MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR
M. le président. J'ai reçu de M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, la lettre suivante :
« Monsieur le président,
« J'ai l'honneur de vous informer qu'en application de l'article 48 de la Constitution et de l'article 29 du règlement du Sénat, le Gouvernement modifie comme suit l'ordre du jour :
« Mercredi 3 mars, l'après-midi et le soir :
« - Lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social.
« - Suite du projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
« Je vous prie d'agréer, monsieur le président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.
« Jean-François Copé »
Acte est donné de cette communication. Les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social seront examinées demain à quinze heures au lieu de vingt et une heure trente.
NOMINATION D'UN MEMBRE
D'UNE COMMISSION
M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe de l'Union centriste a présenté une candidature pour la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Le délai prévu par l'article 8 du règlement est expiré.
La présidence n'a reçu aucune opposition.
En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame M. Bernard Mantienne membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à la place laissée vacante par Michel Pelchat, décédé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quanrante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Serge Vinçon.)
PRÉSIDENCE DE M. SERGE VINÇON
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES
ET LYCÉES PUBLICS
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Paul Vergès.
M. Paul Vergès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où s'ouvre ce débat devant la Haute Assemblée, je pense à ces milliers et ces milliers de Réunionnaises et de Réunionnais qui, trois siècles durant, ont forgé l'unité de notre peuple.
Je pense à ces hommes et à ces femmes, venus de divers continents, de divers pays, venus d'Europe, de France en particulier, d'Afrique, de Madagascar, d'Asie, de l'Inde et de la Chine principalement. Je pense à ces routes qui se sont rejointes sur cette île inhabitée, devenue l'enjeu d'un destin commun.
C'est avant tout à eux que je pense, à celles et ceux qui, surmontant hier la violence de la société esclavagiste et coloniale, ont su sauvegarder leurs héritages culturels et spirituels, pour mieux les partager avec l'autre, pour mieux vivre ensemble.
Je pense à ces cultures originelles qui, à l'ombre d'une religion dominante, ont poursuivi leur vie souterraine, jeté entre elles des passerelles et donné naissance à une communauté réunionnaise originale et plurielle.
Oui, je pense à ce miracle de l'échange, qui a fait naître de cette diversité un seul peuple. Peuple de migrateurs, tous venus de quelque part, tous « étrangers », tous « immigrés » au départ, et qui, dans le partage d'un espace, de valeurs, d'idéaux et de combats communs, ont fait que, sur cette île, au fil des siècles, chacun est devenu, chaque jour un peu plus, un frère pour l'autre, en un mot, un Réunionnais. Tant de différences rassemblées sur une terre d'humiliation sans nom finissent par être l'expression d'une convergence sur l'essentiel.
Dans le partage de ces valeurs vecteurs d'unité, le sacré a joué chez nous un rôle dominant. Il est au coeur de notre identité mais, plus encore, il est au coeur de notre vie sociale. Ile de la foi, île des croyances, île des superstitions aussi, le continent de l'âme réunionnaise résiste encore aux assauts répétés du rationalisme et du matérialisme.
Cette présence du sacré se manifeste partout : dans la langue, dans l'imaginaire, dans les légendes populaires, dans la musique. Et notre culture vit obstinément dans la relation aux morts et aux ancêtres. Elle se manifeste dans notre géographie aussi ! Saint-Denis, Saint-Pierre, Saint-Paul, Saint-Joseph, Saint-Louis, les communes de la Réunion sont un catalogue de noms de saints !
En fait, il est possible d'affirmer que la société réunionnaise a fait la démonstration, dans les conditions qui lui sont propres, de la viabilité, dans le cadre de la République, d'un modèle original. Elle a inventé une manière réunionnaise de vivre la laïcité et elle démontre que celle-ci, élément essentiel de la cohésion de notre société, peut accueillir sereinement l'expression des différentes religions.
Dans un tel contexte, ce débat sur le port des signes religieux ostensibles au sein de l'école publique nous semble étrange, étrangement décalé par rapport à notre réalité, étranger à nos préoccupations aussi.
Nous n'avons pas la prétention absurde d'offrir notre modèle au monde. Aucun pays n'est réductible au nôtre. Mais comprenez que nous ne sommes pas non plus réductibles aux autres pays. Acceptez l'idée que, par l'application mécanique d'un dispositif inadapté à notre situation, cette loi peut heurter les consciences d'une très large majorité de notre population.
J'entendais récemment une élève de confession musulmane, qui, comme le plus grand nombre d'entre elles à la Réunion, ne porte pas le voile, me poser la question suivante : « Quel signe plus ostensible que mon prénom ? Faudra-t-il, demain, que je le change aussi ? » Et celles, peu nombreuses, qui portent le voile ? Jettera-t-on sur ces Réunionnaises le soupçon d'un acte militant, comme j'entends le dire en France ?
J'entends aussi, à la Réunion, des représentants de l'Etat dire que, dans les faits, la loi ne s'appliquera pas chez nous. J'entends Mme la ministre de l'outre-mer affirmer qu'elle devra s'appliquer avec « souplesse et intelligence ». Soit ! Mais nous n'avons aucune garantie pour aujourd'hui et encore moins pour l'avenir.
Par cette loi, qui assimile sans nuance l'outre-mer à la métropole, on prend le risque absurde de créer des tensions là où il n'en existe pas à l'heure actuelle. Car chacun sait comment un phénomène mis en scène par les médias peut enflammer les consciences et prendre des cheminements disproportionnés et inattendus.
M. Jean Chérioux. Absolument !
M. Paul Vergès. Il est donc souhaitable qu'intervienne un décret précisant que l'application de la présente loi tiendra compte des caractéristiques particulières de notre département ; je défendrai un amendement en ce sens.
S'agissant de l'islam, je voudrais dire combien la pratique de cette religion est ouverte dans notre île. En un peu plus d'un siècle, les Indiens musulmans ont parfaitement réussi leur intégration non seulement à la communauté réunionnaise, mais aussi à la communauté nationale. Les Réunionnais de confession musulmane sont la preuve qu'il est possible, dans l'attachement à sa foi et à sa pratique, de vivre, dans notre île de l'océan Indien, un islam respectueux des valeurs de la République.
Dans un tel contexte et avec de telles perspectives, la société réunionnaise apparaît comme une exception.
Tout doit être fait pour sauvegarder ce climat de dialogue et de cohabitation apaisé des différentes options spirituelles et religieuses. Car la société réunionnaise, née d'un crime contre l'humanité, de l'esclavage qui a marqué la moitié de son histoire, demeure traversée de multiples fractures ; le racisme, latent, n'a pas totalement disparu et des inégalités inouïes menacent sans cesse sa cohésion.
Rien n'est jamais définitivement acquis. Que n'a-t-on pas dit pour vanter les modèles yougoslave ou libanais ? Nous savons, malheureusement, ce qu'il en est advenu.
Nous entrons dans un siècle de grands affrontements, et nous aurions tort de croire que notre île restera hermétique aux déchirements qui se dessinent dans le monde, et dans l'océan Indien en particulier, l'océan Indien où s'est déplacé le centre de gravité de l'islam, religion largement majoritaire demain dans la majorité des pays riverains, tous colonisés jusqu'au milieu du siècle qui se termine, tous aux prises avec les problèmes de la sortie du sous-développement, avec une croissance démographique qui ne laisse aucun sursis et avec des frontières artificielles léguées par la colonisation.
Aussi, consolider l'unité de notre société multiculturelle relève d'une responsabilité politique. Mais, surtout, notre société multiculturelle a conscience que seule la laïcité, comprise, soutenue et vécue par tous, peut assurer la cohésion, pour aujourd'hui et pour demain.
Au moment de conclure, je voudrais faire quelques observations plus générales.
Les faux débats dilatoires servis par une orchestration médiatique d'une redoutable efficacité éludent, à mon sens, l'essentiel : nous sommes entrés dans la plus grande crise de civilisation qu'ait connue l'Occident, crise des valeurs, crise des idées, crise du sens.
Les valeurs de dignité humaine, héritées des traditions judéo-chrétiennes, les valeurs à prétention universelle héritées des Lumières - Liberté, Egalité, Fraternité - sont en effet entrées en crise, car inappliquées et, jusqu'à maintenant, inapplicables à l'échelle planétaire. Et le fossé grandissant entre les pays riches et les pays pauvres appelle un questionnement sur la perte de vitalité de nos mythes fondateurs.
Comme le disait un philosophe, si le tiers-monde meurt par absence de moyens, l'Occident, lui, meurt aujourd'hui par absence de fins.
L'intégration, il en a été beaucoup question. Mais une question simple se pose : l'intégration à quoi ? A une civilisation du quantitatif ? A la société de l'audimat où triomphe l'absurde et où règne le non-sens, et dont la première victime est la jeunesse ?
C'est aussi et surtout de cela que l'école doit être protégée. C'est aussi et surtout cela que l'école doit combattre.
Pour ce voile qu'on dénonce aujourd'hui, combien d'autres s'abattent, dans l'indifférence, sur les valeurs de la République ? Car dans tout cela, où est l'idéal commun, l'ambition noble et collective qui peut unir les Français dans leurs différences ?
Les exploits sportifs de l'équipe de France n'y suffiront pas. La République se doit donc d'aller à la conquête du sens, des utopies et de proposer un idéal partagé à la jeunesse. Ce n'est pas dans la République du guichet que nous ferons lever une espérance commune. Elle favorisera, au contraire, la montée de tous les communautarismes.
La nation se doit donc de retrouver son âme. C'est à cette condition que la laïcité sera admise, réclamée et défendue par tous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste, du RDSE et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l'UMP.)
M. Jean Chérioux. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, exclure, interdire, réprimer : notre République, au nom d'un intégrisme laïque, deviendrait-elle liberticide ?
Mille deux cent cinquante-six cas de jeunes filles voilées, quatre exclusions prononcées : souhaitons-nous aujourd'hui renvoyer toutes ces jeunes filles et jeunes femmes dans leur famille, leur interdire l'accès à notre enseignement et le contact avec d'autres élèves, c'est-à-dire toute chance de connaître un autre système de pensée et des rapports hommes-femmes fondés sur l'égalité des droits ?
Bien évidemment non, mais nous devons dissiper leurs inquiétudes et les convaincre que notre seul objectif est de faire respecter la loi républicaine. Notre expérience centenaire dans les relations Etat-religion nous a appris que, lorsque le cadre d'expression est défini clairement par la loi, des rapports initialement tendus devenaient paisibles.
Nous devons affirmer la valeur de notre modèle républicain, qui transcende les clivages et notre temporalité : Jaurès, il y a un siècle jour pour jour, s'exprimait ainsi : « Nous avons le droit, nous avons le devoir de faire de cette liberté de l'esprit une réalité vivante dans l'oeuvre laïque et nationale d'éducation et d'enseignement. »
Comme tous les radicaux, je suis attaché à la laïcité et soucieux de son respect effectif. La laïcité est une constante dans notre engagement politique, le contraire d'un effet de mode. Héritiers de Gambetta, de Clemenceau, de Combes - docteur en théologie, je le rappelle -, nous sommes conscients du courage qu'il a fallu à ces grands républicains pour imposer un modèle qui contrevenait au poids de la tradition, allant jusqu'à entraîner une rupture du gouvernement républicain avec le Saint-Siège.
En 1905, affirmer la laïcité c'est affirmer que le pouvoir politique ne trouve plus ni sa source ni sa légitimité dans la religion, et que la loi de la République s'impose à tous quelles que soient leurs croyances, ou leur non-croyance. Aujourd'hui, l'instruction publique obligatoire doit pouvoir s'enseigner dans un contexte paisible, à l'écart de toute incidence religieuse et en toute liberté de choix.
La laïcité de combat a évolué vers une laïcité d'équilibre qui a intégré notre modèle républicain jusqu'à acquérir une valeur constitutionnelle. Désormais pacifiée, la laïcité permet un espace de liberté partagé et participe à l'égalité de tous en contribuant à l'égalité des chances.
Il fallait une autre détermination, un autre courage à nos aînés pour affronter la tradition ! Cette révolution des esprits et des moeurs est une réussite telle que l'Eglise catholique, avec laquelle s'était développé un réel affrontement, ne voudrait plus revenir à la situation d'avant 1905.
Aujourd'hui, ayons le même courage que nos aînés ! Il ne s'agit plus d'innover mais de faire respecter l'existant avec fermeté, dans un contexte religieux, social et économique différent où la religion tient beaucoup moins de place, même si parfois elle traduit un rejet militant de la société contemporaine.
Le législateur modifie avec la plus extrême prudence ce qui touche à la liberté de conscience et à la liberté d'expression. En matière de laïcité, le législateur était resté silencieux depuis cent ans, laissant le règlement, la circulaire et la jurisprudence proposer des réponses.
Seul compétent pour encadrer l'exercice d'une liberté fondamentale, le législateur reprend la parole aujourd'hui, sous l'impulsion du Président de la République, garant de la Constitution et de la cohésion nationale. Mais si le débat est ouvert, le principe de la laïcité « n'est pas négociable », pour reprendre l'expression du Président de la République.
Nous partageons les mêmes constats.
Le nombre de cas de jeunes filles voilées faisant preuve de prosélytisme dans les établissements scolaires croît.
Un sens nouveau est donné au port du voile depuis le 11 septembre, avec le risque de confusion entre terrorisme, islamisme et islam.
La protection de l'espace si particulier de l'école publique, lieu de transmission du savoir à l'écart de tout dogme, est indispensable. C'est le premier espace dans lequel l'Etat a historiquement choisi de mettre en oeuvre la laïcité, à tel point que certains nomment familièrement l'école publique, et de manière tellement significative, « la laïque ».
Enfin, la lutte contre le communautarisme et les discriminations que subissent les Français enfants de l'immigration doit être intensifiée. Ce texte est la traduction légale de la volonté de les intégrer. De facto, il est évident que cette loi ne sera pas suffisante pour remédier aux causes profondes de nos échecs pérennes, mais elle est nécessaire pour rappeler les règles à ceux qui veulent les ignorer ou même les transgresser.
D'autres services publics sont aujourd'hui assujettis à des pressions communautaristes incompatibles avec notre modèle républicain. Je pense par exemple aux hôpitaux, dans lesquels certains médecins se voient littéralement « récusés » sur le seul fondement de leur sexe. La liberté de chacun atteint ici ses limites.
C'est une loi nécessaire d'un triple point de vue : elle est une réponse aux attentes des chefs d'établissement de l'enseignement public, une réponse aux Français issus de l'immigration et une réponse à l'ensemble des Français.
Cette loi constitue, en premier lieu, une réponse pratique aux chefs d'établissement et au corps enseignant. Elle rendra obligatoire un dialogue préalable à toute décision et les signes religieux « ostensiblement » portés seront interdits, sachant que cette interdiction ne saurait être absolue. Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les signes discrets seront en effet autorisés, ce qui respecte l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ce projet de loi donnera les moyens à la communauté éducative de se montrer cohérente face aux différents cas, sous réserve de règlements intérieurs clairs et d'une véritable explication aux enseignants et aux élèves, dès la rentrée scolaire.
En deuxième lieu, cette loi est une réponse aux Français issus de l'immigration, quelle que soit leur origine. L'intégration suppose l'acceptation des règles du pays d'accueil. Lorsque la coutume veut s'opposer à la République, voire s'imposer à la République, c'est la loi qui doit trancher sans que la main tremble : la question n'est pas seulement religieuse, elle est aussi politique.
Cette loi s'adresse notamment aux Français issus de l'immigration maghrébine. La loi de 1905 concernait surtout l'Eglise catholique, même si le titre exact évoque « la séparation des Eglises et de l'Etat ». Aujourd'hui, cette loi est une réponse aux comportements d'une minorité de jeunes musulmanes françaises, mais elle sera aussi un message de liberté à l'égard des femmes musulmanes contraintes de se voiler, et je pense en particulier aux femmes afghanes.
Dans le cadre de la lutte contre le développement de l'intégrisme, et parallèlement à des mesures d'ordre social et économique, des pays comme la Tunisie ont organisé l'abandon du voile dans les établissements scolaires publics. Il n'y a pas de loi, mais les chefs d'établissement reçoivent l'instruction de dissuader les jeunes filles de le porter, et la pratique démontre qu'ils y parviennent.
Entendons la voix d'un de nos plus brillants prédécesseurs, cette voix unique qui nous raconte, dans un poème bouleversant intitulé Le Voile, comment quatre frères poignardent leur soeur dont le voile un instant s'était soulevé. Dès 1828, Victor Hugo nous alertait sur la violence faite à la femme. Aujourd'hui, dans notre pays, faisons en sorte que l'école soit un lieu où la jeune fille est protégée.
Tandis que les conflits s'exacerbent et que les médias sont utilisés, plus que jamais, pour reprendre l'expression de Paul Valéry, « le droit est l'intermède des forces ».
En troisième lieu, cette loi est une réponse à tous les Français. Inquiets, ils attendent que le pouvoir politique adopte une position claire. Plus de 11 millions d'élèves, de toutes origines culturelles, sociales, politiques et religieuses sont directement concernés. Ce texte va rassurer les Français, entre autres les parents, qui refusent que l'école se transforme en terrain d'affrontement religieux et veulent qu'elle redevienne un creuset social.
Pour reprendre la définition de Maurice Schuman, catholique pratiquant, « la laïcité de l'Etat signifie son indépendance vis-à-vis de chacun des membres de la communauté nationale et de ne pas favoriser telle ou telle partie de la nation ».
Avant même d'être adopté, ce projet de loi est d'ailleurs un succès citoyen, car il ouvre et fait vivre le débat. Depuis quand un tel sujet n'avait-il pas été débattu de manière si étendue ? Vraisemblablement depuis le traité de Maastricht ! L'expression est osée, mais Claude Imbert ne craint pas les mots et parle de « loi prétexte » permettant de réveiller « une laïcité léthargique ».
