l'heure M. Mercier. Je dirai même plus : l'évolution de leur taux est grevée de mécanismes d'indexation et de plafonnement fixés, eux aussi, par le législateur. Leurs modalités de recouvrement sont, elles aussi, fixées par le législateur. Méritent-elles, dans ces conditions, d'être qualifiées de « ressources propres » ?
Deuxièmement, les attributions versées aux collectivités par le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée ont officiellement pour objet, selon l'article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, de permettre progressivement le « remboursement intégral » de l'impôt acquitté par les collectivités sur leurs dépenses d'investissement. Il s'agit bien du paiement d'un dû et, partant, d'une ressource propre. Or le Gouvernement refuse cette interprétation.
Troisièmement, le montant des dotations versées par l'Etat aux collectivités ne tombe pas du ciel : il provient, certes, non pas exclusivement, mais essentiellement de prélèvements sur les recettes, et le fondement de la dotation globale de fonctionnement - ne l'a-t-on assez répété ! - est de nature fiscale, puisque ce concours devait, hier, compenser la suppression de la taxe locale et doit, aujourd'hui, compenser la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle.
Qui plus est, pendant dix ans, la ressource a été indexée sur le produit de la taxe sur la valeur ajoutée avec régularisation. Quelle différence y a-t-il avec un impôt transféré ?
L'existence de tous ces liens illustre le caractère formel du débat. D'autres pays européens ont su établir une doctrine claire. En Espagne, par exemple, on a fort bien compris la supériorité de la notion de « taux de coresponsabilité » fiscale entre l'Etat et les régions sur celle « d'autonomie financière », et l'on intègre facilement et sans polémiques la cession de taxe sur la valeur ajoutée parmi les recettes fiscales des régions.
Toutefois, comme nous ne pouvons plus revenir en arrière en raison du verrou constitutionnel, je souhaite plaider en faveur d'une énumération précise des différents éléments repris au numérateur de la fraction de l'autonomie financière et répondre dès à présent au souci de péréquation manifesté par nombre des intervenants à cette tribune.
Le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale inclut les dégrèvements. Or, en se substituant au contribuable local, l'Etat aggrave le plus souvent les inégalités entre communes : telle est bien l'une des conclusions de l'excellent rapport d'information établi au nom de notre commission des finances par notre collègue Yves Fréville.
Je n'entrerai pas dans le détail, car M. Fréville est plus qualifié que moi pour en parler. Mais, pour résumer sa pensée, je dirai simplement qu'afin de recycler les dégrèvements en dotations de péréquation selon des critères rénovés; il faut trouver le moyen de faire entrer ce mécanisme dans le texte que nous allons adopter, d'où la piste que je proposerai en cours de débat avec quelques collègues du groupe du RDSE.
Une mesure de correction est alors nécessaire : l'intégration au numérateur de la fraction de l'autonomie financière des dotations de péréquation parfaitement individualisables dans la nouvelle architecture - heureuse, je l'avais dit à cette tribune l'an passé - de la dotation globale de fonctionnement pour chacune des catégories - communes, intercommunalités, départements et régions - répondrait à ce souci.
J'entends immédiatement l'objection : il ne s'agit pas, me dira-t-on, de « ressources propres » !
Est-ce si sûr ? Comme je viens de le souligner, la perméabilité est si grande entre les notions.
Au demeurant, le préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, affirme le principe de solidarité nationale : l'Etat a vocation à intervenir pour compenser les handicaps entre collectivités résultant d'une structure socioéconomique défavorable. A ce titre, il doit assumer une véritable dette.
Qui plus est, nous avons également constitutionnalisé en 2003 la nécessité de favoriser l'égalité entre les collectivités : c'est le cinquième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution.
Le moment est donc venu d'effectuer un geste spectaculaire en faveur de la péréquation, après une année caractérisée par la modicité - et le mot est faible ! - des moyens redéployés pour une telle redistribution, ce sans préjuger du résultat des travaux du groupe de travail de notre collègue François-Poncet, et de ceux du comité des finances locales.
