M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Marie-Claude Beaudeau, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici, dans des conditions qui sont loin d'être favorables, parvenus au terme de l'examen de ce projet de loi de finances rectificative.
Nous pourrions, dans un premier temps, féliciter la célérité des services de notre commission des finances. En effet, nous avons pu disposer dans des délais très courts du rapport de notre rapporteur général, alors que le rapport de l'Assemblée nationale n'a toujours pas été mis en distribution sous un format papier, près de deux semaines après l'examen du texte au Palais-Bourbon !
Comme d'habitude, cependant, les conditions de la discussion de ce collectif de fin d'année ont été loin d'être idéales. Une fois encore, le texte que nous avons examiné présente toutes les caractéristiques de l'inventaire hétéroclite de mesures diverses, sans lien affirmé les unes avec les autres, si ce n'est, bien entendu, leur incidence financière sur les comptes publics.
Il s'agit donc, tout au moins en apparence, d'un inventaire à la Prévert. Quelques lignes de force apparaissent néanmoins assez clairement dans le cadre de cette discussion.
Première conclusion : les lois de finances initiales n'ont décidément plus qu'une valeur purement indicative. En effet, de telles sommes sont gelées, puis annulées au fil de l'exécution budgétaire que l'on peut se demander à quoi cela peut-il rimer de discuter, puis de voter une loi de finances initiale.
Seconde conclusion : la dégradation de la situation économique de notre pays, qui se manifeste notamment par un taux de croissance particulièrement faible, n'empêche pas le Gouvernement de poursuivre sa politique de cadeaux fiscaux aux détenteurs des revenus les plus importants et aux entreprises.
Nous en avons encore quelques exemples dans le présent collectif, avec la transposition des directives européennes sur l'épargne, qui ne vont sans doute pas remettre en question les mauvaises habitudes des spéculateurs, ou les mesures d'adaptation de notre fiscalité relative aux zones franches urbaines.
Le plus bel exemple de cette orientation globale des choix gouvernementaux est sans doute fourni par deux mesures assez nettement emblématiques.
On peut être étranger en France et vouloir y résider, mais à condition d'être en bonne santé. En effet, si l'on est cadre dirigeant d'une entreprise multinationale américaine, on pourra demain s'accorder avec son employeur pour bénéficier de conditions extrêmement favorables d'entrée sur le territoire hexagonal. On pourra en particulier faire admettre une déduction large des compensations liées au déménagement, à la scolarisation des enfants, etc. A cet égard, nous attendons avec un grand intérêt le détail des mesures et leur coût pour les finances publiques.
Si, en revanche, on a eu le mauvais goût de venir d'un pays dit « en voie de développement » et d'être atteint d'une maladie grave dont le traitement coûteux est inaccessible dans son pays d'origine, il n'en sera pas de même, et il faudra sans aucun doute patienter pendant plusieurs mois pour pouvoir disposer, enfin, de la prise en charge des soins.
En tout cas, ce collectif budgétaire n'est pas un simple texte composé de diverses dispositions qui tendraient à solder les comptes mal en point d'un budget impossible à mettre en oeuvre. Il est l'expression de la volonté politique affichée par ce gouvernement de prolonger encore ses choix purement idélogiques, signe d'une incapacité notoire à entendre ce que le pays veut dire.
Le budget pour 2003, tel que rectifié par ce collectif et tel qu'amendé par le Sénat - dont l'apport est décidément loin d'être remarquable -, ne peut être voté par notre groupe. D'autres choix, d'autres orientations qui prenant mieux en compte les attentes de la population peuvent et doivent être arrêtés.
Nous ne voterons donc pas ce projet de loi de finances rectificative pour 2003. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. Alain Lambert, ministre délégué, et Philippe Marini, rapporteur général. Quelle déception !
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel.
M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre, au terme de ce marathon budgétaire, je tiens à vous dire que nous avons apprécié votre courtoisie. Je tiens également à vous remercier, ainsi que M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général du budget, pour la prise en compte de quelques amendements que nous avons proposés : l'amendement « COUNA », l'amendement Dauge, l'amendement Pourtaud.
Je sais, monsieur le ministre, que votre tâche est difficile dans une période où la conjoncture internationale n'est pas favorable. Mais vous obéissez à la même logique : ce collectif est le reflet des effets négatifs de votre politique qui accentuent tous les jours un peu plus la fracture sociale et la fracture territoriale. Nos concitoyens le constatent dans leur vie quotidienne.
La réforme ne peut se conduire avec l'assentiment du plus grand nombre si elle n'est bénéfique que pour une minorité de privilégiés. Votre gouvernement, monsieur le ministre, a perdu la confiance des Français. Ils sont déçus et vous le feront savoir à la première occasion.
Pour toutes ces raisons, ainsi que pour celles qu'a développées Jean-Pierre Demerliat au moment de la discussion générale, le groupe socialiste ne votera pas ce collectif budgétaire.
M. le président. La parole est à M. Philipe Arnaud.
M. Philippe Arnaud. L'examen de ce texte a suscité des débats sur plusieurs sujets. Je tiens toutefois à vous rassurer, monsieur le ministre : le groupe de l'Union centriste votera pour votre projet de loi de finances rectificative pour 2003.
M. Guy Fischer. Ouf !
M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce collectif budgétaire est traditionnel dans le sens où le Sénat est amené à examiner de nombreux articles dans un temps très court. Le groupe UMP salue l'excellent travail effectué par la commission des finances et par son rapporteur général, dans des conditions difficiles.
Nous avons ainsi pu améliorer le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale sur de nombreux points, tout en confirmant certaines mesures significatives. Le Sénat aura également montré sa capacité à réagir à certaines pressions, voire à certaines manipulations.
Traditionnel par ses conditions d'examen et par la diversité de ses mesures fiscales et non fiscales, ce collectif budgétaire l'est beaucoup moins dans son aspect dépenses. La politique budgétaire du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin constitue en effet une rupture par rapport à celle qui a été menée sous la précédente législature.