Nous avons le pouvoir de faire de cette loi la véritable expression de la volonté générale et de montrer que la laïcité est bien un principe fédérateur : que nous soyons de droite, du centre, de gauche, prouvons ainsi la sincérité et le réalisme de nos discours ! L'année 2003 a marqué le temps des consultations, l'année 2004 le temps de la loi : que l'année 2005 donne son essor à l'intégration ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, j'ai le plaisir de saluer la présence de M. le Premier ministre au banc du Gouvernement et celle de M. le président du Sénat au banc des commissions. (Applaudissements.)
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne pensais pas intervenir dans la discussion générale.
Bien des orateurs de talent sont déjà intervenus, et, sur le fond, j'avoue que je ne saurais ajouter grand-chose à ce qui a été si éloquemment dit par notre collègue et ami Serge Lagauche et par Pierre Mauroy, qui a manifesté cette grande conviction républicaine que ses amis lui connaissent depuis toujours.
De surcroît, je sais que tout à l'heure des oratrices du groupe socialiste aborderont la question qui - quand il s'agit du voile et uniquement quand il s'agit du voile - est au coeur du débat : la condition de la femme et le nécessaire rappel du principe, à nos yeux central dans la cité, de l'égalité entre les femmes et les hommes.
J'ajouterai que je ne pense pas pouvoir égaler la conviction qui anime ma femme, Elisabeth Badinter, quand elle parle de ces questions... (Sourires.)
Mais, si j'ai décidé d'intervenir sans attendre la discussion des amendements comme je comptais le faire, c'est parce que le regard porté à l'étranger et sur ce projet de loi et sur le principe de laïcité tel que nous le concevons me préoccupe.
Vous l'avez dit, monsieur le rapporteur, et Pierre Mauroy y a aussi fait allusion, les hasards de la vie m'amènent en effet, en ce moment, à beaucoup voyager et à rencontrer nombre de personnalités étrangères dans le cadre d'un groupe de travail pour la réforme de l'ONU.
Or, j'ai été frappé de constater à quel point il était difficile de faire entendre à nos amis étrangers ce que signifiait ce projet de loi.
J'ai été plus frappé encore par le fait que, parmi ces personnalités étrangères, certaines, amicales, croyaient - et leur pensée reflétait ce qui se disait dans leur pays - que ce que la France entendait interdire était le port du voile aux jeunes musulmanes. De laïcité, de signes religieux à l'école, il n'était pas question : pour mes interlocuteurs, tout se résumait à l'interdiction faite à de jeunes musulmanes de porter le voile.
Alors je me suis appliqué, chacun le comprendra, à dissiper cette méprise, mais elle démontre, je crois, que l'on ne saurait être trop précis, en particulier dans une assemblée parlementaire, s'agissant de la portée de cette loi. Au regard d'une telle confusion, pas toujours innocemment entretenue, il convient donc de rappeler celle-ci.
S'agit-il d'un attentat à la liberté religieuse ou à la liberté de conscience de quiconque ? Certainement pas. Je n'ai pas besoin de rappeler que, parmi les garanties essentielles de l'exercice de la liberté de conscience et de la liberté religieuse, il y a le principe de laïcité. Bien entendu, on ne le trouve pas à l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - et pour cause : la proclamation de la liberté est une chose, la garantie par le principe de laïcité en est une autre, et il aura fallu de longs combats républicains pour l'obtenir -, mais la garantie du principe de la liberté, la laïcité, est inscrite dans l'article 2 de la Constitution.
D'atteinte à la liberté de conscience de quiconque, on ne saurait donc véritablement et raisonnablement parler puisque tout ce que le projet de loi requiert des jeunes adolescents, quelle que soit leur confession, c'est qu'ils retirent tout signe ostensible ou qu'ils ne revêtent pas une tenue plus ostensible encore qui marquerait leur appartenance confessionnelle dans le cadre de l'école publique, et de l'école publique seulement.
On reconnaîtra que ce n'est pas leur imposer un grand sacrifice que de leur demander d'enlever une kippa, une croix ostensible de grande dimension ou un voile à l'entrée de l'école, qu'ils pourront remettre à sa sortie dès le seuil franchi. Ce n'est pas une atteinte à la liberté de conscience ou aux convictions religieuses de quiconque. Ce n'est pas un reniement ou une abjuration forcés, et j'ajouterai à l'intention de ces jeunes musulmanes dont le sort nous préoccupe que ce n'est pas non plus violenter leur pudeur qui, aux temps où nous sommes, ne saurait être atteinte par le fait d'exhiber de fort belles chevelures.
Ce geste, qui se résume à mettre dans un sac ou dans sa poche un signe - croix, kippa ou foulard - quand on est à l'école, qu'implique-t-il alors pour les intéressés ?
Rien d'autre, mes chers collègues, que la reconnaissance par les élèves eux-mêmes que l'école de la République, à laquelle ils doivent être attachés, comme nous le sommes nous tous, doit demeurer un espace de neutralité confessionnelle. Dieu sait que les foyers de proclamation religieuse ne manquent pas par ailleurs !
L'école publique est le lieu où, dans le respect des convictions de chacun, doit être privilégié ce qui réunit, ce qui rassemble, ce qui fonde cette communauté d'élèves et de professeurs : les valeurs de la République. Ce que l'on demande en cet instant aux élèves, c'est de respecter, simplement de respecter, dans leur comportement, un principe fondamental de l'école qu'ils fréquentent : le principe de laïcité.
S'ils doivent le faire, ce n'est pas seulement, je le souligne, par rapport à l'école, c'est aussi par rapport à leurs condisciples et à leurs maîtres, qui, après tout, ne partagent pas nécessairement, tant s'en faut, leurs convictions ou leurs appartenances.
La nécessité d'un rapport fondé sur le respect réciproque et même, dirais-je, sur la délicatesse des uns à l'égard des autres à l'école justifie parfaitement que l'on n'y arbore point de signes qui peuvent éventuellement, qu'on le veuille ou non, être sources de tensions.
Un ami philosophe faisait une comparaison qui n'est pas sans intérêt : après tout, disait-il, quand des athées entrent dans une église, ils enlèvent leur chapeau, ceux qui relèvent d'une autre confession aussi.
M. Jean Chérioux. C'est exact !
M. Robert Badinter. J'ai vu souvent des catholiques ou des agnostiques se coiffer au contraire d'un chapeau quand ils pénètrent dans une synagogue. Nous tous, nous enlevons nos souliers quand nous pénétrons dans une mosquée.
Ce n'est pas un acte d'abjuration de ses propres convictions, c'est simplement une marque de déférence et de respect à l'égard des valeurs qui animent le lieu dans lequel on pénètre. Ici, vous les avez au premier chef parce qu'elles sont inhérentes au caractère même de l'école de la République. Que ce soit nécessaire à la mission de l'enseignement, je n'ai pas besoin de le rappeler, cela a été souligné non seulement par vous, monsieur le ministre, mais également par bien des orateurs.
Le mérite extrême de la loi que nous allons voter est sa brièveté. Il est d'abord légitime dans la République que ceux qui représentent la souveraineté nationale - le Gouvernement propose, mais le Parlement décide - aient tenu à dire ce qui devait l'être, de telle façon que cela ne soit pas laissé à l'appréciation du personnel enseignant.
Par ailleurs, et c'est un autre avantage sur lequel j'insisterai plus encore, à partir du moment où la loi aura été votée, elle deviendra la loi de la République, même pour ceux qui ne sont pas toujours d'accord avec les lois votées, et il leur appartiendra évidemment de s'y conformer.
Dès cet instant, si d'aventure certaines, certains, ou leurs parents à travers elles ou eux - car là est bien la vérité - entendent, par leurs agissements, montrer que, pour eux, la loi de leur religion est supérieure à la loi de la République, nous en serons navrés. Après ce qui est justement prévu - représentations, discussions, explications -, si elles ou ils ou leurs parents persistent dans cette attitude, nous reconnaîtrons avec beaucoup de regret que c'est leur choix, mais que ce n'est évidemment pas celui de l'école publique de la République. Mais, et je le dis clairement, ce sera leur fait.
Rappelons-le, pour nous, la laïcité est indivisible, comme la République elle-même.
Je souhaite à présent évoquer brièvement la Cour européenne des drois de l'homme parce que ce n'est pas indifférent. De bons juristes européens se sont inquiétés d'une éventuelle contradiction entre les dispositions de l'article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le projet de loi. A cet égard, en particulier en considérant la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, je voudrais vous dire très fermement ma conviction qu'il n'en est rien.
L'article 9, que chacun connaît, reprend dans l'espace européen le principe déjà inscrit dans l'article X de la Déclaration des droits de l'homme. Le second paragraphe de l'article 9 précise : « La liberté de manifester sa religion (...) ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Par conséquent, les trois conditions nécessaires me paraissent satisfaites. La première est importante : la Cour de Strasbourg a toujours été très attentive au fait qu'il convenait que la restriction fût prévue par une loi. A cet égard, je me suis souvent interrogé sur ce qu'il pourrait advenir s'agissant de décisions prises à partir de circulaires. Ici, nous sommes dans le cadre d'une loi. C'est le législateur qui parle et cela vaut mieux qu'une circulaire, aussi motivée soit-elle.
La deuxième condition, après la loi, est le but légitime. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, cela se conçoit, est extrêmement large dans son interprétation. Elle vise à éviter les restrictions ou les limitations arbitraires et brutales que rien ne justifierait.
Dans le cas présent, la volonté du législateur français est claire : elle est de mieux assurer et garantir le respect du principe constitutionnel de laïcité dans le cadre de l'école publique. Sa volonté, concevable, légitime, est également d'éviter les tensions qui résulteraient du prosélytisme ou de la revendication ostentatoire d'une apparence religieuse dans le cadre de l'école laïque.
Puisque la légitimité du but est claire, il reste la question de l'exigence de proportionnalité de la mesure prise au regard du but poursuivi, à savoir conforter la laïcité au sein de l'école publique.
A cet égard, la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est explicite. Je laisse de côté la question des agents du service public. Elle est réglée, nous le savons, par le statut. D'ailleurs, la Cour de Strasbourg a rendu un arrêt remarquable Lucia Dahlab contre Suisse du 15 février 2001 concernant le foulard islamique porté par une enseignante, arrêt qui est mentionné dans le rapport. La Cour a déclaré : « Comment pourrait-on dénier, de prime abord, tout effet prosélytique que peut avoir le port du foulard, dès lors qu'il semble imposé aux femmes par une prescription coranique (...) difficilement conciliable avec le principe d'égalité des sexes ? »
Je le répète, la question ne se pose pas pour les enseignants, au regard du statut de la fonction publique, elle se pose pour les élèves. A ce sujet, plusieurs décisions ont été rendues par les instances compétentes de Strasbourg. Le 3 mai 1993, la Commission européenne des droits de l'homme, qui existait encore, a rejeté les requêtes de deux étudiantes turques qui avaient contesté le refus de l'université de leur délivrer leur diplôme parce qu'elles n'avaient pas voulu fournir de photos d'identité tête nue.
La Commission a estimé qu'« en choisissant de faire ses études dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire ».
M. Christian Poncelet et M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, rapporteur. C'est normal !
M. Robert Badinter. « Celle-ci peut soumettre la liberté des étudiants de manifester leur religion à des limitations de lieu et de forme destinées à assurer la mixité des étudiants de croyances diverses. » Ce qui vaut pour une université laïque vaut a fortiori pour une école publique laïque. L'intéressée avait fait le choix d'étudier dans le service public.
Enfin, la Cour européenne des droits de l'homme, dans une décision du 13 février 2003 - Refah Partisi et autres contre Turquie -, a défini la portée du principe constitutionnel de laïcité au regard de l'article 9 de la Convention, et cela peut tout à fait s'appliquer à la situation que nous connaissons : « Le principe de laïcité est assurément l'un des principes fondateurs de l'Etat qui cadre avec la prééminence du droit et le respect des droits de l'homme et de la démocratie. Une attitude ne respectant pas ce principe (...) ne bénéficiera pas de la protection qu'assure l'article 9 de la Convention. » Rappelons aussi l'arrêt Kokkinakis contre Grèce du 25 mai 1993 : « Dans une société démocratique où plusieurs religions coexistent au sein d'une même population, il peut se révéler nécessaire d'assortir cette liberté de limitations propres à concilier les intérêts des divers groupes. »
Ainsi se dégagent clairement les lignes de force de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg : la liberté religieuse doit être respectée et garantie dans une démocratie, mais ses manifestations, quand on est dans un Etat laïc où la laïcité a valeur de principe constitutionnel, doivent se concilier avec la sauvegarde du principe de laïcité, lorsque celle-ci est un des principes fondateurs de l'Etat. Au législateur d'assurer cet équilibre. C'est à nous de prendre les responsabilités qui conviennent, et elles s'inscrivent dans cette loi.
L'essentiel, en définitive, dans ce texte de loi, ce n'est pas le subtil dosage des adjectifs et des adverbes, la ruelle bleue d'Arthénice, c'est la proclamation que doit être sauvegardé, étant donné nos responsabilités à l'égard de nos enfants, cet espace privilégié de neutralité religieuse que représente l'école publique de la République laïque, deux termes qui, pour nous, ne sont pas dissociables. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui nécessite un débat sans polémique ni controverse politique. Je m'exprimerai donc à titre personnel et je remercie le groupe parlementaire auquel j'appartiens de laisser à ses membres leur liberté d'expression et de vote sur ce texte hautement symbolique. Je considère, en effet, que ce projet de loi nous permet de poser le problème fondamental du « vivre ensemble » et, plus encore, de l'unité de la République.
Ce projet de loi a le mérite de dire « stop » ! La République est aujourd'hui confrontée à un défi qu'il est urgent de relever : l'intégration de certaines populations d'origine étrangère. Derrière la question des signes religieux se pose, en fait, la réelle et délicate question de l'intégration dans notre société d'une partie des populations immigrées de culture musulmane. Tout au long de son histoire, notre pays a su intégrer des populations venues de l'extérieur. Pour ne parler que du xxe siècle, la France a intégré des populations venues de Pologne, d'Italie, d'Espagne et d'autres pays encore.
Toutefois, à la différence de ce qui se passe aujourd'hui et qui constitue effectivement pour nous un défi, ces populations souhaitaient toutes s'intégrer à la nation française et notre pays leur en offrait la possibilité. Dans bien des cas aujourd'hui, le port du voile - car c'est principalement de cela qu'il s'agit, comme l'ont dit les orateurs qui m'ont précédé - est le signe d'un refus d'accepter certaines règles essentielles de notre société et sans doute d'un échec de notre politique d'intégration des trente dernières années. Pour ces raisons, je crois réellement que notre pays doit aujourd'hui tenter de stopper la montée des signes et des comportements qui manifestent un refus d'intégration, mais il doit aussi examiner sa politique d'accueil des populations étrangères.
C'est une spécificité bien française, me direz-vous, que de vouloir une République une et indivisible et, au nom de ce principe, de s'élever contre toute idée de communautarisme. Certes, mais cette spécificité a fait de notre pays ce qu'il est aujourd'hui. Nous aurions grand tort de l'oublier et de prendre le risque de laisser la nation française se déliter.
Au-delà de la question de l'intégration se pose celle de l'égalité des droits, notamment entre les hommes et les femmes, qui est l'un des principes fondamentaux de notre République énoncé à l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Or, force est de reconnaître qu'une partie des jeunes filles qui portent aujourd'hui le voile islamique y sont contraintes par leur entourage. On objectera qu'elles le font librement et par conviction religieuse.
Alors, que l'on m'explique pourquoi les jeunes filles nées en France, mais issues de l'immigration des pays de culture musulmane, sont beaucoup plus nombreuses à porter le voile que ne l'étaient leurs mères ou grand-mères qui avaient pourtant vécu dans ces pays. Que l'on m'explique aussi pourquoi le port du voile est beaucoup plus fréquent chez les jeunes filles habitant dans les quartiers où se développe un certain fondamentalisme musulman que dans les autres. Que l'on m'explique enfin, si cela n'est pas le signe d'un pouvoir de l'homme sur la femme, pourquoi les récentes manifestations de ces femmes et de ces jeunes filles contre la loi étaient organisées et encadrées par des hommes et non par les femmes elles-mêmes.
Je sais qu'en disant cela je peux choquer un certain nombre de sensibilités dans tous les milieux et donner l'impression de stigmatiser la population d'origine musulmane, mais je dis tout simplement ce que je constate et ce qui m'inquiète. Une partie de cette population, certes minoritaire mais croissante, est tentée par le communautarisme et rejette notre mode de vie au risque de faire monter un vent d'islamophobie contre lequel nous devons lutter.
Je suis attaché à la liberté de conscience et à la liberté religieuse. C'est précisément pour cela que je tiens à la défense du principe de laïcité, tel qu'il résulte de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, et que je refuse que la foi dans une religion puisse conduire à des attitudes, vestimentaires ou autres, qui remettent en cause certains des fondements mêmes de notre République.
Certes, cette loi est imparfaite et ne saurait suffire à tout régler. Elle est imparfaite, notamment parce que la question de savoir si une tenue manifeste, ostensiblement ou non, une appartenance religieuse laisse le champ à des divergences d'interprétation selon les personnes et les circonstances. Malgré cela, un texte de valeur législative fournira toujours aux responsables d'établissements scolaires une base juridique plus solide et moins contestable que ne le sont les références dont ils disposaient jusqu'à présent, à savoir la jurisprudence du Conseil d'Etat ou une simple circulaire ministérielle. Or beaucoup de responsables d'établissements scolaires souhaitent pouvoir s'appuyer sur une base juridique incontestable.