Au passage, et pour aggraver mon cas, je note qu'il ne serait pas choquant de répartir les impôts d'Etat transférés, comme la taxe intérieure sur les produits pétroliers ou la taxe sur les conventions d'assurance, selon des critères de péréquation.
L'exemple allemand qu'aime à citer notre collègue François-Poncet nous y incite : outre-Rhin, le quart des 49,5 % de la ressource provenant de la taxe sur la valeur ajoutée, affectés aux länder, est réservé aux länder pauvres et leur est distribué selon le montant par habitant de leurs recettes fiscales. Cet apport leur permet d'atteindre 92 % de la valeur moyenne de référence dans tous les länder. Ce mécanisme joue un rôle aussi important, mais moins connu, que la célèbre péréquation horizontale entre länder riches et länder pauvres, si souvent citée. Cet exemple est à méditer.
On m'objectera peut-être, et ce sera ma conclusion, que rien ne presse et que le moment viendra d'élaborer une loi ordinaire consacrée à la redistribution des finances de l'Etat, afin d'assurer une meilleure égalité des ressources entre collectivités territoriales : communes, structures intercommunales, départements, régions.
De ce point de vue, il ne faut pas oublier les communes, qui peuvent se voir prises en tenaille aujourd'hui entre l'Etat, d'un côté, et les intercommunalités, de l'autre.
Mais revenons au débat qui nous occupe.
Il s'agit d'un projet de loi organique dont le contenu, une fois voté, nous en avons conscience, s'imposera dans la hiérarchie des textes législatifs.
L'autonomie financière des collectivités, ainsi sanctuarisée, primera définitivement sur le souci légitime de péréquation. Dès lors, le risque est grand que les modalités d'une redistribution significative des ressources entre l'Etat et les collectivités ne passent pas l'étape du Conseil constitutionnel. En avons-nous vraiment conscience ?
Par conséquent, plutôt que d'entrer dans le débat qui oppose la majorité du Sénat et le Gouvernement, même si j'apprécie la position courageuse de nos deux rapporteurs, j'ai choisi de déposer, avec quelques collègues du RDSE, un amendement qui tend à introduire la notion de péréquation dans l'article 2 de ce projet de loi organique. Le sort qui lui sera réservé déterminera largement mon vote final. (Applaudissements sur les travées du RDSE..)
M. le président. La parole est à M. Bernard Frimat.
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je saluerai tout d'abord la tentative de M. le rapporteur de faire échapper à l'absurdité le projet de loi organique relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales.
En effet, ce texte, pourtant célébré par les rapporteurs de l'Assemblée nationale comme l'aboutissement de la restauration du pouvoir fiscal local, permet d'en organiser la disparition, car votre définition de l'autonomie financière, monsieur le ministre, rend possible que celle-ci ne soit réalisée que par la seule attribution de produits fiscaux sur lesquels les collectivités territoriales n'auraient aucun pouvoir.
Quel paradoxe, mais aussi quel curieux exploit que d'oser qualifier d'autonomie financière une éventuelle situation de dépendance totale ! Faut-il chercher un nouvel Alfred Jarry pour décrire la machine à fabriquer l'autonomie financière dépendante ? Comment en êtes-vous arrivé là ? Tout simplement parce qu'il vous faut assumer les conséquences du compromis élaboré avec tant de difficulté - le président de la commission des lois s'en souvient sans doute - entre la majorité sénatoriale et le Gouvernement lors de la révision constitutionnelle de l'automne 2002.
L'amendement gouvernemental n° 248, fruit de ce compromis et devenu depuis l'article 72-2 de la Constitution, nous avait été présenté à l'époque comme la garantie fondamentale de l'autonomie financière. Nous mesurons, au travers de ce projet de loi organique, qu'il n'en est rien, que la notion de part déterminante ne réglait rien et que le seul élément qui s'avère aujourd'hui déterminant, c'est la rédaction, à savoir la lettre de l'article 72-2. En quelque sorte, votre projet de loi a perdu l'esprit, monsieur le ministre.