M. Gérard Miquel. Malheureusement !
M. Charles Guené. Malgré un contexte économique et social dégradé, les dépenses sont maîtrisées grâce à un effort de tous les ministères, comme le montre ce collectif budgétaire. Les ouvertures de crédits seront limitées au strict nécessaire pour faire face à diverses situations d'urgence et couvrir des dépenses non prévues. Cette maîtrise des dépenses constitue non seulement une rupture, mais un acte durable.
L'effort réalisé en 2003 sera accentué en 2004 grâce à la stabilisation des dépenses en volume et à l'accélération de la diminution des emplois budgétaires. Il sera poursuivi, comme le prévoit le programme de stabilité que le Gouvernement vient de transmettre à la Commission européenne pour les années 2005 à 2007.
Le projet de loi de finances rectificative pour 2003 et le projet de loi de finances pour 2004 montrent qu'il est possible de stabiliser globalement les dépenses de l'Etat, tout en finançant les priorités gouvernementales.
Ils montrent que l'on peut mener de front la baisse des prélèvements obligatoires, la maîtrise des dépenses et les réformes structurelles. C'est une question de volonté politique et de choix budgétaires.
Le Gouvernement est déterminé. Il a fait des choix qu'il assume, comme la priorité donnée à la croissance et à ceux qui travaillent, investissent et créent des emplois. Le groupe UMP soutient cette démarche avec la même détermination et votera le texte tel qu'il résulte des travaux de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'exercice est toujours difficile, c'est la loi du genre, on l'a rappelé. Les conditions d'examen étaient délicates, mais nous avons bien travaillé.
A cet égard, je voudrais remercier M. le ministre et ses collaborateurs pour la disponibilité, l'écoute et l'attention qu'ils ont manifestées. Le délai très bref entre la fin de la discussion de la loi de finances et le début de la discussion du collectif budgétaire crée des conditions de travail extrêmement délicates. Grâce à votre cabinet et à vous-même, monsieur le ministre, nous avons pu bien nous préparer.
Je voudrais remercier particulièrement M. le rapporteur général qui, en début de discussion générale, sollicitait notre compréhension et notre indulgence. Il a fait preuve de beaucoup de conviction dans ses propos, de beaucoup de pugnacité et d'écoute sur chaque thème, et ils étaient fort divers et souvent complexes. Les problèmes ont été exposés, les arguments échangés, et le vote, à chaque fois, a pu intervenir après un éclairage complet. Il faut s'en réjouir. Je vous remercie, monsieur le rapporteur général, vous êtes inlassable et, ce soir, vous serez dispensé de parole au moment de clore ce débat ! (Sourires.). Je tiens également à remercier notre chef de secrétariat, l'ensemble des administrateurs et des collaborateurs de la commission des finances, et surtout le président de séance et les personnels des services de la séance qui ont accepté, ce soir, de travailler bien au-delà de vingt heures afin que soit mis aux voix le collectif budgétaire avant le dîner. Je mesure l'effort et le sacrifice ainsi accomplis, et je veux leur dire toute mon admiration et toute ma reconnaissance.
Je souhaite enfin vous remercier, chers collègues, d'avoir été disponibles tout au long de cette discussion. J'espère que la commission mixte paritaire permettra de mettre en valeur toutes les délibérations du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit. Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 113 :
M. le
président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin :
Nombre de votants | 315 |
Nombre de suffrages exprimés | 315 |
Majorité absolue des suffrages | 158 |
Pour | 201 |
Contre | 114 |
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert, ministre délégué. Du fond du coeur et avec sincérité, je vous remercie tous autant que vous êtes, vous qui avez participé à ces travaux. (Applaudissements.)
NOMINATION DE MEMBRES
D'UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d'une commission mixte paritaire sur le texte que nous venons d'adopter.
Il va être procédé immédiatement à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de cette commission mixte paritaire.
La liste des candidats établie par la commission des finances a été affichée conformément à l'article 12 du règlement.
Je n'ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean Arthuis, Philippe Marini, Roland du Luart, Jacques Oudin, Aymeri de Montesquiou, Michel Charasse et Mme Marie-Claude Beaudeau.
Suppléants : MM. Denis Badré, Joël Bourdin, Yann Gaillard, Paul Girod, Marc Massion, Gérard Miquel et Joseph Ostermann.
NOMINATION DE MEMBRES
D'ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES
M. le président. Je rappelle que la commission des finances a proposé deux candidatures pour des organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- M. Auguste Cazalet, membre de la Commission centrale de classement des débits de tabac ;
- M. René Trégouët, membre suppléant du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-trois heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinquante-cinq, est reprise à vingt-trois heures, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC
DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
ET FRANCE TÉLÉCOM
Adoption définitive d'un projet de loi
en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi (n° 105, 2003-2004), modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom. [Rapport n° 108 (2003-2004).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le premier examen du texte qui vous est soumis aujourd'hui nous avait permis de débattre en profondeur de ses orientations principales. Vous savez l'importance qu'attache le Gouvernement à ce projet de loi, qui marque une nouvelle étape de l'évolution du secteur des télécommunications. Je ne reviendrai donc pas aujourd'hui sur les grandes orientations de ce texte que vous connaissez bien.
A la suite du vote en première lecture par le Sénat, au mois d'octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi le 5 décembre, en y apportant quelques modifications. Je souhaite vous les rappeler brièvement. Elles touchent à trois volets différents : les obligations de service universel, le statut des fonctionnaires et la régulation du secteur des télécommunications.
En ce qui concerne le service universel, les députés ont adopté des mesures spécifiques en faveur des handicapés. Désormais, les opérateurs devront prendre des dispositions spécifiques pour que les différentes composantes du service universel soient accessibles à un tarif abordable pour les personnes handicapées.
En outre, les députés ont apporté des modifications s'agissant des modalités de calcul du coût du service universel : ce coût ne pourra être supérieur aux engagements pris par les opérateurs lors de l'appel à candidatures. Cette disposition est protectrice pour les contribuables au fonds de service universel et elle évitera ainsi à un opérateur d'augmenter les coûts dès lors qu'il aura été sélectionné.