Cette loi est également imparfaite parce qu'elle ne concerne que l'école alors que la question des signes religieux se pose aussi dans d'autres milieux. Mais c'est précisément parce que l'école est le premier lieu d'apprentissage du « vivre ensemble », le creuset de notre République que nous devons agir en priorité en son sein. Je souhaite personnellement que cette loi porte ses fruits afin que nous n'ayons pas à l'étendre à d'autres milieux que le milieu scolaire.
Cette loi est enfin imparfaite parce qu'elle n'aborde le problème de l'intégration que sous l'angle des signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse. Ce faisant, elle oublie de regarder clairement la vraie raison du développement de ces signes, à savoir que notre société ne sait plus intégrer comme elle savait le faire jusque dans les années soixante-dix. La montée du chômage, les difficultés de logement et les inégalités d'accès à la santé, quand elles sont cumulées comme elles le sont dans beaucoup de quartiers où résident une forte population d'origine immigrée, constituent un terreau fertile à la montée du fondamentalisme et au rejet de notre société.
Cette loi doit donc absolument être accompagnée de dispositions visant à réduire ces facteurs d'inégalité qui font le lit du fondamentalisme et des extrêmes. A défaut, nous risquerions de nous attaquer aux conséquences sans remédier aux causes réelles du problème. Cela ne pourrait conduire qu'à l'échec, voire à une aggravation des difficultés que cette loi prétend résoudre.
C'est donc avec l'espoir, monsieur le Premier ministre, non pas que l'on monte une partie de la population française contre une autre, comme certains le redoutent, mais que la République mette un coup d'arrêt à un mouvement qui remet en cause certaines de ses valeurs essentielles et qu'elle sache très vite prendre les mesures permettant de remédier aux causes qui en sont à l'origine que je voterai le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher. Monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, aux termes de l'article 1er de la Constitution, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale [qui] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ». Voilà bien l'un des socles politiques sur lesquels est construite la société française !
La laïcité figure au centre de ce socle, un peu comme un levier. Les Français sont si attachés à cette valeur, ils l'ont tant intégrée à leur conscience de citoyens qu'ils en oublient sa spécificité. Le mot n'a d'ailleurs pas d'équivalent dans la plupart des langues européennes, sans parler du reste du monde, où tant d'institutions politiques revendiquent un fondement religieux !
Aujourd'hui, les Français ont pourtant la conscience intuitive que la montée des fondamentalismes et le développement du communautarisme menacent cette valeur et, au-delà, remettent en cause tant leur propre identité que l'identité politique de leur nation.
En effet, la République française est fondée sur la conscience de son caractère indivisible, qui découle de la volonté d'affirmer l'unité de la nation. C'est ce qui nous conduit à envisager les citoyens en tant qu'individus libres, et non pas comme membres de communautés balkanisées. A l'inverse de Joseph de Maistre, la République française ne connaît ni le Breton, ni le Normand, ni le Provençal, ni le Basque. J'ajouterai qu'elle ne connaît ni le catholique, ni le protestant, ni le juif, ni le musulman ! Elle connaît seulement l'homme et la femme, membres de la même communauté politique.
C'est pourquoi notre République considère ses nationaux, tout comme les étrangers qui se trouvent sur son territoire, sans se préoccuper de leur appartenance religieuse.
Ce modèle politique doit être préservé. Il nous faut en effet bien comprendre d'où est née notre conviction de la supériorité d'un modèle qui fait primer l'unité nationale sur les communautés : elle provient, me semble-t-il, de la volonté de refuser un statut civil des individus dépendant de leur religion et le cortège de malheurs qui en résulta pour notre pays.
Me faudrait-il ici rappeler la sanglante litanie des guerres qui ont endeuillé la France au xvie siècle, les édits de proscription et la fuite en exil de dizaines de milliers de nos compatriotes au xviie siècle ?
C'est la gloire des législateurs de la Révolution que d'avoir souhaité que plus jamais, plus jamais on ne distingue entre les Français selon leur religion.
Renouvelons aujourd'hui notre attachement aux idées des Lumières, au refus de toute suprématie du religieux sur le politique et à la préservation d'un espace politique où se rencontrent les citoyens. C'est bien l'esprit des Lumières qui nous a longtemps fait considérer que ce qui était bon pour la France l'était pour le reste du monde et que la Déclaration des droits de l'homme avait une valeur intrinsèque, même au-delà de nos frontières.
Pourquoi, dans ces conditions, observe-t-on un affaissement du principe républicain de laïcité ? N'est-ce pas parce que notre esprit national est si critique qu'il se remet lui-même en cause, allant parfois jusqu'à intérioriser les objections qui lui sont adressées ? N'est-ce pas, plus profondément, parce que nous doutons aujourd'hui de nous-mêmes et de la force d'entraînement de nos valeurs ?
Mais si nous n'affirmons pas ces valeurs, personne ne les affirmera pour nous. Cessons de douter de nous-mêmes et ayons le courage de nous défendre, de défendre ce qui permet à notre nation d'être ce qu'elle est. Il faut que ceux qui demandent à bénéficier de ses libertés et de sa prospérité acceptent aussi les valeurs qui en assurent la fécondité.
Il nous faut donc courage et fierté avoir : à trop mettre en cause les fondements de nos valeurs, à trop oublier les vertus du modèle français, je crains que nous ne soyons tentés de prendre des leçons de ceux qui, me semble-t-il, ne sont pas fondés à nous en donner !
Le modèle « atomiste » anglo-saxon, qui repose sur la coexistence indifférente de communautés d'appartenance dans lesquelles se reconnaissent les individus, semble avoir acquis une sorte de suprématie dans les médias.
N'est-ce pas oublier trop vite que, derrière des reflets chatoyants, le terme de « tolérance » évoque dans notre pays une expérience en demi-teinte : celle des « édits de tolérance » ? Peut-être nous faut-il nous rappeler les propos que tenait à la tribune des états généraux Rabaut Saint-Etienne, député du tiers, le 23 août 1789 : « La tolérance ! [...] la clémence ! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant il est vrai que la différence de religion, que la différence d'opinion n'est pas un crime. La tolérance ! je demande [que ce mot] soit proscrit [...]. »
Voulons-nous voir régner dans notre pays une tolérance de ce type ? Tout au contraire, il nous faut sortir de la fausse sécurité que procure l'expression d'une pensée « molle » et qui trouve son confort et l'assouvissement de sa paresse dans la soumission aux valeurs de l'autre. Ce n'est pas la tolérance pour les uns qu'il nous faut réclamer, c'est la liberté pour tous !
Face à ces mirages dans lesquels nous pourrions nous dissoudre, le projet de loi qui nous est présenté nous invite, en définitive, à affirmer ce que nous sommes, nous, Français ! Il exprime la volonté de préserver notre identité et d'assumer pleinement notre propre différence.
Reconnaître notre différence impose de reconnaître la lucidité des pères fondateurs de la IIIe République qui, par son enracinement, a permis que s'installe de manière pérenne une véritable démocratie dans notre pays.
La preuve de leur lucidité et de leur intelligence politique, il faut tout simplement la chercher dans l'évolution même des successeurs de ceux qui critiquaient alors la République et son attachement au principe de laïcité : tous reconnaissent aujourd'hui les vertus de la loi de 1905 relative à la séparation des Eglises et de l'Etat.
Ne l'oublions pas, cette République s'est affirmée contre un fondamentalisme qui portait alors un autre nom : il s'appelait le cléricalisme.
Le cléricalisme était alors bel et bien l'« ennemi » et l'école, l'espace qu'il fallait protéger. L'âge de la formation, en effet, est aussi un temps où l'on s'efforce d'éviter tout prosélytisme, laissant à la conscience de chacun, à la conscience des parents, l'absolue liberté de pratiquer son culte en dehors de l'institution scolaire publique.
S'il est donc un lieu que nous devons éviter de voir gagné par le communautarisme, c'est bien l'école publique, lieu d'éducation des futurs citoyens, symbole de notre idéal du « vouloir vivre ensemble ». Et, entre l'empire turc, où chacun était soumis au droit résultant de sa confession, et la République des « hussards noirs », peut-on longtemps hésiter sur l'idéal à rechercher ?
Quel message souhaitons-nous adresser aux enseignants, en première ligne sur le « front » laïc, qui, aujourd'hui, sont parfois harcelés ?
Pour ma part, je choisis l'idée d'un Etat national et démocratique de préférence à celle d'un empire bariolé et autocratique où coexisteraient des groupes autocentrés. Je fais ce choix avec d'autant plus de conviction que je suis persuadé de la nécessité de laisser leur place aux religions, à toutes les religions dans la société civile.
C'est pourquoi ce projet de loi, naturellement, n'est pas dirigé contre l'islam, pas plus qu'il n'est dirigé contre les confessions chrétiennes ou contre le judaïsme. Il est pour la République et pour le libre exercice de toutes ces religions en son sein.
Mais, pour intégrer, encore faut-il se doter de moyens appropriés et de la réelle volonté collective de ne pas donner à penser que nous laisserions saper les valeurs qui fondent notre identité collective. Voilà pourquoi il est indispensable de réaffirmer la laïcité dans nos services publics, qui sont exposés aux dérives des communautarismes religieux.
Depuis plusieurs années, avec la question du voile, nous assistons à la multiplication de provocations d'autant plus insidieuses qu'elles impliquent des enfants instrumentalisés. Nous ne pouvons pas laisser instrumentaliser des enfants ou des adolescentes, nous ne pouvons laisser se poursuivre de telles pratiques. L'article X de la Déclaration des droits de l'homme dispose d'ailleurs que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la Loi ». Or, peut-on contester que l'ordre public soit troublé par ceux qui, sous couvert d'afficher leur identité, font du prosélytisme en utilisant leurs propres enfants et tentent ipso facto d'influencer ceux des autres à l'école ?
Comme l'indique Jacques Valade dans son rapport, l'institution scolaire, l'école publique, est bien un espace privilégié, soumis à des règles spécifiques, où les élèves sont « des usagers du service public pas comme les autres », un espace de neutralité religieuse destiné à les aider à devenir des « citoyens éclairés », jeunes hommes et jeunes femmes à égalité.
Au demeurant, mon propos ne saurait se limiter à l'école. Président de la Fédération hospitalière de France, je sais les difficultés que rencontrent nombre de femmes à l'hôpital et les personnels hospitaliers dans leur activité professionnelle. Ceux qui ont voté la loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ne peuvent pas accepter que les femmes soient ainsi reléguées pour des motifs religieux. Là encore, il nous appartient, à nous, parlementaires, de déterminer ce qu'est un ordre public, qui ne peut être laissé à la libre appréciation de chacun.
Ce projet de loi est libérateur, et je me félicite que le Gouvernement ait eu le courage d'intervenir au moment où ces questions revêtent une acuité particulière. Nous, parlementaires, ne pouvons nous contenter de nous abriter derrière la jurisprudence administrative du Conseil d'Etat. C'est pourquoi il nous incombe, comme un devoir, de soutenir le texte qui nous est soumis et de choisir de faire passer l'universel avant le particulier, la République avant les communautés. Oui, voici à nouveau pour les citoyens le temps de la loi ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Loridant.
M. Paul Loridant. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je rappelerai en préambule qu'il fut un temps où la France était « la fille aînée de l'Eglise ». Oui, notre pays est issu de son histoire, du Moyen Age notamment, lié à la chrétienté ! Mais il est tout autant l'enfant du siècle des Lumières.
Dans le débat d'aujourd'hui, des voix s'élèvent pour défendre l'idée qu'une loi n'est pas nécessaire, ou qu'elle est inadaptée. De tels raisonnements, que l'on pourrait qualifier de « libertaires », s'opposent à une conception véritablement républicaine de la loi en tant qu'expression de la volonté générale, protectrice et émancipatrice. Or le projet de loi que nous examinons aujourd'hui illustre exactement cette conception.
Ce texte est tout d'abord protecteur pour les jeunes, pour les enfants : ils doivent être égaux dans la classe, devant le maître, qui n'a pas à connaître leurs origines religieuses.
L'école est, au coeur du dispositif laïc républicain, le lieu où l'on apprend à devenir un citoyen. Son objet est moins d'adapter les élèves à la société telle qu'elle est que de leur fournir les outils de leur propre émancipation, afin qu'ils restent clairvoyants devant les dogmes et les menaces d'aliénation de leurs droits. Oui, il faut aider les jeunes esprits à construire leur conscience par le libre arbitre, la raison, la rationalité, l'esprit critique. Bref, l'école doit former des citoyens, et j'insiste sur ce terme.
La Lettre aux instituteurs de Jules Ferry est à cet égard lumineuse : « L'instruction religieuse appartient aux familles (...), l'instruction morale à l'école (...). Le législateur a voulu distinguer deux domaines (...) : celui des croyances, qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances, qui sont communes et indispensables à tous. »
Ce projet de loi est émancipateur aussi pour les jeunes filles : il doit leur permettre l'accès à l'égalité des sexes, contre une culture religieuse qui, trop souvent, a bridé les droits de la femme.
Les jeunes filles, dans notre République, ne sauraient être obligées de rejoindre le combat de ces millions de femmes qui, partout dans le monde, se battent pour ne pas porter le voile, ce symbole de la ségrégation et de la sujétion de la femme qui porte directement atteinte aux valeurs essentielles de liberté et d'égalité qui fondent le pacte républicain.
Quel est le principe républicain qui interdirait que l'on fixât des règles ? Il nous appartient de nous opposer par ce texte à la loi de la jungle, à la loi du plus fort, en l'occurrence, à la loi du religieux, du père ou du grand frère qui dictent à ces jeunes filles la conduite à tenir.
Enfin, cette loi est nécessaire, car la République, agressée, doit se défendre. Oui, l'agression intégriste existe. Nous l'avons rencontrée au cours de nos travaux respectifs et, pour ma part, j'y suis tous les jours confronté dans ma commune, dans nos quartiers, dans nos banlieues.
En effet, la situation a changé de nature depuis 1989, date de l'affaire du premier voile, à Creil. Car aujourd'hui, dans la rue, dans les salles où nous les recevons, un certain nombre de personnes issues de milieux intégristes sont ouvertement passées à l'offensive. Elles testent la République, elles veulent connaître sa capacité de résistance. C'est ce changement de situation qui nous impose de changer de réponse.
On reproche ici et là à ce projet de loi de n'être qu'un symbole. Je ne réfute pas la formule, mais la force du symbole est justement nécessaire pour donner des repères à une société qui semble en manquer.
Oui, c'est une loi nécessaire, mais qui, monsieur le ministre, pour atteindre pleinement son objet et promouvoir réellement le principe de laïcité, doit être complétée et approfondie.
Comment croire en effet que le principe de laïcité se résumerait à proscrire les signes religieux dans les écoles ? La laïcité, contrairement à ce qu'affirment certains propos simplistes avancés çà et là, n'est pas une valeur simple et univoque. C'est une valeur façonnée par plus de deux cents ans d'histoire, une histoire longue et douloureuse qui dément l'idée d'une laïcité de concorde nationale.
La laïcité, ne l'oublions pas, est le fruit de combats violents. La République l'a arrachée par la force. Les Eglises, qui l'acceptent aujourd'hui, ne l'ont admise dans le passé qu'à leur corps défendant, au début du XXe siècle. Il n'y a aucune raison pour que d'autres, aujourd'hui les musulmans, dérogent à la règle. Ils doivent, comme les confessions chrétiennes ou juive, se soumettre aux lois de la République. C'est la condition de la paix des croyances dans notre pays.
Produit de l'histoire, certes, la laïcité est aussi un combat moderne dans un monde confronté à la montée des intégrismes, et ils sont de diverses natures !
La laïcité ne peut supporter d'adjectifs. J'entends ces dernières semaines des partisans de la laïcité « ouverte », de la laïcité « tolérante », de la laïcité « moderne ». Ancienne et moderne, à la fois tolérante mais ferme, ouverte dans l'espace privé mais pas dans l'espace public..., la laïcité ne peut supporter d'adjectifs : elle est la laïcité !
Mais c'est aussi une valeur qui s'use quand on ne s'en sert pas. Il est urgent aujourd'hui de la restaurer, principalement à l'école.
Cette loi, dit-on, doit aussi être ouverte. Que constatons-nous pour le problème du voile ? Pour quelques cas non réglés, des centaines et des centaines d'autres sont résolus, depuis des années, dans la clarté, par le dialogue et la pédagogie. De très nombreuses jeunes filles retirent leur voile parce que les équipes pédagogiques parviennent, à force de dialogue, à les en convaincre. Car l'école de la République a pour but non pas d'exclure mais, au contraire, d'intégrer : une exclusion est toujours un échec. L'amendement, adopté par l'Assemblée nationale, qui prévoit un temps pour le dialogue est donc un signe positif que nous acceptons.
Cette loi doit être également utile, utile donc claire. Or, depuis l'arrêt du Conseil d'Etat de 1989, on sait que le port du voile n'est pas ostentatoire en soi. Pour démontrer si le port du voile est ostentatoire ou non, exercice subtil, les chefs d'établissement et les professeurs sont démunis. Ils attendent des parlementaires, qui représentent la volonté du peuple souverain, une règle claire, nette, opérationnelle, alors que le Gouvernement propose de transformer « ostentatoire » en « ostensible » ! Cela me paraît extrêmement regrettable, et j'eusse préféré que l'on retienne le terme « visible », plus judicieux et plus clair.
Enfin et surtout, selon la belle formule de Jean Jaurès, « la laïcité, c'est la lutte pour la République sociale ».
Lors de son audition par la commission Stasi, le ministre des affaires sociales a eu un mot juste en rappelant que « sans intégration, nous perdrions la bataille de la laïcité ».
La grande question française, de la République, est celle de l'intégration sociale depuis trente ans. Elle sera encore cruciale dans les années à venir.
Tant que nous n'affronterons pas toutes les discriminations, qu'elles soient raciales, territoriales, professionnelles ou sexistes, tant que nous ne lutterons pas avec acharnement contre les ghettos de toutes formes, dans nos villes, dans nos campagnes, dans nos banlieues, la République sera menacée par les dérives identitaires.