L'argument principal, voire unique, que vous avancez pour défendre votre définition des ressources propres est que celle-ci serait la seule constitutionnellement acceptable. Bref, le respect de la Constitution et la crainte d'une censure du juge constitutionnel vous contraindraient impérativement.
Or, comme le relève notre rapporteur, les nombreux débats parlementaires sur ce sujet témoignent d'une tout autre conception de la notion de ressources propres. Jamais d'ailleurs, à un quelconque moment du débat relatif à la révision constitutionnelle, le Gouvernement n'a soutenu que des transferts de produits d'impôts nationaux non modulables pouvaient être des éléments constitutifs de la notion de ressources propres. Celle-ci s'identifiait à la réalité du pouvoir fiscal local et à l'existence du lien entre l'élu local et les citoyens qui paient l'impôt.
Sauf à affirmer, ce qui serait discourtois, que la majorité sénatoriale, en acceptant le compromis sur la part déterminante, n'avait pas saisi toute la finesse de l'analyse juridique exposée par le garde des sceaux et en découvrirait aujourd'hui seulement la dure réalité, vous ne pouvez, monsieur le ministre, invoquer un prétendu carcan juridique de l'article 72-2, alinéa 3, pour nous présenter un projet de loi organique qui vide de sens l'autonomie financière des collectivités territoriales.
En novembre 2002, monsieur le ministre, votre prédécesseur, Patrick Devedjian, en réponse à mon ami Jean-Claude Peyronnet, définissait le sens du mot « déterminant » comme : « ce qui donne du sens ». Aujourd'hui, votre projet de loi organique tend, pour définir la part déterminante, à édicter une règle de non-sens qui laisse au Gouvernement la possibilité de « verrouiller » la fiscalité des collectivités territoriales.
Le rapporteur du Sénat le laisse entendre de manière assez claire quand il explique, à la page 28 de son rapport, que votre position relève « moins de considérations juridiques éminemment fragiles que de la difficulté, en raison de la conjoncture économique et de la réglementation européenne, de permettre aux collectivités territoriales de faire varier, globalement et d'un territoire à l'autre, le poids de la fiscalité ».
En quelque sorte, faute de pouvoir tenir les engagements pris en retenant la définition admise antérieurement par tous et toujours acceptée tant par le congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe que par toutes les associations représentatives des collectivités territoriales, vous inventez une nouvelle définition qui vous convient, mais qui travestit la réalité de l'autonomie financière.
Outre cette première caractéristique d'être vide de sens, l'autonomie financière, au sens où vous l'entendez, en comporte une seconde, celle d'être virtuelle.
Votre projet de loi aboutit, en effet, à doter chaque catégorie de collectivités territoriales d'un ratio, abstrait comme tout ratio, mesurant la part relative des ressources propres. Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous nous expliquiez comment ce ratio collectif garantit l'autonomie individuelle de telle ou telle collectivité au sein de sa catégorie,...
M. Gérard Delfau. Bonne question !
M. Bernard Frimat. ...ou, plus précisément, comme il est mentionné à l'article 3 du projet de loi organique, comment il garantit « la libre administration des collectivités territoriales relevant de chaque catégorie, compte tenu des compétences qui leur sont confiées ».
Le Conseil constitutionnel, dans ses multiples décisions, n'a d'ailleurs jamais utilisé les termes « autonomie financière », mais il s'est attaché au respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.
Ce principe, élément essentiel de notre organisation institutionnelle, s'applique donc à chaque collectivité, du plus petit village à la plus grande agglomération, du département peuplé de quelques dizaines de milliers d'habitants à la région qui regroupe environ 20 % de notre population. Son respect ne vaut pas par catégorie ; ce que notre Constitution exige, c'est non pas que les communes ou les départements disposent globalement du pouvoir de libre administration, mais que chaque commune, chaque département, chaque région en soit doté.
Le résultat auquel vous aboutirez pour chaque catégorie ne sera qu'un indicateur statistique qui ne peut, en aucune façon, être significatif. S'il exprime un degré d'autonomie financière, c'est celui de l'ensemble que vous avez statistiquement constitué et dont l'hétérogénéité est patente. Qu'y a-t-il de commun en effet entre un village de vingt habitants et Paris, entre la Lozère et le Nord, entre la Guyane et l'Ile-de-France ?