Pour ce qui est du statut des fonctionnaires, deux modifications ont été apportées par les députés.
Tout d'abord, les fonctionnaires issus des corps interministériels des télécommunications, qui resteront en activité chez France Télécom pourront avoir une position statutaire aussi proche que possible de celle des autres fonctionnaires de France Télécom, en pouvant désormais être détachés d'office.
Ensuite, le dispositif permettant la mobilité des fonctionnaires vers les fonctions publiques a été précisé après des travaux d'expertise complémentaire. Il permet aux fonctionnaires qui décideront d'être intégrés dans l'une des fonctions publiques de choisir de maintenir leurs cotisations retraite au même niveau que chez France Télécom.
En ce qui concerne la régulation du secteur des télécommunications, l'Assemblée nationale a supprimé la possibilité offerte au régulateur d'imposer la revente de l'abonnement de France Télécom. Cette disposition avait été, vous vous en souvenez, introduite dans le texte par un amendement de votre assemblée.
Depuis, France Télécom et son principal concurrent Cegetel se sont mis d'accord sur un dispositif contractuel. Sans être une revente de l'abonnement de France Télécom, il conduit au même résultat pour le client final : l'abonné de Cegetel ne recevra plus qu'une facture unique Cegetel au lieu de deux factures.
L'Assemblée nationale a ainsi préféré laisser la liberté contractuelle s'exercer, plutôt que d'imposer une mesure législative.
Telles sont les principales modifications apportées par l'Assemblée nationale au projet de loi adopté en première lecture par le Sénat le 2 octobre dernier.
Enfin, je souhaite remercier tous les sénateurs, en particulier le président Gérard Larcher, du travail qui a été accompli à l'occasion de cette discussion.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher, président et rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons donc, ce soir, le projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom, qui nous revient en deuxième lecture. L'Assemblée nationale en a débattu les 4 et 5 décembre, et l'a enrichi d'une douzaine de modifications.
Je voudrais simplement, dans ce propos introductif, rappeler les principales d'entre elles.
La première modification concerne la confirmation du principe de l'intégration au service universel des réponses aux besoins des utilisateurs handicapés. En effet, cet élément est désormais intégré explicitement dans le service universel. Bien sûr, cet aspect était déjà présent dans la directive « service universel » du 7 mars 2002, donc dans le projet de loi. Mais la rédaction de l'Assemblée nationale insiste sur ce point, et il me semble que c'est tout à fait opportun.
La deuxième modification a été introduite à la suite d'un amendement du Gouvernement : l'Assemblée nationale a précisé que les fonctionnaires qui décidaient de passer dans une autre fonction publique pouvaient choisir de continuer à cotiser pour leur pension de retraite sur la base de leur ancien traitement. Ce dispositif est inspiré de ce qui existe déjà pour la mobilité des fonctionnaires entre différentes fonctions publiques et il permet de bien s'assurer que ce changement ne modifie en rien les droits à pension des personnels considérés.
Enfin, la troisième modification importante concerne - vous l'avez évoquée - monsieur le ministre la suppression de l'article introduit par le Sénat qui imposait à France Télécom la revente en gros de l'abonnement et des services associés. En effet, France Télécom a conclu, pendant que se déroulait la navette - d'aucuns se demandent d'ailleurs si le dispositif retenu par le Sénat n'a pas accéléré le processus - un accord sur ce point avec son principal concurrent en matière de téléphonie fixe : Cegetel. Mais cet accord est ouvert, ce qui signifie que tous les autres opérateurs intéressés peuvent également y souscrire. Je précise, toutefois, qu'il ne met pas un terme définitif au dossier, puisque la question se reposera inévitablement dans le cadre de la transposition des dispositions du « paquet Télécom ». Nous avons explicitement demandé, monsieur le ministre, que cela intervienne non par ordonnance, mais très clairement à l'occasion d'un débat. Je crois que nous sommes en train d'être entendus sur ce point.
L'essentiel reste néanmoins qu'à l'occasion de cet accord la situation concurrentielle progresse sans heurts et, finalement, dans un sens favorable aux consommateurs.
A ce titre, je souhaite dire quelques mots de la situation et du rôle de l'autorité de régulation des télécommunications, l'ART. Il me semble que le bilan de son activité est nettement positif. D'aucuns ont fait valoir que certaines de ses décisions seraient rendues dans des délais supérieurs à ceux qui ont cours dans d'autres pays de l'Union européenne, ce qui pourrait constituer un handicap pour notre opérateur historique. Il s'agit là d'un point important auquel la commission des affaires économiques souhaite être très attentive.
Il ne faudrait pas pour autant remettre en cause l'ensemble du travail de régulation mené par l'ART, certains de ces délais s'expliquant par le choix qu'avaient fait, je le rappelle, en 1996, la majorité parlementaire et le Gouvernement de soumettre certaines des décisions du régulateur à l'approbation politique.
Il faut donc être clair sur ce sujet. L'ART a été créée pour conduire, de manière équilibrée et sans à-coups, à la fois, la « démonopolisation » et la réglementation du secteur des télécommunications. Cela a été décidé dans le cadre d'une logique d'adossement au politique ou, en d'autres mots, de liberté contrôlée par les élus. A terme, quand ce secteur connaîtra toutes les caractéristiques d'un marché structurellement concurrentiel, l'ART aura vocation à laisser la place au conseil de la concurrence. Mais l'examen de la situation des télécommunications dans notre pays prouve que cette heure n'est pas encore venue.
Par conséquent, il convient d'être prudent dans la critique du régulateur. Ce n'est pas parce qu'il est critiqué qu'il n'est pas nécessaire. Bien plus, on pourrait même dire que, dès lors que beaucoup le critiquent, il est démontré qu'il demeure nécessaire et, encore aujourd'hui, indispensable. La critique est utile, mais l'ART l'est aussi. L'heure ne me paraît donc pas venue d'une remise en cause radicale des orientations de la loi de 1996 en matière de régulation, sans pour autant en graver les termes dans le marbre.