Interdire les signes religieux à l'école ne saurait suffire à définir une politique. Ce doit être le prolongement d'un engagement politique beaucoup plus ambitieux. A moins que ce texte ne soit, de la part du Gouvernement, ce que je n'ose croire, que le moyen d'une manoeuvre politicienne visant à détourner l'attention.
En effet, la politique du Gouvernement, je dois le dire, précarise toujours plus le travail, aggrave les situations de pauvreté, réduit les moyens de l'éducation nationale, privatise les services publics, limite le champ d'intervention de ceux-ci, flatte les logiques identitaires en ayant recours à la discrimination positive au plus haut niveau de l'administration.
En un mot, le Gouvernement scie la branche sur laquelle il voudrait asseoir sa loi. Oui, mes chers collègues, ce texte est utile aujourd'hui, et je le voterai, mais il doit être soutenu par une grande loi d'intégration sociale où l'emploi, l'éducation, le logement, mais aussi le rappel des devoirs liés à la citoyenneté républicaine, seraient présentés comme les éléments d'un projet de vie commun à tous nos concitoyens.
Mes chers collègues, je conclurai sur ces mots : vive l'universel ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste. - M. Jacques Pelletier applaudit également.)
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l'évidence, il s'agit ici d'un débat qui nous interpelle et nous intéresse tous : il n'est qu'à voir les travées de notre assemblée, encore assez bien garnies à cette heure relativement tardive, ce qui n'est pas toujours le cas ! (Sourires.)
Sur le problème de la laïcité, beaucoup a déjà été dit, et de remarquable façon. J'ai le sentiment que ce texte sera adopté à l'unanimité, et l'on pourrait donc considérer qu'il est excellent. J'émettrai toutefois quelques réserves, même si, bien entendu, je voterai en faveur de son adoption.
Tout d'abord, j'eusse aimé que l'on fît davantage référence à ceux qui se sont battus pour la laïcité. J'évoquerai notamment Condorcet, qui fut l'inventeur, en quelque sorte, du principe d'universalité et du principe d'égalité, et Gambetta, qui considérait que la meilleure façon de permettre à l'école publique d'échapper à l'influence des congrégations consistait à accorder sans compter, disait-il, des moyens à l'éducation nationale. (Marques d'approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Gautier. Changeons de gouvernement !
M. François Fortassin. On pourrait s'inspirer, me semble-t-il, de cet excellent principe. (Sourires.)
Enfin, Jules Ferry a créé l'éducation nationale. Certes, on y revient au travers de ce débat sur la laïcité, mais, voilà quelques mois, l'emploi de ces deux mots semblait écorcher quelque peu les oreilles des uns, les mâchoires des autres !
Cela étant dit, je crois que l'on ne peut transiger sur certains principes.
Le dialogue doit exister, bien entendu, mais il existe des règles fondamentales. En particulier, il conviendrait d'affirmer avec vigueur que la République laïque exige que l'école soit un lieu de neutralité, que les religions ont un caractère exclusivement privé et que l'Etat doit permettre l'exercice de toutes les religions.
A cet égard, si l'on ne met pas en exergue avec force le caractère privé de la pratique religieuse, je crains que l'on n'assiste à un peu trop d'agitation autour du voile islamique. Il faut affirmer également que l'école doit être un lieu de neutralité, un lieu de tolérance, un lieu d'émancipation.
M. René-Pierre Signé. Oui !
M. François Fortassin. En outre, il convient peut-être de souligner que toutes les religions, sans exception, relèguent la femme à un rang inférieur quand elles sont défendues par des fondamentalistes.
Enfin, si la question du port du voile est certes importante, notamment sur le plan symbolique, la régler ne résoudra pas tous les problèmes : encore faut-il que les jeunes islamistes qui portent le voile, souvent à la suite de pressions, acceptent de suivre l'ensemble des programmes scolaires. En certains lieux, on devra peut-être se lever de bonne heure, comme disait mon grand-père, pour les amener à porter certaines tenues afin de suivre les cours d'éducation physique ou de fréquenter la piscine ! Cela ne sera pas évident, d'autant que l'on sait que des dispenses peuvent être accordées très facilement.
Par ailleurs, n'oublions pas les problèmes qui se posent dans le fonctionnement des hôpitaux, thème abordé par M. Gérard Larcher. En effet, un public islamiste de plus en plus nombreux refuse que des femmes puissent y dispenser des soins. Cela me semble très grave.
En conclusion, je voudrais évoquer une situation que l'on passe assez volontiers sous silence mais à laquelle la République s'honorerait de mettre un terme : on tolère sur le territoire français, à Mayotte, la polygamie. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) On peut bien entendu porter diverses appréciations sur cette question, mais il s'agit d'un réel problème !
J'indiquerai enfin, pour terminer sur une note un peu plus détendue, que j'ai été, pour ma part, assez choqué de constater que, à la préfecture de Mayotte, aucune boisson alcoolisée n'était offerte, afin de ne pas déplaire à nos amis islamistes ! Il est pourtant de tradition de servir de telles boissons lorsqu'il y a réception chez le préfet !
M. Ivan Renar. A consommer avec modération ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Certes, monsieur Renar, mais M. Signé nous rédigera une ordonnance (Rires.)
M. François Fortassin. J'estime qu'il existe tout de même des traditions qui ne doivent pas être mises à mal.
J'achève mon propos sur une note plaisante, comme je l'avais commencé, mais cela ne signifie nullement qu'il ne s'agit pas d'un sujet très sérieux. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur sur certaines travées du groupe socialiste et les travées du groupe CRC. - M. Hilaire Flandre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi aujourd'hui soumis à notre examen concerne indéniablement un sujet porteur d'une lourde charge politique et sociale. On peut dire sans hésiter que ce qui est en jeu, avec les signes et les tenues, témoignant d'une appartenance religieuse, ce n'est rien de moins que la validité de notre contrat social, dont la laïcité est le socle.
Cette laïcité nous enseigne l'art de vivre ensemble, favorise et rend possible la cohésion sociale en garantissant d'abord la liberté de conscience. Quitte à vous accabler de quelques redites, monsieur le ministre, je répéterai que l'école laïque est le ciment de la démocratie et de l'unité sociale, parce que là se forme l'homme de demain. La République doit donc la défendre par un texte qui n'a pour objet que de protéger l'école, en posant comme premier principe l'égalité des sexes. Affaiblir la laïcité serait affaiblir notre capacité à faire corps social.
Ces propos liminaires nous permettent de mieux comprendre comment un projet de loi aussi court peut susciter de si longues discussions, des discussions parfois difficiles, mais toujours instructives quant à l'état de la France et même, osons le dire, quant à l'Etat, s'agissant notamment de sa capacité à réguler le social. Les discussions menées au sein des différentes commissions ont permis d'établir un diagnostic : je pense ici au travail effectué par mon collègue et ami Serge Lagauche.
Or un médecin connaît trop bien l'importance d'un diagnostic. Que nous dit ce diagnostic ? Que la France éprouve un trouble, qu'elle a du mal, à l'heure de la mondialisation, à trouver ses repères cultuels et culturels. Que dire, à ce sujet, de l'étrange appel aux valeurs républicaines devant de jeunes musulmanes chantant La Marseillaise pour affirmer leur indépendance ?
Cependant, le mal de la France n'est pas si profond. Notre pays cherche de nouveaux repères, mais il ne doit pas, pour autant, perdre les anciens. La laïcité est l'un de ceux-ci. Certes, le contexte qui prévalait lors de son élaboration et de sa consécration juridique a changé, mais elle conserve toute sa puissance positive, il faut simplement la réactualiser. C'est l'objet de ce texte.
S'agissant du diagnostic proprement dit, le droit ne correspond plus à la réalité. C'est le vécu quotidien des enseignants et des élèves qui nous incite à un nouvel examen. Le constat est partagé par l'ensemble des acteurs de l'école : le fanatisme religieux ne peut passer la porte des établissements, ni dépasser certaines bornes. Les témoignages recueillis par les différentes commissions, parfois « en privé » à la demande de certaines personnes, doivent être entendus. Des dérapages ont été commis et certains extrémistes veulent discrètement faire passer leurs revendications du domaine des signes religieux à celui de l'assiduité partielle aux cours de biologie et de gymnastique et à celui de l'assiduité partiale aux cours d'histoire. Tout enseignement, même sur le big-bang et l'origine du monde, est jugé à l'aune du Coran. On exige des plats différents aux repas, que l'on prend à des tables distinctes. Tel n'est pas le sujet du présent projet de loi, mais cela en est le coeur. La question des services publics devra, elle aussi, être un jour abordée.
On nous demandera sans doute, dans quelques années, de reconsidérer la mixité à l'école, voire dans les transports « en commun », qui sont des lieux de partage de l'altérité. Il faut adresser un signal politique fort à ceux qui affichent des signes religieux chargés politiquement. Ne nous y trompons pas, il s'agit bel et bien d'un test pour notre modèle de société, qui ne peut consacrer l'asservissement de la femme. On ne doit pas injecter le moindre zeste de religion dans nos lois républicaines. Rien de tel ne peut y être instillé.
Certes, la loi ne doit pas s'opposer aux croyances ni aux consciences. Il est vrai que la ségrégation sociale et territoriale, les difficultés scolaires et le chômage créent un sentiment d'injustice, voire d'exclusion. L'extrémisme et le fondamentalisme en font leur miel, et le port du voile, qui peut être imposé, confère aussi un statut, une certaine respectabilité, en étant affirmé, dans ce cas, comme une valeur.
Au-delà du seul problème religieux, l'idée est non pas de rejeter l'islam, mais de l'aider à échapper à des influences fondamentalistes permicieuses. L'islam tolérant a besoin de la laïcité pour s'imposer. Il y a une guerre ouverte entre une version radicale et extrémiste de l'islam et sa version moderne. Je considérerais comme une erreur grave et inexcusable que les forces républicaines ne soutiennent pas le camp de la modernité. La vraie tolérance est celle qui s'impose pour éviter que ne triomphe un islam radical et que ne s'affaiblisse la République laïque.
Tous les signes et tenues ostensiblement affichés devront rester à la porte des établissements, au moins des établissements publics. Au qualificatif d' « ostensibles », je préférerai celui de « visibles ». « Ostensibles » marque une intention, « visibles » est indiscutable, compris des familles et des élèves. Quant à l'autorisation des signes discrets, elle ouvre à discrétion, si je puis dire, la porte aux interprétations subjectives. Restons-en à « visibles », tel est notre souhait.
On pense au voile, bien sûr. Le port du voile offre une triple prime qui pose trois fois problème dans notre République et pour notre République.
Le voile, c'est d'abord la prime au patriarcat. Qu'on le veuille ou non, le port du voile inscrit l'infériorité de la femme dans les rapports sociaux et les rapports familiaux. Il est le signe de la minorité juridique et sociale de la femme. On a trop lutté en Turquie, en Tunisie ou ailleurs pour que l'on cède ici.
Le voile, c'est ensuite la prime au théologico-politique, en l'occurrence au Coran. La loi religieuse est une chose, on a le droit de l'observer selon son degré d'engagement religieux, mais on n'a pas le droit, en tout cas pas en république, de l'imposer à l'ensemble du corps civil, ni même sur quelques parties infimes du territoire. Notre loi à tous, c'est la Constitution.
Le voile, c'est enfin la prime à l'endogamie. Une femme voilée ne peut épouser qu'un musulman pratiquant. Cette préférence matrimoniale religieuse ne peut manquer de nous interpeller et de mettre en question l'avenir du creuset républicain.
Ce fameux creuset républicain est toujours à polir, et il faut ici rappeler clairement notre engagement à lutter contre les discriminations dont souffrent les « minorités visibles », musulmanes ou pas. Au moment où certains musulmans essaient d'amener les Lumières dans l'islam, les fondamentalistes veulent entraîner les croyants dans l'obscurantisme. La flamme de la laïcité doit être rallumée. Le monde nous observe et attend un signe clair de la patrie de la Révolution.
A l'heure du cosmopolitisme, la laïcité ressemble de plus en plus à un mode d'emploi du « vivre ensemble » mondial. Gardons cela à l'esprit avant de nous inquiéter des retombées purement symboliques de ce texte. Le législateur n'interdira aucunement le port du voile dans la sphère privée et dans la rue. A l'école, le dialogue qui précédera toute décision vaudra toujours mieux que la sanction « couperet » ou l'interdit brutal. Recevoir à ce titre des leçons de démocratie et de tolérance de la part de certains courants ultrafondamentalistes imposés dans certains pays prêterait à sourire si la situation n'y était pas aussi dramatique.
Le groupe socialiste a déposé des amendements qui visent à compléter le dispositif mais qu'il ne me revient pas ici de présenter. Je les fais miens, bien entendu. A ceux qui n'ont foi que dans le texte religieux, il est temps de montrer que notre foi en la laïcité et en la République est plus forte que jamais. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Yannick Texier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en premier lieu, permettez à une élue ultramarine de déplorer la non-prise en compte de la situation de l'outre-mer dans la préparation de ce projet de loi : une vision unilatérale, à bien des égards exagérée, a prévalu alors même que, dans bien des endroits de notre pays, la coexistence entre différentes religions et ethnies ne pose pas de problèmes.
C'est le cas à la Réunion, où cohabitent dans de bonnes conditions des communautés musulmanes, hindoues, chinoises et juives qui se sont « apprivoisées » progressivement au cours de notre histoire. Un certain « devoir de délicatesse » s'est imposé à tous et a été respecté.
Les musulmans ont réussi, chez nous, leur intégration sociale, économique, religieuse et politique. De nombreux enfants musulmans sont scolarisés dans des écoles catholiques où ils assistent même aux cours d'enseignement religieux. Quelques jeunes filles musulmanes - elles sont peu nombreuses en réalité - portent le voile à l'école dans un climat de grande sérénité. Mais cette attitude bienveillante deviendra illégale après le vote de cette loi.
Les Réunionnais, toutes sensibilités politiques et religieuses confondues, sont attachés à leur manière de « vivre ensemble » grâce notamment à une laïcité qui s'exprime de manière originale chez nous. La dimension religieuse rapproche au lieu d'opposer. Elle intègre au lieu d'exclure. Ne pas la prendre en considération serait fragiliser localement l'appartenance à la République. Cela peut paraître paradoxale mais il en est ainsi. Tous sont attachés à la séparation du pouvoir politique et du pouvoir religieux.
Mme la ministre de l'outre-mer a d'ailleurs reconnu que le projet de loi n'était pas utile à la Réunion, mais qu'il le serait peut-être un jour contre l'intégrisme... S'agissant de la métropole, la situation est différente selon les régions, selon les établissements scolaires. On peut citer l'exemple du lycée d'Aubervilliers, où le règlement intérieur ne prévoit pas le port du voile mais accepte celui du bandana. Ainsi, on a trouvé un équilibre sans provocation de part et d'autre, comme à la Réunion.
Sur un plan plus général, je dirai que, si l'objectif de ce projet de loi est de lutter contre l'intégrisme musulman, il me paraît quelque peu disproportionné. La composante majoritaire de l'islam de France est sécularisée et totalement laïque. Une minorité, regroupée dans le Conseil français du culte musulman, comporte des tendances très diverses, dont certaines, extrémistes, posent effectivement un problème. L'islam est divers comme peuvent l'être le catholicisme ou le protestantisme. Pratiquer l'amalgame entre l'intégrisme et l'attachement à certains aspects de la vie traditionnelle me semble dangereux. Prenons l'exemple de l'islam marocain : il est fidèle à une certaine tradition - les mosquées au Maroc sont interdites aux non-musulmans -, mais il est en même temps opposé à l'intégrisme.
Il est sans doute nécessaire de faire comprendre aux islamistes qu'ils ne doivent pas chercher à déstabiliser la République. Il n'y a pas de place en France pour des partis religieux.
Mais quatre raisons principales militent contre le texte qui nous est proposé.
Tout d'abord, en termes juridiques et s'agissant du pouvoir d'appréciation des chefs d'établissement, le projet de loi n'apporte pas plus de clarté par rapport à la circulaire de 1994. Tout se jouera sur l'interprétation du mot « ostensible ».
Ensuite, la nouvelle loi risque d'être déclarée contraire au bloc de constitutionnalité et à la Convention européenne des droits de l'homme, car elle constitue une atteinte à la liberté religieuse dès lors qu'il n'y a pas trouble à l'ordre public. Cette argumentation a été développée par notre collège M. Mercier.
En outre, cette loi risque de faire des mouvements intégristes des mouvements martyrs, exacerbant ainsi les réactions en leur faveur. Ces mouvements exploitent déjà le sentiment de frustration et la soif de revanche de certains musulmans face à un Occident accusé d'exercer une domination économique, culturelle et politique.
Ce phénomène est très bien décrit par Marc Ferro dans Le Choc de l'islam. (M. le ministre acquiesce.) Du xviiie siècle au xxe siècle, l'histoire du monde arabo-islamique a été une longue suite d'humiliations, de défaites militaires et politiques. Après l'échec du socialisme et du nationalisme arabe, l'islam apparaît, pour une partie des personnes d'origine musulmane, comme l'instrument du renouveau.
Dans ce contexte, la loi que nous examinons, synonyme d'exclusion et de marginalisation, est du pain béni pour les islamistes radicaux.
Enfin, la suite logique de ce texte sera l'exclusion d'un certain nombre de jeunes filles musulmanes de l'enseignement public et, à terme, le développement de l'enseignement privé musulman, où le port du voile sera autorisé.
A cet égard, l'obligation de porter le voile est incontestablement discriminatoire. Mais on peut s'interroger sur la meilleure façon pour des jeunes filles d'apprendre quelle doit être la place de la femme dans la société. Hors de l'école ou dans des établissements scolaires confessionnels musulmans, cette éducation risque de ne pas être possible.