Il existe - et personne ne l'ignore - au sein des catégories que vous avez choisies, des situations totalement contrastées au regard du niveau des ressources propres ; pourtant cela n'a, au regard de votre projet de loi organique, aucune importance. La surabondance des ressources propres des uns peut coexister avec la quasi-inexistence de celles des autres sans que cela trouble ni votre ratio ni votre quiétude. A en croire votre texte, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes si l'autonomie financière virtuelle globale est assurée par catégorie.
Au demeurant, que se passe-t-il si cette autonomie, même virtuelle, n'est pas respectée ? La loi de finances arrête, quatre ans plus tard, les dispositions nécessaires pour la rétablir, donc pour porter au niveau minimal le ratio concerné. Cela peut tout à fait être réalisé en accroissant la diversité des situations particulières, en augmentant, au sein de la catégorie considérée, les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales.
Là encore, quel curieux paradoxe que de défendre une conception de l'autonomie financière autorisant la pérennisation des inégalités et la dégradation des situations individuelles ! Quelle garantie illusoire pour le maire dont la commune dispose de peu de ressources propres que d'apprendre que, globalement, la catégorie à laquelle sa commune appartient respecte le ratio et dispose donc de l'autonomie financière ! Il reste dépendant, mais devient virtuellement autonome, par procuration. Quelle satisfaction !
L'autonomie financière ne peut se réduire à cette approche vide de sens, globale et virtuelle. C'est une notion beaucoup plus complexe si on la rapporte au principe de la libre administration des collectivités territoriales.
A mon sens, ce principe ne se globalise pas : il doit être apprécié au niveau de chaque collectivité ; de la même manière que la liberté d'un individu disparaît quand il ne dispose pas d'un revenu suffisant, la libre administration est un leurre quand la collectivité ne bénéficie pas du montant des ressources nécessaires. C'est pourquoi l'autonomie financière est indissociable de la péréquation.
Il nous apparaît donc indispensable que la loi organique n'ignore pas la péréquation.
Il s'agit non pas de prévoir les dispositifs - ce sera le rôle de la loi ordinaire -, mais de déterminer la façon dont il est possible d'intégrer à la notion d'autonomie financière celle de péréquation.
Si le ratio qui exprime la part relative des ressources propres par catégorie n'assure pas l'autonomie financière de chaque collectivité, il doit néanmoins servir de référence pour indiquer le niveau à atteindre progressivement par la mise en oeuvre des mécanismes de péréquation pour chaque collectivité au sein de sa catégorie.
De simple indicateur statistique, témoin d'une autonomie virtuelle sans signification, le ratio deviendrait alors l'objectif clair correspondant à l'autonomie financière réelle garantissant la libre administration. C'est à cette seule condition que la démarche entreprise affirmerait sa cohérence et concernerait, dans sa réalité quotidienne, chaque collectivité.
Si vous acceptez cette idée simple que la loi organique a une utilité, vous êtes amenés à vous interroger, mes chers collègues, sur la notion de catégorie. Il nous semble que, sur ce point, quelques interrogations doivent être soulevées.
Dans sa décision du 29 décembre 2003, le Conseil constitutionnel n'a pas considéré que la loi organique devait définir les catégories de collectivités territoriales pour rendre applicable l'article 72-2, alinéa 3, de la Constitution. Il a limité ses demandes à la détermination de la part relative des ressources propres et du niveau minimal qu'elle devait représenter. C'est donc qu'il s'est jugé, à juste titre, suffisamment éclairé sur les catégories de collectivités territoriales existantes.
En effet, ces catégories sont précisées à l'article 72 ; elles ont d'ailleurs fait l'objet de longs débats lors de la révision constitutionnelle, notamment à la suite du refus du Gouvernement et de sa majorité de reconnaître les intercommunalités comme catégorie de collectivités territoriales. Sur ce point, je vous invite, mes chers collègues, à relire les rapports de notre collègue René Garrec, celui du président de la commission des lois de l'Assemblée nationale ou le compte rendu des débats. Le doute n'est pas possible : l'article 72 de la Constitution définit très clairement non pas une liste de collectivités, mais leurs catégories.