Il me semble que le rôle du Parlement, au-delà des polémiques, est bien de prendre le temps et la mesure de la réflexion. C'est du reste dans ce but qu'il exerce son contrôle. Le législateur a ainsi inscrit, je le rappelle, à l'article L. 36-14 du code des postes et télécommunications, l'obligation pour l'ART de remettre tous les ans son rapport d'activité au Parlement. Il s'agit bien là du contrôle du législateur que certains appellent de leurs voeux, et je puis témoigner que la commission des affaires économiques suit ces questions avec la plus grande attention.
Monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous éclairer notre assemblée pour apaiser le débat passionné qui s'est développé ces derniers jours sur le rôle de l'ART.
En premier lieu, pouvez-vous nous confirmer que les délais d'examen de l'ART sont bien dans la limite du raisonnable ?
En second lieu, je sens monter une émotion inspirée par des préoccupations d'aménagement du territoire. Ce matin encore, en commission, Pierre Hérisson, Jean Boyer, Yves Coquelle et d'autres, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, l'ont rappellé. La « dépéréquation » des tarifs de gros d'ADSL ne constitue-t-elle pas un motif de préoccupation de ce point de vue ? Des voix s'élèvent déjà pour exprimer la crainte qu'avec cette « dépéréquation » on ne consacre de manière réglementaire la fracture numérique territoriale. Je sais qu'il ne s'agit que de tarifs de gros, mais le symbole est là. Il inquiète ; il faut le savoir !
Sur ce point, à bien des égards majeur pour le Sénat, pourriez-vous, monsieur le ministre, dissiper les rumeurs alarmistes et les craintes qu'elles attisent ? Pourriez-vous redonner à ce débat la sérénité dont il a besoin ?
Enfin, je voudrais apporter une dernière précision concernant les tarifs de l'opérateur historique, certains de nos collègues ayant souhaité disposer d'éléments chiffrés de comparaison à ce sujet : l'abonnement mensuel résidentiel au téléphone fixe s'élève, en France, à 10,87 euros, contre 12,87 euros en moyenne européenne. Ces chiffres suggèrent que, sur ce service de base, la politique commerciale de l'opérateur historique n'a pas eu d'effets négatifs sur le consommateur. Je crois qu'il faut le dire.
J'en reviens, mes chers collègues, au texte qui nous est soumis aujourd'hui. Il me semble que le projet de loi voté en première lecture par le Sénat, s'il était perfectible, était, à croire les travaux de l'Assemblée nationale, déjà équilibré. Naturellement, ce texte ne met pas un terme aux importants débats sur le service universel, l'aménagement du territoire ou les aspects sociaux du dossier.
J'ai bien noté les améliorations que nos collègues ont apportées au projet de loi. J'ai également noté, comme beaucoup d'entre nous, l'intérêt, pour France Télécom, et surtout pour ses personnels, d'asseoir la situation de l'entreprise dans les meilleurs délais. C'est pourquoi la commission a souhaité implicitement que le texte soit adopté sans modification et puisse donc entrer en vigueur au début de l'année prochaine. C'est en définitive ce choix que la commission des affaires économiques, dans sa large majorité, vous demande d'approuver.
Ce choix ne nous est offert qu'en raison de la qualité du travail de nos collègues députés, qui ont approfondi la réflexion que nous avions engagée. Je souhaite le saluer. Cet élément illustre, une fois de plus, l'intérêt du bicamérisme, hors des dispositifs d'urgence, qui permet l'amélioration des textes au fur et à mesure des navettes parlementaires. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 31 juillet 2003 : adoption du projet de loi en conseil des ministres ; 21-22 octobre : examen, en première lecture, au Sénat ; 4-5 décembre : examen, en première lecture, à l'Assemblée nationale ; 16 décembre, bientôt 17 décembre : deuxième lecture au Sénat.
Voilà le parcours à très grande vitesse d'un texte qui tranche singulièrement des chemins longs et escarpés, empruntés par la plupart des projets et propositions de lois qui sont soumis au Parlement. Il n'est qu'à observer le sort reservé au projet de loi dit « paquet Télécom », adopté, lui aussi, au cours du même conseil des ministres du 31 juillet, et dont nous nous demandons toujours ce qu'il va devenir.
Qu'est-ce qui peut bien justifier une telle hâte ? Pourquoi vouloir absolument un vote conforme ? Nous le direz-vous ce soir, monsieur le ministre, ou bien devrons-nous attendre des initiatives dans les semaines, voire les mois à venir, pour le savoir ?
La lecture des débats à l'Assemblée nationale et du texte voté appelle, de notre part, plusieurs observations.
Premièrement, de nombreux articles ont été adoptés conformes, notamment ceux qui suscitaient de notre part une vive opposition en autorisant la privatisation de France Télécom.
Deuxièmement, les députés ont apporté plusieurs modifications vous les avez rappelées, monsieur le ministre. J'en ai surtout retenu quelques-unes.
Le contenu du service universel rendu aux personnes handicapées a été précisé. Nous avions du reste souligné l'absence de prise en compte des problèmes relatifs au handicap. Le service à rendre est désormais qualifié : il devient une quatrième composante du service universel. Cependant, les règles de fourniture de cette composante n'ont pas été suffisamment précisées, ce qui risque de rendre le dispositif inopérant.
Les modalités de calcul du coût net du service universel ont été modifiées. Je réitère les craintes que nous avions exprimées au cours de la première lecture : nous allons vers une continuité regrettable avec l'adoption de modes de calcul complexes et le risque de maintenir des sources de contentieux.
Il est dommage que Gouvernement et Parlement n'aient pas exploré d'autres voies de financement possibles du service universel.
Le contenu du premier rapport sur les services publics des télécommunications devra aussi évaluer les conditions de couverture du territoire en bornes multimédia.