Je suis consciente cependant du fait que mon propos est minoritaire. L'Assemblée nationale s'est prononcée à une large majorité en faveur du texte. Le Sénat fera de même, très probablement.
Ce qu'il faut souhaiter, afin de limiter les effets pervers du texte, c'est que le Gouvernement trouve avec les responsables musulmans des modes de médiation. Le dialogue est en effet possible avec le Centre français du culte musulman, notamment sur certaines mesures pratiques telles que le remplacement du voile par un bandana.
Ne nous y trompons pas, le vrai problème n'est pas le voile. L'école doit être le lieu de la tolérance et de l'apprentissage du respect mutuel. A cet égard, la montée de l'antisémitisme et la situation des enseignants agressés parce qu'ils abordent certains sujets en classe sont des phénomènes éminemment plus graves que le port du voile. Il faut des règles de discipline strictes au collège, mais il faudrait aussi envisager la mise en application du rapport de Régis Debray sur l'enseignement de l'histoire des religions par les enseignants.
Monsieur le ministre, je voterai l'amendement de mon collègue Michel Mercier, qui tend à préciser que le port de signes religieux ostensibles est interdit dès lors qu'il est de nature à troubler l'ordre public dans les établissements scolaires. Mais je m'abstiendrai sur ce projet de loi, qui risque d'attiser les conflits dans le département de la Réunion. (Applaudissements sur certaines travées de l'Union centriste. - Mme Brigitte Bout et M. Jean Chérioux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Chérioux.
M. Jean Chérioux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici saisis du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. Ce texte a en fait pour objet la question du port du voile islamique, question qui a provoqué un vaste débat dans le monde politico-médiatique ces dernières semaines.
Je crois qu'il faut tout d'abord se demander quelle est la nature du problème posé par le port du voile à l'école.
De prime abord, on peut penser qu'a priori le port du voile ne pose de problème que lorsqu'il est accompagné d'un véritable trouble au fonctionnement de l'école et que, dès lors, il ne nécessite pas le vote d'une loi.
En effet, la jurisprudence du Conseil d'Etat est très nette en ce domaine : la haute juridiction a approuvé l'exclusion lorsque le port du voile s'est traduit par le non-respect d'obligations scolaires, tel que le refus d'assister à un cours d'éducation physique sans voile ou encore la contestation du contenu de certains enseignements, en histoire ou en sciences de la vie, par exemple.
Mais, compte tenu de l'ampleur prise par le problème, il est apparu au Gouvernement qu'il fallait porter le débat à un autre niveau, celui du respect de la laïcité et, en conséquence, déposer un projet de loi.
C'est pourquoi le texte que nous examinons a pour objet l'application du principe de laïcité dans les collèges et lycées publics.
Certes, l'article 1er de la Constitution précise que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Mais que recouvre la notion de laïcité ? Tout le monde parle de laïcité, mais avec des interprétations qui ne sont pas toujours identiques. Selon le Petit Robert, laïcité signifie neutralité. Il est donc normal que l'école publique ne prenne pas en compte dans son enseignement les choix d'ordre religieux ou philosophique de ses élèves.
Cela est clairement exposé dans la fameuse, que dis-je, dans la magnifique lettre de Jules Ferry aux instituteurs de la République : « Avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé par ce que vous allez dire. » C'est beau !
Eh bien ! Je pense que de nombreuses honnêtes gens risqueraient aujourd'hui d'être froissées par le refus fait à leur enfant de témoigner de son appartenance religieuse. Comme on peut s'en apercevoir en lisant l'intégralité de la lettre de Jules Ferry, la laïcité s'impose à l'école et à ses enseignants, mais pas à ses élèves. Permettez-moi de citer à nouveau Jules Ferry, et c'est pour moi une grande joie, en particulier devant vous, monsieur le ministre (Sourires) : « Parlez avec la plus grande réserve dès que vous risquez d'effleurer un sentiment religieux dont vous n'êtes pas juge. »
Oui, vous l'avez bien entendu, les enseignants, et par conséquent l'école, ne sont pas juges du sentiment religieux des élèves, et c'est normal, car toute autre attitude relèverait de l'intolérance et signifierait que l'école publique privilégie le refus des religions, devenant en quelque sorte un lieu d'intégrisme antireligieux.
Le projet de loi a retenu les termes de « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette rédaction est à l'évidence plus satisfaisante que celle qui fait référence aux signes visibles...
M. René-Pierre Signé. Non !
M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche. Si !
M. Jean Chérioux. ... qui aurait pu entraîner la relance du combat laïc à l'école, combat qui n'a plus de sens aujourd'hui.
Ce combat a eu un sens à un moment où il fallait mettre un terme à un monopole qui avait duré des centaines d'années, mais nous ne sommes plus en 1905, aujourd'hui, le combat laïc à l'école n'a plus de sens, et pourtant la réapparition de ce combat n'est pas un risque imaginaire.
En effet, mes chers collègues, j'entends encore ici les déclarations enflammées, lors du débat sur la révision de la loi Falloux, d'un de nos anciens collègues parfaitement estimable, champion de la laïcité, se félicitant de la « déchristianisation » réalisée grâce à cette loi. Vous voyez bien que l'esprit de combat n'est pas mort, loin de là ! Curieuse conception de la neutralité !
Le danger n'a d'ailleurs pas échappé au rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, M. Pascal Clément, qui a conclu que l'interdiction du port de signes visibles d'appartenance religieuse conduirait à une interdiction générale et absolue qui serait contraire à la liberté religieuse garantie par l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 9 de la Déclaration européenne des droits de l'homme.
On peut également aborder le problème du voile sous un autre aspect, celui du communautarisme, comme l'a très bien démontré l'excellent article de M. Maurice Druon dans un quotidien du matin bien connu. Il s'agit là d'un autre aspect de la politique, c'est-à-dire la politique d'immigration et de nationalité telle qu'elle a été pratiquée dans notre pays depuis trente ans.
Il y a malheureusement, et je le dis avec une très grande tristesse, un constat d'échec à faire quant à la politique d'intégration qui a été menée, et ce n'est pas le texte que nous examinons aujourd'hui qui réglera ce problème.
Il est une autre raison qui motive cette opposition au port du voile et qui fut largement développée dans les débats médiatiques : la volonté de combattre le statut de la femme musulmane, qui fait d'elle une mineure, statut dont le voile serait le symbole. C'est surtout cela que vise en réalité le texte que nous étudions. Mais alors sa portée est bien restreinte puisqu'il ne permettra pas la suppression du voile en dehors de l'école et ne changera pas, hélas ! les mentalités de ceux qui font preuve d'intégrisme. C'est bien ce que nous a décrit tout à l'heure M. Robert Badinter lorsqu'il a expliqué comment les choses allaient se passer : les musulmanes laisseront leur voile à l'entrée de l'école, les catholiques leur croix, les juifs leur kippa ; puis, en sortant de l'école, ils les reprendront ! Je ne vois donc pas comment on réglera le problème du statut de la jeune musulmane par ce texte sur le voile.
M. René-Pierre Signé. Ce sera un début !
M. Jean Chérioux. Hélas ! Je le reconnais, le port du voile à l'école relève parfois de la volonté de manifester son attachement à ce statut de la femme musulmane, que nous combattons. Mais ce qui est grave, c'est que les jeunes filles qui le portent refusent de respecter le règlement de l'établissement et tentent de se soustraire à certaines activités et à certaines disciplines obligatoires. C'est cela qui est inacceptable ! Après tout, si elles portent un voile, il y en a d'autres qui revêtent des tenues parfois fort extravagantes ! Ce qui est inadmissible, c'est qu'elles prétendent, du fait qu'elles sont musulmanes, ne pas observer le règlement de l'école.
C'est à cela que répondait l'amendement présenté par Edouard Balladur à l'Assemblée nationale, amendement qui n'a pas été retenu. Il avait cependant l'avantage de supprimer certaines difficultés nées de l'interprétation du caractère ostensible des signes religieux, puisqu'il visait, à travers le trouble au bon fonctionnement de l'établissement, cet aspect du port du voile à l'école.
En fait, le défaut de ce texte, qui est bon en soi, est de laisser de trop grandes marges d'appréciation. Comment jugera-t-on du caractère « ostensible » ? (M. René Signé s'exclame.) Il faut éviter toute marge d'appréciation subjective pouvant donner à certains l'occasion d'une interprétation trop restrictive du texte. C'est dans ce sens que j'ai déposé un amendement destiné à limiter le port de ces signes et tenues ostensibles religieux lorsque leur utilisation trouble le bon fonctionnement et l'ordre public des établissements d'enseignement public.
C'est dans cette direction que le combat contre le port du voile doit être mené. Ce fut une erreur d'avoir porté le débat sur le plan de la laïcité. Je crains que, ce faisant, l'on n'ait ouvert la boîte de Pandore. Il est à craindre en effet que les intégrismes ne mettent à profit l'interdiction de signes et tenues ostensiblement religieux pour multiplier les provocations et apparaître comme les victimes de leurs convictions religieuses. Croyez-moi, il ne faut pas qu'ils puissent considérer que l'interdiction du voile est la marque d'une sorte d'intégrisme antireligieux qui utilise ce moyen pour lutter contre les intégrismes religieux.
L'intégrisme est une mauvaise chose, qu'il soit religieux ou antireligieux. On peut tout craindre de l'intégrisme et du fanatisme. Il faut donc tout faire pour les éviter et en éviter les manifestations. Je ne crois pas que le texte, en l'état, nous donne toutes les garanties voulues. C'est pourquoi, si l'amendement que j'ai déposé n'était pas retenu, je voterais contre ce projet de loi.
M. René-Pierre Signé. On ne s'y attendait pas ! Vous êtes imprévisible, monsieur Chérioux...
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est un fait humaniste. Elle est cet idéal républicain que l'on retrouve dans la notion des droits fondamentaux de la personne. Elle est vecteur de bien-être et d'épanouissement de la société et retient comme seul motif d'action la justice et l'égalité. Elle a la capacité de s'adapter à la diversité des peuples. Elle est nécessaire pour protéger les citoyens face aux attaques de divers sous-groupes communautaires. Grâce à elle, les hommes peuvent définir des règles du jeu commun, et donc les conditions de leur cohabitation, affirmant ainsi leur volonté de vivre ensemble. Aussi, la mosaïque des peuples et des cultures ne peut résister sans que l'espace politique soit libéré des dimensions religieuses et idéologiques.
En disant cela, je reprends nombre de propos tenus par les orateurs qui m'ont précédée. Pourtant, la laïcité fait l'objet aujourd'hui de polémiques, de remises en cause sournoises, sans doute en raison du retour en force des organisations religieuses dans tous les domaines politiques, via les Etats-Unis, la Pologne, la Russie, le Proche-Orient, l'Iran ou encore l'Arabie saoudite.
On parle ainsi de « choc des civilisations », selon la théorie tristement célèbre de Samuel Huntington, théorie insidieuse qui porte en elle les germes de la guerre en livrant une lecture manichéenne et dangereuse du monde. Cette thèse a cautionné l'embargo irakien, tuant lentement des milliers d'enfants, ainsi que la guerre en Afghanistan et la guerre en Irak. Cette thèse sert de fondement philosophique à la guerre...
Je préfère, pour ma part, parler de « choc des ignorances », car l'identité humaine est plurielle, elle se réfère à notre langue, à nos passions, à notre travail, à notre culture... et l'on ne peut se contenter de s'attacher à un seul caractère de la personne.
C'est pourquoi la laïcité est l'exutoire de cette thèse, que l'on voit déjà se traduire en Europe par l'article 51 du projet de Constitution européenne qui prévoit un dialogue régulier avec les Eglises et les organisations philosophiques.
C'est une régression considérable et, de recul en démission, les ennemis de la liberté finiront par sacrifier celle-ci sur l'autel de la religion.
Aussi devons-nous plus que jamais défendre la laïcité contre ses nombreux ennemis, car elle est source de paix. Nous devons oeuvrer en France et en Europe pour que la laïcité appartienne au bien commun de toutes les nations, de tous les peuples.
Pour autant, la laïcité ne doit pas gommer les diversités, ce qui entraînerait une uniformité de pensée. Elle doit permettre à toutes ces diversités de vivre ensemble dans un respect réciproque. Tout comme nous devons combattre toute forme d'intégrisme religieux, nous devons nous opposer à un intégrisme laïc.
M. Christian Poncelet. Très bien !
Mme Annie David. L'école est un lieu de neutralité républicaine, mais les élèves ne sont pas les représentants de l'Etat, ils reflètent la France multiconfessionnelle.
Les enseignants sont, eux, les représentants de l'Etat et ils doivent respecter ce principe de neutralité et de laïcité. Cependant, les programmes d'enseignement sont obligatoires pour tous les enfants, et l'on ne peut proposer des cours à la carte selon les différences religieuses. Or, dans votre projet, monsieur le ministre, rien n'est dit sur l'obligation de participer à tous les cours et à toutes les activités proposées dans le cadre scolaire.
De même, je vous rappelle que c'est sur la liberté religieuse que se sont construites les démocraties. C'est pourquoi la laïcité n'est en rien antireligieuse, en accord avec l'article X de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Elle s'est imposée comme une garantie de neutralité des pouvoirs publics et de respect des croyances.
La laïcité ne doit pas exclure, elle doit intégrer. Elle doit permetre « le renforcement de la cohérence et de la fraternité entre les citoyens, l'égalité des chances, le refus des discrimations, l'égalité entre les sexes et la dignité de la femme », selon les propres termes de M. Chirac.
Or la loi que vous nous proposez, monsieur le ministre, est une loi d'exclusion. Elle pose un faux problème : libérer de l'aliénation dont elles sont victimes certaines jeunes filles par leur exclusion. Autrement dit, on les fustige pour le mal dont on veut les guérir. Et, à quelques jours de la Journée de la femme, l'égalité homme-femme, pierre angulaire de toute société démocratique et sociale, n'est toujours pas une réalité.
Cette loi sur la laïcité, laïcité qui reste le remède de toutes les discriminations, aurait pu marquer la lutte pour l'avancement et la protection des droits économiques, sociaux et culturels de la femme. Or cette loi, loin de mettre fin à l'oppression et à la domination dont sont victimes les femmes voilées et toutes celles qui sont victimes d'un intégrisme religieux, quelle qu'en soit la confession, va les abandonner à leur triste sort !
L'enfermement du débat occulte donc les vraies questions : les discriminations et le repli identitaire qui en découle, le sentiment de rejet dont souffrent tous ces jeunes issus de l'immigration, le chômage, la précarité, l'exclusion.
Vous avez donc péché, monsieur le ministre. Est-ce par paresse ou par lâcheté ? La laïcité ne peut, en effet, se résumer à l'exclusion. Elle doit être accompagnée d'une véritable politique d'intégration et d'information.
Malraux disait : « Le problème religieux redeviendra capital à la fin du siècle. » Comme il avait raison ! Mais le retour du religieux n'est pas une cause en soi, c'est un symptôme en réaction à un matérialisme qui n'a pas tenu ses promesses. L'ennemi de la laïcité, c'est bien, en grande partie, le fléau social, conséquence directe du capitalisme libéral en vigueur actuellement.
Le respect de la laïcité pose la question des engagements publics et individuels contre les maux que j'évoquais tout à l'heure, les discriminations, le chômage, la précarité, l'exclusion. Ces maux sont bien plus délétères pour le pacte républicain.
Je vous rappelle que le rapport du CERC, le conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, évaluait à plus d'un million le nombre d'enfants vivant en France sous le seuil de pauvreté, soit près de 8 % de l'ensemble des enfants. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes !
Le respect de la laïcité pose aussi la question de l'information de nos concitoyens sur ses enjeux. A ce titre, je regrette que vous n'ayez pas repris les propositions de la commission Stasi, notamment celles qui proposaient de faire de la laïcité et de l'histoire des religions un thème majeur de l'instruction civique.
Il aurait été également intéressant de proposer des cours à ces jeunes issus de l'immigration, mais aussi à tous nos jeunes, sur l'histoire de leur pays, de leurs traditions, riches de nombreux philosophes, poètes, mathématiciens, afin de connaître mieux leurs origines et de leur permettre ainsi de renouer des liens avec la République. Leur a-t-on seulement appris la laïcité ? Connaissance et reconnaissance des uns par les autres constituent un préalable à l'intégration véritable. Ces mesures auraient sans nul doute donné plus de crédibilité à votre volonté affichée de conforter les valeurs de la République : Liberté, Egalité, Fraternité.
Par ailleurs, votre loi, monsieur le ministre, est une loi de circonstance. Elle est incomplète et n'est en rien laïque.
Vous vous évertuez à vouloir donner l'illusion aux enseignants que cette loi résoudra leur problème. Mais comment mesurer l'ostensible, à moins de fournir aux chefs d'établissement des détecteurs de tous les signes religieux, y compris ceux de nombreuses sectes dont on ne sait pas toujours comment les identifier ? On ne peut envisager qu'ils ne prohibent que les foulards islamiques : ce serait illégal et choquant. Ou alors, votre loi est une loi d'exception, construite sur mesure autour du voile islamique ! Aussi, la terminologie choisie pèsera encore lourd dans les décisions des chefs d'établissement.
En outre, cette loi aura des conséquences sur le droit à l'éducation, exigence fondamentale de justice sociale. En effet, votre texte, monsieur le ministre, ne prévoit aucune mesure de suivi de ces jeunes, définitivement exclus. Or il appartient à l'éducation nationale de reclasser ces enfants exclus ! La Déclaration universelle des droits de l'homme affirme : « Toute personne a droit à l'éducation. » De plus, elle dispose que cette éducation doit être gratuite, au moins en ce qui concerne l'enseignement élémentaire et fondamental.
La Déclaration dispose également que l'éducation doit être orientée vers le plein épanouissement de la personnalité humaine et conforter le respect des droits humains. Aussi, je serais curieuse de connaître l'avis du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme sur votre loi, monsieur le ministre. Le droit à l'éducation n'est lui non plus pas négociable !