A ce titre, l'article 72-2 peut-il donc définir des catégories différentes de celles qui ont été arrêtées par le constituant à l'article 72 ? Quand l'article 72-2 fait référence à « chaque catégorie de collectivités », il nous semble évident qu'il renvoie à l'article 72, et que la loi organique ne doit pas s'en écarter.
Dans la Constitution, est-il possible de faire coexister des notions différentes d'un article à l'autre, et surtout de réduire à trois la diversité des catégories reconnues ? Si vous rejetez notre lecture de la Constitution, vous ouvrez la voie à une réflexion plus large.
Ne faut-il pas alors considérer que l'important est de définir des catégories homogènes de collectivités territoriales, où le principe déterminant est non plus la forme juridique, mais les caractéristiques démographiques ou économiques ? Le but visé serait alors que les catégories déterminées par souci statistique conduisent à un ratio à la signification indiscutable.
Nous espérons que ce débat nous permettra de progresser et de lever cette ambiguïté : soit l'approche juridique domine, et il nous faut nous en tenir à l'article 72 ; soit l'approche statistique l'emporte, et il nous faut constituer des catégories homogènes pour être significatives.
Dans son état actuel, le projet de loi organique nous semble privilégier un simplisme qui renforce une approche vide de sens et purement virtuelle de l'autonomie financière et qui est donc, à ce titre, sans grand intérêt.
L'amendement essentiel, adopté dans des termes identiques par la commission des lois et par celle des finances, a le mérite de redonner du sens à la notion de ressources propres, mais son adoption éventuelle par le Gouvernement est soumise à une contrepartie, à savoir réduire, de manière uniforme et pour chaque catégorie, la part déterminante à 33 %, c'est-à-dire à un niveau inférieur même à celui qui est constaté pour la catégorie aujourd'hui la moins autonome, celle des régions.
Ce niveau nous paraît insuffisant. De plus, est-il conforme à l'article 72-2 de la Constitution ? Pourquoi y avoir précisé que la part déterminante s'appréciait pour chaque catégorie de collectivités, si c'est pour aboutir en définitive à loger tout le monde à la même enseigne ? Nous ne considérons pas ce pourcentage du tiers comme le nombre d'or de l'autonomie financière.
Faute d'avoir pu présenter une réforme globale de la fiscalité locale - mais ce n'est pas là, je vous le concède, monsieur le ministre, une position originale de la part d'un gouvernement-, condition indispensable d'une décentralisation réussie, car effectuée dans la confiance, vous en êtes réduit à présenter des textes qui renvoient toujours au texte suivant le traitement des points les plus fondamentaux et les plus complexes.
Tel est encore le cas s'agissant du présent texte, puisque nous débattons sans connaître vos propositions dans le domaine de la péréquation et dans l'ignorance de vos projets concernant les nouveaux impôts locaux qui remplaceront la taxe professionnelle.
Votre projet de loi organique ne contient aucun élément de nature à rassurer les collectivités territoriales, il ne leur garantit en rien l'autonomie financière. S'il est adopté en l'état, il rendra encore plus dangereux pour la libre administration votre projet de loi relatif aux responsabilités locales.
Certes, vous pouvez, monsieur le ministre, dans le confort parlementaire que vous assure l'UMP, imposer votre volonté en dépit des messages que vous a adressés le pays et auxquels vous restez sourd. Il n'en restera pas moins vrai que l'autonomie financière des collectivités territoriales restera à réaliser pour faire vivre la décentralisation et la démocratie locale, et qu'une fois de plus votre gouvernement aura manqué l'occasion de devenir crédible sur un sujet où chacune de ses initiatives augmente la méfiance à son endroit. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bourdin.
M. Joël Bourdin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est peu dire que ce texte était attendu et je me réjouis que nous ayons à l'examiner à compter d'aujourd'hui.