Enfin, l'article 9, qui avait été introduit par la majorité sénatoriale et qui traitait de la revente de l'abonnement, a été supprimé. Cet article, dont nous avions combattu l'adoption, a fait et fait toujours couler encre et salive. Il est vrai qu'il soulève de vraies questions, qui ne sont pas totalement résolues.
Troisièmement, les députés, toutes sensibilités politiques confondues, ont montré leur impatience à faire évoluer le contenu du service universel, et cette même impatience avait été observée au Sénat. Ils ont réclamé qu'y soient intégrés le téléphone mobile et l'accès à l'Internet à haut débit.
L'Assemblée nationale et le Sénat souhaitent donc unanimement donner un signal fort à la Commission européenne. Nous devons impérativement, monsieur le ministre, nous mettre en ordre de marche pour être prêts à cette intégration, techniquement, juridiquement et financièrement, à l'échéance de juillet 2005.
Quatrièmement, quelques sujets, avec ou sans lien direct avec le projet de loi, ont donné lieu à l'Assemblée nationale à de longs échanges. La preuve a été clairement administrée qu'un débat parlementaire sur le « paquet Télécom » était nécessaire ; légiférer par ordonnances pour transposer les directives ne nous semble pas, à nous non plus, acceptable.
Deux exemples de ces échanges méritent d'être cités à l'appui de cette position : d'une part, celui qu'a provoqué la question de l'accès gratuit à l'annuaire inversé pour les services d'urgence, afin qu'ils puissent localiser les appels ; d'autre part, celui qui a eu lieu à propos de l'homologation des tarifs de France Télécom. Les amendements déposés à l'Assemblée nationale sur cette dernière question ont fait naître depuis une véritable tempête médiatique.
Monsieur le ministre, vous avez demandé le retrait de ces amendements en prenant des engagements. Pourriez-vous renouveler ceux-ci devant la Haute Assemblée et préciser de manière définitive les intentions exactes du Gouvernement au sujet du projet de loi « paquet Télécom » ?
Enfin, cinquièmement, l'examen du projet de loi en première lecture n'a pas permis, nous semble-t-il, de répondre complètement à certaines préoccupations.
C'est ainsi que la question de la constitutionnalité de certaines dispositions du projet de loi reste posée : il s'agit du maintien de fonctionnaires dans une entreprise privatisée et dépourvue de mission de service public ; de l'application rétroactive de la clé de répartition pour la compensation du coût net du service universel ; enfin, de l'abrogation du monopole de TDF.
C'est ainsi encore que, à nos yeux, aucune solution satisfaisante n'est apportée à la situation des « reclassés ». Le législateur et le Gouvernement ne peuvent se retrancher ni derrière des dispositions touchant une partie de ces reclassés ni derrière une lettre du président de France Télécom qui, au demeurant, ne répond pas à leur attente.
Le Sénat, nous le savons, possède en son sein des talents confirmés dans de nombreux domaines, dont ceux de la musique et de la chanson.
A cette heure avancée, et puisque nous approchons des fêtes, durant lesquelles ces talents vont pouvoir s'exprimer, je m'autorise à utiliser trois chansons célèbres du répertoire, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour attirer votre attention sur des prolongements essentiels de ce projet de loi : « Je t'aime, moi non plus », « Et maintenant, que vais-je faire ? » et « Non, rien de rien ».
Mme Brigitte Bout. Il faut les chanter !
M. Pierre-Yvon Trémel. « Je t'aime, moi non plus. » Le Gouvernement présente trois textes qui vont faire bouger le droit des télécommunications : le présent projet de loi, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique et, nous l'espérons, le projet de loi « paquet Télécom ».
Ces trois textes ont un point commun : l'interrogation sur le rôle du régulateur, l'ART, et sur l'interprétation de la loi de réglementation de 1996.
Jusqu'où doit aller la régulation en matière de contrôle des tarifs ?
Il est vrai qu'il est difficile d'atteindre toutes les cibles à la fois : faire respecter une saine concurrence - la relation entre le renard et le poulailler a été évoquée récemment -, permettre une dynamique de développement des services innovants, répondre aux exigences d'aménagement du territoire.
A l'heure d'une nouvelle guerre des prix de l'ADSL, nous ne pouvons, pour notre part, que dire non au « haut débit des villes - haut débit des champs », dire non à des tarifs différenciés géographiquement.
Où doit-on placer le curseur entre pouvoir de régulation et pouvoir politique ?
L'examen de ces trois textes doit être l'occasion d'affirmer le rôle qu'il appartient au Parlement de jouer, car c'est à lui qu'il revient de veiller au maintien de la qualité du service universel.
« Je t'aime, moi non plus » : les relations entre l'ART, les opérateurs et le pouvoir politique méritent d'être reprécisées, car chacun a besoin de bien connaître les règles du jeu.
« Et maintenant, que vais-je faire ? » C'est un refrain que nous connaissons bien et que vous fredonnez souvent, monsieur le ministre, comme tout responsable placé devant des choix difficiles - et Dieu sait si vous êtes servi !
Si ce projet de loi est adopté - il n'y a guère de suspens ! - il ouvrira la porte à une privatisation, à terme, de France Télécom.
A l'issue du rachat de la part des actionnaires minoritaires d'Orange par l'opérateur public, l'Etat détiendra 53,5 % du capital de France Télécom.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit ici même, en proposant de faire sauter le verrou des 50 % : « Il n'y a aucune arrière-pensée. »
Les observateurs avertis qui se sont exprimés ces jours derniers ont présenté plusieurs scenarii possibles : une opération de marché, l'intégration de filiales - Equant et Wanadoo -, une opération stratégique, ou encore une mise sur le marché couplée à une opération industrielle. La représentation nationale, les personnels de France Télécom, et vous le comprenez, attendent de connaître le scénario que vous privilégiez.
« Non, rien de rien, non, je ne regrette rien. » Lors des débats de la première lecture, nous avons clairement fait connaître notre opposition à l'adoption du projet de loi. Nous n'avons pas changé d'avis, et notre position reste bien calée sur des affirmations fortes.