Par ailleurs, vous infligez aux jeunes filles contraintes de porter le voile, déjà victimes, « une double peine », alors qu'elles pouvaient espérer avoir, au sein de l'école, un espace de liberté, d'expression et d'apprentissage leur permettant ainsi d'être en mesure de faire un jour leurs propres choix d'existence.
Dans le même temps, le ministre de l'intérieur met en avant les littéralistes de l'islam, dont on sait pourtant qu'ils prônent un islam des plus rigoristes ! En matière d'incohérence, ce gouvernement aura atteint le paroxysme !
Mais peut-être vous importe-t-il seulement de balayer le problème d'un simple revers de main, sans vous préoccuper des conséquences de cette loi, qui, j'en reste convaincue, loin d'unir nos concitoyens, contribuera au développement du communautarisme et des affrontements identitaires, car, in fine, c'est une loi qui stigmatise, et certains jeunes, jusqu'ici peu religieux, se rallieront par solidarité et par sursaut identitaire. Elle servira aussi les extrêmes religieux, qui souhaitent polariser la société française autour de leur version rigoriste de la religion.
Enfin, c'est une loi incohérente et injuste, car de nombreux collèges et lycées logent des aumôneries, et elle ne s'étend pas aux établissements privés sous contrat. L'école publique apparaît donc intolérante et l'école privée accueillante.
Aussi, dans un souci de cohérence, j'ai déposé avec quelques sénateurs de mon groupe un amendement tendant à élargir le texte aux établissements privés sous contrat.
Je ne peux m'empêcher de citer une autre attaque à la laïcité, plus sournoise et rarement dénoncée : l'invasion marchande au sein de l'enceinte scolaire, dont votre loi fait fi.
Enfin, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette loi est incomplète et équivoque. La preuve en est qu'elle divise tous nos concitoyens. Je pense que personne ici ne pourra me contredire, puisque la majorité d'entre nous a longuement hésité avant d'acter son vote.
Je me trouve également dans cette situation, devant un dilemme cornélien, car je suis persuadée qu'une loi est nécessaire pour renforcer les piliers de la République, surtout en ces jours marqués par le retour en force des intégristes religieux, et, en conséquence, par une régression des conditions de vie de nombreuses femmes.
Mais votre loi, monsieur le ministre, ne va en rien renforcer ces piliers, car elle entretient l'illusion d'une intégration qui fait partie de la pire démagogie, qui cherche à gommer les diversités et aggraver les exclusions.
Pourquoi, à la veille du centenaire du pacte républicain de 1905, n'avez-vous pas engagé un grand débat sur la laïcité qui aurait permis d'aboutir à une loi accomplie et de faire ainsi du XXIe siècle le siècle laïc ?
Aussi, après de multiples hésitations, pour la laïcité, pour le droit des femmes à chaque moment de leur vie, contre la montée des intégrismes, je voterai contre cette loi qui, finalement, n'a rien de laïque.
M. le président. La parole est à Mme MoniqueCerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me sens bien vieille ce soir. Je me sens bien vieille, parce que, pour moi, ce débat a trente ans, et j'ai l'impression de revivre des jours très sombres, ceux des années soixante-quinze, l'époque à laquelle j'enseignais dans un lycée confessionnel tunisien - ils sont tous confessionnels en Tunisie : donc, je n'avais pas le choix ! - et où mes élèves étaient soumis à la propagande fondamentaliste à laquelle sont soumis les enfants musulmans de France aujourd'hui et à laquelle mes propres enfants étaient alors soumis.
Je peux donc parler vraiment en connaissance de cause, et je dois vous dire qu'il est des naïvetés que je supporte mal. L'offensive à laquelle nous assistons actuellement, c'est exactement l'offensive dont nous avons été victimes en Afrique du Nord au cours des trente dernières années. (M. le ministre acquiesce.) C'est l'offensive du wahhabisme saoudien, financé par l'Arabie saoudite, pour déstabiliser le monde musulman, c'est l'offensive de la théocratie contre les républiques.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Absolument !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Le port du voile par des filles à l'école est le signal du début de l'offensive dans tous les pays attaqués, la France comme les autres. Alors, ne soyons pas naïfs, ne nous voilons pas la face, n'avançons pas masqués comme les tartuffes que nous avons en face de nous et qui sont aussi dangereux pour l'islam et la République française que l'était l'odieux personnage créé par Molière pour le christianisme et la monarchie en son temps. D'ailleurs, ils se reconnaissent tellement bien dans Tartuffe qu'il ordonnent aux lycéens de refuser d'étudier cette oeuvre impie : j'ai connu cela, moi, en Tunisie, il y a plus de vingt-cinq ans !
Plusieurs problèmes sont posés aujourd'hui. Le premier est de savoir quelle est la capacité de la République française à faire enfin leur juste place aux musulmans, qu'ils soient pratiquants ou non, en France.
Le deuxième, c'est la capacité des musulmans de France et de toute notre société à résister victorieusement à cette offensive obscurantiste qui vise, tout comme le Front national, à empêcher les musulmans de France, qu'ils soient étrangers ou non, d'être ou de devenir réellement des citoyens français comme les autres. (M. le ministre acquiese.) Cela, les fondamentalistes n'en veulent pas : pour eux, il faut à tout prix l'éviter.
M. René-Pierre Signé. C'est excellent !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Soyons clairs, la France est loin de faire sa juste place aux musulmans. Des milliers de citoyens et d'étrangers établis chez nous sont privés de la possibilité de pratiquer leur religion dans des conditions décentes.
Les chrétiens ont connu le temps des catacombes. En France, de nos jours, le culte musulman sort tout juste des caves ! C'est pour les musulmans le temps de la relégation dans des quartiers ghettos, dont les écoles sont en proie à une crise de légitimité académique et sociale.
Dans la France d'aujourd'hui agissent donc normalement les mêmes facteurs de perméabilité à la propagande fondamentaliste islamiste que dans l'ensemble des sociétés où vivent des musulmans.
De même que la modernité est progressivement devenue un mirage pour des peuples abusés par des dirigeants despotiques, et parfois corrompus jusqu'à la kleptocratie, dans toute l'aire musulmane - à commencer par l'Asie, le Pakistan, l'Indonésie -, de même trop de musulmans en France se heurtent à un mur de verre dès lors qu'ils veulent être citoyens libres et égaux de notre République, dans leur vie quotidienne comme dans le travail, les loisirs, le logement, la vie sociale et civique.
Je n'ai pas oublié que mes propres filles ont dû, pour trouver un petit appartement quand elles étaient étudiantes à Paris, inscrire sur les documents leur prénom français et gommer leur prénom tunisien, parce qu'avec ce dernier les appartements n'étaient jamais libres !
Ces causes, évidemment, produisent les mêmes effets en France que dans tous les pays musulmans : pour les exclus du sud de la Méditerranée comme pour ceux de notre rive, la modernité se révèle trop souvent un leurre qui ne leur offre aucun des progrès matériels et moraux annoncés. C'est pour eux un discours de privilégiés à l'usage des exclus, destiné à les tromper.
Alors, ils entendent Saïd El Qotb et tous les faux prophètes qui prétendent leur révéler l'islam pur des origines - qui n'a jamais existé - avec des réponses simples à leurs interrogations spirituelles et des règles claires pour organiser leur vie privée et sociale.
Pour que la République laïque et les musulmans orthodoxes de France luttent victorieusement contre le fondamentalisme musulman, celui qui fait de la vie en Arabie saoudite un enfer - je peux le dire, parce que je suis une femme et que j'ai été contrainte de porter l'abaya comme tout le monde -, il ne suffit pas d'interdire le port d'un signe religieux à l'école : il faut rétablir, dans la réalité, l'égalité en droits et en dignité pour tous ceux qui habitent notre pays, sans distinction de religion.
En effet, d'autres fondamentalismes religieux et politiques attendent que notre propre trahison des idéaux républicains - et, depuis l'époque coloniale, il y a eu trahison des idéaux républicains -, en ce qui concerne les musulmans, fasse le lit de leur propre totalitarisme.
Cela dit, les circonstances me paraissent commander le vote d'une loi claire qui interdise le port de tout signe d'appartenance religieuse. Et, en tant que littéraire, je sais que les adjectifs et les adverbes sont toujours dangereux parce que source de contestations, mais nous verrons cela plus tard.
C'est au minimum à l'école publique qu'il faut interdire ces signes d'appartenance religieuse et, à titre personnel, je pense que les écoles privées conventionnées auraient grand intérêt, elles qui sont financées par l'argent du contribuable, à se conformer aussi à cette règle favorable à la coexistence de tous leurs élèves. Elles aussi n'ont pas à discriminer leurs élèves sur une base religieuse, même si, dans leur caractère propre, il y a un élément religieux. (M. Michel Dreyfus-Schmidt applaudit.)
Il faut interdire le port de signes religieux pour marquer une première résistance à tous les fondamentalismes. Il faut le faire, en ce qui concerne le voile, pour que puisse continuer à se développer en France un islam novateur, débarrassé des scories d'un passé révolu, des lectures littérales et sélectives du Coran, dont les fondamentalistes ne gardent que ce qui est répressif en laissant soigneusement de côté les sentences libératrices.
Pendant les trente ans où j'ai vécu dans une famille musulmane en Tunisie, j'ai toujours entendu : « Point de contrainte en religion », sentence figurant de nombreuses fois dans le Coran, que ce soit dans les sourates médinoises ou dans les sourates mecquoises.
« Point de contrainte en religion », c'est un élément fondamental de l'islam.
J'ai aussi vu pendant trente ans mes proches, ma famille ou mes amis pratiquer un islam de spiritualité, de charité, tolérant et conforme aux cinq commandements : la profession de foi, la prière, la charité, le jeûne de ramadan et, si possible, le pélerinage à La Mecque, l'islam qu'un grand historien, Mohamed Talbi, décrit dans son Plaidoyer pour un islam moderne.
Quid du port du voile dans tout cela ? Eh bien ! le port du voile n'est pas un commandement coranique. Seules les femmes du prophète, pour protéger leur beauté, devaient porter un voile parce que le soleil ou le vent du désert nuisaient à leur teint ! (Sourires.) A part cela, il n'en est question que dans les hadith, tradition orale souvent douteuse et sans aucune valeur contraignante.
Voilà qui est bien ennuyeux pour les bigots qui prétendent parler au nom de l'islam en France aujourd'hui ! Oui, il y a cinq commandements dans l'islam, il n'y en a pas six ! L'islam ne demande pas que l'on voile les femmes, et encore moins les petites filles impubères. Ce sont les sociétés patriarcales qui l'exigent, quelle que soit la religion, comme les sociétés chrétiennes siciliennes ou grecques d'il y a vingt ans, car il faut marquer ses femmes pour préserver son droit de propriété sur elles et préserver les intérêts patrimoniaux des hommes du clan : en effet, les femmes emportent leur part d'héritage avec elles, et c'est cela qu'il faut éviter !
Quoi de mieux maintenant, en France, que cette exigence envers les fillettes et les jeunes filles pour s'attirer les faveurs de pères et de frères aînés nostalgiques du patriarcat ? Quoi de plus anodin et contre quoi une société démocratique ne pourra guère s'élever ? Vous les voyez, ces patelins qui avancent masqués, les tartuffes !
Nos tartuffes sont nourris de pétrodollars et de livres sterling du « Londondistan ». Il ne faut pas oublier que nos amis anglais hébergent depuis vingt-cinq ans les commanditaires de la plupart des attentats qui se sont produits dans le monde musulman, et que ce sont les musulmans qui ont payé le plus lourd tribut à ce terrorisme. Nos tartuffes se contentent pour l'instant d'un petit voile à la sainte Thérèse. C'est émouvant ! Ils mettent gentiment un moratoire sur la lapidation de la femme adultère.
Mais cessez de parler de l'islamisme sans évoquer ses maîtres à penser ! Quand on parlait du léninisme et du stalinisme, on citait Marx ! Lisez donc Saïd El Qotb, Hassan El Banah - l'inconvénient est qu'ils ne sont guère traduits en français - et vous comprendrez que leurs cibles réelles exposées dans leurs écrits sont la liberté individuelle, l'égalité des citoyens dans la République, la séparation de la religion et du politique, et, enfin, la démocratie.
Ce qui est important, ce n'est pas le signe religieux, mais ceux qui se cachent derrière. Notre responsabilité en France, c'est de comprendre que tout se passe aujourd'hui pour les malheureux musulmans comme si l'Eglise de l'Inquisition ressuscitait et tentait ni plus ni moins de prendre le pouvoir au Vatican. (M. le ministre acquiesce.) Nous devons soutenir la résistance de la majorité des musulmans, et en particulier des musulmans de France, face à cette régression, ne pas nous en faire complices par ignorance, libéralisme et naïveté totalement déplacés.
M. Charles Gautier. Bravo !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. En agissant ainsi, nous serons fidèles aux valeurs de la laïcité. Elle libère les religions de la férule de leurs extrémistes si prompts à la manipulation politicienne et, à cet égard, je vous renvoie au dénouement de Tartuffe.
Nous le devons aussi parce que la France a des lois contre la maltraitance des enfants et que le port du voile, imposé - et comment savoir s'il n'est pas imposé ? - à des fillettes mineures, est une forme de maltraitance, comme le dit très justement Chahdortt Djavann qui l'a porté sous la menace du fouet pendant dix ans en Iran. Que les femmes adultes se voilent de la tête aux pieds et portent l'abaya ou la burqa en France si elles le désirent ; la France n'a rien à y redire, car elles sont libres de se marginaliser totalement. Mais les filles mineures ont droit, elles, à la protection de l'Etat.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Enfin, nous devons résister à cette offensive pour qu'aucun autre extrémisme religieux, et en réalité politique, faisant état des concessions faites à l'un d'eux, ne viole les règles de l'école républicaine et, au-delà, celles de la République.
Cette loi, pour moi, n'est qu'un premier jalon dans le renforcement de la dignité de l'école républicaine.
Lors de la future loi d'orientation sur l'école et, plus largement, à l'occasion du centenaire de la loi de 1905, il faudra avoir la ferme volonté de rendre à l'école ses vertus libératrices, face aux croyances imposées - et c'est bien mon seul point d'accord avec la collègue qui m'a précédée à cette tribune - mais encore plus face au matérialisme de la société française. Pour moi qui ai vécu trente ans dans un pays pauvre, le matérialisme de la société française me paraît écrasant. La société française, comme l'ensemble des sociétés développées, est asservie à une dictature du profit qui sape ses principes fondamentaux, ceux de la République, et qui, un jour ou l'autre, finira par l'affaiblir totalement face à un nouveau totalitarisme.
L'Europe a connu quelques totalitarismes. Je ne voudrais pas que, par lâcheté et par matérialisme, tout autant que par négligence intellectuelle, nous fassions le lit d'un autre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, de l'Union centriste, du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l'UMP.)
M. René-Pierre Signé. C'est du vécu !
M. Charles Gautier. De l'authentique !
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai écouté avec attention les interventions souvent passionnées qui se sont succédé à cette tribune depuis le début de cet après-midi et - pourquoi ne pas le dire ? - je suis heureux de la tonalité qui s'en dégage, du sentiment qui émergent que nous discutons dans cette enceinte de quelque chose d'essentiel et de consubstantiel à la République : la laïcité.
Si nos propos trouvent une telle résonance, si des convergences s'établissent bien au-delà des clivages habituels, c'est que chacun reconnaît que le débat qui s'est engagé dans notre pays et qui mobilise aujourd'hui le Sénat répond à une véritable urgence, à une situation de crise trop souvent ignorée ou dont la gravité a été minimisée.
Oui, la dérive communautaire existe ! Oui, l'égalité homme-femme est régulièrement bafouée et des filles subissent tous les jours des atteintes inacceptables à leurs droits et libertés ! Oui, la violence intégriste et son cortège de racisme et d'antisémitisme s'installent ! Oui, notre modèle d'intégration a montré ses limites.
Je voudrais souligner la justesse de la démarche du Gouvernement qui non seulement a décidé de porter le fer contre ces cancers venant ronger les fondements de notre République, mais qui a su également choisir une démarche qui nous permette de nous extraire des éternels clivages qui, sinon, auraient nui à la sérénité et à la qualité du débat.
Cependant, au-delà de l'adhésion quasi générale au présent projet de loi, restent posées des questions qui méritent d'être abordées et que je passerai rapidement en revue.
Première remarque : soyons réalistes, ce n'est pas le vote de la loi qui réglera du jour au lendemain les situations de tension dans les établissements scolaires. Il me semble essentiel que chaque école élabore un projet d'établissement, véritable recueil des règles du « vivre ensemble ». Il appartiendra à la communauté éducative, avec le chef d'établissement comme pilier, d'organiser et de faire respecter les principes de cette vie communautaire.
Ainsi, suivant les établissements, les règles pourront être adaptées aux situations locales, car il faudra aussi éviter que des filles, notamment musulmanes, ne se trouvent orientées vers des établissements privés où elles seraient encore davantage soumises aux règles, le cas échéant, intégristes.
Voilà pourquoi il me semble important de réorganiser nos établissements autour d'un projet. Certes, de tels projets d'établissement existent déjà, mais ils sont un peu trop administratifs. Il doit s'agir de véritables projets d'organisation des règles de vie en société auxquels l'ensemble de la communauté éducative devra adhérer.
Cette nouvelle pratique dans les établissements sera facilitée par l'encadrement que le projet de loi vise à fournir, et l'obligation de la concertation avec le jeune, le cas échéant, s'inscrira tout naturellement dans ce projet d'établissement.