Il est attendu d'abord parce que la Constitution, que nous avons révisée en son article 72-2 l'an passé, a prévu expressément qu'une loi organique fixerait les conditions dans lesquelles « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représenteront, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources ».
Mais il est attendu aussi en raison de la dégradation continue, depuis quelques années, de l'autonomie financière de nos communes, de nos départements et de nos régions, et du peu de cas que réserve en général l'Etat à la compensation financière qu'entraînent des transferts de compétences ou la suppression de ressources fiscales locales qu'il impose.
Car, il faut bien le reconnaître, si les maires, les présidents de conseils régionaux et généraux demandent avec insistance que leur autonomie financière soit préservée, c'est que l'Etat n'a pas toujours eu, au cours des dix dernières années, la conduite que l'on pouvait attendre.
D'une part, dans des années proches, l'Etat n'a pas hésité à alourdir les charges des collectivités territoriales en calculant, avec une pingrerie peu courante, des compensations à l'évidence insuffisantes. Ce fut le cas pour l'allocation personnalisée d'autonomie, créée en 2001, dont l'incidence sur les charges des départements a été considérable puisque, de 2002 à 2003, les dépenses y afférentes ont augmenté de 90 %, et c'est le cas pour les SDIS.
D'autre part, en supprimant ou en diminuant certaines ressources fiscales, non seulement l'Etat a réduit l'autonomie financière des collectivités territoriales, mais en outre, dans le calcul des compensations, il s'est révélé plus soucieux de limiter ses propres dépenses qu'enclin à la bienveillance à l'égard des collectivités territoriales. A cet égard, je citerai deux exemples : celui de la DCTP et celui de l'exonération de la part salariale de la taxe professionnelle.
Le principal élément de la DCTP provient des ressources accordées aux collectivités locales en contrepartie de l'allégement des bases de taxe professionnelle prévu dans la loi de finances pour 1988. La dotation de compensation était calculée sur un principe simple et juste : on appliquait aux allégements de 16 % des bases le taux de taxe professionnelle en vigueur en 1986 pour chaque année à compter de 1989, avec un ajustement tenant compte de l'évolution globale des ressources fiscales de l'Etat. C'était simple, juste et équitable jusque dans les années quatre-vingt-dix à partir desquelles a été appliquée une réfaction sur la DCTP, suivie de diverses baisses, avant que la DCTP soit érigée en variable d'ajustement - négative - du pacte de stabilité et de croissance.
Voilà comment une dotation qui fut exemplaire est finalement devenue rabougrie du fait de volontés gouvernementales, avant de se transformer en peau de chagrin. Voilà comment un bon principe instauré par un gouvernement est devenu la mauvaise manière d'autres gouvernements. Et voilà pourquoi les collectivités locales préfèrent une bonne disposition constitutionnelle à une promesse gouvernementale, quel que soit le gouvernement.
A la vérité, tout se passe comme si l'Etat avait réussi à écrêter les bases de taxe professionnelle des collectivités territoriales de 16 % en quelques années.
Et le même scénario se déroule avec la dotation de compensation de la part salariale de la taxe professionnelle, intégrée en douceur dans la DGF depuis 2004. Cette exonération n'est pas une mince affaire puisqu'elle équivaut, en 2003, à une réduction des bases de taxe professionnelle de 31,3 % pour les communes et de 25 % pour les groupements de communes !
Cette exonération n'aboutit pas à une compensation équitable puisqu'on peut estimer que la privation de ressources de taxe professionnelle des collectivités territoriales est probablement supérieure de 10 % environ au montant des dotations accordées.
Ces deux exemples suffisent à prouver que le Sénat a eu raison, avec le président Christian Poncelet, de déposer en 2000 une proposition de loi visant à garantir l'autonomie financière des collectivités locales. Car chat échaudé craint l'eau froide ! Nous avons effectivement le devoir, en tant que défenseurs attitrés des collectivités locales, de faire garantir par la loi l'autonomie de nos communes, de nos groupements de communes, de nos départements et de nos régions.