Nous voulons un service universel de qualité à un prix abordable.
Nous voulons renforcer le contrôle du politique sur le service universel afin de ne pas laisser ce service, qui participe à la cohésion sociale et territoriale de notre pays, au seul contrôle de l'autorité de régulation, plus soucieuse de concurrence que de service public.
Nous voulons un statut du personnel de France Télécom conforté et motivant.
Nous voulons le maintien de la présence de l'Etat au-delà des 50 % dans le capital de France Télécom.
L'Etat, par sa présence majoritaire dans le capital, doit rester le garant de l'accomplissement des missions d'intérêt général dans un secteur aussi stratégique que celui des télécommunications.
Ces affirmations, fortes et cohérentes, sont tout à fait compatibles, nous le disons de nouveau, avec les orientations stratégiques de l'opérateur historique, qui aujourd'hui encore, tourné principalement vers la poursuite de son redressement financier et de son désendettement. L'actionnaire majoritaire qu'est l'Etat doit continuer à soutenir France Télécom pour que l'entreprise, comme elle le souhaite, devienne à l'échelle internationale un opérateur global, présent dans le fixe, le mobile et l'Internet, en s'appuyant sur une recherche et un développement renforcés et sur des partenariats.
Nos choix sont différents, chacun assume les siens. Monsieur le ministre, aujourd'hui comme hier, nous ne voterons pas votre projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis sa prise de fonctions, le Gouvernement mène une politique de régression sociale sans précédent dont l'objet est de faire disparaître des avancées sociales significatives, fruit des luttes sociales qui ont permis de déboucher sur un ensemble de droits collectifs protégeant l'individu contre la maladie, le chômage et la vieillesse, des avancées sociales qui se traduisent par la mise en oeuvre d'une solidarité sociale et nationale, à contresens de l'individualisme inhérent aux rapports marchands.
Ces avancées sociales ont incontestablement contribué à améliorer le sort de nos concitoyens, tant du point de vue des conditions de travail que du point de vue des conditions de vie, en les soustrayant à l'arbitraire du marché, où se noue un rapport de force toujours inégal.
Les services publics, en permettant l'égalité d'accès de tous à des biens fondamentaux comme l'énergie, les transports, la santé ou les télécommunications, participent de cette logique qui vise à corriger les inégalités sociales et territoriales.
C'est bien la raison pour laquelle les entreprises chargées d'assurer ces services publics ont été placées sous le contrôle de la collectivité, le rôle du marché n'étant évidemment pas d'assurer des services dits « d'intérêt général ».
A cela se sont ajoutées deux raisons supplémentaires : l'incapacité avérée du marché, dans les années trente, à assurer la régulation des économies et la nécessité de retirer de sa coupe des secteurs essentiels à la cohésion de la société.
Cette nécessité existe toujours aujourd'hui, je dirai même plus que jamais. Elle implique la rénovation et la modernisation de nos services publics afin de prendre en compte les nouveaux besoins. Cependant, qui oserait nier qu'une telle construction, assise sur une conceptualisation à même de faire évoluer ces services publics avec les seules exigences de mutabilité, constitue une réussite ?
Le bilan en la matière est significatif. Il l'est d'autant plus que personne ne peut nier non plus que l'ensemble des services publics a contribué à alimenter la croissance. La dynamique des revenus et des emplois, parmi lesquels nombre d'emplois qualifiés permettant d'assurer un service de qualité, y a participé efficacement.
A contrario, le bilan de la déréglementation et de l'emprise grandissante du marché, en particulier du marché financier, n'est guère recommandable. Les pays qui, comme la Grande-Bretagne, furent les premiers à privatiser l'ensemble de leurs services publics ont essuyé de graves et dramatiques revers et sont désormais obligés de faire marche arrière. En Angleterre, cela s'apparente fortement à une « renationalisation » dont le rail constitue un exemple.
Faut-il encore souligner le triste bilan de la déréglementation, que votre gouvernement s'évertue à nier : faillites retentissantes dans le secteur privé de la plupart des pays développés, malversations financières de grande ampleur du type d'Enron et de WorldCom, vagues de spéculations récurrentes dont nous avons peine à sortir ?
Cette déréglementation a son corollaire social avec l'aggravation des inégalités territoriales, sociales et intergénérationnelles, avec aussi la remise en cause des mécanismes traditionnels de la solidarité nationale, au premier rang desquels notre système de retraite.
Dans cette logique qui pousse à abandonner au marché des pans entiers de nos économies, le secteur des télécommunications occupe une place particulière, tant il est vrai qu'il porte en lui l'enjeu de notre civilisation.
Il nous paraît fondamental que l'Etat puisse rester le garant de l'accomplissement des missions d'intérêt général dans un tel secteur.
Les raisons qui militent contre la privatisation de France Télécom, contre la diminution de la participation de l'Etat dans son capital, sont fondées sur des analyses réelles, et vos contre-arguments, monsieur le ministre, sont bien maigres, quand ils ne relèvent pas de la pure mauvaise foi.
Ainsi, vous prétendez que l'obligation de détention majoritaire du capital par l'Etat aurait été l'une des causes de la crise traversée par France Télécom en l'empêchant de financer sa croissance autrement que par la dette. Mais, vous le savez bien, la dette colossale, qui atteignait 70 milliards d'euros à la fin de 2002, est le résultat d'une stratégie de financiarisation et de croissance externe déconnectée de tout réel projet de développement industriel.
La crise qu'a traversée le secteur des télécommunications est avant tout liée à l'effondrement des marchés financiers, au dégonflement de la bulle spéculative, qui a fragilisé l'ensemble du système de financement de l'économie. Aucun segment de filière des télécommunications n'a été épargné, et le secteur privé a procédé à des licenciements massifs.