Deuxième remarque, nous avons tous eu l'occasion de rappeler le sens du terme de laïcité : la séparation des Eglises et de l'Etat, le refus du prosélytisme religieux, la neutralité de l'Etat et l'indépendance des Eglises. Mais nous devrons aussi veiller à ne pas confondre laïcité et négation du droit à la différence, à l'expression personnelle. Il nous faut autant nous garder de la société qui serait une mosaïque de communautés, que de l'uniformisme réducteur de libertés individuelles.
Veillons à ce que la résolution de la question du voile, posée par des extrémistes notoires, ne porte pas atteinte aux pratiques modérées et respectueuses d'autrui qui n'ont jamais dérangé personne.
Troisième remarque : ce texte que nous allons adopter, sans doute à une très large majorité, ne doit pas nous dispenser d'une réflexion et d'une action plus larges. La mixité sociale et le développement dans les quartiers sensibles, l'adaptation de notre modèle d'intégration aux réalités de notre société, la facilitation de l'exercice du culte par les musulmans sont autant de défis que nous devons relever sans retard.
Il est juste d'imposer des règles strictes quant au respect de la laïcité. Mais elles seront d'autant mieux comprises et acceptées qu'elles s'accompagneront de mesures facilitant l'intégration.
Pour conclure, j'évoquerai brièvement à mon tour les lois locales d'Alsace-Moselle. J'ai été sensible aux assurances qui nous ont été données et qui confirment que le présent projet de loi sur le principe de laïcité à l'école ne remet pas en cause et ne fragilise pas les lois locales. Ces dernières sont particulièrement appréciées par la population et ont toujours permis une application de la laïcité qui respecte les règles de neutralité, d'indépendance et de liberté de pensée. Il faudra veiller à ce que les modifications apportées à la loi nationale ne portent pas en germe une atteinte à ces fondements de la loi locale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous vivons ce soir et pendant ces quelques jours des moments exceptionnels de communion et d'ambition pour une France plus solidaire, plus intégratrice, plus juste, pour une école accueillante et une jeunesse épanouie.
Soyons conscients que, avec le vote de ce texte, un pas important aura été franchi. Il faudra qu'ensemble nous poursuivions sur cette route et que nous continuions d'accorder à ces sujets la même attention et le même enthousiasme que nous retrouvons ce soir sur toutes les travées. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, c'est après mûre réflexion que je m'apprête à voter ce projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics, et bien consciente du caractère insuffisant, parcellaire de ce texte et des arrière-pensées possibles de ses concepteurs.
Mais si l'opportunité d'une loi pouvait faire question, reculer aujourd'hui serait donner raison à ceux qui utilisent la démocratie et les lois de la République pour mieux les combattre.
Depuis que la question a fait irruption pour la première fois dans le débat public, en 1989, bien après l'arrivée de populations originaires de pays où la religion musulmane est dominante, je n'ai cessé de m'opposer au port du foulard dit « islamique » à l'école et de penser que cette pratique devait y être proscrite.
Le voile imposé à certaines jeunes filles est peut-être une prescription religieuse ; il est avant tout le symbole, le plus souvent revendiqué comme tel par ses promoteurs, ses exégètes devrais-je dire, de l'inégalité entre les sexes, de la soumission des femmes, de la négation de leur droit à choisir leur vie, à assumer leur liberté, à disposer de leur corps.
Il participe activement d'une volonté de ségrégation, de discrimination. Des femmes se battent, sont agressées, sont assassinées dans le monde, parce qu'elles refusent de le porter : nous ne pouvons l'oublier.
Nous ne pouvons non plus nous méprendre, comme l'explique l'écrivaine iranienne Chahdortt Djavann : ce voile pour les petites Françaises est le même que celui dans lequel les mollahs enturbannés enferment les femmes en Iran, en Egypte et au Maghreb.
Citoyennes, nous nous souvenons de n'avoir acquis le droit de vote qu'en 1944, le droit de nous émanciper financièrement que dans les années soixante.
Nous pouvons d'autant moins tolérer cet appel à la subordination de la femme, à la régression démocratique et civilisationnelle au coeur même du lieu de la formation à l'esprit critique : l'école de la République.
C'est la première raison qui, presque viscéralement, m'amène à voter cette loi.
L'édifice législatif actuel aurait peut-être pu suffire à interdire le voile à l'école et à nous épargner ce débat empoisonné qui, depuis des mois, a contribué à dresser une tribune aux propagandistes du voile.
Mais maintenant que ce débat a eu lieu, il faut le clore en toute clarté.
C'est le manque de fermeté de la part des gouvernements successifs, la jurisprudence hésitante de l'avis du Conseil d'Etat de 1989 qu'il faut corriger. Il est essentiel que soit réaffirmée la norme républicaine. A ce titre, le voile ayant une signification dépassant une éventuelle affirmation religieuse, je considère qu'il doit être interdit de la même façon dans les établissements scolaires privés, confessionnels ou non.
Ce projet de loi ne le prévoit pas. C'est une lacune majeure.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Voilà !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je sais que les motivations des jeunes filles qui voudraient porter le voile à l'école sont diverses, mais il est irresponsable d'y voir une manifestation de la liberté individuelle qu'il faut respecter. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)
S'il se trouve des jeunes filles, en crise d'adolescence, qui portent le voile uniquement par effet de mode, ce dont je doute, cela leur passera avec la loi. Un point, c'est tout ! Ce qui importe, c'est de protéger celles à qui on veut l'imposer.
La loi aidera l'éducation nationale à affranchir les plus nombreuses de la pression d'un entourage induit à confondre tradition et maintien de pratiques rétrogrades.
Si, comme c'est parfois le cas paradoxalement, certaines jeunes filles trouvent refuge dans l'extrémisme religieux, dans la servitude volontaire pour échapper à cette pression quotidienne parfois violente, l'école ne peut pas accepter cette impasse dangereuse.
Enfin, concernant la petite minorité de jeunes activistes endoctrinées, capables à treize ans de réciter par coeur la jurisprudence du Conseil d'Etat, notre devoir de républicains est de combattre l'idéologie sectaire des individus qui les manipulent. Nous serions naïfs de ne pas voir leur ombre derrière l'ensemble du phénomène.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Certains objectent aussi qu'on ne peut accepter une loi qui risque d'exclure.
Je crois plutôt que, dans la majorité des cas, elle va protéger.
L'exclusion, c'est le port de ce hidjab qui, pour reprendre la traduction littérale, « met physiquement derrière un rideau » les cheveux, les oreilles, le cou des jeunes filles et entend les isoler moralement de l'apprentissage de l'esprit critique qui est à la base de l'enseignement laïque.
L'immense majorité des jeunes filles, des femmes originaires de pays musulmans, des musulmanes, des musulmans aussi, le refusent.
Devant l'offensive, dont nous ne pouvons plus ignorer la réalité, d'un islamisme politique qui sait se jouer de la détresse sociale et des attaches culturelles pour répandre son idéologie faite d'intolérance et de sexisme, la réaffirmation officielle de la norme à l'école ne peut que les renforcer dans leur résistance.
Les « affaires » de voile doivent cesser de fournir un instrument politique à l'islamisme organisé. Elles doivent aussi cesser d'alimenter les provocations à l'encontre de l'éducation nationale, de la laïcité. Je refuse de tolérer l'intolérable.
Oui, il fait partie de la mission pédagogique de la communauté éducative d'expliquer à chaque jeune fille, en prenant tout le temps nécessaire, ce que sont les valeurs communes d'égalité, de liberté, de « vivre ensemble » que l'école laïque se doit de transmettre.
Non, il est inacceptable - et je comprends l'exaspération des enseignants et des chefs d'établissement - d'avoir à « négocier » sur le dos des enfants avec des lobbys islamistes fortement organisés.
La loi risque-t-elle, vise-t-elle même à « stigmatiser » les personnes originaires des pays musulmans ? Il m'est inconcevable, en tant que militante antiraciste, de reprendre à mon compte l'assimilation d'une partie de la population de notre pays, française ou étrangère, à une religion et, encore moins, l'assimilation de cette religion à un courant politique extrémiste qui s'en réclame.
Permettez-moi d'abord une remarque. La nation française est indivisible et n'est donc pas divisible en religions réelles ou supposées. C'est pourquoi je refuse catégoriquement l'utilisation du vocable « Français musulman ». Il porte en lui-même une idée de ségrégation. Vous viendrait-il à l'esprit, mes chers collègues, de vous classer en Français catholiques, Français protestants, Français juifs et, si par hasard on ne les oubliait pas, Français athées ? Non, bien sûr ! Alors pourquoi devrait-on faire cette distinction pour certains de nos concitoyens, comme à la plus belle époque de l'Algérie française ?
Oui, c'est indéniable, la loi vise prioritairement le port à l'école du voile dit « islamique », dont la prescription a d'ailleurs toujours été très contestée parmi les musulmans.
Oui, il est également indéniable que les Français et les étrangers vivant en France originaires des pays musulmans sont souvent les premières victimes de l'exclusion sociale, de discriminations multiples, du chômage, du mal-logement, de vexations policières, du racisme...
L'injustice sociale et les discriminations nourrissent les replis communautaires et constituent le terreau de la poussée islamiste. S'attaquer résolument aux causes est primordial, et c'est l'une des raisons d'être de mon engagement politique. Cela ne peut pas nous exempter de combattre aussi les effets quand ils remettent en cause des acquis comme l'égalité des sexes ou le principe de laïcité.
J'ai peu abordé jusqu'à présent le concept de laïcité, acquis historique de notre peuple depuis la Révolution et la séparation des Eglises et de l'Etat, considérant que le voile n'est pas principalement un signe religieux.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Je ressens néanmoins la nécessité de quelques rappels dans ce débat.
Non, la laïcité, ce n'est pas l'oecuménisme, la neutralité bienveillante de l'Etat envers toutes les religions.
Profondément athée, je me retrouve dans les luttes sociales en parfait accord avec des croyants, des prêtres ouvriers parfois, des musulmans très souvent. La liberté de conscience doit être totale dans notre pays, et je serai la première à la défendre.
Mais la laïcité, c'est la séparation stricte entre l'espace public, la vie de la cité et la religion ramenée à son seul domaine : la spiritualité dans la sphère privée. L'acquis historique de 1905, presque unique dans le monde, c'est d'avoir remis les religions et leurs clergés à leur place et d'avoir coupé court à leurs prétentions politiques dans le siècle.
Monsieur le ministre, je tiens à le dire pour conclure, je ne vous fais pas confiance pour défendre la laïcité et pour appliquer fermement cette loi, sachant que les mots « ostensible » et même « signe » prêtent à interprétations diverses.
Si vous vous faites passer habilement aujourd'hui pour les protecteurs de la laïcité, rappelons que le ministre de l'intérieur a fait complaisamment la publicité d'un théologien obscurantiste qui s'évertue à justifier la lapidation des femmes et qui a donné une place institutionnelle à une organisation ouvertement intégriste.
Monsieur le ministre, votre politique affaiblit l'école laïque, ce formidable outil d'intégration et de cohésion nationale. C'est notamment le cas quand vous fermez des centaines de classes, quand vous supprimez des milliers d'emplois, quand vous encouragez l'intrusion dans les lycées du monde de l'argent avec ce jeu d'initiation à la bourse, promu par une banque : les « masters de l'économie ».
L'ensemble de la politique du Gouvernement - sa politique de ségrégation urbaine, de casse des services publics et des acquis sociaux, son idéologie de promotion de l'intérêt privé contre l'intérêt général - ne fait qu'élargir la fracture sociale, reculer les valeurs républicaines, dont la laïcité, et fait le jeu des communautarismes.
C'est donc sans vous donner quitus sur rien, monsieur le ministre, que je voterai cette loi, qui n'est, pour le Gouvernement, qu'une loi de circonstance, mais qui est pour moi un outil devenu nécessaire de la défense de l'égalité des sexes, de la liberté de conscience et des valeurs républicaines. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, fallait-il une loi ou pouvait-on se contenter d'une circulaire ? Comme la plupart d'entre nous, j'ai hésité, mais, aujourd'hui, je suis persuadée qu'il est important pour la représentation nationale de participer à ce débat. Je vais l'exprimer autour de deux idées.
La première est de réaffirmer que nous avons la chance, et nous devons en être fiers, de vivre dans une République laïque. Nous sommes d'ailleurs pratiquement les seuls au monde. Aucun pays n'a poussé aussi loin la logique de séparation de l'Etat et des Eglises.
Ce moment privilégié du débat nous permet de rappeler haut et fort à ceux qui prétendent diriger le monde, avec leur morale à eux, qui prétendent détenir la clef de ce qui est bien ou de ce qui est mal, que la République laïque, à travers sa devise « Liberté, Egalité, Fraternité », doit permettre de « vivre ensemble ».
Car les principes de laïcité et de liberté de conscience sont tous deux constitutionnels. C'est cela notre richesse : l'art de vivre ensemble, quand on se trouve avec des gens de toutes convictions et non plus seulement avec les porteurs de mêmes certitudes.
La République permet à des citoyens de culture et de confessions différentes de vivre ensemble. Elle permet à des croyants et à des non-croyants de vivre ensemble, car, dans une République laïque, la foi ne peut se substituer à la loi.
Il est temps de réaffirmer ce principe face à certaines dérives et tentatives de milieux extrémistes. Il est temps de dire « stop », de réaffirmer le libre arbitre ; la loi le permet.
L'idéal de laïcité est, bien sûr, attaché à l'idéal de l'école publique, qui doit être à la fois émancipatrice et pourvoyeuse d'égalité des chances.
Cela m'amène à la deuxième idée que je vais développer et qui constituera l'essentiel de mon propos, à savoir l'émancipation et l'égalité des chances entre filles et garçons.
En effet, ne nous voilons pas la face - c'est vraiment le cas de le dire ! -, cette loi qui concerne les signes religieux a trait avant tout au port du voile.
Quel est le rôle de l'école de la République ? Elle doit former des esprits libres et aptes au jugement autonome. Elle doit former l'esprit critique, privilégier l'universel au particulier. L'école accueille des jeunes qui se construisent, et il est impératif que rien ne les distingue les uns des autres, que rien ne différencie garçons etfilles.
C'est clair : le port du voile est un signe de soumission, un refus de laisser s'exprimer la féminité. Le voile cache la chevelure, qui est pour la femme un symbole de sa féminité, donc de son identité et de sa dignité. Bien plus, ce voile inculque aux très jeunes filles le fait qu'elles sont inférieures aux garçons, que leur corps doit être caché, qu'il ne leur appartient pas.
Comment faire comprendre à des garçons et à des filles qu'ils sont égaux, que l'égalité des sexes est une réalité, s'ils vivent exactement le contraire sur les bancs d'une même classe ?
Pourquoi les filles seraient-elles traitées différemment de leurs frères ? Quelle explication rationnelle donner à cela ? Je reprendrai les paroles de Chahdortt Djavann dans son livre Bas les voiles !, et elle sait de quoi elle parle pour avoir été forcée de porter ce voile pendant dix ans : « Ce n'est pas au nom de la laïcité qu'il faut d'abord interdire le port du voile aux mineures à l'école, ou ailleurs ; c'est au nom des droits de l'homme et de la protection des mineurs. »
Quant à moi, je ne peux admettre que des petites filles intériorisent ainsi leur infériorité par rapport aux garçons. La loi doit permettre d'empêcher cela.
A ce moment de mon intervention, je tiens à rappeler que toutes les évolutions concernant le droit des femmes se sont faites contre les religions et contre leurs préceptes. Je suis convaincue que seule la loi peut affirmer, selon la formule célèbre, que « les femmes sont des hommes comme les autres ». (Mmes Monique Cerisier-ben Guiga et Gisèle Printz applaudissent.)
Que de chemin parcouru en France, en un peu plus d'un demi-siècle, concernant l'égalité des droits : les droits économiques, sociaux, politiques, le droit au travail, le droit à disposer de son corps.
Il n'y a pas si longtemps - voilà une vingtaine d'années -, une brochure éditée par le parti socialiste auquel j'appartiens s'intitulait Femmes, les immigrées de l'intérieur.
Nous revenons de loin, avec le code Napoléon qui date de 1804, et qui, voilà exactement deux cents ans, instituait l'incapacité juridique des femmes et les consacrait comme mineures. Il a eu la vie dure, ce code civil ! Impossible pour une femme, pendant très longtemps, de travailler, de disposer de son salaire et d'un chéquier, de travailler sans l'autorisation de son mari. Que de combats encore pour le droit à la contraception et à l'interruption volontaire de grossesse ! Enfin, que d'obstacles pour obtenir une loi sur la parité. Je vous renvoie à nos débats dans cet hémicycle.
Malgré les progrès bien réels, les inégalités persistent. Dans le domaine économique, à travail égal, le salaire d'une femme est inférieur en moyenne de 25 %. Le Président de la République semble découvrir le problème, si l'on en croit ses dernières déclarations.
Dans le domaine du droit à disposer de son corps, les tentatives d'instituer un délit d'interruption involontaire de grossesse ont échoué, je suppose provisoirement. Je suis certaine que d'aucuns reviendront à la charge.
Enfin, concernant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électifs, la pratique met du temps à rattraper la loi. Il n'est qu'à regarder notre assemblée : la parité est bien loin d'être une réalité.
Malgré les combats qui restent à mener, les femmes ont conquis des droits. Mais rien n'est jamais acquis, et ce qui se passe actuellement dans les cités, cette radicalisation, ce pouvoir des grands frères, si bien dénoncés par Fadela Amara et le mouvement « Ni putes ni soumises », sont inacceptables et alarmants.
Le voile et sa réapparition à l'école et ailleurs est la partie visible de tout ce mouvement d'oppression. Au nom de l'égalité, nous devons dire : non, pas de lieu séparé pour les femmes ; non, pas de traitement différencié à l'hôpital ; non, pas de femmes voilées dans la fonction publique.