Or, il faut bien en convenir, comme l'ont souligné nos excellents rapporteurs de la commission des lois et de la commission des finances, le texte qui nous est transmis par nos collègues de l'Assemblée nationale, en dépit du débat très riche qui s'y est instauré, ne va pas assez loin dans l'analyse du concept d'autonomie financière des collectivités territoriales. Il prévoit, en réalité, une définition des ressources propres des collectivités territoriales qui ne semble ni conforme à l'article 72-2 de la Constitution ni compatible avec la notion classique de ressources propres. C'est sur ces deux points que je m'exprimerai maintenant.
Le rapporteur de la commission des lois, notre excellent collègue Daniel Hoeffel, a utilisé à cet égard les arguments les plus persuasifs qui soient, m'exonérant d'une longue exégèse qui n'ajouterait rien.
Mais enfin, que signifierait l'adjonction dans les ressources propres des collectivités locales du « produit des impositions de toutes natures » sans distinguer entre celles qui relèvent de la décision de l'Etat et des collectivités locales elles-mêmes en termes d'assiette et de taux ? Cela voudrait dire - certains d'entre nous l'ont d'ailleurs souligné - que l'essentiel des recettes de fonctionnement des collectivités locales ont vocation à constituer des ressources propres.
Je n'oublie pas, en effet, que la DGF était conçue, à l'origine, comme une affectation spécifique d'une partie des ressources de la TVA. Selon le texte voté par l'Assemblée nationale, la DGF aurait donc dû être considérée comme une ressource propre, puisque provenant de l'affectation d'une recette fiscale d'Etat.
Je n'oublie pas non plus que le Gouvernement aurait l'intention d'affecter par répartition une partie du produit de la TIPP aux départements pour compenser des charges et que planent des propositions visant à transformer les ressources de taxe professionnelle des collectivités locales en un produit affecté d'une ressource nationale.
En fait, la notion retenue par l'Assemblée nationale n'est absolument pas une garantie pour les collectivités locales de préserver la maîtrise de leurs ressources en se dotant de recettes fiscales propres. Le concept élargi retenu par l'Assemblée nationale laisse toute liberté à un gouvernement qui le souhaiterait et à une assemblée qui le soutiendrait de réduire à néant la liberté d'action des collectivités territoriales. Il faut impérativement se prémunir contre ce risque qui, s'il n'est évidemment pas imminent, ne doit pas être écarté de nos préoccupations. Si le pire n'est pas toujours à venir, il est sage de prévoir que le pire puisse advenir.
En fait, l'essentiel du texte vise à définir, ce qui n'a pas été fait par la loi, ce que l'on entend par « ressources propres des collectivités territoriales ». Tout le texte est une déclinaison de ce concept. Étymologiquement, le terme « propre », dans le domaine patrimonial, fait référence à une propriété exclusive qui n'admet pas le partage. On parle ainsi de bien propre en droit des personnes et les capitaux propres des sociétés sont ceux qui relèvent exclusivement du propriétaire, c'est-à-dire des actionnaires, et les analystes financiers veillent à ce que ceux-ci soient calculés de manière précise.
Par assimilation, il semble que l'on doive exclure des ressources propres des collectivités locales celles qui ne sont pas maîtrisées par leurs organes délibérants. A contrario, doivent être incluses dans leurs ressources propres toutes celles qui, par leur assiette, leur taux ou leur tarif, dépendent de la volonté des majorités des conseils municipaux, communautaires, départementaux et régionaux. Par conséquent, seules seraient exclues les dotations du type DGF et les dotations de compensation diverses.
En revanche, le produit des dégrèvements, sur lesquels nous avons beaucoup à nous interroger si l'on en croit l'excellent rapport de M. Yves Fréville, constitue une ressource propre dans la mesure où, par le dégrèvement, l'Etat ne fait que se substituer à un contribuable local, dont la cotisation fiscale est établie par une collectivité locale.