La réduction de cette dette de 20 milliards d'euros en un an a été réalisée par le biais d'une politique de réduction drastique des coûts, politique qui se heurte aujourd'hui au statut des 106 000 fonctionnaires appartenant à la société mère ! Et, quoique vous vous en défendiez, monsieur le ministre, avec ce texte, vous cherchez vivement à les inciter au départ, à les inviter à rejoindre le statut du secteur privé.
Ainsi, le projet de loi, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, n'a guère évolué sur le fond. Notons cependant quelques améliorations à la marge, ainsi que la sage suppression de l'article 9, qui visait à obliger France Télécom à revendre ses abonnements en gros ! Cet article avait été créé par vos soins, chers collègues, et il aurait fortement déstabilisé l'opérateur historique, sur qui repose aujourd'hui l'essentiel de la charge du service public et demain, sans doute, du service universel !
En ce qui concerne le service universel, précisément, vous n'avez pas voulu, monsieur le ministre, obtempérer devant ceux qui, pourtant nombreux, demandaient son extension à l'Internet à haut débit, et vous avez prétexté que la prochaine directive européenne prévoyait d'élargir le périmètre du service universel au plus tard à la fin du mois de juillet 2005.
Attendre une impulsion en provenance de l'Union européenne, réputée pour ses choix libéraux, me semble être un leurre !
Enfin, une telle conception a minima des services publics ne permettra pas de relever les défis à venir, et ce d'autant moins que les télécommunications constituent un bien collectif des plus stratégiques.
C'est pour toutes ces raisons que nous avons déposé des amendements visant à élargir les missions du service universel à la téléphonie mobile et à l'internet à haut débit : la France doit se doter d'un tel service universel et tirer vers le haut les futures négociations européennes.
Quant à l'ouverture à la concurrence, elle n'a guère encore réellement profité au petit consommateur, au petit usager, qui a vu les tarifs, tous services confondus, augmenter entre 1995 et 2003 de 89 % pour la mise en service de la téléphonie et de 86 % pour l'abonnement au téléphone fixe.
Nous réclamons depuis longtemps une démocratisation de l'ART afin que celle-ci puisse effectuer un contrôle qui soit réellement au bénéfice des citoyens et qui réponde aux besoins à long terme de notre pays. Tel n'est évidemment pas le cas aujourd'hui, et j'ai cru comprendre que, loin d'être rénové dans le souci du respect de notre démocratie, le rôle de l'autorité serait sans doute affaibli quand France Télécom passera sous contrôle privé.
Je continue de penser qu'une entreprise aussi stratégique que France Télécom doit rester sous contrôle public. Or, jusqu'à maintenant, je ne connais qu'un moyen pour qu'un tel contrôle « collectif » puisse avoir lieu : une forme publique de propriété du capital qui, au demeurant, ne doit pas obligatoirement se limiter au seul Etat.
Quel contrôle l'ART exercera-t-elle lorsque France Télécom, devenue une entreprise privée, s'imposera en monopole, ce qui, dans un tel secteur, semble être une évolution naturelle ? Le capital de ce monopole privé sera-t-il détenu par des fonds de pension américains exigeant des taux de rentabilité immédiate extrêmement élevés ?
Autant d'interrogations que nous dicte l'analyse historique et économique et qu'il nous faut dès aujourd'hui considérer avec lucidité.
Je reste convaincue que la privatisation de France Télécom contribuera à accroître la fracture numérique. Elle aura aussi pour conséquence la poursuite des réductions d'emplois et la précarisation accrue du personnel, déjà engagée avec le plan « TOP ».
Les salariés se mobilisent aujourd'hui contre votre projet de loi, et ce dans l'intérêt des usagers. Nous sommes évidemment à leurs côtés.
Pour toutes ces raisons, notre groupe votera contre le projet de loi qui nous est soumis, car il nous engage sur la voie de la régression sociale, et ce d'autant plus qu'il ne nous permettra pas de revenir sur des sujets aussi importants que la situation des salariés de France Télécom, ou encore de TDF.
Nous avons souhaité, pour notre part, la création d'une commission d'enquête afin d'analyser les conséquences des déréglementations et des privatisations. Il nous semble urgent de nous engager dans cette analyse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer, ministre. Je souhaiterais répondre brièvement sur un certain nombre de points.
D'abord, je ne peux que confirmer à ceux qui y voient malice que si nous avons souhaité faire adopter ce projet de loi aussi rapidement que possible, c'est simplement pour dégager l'emploi du temps des deux assemblées afin qu'elles puissent examiner d'autres textes. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Nous n'avons aucune arrière-pensée. Les personnes « avisées » auxquelles vous faites référence en nous prêtant des arrière-pensées s'apercevrontqu'elles étaient moins avisées qu'elles ne le considéraient. Peut-être que, dans l'avenir, des opérations se présenteront de manière telle que, effectivement, nous aurons intérêt, en tant qu'actionnaire majoritaire, à donner notre accord pour une évolution se traduisant par la perte de contrôle par l'Etat. Toutefois, aujourd'hui - et vous pourrez toujours garder cela en mémoire -, il n'en est pas question.
Ensuite, j'évoquerai la régulation et l'ART, notamment pour répondre à M. le rapporteur. Il est clair que la presse s'est emparée de ce sujet avec grand plaisir. Je rappellerai quelques éléments. Tout d'abord, une régulation efficace, c'est une régulation qui fonctionne dans l'intérêt des clients. Toute l'économie est au service du client, et non du producteur. C'est un fait majeur qui caractérise notre époque, et il faudrait que nous prenions tous conscience que cette évolution est la bonne. Le système économique est là pour produire des richesses, voire pour faire baisser les prix pour un service donné par le jeu de la concurrence, de manière que les consommateurs, qui sont la raison d'être du système, se trouvent dans une situation aussi favorable que possible.
Bien sûr, il faut aussi que cela se fasse dans l'intérêt général. Ceux que nous évoquons à travers cette régulation sont des opérateurs : ils sont là pour penser non pas à eux, mais aux autres, c'est-à-dire à leurs clients. Ce principe est majeur dans l'économie moderne, qu'on le regrette ou non. Personnellement, je considère qu'il est logique que le producteur soit au service du consommateur, et non l'inverse, même si cela trouble certains d'entre vous qui ont eu, dans le passé, l'habitude de penser que le public était au service du producteur.