Le terme « hidjab », qui signifie en arabe « cacher », mettre derrière un « rideau », est terrible. Comme un certain nombre de mes collègues femmes sur toutes les travées de cette assemblée, j'ai en mémoire la rencontre que nous avons eue il y a quelques années avec des femmes afghanes. Nous avons « échangé », si l'on peut dire, avec elles, alors qu'elles étaient derrière ce qu'elles appellent elles-mêmes « leur grillage ». C'est terrible de parler à des personnes dont on ne voit pas le visage. Je me souviendrai toujours de l'immense émotion qui nous a toutes saisies lorsqu'elles se sont dévoilées.
Pour les femmes de tous ces pays, où leurs droits sont bafoués, de l'Algérie à l'Arabie saoudite, en passant par le Nigéria, le texte que nous allons voter doit être un signe d'espérance.
Pour en revenir à la situation en France, le voile n'est qu'un symptôme, parmi d'autres, des fractures qui menacent notre société. Il marque l'incapacité de l'école à intégrer, l'incapacité de la République à trouver des réponses à une crise sociale profonde qui marginalise des populations issues de l'immigration.
Il faut regagner le terrain perdu par la République en se battant pour le travail, pour le logement, pour une ascension sociale accessible à tous, contre les ghettos, contre toutes les discriminations. Ce sont les seules bonnes réponses à apporter à tous les fanatismes, à tous les communautarismes.
Quand l'ensemble de la population pourra compter sur la République pour assurer l'égalité de tous les citoyens et de toutes les citoyennes, la cohésion républicaineexistera.
Voilà cent ans exactement, le 3 mars 1904, Jean Jaurès s'exprimait déjà sur ce thème à l'Assemblée nationale. Je lui emprunterai ma conclusion : « La République française doit être laïque et sociale, mais restera laïque parce qu'elle aura su être sociale. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Michel Thiollière.
M. Michel Thiollière. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai le sentiment qu'il faut toujours saisir l'occasion de parler de la République. D'une certaine manière, c'est tout un symbole de le faire à cette première heure de la journée.
On ne doit jamais perdre une occasion de s'exprimer sur l'éducation et l'accueil dû aux jeunes qui fréquentent les écoles publiques de notre pays.
La discussion de cette loi, même si elle conclut une période intense de discussions, d'auditions, de consultations, de concertation et de dialogue, ne doit pas être pour autant une fin en soi. Au contraire, je la considère comme l'une des pièces fondatrices d'une nouvelle architecture républicaine. En s'appuyant sur le très large rassemblement qui s'opère pour voter cette loi, il faut en profiter pour échafauder l'architecture d'une République moderne et efficace.
Pour nous avoir donné cette occasion, je voudrais remercier le Président de la République et le Gouvernement.
Je souhaite donc que l'on puisse s'engager dans cette discussion qui contribue à la construction d'une nouvelle architecture républicaine avec enthousiasme, ambition et détermination.
Au premier niveau de cette architecture républicaine se trouve, bien entendu, l'homme.
Cela a souvent été rappelé dans ce débat la loi du 9 décembre 1905, dans son article 1er, dispose : « La République assure la liberté de conscience. »
Depuis près d'un siècle maintenant, chacun dans notre pays est donc garanti de pouvoir croire ou ne pas croire, de pratiquer ou de ne pas pratiquer la religion de son choix.
Cela a été souvent dit aussi, le problème majeur en tout cas, celui qui émerge le plus -, c'est, bien entendu, celui des jeunes filles ou des jeunes femmes voilées. On peut considérer qu'elles ont fait un choix religieux personnel, auquel cas il faut leur dire clairement que la République leur garantit de pouvoir faire ce choix. Mais il faut aussi leur dire que l'école laïque qui les accueille veut d'abord les voir selon leur personnalité, avant de les voir selon leur religion.
J'ai été professeur pendant quelques années dans des lycées de province et, lorsque j'avais des élèves devant moi, je n'avais pas envie de les connaître au travers de leurs convictions religieuses. Je souhaitais simplement saisir leur personnalité et les amener, au sein d'un groupe humain, à partager un certain nombre de valeurs, donc à évoluer selon les lois de la République.
Pour nombre de ces jeunes filles, il s'agit souvent d'un subterfuge qui leur permet d'échapper à une pression insoutenable du milieu dans lequel elles évoluent. L'un des observateurs de nos villes et de nos quartiers écrivait cette semaine : J'ai vu des jeunes filles porter le voile simplement pour rejeter la pression familiale ou les harcèlement sexuels dont elles sont l'objet.
Eh bien ! nous devons dire à ces jeunes filles que l'école laïque de la République est justement là pour leur offrir une ouverture, un espace de liberté, un lieu où l'on devient libre, adulte, citoyen, où l'on peut s'émanciper, et où l'on peut trouver le courage de dire « non ».
Au deuxième niveau de l'architecture républicaine, il y a, bien sûr, le citoyen.
S'intégrer à la République exige de tout individu réflexion et décision, afin de faire siennes des valeurs communes. Ce n'est plus une affaire privée, c'est une affaire publique. La personne devient citoyen. L'espace privé s'ouvre à la cité, à la République.
L'effort d'intégration consiste à dépasser sa personne, à aller au-delà de ses croyances, de ses convictions, à les surmonter pour consentir à un partage de valeurs. L'adhésion devient alors plus forte que la tentation du repli sur soi.
La République est bien là pour rejeter la pression extérieure du groupe qui peut détruire le citoyen pour le ravaler à un simple statut de sujet, voire d'instrument d'une volonté de prise de pouvoir.
Voilà quelques jours, Pierre-André Taguieff, philosophe, chercheur au CNRS, écrivait dans un grand journal : le militantisme des fondamentalistes musulmans recourt à la provocation calculée, instrumentalisant des adolescentes souvent de bonne foi.
Nous savons que c'est ainsi que cela se passe et nous ne devons pas nier l'évidence. La République est justement là pour dire que la personne est garantie dans sa liberté de conscience et que le citoyen est garanti dans sa liberté d'évoluer, selon ses souhaits, au sein de la République.
Après l'échelon de la personne et celui du citoyen, le troisième niveau de l'architecture républicaine, c'est, bien entendu, la Cité, c'est-à-dire la République.
Me souvenant que ce sont les Grecs qui nous ont légué ce beau mot de « laïc », je voudrais citer un passage d'une très belle tragédie d'Eschyle, Les Suppliantes, dans laquelle des jeunes femmes sont repoussées de leur pays et trouvent accueil sur une terre étrangère, en Grèce, où le roi les fait accepter par son peuple, facilite leur intégration, et, lorsque l'assaillant revient pour les ramener chez elles, le roi leur dit : « Prenez courage (...). Je suis votre protecteur et tous les citoyens aussi, car c'est leur décision qui s'exécute. »
Deux mille cinq cents ans plus tard, je crois que nous pouvons faire nôtre cet encouragement et nous en inspirer pour que la République soit garante de la protection de tous, et surtout aujourd'hui de ces jeunes femmes qui ont quitté leur pays et qui veulent vivre chez nous selon leur conscience. Et cela, nous le faisons au nom du peuple.
La Cité, la République sont organisées selon les lois, mais aussi - et cela est peut-être le plus important - selon une vision partagée de l'avenir et selon des idéaux de vie en commun. La République mérite qu'on lutte pour elle, mais elle demande aussi qu'on la fassevivre.
Reconnaissons qu'aujourd'hui nos compatriotes n'ont pas toujours une vision claire du chemin que nous devons emprunter. Les Français peuvent apparaître parfois comme un peuple en proie à la tentation des replis claniques ou communautaires. Bien entendu, il y a un risque de désintégration sournoise de la République.
Un vaste projet doit être engagé pour redéfinir les valeurs de la République. Que veulent dire et, surtout, comment garantir au quotidien et partout sur notre territoire la liberté, l'égalité et la fraternité, mais aussi des déclinaisons plus courantes telles que l'égalité des chances, le droit au travail, le respect, la tolérance, ou encore l'emploi, l'habitat et l'élitisme républicain ? Autant de termes que nous devons redéfinir pour les rendre plus actuels dans la France des années 2004 à 2010. Autant de principes à partager concrètement pour leur donner tout leur sens.
Là, la laïcité et la République peuvent nous aider parce qu'un idéal commun est à construire. Et pour que le peuple français s'engage pleinement, nous, ses représentants, nous devons animer la réflexion et nourrir le dialogue.
Mais cette nouvelle architecture républicaine qui est en train de se construire grâce à la présente loi est observée avec un grand intérêt de l'étranger, parce que la France est un modèle républicain et qu'elle est aux avant-postes du droit - nous l'avons constaté récemment avec des conflits internationaux -, de la liberté, de la création et de la culture.
Gageons qu'avec cette loi notre pays montre un chemin : un chemin respectueux de la personne, accueillant pour le citoyen, confortant la République, mais dont on n'est bien évidemment qu'au tout début.
C'est toutefois un chemin dont l'idée résonne, dont l'esquisse apparaît comme un exemple pour tous ceux qui cherchent la voix de la liberté et de la République.
Quand dans tant de pays du monde la religion commande à l'Etat et, de ce fait, au lieu d'enrichir l'âme et l'esprit, nie la citoyenneté et asservit la personne, ce projet de loi est un espoir pour ceux qui souffrent de la confusion entre la religion et l'Etat.
Grâce à ce projet de loi, la République, longtemps assoupie, donne le sentiment fort non seulement de se réveiller et de ne pas se laisser faire, mais aussi de vouloir aller plus loin.
Un observateur attentif de notre pays, Bruce Crumley, écrit cette semaine dans un magazine étranger : « Il y a des signes qui montrent que la France est en train de s'attaquer aux racines. »
Face à ce bel enjeu, à ce beau projet, la loi est une première étape, un fondement. Ce fondement doit résister aux épreuves, aux provocations qui ne manqueront pas et aux atteintes.
Donnons donc aux maîtres, aux professeurs, aux chefs d'établissement, les conditions de faire respecter la loi et la laïcité.
Le terreau n'y est pas favorable, on le sait bien, parce que, depuis de très nombreuses années, les hiérarchies se sont souvent mises en retrait.
Les enseignants se sont souvent découragés. Eux-mêmes, à l'image du peuple français, n'avaient peut-être pas toujours conscience des vrais enjeux et des vrais risques.
La République était assoupie.
Heureusement, aujourd'hui, la loi est là pour la réveiller. Elle introduit un balancement subtil, nécessaire et ambitieux, entre pédagogie et fermeté. On retrouve bien là les deux axes fondamentaux de l'éducation des enfants de France, mais aussi d'une nation qui fait confiance aux citoyens et qui, en même temps, ne cède pas face à ceux qui veulent saper les fondements de l'Etatrépublicain.
Bref, cette loi nous permet de retrouver une République française sûre d'elle-même. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, des enseignants excédés, démunis, des francs-maçons jaloux du sens qu'ils donnent à la laïcité, des élus soucieux de la République ont fait converger leur malaise et leur ambition pour l'école pour promouvoir un texte de loi. Un projet nous est aujourd'hui soumis comme réponse aux problèmes.
Pourtant, quand on lit les débats, quand on entend les arguments rationnels, quand on écoute l'émotion de témoignages pathétiques, on s'aperçoit que le problème à résoudre n'a pas été clairement édicté.
Il ne l'a pas été dans son contexte : nous avons plus de récits que d'études sociologiques universitaires et nous continuons à manquer de chiffres, en particulier sur les motivations et sur l'évolution des comportements des filles qui, par exemple, sont entrées voilées et sorties diplômées et cheveux au vent.
Il ne l'a pas davantage été dans les buts poursuivis. S'agit-il de restaurer la paix dans l'école publique ? S'agit-il de garantir aux enseignants la sérénité dans leurs cours, la non-remise en cause des programmes scolaires, la fin des injures racistes ? S'agit-il de réaffirmer l'accueil équitable que la République doit à chacun, sans référence à la religion ? S'agit-il de protéger les élèves contre toute aliénation, de protéger les femmes contre l'oppression machiste, de requalifier les règles du « vivre ensemble » ? S'agit-il de tout cela à la fois ?
Cet ambitieux et louable programme se lit en filigrane dans les récits de l'inacceptable collectés par la commission Stasi et dans toutes vos interventions, mes chers collègues.
Mais l'outil promu - la loi -, son objet - la laïcité - et sa cible médiatisée - le foulard des filles de confession mulsulmane - ne peuvent pas répondre à toutes ces ambitions.
Le principe de laïcité qui nous rassemble, c'est la neutralité du service public, la liberté d'expression, le renforcement de la cohésion et de la fraternité entre les citoyens, le refus des discriminations, l'égalité entre les sexes et la dignité de la femme.
Or ce projet de loi ne donne pas de perspectives à celles dont l'affichage était une réaction de rejet.
La discrimination, reflet d'un racisme ordinaire persistant - discrimination à l'embauche, à l'apprentissage, au logement... -, a conduit des victimes, souvent sans preuves, et donc sans recours, à désespérer du modèle républicain et de ses valeurs.
Et c'est, hélas ! cette conscience des victimes qui a conduit à valoriser a contrario l'origine culturelle ainsi stigmatisée, voire à la mythifier avec des supports à portée de main : les accessoires de la religion. Pourtant, pour certaines, il s'agit plus de culturalisme que de retour à un islam intégriste !
Notons au passage que les garçons, plus souvent perturbateurs de classe et, pour certains, acteurs de l'humiliation des filles, sortiront indemmes du texte, chemise fermée, poignets serrés et barbe au menton.
La lutte contre l'oppression des femmes est un combat que nous renouvelons chaque jour en tant que féministes et nous constatons, hélas ! que perdurent, sans privilège de culture, les coups, les salaires différents, le harcèlement, les conventions internationales signées par la France privant des épouses de leurs droits, sans que les textes et leurs décrets soient remis au débat.
Plusieurs d'entres vous ont tenu à réaffirmer qu'il n'y avait pas de défiance envers une culture. Mais comment sera interprétée cette laïcité qui fait ses choix ?
Même vigoureuse, elle s'accommode fort bien des aumôneries, des prêtres venant dans les locaux, du statut de l'Alsace-Moselle, du régime fiscal favorable des dons faits aux associations cultuelles, de la charge financière des édifices, des garanties d'emprunts faites par les collectivités, des subventions de fonctionnement, du salaire des enseignants en lycée privés confessionnels, des sonneries des cloches, des processions sur la voie publique, de la messe de sainte Geneviève dans toutes les gendarmeries et de l'absence d'école publique dans de nombreuxcantons.
Mais, soudain, c'est le voile d'une religion qui pose problème, alors que l'objet de la laïcité à l'école, ce sont d'abord les locaux, les programmes scolaires et le personnel payé sur fonds publics.
Tout comme le foulard ne peut être considéré a priori comme l'étendard d'une attaque contre la République, l'interdiction du voile ne fera pas tomber par miracle - excusez le mot ! - tout ce qui nous mobilise et nous rassemble : les agressivités entre groupes qui n'ont, hélas ! pas besoin de signes pour se toiser, la fragilisation de la mixité, les scandaleuses tentatives révisionnistes, l'absentéisme des heures d'éducation physique, le comportement machiste, méprisant et prédateur.
Il a également été dit : la loi doit exclure tout arbitraire. Mais c'est le terme « ostensiblement » que l'on nous propose.
Les chefs d'établissement s'en disent satisfaits. Je crois pourtant qu'à l'usage ils découvriront la faiblesse de l'outil, tant il est sujet à une grande latitude d'interprétation subjective.
L'adverbe « ostensiblement » suscitera discussions et contestations.
Dans cette enceinte, chacun peut apprécier la qualité d'écoute. Je regrette que le débat, à la télévision, dans les journaux ou dans d'autres commissions que la nôtre ait été l'occasion d'injustes procès d'intention : non, les promoteurs de la loi ne sont pas des racistes ; non, les opposants à la loi ne sont pas des irresponsables.
Maintenant, soyons pragmatiques : les filles voilées sont soit militantes, soit victimes.
Si elles militent, est-il judicieux de les tenir à l'écart du savoir et de la confrontation, pour qu'elles renforcent les rangs de ceux, minoritaires, qui font passer la religion avant la République ?
Si elles sont victimes, l'exclusion les privera du dialogue formateur, de l'instruction et ne leur laissera comme horizon que l'emprise de leurs bourreaux supposés.
Je ne confonds pas une jeune fille à la tête couverte et une intégriste fanatique, tout comme je ne vois pas dans un catholique portant une croix un inquisiteur porteur de terreur ou un farouche descendant des croisés.
Alors que l'on a réduit les crédits du FASILD, le fonds d'aide et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations, qui soutenaient les associations de dialogue, le nombre d'encadrants par élèves, les postes au CAPES et l'ensemble des appuis aux plus précaires, cette loi cible davantage les symptômes d'un malaise que les causes de celui-ci. Le débat a d'ailleurs créé plus d'incidents que de paix, plus de radicalisation que defluidité.
On ne protège pas les victimes en les prenant pour cible, tandis que ceux qui agressent les autres, par machisme ou communautarisme belliqueux, restent intouchables. On n'intègre pas dans la République en fermant la porte de l'école laïque, au risque d'ailleurs de renforcer les écoles confessionnelles.
Particulièrement pour une fille, l'école publique est le lieu où se construit la liberté de chacune : la force de choisir son mode de vie, ses opinions, sa sexualité, son type de relation à autrui, la connaissance de la contraception ou de l'IVG, l'accès aux lois et aux lieux qui protègent les femmes contre les insultes, les coups, les humiliations.
Parce que la France doit émanciper toutes ses filles par ce lieu, je voterai contre cette loi.
Je mesure le large consensus sur l'opportunité de ce texte dont le vote ne fait aucun doute. Je forme démocratiquement des voeux pour que les bonnes intentions se concrétisent sans dégâts. Mais j'ai peine à croire que l'application sera juste, et que le symbole suffira à préserver sans les vider de leur sens l'école publique, ses valeurs et son rôle républicain.
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.