Je ne m'étendrai pas, mes chers collègues, sur la définition du ratio des ressources propres ; il suffit de se reporter aux travaux des rapporteurs. Reste donc à définir un seuil minimal d'autonomie financière à partir duquel se déclencheront, en cas de dégradation, des actions correctrices.
D'après le texte voté par l'Assemblée nationale, ce seuil minimal correspondrait à celui qui a été constaté au titre de l'année 2003, soit des ratios voisins de 54 % pour les communes et les groupements de communes, de 53 % pour les départements et de 36 % pour les régions.
Est-il pertinent de considérer que ces ratios pour ces différentes catégories de collectivités locales doivent demeurer des normes de référence ? Pour en juger, il faut analyser les conséquences des évolutions de ces ratios eu égard aux différents principes auxquels se réfère la Constitution.
Bien évidemment, celle-ci, a inséré le principe de l'autonomie financière, à notre demande, mais elle a également intégré, toujours à notre demande, le principe de péréquation qui figure dans le dernier alinéa de l'article 72-2 : "La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales".
La péréquation peut prendre des formes diverses. Elle peut être interne à un même groupe de collectivités territoriales, comme le fonds de solidarité des communes d'Ile-de-France, ce qui ne devrait avoir aucune conséquence sur l'évolution du ratio du groupe des communes. Elle peut également donner lieu à une attribution de dotations spécifiques de l'Etat : c'est le cas pour la DSU, la DSR et d'autres fonds. Dès lors, l'attribution de dotations supplémentaires risque de détériorer le ratio, donc d'enclencher une opération correctrice.
Clairement, dans ce deuxième cas, le principe d'autonomie, qui est constitutionnel, et le principe de péréquation, qui est également constitutionnel, risquent, si l'on se fige sur un ratio de référence trop tendu, d'entrer en contradiction.
Mes chers collègues, autant il convient d'exercer sa vigilance à l'égard de l'Etat, autant nous devons nous préserver d'une attitude frileuse à son endroit en nous ménageant la possibilité de le laisser jouer son rôle péréquateur.
Si nous devons être attentifs à l'autonomie financière des collectivités locales, nous ne devons pas perdre de vue l'objet de notre prochain chantier : réviser les systèmes de péréquation en évitant, notamment, que le régime de répartition des dotations d'Etat, qui n'est pas inéquitable, ne conduise à des écarts d'attribution par habitant excessifs entre les zones rurales et les zones urbaines.
Aussi, pour préserver une marge de manoeuvre au bénéfice de la péréquation que nous appelons de nos voeux, il me paraît souhaitable d'abaisser quelque peu le ratio d'autonomie de référence par rapport à son estimation pour 2003. Une telle mesure fait d'ailleurs l'objet d'un amendement déposé par mon collègue Yves Fréville.
Pour autant, je ne partage pas la position de la commission des lois et de la commission des finances qui proposent, par le dépôt d'amendements similaires, de fixer le ratio de référence à 33 %.
En effet, un tel seuil est arbitraire dans la mesure où aucune évaluation comptable ou logique n'en assure la justification quand, par ailleurs, les situations structurelles en matière de dépenses et de recettes des comptes des communes, des groupements de communes, des départements et des régions sont loin d'être assimilables les unes aux autres.
Ce seuil anormalement bas pour les communes, et qui donne une grande latitude à l'Etat pour transformer des recettes fiscales locales en dotations, n'est-il pas en contradiction avec l'approche rigoureuse, voire imparable, des deux commissions saisies eu égard au concept d'autonomie financière qu'elles nous proposent ? N'est-il pas dangereux, lorsque le ratio d'autonomie des communes est de l'ordre de 55 %, d'autoriser dans l'avenir un gouvernement, quel qu'il soit, de l'abaisser à 33 % ?
Je ne préjuge pas des débats sur ce sujet, mais il me semble que la proposition des deux commissions devra être affinée au moyen de raisonnements déductifs, et non en faisant appel au hasard ou à la seule intuition.
Exception faite de cette proposition, je suivrai respectueusement les recommandations de nos deux commissions, dont les travaux ont permis l'émergence d'une définition de l'autonomie financière qui a la valeur d'un véritable concept. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)