Selon moi, c'est le producteur qui est au service du public. Dans ce contexte, il va de soi que nous nous attachons dès à présent à faire en sorte que la régulation, dont nous avons besoin, bien sûr, pour maintenir une saine concurrence, évolue de manière telle que la concurrence continue d'être effective, au service du consommateur.
Ces jours derniers, vous avez pu constater que la concurrence a tout de même du bon. Cela permet aux clients de découvrir que tel produit qui, un jour, valait x, vaut le lendemain x - x, x pouvant être de plusieurs dizaines de pourcent.
Tel est le monde économique dans lequel nous vivons et continuerons à vivre. Les télécommunications au sens large du terme sont un domaine où l'innovation, en dehors du renouvellement ou du développement des services, a aussi pour objectif de faire chuter très rapidement les coûts afin que les prix continuent à baisser et donc que le volume augmente. Je rappelle qu'en économie on constate généralement une forte élasticité entre le prix et la quantité, l'objectif étant que le maximum de personnes aient accès au maximum de services. Plus le prix de ces services sera bas, plus le nombre de personnes pouvant les acheter sera élevé. Personne dans cet hémicycle ne peut contester cette idée, car elle est de bon sens.
Nous devons tirer les enseignements de l'expérience que nous accumulons dans ce domaine en France, mais aussi dans les autres pays européens, pour, au fil du temps, adapter notre régulation, qui doit constamment être au service de l'économie, de l'innovation, du consommateur et, accessoirement, du producteur.
La plupart du temps, nous n'avons pas eu à nous opposer aux propositions de notre régulateur. Parfois, nous considérons qu'il ne va pas assez vite, ou qu'il est un peu trop prudent. Mais notre rôle, qui consiste à ne pas être constamment d'accord avec ses propositions, nous comptons bien l'assumer.
Certains ont évoqué les tarifs ADSL, le haut débit et le risque de rupture numérique sur le territoire. Je me permets de rectifier ce point. On assiste actuellement à une baisse de prix pour les fournisseurs d'accès, ces entreprises ayant déjà répercuté la baisse au niveau des consommateurs avant qu'elle se produise. C'est donc une très bonne chose pour le développement du marché.
De même, la structure de prix de gros incitera, cela va de soi, les opérateurs à développer le dégroupage dans les villes moyennes. Donc, la concurrence va se diffuser progressivement sur l'ensemble du territoire, pour y apporter la baisse des prix et l'innovation. Foin donc de la rupture numérique !
Quant aux opérateurs, vous devez le savoir, ils n'ont pas différencié les tarifs des clients. Or ce qui compte, c'est tout de même le résultat au niveau du client. Contrairement à ce que certains disent, il n'y a donc pas un tarif pour les villes et un tarif pour les campagnes, ou un débit plus ou moins fort selon que l'on vit en ville ou à la campagne. Il y a, au contraire, une incitation à la concurrence, et je vous assure qu'il continuera à en être ainsi.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Francis Mer, ministre. Monsieur Trémel, le Gouvernement désire effectuer la transposition de la directive « paquet Télécom » le plus rapidement possible. Comme les présidents des deux assemblées l'ont souhaité, un débat parlementaire aura lieu au cours du premier trimestre 2004,...
M. Pierre Hérisson. Très bien !
M. Francis Mer, ministre. ... l'Assemblée nationale devant examiner en première lecture le projet de loi au mois de janvier prochain.
Concernant le service universel, nous sommes favorables à son extension aux mobiles et au haut débit. Les discussions s'engageront dès l'année prochaine avec nos partenaires européens, pour une application en 2005.
Madame Beaufils, d'une manière générale et en particulier dans le secteur des télécommunications, le bilan de la déréglementation ne me paraît pas si négatif. Certes, il y a eu, et personne ne le conteste, des excès, notamment Enron. Les Etats-Unis ont d'ailleurs réagi très vite. Vous vous félicitez du fait que nous ayons eu besoin de seulement six mois pour élaborer ce projet de loi. Mais les Américains, pour faire l'équivalent de notre nouvelle loi de sécurité financière ont mis trois mois. Donc, quand cela est urgent, le secteur capitaliste, comme on dit souvent, sait réagir pour défendre son système.
Je reviens aux télécommunications. Vous le savez, France Télécom et ses concurrents emploient aujourd'hui plus de personnes que voilà dix ans. Cela montre que l'innovation permet aussi de créer des emplois. L'offre de services s'est développée, et pas uniquement par l'innovation technique. Le forfait dans la téléphonie mobile en est un exemple, notamment s'agissant des heures gratuites. Tout le monde y a gagné. Les clients ont plus de choix, plus d'offres, plus de souplesse tarifaire. Après tout, pourquoi s'en plaindre ? En termes de PIB, l'économie a gagné plus de 40 milliards d'euros - ce qui n'est pas mal -, sans compter les effets de la diffusion de la productivité, à travers les télécoms, dans l'ensemble de l'économie. Si on avait partout le même dynamisme d'innovation que dans les télécommunications, rassurez-vous, l'économie européenne, notamment française, serait moins languissante.
Il est souhaitable d'entretenir ce rythme d'innovation. France Télécom - on l'y a un peu poussé, il est vrai - a redécouvert les mérites de la recherche. Ainsi, l'année prochaine, il augmentera de 20 % son volume de recherche, les crédits passant de 500 millions à 600 millions d'euros. Ce n'est pas suffisant. Il poursuivra son effort de recherche. Ainsi, cette très belle entreprise, dont nous sommes encore l'actionnaire majoritaire, pourra continuer à prospérer, dans l'intérêt de ses clients, notamment en France, et donc dans l'intérêt de notre pays.
Telles sont les observations que je souhaitais formuler après avoir entendu les orateurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.